Jamais deux sans trois [PV Sofya & IgnaciooOOo]

Un rayon de soleil filtrait timidement à travers les rideaux et tombait directement sur le visage de Joséphine, qui ouvrit difficilement un oeil, puis l'autre. Elle reconnut immédiatement la chambre de Sofya et un sourire s'étira sur ses lèvres alors que les souvenirs de la soirée de la veille lui revenaient en mémoire. Elle s'étira paresseusement et se tourna vers la droite. Son regard se posa sur le visage encore endormi de sa petite-amie et glissa le long de son épaule dénudée. Elle contempla un moment ses boucles blondes désordonnées, ses lèvres charnues et ses longs cils qui se détachaient sur sa joue, et se rappela la chance qu'elle avait de se réveiller chaque matin à ses côtés. Elle se pencha doucement vers elle et déposa un baiser sur sa pommette.

"Bonjour," souffla-t-elle alors que la comédienne ouvrait les yeux."

Sentant un mouvement dans son dos, la danseuse se tourna sur sa gauche et adressa un sourire à Ignacio qui émergeait aussi du sommeil. Elle tendit la main dans sa direction et effleura sa mâchoire du bout des doigts.

"Bien dormi ?"

Ce n'était pas la première fois qu'ils se réveillaient tous les trois dans le même lit et, si elle était honnête, Joséphine dormait rarement aussi bien qu'entourée de Sofya et Ignacio. Elle aimait sentir la présence de leurs corps à ses côtés, cela l'apaisait. Elle ne savait plus exactement à quel moment ce plan à trois était devenu une habitude, mais elle ne s'en plaignait pas. Sofya et elle avaient commencé par inviter le barman à se joindre de nouveau à elles, un soir dans les coulisses, puis la semaine suivante il les avait accompagné jusque chez Joséphine, et désormais il était assez fréquents qu'ils passent la nuit tous les trois. La danseuse était bien incapable de définir leur relation, qui lui semblait avoir dépassé le stade purement sexuel, mais cela lui convenait parfaitement ainsi.

Joséphine se redressa un peu et étira ses bras au-dessus de sa tête, à la recherche du courage nécessaire pour ne pas rester au lit toute la journée. Mais elle n'avait pas besoin de courage, elle avait besoin de café.

"Je vais préparer le petit-déjeuner !" annonça-t-elle dans un sursaut de motivation avant de se glisser en dehors du lit, en enjambant précautionneusement Ignacio.

Après un passage rapide dans la salle de bain, où elle emprunta un peignoir en satin à Sofya pour se couvrir un peu, elle se dirigea vers la petite cuisine et ouvrit les placards un à un, à la recherche d'un paquet de café. En vain. Elle vérifia une seconde fois, consciente qu'elle n'était peut-être pas suffisamment réveillée, mais dut faire face à la terrible réalité : il n'y avait pas de café. A vrai dire, il n'y avait pas grand-chose. Elle ne pouvait toutefois pas se permettre de juger Sofya sur ce point : elle même n'avait pratiquement rien à manger chez elle. Elle avait récemment commencé à rangers ses bijoux et accessoires dans ses placards de cuisine. Il fallait dire qu'elle passait de moins en moins de temps chez elle, et de plus en plus chez Sofya, mais les deux jeunes femmes cuisinaient rarement et préféraient généralement manger dehors.

Dépitée, Joséphine revint jusqu'à la chambre et s'appuya contre le chambranle de la porte, luttant contre l'envie d'aller se recoucher.

"L'heure est grave, annonça-t-elle avec un soupir. Il n'y a plus de café."

Sofya émergeait tout doucement d'un sommeil profond depuis de longues minutes. Elle flottait dans cet état indéfinissable qui caractérisait l'éveil, entre songe et réalité, et gardait les paupières obstinément close comme pour tenter de retenir cette bribe de rêve qui commençait à s'échapper. Confortablement blottie contre Joséphine sous ses draps doux, elle se sentait envahie d'une sensation de bien-être absolu, tandis que son esprit se complaisait entre les souvenirs oniriques de la nuit passée. L'imaginaire vif de la comédienne avait visiblement été stimulé par les évènements de la veille, qu'elle avait prolongés dans un rêve tendre. Rien que d'y repenser, elle en avait encore des papillons à l'estomac.

Sentant l'ourlet des lèvres de Joséphine qui venaient effleurer sa joue, elle se résolut à ouvrir des paupières paresseuses, pour la gratifier d'un long regard. Sofya répondit à son bonjour par un sourire doux, qui s'accentua lorsque Joséphine se retourna pour saluer le dernier membre de ce trio. Son lit n'avait jamais été aussi rempli, songea Sofya avec une pointe d'amusement, avant de soupirer de contentement. Elle aimait voir son petit appartement aussi rempli. Encore étourdie de sommeil, elle salua intérieurement la motivation subite de sa petite-amie, visiblement beaucoup plus réveillée qu'elle. Encore peu disposée à quitter la chaleur du lit, elle s'étira comme un chat puis roula sur la place toute chaude laissée par Joséphine, pour venir se blottir  paresseusement contre Ignacio. Elle glissa une jambe entre les siennes et posa la tête contre son épaule, tandis que sa main venait caresser distraitement son torse. Merlin, elle ne se lassait pas de ces abdos, songea-t-elle en rougissant intérieurement des pensées peu avouables qui envahissaient son esprit. Pourtant, cela faisait plusieurs fois désormais que les trois sorciers réitéraient leurs exploits de la loge privée des Folies, mais Sofya ne s'habituait toujours pas tout à fait à considérer Ignacio de cette façon - et tant mieux, elle appréciait cette excitation qui accompagnait la nouveauté. Qu'une telle alchimie puisse exister entre trois personnes était quelque chose auquel elle ne s'attendait certainement pas...

"Bonjour", souffla-t-elle en posant sur Ignacio un regard enjôleur, avant de se redresser pour déposer un baiser tendre sur ses lèvres. Des relations sexuelles n'excluaient pas un peu de douceur, pas vrai ?

Le son léger des pieds nus de Joséphine qui faisaient craquer le parquet attirèrent son attention, et elle se retourna pour aviser la danseuse qui les observait sur le pas de la porte. La nouvelle terrible qu'elle leur annonça provoqua une moue boudeuse chez Sofya, qui s'en voulut à elle-même. Pourquoi n'avait-elle jamais rien dans ses placards ? D'accord, elle ne mangeait que très rarement sur place, ou alors des plats à emporter, mais la voici bien embêtée pour une fois qu'elle avait, non pas une, mais deux invités ! Oui, car la comédienne entendait bien retenir Ignacio le temps du petit déjeuner, si jamais il lui prendrait l'envie de s'en aller sur la pointe des pieds. Ils étaient tous les trois de repos aujourd'hui, alors autant en profiter, or Sofya réalisa qu'elle n'avait pas envie de prolonger uniquement la nuit à deux, mais bien à trois.

Sans trop s'attarder sur cette impression, elle repoussa le drap à regret, et répondit d'une voix un peu enrouée : "Hmm... Je vais aller en chercher. Après la nuit dernière, il nous faut terminer en beauté par un bon petit déjeuner, c'est impératif."

Elle sortit à son tour du lit, dans son plus simple appareil, puis se dirigea jusqu'à sa grande armoire en bois clair. Par un geste miraculeux que le commun des mortels n'aurait su réaliser, elle parvint à extirper de cet amas de vêtements chamarrés la robe fauve en lin qu'elle désirait porter, et s'en drapa rapidement.

"Soyez sages", glissa-t-elle à l'intention de ses deux amants, qu'elle gratifia d'un clin d’œil espiègle avant de s'éclipser en direction de la salle de bain. Sofya posa les deux mains sur le rebord du lavabo et s'immobilisa l'espace d'un instant dans le miroir. Ses cheveux désordonnés après la nuit passée formaient un halo autour de son visage. Un sourire flottait sur ses lèvres, qu'elle n'avait même pas conscience d'arborer. Elle se trouva belle, légèrement différente, plus jeune peut-être, comme si une lueur nouvelle brillait dans son regard. Bah ! c'était dans sa tête, songea-t-elle en attrapant sa brosse en bambou parmi les tubes de maquillage et les flocons de parfum qui occupaient le lavabo. Après avoir donné quelques coups de brosse dans sa chevelure et enfilé une cape chaude et une paire de bottes, Sofya s'échappa de l'appartement, non sans avoir attrapé sa bourse et sa baguette magique au passage - dans la cité confinée qu'était Bristol, on n'était jamais trop prudent.

L'air frais de cette matinée lui fouetta le visage et acheva de dissiper les dernières bribes de sommeil. Elle fit ses emplettes rapidement, souriante, juste pour elle, au souvenir de la nuit écoulée et à la pensée de la matinée qui l'attendait. Enfin, matinée décalée, mais c'était bien là l'avantage de fréquenter des collègues : ils étaient sur le même rythme hautement décalé qu'elle.

Elle s'empressa ensuite de regagner la petite bulle que constituait son appartement, impatiente de retrouver Joséphine et Ignacio.

"J'ai trouvé plein de bonnes choses", annonça-t-elle à la volée, en traversant le salon pour regagner la petite cuisine, où elle déposa son sac empli de provisions : trois paquets de café, du pain frais, une nouvelle boîte d’œufs, des petites saucisses, une boîte de haricots rouges, de la farine, du lait, du sirop d'érable, une petite barquette de fruits rouges. Ce n'était pas de saison et ils étaient très certainement élevés sous serre enchantée, mais elle n'avait pas su résister à cette envie de sucré...

Ignacio dormait profondément, dans un lit qui n’était pas le sien, son bras paresseusement passé autour d’un corps chaud. Il sentit du mouvement autour de lui et ouvrit un œil pour observer Joséphine tendre une main vers lui et lui effleurer doucement la mâchoire. Il répondit par un grognement plus ou moins affirmatif à sa question et la laissa quitter le lit sans faire le moindre mouvement pour la retenir ; il n’avait pas la force, pour le moment, d’esquisser le moindre geste. Ce ne fut que lorsque Sofya vint se blottir contre lui qu’il parvint à ouvrir les yeux pour l’observer un instant, sa main caressant doucement la courbe de ses hanches. Il lui rendit son sourire et répondit à son baiser, avant d’en déposer un, à son tour, sur son épaule dénudé.

Ce n’était pas la première fois qu’il se réveillait avec les deux femmes dans un même lit ; à vrai dire, cela arrivait de plus en plus fréquemment ces derniers temps. Et il devait bien avouer qu’il n’était pas du tout réfractaire à l’idée de passer du temps avec Joséphine et Sofya, qu’il appréciait particulièrement. Ils avaient, au début, partagé des moments purement charnels puis, doucement, quelques instants de tendresse, de vie quotidienne, s’étaient immiscés entre eux, sans que ni l’une, ni l’autre, ni lui, ne cherchent à les empêcher.

Les pas de Joséphine sur le sol lui firent relever un peu la tête, alors qu’elle leur annonçait un bien triste sort. Ignacio buvait du café en grandes quantités depuis plusieurs années – c’était la seule façon qu’il avait trouvé pour compenser son horloge interne souvent déréglée par son rythme de vie. En bon américain qu’il était, il aimait se moquer des anglais et de leur thé adoré, notamment parce qu’il n’avait jamais compris l’intérêt de boire de l’eau chaude dans une tasse.

« C’est un problème. » confirma-t-il.

S’il y avait bien toujours une chose dans les placards vides d’Ignacio, c’était du café. La nourriture, à côté, était accessoire.

Heureusement, Sofya prit les choses en main et se décida à sortir faire des courses pour qu’ils puissent tous les trois profiter d’un petit-déjeuner assez consistant pour les remettre de leurs folies de la veille. Ignacio salua ses efforts de petits applaudissements, alors que la comédienne se levait et s’habillait. Elle ne tarda pas à partir après une petite recommandation qui tira un sourire à Ignacio – et qui s’agrandit encore lorsqu’il avisa le peignoir en satin de Joséphine. Il fit l’effort de se lever, enfila un caleçon noir et s’approcha de la danseuse en souriant.

« Tu es magnifique. » souffla-t-il en détaillant ses cheveux en bataille et sa tenue, pourtant simplissime, et bien loin de celles qu’elle revêtait habituellement en journée.

Il l’attira contre lui et se pencha pour capturer ses lèvres en un long baiser, qui n’avait rien de véritablement sage. Il se sépara d’elle à regret après quelques instants, un peu incertain de ce qu’ils pouvaient faire tous les deux, quand l’une des deux femmes manquait à ce trio. Il préféra choisir la prudence et attira Joséphine dans la cuisine pour inspecter les placards de Sofya, qui revint quelques minutes plus tard, chargée de délicieuses vivres qu’elle s’empressa de sortir d’un sac. Ignacio les observa un instant, et lança avec un sourire en coin.

« Heureusement que je suis américain. » commenta-t-il. « Parce que n’importe quel anglais vous aurait transformé ça en pudding à peu près immangeable alors que je suis capable de vous cuisiner les meilleurs pancakes au monde. »

Joignant le geste à la parole, il noua un tablier sur ses hanches et fouilla quelques minutes dans les placards de la comédienne pour trouver les ustensiles nécessaires à la réalisation de ses pancakes. Il cassa des œufs dans un saladier, ajouta la farine, le sucre, le lait, le beurre et la levure, et entreprit de mélanger le tout avec un geste énergique.

« Je suis plutôt content qu’on soit entre émigrés ce matin, parce qu’il est impossible de faire entendre raison aux anglais sur leur cuisine. » plaisanta-t-il. « Et ne me lancez pas sur les écossais et leur haggis… »

"Notre sauveuse !" commenta Joséphine alors que Sofya se portait volontaire pour aller acheter de quoi faire un petit-déjeuner.

Le regard de la danseuse caressa le corps dénudé de sa petite-amie alors que celle-ci sortait du lit pour se diriger vers son armoire, avant de les abandonner Ignacio et elle non sans une dernière recommandation. Joséphine n'eut qu'à croiser le regard du barman pour savoir qu'il n'avait que moyennement envie de suivre cette consigne. Un sourire s'étira sur ses lèvres en réponse au compliment d'Ignacio. C'était quelque chose que ses clients lui disaient beaucoup, une fois satisfaits, mais cela n'avait pas la même saveur quand cela venait de quelqu'un qu'elle appréciait réellement.

Elle se laissa attirer contre lui et se hissa sur la pointe des pieds pour pouvoir répondre à son baiser, qui n'avait rien de sage. Un instant, elle éprouva l'envie de le pousser sur le lit pour rejouer leurs étreintes de la veille, mais elle se ravisa en pensant à Sofya. Elles n'avaient pas mis de mots sur leur relation avec Ignacio. Il n'y avait pas de règles, mais Joséphine craignait malgré tout de les enfreindre en s'autorisant ce genre d'écarts en l'absence de sa petite-amie. Ils pourraient toujours se rattraper plus tard, tous les trois.

Ignacio semblait être arrivé à la même conclusion qu'elle puisqu'il l'attira dans la cuisine où il commença à inspecter les placards désespérément vides de Sofya.

"Je me serais bien moquée, mais les miens sont dans le même état !"

Joséphine venait de se hisser sur le bord du comptoir derrière elle, ses jambes battant le vide sous ses pieds, quand Sofya franchit la porte de la cuisine, les bras chargés de provisions. La danseuse remarqua immédiatement la barquette de fruits rouges et elle tendit le bras pour attraper une framboise.

"Je goûte pour vérifier qu'elles ne soient pas empoisonnées !" se défendit-elle face à ses partenaires.

Son regard faussement innocent se transforma en un sourire appréciateur lorsqu'Ignacio proposa de leur cuisiner les "meilleurs pancakes du monde". C'était une proposition qui ne se refusait pas. Et la vision du barman des Folies, torse nu, avec un tablier noué autour des hanches, était loin d'être désagréable. Tout en observant les gestes experts de leur chef du jour, elle se pencha pour attraper la main de Sofya et l'attirer contre elle, l'emprisonnant entre ses jambes le temps de déposer un baiser sur ses lèvres. Son regard passa de Sofya, la russe, à Ignacio, l'américain, quand ce dernier fit remarquer qu'ils étaient entre émigrés, ce matin.

"Oh, ne me lance pas sur la cuisine anglaise ! répondit-elle en riant à sa remarque sur la gastronomie britannique. Pour peu que l'on puisse parler de gastronomie. Jamais tu ne me feras avaler de pudding, jamais !"

Joséphine évitait de trop s'en plaindre parce qu'elle ne voulait pas nourrir les rumeurs selon lesquelles les français seraient des snobinard incapables d'apprécier une autre gastronomie que la leur. C'était parfaitement faux, et puis ce n'était pas de leur faute si leur cuisine était de loin -très loin- bien meilleure que celle de leur voisins anglais.

"Il y a un restaurant français qui a ouvert à Léopoldgrad il n'y a pas longtemps ! Tu sais, celui dont je t'ai parlé, précisa-t-elle à l'intention de Sofia. Il est excellent, il faut absolument qu'on y aille un soir ! Emportée par l'excitation, elle avait inclu Ignacio dans ce projet sans même s'en rendre compte. Je pourrai aller diner là-bas juste pour leur pain..."

La danseuse souffrait du mal typique du français à l'étranger : l'absence de baguettes.

Sofya resta quelques secondes interdites face à la vue d'Ignacio, torse nu, qui ceignait ses reins de son tablier. Son imagination se mit à tourner à plein régime, lui suggérant toutes sortes de choses qu'ils pourraient faire dans cette cuisine qui n'aurait pas grand chose à voir avec de la nourriture - quoi que... - mais son estomac émit un grognement plaintif qui tempéra ses ardeurs. En réalité, les trois amants avaient très peu dormis cette nuit, alors qu'elle avait déjà sauté le repas après une soirée à jouer sur scène. Elle s'était contentée de quelques verres de la bouteille de Chardonnay que Joséphine avait amené, et dont le cadavre trônait désormais sur le plan de travail. Voilà pourquoi la comédienne salivait d'avance à la pensée des pancakes à la Ignacio qui allaient bientôt apaiser sa faim...

Son attention fut détournée des muscles d'Ignacio par la main de Joséphine qui l'attirait à elle. Sofya se laissa bien volontiers emprisonner dans ses jambes dénudées et noua ses doigts aux siens, tout en lui rendant son baiser avec tendresse. Sa main se mit à courir sur la cuisse de la jeune femme en une caresse osée, qu'elle retint néanmoins d'approfondir - ce n'était décidément pas le moment. Envahie par une véritable sensation de bien-être, Sofya s'appuya contre Joséphine et laissa sa tête reposer contre son épaule, écoutant silencieusement sa conversation avec Ignacio.

En tant que russe, elle ne pouvait qu'approuver leurs dires. S'il y avait bien un sujet sur lequel tous les immigrés s'entendaient, c'était bien celui-ci : il était très compliqué de se faire à la gastronomie britannique. D'ailleurs, ils passaient leur temps à se nourrir dans des restaurants de toutes les origines, sauf celle du pays en question, comme en témoignait la proposition de Joséphine.

"Excellente idée", répondit Sofya avec un sourire tendre face à l'enthousiasme de Joséphine. Elle savait que sa petite-amie serait fière de leur faire découvrir ce bon restaurant de son pays d'origine, car ce n'était pas la première fois qu'elle l'évoquait.

"Oui et il faut absolument qu'on te nourrisse de bon pain une fois de temps en temps, sinon tu risques de te désintégrer", la taquina-t-elle avec tendresse, avant d'ajouter : "Je suis partante pour réserver un de ces soirs. Personnellement je suis de repos de mercredi à vendredi soir, si ça vous dit !"

Elle réalisa alors que la proposition impliquait Ignacio, pour une activité qui n'avait rien, pour cette fois, de sexuelle. Avaient-ils le droit de faire ça ?, songea-t-elle en tournant vers Joséphine un regard incertain. Mais après tout, si cela leur faisait envie et si cela leur était venu si naturellement, pourquoi pas ? Elle réalisa, non sans une certaine surprise, qu'elle avait envie d'inclure Ignacio dans ce qui aurait dû s'apparenter à un rendez-vous romantique avec Joséphine. Bien sûr, la perspective d'une soirée seule avec la belle danseuse l'enthousiasmait toujours autant, mais quelque chose lui soufflait que d'ajouter Ignacio à cette soirée pourrait la rendre réellement spéciale.

Peut-être, cependant, que leur partenaire ne partageait pas cette impression, il n'avait jamais donné son accord pour faire autre chose que des galipettes, après tout.

"Est-ce que ça te tente de venir avec nous ? Sinon, promis, on ne se vexera pas", s'enquit-elle pour lui laisser la possibilité de refuser poliment. Bon, à défaut de se vexer, elles seraient sûrement un peu déçues, mais elles s'en remettraient...

Ignacio mélangeait énergiquement les différents ingrédients dans un saladier qu’il avait trouvé dans un des placards de Sofya. Il lui semblait que sa cuisine n’était guère plus utilisée que la sienne, ce qui eut don de lui tirer un sourire. Ignacio était rarement chez lui, à Oxford. Il passait une bonne partie de ses nuits aux Folies Sorcières derrière son comptoir et, lorsqu’il avait une nuit de libre, il préférait la passer hors des quatre murs de son appartement. Sa cuisine était purement décorative, bien qu’Ignacio appréciait de passer derrière les fourneaux de temps en temps, quand il en venait à ne plus supporter la nourriture anglaise.

On disait souvent que les américains n’étaient pas de fins gastronomes, et il pouvait le concevoir. Mais, par Merlin, au moins, ils ne mangeaient pas de pudding à tous les repas, ou du haggis pour le petit déjeuner – certes, ce plat était écossais, mais il s’agissait plus ou moins de la même zone géographique du mauvais goût culinaire. Ses petits penchants pour les pop-corn bacon-caramel, à côté de ça, semblaient bien plus inoffensifs.

Evidemment, Joséphine, en bonne française, devait être habituée à une gastronomie bien plus fine, aussi Ignacio ne put retenir un sourire lorsqu’elle s’enthousiasma sur un restaurant français qui venait d’ouvrir à Leopoldgrad et dans lequel, disait-elle, ils devaient impérativement se rendre… Ils ? Ignacio relever sur elle un regard curieux. « On » comme dans « Sofya et moi » s’expliqua-t-il en se concentrant sur la préparation de ses pancakes – il faisait présentement chauffer la poêle. Mais Sofya renchérit immédiatement, en leur demandant leurs disponibilités… A tous les deux.

Voilà une situation légèrement incongrue, songea Ignacio. Depuis cette première fois, dans les vestiaires des Folies Sorcières, Ignacio, Joséphine et Sofya s’étaient revus quelques fois tous les trois, mais toujours pour des moments placés sous le signe du désir et de plaisir partagé. Ils s’étaient endormis quelques fois les uns chez les autres, et cela ne s’était pas révélé gênant parce qu’ils se connaissaient tous plus ou moins bien, mais un dîner au restaurant, à trois, ce n’était pas la même chose… Notamment parce qu’il s’agissait d’un moment très connoté, réservé souvent aux couples… Et qu’Ignacio ne faisait pas partie du couple que formaient Sofya et Joséphine.

Il évalua la situation en quelques secondes en observant les deux jeunes femmes, l’air pensif. En effet, ils n’avaient jamais évoqué de potentiels « dîners au restaurant » tous les trois mais… Pourquoi pas ? Cela ne signifiait rien de plus qu’il avait envie de partager un moment peut-être un peu plus calme avec deux femmes qu’il appréciait, pour autre chose que les moments purement torrides qu’ils passaient ensemble. Sa décision fut rapidement prise, et il répondit à Sofya :

« Avec plaisir. Je suis de repos mercredi soir, moi aussi. » Puis, à l’attention de Joséphine : « En bon américain, je suis par contre obligé de critiquer la cuisine des mangeurs-de-grenouilles, sinon il paraît qu’on me retire ma nationalité. » la prévint-il avec un sourire amusé.

D’un geste savamment maîtrisé, il fit glisser deux pancakes d’une jolie couleur dorée dans deux assiettes et les enchanta pour qu’elles aillent se déposer sur la table.

« Et voilà ! » Rapidement, une montagne de pancakes les attendaient, fumants, répandant une odeur délicieuse dans l’appartement bristolien de Sofya. Il posa sur les deux femmes un regard taquin. « Je pense qu’après avoir goûté ça, vous ne pourrez tout simplement plus vous passer de moi. Je préfère vous prévenir. » fit-il en haussant les épaules.

Sofya remplit un vase translucide d'eau tandis qu'Ignacio faisait léviter ses pancakes fumants jusqu'à la table ronde en bois clair. Elle suivit ses deux amants dans la salle à manger, et entreprit de faire le tour de la pièce pour arroser la petite dizaine de plantes en pot qui y vivaient. Sofya aimait beaucoup ses plantes et les soignait avec tendresse, elle leur donnait même à chacune un petit nom. Pourtant, aujourd'hui, elle leur prêta une attention distraite, concentrée sur la conversation entre Joséphine et Ignacio. Déposant son vase vide à même le sol à côté de sa fougère, elle médita quelques instants sa fébrilité intérieure, en s'adonnant à la contemplation des rayons de soleil qui filtraient à travers la fenêtre pour venir jouer avec les feuilles vertes.

"C'est noté pour mercredi, alors", conclut-elle en tournant un visage souriant vers la tablée, qu'elle rejoignit finalement.

Sofya s'assit en tailleur sur sa chaise et se servit généreusement de sirop d'érable, avant de piquer un bout de pancake de la pointe de sa fourchette. L'odeur gourmande chatouilla ses narines avant même que le goût du pancake ne ravisse ses papilles. Joséphine sembla apprécier autant qu'elle, à en juger par sa blague qui s'acheva sur une question d'apparence innocente... mais l'était-elle vraiment ?

"Alors, prêt à renoncer à ta liberté ?"

Sofya suspendit sa fourchette à mi-chemin de sa bouche un instant, et jeta un coup d’œil en coin à l'intention d'Ignacio, curieuse de savoir ce qu'il allait répondre à cela. Joséphine tentait-elle de déclencher une conversation plus sérieuse avec cette question, ou bien plaisantait-elle simplement ? Sofya n'était pas certaine de savoir comment l'interpréter, mais pour ce matin, elle préférait rester sur un terrain plus léger, trop incertaine pour savoir ce qu'elle ressentait elle-même à cet égard...

"Hmm... c'est fabuleux", renchérit-elle alors, en tournant vers Ignacio un regard admiratif. "Je crois qu'on va être obligées de te séquestrer, en effet. Et peut-être même de t'attacher au lit, pour être bien sures..."

Son regard indolent s'était fait puis appuyé à cette remarque, et elle laissa son esprit vagabonder, en imaginant une façon agréable de dépenser les calories du petit déjeuner.

***

8 février 2011

Trois jours avaient passé depuis le dimanche matin ensoleillé qui avait vu Joséphine, Ignacio et Sofya se réunir autour d'un petit-déjeuner. Trois jours durant lesquels Sofya avait senti son enthousiasme et son impatience grandir à la pensée de cette soirée. Au cours de ses répétitions intensives et de ses soirées éreintantes sur la scène des Folies, elle avait conservé cette perspective agréable dans un coin de sa tête. Et, si elle avait pu profiter de quelques pauses pour obtenir un baiser volé de Joséphine dans le secret des coulisses, ou pour échanger un regard complice avec Ignacio derrière son comptoir, la comédienne devait se rendre à l'évidence : elle avait déjà hâte de les retrouver.

Mais les trois jours étaient passés, et voilà qu'elle se trouvait, revêtue d'une jolie robe rouge - celle que Joséphine aimait bien - et parfumée de son parfum préféré, enfin attablée avec sa petite-amie et leur amant dans ce fameux restaurant français. Après s'être retrouvés et avoir commenté la décoration des lieux, élégante et intimiste, ils avaient choisi une bonne bouteille de Vin des Elfes et se trouvaient prêts à trinquer.

"A nous", souffla Sofya en levant son verre, le regard brillant, pour l'entrechoquer avec celui de ses deux partenaires.

Ignacio esquissa un sourire amusé quand un serveur s’approcha d’eux avec une bouteille de vin, employant de grandes manières délicates pour le verser dans les trois verres à pied. Les français pouvaient bien critiquer les anglais sur leur gastronomie catastrophique, mais ils avaient en commun avec eux ces manières tantôt élégantes ou obséquieuses, dont Ignacio se moquait souvent.

Ce petit dîner au restaurant avait été décidé trois jours auparavant et, sans se poser plus de questions sur le caractère inhabituelle de sa présence dans une sortie normalement réservée aux couples, Ignacio avait rejoint Sofya et Joséphine vers dix-neuf heures pour dîner en leur compagnie. Ils appréciaient les deux jeunes femmes, cela faisait maintenant plusieurs années qu’ils se fréquentaient aux Folies Sorcières, alors ce n’était pas un dîner qui allait remettre toute leur relation en question. Ils allaient simplement passer un bon moment ensemble, comme toujours, et c’était tout ce qu’Ignacio attendait de cette soirée pourtant étonnante.

Il leva donc son verre avec un regard entendu et un sourire sur ses lèvres, et le fit teinter contre celui de Sofya puis contre celui de Joséphine, avant d’en boire une première gorgée et de savourer sa finesse. D’accord, il pouvait accorder aux français que leur vin était particulièrement délicieux. Il ne put cependant s’empêcher de taquiner son amie, les yeux baissés sur un menu à l’écriture délicate.

« Alors, qu’est-ce que tu me conseilles, Jo ? » demanda-t-il en relevant un regard narquois vers elle. « Parce que je sais que les français adorent vanter les mérites de leur cuisine, mais vous êtes aussi la seule nation qui, un jour, a vu des escargots et a songé qu’il serait particulièrement judicieux de les manger, alors permets moi d’émettre un léger doute… »

Joséphine se sentait tout à fait dans son élément, habillée d'une élégante robe beige, joliment coiffée, et installée dans un restaurant chic d'où s'élevaient quelques murmures de conversation en français. Cela faisait pourtant des années qu'elle ne fréquentait plus exclusivement ce milieu, mais elle y avait gardé ses habitudes et appréciait de s'y replonger régulièrement pour s'échapper d'un quotidien un peu moins éclatant. Elle s'y sentait d'autant plus à l'aise qu'elle s'y trouvait en compagnie de Sofya -absolument ravissante dans sa robe rouge- et d'Ignacio -dont la chemise claire faisait ressortir les yeux bleus. Depuis leur première nuit ensemble, il n'y avait aucune forme de gêne ou de malaise entre eux et elle appréciait de plus en plus les moments qu'ils passaient tous les trois.

Ils formaient ce soir un trio étrangement complice mais les autres clients semblaient trop occupés à détailler le menu du restaurant pour remarquer la drôle de danse qui se jouait à la table voisine. Joséphine avait tantôt sa main sur celle de Sofya, tantôt sur le bras d'Ignacio, alors que la pointe de son escarpin s'aventurait le long de la jambe du barman et qu'elle dévorait sa petite-amie du regard. Si le serveur fut surpris il n'en montra rien, et leur présenta la bouteille de vin avec un accent français légèrement exagéré qui tira un sourire amusé à Joséphine. Elle se porta bien évidement volontaire pour goûter le vin, qui était excellent.

"A nous," répéta-t-elle en faisant tinter son verre contre celui d'Ignacio, puis de Sofya.

Elle dégusta quelques gorgées du liquide pourpre avant de reposer son verre à pied pour s'emparer du menu à la calligraphie très travaillée. A la remarque d'Ignacio sur les escargots, la danseuse releva la tête et lui jeta un regard noir par dessus sa carte, trahie par un sourire amusé.

"On ne critique pas avant d'avoir goûté, Monsieur Walker ! répliqua-t-elle, faussement sévère. Tu es peut-être un amateur d'escargots qui s'ignore... A vrai dire, elle n'en était pas certaine, le palais des américains était vraiment irrécupérable. Hum, ça dépend, plutôt viande ou poisson ?"

Tous les plats avaient des noms un peu alambiqués qui les faisaient souvent paraitre bien plus complexes qu'ils n'y paraissaient, et l'ensemble du menu avait l'air très appétissant. Elle hésitait personnellement entre le "Saint-Pierre, avec sa déclinaison de céleri et crème de livèche" et la "Poitrine de pintade, oignons nouveaux, soubise et jus court".

"On pourrait commander trois plats différents et les partager ?"suggéra-t-elle en interrogeant ses deux partenaires du regard. Après tout, c'était un peu leur point fort, le partage.

Elle tendit le bras à travers la table et posa sa main sur celle de Sofya, qui semblait elle aussi hésiter face au menu.

"Besoin d'une interprète ?" s'enquit-elle avec un sourire espiègle.

En relevant la tête elle croisa le regard d'une grand-mère coiffée d'un béret ridicule, installée à la table voisine, qui les observait avec un mélange d'effroi et de dégoût. L'intolérance, comme la bêtise, n'avait malheureusement pas de nationalité.

Sofya prit le temps de savourer une longue gorgée de vin, faisant rouler le liquide dans son palais pour en détecter toutes les nuances. Elle reporta ensuite son attention sur la carte du restaurant, en pouffant à la taquinerie d'Ignacio. S'il y avait bien quelque chose que l'on ne risquait pas de lui faire avaler, c'était des escargots. Lorsque Joséphine affirma que le barman était peut-être un amateur d'escargots qui s'ignorait, la comédienne glissa un regard ouvertement sceptique à Ignacio, mais s'abstint de tout commentaire : peut-être était-il plus tolérant qu'elle, qui était-elle pour juger les gens désireux de grignoter un être vivant et gluant qui rampait sur la terre ?

Plus habituée aux petits restaurants de quartier aux plats du jour simple, Sofya tenta tant bien que mal de déchiffrer les noms complexes indiqués sur le menu, ses sourcils froncés trahissant sa concentration. Aussi, elle accueillit avec plaisir la proposition de sa petite-amie : "Excellente idée, j'ai envie de tout goûter !"

Ou plutôt, elle n'avait aucune idée de ce qu'elle s'apprêtait à goûter, ce dont Joséphine ne fut pas dupe, puisqu'elle s'empressa de lui proposer son aide de traductrice. Un sourire mutin s'étira sur les lèvres colorées de Sofya, avant de s'effacer lorsqu'elle suivit le regard de sa petite-amie. Allons-bon, il fallait croire qu'ils n'avaient pas été suffisamment discret : était-ce réellement la main de Joséphine, posée sur la sienne, qui leur valait ce regard horrifié ?

Elle claqua la langue contre son palais avec agacement, puis se détourna de la table voisine pour glisser la tête vers Joséphine et poser ses lèvres sur les siennes. Comme cela, il n'y aurait pas d’ambiguïté, songea-t-elle en chassant les pensées énervées que le regard intolérant de cette vieille femme aigrie avaient fait naître en elle. Elle n'allait tout de même pas leur gâcher la soirée !

"Je veux bien, ma chérie, merci. Il n'y aurait pas un plat végétarien ?", répondit-elle finalement en reportant son attention sur le menu. Sans être totalement végétarienne, Sofya s'efforçait de limiter le plus possible sa consommation de viande, car elle peinait à faire abstraction du fait qu'elle était en train de manger un animal.

Dans son dos, il lui sembla entendre quelques récriminations affolées de la vieille dame à son mari, qu'elle s'efforça d'ignorer.

"Je crois que nous avons choqué la table d'à côté...", souffla-t-elle en accrochant son regard aux pupilles glacées d'Ignacio, sur lesquelles elle tenta de se concentrer. Inutile d'aller provoquer un esclandre. "Et encore, elle ne connait pas nos professions. Vraiment pas sortable, ce trio-là", commenta-t-elle avec humour, en songeant qu'à eux trois, ils avaient amassé suffisamment d'anecdotes sordides ou inconvenantes pour provoquer une syncope chez la vieille femme - ce qui, tout bien réfléchi, n'était pas une si mauvaise idée.

"Tiens, quelle est la chose la plus gênante ou scandaleuse que vous ayez jamais fait en public ?", s'enquit-elle en promenant un regard curieux sur ses deux amants, persuadée qu'Ignacio aurait des histoires surprenantes à raconter. Elle écouta la réponse d'Ignacio tout en savourant son vin, délaissant définitivement l'examen du menu - elle faisait toute confiance à Joséphine.

« J’en doute, c’est contraire à mon ADN. » répondit Ignacio, pince-sans-rire. « Plutôt viande pour moi. » informa-t-il la danseuse, avant de baisser les yeux sur le menu.

Ignacio avait grandi aux Etats-Unis, où les grands restaurants français ne courraient pas les rues, et n’était de toute façon pas très adepte de grande cuisine – il vouait en revanche une véritablement passion aux pop-corn bacon-caramel. Il était plutôt intrigué des mets français dont il lisait les descriptions sur la carte, aussi approuva-t-il d’un hochement de tête la proposition de Joséphine, déjà validée par Sofya. Concentré à déchiffrer les lignes en français, Ignacio ne s’aperçut pas immédiatement du regard incendiaire d’une vieille femme attablée à côté d’eux. Il releva la tête au claquement de langue produit par Sofya, juste avant que cette dernière ne fonde sur les lèvres de sa petite-amie.

Ah. Ignacio observa un bref instant la vieille femme, qui avait l’air outré par une telle scène, et détourna tranquillement le regard, peu désireux d’attirer l’attention sur leur table. Il comprenait la volonté de Sofya et celle de Joséphine de s’afficher en tant que couple de femmes, en dépit du regard des autres. Pour être honnête, Ignacio ne se sentait pas particulièrement concerné par la question, déjà parce qu’il était lui-même hétérosexuel et ensuite parce qu’il n’avait jamais été réellement sensibilisé au sujet. Aussi, il préféra rebondir sur les propos de Sofya, un léger sourire aux lèvres :

« Je suis barman, Jo est danseuse et tu es comédienne. » fit-il remarquer en haussant les sourcils. « Pas de quoi provoquer un esclandre. »

Ils savaient, tous les trois, qu’il ne s’agissait pas complètement de la vérité et que leurs activités annexes étaient largement aussi importantes que les premières. Au sein de l’organisation des Veilleurs, personne ne savait véritablement ce que l’autre faisait, surtout pour des professions aussi sensibles que celles exercées par Sofya et Ignacio. On savait ce dernier membre des Veilleurs, sans trop savoir le rôle qu’on lui avait confié ; à part Roy et ses lieutenants, ainsi que Robin à qui il s’était ouvert, il n’était pas certain que d’autres membres soient au courant… Et ce n’était pas dans un tel lieu qu’il comptait révéler sa véritable profession. Son regard taquin accrocha celui de Joséphine :

« En plus, Joséphine est française, et les français sont toujours sortables. Ça aussi, c’est dans leur ADN. »

Avec les manières empruntées et leur snobisme pour toute autre gastronomie que la leur.

La question de Sofya fit relever la tête d’Ignacio, et il la considéra un instant avec un imperceptible sourire aux lèvres :

« Moi ? Je ne suis pas vraiment un homme à scandale. » lança-t-il avec un petit rire. Il resta pensif une brève seconde. « Cela dit, quand j’avais dix-huit, donc que je vivais encore à New-York et que je venais de finir Ilvermorny – c’est notre équivalent de Poudlard » précisa-t-il aux deux femmes, « je me suis réveillé un matin dans un bar, encore à moitié soûl. Mes meilleurs amis m’avaient laissé là, habillé d’une espèce de tunique rose beaucoup trop courte… » Un souvenir formidable. « Et ils m’avaient complètement rasé la tête. » Lui qui, avant, abordait une coupe à laquelle il tenait particulièrement. « Oui, je pense que les dix minutes de marche qui ont suivi furent particulièrement embarrassantes. » conclut-il simplement en avalant une gorgée de vin.