Bad guy [Alessandro & Ahren]

24 février 2011

Sasha fredonnait sur le chemin de Pré-au-Lard, ses mains enfoncées dans les poches de son manteau gris pour les protéger du froid. Elle s'était réveillée particulièrement tôt ce matin, et d'excellente humeur. C'était la première sortie à Pré-au-Lard depuis la Saint-Valentin et de nombreux élèves en profitaient pour passer une après-midi romantique. Ce n'était toutefois pas la raison de l'excitation de la préfète, qui se réjouissait pour une toute autre raison. Elle avait bien rendez-vous avec un homme pourtant, mais pas vraiment dans le but de déguster des cupcakes en se regardant dans les yeux. Les siens se posèrent justement sur le dos d'Ahren Keller, quelques mètres devant elle, et un sourire mauvais s'étira sur ses lèvres fines. Tout se passait comme prévu.

Elle accéléra un peu et dépassa Ahren ainsi que les différents groupes d'élèves qui s'étaient formés dans l'artère principale du village. Elle se retourna alors pour chercher du regard celui qui serait son messager. Ses yeux se posèrent finalement sur une jeune Serdaigle rousse de première année qu'elle avait aidé à trouver un livre l'autre jour à la bibliothèque. Elle s'approcha d'elle avec un large sourire.

"Bonjour...Taylor, c'est ça ? lança-t-elle en arrivant à sa hauteur.
- Oui ? lui répondit timidement la fillette, visiblement un peu surprise d'être interpelée par la Serpentard.
- Je peux te demander un service ? Taylor hocha la tête après avoir jeté un bref regard à l'insigne de préfète accrochée sur le manteau de Sasha.Tu vois le garçon là-bas ? Ahren Keller ? Elle pointa son camarade du doigts, à une dizaine de mètres de là, et la rouquine hocha de nouveau la tête. C'est un ami à moi, et je voudrais lui faire une surprise, expliqua-t-elle sur le ton de confidence. Est-ce que tu pourrais aller le voir dans disons...cinq minutes, et lui dire que quelqu'un veut lui parler, derrière La Tête de Sanglier ?
- Euh...oui, d'accord ! Cinq minutes, derrière La Tête de Sanglier, répéta la fillette comme si elle avait peur d'oublier le contenu du message.
- Merci, tu es adorable ! Et ne dis pas que c'est moi, d'accord ? C'est une surprise ! Bon après-midi !"

Sasha salua la première année d'un sourire chaleureux et reprit sa marche, elle quitta toutefois l'artère principale pour bifurquer en direction de la tête de sanglier. La rue était beaucoup plus calme et seuls quelques élèves plus âgés s'étaient aventurés jusqu'ici dans le but de goûter quelques unes des bières brunes particulièrement fortes que l'on servait ici. L'adolescente s'engagea dans la petite ruelle en pente qui longeait le mur de l'établissement et qui descendait jusqu'à une petite cour pavé, à l'arrière des caves de la taverne. Aucune des fenêtres opaques de l'établissement ne donnait de ce côté là, et seuls quelques tonneaux empilés dans un coin indiquait la proximité du pub. Avec un sortilège d'insonorisation ce serait parfait.

La petite cour était complètement déserte à l'exception d'une jeune femme blonde, habillée en noir, qui avait suivi Sasha du regard alors qu'elle approchait. L'adolescente adressa un sourire amusé à cette inconnue qui, elle l'avait deviné, n'en était pas vraiment une. Il l'avait prévenu qu'il utiliserait du polynectar mais elle se serait davantage attendu à tomber sur un grand bonhomme barbu. Soit, une belle blonde c'était bien aussi. Elle était pour l'égalité des sexes.

"Tu es pas mal, en blonde, lança-t-elle en guise de salutation. Je ne savais pas que tu aimais te travestir."

Il y avait certainement beaucoup de choses qu'elle ignorait au sujet d'Alessandro, mais elles espérait qu'il profiterait de cet après-midi pour lui révéler un peu de sa personnalité. Elle comptait bien en découvrir la part la plus sombre.  

Le ciel était gris sur Manchester, ce matin-là. Avec son costume trois-pièces moldu et son attaché-case, Alessandro aurait pu passer pour un businessman en route pour le quartier des affaires, car la Bourse ne s'arrêtait jamais, même le week-end. Pourtant, l'affaire qui l'attendait n'avait strictement rien de monétaire, ce qui était suffisamment rare pour être noté. Alessandro traça sa route dans les beaux quartiers sans s'arrêter et rejoignit une rue plus excentrée et moins fréquentée, car les quartiers industriels étaient relativement peu peuplés le samedi. Il passa près de deux entrepôts puis s'arrêta devant un petit bar-tabac miteux, dont il poussa la porte grinçante. A l'intérieur, aucun client.

"Tiens, salut Vigliola !", s'exclama le buraliste, un homme d'une soixantaine d'années à fort embonpoint. Alessandro lui adressa un signe de tête, avant de s'avancer vers le comptoir pour lui serrer la main.

"Salut Gustave, le Boss est là ?", s'enquit-il en jetant un coup d’œil vers l'arrière-boutique.

"Nah, il est au Nid". Le Nid du Doxy, siège de l'organisation criminelle, se trouvait au plein coeur de Londres, non loin de l'Allée des Embrumes. Johnny Kiss, leur Parrain, y avait ses quartiers. "Mais Campbell est arrivé il y a une demi-heure."

Le visage fermé d'Alessandro s'éclaira aussitôt à la mention de son meilleur ami.

"Parfait merci !", s'exclama-t-il en contournant le comptoir pour pénétrer dans l'arrière-boutique. Il se faufila dans l'espace sombre et encombré de cartons et de stocks divers, jusqu'à atteindre une petite porte dissimulée derrière des dizaines de paquets de cigarette. A l'aide de sa baguette magique, il chatouilla la poignée et marmonna une formule, puis constata avec plaisir que le verrou avait sauté. Cela faisait plusieurs semaines qu'il ne s'était pas rendu dans cette planque, mais de toute évidence, le code n'avait pas changé.

Alessandro déboucha sur un grand entrepôt à moitié vide, au centre duquel trois hommes jouaient au poker sous une lumière artificielle blafarde. Il se dirigea vers la petite table et s'immobilisa derrière un homme au profil familier, avant de lâcher avec amusement :

"C'est pas une heure pour jouer au poker les gars. Je vous signale qu'il fait jour depuis plusieurs heures."

Aussitôt, le visage familier de Keith Campbell, bras droit de Johnny Kiss, apparut dans son champ de vision. Une expression de ravissement imprimé sur ses traits, alors qu'il bondissait pour donner une accolade un peu trop vigoureuse à Alessandro, qui chancela sous son poids.

"Mon petit dragon des îles ! Qu'est-ce qui t'amène ? Installe-toi, prend des pions et je te sers un petit Ragnarov."

Alessandro étouffa un sourire en avisant les cadavres de bouteille qui jonchaient la table, au centre de laquelle une montagne de galions était entassée. Visiblement, Keith était bien occupé à plumer ses adversaires. Son meilleur ami dégageait l'haleine caractéristique que donnait cet affreux alcool ultra-fort des gobelins, qui coulait à flot parmi les membres du gang. A se demander comment personne n'avait encore fait le lien entre Marchebank et les Doxy Ness...

"Keith. Ce serait avec plaisir mais je suis assez pressé, je sur une affaire. Il reste des stocks de Polynectar, ici ?"

Aussitôt, le regard de Keith se fit inquisiteur, mais il l'incita d'un geste de main à le suivre dans un coin de l'entrepôt.

"Ouais, bien sûr, suit moi. Quel genre d'affaire ?"

"Le genre déplaisant."

Officiellement, Alessandro avait été mis à disposition par le gang auprès du ministre de la magie, dans le cadre d'un échange de bons procédés. Il faisait donc toujours partie des Doxy Ness et avaient accès à leurs affaires, ce qui permettait d'avoir un accès premium au régime : il négociait, officiellement, certains passes-droits auprès de Leopold lors de certaines opérations du gang. En réalité, son rôle consistait surtout à passer les ordres de Leopold à Johnny et à faire remonter les informations du terrain, et son petit doigt lui disait que le lieutenant Keith, étoile montante du gang, voyait clair dans son petit jeu.

Heureusement, Keith sembla comprendre qu'il était pressé et ne tarda pas à fouiller dans des cartons emplis de fioles au contenu douteux. Alessandro écouta avec satisfaction le bruit du verre qui s'entrechoquait.

"Une préférence de look ?", s'enquit son meilleur ami, sans se départir de ce regard curieux.

"Femme. Jeune. Blonde, de préférence."

"Ouais, OK, je vois de quel genre d'affaire il s'agit, gros pervers", commenta Keith avec un air entendu, avant de lui donner un coude-coude. Alessandro secoua la tête avec amusement mais ne démentit pas. Ce n'était pas comme si cela ne lui était jamais arrivé de profiter d'un corps d'emprunt à des fins sexuelles, après tout...

Keith lui tendit finalement une fiole de potion, dont Alessandro but immédiatement le contenu. Comme toujours, le goût était horrible et il dut lutter contre les vagues de nausée qui le secouaient. Après quelques secondes douloureuses, ses traits changèrent et sa silhouette se modifia sensiblement, sous le regard amusé de Keith. Une fois la transformation opérée, Alessandro tira des vêtements de sa mallette et entreprit de se changer, sans la moindre pudeur - après tout, ce n'était pas son corps. Non sans difficultés, il enfila une robe, des collants et des escarpins noirs, puis passa ses doigts fins dans sa chevelure dorée pour la discipliner.

"On te voir ce soir pour une petite pinte ? Ça fait longtemps."

"OK, tu n'auras qu'à passer à l'appart avec ta copine".

Sur ces bonnes paroles, Alessandro salua ses acolytes puis s'empressa de sortir de la cache. Un regard à sa montre lui apprit qu'il n'était pas en retard, mais qu'il ne fallait pas traîner, aussi il se dépêcha de regagner la rue pour transplaner.

L'atmosphère était toute autre à Pré-au-Lard, avec ses airs de carte postale et les collégiens qui se promenaient par grappe. Le contraste était saisissant, et il se dit qu'il avait peut-être surréagi en usant de polynectar pour un simple rendez-vous lycéen. Que pouvait bien lui demander Sasha de si sérieux ? Tout au plus un peu d'aide pour faire entrer de la contrebande au château, un peu d'alcool, des farces et attrapes ou, au pire, de la drogue. Bah ! Mieux valait être trop prudent lorsqu'on était un point d'entrée direct avec le ministre de la magie. Le menton redressé et les épaules hautes, il marcha à grands pas vers la Tête de Sanglier, ses talons claquant sur le pavé inégal.

Finalement, il repéra les lieux et lança quelques sortilèges de détection. Alessandro était venu expressément en avance pour vérifier qu'il n'y avait rien de louche derrière ce rendez-vous. Rassuré, il finit par s'installer dans l'arrière-cour que lui avait indiqué Sasha, et s'adossa à un mur en pierre pour l'attendre.

Dix minutes s'étaient écoulées lorsque la silhouette gracile de la Serpentard entra dans son champ de vision. Aussitôt, des souvenirs affluèrent dans son esprit - de cette nuit dans son appartement, de cet échange tendu dans un placard d'archives - et il avisa l'expression espiègle qu'elle arborait avec une certaine méfiance. Se décollant de son mur, il la rejoignit en quelques pas louvoyants, et fit jouer sa baguette magique entre ses doigts.

"Que veux-tu, je suis un homme de goût. Autant allier l'utile à l'agréable", répondit-il avec l'ombre d'un sourire, tout en guettant les expressions de la jeune femme. "Alors, ce fameux service, c'est quoi ?"

Non pas qu'il n'ait pas l'intention de s'éterniser, mais... un peu quand même. Sasha ouvrit la bouche pour lui répondre, mais il lui sembla entendre des bruits de pas vers l'entrée de la petite cour. Alessandro tourna vivement sa tête blonde, aussitôt en alerte, puis reporta un regard interrogateur sur Sasha.

Les sorties à Pré-au-Lard n’avaient jamais eu aucun attrait aux yeux d’Ahren, il n’avait jamais ressenti l’excitation de ses camarades pour le village sorcier. Sans doute parce qu’il s’y rendait seul à chaque fois et que tout l’intérêt de se rendre au Trois Balais était d’y être entouré de ses amis. Autrefois, il avait eu la chance d’y croiser Nora qui se déplaçait exprès pour venir les voir, Kathrina et lui. Mais aujourd’hui, il ne savait même pas où se trouvait sa cousine et de façon plus générale sa famille d’adoption. Leur absence lui pesait bien plus qu’il ne voulait bien l’admettre mais à qui aurait-il bien pu en parler ? Il ne voulait pas inquiéter encore plus sa jumelle avec ses états d’âmes et il n’avait pas encore assez confiance en Blair et Noah pour se confier à eux. Leur alliance était encore toute récente, mais il avait de bons espoirs en elle, il croyait dur comme fer qu’ils réussiraient à faire quelque chose de bien à Poudlard. Toutefois, il n’en était pas à les appeler ses amis ou à les considérer comme tel, il savait pertinemment que Blair se désolidariserait de leur groupe si la situation venait à dégénérer. Et il comprenait pourquoi, il ne voulait pas leur faire courir de risques. Mais en même temps, ils n’arriveraient à rien si personne n’en prenait et il arriverait un temps où chacun devrait prendre ses responsabilités et faire des choix. En ce qui le concernait, il avait déjà pris sa décision et il lui semblait qu’il était trop tard pour faire machine arrière.

Ce fut perdu dans ses pensées qu’il accéda à l’allée principale, il poussa un soupir en tentant de se dégager de la foule en liesse. Partout des couples venues fêter la Saint-Valentin à retardement roucoulaient et exaspéraient toujours un peu plus le Serdaigle. Il n’y aurait eu que lui, il ne serait pas sorti du tout, quel intérêt aurait-il eu à descendre au village surpeuplé ? Malheureusement, il avait constaté la disparition de sa dernière plume encore utilisable et avait dû se résoudre à se rendre à Pré-au-Lard pour acheter un nouveau lot de plumes neuves. Il avait donc l’intention de se rendre chez Scribenpenne et de rentrer tout aussi sec. Du moins, c’était son intention première avant qu’une Serdaigle de première année ne s’arrête au milieu du chemin, pile devant lui. Il s’apprêtait à la contourner quand elle s’adressa à lui d’une voix hésitante.

"Ah… Ahren Keller ?"

Le préfet s’arrêta pour la toiser d’un regard inquisiteur.

"C’est moi", lâcha-t-il dans un soupir. "Qu’est-ce que tu veux ?"

Il attendit avec patience qu’elle lui dise ce qu’elle attendait de lui mais il ne cacha pas son agacement quand elle se remit à bégayer de timidité.

"On… On m’a demandé de te dire que quelqu’un voulait te parler. Derrière la Tête de Sanglier."

Il haussa un sourcil surpris. Qui ? Il n’attendait personne et ne parlait à personne. Il pinça les lèvres et son regard s’assombrit légèrement, si c’était une mauvaise blague…

"Qui t’as dit ça ?"

La petite secoua la tête et augmenta l’agacement d’Ahren au passage qui perdit légèrement patience.

"Répond"

Sa voix claqua sèchement dans la rue, faisant sursauter la gamine de peur.

"Je… Je ne sais pas. C’est… c’est pour une surprise."

Les lèvres de la rouquine se mirent à trembler et elle tourna les talons pour s’enfuir en courant rejoindre ses amies avant qu’il ne puisse l’interroger plus longtemps sur cette soi-disant surprise. Il poussa un profond soupir et se pinça l’arrête du nez. Tout ceci était d’un compliqué et pour autant… Il se surprit à espérer et si… Et si Nora ou la famille Weaver essayait de rentrer en contact avec lui ? Quel autre moyen auraient-ils que d’attendre une sortie à Pré-au-Lard ? Peut-être que c’était effectivement une surprise, qu’elle avait pris le risque de sortir pour le rassurer. Il s’attendait donc à la voir peut-être sous Polynectar pour que personne ne la reconnaisse. Ses pas, portés par l’espoir, le conduisirent machinalement vers l’arrière de la Tête de Sanglier. Quelle ne fut donc pas sa surprise en découvrant Sasha Benson et une femme qu’il ne connaissait pas au point de rendez-vous fixé. Une moue de dégoût à peine dissimulé traversa son visage alors qu’il exprimait son étonnement.

"Benson ? Qu’est-ce que tu fais là ?", il détailla la blonde à ses côtés avant de reporter son attention sur sa camarade. "C’est toi qui m’as fait venir ici ? Qu’est-ce que tu me veux ?"

Il secoua la tête en poussant un soupir désabusé.

"C’est ridicule. Je n’ai rien à te dire et je n’ai pas de temps à perdre à t’écouter."

Il la toisa durement avant de lui tourner le dos, bien décidé à partir. Il n’avait aucunement l’intention de rester une minute de plus en sa présence. Il ne savait pas ce que cette sale petite peste manigançait et il n’avait pas l’intention de le savoir non plus. Il avait d’autres préoccupations plus urgentes que de jouer le jeu de la Serpentard. Du moins… C’était ce qu’il pensait…

Une excitation teintée d'appréhension s'était emparée de Sasha, qui accueillit la question d'Alessandro avec un sourire qui se changea en un bref éclat de rire face au décalage entre la voix grave du garde du corps et sa nouvelle apparence féminine. Elle avait la certitude que sa réponse n'allait pas lui plaire, mais elle aimait l'idée de le surprendre. Il avait tenté de lui faire peur, quand ils s'étaient revus au Ministère. Il avait voulu l'intimider en la coinçant dans une pièce sombre et en lui faisant les gros yeux. Aujourd'hui elle tenait à lui montrer qu'elle n'était ni impressionnée ni impressionnable. Elle n'avait pas peur de lui. En revanche, lui aurait peut-être dû se méfier d'avantage d'elle.

"Il y a un camarde que j'aimerais beaucoup te présenter, expliqua-t-elle en savourant ce petit moment de suspens. Elle n'eut toutefois pas le temps de compléter sa réponse qu'Ahren sortait déjà de la petite ruelle menant à la cour pavée. Justement le voilà !"

Le Serdaigle avait été plus rapide qu'elle ne l'avait imaginé, signe qu'il n'avait pas hésité longtemps, et la Serpentard n'avait pas pu préparer son associé du jour comme elle l'aurait souhaité. Elle allait devoir abandonner son plan initial et gâcher le petit effet de surprise qu'elle réservait à son camarade. Elle aurait pourtant adoré voir Alessandro attaquer le Serdaigle dès son arrivée, sans qu'il ne comprenne ce qui se passait, mais elle se consola en songeant au fait qu'elle allait pouvoir annoncer à Ahren ce qui l'attendait. Elle avait hâte de voir la peur sur son visage quand elle lui ferait part de ses intentions...A condition qu'Alessandro accepte de l'aider. C'était un pari risqué, mais la satisfaction qu'elle en retirerait si elle parvenait à le remporter en valait largement la peine.

Sasha avait conscience des failles de son plan, et l'une d'elle était justement Alessandro, qu'elle devait encore convaincre de participer. Le service qu'elle lui demandait n'avait rien d'anodin et n'importe quel sorcier honnête aurait légitimement refusé, mais quelque chose lui disait que le garde du corps n'était pas exactement un sorcier honnête. Elle avait eu le sentiment, lors de leur dernière conversation, qu'il n'était pas du genre à s'arrêter à quelque chose d'aussi subjectif que l'éthique ou la morale. Et puis, elle avait toujours un moyen de pression sur lui. Si l'envie lui prenait de jouer les offusqués et de lui refuser ce service particulier, elle n'aurait aucun scrupule à lui rappeler un certain enregistrement audio qu'il n'avait aucune envie de voir sur Twitcher.

De façon parfaitement prévisible, Ahren ne fut pas ravi de tomber sur elle et lui demanda agressivement ce qu'elle lui voulait avant d'affirmer qu'il n'avait pas le temps de l'écouter.

"Ça tombe parfaitement bien, lui répondit-elle avec un sourire mielleux. Je n'ai absolument rien à te dire. Toi en revanche, je suis sur que tu pourrais nous dire des choses très intéressantes."

Elle s'était attendu à une réponse acide du jeune homme, mais ce dernier n'avait pas l'air disposé à se lancer dans une joute verbale et tourna les talons après lui avoir jeté un dernier regard méprisant. Sasha abandonna aussitôt son sourire hypocrite et se tourna vers Alessandro, le regard noir.

"Retiens-le, ordonna-t-elle sèchement. S'il s'échappe d'ici, notre petit souvenir du réveillon se retrouve sur Twitcher avant ce soir, ajouta-t-elle comme pour lui passer l'envie de protester. Merci."

Elle n'avait pas le droit de pratiquer la magie hors de Poudlard et n'avait pas l'intention de s'attirer des ennuis. C'était une des raisons pour lesquelles elle avait besoin d'Alessandro. L'autre était qu'il connaissait certainement des sortilèges bien plus efficaces qu'elle pour mener ce projet à bien. Une fois son camarade neutralisé, Sasha fit quelques pas dans sa direction pour se placer entre lui et la jeune femme blonde dont les traits dissimulaient ceux d'Alessandro. Elle pouvait sentir son coeur battre à la fois de peur et d'excitation à l'idée de ce qu'ils allaient faire. De ce qu'elle allait faire, parce que c'était son idée. Ce serait sa victoire à elle. Sa victoire contre Ahren et quiconque avait été suffisamment stupide pour s'associer à lui.

"Tu vois, mon ami Ahren ici présent -elle pointa le Serdaigle du doigt- a des opinions très intéressantes au sujet du gouvernement. Il disait l'autre jour que...Comment tu formulais ça déjà ? Ah oui, il "réprime nos droits", c'est ça ? Elle n'attendit pas la réponse de son camarade et poursuivit en s'adressant à Alessandro. J'aurais beaucoup aimé le dénoncer auprès du Directeur Virtanen mais j'aimerais bien avoir un peu plus d'informations, savoir qui sont ceux qui partagent ses idées..."

Depuis cet après-midi dans la salle des quatre maisons, où le débat s'était enflammé sur le sujet des technomagies, Sasha avait le certitude qu'il y avait des élèves au sein de l'école qui n'approuvaient pas le gouvernement de Marchebank. Ahren s'était trahi tout seul en reprochant à la technomagie d'être utilisée dans la traque des terroriste. Elle était persuadée qu'il partageait leurs idées destructrices, mais elle avait conscience qu'elle ne pouvait pas le dénoncer à Virtanen sur la base d'u simple soupçon. Elle avait besoin de davantage d'informations, et elle était persuadée qu'en creusant un peu elle pourrait être celle qui ferait tomber les apprentis-terroristes de Poudlard. Pour commencer, elle avait besoin de noms. Ahren n'agissait certainement pas tout seul.

Elle abandonna Ahren à son sort et franchit en quelques pas la distance qui la séparait d'Alessandro afin de se placer à côté de lui.

"Et j'ai besoin de toi pour le faire parler."

L'air satisfait avec lequel Sasha affirma avoir un camarade à lui présenter n'échappa à Alessandro, qui se contenta de hausser un sourcil blond et finement épilé. De toute évidence, sa maître-chanteuse avait eu le temps de réfléchir depuis leur dernière rencontre au meilleur moyen d'utiliser son avantage, et il n'allait pas tarder à être fixé quant à la façon dont elle comptait se servir de ses - multiples - talents. A l'entrée du fameux camarade, Alessandro esquissa une moue amusée. C'était un gamin, dégingandé, au visage juvénile et à l'attitude insolente typique de l'adolescent pseudo-rebelle, qui écoutait probablement de la musique punk dans des chambres aux volets tirés, en se plaignant de l'injustice de la vie. Bref, pas de quoi inquiéter le garde-du-corps, qui se demandait néanmoins de plus en plus ce qu'il venait faire là.

Croisant les bras contre sa poitrine opulente, Alessandro suivit l'échange bref et acerbe entre les deux camarades de classe. Le ton était acerbe et mielleux entre eux, si bien qu'il en vint à se demander s'il ne s'agissait pas là d'une ancienne idylle qui aurait mal tourné. Sasha voulait peut-être se venger d'un ex petit-ami, ou quelque chose de cet acabit. Il n'eut pas le temps d'en apprendre d'avantage sur ses motivations et le contexte de cette relation, néanmoins, puisque le jeune homme tourna rapidement les talons, provoquant une réaction vive de Sasha. L'ordre vif qu'elle lui intima le surprit, mais il était suffisamment rompu aux situations imprévisibles qu'il s'exécuta aussitôt.

Pivotant sur ses talons, Alessandro agita négligemment sa baguette en direction d'Ahren et le visa d'un "Stupefix" qui l'atteignit en pleine colonne vertébrale. Sans prêter plus d'attention au jeune homme qui s'effondrait, figé comme une statue, Alessandro tourna un visage ouvertement interrogateur. Voilà donc ce que cette demoiselle comptait faire de leur enregistrement, le publier sur un réseau social ? N'avait-elle donc pas conscience qu'un homme dans sa position, et avec son réseau d'influence, avait probablement plus de chances de s'en tirer avec une réputation intacte qu'une jeune femme qui serait aussitôt traitée de salope, ou tout autre charmant qualificatif attribué à une femme jugée un peu trop libérée avec sa sexualité ? Il lui suffirait de donner sa propre vision de la situation, de la discréditer, de prétendre être victime d'un chantage odieux de la part d'une hystérique, et de laisser le tribunal populaire et le patriarcat faire leur œuvre... Cela étant, il ne tenait pas particulièrement à tester cette théorie, ou de faire jouer l'influence de Leopold auprès de Vargas Corp pour faire effacer la vidéo discrètement, s'il y avait possibilité d'éteindre cette affaire dans l’œuf.

"Qu'est-ce que je suis censé faire de lui ?", s'enquit-il en désignant sa victime d'un geste de sa main soigneusement manucurée.

Alors qu'il s'attendait à une simple histoire futile entre jeunes gens, Sasha le surprit une fois de plus en évoquant des motivations politiques qui plaçaient aussitôt un enjeu plus profond sur l'altercation. Ainsi, elle soupçonnait son ami Ahren de propager des idées terroristes au sein de l'école ? "Et alors ?", fut la première réaction d'Alessandro, qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire ? Il se doutait bien que les propos complotistes des sympathisants du Lexit pouvaient trouver un certain écho auprès d'esprits jeunes et rebelles. Puis il se rappela certaines réunions du gouvernement auquel il avait eu le privilège d'assister, dans le cadre de son emploi de plante verte : Les soupçons du directeur de l'école quant à l'implantation d'un réseau au sein de ses étudiants, voire de sa propre équipe, sans parler de la disparition orchestrée par Leopold de Daisy Mason...

"Je vois que j'ai affaire à une vraie petite collaboratrice, hmm ? On ne t'a jamais dit que c'était vilain de dénoncer ses petits camarades ?", la railla-t-il avec un léger sourire. "Cela dit, j'imagine que je ne devrais pas être surpris de la part d'une milicienne en herbe..."

Poussant un soupir, il avisa un instant la silhouette d'Ahren toujours figée, puis reporta sur sa commanditaire un regard insondable. "Qu'est-ce que tu attends de moi, précisément ? Que je le bouscule un peu ? Il va falloir être un peu plus précise quant à ta demande, princesse..."

Alessandro avait l'habitude de recevoir ce type d'ordre à mots couverts, mais ces insinuations provenaient habituellement de chefs de gang dont la détermination et la cruauté ne connaissaient que peu de limites. Il doutait qu'une élève de Poudlard ne veuille parvenir à de telles extrémités, et quand bien même, pourquoi devrait-il s'exécuter ? Se penchant vers Sasha, qu'il surplombait aisément juché sur ses talons, il attrapa son bras et murmura à son oreille, d'un ton caressant : "Car si ce que tu me demandes de faire est illégal, explique-moi ce qui devrait m'empêcher de te réduire au silence, toi, plutôt que de le faire parler, lui ?"

Peut-être ferait-il mieux de régler la situation par deux petits sortilèges d'Oubliettes dès maintenant, de quitter cet endroit et ne plus jamais croiser le chemin de Sasha Benson... Pourtant, il y a quelque chose, comme une lueur inhabituelle au fond de son regard, comme une attitude qui tranchait avec celle de tant de femmes qu'il avait connu, qui excitait sa curiosité. Avant même qu'elle ne lui réponde, Alessandro soupçonnait déjà qu'il ne mettrait pas sa propre menace à exécution.

Un sourire satisfait se dessina sur le visage de Sasha alors qu'Ahren s'effondrait au sol, frappé par un Stupéfix en plein dans le dos. Savoir qu'il se retrouvait dans cette position compromettante uniquement parce qu'elle en avait décidé ainsi lui procurait un certain plaisir. Il était terriblement agréable d'avoir finalement l'ascendant sur son ennemi de toujours, et elle se sentait comme investie d'un pouvoir sans limite.

L'adolescente répondit par un regard blasé à la remarque moqueuse d'Alessandro qui lui reprochait de dénoncer ces petits camarades, comme si elle avait reproché à Ahren de tricher en Étude des Runes. Il était question de bien plus qu'une simple dispute de bac à sable. Ahren et elle avaient connu quelques années de chamailleries teintées de compétition mais ces jeux d'enfants étaient maintenant derrière eux. Elle mentirait si elle disait qu'elle n'était pas ravie que ce soit précisément le Serdaigle qui se retrouve coincé dans cette cour isolée, mais cela aurait pu être n'importe qui d'autre. Aujourd'hui elle n'en avait pas particulièrement après Ahren Keller, elle en avait après ce réseau de mini-terroristes qui se développait au sein de l'école, et qu'elle avait bien l'intention de faire tomber.

Une lueur d'intérêt se mit à briller dans le regard de Sasha alors que son serviteur du jour lui demandait des consignes plus précises. Son esprit s'échappa aussitôt vers ces choses terribles qu'on racontait sur des endroits très éloignés de son quotidien, dans un monde où on torturait ses ennemis pour les faire parler, et où la cruauté des hommes n'avait pas de limite. Elle n'était pas de ce milieu là, elle ne l'avait même jamais approché, mais elle savait qu'il n'était pas réservé aux romans policiers. Cet univers violent et sans pitié existait, juste à côté du sien, et elle s'en approchait pour la première fois, animée par une curiosité insatiable. Un frisson d'excitation parcourut sa colonne vertébrale.

"Peu m'importe, répondit-elle simplement en s'efforçant de conserver un air aussi détaché que s'ils parlaient de la météo. Je veux des infos sur ce réseau de terroristes au sein de l'école, fais ce qu'il faut pour les obtenir. Légilimancie… Elle l'interrogea du regard, pas certaine que cet art particulier entre dans son champ de compétences, et complètement ignorante du fait qu’Ahren savait y résister. Torture..."

Prononcer ce mot à voix haute, en l’associant pour la première fois à un acte concret, avait quelque chose d’étrange. De grisant. Elle l’avait entendu comme s’il sortait de la bouche de quelqu’un d’autre, l’avait accueilli avec une certaine surprise, et n’arrivait désormais plus à se débarrasser de ces quelques lettres, imprimées dans son esprit.

Sasha était plutôt sereine depuis le début de cette rencontre, consciente d’avoir le dessus sur Alessandro autant que sur Ahren. La peur s’insinua toutefois en elle quand le garde-du-corps s’empara de son bras sans la moindre douceur pour lui souffler des menaces à l’oreilles. Dans cette situation où tout pouvait basculer en une poignée de secondes, et où sa vie ne dépendait que du bon vouloir de cet homme métamorphosé, elle se sentait plus vivante que jamais. Elle sentit son pouls s’accélérer et sa respiration devenir moins régulière et moins profonde. D’un seul coup, elle n’avait plus du tout le dessus. Elle n’avait plus le contrôle, mais il ne tenait qu’à elle de le reprendre, et cette lutte était tellement plus exaltante que le pouvoir lui-même.

"Si tu me pose la question c'est que tu n'as pas vraiment envie de le faire..."répondit-elle dans un murmure en braquant son regard dans les yeux de cette femme sous les traits de laquelle Alessandro s’était dissimulé.

S'il avait voulu se débarrasser d'elle il l'aurait déjà fait, elle s’en était convaincue. Il était entré dans son jeu au moment où il s’était contenté de jeter un sort à Ahren alors qu'il aurait pu l'immobiliser elle aussi, et prendre aussitôt la poudre de cheminette. Elle savait qu'il n'était là que parce qu'elle le faisait chanter mais une part d'elle-même commençait à penser qu’il se laissait volontairement entrainé dans cette situation. Il aurait pu essayer de la faire taire de bien d’autres façons : la faire disparaitre, acheter son silence, et pourtant il était là, prêt à "bousculer" un adolescent pour lui soutirer des informations. Et il avait beau agir comme si ce n'était pas le cas, elle commençait à se dire qu'il y prenait un certain plaisir lui aussi.

Elle n’était malheureusement pas certaine de cette théorie, et préférait assurer ses arrières au cas où son homme de main songerait à lui faire faux bond.

"J’ai laissé mon Pear à Poudlard, commença-t-elle en levant ses mains -vides- devant elle. Entre les mains de ma meilleure amie. Si je ne suis pas rentrée à six heures précises ce soir, elle n’a qu’à appuyer sur un bouton et l’enregistrement sera publié avec un témoignage poignant de ma part, qu'elle aura trouvé dans mon journal intime expliqua-t-elle avec un sourire insolent. Elle avait effectivement confié son Pear à Cindy mais ne lui avait laissé aucune consigne, ne voulant pas éveiller ses soupçons. Tu ne voudrais pas être mêlé à une sombre histoire avec une adolescente disparue, pas vrai ? Elle marqua une courte pause après cette question parfaitement réthorique. C’est ce que je pensais."

Elle se permit de ponctuer cette conclusion d’un clin d’oeil faussement complice, puis se recule d'un pas, comme pour laisser champ libre à Alessandro.

Elle agita vaguement la main en direction d'Ahren, toujours immobilisé, "Bon, je n'ai pas tout l'après-midi..."

Elle avait un devoir de potions à terminer ensuite.

Les paroles de Sasha auraient dû l'interroger, elles auraient dû le stopper et le faire se retourner mais quand il se rendit compte de son erreur, il était trop tard. Il ne savait pas qui était la femme blonde qui l'accompagnait mais il ne doutait pas un instant qu'elle n'aurait pas qu'un rôle de figurante. Surtout lorsque le sort le cueillit au milieu du dos. Il se raidit et se sentit tomber en avant face contre terre. La peur commença à monter en lui, il était à présent totalement impuissant, incapable de se défendre. Les paroles de Sasha étaient glaçantes, il savait qu'elle était folle, il savait qu'elle était dangereuse mais à ce point là... Elle voulait qu'il parle, elle voulait qu'il vende Blair et Noah. Mais il ne parlerait pas, il commençait déjà à envisager plusieurs options qui s'offraient à lui.

Elle s'adressa directement à lui et il lui retourna un regard méprisant, il ne pouvait pas répondre la mâchoire bloquée par le sort dont il était victime. Il aurait aimé cracher son venin sur cette vipère. S'il avait eu la possibilité de se mouvoir, il aurait saisi sa baguette et lui aurait montré à cette saloperie ce qu'il valait. Il n'avait jamais eu peur d'elle et il ne comptait pas commencer aujourd'hui. Malgré la menace de torture qu'elle semblait suggérer à la femme qui l'accompagnait. Il ne savait pas comment, mais elle semblait avoir réussi à contraindre la blonde d'obéir à ses ordres. Par une quelconque manipulation et un chantage dont elle avait le secret.

Lorsque l'affaire Sorden avait éclaté, Sasha s'était faite passée pour une pauvre victime sans défense, mais il était évident aujourd'hui qu'elle n'était pas aussi sans défense qu'elle voulait bien le montrer. Elle était très certainement à l'origine de la mort d'Ana Sorden. Cela ne faisait presque aucun doute aux yeux d'Ahren. Sasha Benson était une future milicienne dans l'âme ou pire. Elle était le mal incarné, une magnifique héritière du régime de Marchebank. Elle avait visiblement pensé à tout la garce. La femme, le bras armé de Sasha s'avança vers lui. Il espérait sincèrement qu'elle tenterait de forcer son esprit grâce à la Legilimencie. Elle serait d'ailleurs obligée de le libérer du premier maléfice qu'elle lui avait lancé pour l'immobiliser si elle souhaitait qu'il parle. Il aurait été plus judicieux de lui lancer un Incarcerem dès le départ.  

Ahren inspira profondément tout en lançant un regard de défi à la blonde qui s'était rapprochée de lui. Elle pouvait toujours tenter de rentrer dans son esprit, il ne lâcherait pas une information. Son Occlumencie était parfait grâce à Ulrich. Pour une fois que son frère lui servait à quelque chose. Il était aussi résistant à la douleur grâce à lui et aux nombreuses années de torture qu'il lui avait fait subir. Il ne dirait rien. Jamais. Plutôt mourir que de parler. Ce fut avec cette résolution qu'il affronta le sort qui lui était réservé.

Alessandro relâcha le bras de Sasha et la laissa se reculer, avant de laisser échapper un rire surpris face à sa dernière injonction. Quel culot, songea-t-il en prenant une seconde de plus pour considérer la jeune femme en silence. Sa menace ne l'inquiétait guère : vraie ou non - et il penchait plutôt pour la deuxième option - Alessandro pouvait altérer son esprit d'un sortilège et déjouer ces plans... mais son regard tomba ensuite sur le jeune homme à terre. Son visage juvénile était tourné sur lui, provoquant, presque insolent, et il songea à ce que Sasha lui avait demandé. Oui, il existait un réseau terroriste à Poudlard, c'était une quasi certitude, mais la milice avait toute les peines du monde à avancer sur ce sujet. L'équipe pédagogique constituait un cocon protecteur très difficile à contourner dans l'écrin qu'était Poudlard, et comment aurait-il pu en être autrement ? C'était une école emplie de mineurs, sous la surveillance attentive des parents d'élèves. Pourtant, l'on pouvait déjà être une ordure à seize ans. On pouvait déjà fomenter et commettre des crimes à seize ans, on pouvait se laisser embarquer et embrigader, on pouvait aussi embrigader soi-même... Angus n'enquêtait-il pas sur un jeune apprenti professeur de métamorphose en ce moment-même ? Un élève n'avait-il pas déjà réalisé un séjour à Skye ? La jeunesse de Poudlard avait toujours su s'impliquer dans les tourments politiques du pays, il suffisait de regarder l'Histoire. Et quelque chose lui disait que les deux spécimens qu'il avait sous les yeux n'étaient pas en reste. La haine était palpable dans leurs échanges de regard, un passif existait entre ces deux-là, et il avait l'intuition que cela allait plus loin que de simples histoires de cœur ou de travail de groupe.

Alessandro s'avança vers Ahren et soutint son regard de défi, implacable. Puis il tendit sa baguette magique, rassembla sa concentration et lança plusieurs sortilèges. Il se sentit alors infiltrer un esprit tortueux, assombri, et le visage d'un autre jeune homme lui sauta aussitôt au visage - un visage pointu, pâle, encadré de cheveux couleur corbeau, un visage aux traits cruels, qui lui évoquait celui d'un rapace. Un rire froid retentit à ses oreilles alors qu'il sentait sa propre conscience se heurter durement à celle d'Ahren. Il sentit son souffle se couper, comme s'il s'était heurté à un mur à pleine vitesse, et le visage cruel disparut dans un brouillard épais. Fronçant ses sourcils blonds, plantant un peu plus fermement la pointe de ses escarpins dans le sol, Alessandro accentua son effort mais il ne parvint pas à contourner les barrières mentales d'Ahren. De toute évidence, Alessandro était particulièrement rouillé dans sa pratique de la Legilimancie, qu'il n'avait guère eu l'occasion de pratiquer depuis qu'il avait claqué la porte du bureau des Aurors de Rome. Ahren, lui... c'était autre chose.

Voilà qui achevait d'attirer son attention et de susciter sa curiosité, songea Alessandro en abaissant sa baguette. Le coin de ses lèvres s'étira en un sourire, et il s'accroupit auprès d'Ahren pour soutenir son regard. Le jeune homme ne semblait pas avoir perdu cette attitude de défi, probablement ravi d'avoir réussi son coup et de lui avoir tenu tête. Eh bien, il avait réussi, en effet : Alessandro avait visiblement affaire à un duo plus coriace qu'il ne l'avait cru. Voilà qui allégeait le peu de scrupules qu'il pouvait avoir jusqu'alors...

"Hmm. Client difficile. Sache que ton ami est un Occlumens confirmé", dit-il en se redressant, à l'intention de Sasha. Comment un gamin de seize ans avait appris l'occlumancie ? Même Harry Potter en personne ne la maîtrisait pas bien au même âge... Mais quelque chose lui disait que ce fameux Ahren n'avait pas exactement le même background, ni la même pureté d'intentions que le célèbre sauveur du monde magique. Peut-être était-ce un effet de son imagination, tant son intrusion avait été rapide, mais Alessandro avait ressenti quelque chose de profondément névrosé et tordu en lui.

"Puisque tu y tiens, je vais devoir employer d'autres méthodes", souffla-t-il en s'adressant cette fois à Ahren. "Tu as entendu la Dame..."

Il pointa de nouveau sa baguette sur l'homme étendu au sol et marmonna une formule entre ses lèvres. Une lueur vert claire s'échappa de sa baguette et vint se répandre sur le sol autour d'Ahren. Une multitude de lianes et de racines translucides transperça la terre gelée pour grandir rapidement et s'enrouler, comme autant des serpents végétaux, autour des membres d'Ahren. Leur emprise s'enserra peu à peu puis, alors qu'Alessandro agitait de nouveau sa baguette, les yeux clos, ils transpercèrent sa peau comme autant de pointes acérées. La douleur était imaginaire, les blessures n'existaient que dans son esprit, mais, poussées à l'extrême, elles pouvaient provoquer une crise cardiaque et c'était une façon terrifiante de mourir.

Le garde du corps n'aimait pas l'Endoloris - trop attendu, trop facile à contrer pour quiconque avait appris à se laisser traverser par cette douleur, pourtant insoutenable. Ce n'était peut-être pas le cas de cet Ahren, mais là encore, qui maîtrisait l'Occlumancie à seize ans ? Quelque chose lui soufflait qu'il allait devoir être créatif. Heureusement, il existait tant d'autres maléfices, tant d'autres moyens d'utiliser la magie noire au service de la douleur...

"Qui sont tes complices ?", s'enquit-il en continuant d'agiter tranquillement sa baguette pour guider ses racines, qui trouvaient peu à peu leur chemin jusqu'aux entrailles de sa victime...

Sasha soutint le regard dur et presque provoquant de son camarade en se délectant de la haine qu'elle y trouvait. Ce n'était que le début et s'il la détestait déjà maintenant, il la haïrait dans quelques minutes. Elle trouvait presque dommage de devoir lui effacer la mémoire après cette entrevue, même si elle savait que c'était nécessaire pour se protéger. Elle aurait voulu qu'il se souvienne, qu'il sache qui lui avait infligé cette douleur. Elle aurait voulu qu'il lui en veuille, qu'il la déteste. L'adolescente avait compris, au cours des derniers mois, qu'il y avait quelque chose de non-aimable en elle. Elle avait cette part d'ombre, cet esprit dérangé, qui la rendait indigne d'amour. Puisque personne n'aimerait jamais cette part d'elle, alors ils la détesteraient tous. Si elle n'arrivait pas à attirer l'affection et l'admiration des autres comme elle en avait longtemps rêvé, alors elle provoquerait leur haine. Elle préférait être détestée qu'ignorée. Les derniers mots de Casey tournaient en boucle dans son esprit, "Moi je ne te déteste pas". Elle n'avait su gagner ni son amour ni sa haine. Elle le ferait changer d'avis.

L'adolescente observa avec intérêt Alessandro qui, sous les traits de cette jeune femme blonde, s'était finalement approché d'Ahren. Elle le vit lancer un sortilège qui n'eut aucun effet visible et en conclut qu'il devait probablement utiliser la légilimancie sur son camarade. Elle guetta le moindre signe de réussite avec impatience et fronça les sourcils en constatant que son homme de main semblait au contraire être en difficulté. Elle ne put cacher sa surprise en apprenant que Keller était occlumens. Elle savait le Serdaigle plutôt doué en magie -ils se disputaient la première place dans la plupart de leurs cours en commun- mais elle ne lui aurait jamais imaginé un tel talent caché. Agacée et humiliée de se retrouver ainsi prise au dépourvu, elle ne prit pas la peine d'accorder un regard à son camarade et s'adressa directement à Alessandro.

"Débrouille-toi autrement alors."

Le garde du corps ne se fit pas prier et marmonna une autre formule. Sasha observa avec curiosité l'étrange lueur verte se répandre autour du Serdaigle. Des lianes de lumière s'enroulèrent autour de lui, puis se mirent à transpercer ses membres à la manière d'un filet du diable particulièrement agressif. Les lianes n'avaient pas vraiment d'existence matérielle, et pourtant elle semblait causer une douleur bien réelle qui laissait la jeune Serpentard admirative. Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle était censée ressentir face à ce terrible spectacle. Etait-ce une vision qui aurait du être insoutenable, ou provoquer en elle de la peur, de la pitié ? Elle n'éprouvait rien de tout ça, mais elle était incapable de détourner les yeux, complètement fascinée par la douleur d'Ahren.

Cette même émotion s'était emparée d'elle face à la mort violente d'Ana Sorden. Elle se rappelait avec une précision étonnante des mâchoires de la plante carnivores qui se refermaient sur la chaire de l'arithmancienne, des cris de cette dernière, de cette lutte interminable qui s'était terminé dans un silence glaçant. Elle retrouvait cette même fascination macabre aujourd'hui, mais cette fois-ci la peur ne venait plus parasiter ses pensées, laissant la place à des sentiments bien plus troublants encore.

Elle refusait de s'avouer que c'était de l'envie, qui brûlait au fond de ses yeux alors qu'elle contemplait cette scène de torture. Le plus dérangeant était qu'elle se fantasmait autant à la place du bourreau que de la victime. Elle ne pouvait s'empêcher de se demander ce que ressentait Ahren à cet instant, quelque chose de si intense, de si douloureux que s'en était indescriptible, inimaginable. Effrayée par ses propres pensées, Sasha s'efforça de les faire taire, consciente que ce n'était pas normal. Il y avait quelque chose qui clochait chez elle, quelque chose à laquelle elle avait voulu se confronter en provoquant cette scène, mais qu'elle ne se sentait finalement pas prête à affronter.

Perturbée par ce qu'elle découvrait petit à petit sur ses démons intérieurs, Sasha essaya de faire taire les pensées inquiétantes qui lui traversaient l'esprit et guetta avec impatience les premiers aveux d'Ahren Keller.

L'intrusion mentale était attendue, Ahren se doutait que ce serait la première chose que ferait la femme sur talons aiguilles. Il s'y était préparé et attendait l'invasion avec impatience, il voulait lire la déconvenue sur son visage harmonieux, voir le trouble dans ses yeux quand elle comprendrait qu'elle n'avait pas affaire à n'importe quel gamin de seize ans. Il laissa donc quelques images filtrer, il la laissa apercevoir le visage d'Ulrich, se frotter à la folie pure dont il avait déjà été victime. Sasha Benson et sa complice ne lui faisaient pas peur en comparaison de ce qu'il avait déjà enduré. Ceci était un avertissement, il était prêt à les affronter. Il était maître de ses pensées et personne n'irait fouiller dans son esprit sans son accord. Comme pour le prouver, il instaura un mur mental, coupant toute possibilité d'avancer plus profondément dans son esprit.

L'occlumancie n'avait plus aucun secret pour lui, il le maitrisait à la perfection. Tout comme la Legilimancie et il pouvait parfaitement renverser la situation à son avantage. Il poussa ses barrières dans le but avoué d'entrer dans l'esprit de son agresseur mais cette dernière mit fin à leur bataille mentale, quittant l'esprit d'Ahren et s'avouant vaincue par la même occasion. Un léger sourire victorieux se serait dessiné sur ses lèvres s'il avait été capable de faire bouger son corps, à la place son regard pétilla de satisfaction alors qu'il posait son regard sur Sasha. La femme dévoilant son échec en annonçant la capacité du Serdaigle au passage. Occlumens confirmé. Oui. On pouvait dire ça. Il posa son regard sur la blonde qui reportait son attention sur lui. Il s'attendait à ce que la suite des événements soient moins réjouissante pour lui.

Comme il s'y attendait, Sasha avait avoué que la torture pouvait être utilisée et il ne doutait pas que son assaillante l'utiliserait. Il sentit son corps s'alléger et il retrouva pour quelques secondes une liberté de mouvement et surtout, la possibilité de parler. Un sourire provoquant se dessina sur ses lèvres, il avait l'habitude de la douleur. Il était immunisé au Doloris. Le nombre de fois où son frère aîné l'avait utilisé contre lui l'avait habitué à la souffrance en quelque sorte. Il savait contrer ses effets ou du moins, ignorer la douleur. Il sentit des lianes s'enrouler autour de lui pour l'immobiliser à nouveau et il ferma les yeux, prêt à repousser la vague de torture qui allait le frapper d'une minute à l'autre. La sensation des pointes transperçant sa peau simultanément le surprit, il ne s'était pas préparé à ça.

Une larme perla au coin de ses yeux alors qu'il serrait les dents pour ne pas hurler. Le goût du sang envahit sa bouche lui indiquant qu'il s'était mordu la langue dans sa tentative de repousser la douleur qui envahissait son corps. Il avait l'impression de brûler de l'intérieur, la souffrance lancinante et intense s'enfonçait en lui. Son corps se cabra alors que la douleur venait de l'intérieur. L'intensité qui vrilla son poumon lui tira un hoquet, incapable de se retenir plus longtemps. Il luttait pour ne pas montrer sa peine, il ne leur donnerait pas le plaisir d'assister à leur réussite. Il entendait vaguement la voix de la femme, dans la brume douloureuse qui l'enveloppait, mais il était incapable de répondre, son cœur s'emballa dans sa poitrine et il crut pendant une seconde qu'il allait exploser. Trop. C'était trop pour lui, il ne tiendrait pas plus longtemps. Il allait le trahir, le lâcher de la pire des façons possible.

Mais il ne pouvait pas abandonner. Pas comme ça. Pourtant, il aurait pu, qui le pleurerait ? Il n'avait personne à qui manquer. Kathrina avait déjà perdu le frère qu'elle aimait le plus, il ne serait qu'un deuil de plus. Elle pourrait réussir sa vie sans le fardeau qu'il représentait certainement pour elle. Ce frère qu'elle n'avait jamais pu prendre, dont elle avait parfois honte pour les idées qu'il pouvait avoir. Elle n'aurait plus à rougir de ses paroles. Et finalement, il n'aurait plus besoin de lutter en permanence, plus besoin de subir sa solitude. Il pouvait tout laisser tomber, s'abandonner à l'obscurité qui commençait à l'envelopper, la douleur se stoppait lentement pour une torpeur cotonneuse. Sa conscience lui échappa le laissant dans des ténèbres où plus rien n'existait...

La réalité se rappela à lui par une douleur vive dans son foie. Incapable de se redresser à cause des liens qui l'entravaient, il accusait le coup du mieux qu'il pouvait. Son souffle était chaotique et il peinait à respirer convenable, recroquevillé sur lui-même autant que le lui permettaient les lianes translucides, sa respiration était réduite à un sifflement aigu. Il ferma les paupières à nouveau pour calmer les battements de son cœur, tout son corps était engourdi par la souffrance. Il avait mal. Tellement mal et il rêvait que tout s'arrête. Il aurait pu parler, tout aurait été terminé, mais il ne pouvait pas trahir ses compagnons. Il protégeait une cause plus grande que lui, plus grande que sa vie. Il ouvrit péniblement les paupières et fixa sa tortionnaire avant de tourner les yeux vers Sasha.

"Allez vous faire foutre !"

Ce serait la seule réponse qu'elles auraient de lui. Il referma les paupières alors qu'une nouvelle vague de douleur le parcourait tout entier. Un glapissement lui échappa malgré ses dents serrées et son corps trembla, incontrôlable. Il ne connaissait pas le sort qui avait été utilisé contre lui, mais il était redoutable.

C'était fascinant. Sasha n'arrivait plus à détacher ses yeux du sinistre spectacle qui se jouait devant elle, impressionnée par cette forme de magie particulièrement cruelle dont elle n'avait fait que soupçonné l'existence. Elle savait que des sortilèges comme celui-ci existaient, c'était le principe même du Doloris. Créer une sensation de douleur qui n'avait de réalité que dans l'esprit de la victime. Le sort utilisé par Alessandro était plus créatif, mais fonctionnait de la même façon. Ces lianes lumineuses qui s'enroulaient autours des membres d'Ahren, qui déchiraient sa chaire et transperçait ses organes, elles n'existaient pas vraiment. Il n'y avait pas de véritable blessure, pas la moindre goute de sang, et pourtant sa douleur semblait bien réelle.

Si la préfète était impressionnée par ce sortilège, qu'elle jugeait plutôt élégant, elle l'était aussi par la résistance de son camarade. La torture durait depuis déjà deux ou trois minutes et il n'avait rien dit. Encore une fois, elle avait sous-estimé son adversaire. Au mépris et à la haine qu'elle vouait au Serdaigle vint s'ajouter une certaine curiosité. Elle ne pouvait pas s'empêcher de se demander où Ahren avait appris à pratiquer l'occlumancie et à résister ainsi à la douleur. Il n'en devenait que plus intéressant, et Sasha était plus convaincue que jamais qu'il avait quelque chose à cacher. Quelque chose qu'elle tenait absolument à découvrir. Elle aurait été prête à y passer la totalité de son après-midi.

Elle savait pourtant qu'ils avaient intérêt à être rapides. Une fois qu'Ahren aurait livré le nom de ses complices, il faudrait malheureusement lui effacer la mémoire, retrouver la jeune Serdaigle que Sasha avait utilisée pour le faire venir jusqu'ici, et lui faire connaitre le même sort. Elle était réellement contrariée à l'idée que son camarade ne conserverait aucun souvenir de cette rencontre, qu'il ne saurait jamais de quoi elle était capable.

Alessandro, visiblement lassé et persuadé que son sortilège avait du faire ses effets, laissa enfin un peu de répit à Ahren pour lui laisser une chance de passer aux aveux. Sasha se rapprocha instinctivement, prête à cueillir les noms que lui livrerait le Serdaigle. Elle se délectait des larmes sur ses joues, de son teint livide, de ses membres qui tremblaient. Elle se demandait ce qu'il pouvait bien ressentir, à cet instant, et ce que son bourreau éprouvait à le voir ainsi. Elle se rendait compte qu'elle ne réagissait pas comme il le fallait à cette situation, sans savoir à quel point.

"Allez vous faire foutre !"

Sasha souffla, agacée. Les choses ne se déroulaient pas exactement comme prévue, mais cela aurait été mal la connaitre que de penser qu'elle allait abandonner si rapidement. Ils avaient encore un peu de temps.

"J'imagine que tu as d'autres ressources..." commença-t-elle en se tournant vers la jeune femme blond dont Alessandro avait pris l'apparence.

A vrai dire elle était assez curieuse de savoir quelle serait la prochaine manoeuvre du garde du corps. Elle ne connaissait rien à cette magie là -on ne trouvait pas de livre sur les sortilèges de torture dans la bibliothèque de Poudlard- et cela l'intriguait beaucoup. L'aspect inhumain de la chose ne faisait que lui effleurer l'esprit, tant elle arrivait à se concentrer sur l'aspect presque scientifique de l'expérience. Elle savait que certains sorciers avaient expérimentés ce genre de sortilèges sur des animaux, des insectes, des araignées notamment. C'était interdit maintenant, mais Sasha se considérait un peu comme l'un d'eux. Ahren était son araignée, et une araignée plutôt coriace, du genre venimeuse. Cette idée en fit naitre une autre dans l'esprit de la Serpentard, une idée terrible, et pourtant parfaite.

"Mais avant, poursuivit-elle, stoppant le garde du corps alors qu'il levait de nouveau sa baguette. J'aimerais bien lui laisser un message, elle baissa les yeux vers Ahren, impassible face à sa douleur. Du genre cicatrice permanente, quelque chose qui ne pourra pas s'effacer. Elle était certaine que c'était dans les capacités d'Alessandro. Juste un petit mot, sur l'avant-bras gauche : poison."

Elle était plutôt fière de cet éclat de génie, qui mettrait les autorités sur la piste du cinglé qui avait agressé Casey cet été. Elle venait presque de s'innocenter. Et elle essayait de faire taire cette petite voix au fond d'elle qui lui soufflait qu'au fond, elle avait aussi envie de laisser cet indice à Ahren, et à Casey, pour qu'ils doutent. Pour qu'ils sachent qu'on ne la blessait pas impunément.

Sasha fit un pas en arrière et laissa Alessandro exécuter ses ordres, et laisser libre court à sa folie créatrice. Il se livra cette fois-ci à la torture pendant plusieurs minutes, que tout sorcier sain d'esprit auraient jugé insupportables, avant de reposer la question.

"Qui sont tes complies ?"

La haine était clairement visible dans son regard. Ahren avait dépassé le stade de l'antipathie en ce qui concernait Sasha. Il éprouvait une aversion viscérale à son encontre, comme celle qu'il avait pu développer pour Ulrich. Il aurait voulu la voir morte ou pire, se tordre de douleur au sol, implorant une merci qu'il ne lui aurait pas offerte. Mais les rôles étaient inversés, c'était lui qui était cloué au sol, transpercé par la douleur. Il avait conscience de n'avoir qu'un faible répit. Il était hors de question qu'il parle, hors de question qu'il mette ses camarades en danger. Plutôt mourir. Elle pourrait donner tous les ordres qu'elle souhaitait, ses lèvres resteraient définitivement closes. Un sourire amusé se dessina sur son visage devant l'agacement de la jeune fille, tout ne se déroulait pas comme elle l'avait espéré. Et il fut pris d'un fou rire incontrôlable alors qu'elle se tournait vers la femme blonde.

"Tu peux utiliser toutes les ressources que tu veux, je ne parlerais pas."

Son regard flamboya d'une lueur de défi, il aurait parfaitement eu sa place à Gryffondor à cet instant précis. Il ne plierait pas devant la menace. Il avait peut-être l'air fou, les yeux exorbités, la bave aux coins des lèvres et un rire à glacer le sang qui ne voulait pas se tarir. Il évacuait son stress, sa peur aussi et le trop plein de tout ce qu'il pouvait ressentir à ce moment présent. Ses nerfs lâchaient, indubitablement et il ne fit rien pour les retenir. Si cela pouvait effrayer Sasha, si cela pouvait mettre mal à l'aise son tortionnaire alors ce serait déjà ça de pris. Il se calma lorsqu'il vit la blonde s'approcher et s'agenouiller à côté de lui, elle releva la manche de sa robe de sorcier et il tenta de se débattre autant qu'il put, malgré les liens qui le retenait. Il sentit la douleur lui vriller le bras avant de voir le sang couler.

Il ferma les yeux, inspirant profondément pour refouler la sensation de brûlure et le tiraillement violent qui pulsaient dans son bras. Ce n'était rien en comparaison de la douleur qu'il avait ressentie précédemment, mais il pouvait sentir son sang couler le long de son coude. Le liquide chaud glissait sur sa peau albâtre pour venir irriguer le sol dur et sec de l'hiver. Il devait bien admettre qu'il avait abandonné, il encaissait sans broncher, attendait la suite. Parce qu'il était clair qu'elles n'en avaient pas terminé avec lui. Il ne chercha pas à ramener son bras contre lui, le laissant inerte au sol alors que le sang s'écoulait de chacune des lettres gravées dans sa chair. Il avait été souillé bien plus intimement que s'il avait simplement eu à subir leur torture. Il était marqué. A vie. Ce n'était pas sa première cicatrice mais même Ulrich n'avait jamais été aussi loin dans la perversion.

La vague de torture le cueillit à nouveau, le surprenant. Il aurait cru avoir un temps de latence plus importante avant qu'elle ne vienne s'insinuer en lui. Il ne put retenir un cri déchirant sous la souffrance. Les épines s'enfoncèrent encore plus profondément en lui si c'était possible. S'enfonçant dans ses poumons, il étouffait, il allait se noyer dans son propre sang. Ou du moins, c'était l'impression qu'il avait. Il eut un haut le cœur et vomit autant qu'il cracha ce qui lui sembla être son propre sang. Le temps semblait s'être arrêté sous l'intensité de la douleur, il ne put dire si le supplice avait durée de longue minutes ou au contraire quelques secondes. Son esprit se perdait entre deux eaux, sa conscience l'abandonnant puis revenant. Il mit un certain temps à comprendre que c'était terminé. Il posa un regard vitreux sur sa tortionnaire. Toujours cette même question. Il rassembla le peu de force qu'il possédait encore et lui cracha au visage. Ce sera là, sa seule réponse.

Il ferma les yeux, il souhaitait rejoindre la douce torpeur qui lui tendait les bras. Il voulait se laisser aller dans son étreinte accueillante. Une violente gifle le fit revenir, il avait la joue en feu mais ce n'était rien qu'une douleur de plus à ajouter au reste de son être. Il tourna le regard sur la blonde, la fixant sans aucune émotion. Il ne ressentait plus rien. Elle pouvait bien lui faire ce qu'elle voulait à présent. Il songea également qu'elle devait être tombée bien bas pour obéir aux ordres d'une adolescente dérangée. Qu'est-ce que Sasha lui avait promis ? Lui faisait-elle du chantage ? Cela ne l'aurait même pas surpris venant de la Serpentard. Elle était vicieuse et malfaisante. Il laissa échapper un soupir de lassitude, attendant la nouvelle vague de douleur qui n'allait pas tarder à le frapper. Il n'avait rien dit, elle tenterait sans doute de le convaincre à nouveau de parler par une nouvelle salve de souffrance. Rien ne vint. A la place, elle se pencha à son oreille et murmura des paroles que lui seul pouvait entendre.

"Kathrina subira le même sort que toi si tu ne parles pas. Imagine ta sœur se tordre de douleur sur le sol glacé. Tu crois qu'elle tiendra combien de temps avant de devenir folle ?"

Le sang d'Ahren ne fit qu'un tour, il était parfaitement conscient à présent. Il tira sur ses liens pour tenter de les briser. En vain.

"Je vous tuerais."

Sa voix claqua dans le froid sec de la ruelle alors que la femme se mettait à rire froidement.

"C'est ce qu'on verra", ricana-t-elle en lui tapotant la joue. "Donne-moi le nom de tes complices ou elle est la prochaine."

Les poings du Serdaigle se serrèrent de rage. Il avait échoué. Encore une fois. Il ne pourrait pas la protéger. Le visage de sa jumelle dansa devant ses yeux, se superposant au visage enjoué de Blair et à celui plus renfrogné de Noah. Il ne pouvait pas les trahir. Il refusait de les vendre. Mais... la vie de Kat était en jeu. Il ferma les yeux et poussa un soupir d'abattement. Il rendait les armes, s'avouant vaincu. Il n'avait pas le choix de toute manière.

"Andrew Dubois", lâcha-t-il dans un souffle. "Et ses amis Paul et Gowan", la honte lui fit détourner la tête. "Ce sont les leaders."

Peut-être qu'elle se satisferait de trois noms. Et elle était incapable de pénétrer son esprit pour aller vérifier s'il disait la vérité ou non. Il n'aurait jamais vendu Blair et Noah. Il détestait Andrew et c'était surtout le meilleur ami de Sasha. Mais c'était aussi un Gryffondor fier et arrogant. Tout à fait le genre à entrer dans un mouvement de résistance pareil. Il aurait pu parler de Cindy mais alors la supercherie aurait été trop évidente. Ahren plongea son regard dans celui de Sasha, son mensonge en tête plus que jamais, feintant l'abattement d'avoir dû dénoncer ses camarades. Mais surtout, il faisait passer toute la haine qu'il ressentait pour elle et tout le dégoût qu'elle lui inspirait. Il n'eut aucune pensée pour Andrew et ses amis qu'il venait peut-être de condamner. Il ne les avait jamais aimés de toute manière. Et il espérait peut-être aussi que Sasha n'irait pas jusqu'à vendre son meilleur ami. Peut-être restait-il au fond d'elle un morceau d'humanité. Dissimulé bien profondément mais que seul Andrew saurait réveiller. Du moins, il l'espérait.

Il sentit son esprit s'embrumer alors que la douleur avait raison de lui, il se sentait faible et envahit par une lourdeur, il savait qu'il n'allait pas tenir très longtemps avant de s'enfoncer dans l'inconscience. Il ne demandait finalement que ça...

Sasha suivait des yeux les minces filets de sang qui s'écoulaient entre les escarpins de la jeune femme dont Alessandro avait temporairement pris l'apparence. Le liquide sombre glissait entre les pavés, dessinant des formes géométriques morbides sous le regard fasciné de l'adolescente. Lorsque le garde du corps eu fini son travail, elle se pencha légèrement sur le côté pour observer la plaie. La peau de son camarade avait rougi et son bras était gonflé mais on distinguait malgré tout les lettres sanglantes : POISON. Une blessures relativement similaire à la cicatrice que lui avait dévoilé Casey quelques mois plus tôt. Elle aurait aimé pouvoir lui montrer. Elle aurait voulu qu'il voit comment elle utilisait ses confidence pour son propre compte, elle aurait voulu pouvoir planter son regard dans le sien et lui demander "Et maintenant, tu me déteste ?". Elle voulait sa haine peut-être encore plus qu'elle n'avait voulu son affection. Elle voulait qu'il la craigne, qu'il la redoute au point de penser à elle en permanence.

Elle était particulièrement fière du résultat atteint par Alessandro mais ils n'avaient toujours pas obtenu le moindre aveu de la part du Serdaigle et le temps commençait à presser. Chaque minute qui passait était un risque supplémentaire que quelqu'un débarque dans la petite cour pavée et les surprenne. Elle ne doutait pas de la capacité du garde-du-corps à neutraliser n'importe quel élève curieux mais elle aurait préféré s'éviter le dérangement. Le sortilège de torture frappa de nouveau leur victime avec une force décuplée et Sasha observa son silence avec une contrariété teintée d'admiration. Jamais elle n'aurait soupçonné une telle capacité de résistance chez son camarade, qu'elle avait fait l'erreur de sous-estimer.

Ahren, lui, avait fait l'erreur de provoquer Alessandro, d'abord en lui crachant au visage puis en affirmant qu'il le tuerait. Sasha vit alors la jeune femme blonde se pencher à l'oreille d'Ahren et devina que le tortionnaire avait finalement changé de technique. Elle l'avait briefé au sujet d'Ahren en prévision de cet après-midi et et il disposait de toutes les informations nécessaires pour formuler des menaces très précises à l'encontre du Serdaigle et de sa famille. C'était bien moins spectaculaire qu'un numéro de torture, mais potentiellement plus efficace. Elle ignorait ce qu'Alessandro avait murmuré à l'oreille d'Ahren mais cela suffit à lui arracher des aveux.

"Andrew Dubois. Et ses amis Paul et Gowan. Ce sont les leaders.
- Non ! Il ment !" répliqua-t-elle aussitôt, alors-même qu'elle s'adressait plus à Ahren lui-même qu'à Alessandro.

Il disait ça uniquement pour l'embêter, parce qu'il savait qu'Andrew et elle étaient proches. Ses paroles n'avaient aucune valeur, il était menteur et manipulateur. Elle n'aurait pas dû leur accorder le moindre crédit, elle aurait du rejeter cette dénonciation en bloc et refuser d'y croire, pourtant le doute s'insinuait déjà dans son esprit. Et plus elle y pensait plus cela lui paraissait possible, et même probable. Elle ne put que se souvenir de sa première dispute avec Andrew, au sujet d'Ana Sorden, qui trouvait un écho particulier aujourd'hui. Il avait toujours eu un côté rebelle, et une tendance à voir de l'injustice et de l'oppression partout. La possibilité qu'Ahren puisse dire la vérité la frappa douloureusement et elle le détesta bien plus à cet instant que lorsqu'elle avait cru qu'il mentait.

Elle lui renvoya son regard haineux, hésita un instant à demander à Alessandro de reprendre la torture jusqu'à ce qu'elle obtienne de nouveaux noms, mais céda face à la peur que cela ne se produise jamais. Peut-être qu'Ahren ne leur livrerait personne d'autre parce qu'il avait déjà dénoncé tous ses complices.

"On n'a plus le temps, constata-t-elle simplement avant de se tourner vers Alessandro, résignée. Tu peux lui effacer la mémoire, je vais chercher la gamine." Ils devaient également effacer la mémoire de la jeune Taylor qui les avait aidé à amener Ahren jusqu'ici.

Le visage fermé et les sourcils froncés par la contrariété, Sasha fit quelques pas en direction d'Ahren, toujours allongé à même le sol, presque inconscient, déçue à l'idée qu'il ne se souviendrait jamais de cet instant.

"A bientôt, Ahren".

Elle ne savait ni quand ni comment mais un jour elle lui ferait payer son affront. Elle n'en avait pas fini avec lui.