Broken hearts [Maeva & Noah]

Il y avait une pièce que les préfets partageaient et qui faisait moins jaser que leur salle de bains, c’était tout simplement leur pièce commune où ils passaient plus de temps. Ils s’y réunissaient quand les préfets-en-chef avaient besoin de partager des informations auprès des autres ou pour consulter le planning des rondes, mais ils l’utilisaient aussi beaucoup comme une salle de pause, beaucoup moins bruyante que leurs salles communes respectives. Le lieu était plutôt agréable, une petite pièce circulaire qui occupait un des étages de la tour d’Astronomie, avec plusieurs tables et canapés en cuir et une bibliothèque encastrée dans une partie du mur. L’agence Laveau&Wells avait récemment fait poser un parquet neuf, dans le cadre de la rénovation de Poudlard, ce qui ajoutait une petite touche de confort plutôt plaisante.

C’était l’une de ces pièces du château où Noah voyait le fantôme de Maeva partout. Depuis leur nomination en tant que préfets en cinquième année, il avait passé tellement de temps avec elle dans cet endroit, à bavarder, à rire des matchs hasardeux sur le planning des rondes, à s’aider mutuellement dans leurs devoirs, à s’allonger de tout leur long sur les canapés de la pièce, car ils ne pouvaient guère le faire dans leur salle commune. Combien de fois s’étaient t-ils amusés à regarder par la fenêtre pour commenter ensemble les entraînements de Quidditch sur lesquels ils avaient un morceau de vue ? Combien d’heures avaient-ils passés à partager des ragots croustillants sur les autres préfets, près de la cheminée qui trônait dans un coin de la pièce ? Combien de fois Maeva avait-elle pris place sur ses genoux, alors qu’il était assis sur ce fauteuil près de la bibliothèque, pour avoir un câlin ou un baiser ? Noah ne les comptait plus mais se rappelait avec précision de chacun de ces moments, comme s’ils dataient d’hier. Pour certains, c’était le cas : avant les vacances de Noël, ils parcouraient encore ce château, main dans la main, en parlant de tout et de rien.

Noah n’avait pas seulement perdu sa petite amie, il avait perdu sa meilleure amie aussi et ce manque devenait un peu plus vivace chaque jour. Pourtant, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même, ce qui était probablement le plus difficile à avaler. Depuis que les vacances avaient pris fin et qu’ils étaient revenus à Poudlard, Noah avait cherché une occasion de parler à Maeva, sans la trouver. Elle prenait le plus grand soin à l’éviter et il ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Il était celui qui l’avait repoussée.

Puis, trois jours plus tôt, une nouvelle dramatique était parue dans le journal, une nouvelle qui, selon Noah, réduisait à des broutilles ce qui pouvait se passer entre lui et Maeva. Sans hésiter, il avait essayé de l’appeler sur son Pear, sans réponse. Il lui avait envoyé un message ensuite sans réponse non plus. Evidemment, elle désertait les cours et les espaces communs alors il ne l’avait pas vue dans le château et commençait sérieusement à envisager de frapper au bureau de Peter, au moins pour prendre de ses nouvelles. Il n’osait imaginer l’état dans lequel elle devait se trouver et se maudissait d’avoir pris des décisions qui l’empêchaient d’être là pour elle, alors qu’elle traversait probablement l’épreuve la plus difficile de sa vie.

Quel que soit ce que Noah aurait aimé lui dire, Maeva n’était pas prête à l’entendre et il ne pouvait rien faire contre. Alors il errait telle une âme en peine dans les couloirs du château, poussant d’un geste mou les portes qui se trouvaient face à lui, en l’occurrence celle de cette fameuse salle commune des préfets qu’il quittait après avoir consulté le nouveau planning de l’année. Après un instant d’hésitation, il dirigea ses pas vers les étages supérieurs, jusqu’à arriver au dernier, au sommet de la tour d’Astronomie, un lieu qu’il avait toujours trouvé idéal pour s’isoler. Il remarquait à peine les personnes autour de lui, il ne faisait plus attention, à vrai dire, plongé dans ses propres pensées, alors il mit un certain temps à remarquer qu’il n’était pas le seul à avoir eu ce besoin d’être seul au monde pendant quelques minutes. Son coeur s’arrêta momentanément de battre en reconnaissant la silhouette de Maeva près d’une des arches.

« Salut. »

Figé sur place, Noah n’osa pas faire un pas de plus, alors qu’il n’avait jamais été aussi près de Maeva depuis leur rupture. Il y avait pourtant un ou deux mètres de distance entre eux, mais il pouvait voir à quel point son visage était marqué par le chagrin et cette vision lui brisa le coeur. Il baissa aussitôt les yeux, conscient qu’elle aurait préféré qu’il ne la surprenne pas ici. Il balbutia, comme des excuses :

« Je… J’étais venu m’isoler, je ne savais pas que tu étais là aussi. »

Maeva s’adossa à une arche de la Tour d’Astronomie, et expira longuement. Cela faisait trois jours qu’elle avait l’impression d’étouffer, alors elle était venue trouver un peu d’oxygène, un peu de calme, un peu de tranquillité, au sommet de l’une des Tours les plus hautes du château. Ses yeux suivirent machinalement le trajet d’un oiseau qui voletait dans un arbre.

Pour la deuxième fois de l’année, Peter était venu la trouver, un matin, à la table des Gryffondor. Elle l’avait regardé approcher, muette, avec la terrible sensation de revivre exactement la scène qui avait précédé à l’annonce de la mort de son père, début septembre. Elle l’avait suivi sans un mot, presque comme une automate, jusqu’à son bureau. Elle s’était assise face à lui, et avait deviné ses mots juste avant qu’il ne les prononce.

Le choc avait été différent, cette fois-ci. Elle n’avait pas été abasourdie, n’était pas passé par ce temps de déni si propre au deuil. Sa mère était morte ; cette phrase s’était imposée immédiatement dans son esprit, terrible, dévastatrice, et l’avait laissé suffocante devant Peter. Cela faisait pourtant plusieurs mois qu’elle se préparait à cette annonce, qu’elle se disait prête à l’entendre ; parfois, elle avait même souhaité qu’on le lui dise enfin. Que sa mère disparaisse complètement et qu’elle ne soit plus suspendue à l’espoir d’un retour qui, elle le savait, n’arriverait jamais. Mais Chloé était morte, et l’abandonnait une dernière, ultime, et cruelle fois, sans qu’elle ne se sente soulagée par ce fait.

Elle avait quitté le bureau de son beau-père, encore plus pâle qu’un fantôme. Elle avait repris le chemin de sa Salle Commune, vide à l’heure où laquelle tous les élèves étaient attablés devant des bols de chocolat fumants. Maeva était montée directement dans son dortoir, soulagée de voir qu’aucune de ses camarades ne s’y trouvaient. Sûrement ne tarderaient-elles pas, lorsque la Gazette arriverait et que la mort de leur ancienne enseignante ferait la Une. Elle s’était assise sur son lit, et, en plein mouvement, avait surpris son reflet dans le miroir posé sur la table de chevet de Lisa. Ce dernier lui renvoya une image horrible d’une jeune femme terrifiée, encore plus blanche que d’ordinaire. Elle s’était observée un instant, ses traits, la couleur et la forme de ses yeux, ses longs cheveux bruns, ce petit grain de beauté à la commissure de ses lèvres. Elle était le portrait craché de sa mère.

Et c’était cette image qui avait fait céder toutes ses barrières. De grosses larmes s’étaient mises à glisser sur ses joues. Ici, dans l’intimité de son dortoir, Maeva avait hurlé sa tristesse à plein poumons, avait pleuré toutes ses larmes qu’elle avait retenues jusqu’ici. Là, au pied de son lit, elle avait eu envie de mourir, terrassée par une tristesse qu’elle ne pouvait plus supporter. Elle était redevenue une enfant, une petite-fille apeurée que personne ne viendrait plus jamais réconforter. Elle avait pleuré la mort de sa mère, qui était partie sans même qu’elle puisse lui dire adieu, sans même lui laisser le temps de la revoir une dernière fois. Elle avait pleuré la mort de son père, qui n’avait pas eu le temps de se libérer du joug de l’alcool et de redevenir ce père qui la faisait monter sur ses épaules, petite, pour qu’elle réussisse à toucher les étoiles.

Puis, doucement, ses sanglots s’étaient taris. Elle était restée prostrée à même le sol, le visage humide, les yeux gonflés et rouges d’avoir tant pleuré. C’était Kasya et Lisa qui l’avaient trouvé ; elle ne savait pas trop quand, elle avait perdu la notion du temps à partir du moment où elle s’était mise à pleurer. Elle s’était laissée étreindre sans opposer trop de résistance, puis avait senti qu’on lui retirait sa robe de sorcière pour la mettre en pyjama et la coucher dans son lit.

L’une de ses deux amies avaient fini par prévenir Rachelle, qui était montée la voir. Elle s’était assise sur le bord de son lit, l’avait entouré de paroles réconfortantes qui s’étaient heurtées à un mur de silence. Maeva avait concédé à avaler une soupe – plus parce que c’était la condition pour avoir accès à une potion de sommeil sans rêve que véritablement par faim. Puis, une fois la potion prise, elle s’était endormie en quelques secondes.

Elle était revenue en cours ce matin, ignorant les chuchotements de ses camarades. Elle avait repris son attitude nonchalante, presque indifférente, parce que céder à la tristesse une fois l’avait presque rendu folle. Qu’on la dise sans cœur ou insensible, elle s’en fichait bien. Cependant, pour éviter de se retrouver parmi ses camarades pendant sa pause entre son cours de sortilège et de métamorphose, elle avait préféré monter ici, dans une volonté de trouver un semblant de tranquillité.

Tranquillité qui fut bien mise à mal lorsqu’un mouvement derrière elle lui fit tourner la tête, pour qu’elle se retrouve face à Noah. Son cœur se tordit douloureusement dans sa poitrine, alors qu’elle répondait un « Salut. » dénuée de toute forme d’émotion.

Elle n’avait reparlé à Noah depuis qu’il avait rompu avec elle le premier janvier. Elle avait vu qu’il lui avait envoyé un message pour prendre de ses nouvelles quand le Monde Magique avait appris que sa mère était morte, mais elle avait fait le choix de ne pas y répondre.

« Oui, j’avais envie d’être seule. » répondit-elle avec raideur en tournant la tête pour se soustraire à son regard.

S’il y avait bien une personne dans ce château qui ne croirait pas à son numéro de fille indifférente, c’était bien Noah, elle en était persuadée. Il la connaissait trop bien, elle et ses mécanismes de défense hasardeux qu’elle mettait en place pour se protéger de la douleur. Or, tout ce qu’elle voulait, aujourd’hui, c’était être laissée tranquille ; ne pas gérer, rien, ni le décès de ses parents, ni sa rupture avec Noah, ni sa tristesse, rien.

Le ton impitoyable de Maeva fit mal au coeur à Noah pour deux raisons. D’abord parce qu’il savait qu’elle ne faisait que se masquer derrière une façade de froideur pour ne pas laisser voir qu’elle souffrait profondément. Ensuite parce qu’elle n’avait jamais employé ce ton avec lui, ce ton qui semblait dire qu’elle n’était pas faible et qu’elle n’avait besoin de personne, tout simplement parce qu’il faisait partie de ces rares personnes avec qui elle acceptait de se dévoiler dans ses moments les plus difficiles et qu’elle s’était toujours reposée sur lui sans crainte. Ils avaient donc perdu ce lien précieux, cette marque de confiance entre eux, tout ça parce qu’il avait fait l’immense bêtise de la rejeter. Noah se flagellait régulièrement au sujet de ce coup de sang qui l’avait pris au nouvel an et poussé à prononcer des mots impardonnables mais jamais il n’avait regretté aussi fort qu’à cet instant présent où il se sentait terriblement impuissant face à la détresse de Maeva, en sachant que c’était entièrement sa faute. Elle venait de perdre sa mère et il ne pouvait même pas être là pour elle.

Il savait que s’il lui montrait de la compassion, elle allait prendre son attitude pour de la pitié, comme elle avait tendance à le faire avec toutes les personnes qui venaient envahir sa bulle quand elle se protégeait derrière son mur factice d’indifférence. Pourtant Noah ne pouvait pas se résoudre à la laisser seule et ne faire aucun pas vers elle. Le chagrin qu’il devinait derrière les traits durs de Maeva lui serrait le coeur, parce qu’il se souvenait de ses confidences, quand, logée dans ses bras, elle chuchotait qu’elle préférerait savoir sa mère morte plutôt que de ne pas savoir du tout où elle était et si elle reviendrait un jour. Noah savait que ce n’était que des paroles irréfléchies, prononcées sous le coup d’un insupportable sentiment d’abandon face au départ brusque de sa propre mère. Elle était probablement dévastée d’avoir perdu le dernier membre de sa famille de sang, d’être complètement orpheline dans ce monde.

Peut-être -sûrement même- qu’il allait se faire rejeter mais il ne pouvait pas rester sans rien faire ou tourner lâchement les talons. Peu importait si le moment était le moins bien choisi pour se manifester à elle après des jours d’absence. Il fit un pas vers elle, puis un deuxième, s’arrêtant là où il se sentait assez proche et en même temps assez loin pour ne pas se montrer envahissant. En vérité, il aurait voulu la prendre dans ses bras et c’était affreusement difficile de contenir cet élan.

« Je suis désolé pour ta mère, Maeva, glissa t-il dans un murmure, le coeur en miettes. Vraiment. »

Maeva avait détourné son regard de Noah pour se soustraire à son observation. Elle savait bien qu’il ne lui faudrait que quelques secondes pour s’apercevoir à quel point elle était malheureuse ; elle n’avait jamais eu l’habitude d’avoir des secrets pour lui. Mais elle n’était pas capable aujourd’hui de gérer la présence de son ex petit-ami à ses côtés, pas après ce qu’il s’était passé entre eux au nouvel an.

Et pourtant, elle mourrait d’envie qu’il la prenne dans ses bras, comme avant, lorsqu’ils pouvaient passer des heures à discuter, enlacés, et qu’elle ne craignait pas de se dévoiler devant lui. Ces moments lui semblaient particulièrement lointains désormais, comme s’ils avaient appartenu à une réalité différente. Maeva observa Noah s’approcher d’elle et recula un peu pour mettre de la distance entre eux. Elle croisa les bras sur sa poitrine, qui masquait son cœur brisé, et fronça légèrement les sourcils.

Elle refusait de fondre en larmes devant lui ; à vrai dire, elle refusait de se laisser aller à nouveau à une telle réaction devant quiconque. Elle ne pouvait pas traverser une seconde fois un tel état de détresse, comme celui qu’elle avait vécu quelques jours auparavant. Elle avait cru devenir folle. Allongée par terre, à même le sol, elle avait cru mourir. Alors, elle serra les dents, comme pour interdire à sa tristesse de se manifester sous un quelconque signe.

« Merci. » répondit-elle d’un ton sec, tendu.

Elle ne voulait pas de sa pitié, elle ne voulait pas qu’il se sente désolé pour elle ; elle si égoïste, si insensible, si incapable de prendre en considération ses sentiments et si indigne de confiance. Elle ne voulait pas que la mort de sa mère soit un prétexte pour qu’il revienne vers elle, alors qu’il avait semblé très sûr de lui au moment de la quitter, le premier janvier. Noah ne voulait plus être avec elle, il avait été très clair à ce sujet lors de leur dernière conversation. Et Maeva refusait d’être cette petite-amie désespérée qui ne pouvait pas vivre sans son cher et tendre. Elle était plus forte que ça, plus fière que ça, plus digne sur ça. Elle n’avait besoin de personne. Elle ne voulait dépendre de personne.

« Est-ce que tu peux me laisser, maintenant ? » demanda-t-elle d’une voix d’aussi dénuée de sentiments.

La présence de Noah lui était insupportable, parce qu’elle lui rappelait tous les moments qu’ils avaient passé ensemble, avant tout ça. Avant qu’il la laisse, comme tous les autres l’avaient laissé.

Le recul que prit Maeva alors qu’il s’approchait d’elle blessa Noah et le fit s’arrêter dans sa progression. Le message était assez clair : elle ne voulait pas qu’il l’approche. Le ton sec qu’elle prit fut exactement ce qu’il avait prédit. Elle le repoussait, lui et sa compassion, refusait de se montrer en position de faiblesse face à lui, alors qu’il était évident qu’elle souffrait. Il ne pouvait rien faire à ce sujet, il ne pouvait pas l’aider et la soutenir, parce qu’il avait tiré une croix sur cette position qu’il avait auprès d’elle, sur une folle et terrible impulsion. Elle le repoussa clairement en lui demandant de partir, un ordre qui laissa Noah hésitant. C’était la première fois depuis leur rupture qu’il se trouvait en tête à tête avec elle parce qu’elle semblait mettre un point d’honneur à l’éviter, aussi bien dans leurs messages virtuels que dans la réalité. Ce n’était probablement pas le bon moment pour revenir dessus mais y avait-il un bon moment ? Plus il attendait pour lui exprimer ses regrets, moins il avait de chances qu’ils soient acceptés. Le timing n’était peut-être pas le bon pour lui parler au vue des récentes circonstances, mais ce n’était pas le bon non plus pour qu’ils soient séparés tous les deux. Il savait que Maeva n’avait pas tant de personnes dans son entourage face à qui elle acceptait de se dévoiler. Elle traversait actuellement un drame dans sa vie et cela le tuait de ne pas pouvoir être là pour elle. Il prit finalement son courage à deux mains pour tenter une approche :

« Je… Je t’ai laissé des messages sur ton Pear. »

Ecrits et oraux, mais il n’avait eu aucune réponse et ignorait même si elle en avait pris connaissance. Des messages de condoléances, d’autres qui lui disaient « s’il te plaît, parle-moi ». Il y avait beaucoup de choses dont Noah voulait parler avec elle. Fébrile, il poursuivit :

« J’aurais aimé qu’on parle au sujet de ce qui s’est passé au réveillon… »

Maeva fuyait le regard de son ex petit-ami, à la fois pour lui cacher la tristesse de ses yeux que pour s’éviter cette vision qui lui meurtrissait le cœur. Merlin, qu’il lui manquait. Cela la frappait souvent, la nuit lorsqu’elle ne parvenait à trouver le sommeil, pendant qu’elle faisait ses rondes dans le château, quand elle peinait à se concentrer sur ses cours ou sur ses devoirs. Noah lui manquait, terriblement, et ce constat était d’autant plus affreux après la mort de sa mère, quelques jours plus tôt. Maeva se sentait… Elle se sentait vide, et ce vide l’horrifiait. Elle ne voulait pas dépendre de qui que soit pour se sentir entière, pour se sentir complète, pour pouvoir être heureuse ! Elle ne pouvait pas tolérer que son bonheur dépende de quelqu’un d’autre qu’elle-même, parce que son cœur, déjà brisé par ces deuils successifs, ne se remettrait pas d’une autre disparition, et qu’elle refusait de passer une nouvelle fois par cette désillusion amoureuse qu’elle avait subi lorsque Noah avait rompu avec elle au nouvel an.

« Je sais. » répondit-elle alors, tendue, lorsque son ex petit-ami lui signifia avoir laissé plusieurs messages sur son Pear.

Que voulait-il entendre, au juste ? Que cela faisait trois jours qu’elle avait l’impression que sa vie était en suspend ? Que oui, elle avait reçu ses messages mais qu’elle était trop occupée à pleurer la disparition de sa mère que non, elle n’avait pas pensé une seule seconde à lui répondre ? Que voir le garçon qui lui avait brisé le cœur quelques jours plus tôt lui témoigner une aussi insupportable pitié n’était vraiment pas ce dont elle avait besoin en ce moment ?

Alors, lorsqu’il osa revenir sur les évènements qui avaient mené à leur rupture, le trente-et-un décembre, le sang de Maeva ne fit qu’un tour et elle posa un regard flamboyant sur Noah.

« Et moi, » rétorqua-t-elle, « je n’en n’ai pas envie. ». Elle fronça ses sourcils bruns, véritablement agacée. « J’ai très bien compris pourquoi tu avais rompu avec moi, Noah, et je n’ai pas du tout envie de revenir sur le fait  que je ne suis qu’une fille égoïste à qui tu ne peux de toute évidence pas accorder ta confiance, merci bien. » Cela avait déjà été suffisamment douloureux la première fois. « Tu peux garder ta pitié, je suis capable de me débrouiller toute seule. » Elle soupira, ramassa son sac et le passa sur une épaule. « Salut. » lança-t-elle en esquissant un pas pour quitter la tour d’Astronomie.

Elle avait vu ses messages. Est-ce qu’elle les avait lus, ou simplement ignorés, ou même, supprimés ? Noah ne parvenait pas à savoir si Maeva percevait son profond regret, son envie sincère de revenir sur ce qui s’était passé, mais il pouvait voir qu’elle n’était pour le moment pas prête à les recevoir.

« Ce n’est pas de la pitié, je… »

« m'inquiète » mais le reste de sa phrase s’étrangla face à la colère légitime que Maeva lui jeta en pleine tête. Face à ce refus pur et simple d’aller plus loin dans cette discussion avec lui, Noah sentit son coeur se serrer et il protesta un faible « Attends » en la voyant ramasser ses affaires. Il n’allait pas y arriver, comprit-il. Il avait perdu sa confiance et ce n’était pas au moment où elle était la plus vulnérable, endeuillée, qu’elle allait la lui accorder de nouveau. Ce n’était pas auprès de lui qu’elle pouvait trouver un soutien, pas maintenant en tout cas. Quand Noah le réalisa, il eut l’impression que tout son courage l’abandonnait pour ne laisser qu’une vive désillusion. Il ne fallut que quelques secondes pour que sa nature profondément pessimiste prenne le dessus et le fasse renoncer à insister davantage. Il avait perdu.

Maeva était déjà partie.

Le plus terrifiant était qu’il était incapable de dire pour combien de temps cette situation allait durer.