Back to the Future [Emily & Angus]

A trente-sept ans, Emily avait espéré avoir encore quelques années devant elle avant d'être considérée comme faisant partie des "anciens", mais c'était sans compter sur la moyenne d'âge de la Milice, incroyablement basse. Avec ses quinze ans de BDA derrière elle, elle faisait clairement office de dinosaure.

Elle jaugea d'un regard le jeune homme qui attendait sur la chaise à côté d'elle en pianotant sur son Pear à la vitesse de la lumière. Elle remarqua ses ongles rongés et son pied qui battait rapidement contre le sol et le catégorisa assez vite comme un petit jeune certainement brillant mais complètement stressé par ses premiers pas dans le monde du travail. Avec un peu de chances on ne les collerait pas en binôme -deux nouveaux ensemble, pas la meilleure stratégie. Il n'avait pas l'air méchant mais elle n'avait aucune envie de devoir materner un gamin tout juste sorti de Poudlard. Il lui accorda un sourire timide auquel elle se força à répondre alors que la porte devant laquelle ils attendaient s'ouvrait enfin sur le visage souriant d'un sorcier qui se présenta comme le lieutenant Dane.

Emily lui serra la main et le suivit à l'intérieur de son bureau où il entreprit de leur présenter brièvement leurs nouvelles fonctions. Elle se contenta d'écouter attentivement les explications du Milicien alors que le petit jeune prenait scrupuleusement tout en notes. Le lieutenant Dane les informa notamment que leur chef, Galahad Thorne, était en plein briefing mais se chargerait de leur accueil formel un peu plus tard. En attendant, ils étaient invités à rejoindre leurs bureaux et à se plonger dans les dossiers en cours, pour se "mettre dans le bain". Cela convenait parfaitement à Emily qui préférait de loin se mettre tout de suite au travail plutôt que d'avoir droit à un exposé sur le fonctionnement du département de la justice magique.

Le lieutenant Dane lui indiqua le bureau qui serait le sien et y fit léviter une pile de dossiers concernant une enquête à cours, pour qu'elle puisse y jeter un oeil en attendant le retour de Thorne. Emily s'aventura donc dans l'open-space de la milice avec l'étrange sensation d'être à la fois en territoire connu, et dans un univers complètement nouveau. Elle avait déjà plus de quinze ans de carrière derrière elle mais elle en avait passée plus de la moitié en infiltration chez les moldus, et sortait de plus d'un an "d'arrêt maladie". Elle avait espéré reconnaitre quelques anciens collègues du BDA dans les rangs de la milice mais ne croisa aucun visage connu et se contenta de saluer ses futurs collègues d'un vague sourire alors qu'elle rejoignait son bureau.

Emily fronça les sourcils en remarquant le bazar qui régnait sur le bureau de son nouveau coéquipier, collé en face du sien. Des montagnes de paperasse, soit, mais également un sachet de viennoiserie qui avait déversé des miettes sur le bureau, quelques tasses de café à moitié vides, et ce qui semblait être des pièces à convictions et qui aurait certainement eu sa place dans la pièce des scellés plutôt qu'au milieu d'un open-space. Son partenaire n'avait pas l'air d'être adepte du rangement, ni du respect des procédures... Voila qui commençait bien !

L'ancienne Auror se morigéna intérieurement pour cette pensée négative. Ce poste était un nouveau départ et elle avait décidé de voir le bon côté des choses : c'était un emploi stable, et cela ferait un bon élément dans son dossier pour récupérer la garde de Taylor. Et puis personne ne la connaissait ici, et elle avait la chance de pouvoir repartir de zéro. C'était une opportunité qu'elle ne laisserait pas être gâchée par un malheureux sachet de viennoiseries. Pour ce qu'elle en savait, son futur coéquipier était certainement un excellent agent, et une personne tout à fait sympathique.

Une voix au-dessus d'elle lui fit relever la tête du dossier qu'elle était en train de lire et une expression de profonde stupéfaction se peignit sur son visage alors qu'elle reconnaissait Angus Rice. Il avait pas mal changé depuis la dernière fois où elle l'avait vu, et pourtant elle l'aurait reconnu entre mille. Sa surprise était visiblement partagée, et elle s'agrandit quand Angus tira le siège du bureau en face du sien pour s'y installer. Oh no.

Complètement déstabilisée par cette apparition, Emily observa un instant Angus en silence, les sourcils légèrement froncés. Il était peut-être l'une des dernières personne qu'elle se serait attendue à croiser à la milice, et elle devait avouer qu'elle n'était pas ravie de cette rencontre. Elle tenait vraiment à garder sa vie personnelle et sa vie professionnelle complètement séparées, et se retrouver face à son ex-petit-ami lors de son premier jour de travail n'allait pas vraiment en ce sens.

"Nous voila donc collègues de travail… Qui l’aurait cru." Elle accueillit la remarque d'Angus avec un haussement de sourcils qui semblait vouloir dire : certainement pas elle.

Elle avait laissé Angus employé à la SPAF et sans aucun projet d'avenir autre que de secourir des bébés chatons, et elle le retrouvait à la milice. Elle se demandait bien ce qui avait pu le conduire d'un refuge de la SPAF jusqu'à la justice magique.

"Tu peux le dire, répondit-elle en se forçant à lui adresser un bref sourire. Comment tu t'es retrouvé ici ?" demanda-t-elle, sans chercher à cacher son incompréhension.

Angus Rice à 20 ans et 15 kilos en moins

L'expression contrariée d'Emily se détendit un peu alors qu'Angus lui exposait rapidement son parcours. La brigade fléro-technique, voila qui lui convenait mieux ! Il avait toujours adoré s'occuper des animaux, et elle devait admettre qu'elle était impressionnée de voir qu'il avait réussi à construire sa carrière autour de ça.

Elle songea avec nostalgie au jour où il lui avait offert Lawrence pour noël, quelques mois avant leur séparation. Elle avait été complètement prise au dépourvu, elle qui n'avait absolument pas prévu d'adopter un animal de compagnie, mais elle s'était rapidement attachée au jeune chiot, qui était resté son plus fidèle compagnon. Le pauvre était complètement aveugle et plus très agile aujourd'hui, et elle savait qu'il ne lui restait plus longtemps à vivre, mais elle préférait ne pas songer au jour où il l'abandonnerait, après dix-sept ans de bons et loyaux services.

Son visage s'était un peu adouci quand Angus se demanda pourquoi ils ne s'étaient pas croisés avant au Ministère. Elle hocha lentement la tête quand il devina qu'elle avait été en mission longue durée.

"J'ai été nommée agent de liaison à Scotland Yard, quelques années avoir intégré le BDA, expliqua-t-elle. La police moldue, précisa-t-elle, au cas où. Elle se souvenait que son ex-petit-ami avait une connaissance assez limité du monde non-magique. Et j'avais demandé à un collègue de faire disparaitre mon dossier quand ça a commencé à chauffer, en 1997, au cas où... Ce n'était pas une bonne période pour être née-moldue."

Elle ponctua sa réponse d'un haussement d'épaules fataliste. Elle avait conscience d'avoir eu de la chance. Elle travaillait en monde moldu, sous une fausse identité, et avait réussi à se faire complètement oublier du Ministère de la magie, tombé aux mains de Voldemort. Elle savait que de nombreux sorciers dans sa situation avaient été rattrapés par ceux que l'on appelait à l'époque "les raffleurs", et avaient connu un destin tragique.

Elle reporta son attention sur Angus, qu'elle observa avec un air songeur. Elle n'arrivait pas encore à se faire à l'idée qu'ils allaient travailler ensemble. C'était tellement improbable. Elle réalisa aussi qu'elle ne savait plus grand chose de l'homme qu'elle avait en face d'elle. Il avait eu le temps de changer, en dix-sept ans, et n'avait certainement plus grand chose de l'adolescent fêtard qu'elle avait fréquenté. Elle se demandait à quoi pouvait bien ressembler sa vie aujourd'hui. Est-ce qu'il était marié ? Est-ce qu'il avait des enfants ? Mais elle n'osait pas se lancer dans une conversation trop personnelle tant elle n'avait aucune envie qu'il lui retourne ces questions. Elle décida de rester sur le terrain professionnel.

"Ça fait longtemps que tu bosses à la milice ? C'est comment ?"

16 mai 1994


Emily avait passé une mauvaise nuit. Ou plutôt, elle avait passé une très bonne nuit jusqu'à ce qu'Angus ne rentre, à plus de trois heures du matin, complètement bourré. Il avait été à peu près aussi discret et silencieux qu'un niffleur dans une bijouterie. Il l'avait réveillée, évidement, et s'était échoué à côté d'elle où il avait sombré dans le sommeil en moins de cinq minutes. De son côté, elle avait mis une heure à retrouver le sommeil, gênée par les ronflements de son petit-ami qui dormait comme un bienheureux. Elle s'était finalement rendormie, énervée, et s'était réveillée de mauvaise humeur, sur les coups de neuf heures. Son humeur ne s'était pas arrangé quand elle avait trébuché sur les vêtements d'Angus, abandonnés par terre devant la porte de la chambre.

Elle se levait généralement plus tôt, pour préparer son concours, mais elle avait souvent révisé tard ces derniers temps et avait besoin de récupérer un peu de sommeil. Elle avait pris une douche, et avalé un bol de céréales en relisant ses notes de procédure pénale magique. Son concours était dans un peu plus de quinze jours et elle avait l'impression qu'il lui restait plus de la moitié du programme à revoir. Entre les révisions et ses séances d'entrainement pratiques, elle n'avait plus beaucoup de temps pour le reste, et cela faisait plusieurs semaines qu'elle n'avait pas accompagné Angus à une de ses soirées, mais elle ne pouvait simplement pas se permettre de rentrer à quatre heures du matin et de dormir jusqu'à midi.

Midi arrivait justement, et son petit-ami ne faisait pas mine de se lever. Elle attendit encore une petite heure avant de renoncer à l'attendre et de se préparer un sandwich qu'elle avala rapidement. Il était plus de quatorze heures quand elle entendit finalement la porte de la chambre s'ouvrir dans son dos. Elle ne se retourna pas, alors même que sa nuque endolorie la suppliait de changer de position, et relut pour la troisième mois la même phrase de son livre. Elle avait du mal à se concentrer depuis ce matin, trop occupée à ruminer et à formuler des reproches à Angus dans son esprit. Reproches qu'elle ne formulerait pas, parce qu'elle n'avait vraiment pas envie de se disputera avec lui aujourd'hui.

"'lut, répondit-elle vaguement. Elle plissa le nez quand il déposa un baiser sur sa joue, lui soufflant son haleine alcoolisée sur le visage. Dans la salle de bain, placard au dessus du lavabo, débita-t-elle en se replongeant dans son manuel. Elle laissa échapper un soupir quand Angus s'exclama qu'il mourrait de faim. Oui, c'était souvent ce qui arrivait quand on buvait jusqu'à quatre heures du matin. J'ai déjà mangé. Y a des trucs dans le frigo."

Elle avait à peine levé les yeux de son livre, et reprit sa lecture là où elle l'avait interrompue. Elle s'en voulait un peu mais elle avait hâte qu'Angus rentre chez lui, pour pouvoir se retrouver seule et digérer sa rancoeur de la nuit dernière.

Emily se détendit brièvement et ferma même les yeux le temps d'une seconde alors qu'Angus massait doucement sa nuque endolorie, comme s'il avait lu dans ses pensées. Son regard s'était radouci et elle le suivit des yeux alors qu'il se dirigeait vers la salle de bain, à la recherche d'une potion contre le mal de crâne. Elle se souvenait d'une époque pas si lointaine où elle l'aurait chambré sur sa consommation d'alcool, lui aurait conseillé de rester couché, et lui aurait apporté elle-même la potion, avec deux grandes tasses de café. Elle avait conscience de ne pas être la petite-amie idéale en ce moment, elle se rendait compte qu'elle était distante avec lui, mais elle était tellement stressée ! Elle aurait voulu qu'il la comprenne et qu'il ne cherche pas en permanence à la détourner de son travail.

Quinze jour, elle avait besoin de se concentrer sur son concours encore quinze jours, et ensuite les choses pourraient revenir à la normale. Elle se disait ça pour se rassurer, tout en sachant qu'il y aurait toujours autre chose. Elle passait la partie théorique du concours dans deux semaines, mais ne validerait la partie pratique que dans un an. Nouveaux examens, simulation d'intervention, mise en situations...Et nouvelle période de stress. Elle n'y pouvait rien, elle avait toujours été angoissée par les examens, même à Poudlard, et elle se mettait toujours une pression monstrueuse.

Réalisant qu'elle avait passé les dernières minutes à ressasser plutôt qu'à réviser, la jeune femme secoua la tête et se plongea de nouveau dans sa lecture, juste au moment ou Angus revenait dans le salon. Elle l'entendit s'affairer dans le petit coin cuisine, avant de s'installer en face d'elle avec une assiette d'oeufs brouillés.

"Bof, répondit-elle avec un haussement d'épaules en levant brièvement les yeux de son livre. J'ai pris un peu de retard."

Retard qui était grandement lié au fait qu'elle avait passé la matinée à ruminer et à se préparer à une confrontation qui n'aurait pas lieu -elle n'avait pas le temps de se disputer. En temps normal elle l'aurait interrogé sur sa soirée, mais elle réalisa qu'elle n'avait aucune envie d'entendre le récit de tout ce qu'elle avait manqué en passant sa soirée à réviser sa procédure pénale, et n'en fit rien.

"Merci, c'est gentil." Elle esquissa un sourire, touchée que Melchior ait pensé à elle, et baissa à nouveau la tête sur son livre.

Le silence retomba sur la pièce à vivre, uniquement troublé par Angus qui mangeait bruyamment ses oeufs brouillés. Elle retint de justesse un soupir agacé. Elle était tout autant irritée par les bruits de mastication de son petit-ami que par sa propre intolérance. Elle ne pouvait pas continuer à s'agacer de tout ce qu'il faisait ! Elle s'efforça de reprendre ses révisions mais son attention fut de nouveau détournée, cette fois-ci par Lawrence qui venait de quitter son panier et qui semblait particulièrement heureux de retrouver Angus.

Un sourire attendri passa furtivement sur le visage d'Emily, qui disparut bien vite quand Angus entreprit de se lancer dans une leçon de dressage. Cela n'allait pas être possible. Elle était incapable de se concentrer s'il restait à côté d'elle à répéter "Assis" toutes les quatre secondes. Elle réussit à tenir presque deux minutes entières avant de relever la tête.

"'Gus, vous pouvez aller jouer dehors ? Il faut vraiment que je travaille." Elle s'était exprimé avec autant de douceur que possible, mais son regard trahissait son agacement.


Emily hocha silencieusement la tête en écoutant les explications d'Angus, qui la confortait dans son choix de s'orienter vers la Milice, plutôt que le BDA, pour cette réinsertion dans le monde magique. Elle avait le sentiment que la Milice prenait énormément d'importance au sein de la justice magique, comme le confirmait cette réorganisation est les nouveaux moyens qu'elle avait apporté. Elle jeta un coup d'oeil à la section des renseignements, qui paraissait effectivement plutôt bien équipée. Emily avait mis quelques jours à s'habituer à son Pear Pro, heureusement sa pratique des technologies moldues l'avait grandement aidé dans cette entreprise et elle maitrisait désormais parfaitement ce nouvel engin.

La milicienne leva les yeux au ciel avec un soupir mi-désespéré mi-amusé quand Angus fit remarquer qu'elle était même plus vieille que lui, ce qui faisait apparement d'elle un dinosaure dans cette nouvelle milice particulièrement jeune.

"De quatre mois seulement," crut-elle bon de préciser.

Il adorait l'embêter avec ça, quand ils étaient ensemble. Sans trop savoir pourquoi elle détestait l'idée de sortir un garçon plus jeune, à l'époque. Elle répliquait souvent qu'ils n'avaient que quatre mois de différence, mais probablement quatre ans d'écart en termes d'âge mental.

"Je crois que je dois rencontrer Thorne dans la journée, répondit-elle quand Angus indiqua qu'elle pourrait se faire sa propre opinion de leurs chefs. Il est sympa ?"

Elle essayait de garder le monopole des questions -elle préférait les poser plutôt que d'y répondre- mais évidement Angus ne manqua pas l'occasion de l'interroger sur son récent changement de poste. Elle ne releva pas sa pique à peine dissimulée à l'encontre des moldus et se contenta de hausser les épaules. Elle préférait attendre un peu avant de dévoiler la carte de celle qui avait pété les plombs et abattu un sorcier d'une balle en pleine tête en pleine intervention, aussi opta-elle pour un demi-mensonge.

"Il était temps que je bouge, et je n'avais pas vraiment de perspective d'évolution côté moldu. Et puis, les armes c'est sympa mais les duels à la baguette me manquaient."

Elle était plutôt bonne dueliste et, même si elle avait évidement continué à s'entrainer pendant ses années d'infiltration, elle avait hâte de pouvoir pratiquer au quotidien à nouveau.

"Tu prends un café ?" proposa-t-elle en se levant, dans une tentative très habile de changer rapidement de sujet.

Emily eut toute la peine du monde à retrouver un minimum de concentration, trop occupée à se focaliser sur le bruit que faisait Angus en déposant sa vaisselle sale dans l'évier -qu'il ne prit pas le temps de nettoyer- ou en cherchant ses affaires. Elle ressentit une pointe de soulagement teintée de culpabilité en le voyant finalement enfiler sa veste et attraper la laisse de Lawrence. Elle ne savait plus exactement depuis combien de temps elle était plus heureuse de voir son petit-ami partir que de le retrouver... Elle avait mis cette attitude sur le stress des examens, mais elle avait de plus en plus de mal à nier que le problème était plus général que ça.

"OK, répondit-t-elle simplement en redressant la tête quand ce dernier affirma qu'il sortait se balader, sans son enthousiasme habituel. Ouai, en fin d'après-midi, très bien."

Cela lui laisserait quelques heures de tranquillité pour essayer de boucler son programme de révisions de la journée. Ses muscles se tendirent et elle retint malgré elle sa respiration quand son petit-ami suggéra qu'ils prennent un "moment pour eux ce soir". D'ordinaire ce genre de proposition était accompagné d'un sourire faussement énigmatique et la soirée se terminait généralement sous les draps, parfois après un passage au pub, mais cela faisait des semaines que ces moments-là n'étaient plus d'actualité. Elle sentait que le moment que lui proposait Angus était d'une nature complètement différente cette fois-ci.

"Je voudrais qu’on parle. Elle avait beau s'y être préparée, la déclaration lui fit l'effet d'une claque en pleine figure. Tout le monde savait que ce que "il faut qu'on parle" voulait dire.
- Ok, souffla-t-elle d'une voix faible. A ce soir."

Elle n'avait ni envie d'avoir cette conversation plus tard, ni le courage de le confronter maintenant, alors elle le laissa quitter l'appartement en ignorant la boule qui venait de se former au creux de sa gorge. Elle pencha de nouveau la tête sur ses notes et ce n'est que lorsqu'une larme vint s'écraser sur les mots tracés soigneusement à l'encre qu'elle réalisa qu'elle pleurait.


Emily haussa les sourcils, intriguée, quand son nouveau collègue lui expliqua qu'on ne pouvait pas vraiment qualifier Galahad Thorne de "sympa". Elle s'apprêtait à lui demander davantage de détails mais le milicien ne se fit pas prier et gratifia son supérieur des qualificatifs de "sérieux" et "professionnel", autrement dit "chiant" aux yeux d'Angus Rice. Un ressenti qu'il partageait visiblement à propos d'Emily, puisqu'il ajouta qu'elle devrait bien s'entendre avec son supérieur. Elle ne savait pas vraiment si elle devait prendre cela comme un compliment ou comme un reproche, aussi décida-t-elle de ne pas relever.

La milicienne leva les yeux au ciel mais ne put retenir un sourire amusé quand Angus lui reprocha de vouloir faire une pause moins d'une heure après avoir pris son poste. Il était vrai que cela ne ressemblait pas à l'Emily de vingt ans qu'il avait connue mais plus les années passaient et plus elle avait du mal à démarrer sa journée sans une grande tasse de café.

"Rien à voir, répliqua-t-elle en se levant. Si je veux espérer être un minimum fonctionnelle pour ce premier jour il va simplement me falloir un peu de caféine, expliqua-t-elle en suivant son collègue en direction de la salle de pause. Sympa la tasse."

Elle n'arrivait pas à croire qu'Angus puisse être encore fan de Jimmy Holiday. Elle se souvenait l'avoir accompagné à l'un des premiers concerts de l'artiste, presque vingt ans plus tôt. Elle était complètement hermétique à son style au début, mais s'était finalement laissée gagner par l'ambiance et avait fini par se casser la voix à l'unisson avec les autres spectateurs sur les dernières chanson du concert. Son petit-ami lui avait même offert un immonde t-shirt à l'effigie de l'artiste -trois fois trop grand pour elle- pour marquer l'évènement. Il lui servait encore de pyjama aujourd'hui.

Elle effaça le sourire nostalgique qui était apparu sur son visage alors qu'ils pénétraient dans la salle de pause et remercia Angus d'un hochement de tête alors qu'il lui tendait la tasse d'un dénommé Lenny. Elle ignorait qui était ce Lenny mais à en juger le robot Star Wars qui figurait sur sa tasse, et dont elle ne se rappelait plus le nom, elle pariait sur un jeune homme un peu geek. Elle avait à peine eut le temps d'avaler une première gorgée de café que le lieutenant Dane se dirigea vers la machine à son tour pour remplir son propre mug -rouge avec une inscription "Best Dad" accompagnée d'un coeur.

"Ah,bien. Vous faites connaissance tous les deux ?"

Emily s'apprêtait à répondre par l'affirmative -personne n'avait besoin de connaitre leur passif- mais elle fut coupée dans son élan par un éclat de rire d'Angus, qui s'empressa de contredire leur lieutenant. Elle dut prendre sur elle pour ne pas lui jeter un regard assassin alors qu'il lui envoyait un coup de coude amical dans les côtes. Un coup de coude beaucoup trop familier, qui n'échappa pas au regard de Dane, qui parut soudainement mal à l'aise.

"On était dans la même année à Poudlard, répondit-elle prestement. D'un bref regard, elle dissuada Angus de vouloir donner davantage de détails à leur supérieur. Le monde est petit !
- Ah bah ça ! On s'est presque tous croisés à l'école ! J'étais dans la promo de 89, chez Serdaigle, et vous ? Tout le monde était-il donc plus jeune qu'eux ici ?
- 1985, Poufsouffle, répondit-elle avec un sourire.
- Haha, trop vieux pour moi ! Ha. Ha. Bonnes retrouvailles alors !"

Emily remercia le lieutenant Dane d'un sourire et l'observa s'éloigner dans l'open space en direction de son bureau avant de faire volte-face vers Angus qu'elle dévisagea avec une expression qui semblait vouloir dire "mais à quoi tu joues ?"


Emily avait été incapable de retenir quoi que ce soit de sa séance de révision. Au stress des examens s'était ajouté celui de cette confrontation inévitable avec Angus et tout son esprit avait été occupé à se préparer au pire. Est-ce qu'ils allaient rompre ? Et est-ce serait une si mauvaise décision ? Etait-elle seulement prête à faire des efforts, à se battre pour cette relation qui ne lui apportait plus ce qu'elle recherchait ? Ils avaient été tellement heureux ensemble que le simple fait de remettre leur avenir en question lui comprimait la poitrine. Pourtant elle n'avait pas d'autre choix que d'envisager cette possibilité, persuadée que c'était ce qu'Angus souhaitait.

Elle n'arrivait même pas à lui en vouloir de chercher à mettre un terme à leur relation. Elle lui en voulait d'être trop envahissant, de ne pas se mettre à sa place, de lui reprocher un stress sur lequel elle n'avait aucun contrôle, de l'empêcher de dormir la nuit et de la déranger pendant ses révisions. Mais elle ne lui en voulait pas de la quitter, consciente qu'elle l'avait peut-être un peu cherché.

Après une heure à s'acharner sur dix malheureuses pages de "Techniques d'investigation et d'interrogatoire", elle avait abandonné l'espoir de réussir à travailler et avait cherché à s'occuper comme elle le pouvait. Elle avait changé les draps, fait le lit, laver la vaisselle sale abandonnée par Angus et avait finalement retrouvé sa place à la table de la salle à manger, qui lui servait également de bureau. Quand le jeune homme revint de sa ballade, on aurait pu croire qu'elle n'avait pas bougé de l'après-midi.

A la minute où ses yeux se posèrent sur Angus, accompagné de Lawrence qui semblait ravi de sa promenade, elle sentit un noeud se former à nouveau dans sa gorge. Elle n'était pas douée pour ce genre de conversations. Elle doutait qu'il y ait vraiment des gens doués pour les disputes, mais s'il en existait elle n'en faisait définitivement pas partie. Elle avait beau se former à confronter des criminels, et à les interroger sans perdre la face, elle était bien moins à l'aise quand il s'agissait d'exprimer ses sentiments. C'était Angus qui parlait le plus facilement, dans leur couple. C'était toujours lui qui initiait les grandes conversation entre eux, celles qui pouvaient durer jusqu'au milieu de la nuit. Elle ne comptait plus le nombre de fois où ils avaient refait le monde ensemble. Tout cela lui semblait presque appartenir déjà à une autre vie. Cette fois-ci la conversation s'annonçait bien moins agréable.

"Salut." lança-t-elle simplement.

Elle referma lentement le livre qui était posé devant elle, comme pour signer le début des hostilités.

"Emily, tu es vraiment sérieuse, là ?"

Elle écarta légèrement les mains en faisant attention à ne pas renverser son café et haussa les sourcils, surprise par l'attitude d'Angus. Ce n'était pas elle qui avait manqué de raconter toute leur histoire commune à leur supérieur ! Un soupir résigné franchit ses lèvres et elle abandonna sa posture défensive quand le milicien lui rappela, comme elle l'avait justement dit, à quel point le monde magique était petit. Selon lui il était tout simplement impossible de cloisonner complètement sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Elle savait qu'il avait raison, et pourtant elle aurait quand même voulu essayer. Elle préférait dévoiler le moins possible de sa vie privée à ses collègues, et dissimuler le maximum de sa vie professionnelle à sa famille, notamment à Taylor. C'était deux mondes tellement opposés. D'un côté celui des crimes, des affrontements, des interrogatoires, et de l'autre celui des contes de Beedle le Barde lus avant d'aller dormir et de la veilleuse en forme de nuage près du lit. Elle n'avait aucune envie de voir ces deux mondes-là se mélanger.

Emily ne chercha pas à dissimuler sa surprise en apprenant que Doreen travaillait également pour la milice et que Melchior était directeur de département. C'était des personnes qui lui paraissaient surgir tout droit d'un passé révolu et qu'elle ne s'était pas du tout préparée à croiser sur son lieu de travail. Elle était partie pendant tellement longtemps qu'elle avait oublié le fait que nombreux de ses anciens camarades étaient certainement employés au Ministère. Et d'après Angus, on ne manquerait pas de se rappeler d'eux comme de ce charmant couple de Poufsouffle qu'ils avaient formé pendant quatre ans. Elle se doutait bien que ce passé finirait par leur revenir en pleine figure, mais elle aurait préféré que ce soit un peu plus tard dans sa carrière à la milice. C'était son premier jour et elle avait à coeur de faire ses preuves et de marquer les esprits autrement qu'en étant "l'ex de Rice".

"Je sais, répondit-elle néanmoins avec un soupir de lassitude. Elle faillit ajouter "tu as raison", mais se retint. De mémoire, c'était des mots qu'elle avait rarement prononcés face à Angus. Mais c'est mon premier jour ici, et je n'ai pas envie que la seule chose dont on se souvienne à la fin de la journée soit qu'on est sortis ensemble à Poudlard."

Ce n'était pas exactement la première impression dont elle avait rêvé. Il affirmait que le mieux à faire était d'assumer, et elle voulait bien le croire, mais elle avait besoin d'un peu de temps pour trouver ses marques et se sentir plus à l'aise au sein de la milice avant de passer aux révélations. Angus avait toujours été si sociable qu'il était certainement incapable de comprendre qu'elle ait besoin d'apprivoiser un peu ses nouveaux collègues avant de se dévoiler, et il affirma d'ailleurs qu'il avait bien l'intention d'assumer leur relation. Cette déclaration arracha un nouveau soupir résigné à Emily.

"Fais comme tu veux." Elle n'avait aucune intention d'argumenter sur le sujet, puisqu'il avait visiblement décidé de ne pas tenir compte de son ressenti et de gérer cette situation uniquement selon ses propres codes.

Elle porta sa tasse à ses lèvres pour diluer sa contrariété dans une gorgée de café, qui lui resta en travers de la gorge quand Angus affirma que tout cela remontait à plus de vingt ans, et qu'ils n'étaient que des gosses à l'époque. C'était vrai, ils avaient tout juste vingt ans quand ils s'étaient séparés. Pourtant elle n'avait jamais considéré leur histoire comme une amourette d'enfants ou un béguin d'adolescence. Angus avait été sa première relation sérieuse, la première personne qu'elle avait réellement aimé, avec qui elle avait envisagé un avenir. Il avait été toute ses premières fois, et aussi sa première rupture. Mais à en croire son indifférence, leur relation n'avait pas eu la même importance pour lui que pour elle et, sans savoir pourquoi, cela la vexait un peu. C'était ridicule, plus de quinze ans s'était écoulé et elle avait connu d'autres histoires depuis, mais elle se sentait blessée malgré tout.

"Ouai, des gamins, répéta-t-elle sans grande conviction avant d'avaler une nouvelle gorgée de café. J'ai l'impression que c'était il y a une éternité..."

Et pourtant elle s'en souvenait comme si c'était hier.



Emily se contenta de hocher la tête quand Angus affirma que Lawrence devrait bien dormir ce soir. Il serait certainement le seul. Elle observa silencieusement son petit-amie qui enroulait la laisse du jeune chien avec application. Ils avaient toujours été suffisamment proches pour partager le silence sans la moindre gêne. Un silence confortable, familier, doux. Ce silence-là était pesant et chargé de sombres menaces.

Elle hocha de nouveau la tête quand son petit-ami affirma finalement qu'il n'en pouvait plus. Ça y est, c'était dit, il n'y avait plus de retour en arrière possible. Une partie d'elle avait envie de le contredire, de lui promettre qu'elle ferait des efforts, que tout allait s'arranger. Mais une autre part d'elle-même savait que ce ne serait que des mensonges et qu'en réalité, elle non plus, elle n'en pouvait plus. Cela faisait des semaines, peut-être des mois, qu'ils s'éloignaient, et ce n'était pas uniquement à cause de son concours. Elle était incapable de s'expliquer pourquoi, ils n'étaient simplement plus en phase tous les deux, et il était peut-être temps d'en tirer les conséquences.

Non, ce n'était pas "eux", cette distance, ces tensions. Ce n'était pas les "eux" d'avant en tout cas, mais elle avait le sentiment qu'ils avaient perdu ces personnes-là depuis longtemps, et elle n'était pas sûres qu'ils les retrouveraient un jour.

"Ok."

Elle avait des tas de questions qui se bousculaient dans sa tête, des doutes, des craintes, mais elle était incapable de les verbaliser. Elle n'arrivait plus à se voiler la face, leur relation était terminée, et il n'y avait plus grand chose à dire pour la sauver. Elle n'était même pas certaine de vouloir essayer. Elle s'était préparée à cette confrontation toute l'après-midi et elle avait imaginé de grands discours mais maintenant qu'elle y était, elle avait juste envie que ça se termine. Cela faisait trop mal d'y penser, d'hésiter, de parler. S'ils devaient se séparer alors qu'ils se quittent, mais rapidement, proprement, sans cris et sans larmes.

"Alors c'est fini ?" lança-t-elle finalement d'une voix un peu enrouée.

"Non !"

Emily sursauta face à l'exclamation soudaine d'Angus et croisa ses bras sous sa poitrine, comme pour se protéger de ce déferlement de sentiments trop forts pour elle. Elle encaissa son désespoir, son impuissance, ses reproches, toujours silencieusement. Elle avait l'impression de se tenir au bord de cette conversation sans vraiment y participer. Mais elle avait peur de se plonger dans la mêlée et de se laisser, elle aussi, emportée par les émotions. Inhumaine. Il trouvait son comportement inhumain. Est-ce qu'on pouvait revenir sur ce genre de jugement ? Est-ce qu'on pouvait encore aimé quelqu'un après avoir ressenti cette impression ?

Il aurait fallu qu'elle crie, qu'elle pleure, qu'elle accuse, elle aussi. C'était certainement ce qui était attendu d'elle dans cette situation, et visiblement ce qu'Angus avait cherché à provoquer, mais elle n'y arrivait pas. Elle avait le sentiment que si elle s'engageait dans cette voie, elle ne reviendrait plus jamais en arrière, et elle n'était toujours pas certaine de la direction qu'elle souhaitait prendre. Elle se sentait forcée de faire un choix, poussée vers le bord du précipice, le regard rivé sur le vide. Et elle ne savait pas ce qu'elle trouverait après avoir basculé. Elle n'avait jamais pensé sérieusement à se séparer d'Angus. Bien sûr, l'idée lui avait parfois effleuré l'esprit, ces derniers temps, quand elle aspirait à être seule et qu'elle le trouvait trop envahissant, mais elle ne l'avait jamais vraiment envisagée. Leur relation s'était dégradée, oui, et elle n'y trouvait plus le réconfort et le plaisir qu'elle avait pu y puiser avant, mais elle restait familière, rassurante. Elle partageait sa vie avec lui depuis quatre ans et, si elle était honnête avec elle-même, elle était tout simplement morte de peur à l'idée de devoir envisager la suite sans lui.

Alors qu'Angus faisait quelques pas dans la pièce, Emily abandonna sa chaise et s'éloigna un peu de la table, comme pour maintenir une distance de sécurité entre eux. Ce qu'elle voulait ? Elle ne voulait pas choisir. Elle n'avait pas envie de l'avoir, cette discussion. Encore moins maintenant, à quelques jours de son concours, sous l'emprise de la fatigue et du stress. C'était lui qui l'avait voulue, qui lui imposait cette dispute, qui voulait parler. Alors qu'il parle, parce qu'elle, elle ne savait plus quoi dire.

"Parle-moi putain…
- Qu'est ce que tu veux que j'te dise ? s'emporta-t-elle à son tour. C'est toi qui voulais parler, moi je...Je..."Je n'ai rien demandé", semblait-elle vouloir dire, mais elle savait que c'était faux. Elle ne l'avait pas provoquée aussi directement qu'Angus mais elle les avait amenés à cette conversation, elle aussi, avec ses silences, et cette distance qu'elle lui imposait. Je ne sais pas quoi dire." avoua-t-elle finalement.

C'était un fait assez rare pour être souligné. Emily avait toujours quelque chose à dire, et pourtant cette fois-ci, elle était incapable de s'exprimer. Elle posa les yeux sur son petit-ami, sur son regard presque suppliant, sur ses mains crispées autour du dossier de la chaise sur laquelle il était appuyé. Elle essaya de démêler les sentiments contradictoires que cette vision provoquait en elle, et sentit une pointe de culpabilité lui étreindre le coeur quand elle réalisa qu'elle n'avait pas envie de se rapprocher de lui. Elle n'avait pas envie d'aller chercher un peu de réconfort entre ses bras, comme elle l'avait si souvent fait, elle n'avait pas envie d'effacer ces tensions avec un long baiser. Elle n'en avait plus envie, et pourtant elle était terrifiée à l'idée de ne plus jamais pouvoir le faire.

"Je n'ai pas envie de me battre, souffla-t-elle finalement, d'une voix à peine audible qui constatait avec le ton des échanges précédents. Je suis fatiguée...Fatiguée de cette journée, de ses révisions, et peut-être fatiguée de lui, d'eux. Moi non plus, j'en peux plus."

Ils en étaient arrivés à ce constat, et maintenant quoi ? Elle posa sur son petit-ami un regard dans lequel brillait la peur d'une décision qu'elle n'avait pas le courage de prendre.

Angus avait toujours été beaucoup plus bavard qu'elle. Il avait plus d'une fois démontré sa capacité à faire les questions et les réponses, et n'avait jamais vraiment eu besoin d'un interlocuteur pour mener de grandes conversations. Mais aujourd'hui il restait aussi silencieux qu'Emily. Lui non plus ne semblait plus avoir envie de se battre.

Ils s'étaient déjà disputé pourtant, plein de fois même. Souvent pour rien, et jamais pour longtemps, mais toujours à coups de longues argumentations visant à déterminer à qui revenait la faute et qui avait raison. Emily jugeait que la réponse à cette dernière interrogation était évidente : elle avait toujours raison, mais son petit-ami avait tendance à ne pas être d'accord et cela pouvait mener à des débats plutôt enflammés. Ils avaient été capables de se prendre la tête pendant des heures sur qui était trop bordélique ou qui était complètement maniaque (encore une fois, la réponse était assez évidente), ou de se disputer de longues minutes pour le titre de celui-qui-faisait-les-meilleurs-oeufs-brouillés, et aujourd'hui ils n'arrivaient même pas à en faire autant pour sauver leur couple.

Aux yeux d'Emily, cette résignation silencieuse valait toutes les disputes du monde. Elle sentit de nouveau sa gorge se nouer alors qu'elle observait Angus se laisser tomber avec lassitude sur une chaise. C'était la première fois depuis longtemps qu'ils se montraient honnêtes l'un envers l'autre, et qu'ils laissaient s'exprimer leur ressenti et leur frustration sans chercher à arrondir les angles. C'était aussi vraisemblablement la dernière.

"Alors c’est comme ça que ça se termine nous deux …"

Emily ouvrit la bouche pour répondre mais la referma aussitôt, consciente qu'elle risquait de se mettre à pleurer à la seconde où elle essaierait de parler. Elle pensait s'être préparée à ce moment tout l'après-midi, et avoir accepté cette issue inévitable, mais la fin de leur relation lui faisait bien plus de mal qu'elle ne l'aurait imaginé. Elle ne regretterait pas les derniers mois, teintés de silence et d'incompréhension, mais elle regrettait ceux qu'ils avaient été avant, heureux, insouciants, amoureux.

Elle suivit du regard Lawrence alors qu'il quittait son panier pour venir poser sa tête sur les genoux du jeune homme, en regrettant de ne pas avoir droit à ce soutient, elle aussi. Quand Angus commença à lui parler de venir récupérer ses affaires à la colocation, elle comprit que c'était terminé pour de bon. Elle avait eu sa chance d'argumenter, d'essayer de le retenir et de se battre pour l'avenir commun qu'ils n'auraient pas, et elle ne l'avait pas fait. La fenêtre s'était refermée et ils ne leur restaient désormais plus qu'à effacer les traces de leur vie commune.

"Ça peut attendre samedi, répondit-elle simplement. Merci."

Elle était incapable de gérer le mélange d'émotions contradictoires que cette situation provoquait en elle et elle avait besoin de se raccrocher à des choses aussi tangibles et sérieuses que cette organisation de la distribution de leurs affaires respectives. C'était ce qu'elle faisait toujours quand elle était dépassée par ses sentiments, elle se concentrait sur ce qu'elle pouvait maitriser, en essayant d'enfouir tout le reste le plus profondément possible.

Le noeud dans sa gorge l'étrangla encore davantage quand Angus posa ses clés de l'appartement sur la table. Il régnait un tel silence dans la pièce que ce simple bout de métal avait résonné avec autant de bruit que s'il avait pesé une tonne. Symboliquement c'était le cas. Ça y est, c'était fini. Ils arrivaient au bout de leur relation, et au terme de cette séparation qui n'avait même pas l'air d'en être une. C'était la première fois qu'Emily vivait une rupture et elle se retrouvait un peu déstabilisée par ce calme apparent qui régnait entre eux. Là où elle avait imaginé des cris, des pleurs et des sentiments déchainés, elle ne trouvait que du silence et une profonde résignation.

Les battements de son coeur s'accélérèrent, comme soudainement pris de panique, alors qu'Angus se levait, visiblement prêt à partir. Elle savait pertinemment que c'était la suite logique de cette conversation, et une partie d'elle avait presque hâte de se retrouver seule pour laisser retomber la pression des derniers instants, mais elle sentait une peur complètement déraisonnable et presque instinctive s'emparer d'elle. La peur de le voir partir et de ne plus jamais le voir revenir, et celle de se retrouver complètement seule. Ce sentiment d'urgence s'accentua quand elle suivit le regard d'Angus en direction de Lawrence, toujours assis près de la chaise que le jeune homme venait de quitter.

"Est...Est-ce que je peux le garder ? s'entendit-elle demander d'une voix presque suppliante. J'en prendrai soin."

En théorie elle n'avait pas besoin de demander la permission, Angus lui avait offert Lawrence à noël et le jeune chien lui appartenait, mais elle savait à quel point ils étaient proches tous les deux, et elle s'en voulait presque de les séparer. Elle était à peu près certaine que si Lawrence avait pu choisir, il serait parti avec Angus. Pourtant elle n'arrivait pas à se résoudre à se séparer du chiot, auquel elle s'était attachée bien plus rapidement qu'elle ne l'aurait imaginé. Elle avait besoin de sa compagnie plus que jamais et savait que le chiot lui apporterait un peu de réconfort dans cette épreuve. Elle n'avait pas envie de le perdre lui aussi.

Un long silence suivit la réponse d'Angus, au cours duquel Emily sentit sur ses épaules le poids des reproches qu'il n'avait pas osé formuler. Il lui en voulait de ne pas le laisser emmener Lawrence, et elle lui en voulait de la mettre dans cette position. Il ne pouvait pas lui offrir un compagnon et vouloir l'en séparer cinq mois plus tard. Elle avait mis un peu de temps à apprivoiser le jeune chiot, c'était vrai. Elle n'était pas comme son petit-ami, qui avait un contact très facile avec les animaux. Il lui avait fallu quelques semaines avant de ressentir une véritable affection pour son chien, qui était son premier animal de compagnie, mais elle l'avait complètement adopté désormais. Elle avait abandonné l'idée de lui interdire le canapé et le laissait se rouler en boule contre ses jambes quand elle lisait, et elle avait appris à apprécier leur balade matinale, qu'elle faisait même passer avant son café.

Elle crut voir le jeune homme esquisser un geste dans sa direction et se raidit imperceptiblement. Elle préferait maintenir la distance entre eux, comme une protection contre les sentiments qui ne manqueraient pas de la submerger s'ils s'approchaient à nouveau. Elle avait besoin de cette distance physique comme pour symboliser leur éloignement, qui avait grandi de semaine en semaine jusqu'au point de rupture. Elle ne voulait pas se laisser l'occasion d'hésiter ou de regretter alors qu'elle savait qu'ils prenaient la bonne décision.

Emily répondit au signe de tête d'Angus de la même manière et sentit son coeur s'emballer à nouveau alors qu'il se détournait d'elle pour se diriger vers la porte de l'appartement. Elle avait beau savoir que c'était la meilleure chose à faire, elle avait beau ne pas avoir envie de le voir rester, elle éprouvait une vive angoisse en le regardant partir. La porte claqua derrière celui qu'elle devait désormais appeler son ex-petit-ami et elle se retrouva seule, avec une boule coincée dans la gorge. C'était tous les mots qu'elle n'avait pas réussi à trouver pour lui dire son mal-être, pour lui reprocher ce qui n'allait plus, pour lui demander de changer, pour lui proposer de faire des efforts elle aussi, pour lui dire à quel point elle l'avait aimé mais à quel points ils se faisaient du mal en s'accrochant l'un à l'autre. Elle était certaine qu'ils avaient fait le bon choix et pourtant elle n'arrivait pas à se défaire de ce sentiment d'échec qui lui restait en travers de la gorge.

Il lui fallu un instant pour réaliser qu'elle n'avait pas desserré la mâchoire depuis de longues minutes et un sanglot s'échappa de ses lèvres à la seconde où elle ouvrit la bouche, imprévu et incontrôlé. Elle renifla et résista aux larmes qui lui montaient aux yeux. Cela ne servait plus à rien de pleurer, c'était terminé. Elle ferma les yeux et pressa la paume de ses mains contre ses paupières en se forçant à respirer profondément. Quand elle les rouvrit elle se retrouva face à son appartement qui lui paraît soudainement vide et trop silencieux.

Elle qui avait toujours adoré la solitude et qui y avait souvent aspiré ces dernières semaines aurait finalement préféré avoir un peu de compagnie à cet instant, mais se refusait à appeler qui que ce soit. Elle n'était pas prête à annoncer sa séparation, à devoir gérer les questions, la compassion, et les "un de perdu dix de retrouver" qui n'avaient absolument rien de réconfortant. Fidèle à ses habitudes, elle laissa son esprit se concentrer sur des choses factuelles, comme l'annonce de la rupture à ses parents -qui aimaient beaucoup Angus- et à leurs amis communs. Elle pensa à son concours, qu'elle s'interdisait de rater à cause d'une peine de coeur, elle se rappela ces billets de concert qu'ils avaient acheté pour cet été, cette soirée d'anniversaire à laquelle ils étaient tous les deux invités le mois prochain. Elle se concentra sur tous les aspects de cette séparation qu'elle pouvait gérer, sur lesquels elle avait une emprise, comme pour ignorer cette profonde tristesse qui lui nouait la gorge et contre laquelle elle ne pouvait rien.

La jeune femme avisa finalement Lawrence, qui s'était couché derrière la porte de l'appartement comme un malheureux et attendait visiblement le retour de son maitre, et son coeur se serra. Elle fut soudainement prise d'une profonde empathie et d'une forme de colère contre le pauvre chiot, qui lui préférait encore Angus.

"Laisse tomber, il ne reviendra pas."

Elle fit quelques pas pour s'accroupir à côté de Lawrence et lui gratouilla distraitement la tête entre les deux oreilles. Ce dernier laissa échapper un petit jappement de satisfaction et se roula sur le dos pour qu'elle puisse lui gratter le ventre. Elle s'exécuta avec un sourire désabusé, un peu envieuse de cette capacité du jeune chien à passer si vite des larmes au rire et se demanda combien de temps il lui faudrait, à elle, pour réussir le même exploit.



Emily s'était momentanément plongée dans ses souvenirs et se demanda si Angus pensait à la même chose qu'elle. Probablement que oui. C'était étrange, de se retrouver en face de quelqu'un avec qui elle partageait des souvenirs si intimes mais dont elle ignorait presque tout aujourd'hui. Elle avait à la fois le sentiment de le connaitre comme un vieil ami et de rencontrer un étranger.

Elle ne savait absolument rien de sa vie d'aujourd'hui ni de ce qu'il avait fait de ces dix-sept dernières années, et devait avouer qu'elle était plutôt curieuse d'en apprendre davantage. Elle n'osa toutefois pas poser la moindre question, peu désireuse de devoir y répondre à son tour. Fidèle à ce dont elle se souvenait de lui, Angus fut le premier à s'aventurer sur le terrain des questions un peu plus personnelles, en l'interrogeant au sujet de Lawrence. Un sourire doux éclaira le visage de la nouvelle milicienne alors qu'elle songeait à son fidèle compagnon.

"Il va bien, répondit-elle en guettant avec un certain plaisir la réaction d'Angus quand il apprendrait que le jeune chiot qu'il lui avait offert dix-sept ans plus tôt était toujours là. Enfin, il se fait très vieux, nuança-t-elle. Il a de plus en plus de mal à marcher, et le pauvre est complètement aveugle, mais il est toujours là."

Lawrence était indiscutablement une des plus belles choses qu'Angus lui ait offertes. Il l'avait soutenu dans tous les moments difficiles de sa vie d'adulte et lui était toujours resté fidèle. C'était, finalement, sa plus longue histoire d'amour. Elle savait que le vieux chien n'en avait plus pour longtemps et se préparait à le voir partir dans les prochains mois, mais sentait son coeur se serrer à chaque fois qu'elle y pensait.

"Il a été extraordinaire, ajouta-t-elle sans se départir de son sourire. Il me manquera beaucoup."

Elle faillit ajouter qu'il manquerait au moins autant à son fils, qui connaissait Lawrence depuis sa naissance et le considérait comme son meilleur-ami, mais elle se retint. L'heure n'était pas encore aux confidences.

"Et toi, combien de chiens as-tu adopté depuis ? demanda-t-elle en espérant maintenir la conversation sur le terrain des animaux de compagnie. Je parie sur trois, minimum."

Emily fut plutôt satisfaite de l'expression de surprise et de joie qui se dessina sur le visage de son collègue quand il apprit que le jeune Lawrence -qui n'avait plus rien de jeune- était toujours vivant. Elle savait qu'Angus avait été très attaché à l'animal qu'il lui avait offert, et il était certainement heureux d'apprendre qu'il avait eu une longue et belle vie. Et puis, elle le soupçonnait d'avoir nourri quelques craintes en lui laissant la garde du jeune chiot, et était ravie de pouvoir lui prouver qu'elle s'en était bien occupé. Elle avait été une maitresse attentive pour Lawrence, même si elle avait conscience de ne pas toujours lui avoir consacré suffisamment de temps, mais elle devait reconnaitre qu'il avait été un chien particulièrement facile.

"Je te l'accorde", consentit-il quand Angus affirma qu'il avait un don pour choisir les animaux de compagnie.

Elle l'imaginait d'ailleurs parfaitement à la tête d'une véritable ménagerie, et paria d'ailleurs sur le chiffre de trois chiens, ce qui n'était pas très loin de la réalité. Elle acquiesça silencieusement quand le milicien lui expliqua n'avoir adopté que deux chiens, comme pour admettre son erreur. Elle allait reconnaitre qu'il n'était pas aussi prévisible que ça quand il avoua posséder également plusieurs créatures magiques. Voilà qui expliquait tout ! Elle posa sur son ex-compagnon un regard entendu qui semblait vouloir dire "je le savais".

"Quels genres de créatures ?" s'enquit-elle avant de porter sa tasse de café à ses lèvres pour avaler une dernière gorgée de sa boisson.

Elle haussa les sourcils, surprise, quand il mentionna un Boursouf et hésita à se moquer gentiment de cet animal de compagnie qu'on attribuait plus facilement aux jeunes femmes ou aux enfants mais s'abstint de tout commentaire. Ils ne se connaissaient plus assez bien pour se permettre ce genre de boutade. Elle songea toutefois que Taylor aurait été ravi d'entendre ça, lui qui faisait une vraie fixette sur les Boursoufs depuis quelques mois. Chaque fois qu'elle le retrouvait, il la suppliait de bien vouloir adopter un boursouf "ou même un boursoufflet, ça prend pas de place !". Une question à laquelle elle répondait lâchement par un "demande ça à ton père", qui avait autant pour effet de se débarrasser du sujet Boursouf que de se venger de Richard, elle devait bien l'avouer. Son ex-compagnon s'obstinait à lui refuser la garde alternée de leur fils sous prétexte que ce n'était pas bon pour son développement, mais elle était persuadée qu'il agissait ainsi dans le seul but de la blesser. S'il tenait tant à la garde de Taylor, il pouvait au moins assurer au niveau des animaux de compagnie !

Emily chassa ces pensées désagréables de son esprit et reporta son attention sur Angus, qui venait de la surprendre avec une question autrement plus personnelle que leurs animaux respectifs.

"Oh bah...ça va, répondit-elle, consciente qu'Angus attendait certainement une réponse plus développée. Elle n'eut même pas le temps d'enchainer avec quelques banalités du genre "la vie suit son cours" que son nouveau collègue enchainait avec une nouvelle question.
- Tu as des enfants ?"

Ah.

"Tu ne la laves pas ?" répondit-elle en désignant la tasse salle qu'il venait de poser dans l'évier. Attaquer Angus sur les tâches ménagères pour éviter une conversation délicate était une technique d'évitement qui avait déjà fait ses preuves par le passé.

Elle n'avait aucune envie de lui mentir. S'ils n'avaient été que tous les deux et dans un autre contexte elle lui aurait certainement parlé de Taylor avec plaisir, et avec fierté. Mais le cadre professionnel de leur conversation la poussait à la réserve. Elle savait ce que l'on pouvait penser des mères de famille dans ce milieu, et elle n'avait aucune envie d'être labellisée de la sorte. La société -magique comme moldue- faisait de gros progrès, c'était indéniable, et il suffisait de compter le nombre de femmes dans les rangs de la Milice pour s'en rendre compte. Mais combien, parmi celles ayant des postes à responsabilités, avaient des enfants ?

Emily avait eu la joie de découvrir une nouvelle forme de sexisme en rentrant de son congé maternité, sept ans plus tôt. D'un coup on l'avait moins envoyée sur le terrain, on ne l'avait plus mobilisée pour les interventions dangereuses, on l'avait laissé en seconde ligne avec l'air de lui dire "pense à ton gosse". On acceptait de plus en plus les femmes dans les forces de l'ordre, mais on continuait de discriminer les mères, qui étaient systématiquement considérées comme des éléments plus fragiles, et moins fiables.

C'était une de ses supérieures qui lui avait suggéré de rester discrète sur sa vie familiale, en lui résumant cette injustice avec un simple exemple : un cadre avec une photo d'enfants posé sur le bureau d'un homme et on pensait "C'est un chouette type, il est fier de ses enfants, ça doit être un bon père". La même photo sur le bureau d'une femme et on pensait "Départ à 17h pour aller chercher les enfants à l'école". Emily avait eu largement le temps d'être confrontée à cette réalité et avait décidé de ne pas parler de Taylor sur son lieu de travail, pas avant d'avoir eu l'occasion de faire ses preuves. Parfois elle s'en voulait d'agir ainsi, parce qu'elle avait l'impression d'intégrer ce raisonnement machiste et réducteur qui n'était pas le sien, mais elle s'en tenait à sa décision.

Elle n'eut heureusement pas à chercher une manière habile de détourner la conversation, puisqu'une distraction toute trouvée se présenta sous la forme d'un grand chat aux oreilles pointues, qui venait de passer la porte de la salle de pause pour se coller aux jambes d'Angus. Emily dévisagea l'animal en haussant les sourcils, surprise, avant de se souvenir que son collègue avait expliqué être un ancien de la brigade fléro-technique.

"Et donc j'imagine que ce chat est ton partenaire de travail ?" s'enquit-elle avec un intérêt peut-être légèrement exagéré.

C'était bien plus intéressant de discuter de cet étrange animal que de se renseigner sur leurs vies respectives, n'est-ce pas ?

Emily n'était pas particulièrement fière de sa stratégie d'évitement. On avait fait plus subtile, mais au moins le message semblait être passé et elle fut reconnaissante à Angus de ne pas insister. Elle préférait de loin raviver leurs vieilles querelles à propose de vaisselle sale que de devoir expliquer sa situation familiale assez éloignée de celle dont on pouvait rêver à leur âge. Ce n'était pas tant qu'elle voulait cacher la vérité à Angus -dans un autre contexte elle lui aurait certainement parlé de Taylor- mais elle n'avait pas envie que toute la milice soit au courant de sa vie privée, et elle avait le sentiment que les ragots circulaient plus vite que les notes de services.

Elle leva les yeux au ciel quand son ex-compagnon l'accusa à demi-mots d'être un espèce de tyran de la propreté. Elle n'était pas maniaque. Elle estimait simplement qu'il n'y avait aucune raison de laisser trainer des tasses sales quand lancer un Recurvite prenait littéralement trente secondes. Heureusement pour les deux miliciens, leur petite joute verbale fut interrompu par l'arrivée d'un grand chat aux oreilles pointues qui devait appartenir à Angus puisqu'il vint se frotter contre ses jambes. Elle fut un peu surprise par la réaction de l'animal, qui feula dans sa direction en posant sur elle un regard mauvais.

Son maitre lui expliqua rapidement que c'était une réponse au qualificatif de "chat", qui était visiblement une insulte dans le monde des fléreurs. Emily leva les mains devant elle comme un suspect pris en flagrant délit.

"Pardon, je ne pensais pas à mal, assura-t-elle. Tu sais que je n'y connais rien."

Chat, fléreur, c'était de la même famille non ? Elle n'avait pas suivi soins aux créatures magiques quand elle était à Poudlard et elle n'était pas vraiment une spécialiste en la matière. Elle avait toujours préféré les chiens aux chats -ce qu'Angus savait très bien puisqu'il avait fait le choix de lui offrir Lawrence plutôt qu'un petit chaton. Elle trouvait les premiers bien plus attachants, les félins lui avaient toujours paru un peu machiavéliques, on ne savait jamais vraiment ce qu'ils avaient derrière la tête.

Emily s'apprêtait à suggérer de se mettre au travail quand son nouveau collègue la devança et lui demanda si le lieutenant Dane l'avait déjà briefé sur une affaire. La dernière recrue de la milice était bien plus à l'aise avec ce nouveau sujet de conversation et suivit Angus dans l'open-space en se remémorant les quelques pages de dossier qu'elle avait eu le temps de lire avant leurs retrouvailles.

"Ouai, une enquête vient d'être ouverte sur un employé des Jeux et Sports magiques, son ex-femme l'accuse d'avoir des liens avec des sympathisants du Lexit. Un certain William Turner, tu le connais ?"

Elle n'avait pas encore eu le temps de parcourir tout le dossier et il était un peu tôt pour savoir s'il s'agissait d'une véritable piste ou d'une simple vengeance de la part de Mrs.Turner visant à discréditer son ex-mari et à lui causer quelques soucis. Quoiqu'il en soit, elle était déterminée à ne négliger aucune piste et à faire ses preuves sur ce premier dossier.

"Et toi, t'es sur quoi en ce moment ?"

Les deux collègue rejoignirent rapidement leurs postes de travail et, après quelques échanges supplémentaires, se plongèrent chacun dans leur travail. Si elle avait été un peu déstabilisée en se retrouvant en face d'Angus, Emily commençait à croire que cette collaboration pouvait peut-êtrebien se passer. Ils avaient tous les deux vieilli et muri, il n'y avait aucune raison pour qu'ils retombent dans leurs anciennes chamailleries. Elle était persuadée de leur capacité à rester parfaitement professionnels. Conviction qui commença à vaciller une heure plus tard, quand son voisin de bureau manqua de renverser sa tasse de café à moitié pleine sur ses dossiers en cherchant ses airpear parmi le bazar qui encombrait son propre bureau. Il avait certaines choses qui ne changeaient pas.