Un air de famille [Jumeaux Rice]

03 février 2011

Voila plusieurs semaines qu’Angus avait l’impression que Doreen l’évitait soigneusement. Sa jumelle avait refusé toutes ses invitations à venir passer une journée à Caherciveen, dans leur Irlande natale. Elle se disait prise par d’autres engagements -des sorties entres amies, des heures supplémentaires à effectuer. Lorsqu’elle ne pouvait plus se cacher derrière ces excuses elle déclinait poliment en se prétextant quelque peu fiévreuse. C’était d’ailleurs Carl , le mari de Do, qui s’était chargé d’amener et de récupérer Chelsea et Lester après un bref séjour au vert des enfants du couple chez leur cher« Tonton Gus ».

Les seules fois où Angus croisait sa sœur, c’était au travail. Et encore, Doreen passait de longues journées enfermée dans les locaux de la Brigade Scientifique et Magique à travailler avec acharnement sur ses dossiers en cours. Elle ne comptait plus ses heures depuis l’affaire Dalhiatus.

D’ailleurs, les jumeaux n’avaient pas vraiment eu l’occasion de s’expliquer depuis.
Angus avait conscience d’avoir eu des mots durs pour sa sœur lors de la recherche du corps du directeur de département mais Doreen n’avait pas été tendre en retour. Les événements du lendemain -avec l’arrestation ratée du duo Weaver et Whitaker- avaient fini de creuser le fossé entre les jumeaux Rice. Toute cette enquête pesait  lourdement sur leur relation qui s’avérait déjà compliquée d’ordinaire.
Pourtant Angus avait à cœur de renouer avec sa sœur. Il ne tenait pas à ce que leur travail ternisse davantage leurs échanges et que les non-dits et les ressentiments rongent inexorablement leurs liens.

Aussi, en cette fin de journée de travail dans les locaux de la Milice -un vendredi après-midi qui plus est- Angus guettait du coin de l’œil le passage de sa sœur en direction de la sortie, et donc, du week-end. L’horloge du QG indiquait 18h35 et cela faisait bien une bonne demi-heure que l’agent de la brigade fléro-technique  faisait semblant de travailler sur la rédaction de ses comptes rendus d’intervention alors qu’il était en réalité perdu dans la lecture de vieilles affaires non élucidées. Un coup d’œil en direction du bureau de son collègue, Galahad Thorne, lui indiqua que ce dernier étaient encore au travail – ou qu’il était passé maitre dans l’art de la dissimulation en s’adonnant en toute impunité à son activité, surement favorite,  les mots croisés.

Le milicien poussa un soupir juste avant que la porte  des locaux de la Scientifique ne s’ouvre sur sa sœur. Sans attendre, Angus attrapa prestement sa cape sur le dossier de sa chaise, salua quelques collègues à la hâte et rejoignit rapidement sa frangine qui quittait le département d’un pas énergique.

« Hé Do ! Dodo ! dit-il en la rattrapant dans le couloir du Ministère, ça va ? » Il était réellement soucieux de l’état de santé de sa frangine même s’il se doutait qu’elle n’allait pas répondre sincèrement à sa question. Du moins, pas tout de suite. Ça te dit une Kinness au Mirror Of Erised ? Les petits finissent bien leur cours de musique à 20h le vendredi n’est-ce pas ? »

Il avait choisi exprès ce jour de la semaine  pour qu’elle n’utilise pas ses activités de mère comme prétexte pour se défiler. Sentant qu’elle était sur le point de fomenter une autre excuse afin d’éviter cette entrevue, Angus décida d’expliquer les raisons de son insistance :

« Je voulais te parler de quelque chose. »
Il s’arrêta dans le corridor et finit par dire :
«   J’ai rencontré quelqu’un. »

Doreen était de sale humeur, comme souvent lorsqu’elle était préoccupée. Ses journées passées à travailler sur ses chers macabées commençaient à lui taper sur le système, Angus le voyait bien à sa manière de soupirer impatiemment et de le prendre de haut au milieu du couloir du ministère. Il se doutait, aussi,  que cet agacement n’était pas uniquement dû à sa charge de travail actuelle. Elle avait été jugée en grande partie  responsable de l’échec de la Milice dans la traque de l’ennemi « W » et Angus savait à quel point sa sœur se sentait meurtrie à cette idée.  Hors Doreen avait une fâcheuse tendance à reporter le mal-être lié à son propre examen autocritique sur ceux qui l’aimait et qui la soutenait de manière indéfectible.

Des personnes comme Angus, son fidèle jumeau.

Publiquement, il apparaissait surement comme le  plus tempétueux des deux. Il râlait volontiers et  pouvait s’emporter facilement, n’hésitant pas à remettre en doute publiquement les décisions de leurs supérieurs hiérarchiques. Doreen, quant à elle, entretenait une image nettement professionnelle et politiquement correcte. Même si elle ne donnait pas sa part au niffleur quant il s’agissait de descendre subtilement ses collègues pour tirer la couverture à elle, elle offrait de manière générale, un portrait plus policé de sa personne.

Pourtant dans leur relation privée de jumeau à jumeau, leurs rôles s’inversaient : Angus était toujours celui qui faisait les efforts quand Doreen adoptait la posture du petit tyran. Le milicien s’efforçait de contrebalancer les élans colériques de sa sœur : Il encaissait ses brimades et ses méchancetés avec calme et indulgence, du moins la plupart du temps. Cela lui arrivait de se rebiffer, parfois, quant il estimait que Doreen dépassait les bornes en se livrant à des humiliations en public, comme lors de leur interrogatoire chez la vieille Macallistair.

Mais dans leur bulle de gémellité, il était prêt à accepter, avec une bienveillance inouïe, ses sautes d’humeur, son caractère irascible et parfois même ses moqueries.  Il se contenta donc d’un simple soupir et d’un regard emprunt de lassitude lorsqu’elle décrivit  sa nouvelle relation comme un énième plan-cul rencontré en état d’ébriété.

Pour le coup, Doreen connaissait bien son frère. Il ne pouvait pas vraiment la blâmer tant elle était proche de la vérité. Oui, l’histoire avec Emma avait plus ou moins débuté par une simple partie de jambes en l’air mais elle s’était approfondie au fil des mois,  jusqu’à très récemment où ils avaient décidé d’officialiser leur liaison. Angus estimait qu’il était temps d’informer sa sœur même s’il redoutait quelque peu son jugement et le cynisme dont elle pouvait parfois faire preuve.

Poussée par la curiosité, Doreen finit pas accepter sa proposition de sortie entre Rice. Cela faisait une éternité qu’Angus n’avait pas bu une Kinness avec sa sœur, pourtant, ils en avaient passé des heures au  « Beoir & Briocht », le pub de Caherciveen, où ils avaient leurs habitudes durant leur jeunesse en Irlande. Sous ses airs sophistiqués et élégants, Do était tout à fait capable d’enchainer les pintes sans faiblir, en bonne irlandaise qu’elle était. Enfin, elle acceptait cette invitation surtout pour inonder son très cher frère de ses soi-disant conseils avisés…

« Je n’ai pas besoin de tes conseils Do’, répondit-il toutefois en appuyant sur le bouton pour appeler l’ascenseur, Je voulais juste te prévenir avant que tu ne le découvres par toi-même. La porte de l’habitacle s’ouvrit sur eux, elle travaille au Ministère. »

En effet, Angus n’avait pas besoin des recommandations ni des leçons de sa sœur. Il s’inscrivait dans une démarche purement informative n’en déplaise à Doreen qui cherchait à connaitre tous les détails et tous les aspects de son histoire avec Emma. Clairement, Angus ne comptait pas raconter un dixième de la vérité à sa sœur.  Autant il aimait Doreen, autant il connaissait son pouvoir de nuisance lorsqu’elle avait décidé d’être exécrable. Elle avait l’art pour retourner n’importe quelle confidence contre son auteur et il ne comptait pas tendre la baguette pour se faire battre. Préserver sa relation avec Emma passait pas un contrôle rigoureux des informations qu’il lui donnerait.

Doreen saurait uniquement ce qu’elle avait à savoir, et rien de plus.
Le frère et la sœur débouchèrent dans le hall du Ministère. Ils empruntèrent la première cheminée libre et se retrouvèrent non loin du pub –bondé en ce vendredi soir- où Angus avait ses habitudes. Leur entrée dans le Mirror Of Erised fut particulièrement  remarqué par quelques habitués et par le tenancier des lieux .

« Les jumeaux Rice ensemble, ici ? Merlin mais que se passe-t-il ?  c’est la fin du secret magique ? Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom est de retour ? »

En effet, bien qu’ils soient frère et sœur, il était assez rare de les voir passer du temps tous les deux.  Ils essuyèrent encore quelques remarques du même acabit émanant de leurs collègues respectifs  et s’installèrent finalement avec leurs deux pintes, autour d’une petite table en bois tout près de l’entrée, à distance raisonnable des piliers de bar un peu trop curieux.

« Santé, lança  Angus en faisant tinter son verre contre celui de sa frangine. Il but une longue rasade de bière brune et épaisse qui laissa une ligne de mousse dans sa moustache puis il laissa échapper un soupir sonore de contentement pour souligner le meilleur moment de la journée. Aaaaa ! »
Il savait bien que Doreen allait vite montrer quelques signes d’impatience. Il la connaissait assez pour savoir qu’elle allait être peu disposée à converser de choses et d’autres avant d’en savoir davantage sur sa nouvelle conquête. Cela ne servait à rien de lui demander des nouvelles de Carl ou des enfants, elle allait éluder ces sujets pour le questionner sur Emma aussi, Angus  prit-il les devants :

« Donc, commença-t-il en posant sa pinte sur le sous bock, comme je te le disais elle travaille au ministère, au département des Mystères pour être exact. »

Il avait choisi de révéler cette information en premier pour calmer les éventuelles foudres de sa sœur . La mention « Elle a 18 ans » viendrait dans un second temps quand Doreen aurait compris qu’Emma était une jeune femme sérieuse et active et non pas une gamine écervelée.

« Son sujet de recherche est l’origine de la magie. »

Oui, bon, ok, il frimait un peu par procuration là.

« On s’est rencontré mi-novembre et on se voit plutôt régulièrement depuis. Au fil du temps, c’est devenu plus sérieux entre nous donc on a décidé d’un commun accord d’officialiser. » Il but une seconde gorgée conscient qu’il n’allait pas pouvoir couper très longtemps à son ultime révélation. Prenant son courage à deux mains, il releva les yeux sur sa sœur avant de lâcher sa dernière bombe.

« Elle s’appelle Emma et elle a 18 ans. »

"Pardon!? Dix huit ans? Tu as bien dit dix-huit ans? "

Angus ferma brièvement les yeux et se pinça  l’arrête du nez. *Allez, c’est parti… * songea-t-il en écoutant les nombreuses objections de sa sœur qui ne tardèrent pas à déferler dans la conversation. Il eut un léger mouvement de recul lorsqu’elle fit claquer ses doigts juste devant son visage comme pour le sortir d’un doux  rêve éveillé.

Évidemment, il avait fait le calcul lui aussi. Il savait bien que lorsqu’il était entré sur le marché du travail, à tout juste 18 ans, Emma venait à peine de naitre. Il savait que sa compagne n’avait que huit petites années de plus que  sa nièce Chelsea.
Il avait fait les mêmes constats que sa sœur et partagé les même craintes, aussi. S’il était tout à fait sincère avec lui-même, il devait avouer qu’ il les partageait toujours, un peu. Oui, il craignait que leur différence d’âge finisse par poser problème. Il s’inquiétait qu’Emma voit en lui autre chose qu’un compagnon. Il redoutait que, du fait de sa maigre expérience, elle regrette de s’être installée si jeune, avec quelqu’un d’aussi  vieux que lui. Bien sûr. On pouvait reprocher beaucoup de chose à Doreen -notamment sa manière franche et directe d’amener cette discussion - mais elle pointait des aspects importants et non négligeables de sa relation avec Emma.

Angus en avait conscience mais il ne comptait pas lui donner raison pour autant.

Il ne se voilait pas la face, loin de là même, mais il avait décidé de passer outre ses inquiétudes. Il était sûr d’une chose : Il tenait beaucoup à Emma et il avait décidé de mettre toutes les chances de son côté pour que cette nouvelle relation fonctionne. Pour cela, il avait remisé ses inquiétudes au placard afin de vivre pleinement cette histoire, sans réserve, à 100%. Il se sentait prêt à en assumer tous les aspects, même les plus contestables, envers et contre tout. Oui, ils avaient 18 ans d’écart, oui ils ne venaient pas du même milieu social, oui elle était plus cérébrale que lui, bien sûr. Et alors ?

S’ils faisaient front commun avec  Emma, ils pourraient faire accepter ces différences à leurs proches, Angus en était persuadé. Les autres seraient forcés de se rendre à l’évidence.

Emma avait peut-être besoin d’un peu plus de temps que lui pour partager son aplomb et son intransigeance mais il ne doutait pas qu’elle y parviendrait.  En tout cas Angus comptait bien lui montrer la voie, et la rassurer sur ses intentions, en l’imposant au cœur même de son propre cercle social. Sa famille et ses amis seraient forcés d’accepter Emma dans sa vie, n’en déplaise à sa jumelle qui lui préférait encore Ann, son ex.

« Ann et moi c’est de l’histoire ancienne Do’,il faut que tu passes à autre chose. »  grogna-t-il peu désireux d’évoquer son ancienne petite-amie dans cette conversation. Il était là pour parler d’Emma et de personne d’autre.

"Tu sais à dix-huit ans, tu es encore innocente et facilement impressionnable. Elle a vu en toi un père d'adoption, ou je ne sais quoi d'autre! J'espère que tu t'en rends compte…  "

« Dois je te rappeler que tu as quinze ans d’écart avec Karl ? contra Angus  en reposant sa bière sur le sous bock. Oui, il  s’était quelque peu préparé à contrer les arguments de sa sœur, et surtout celui là. Doreen était mal placée pour lui faire la leçon sur ce point, Est-ce que tu vois en Karl un père d’adoption quant tu t’allonges dans le même lit que lui le soir ? ajouta-t-il en convoquant volontairement une image malaisante. Il afficha une moue tombante et haussa les sourcils avant de poursuivre, Je ne pense pas qu’Emma voit en moi autre chose que ce que je suis :  Un mec normal, peut-être un peu plus vieux qu’elle,  mais avec lequel elle a envie de partager sa vie. »

Peu désireux de laisser sa sœur démonter sa relation plus que de raison, il enchaina :

« De toute manière, que tu cautionnes ou non cette histoire, ça ne changera absolument rien, Do’. Son ton ne souffrait d’aucune discussion.  Il était aussi résolu que déterminé. Têtu  comme tous les  Rice pouvaient l’être , Je te l’ais dit, je n’ai pas besoin de tes conseils : c’est ma vie et mes décisions. Je t’informe, c’est tout. »

Doreen agissait toujours comme si elle connaissait Angus mieux que lui-même. Comme s’il n’était pas capable de faire les bons choix pour son propre bien-être. Elle arborait fréquemment ce petit air emprunt de condescendance en lui prodiguant de sombre prémonition du type «  Tu verras. » ou en arguant sa clairvoyance à retardement avec ses sempiternelles «  Je te l’avais bien dit. ». Pourtant Angus entendait bien suivre son propre chemin, et, pour le moment, il l’envisageait avec Emma.

Face à l’attitude butée de son jumeau, Doreen tenta une nouvelle manœuvre. Plutôt que de s’opposer frontalement à lui, elle fit mine de s’intéresser à Emma pour glaner quelques informations pouvant servir son argumentaire. Angus voyait clair dans son jeu, aussi l’observa-t-il quelques instants de son regard suspicieux, paupières plissées, avant de consentir à lui répondre.

« On s’est rencontré ici. En soirée, il jeta un bref coup d’œil au tonneau où il était installé en compagnie de Melchior ce fameux soir de novembre, et non je n’ai pas de photo, mais elle doit surement apparaitre dans le trombi du Ministère, je sais pas, j’ai pas vérifié. Il savait que cette fonctionnalité existait sur son PearPro mais il ne s’était jamais penché sur la question. Il se redressa sur son petit tabouret et ajouta : Et elle s’appelle Blackbonnes. »

"Oh vraiment, ici même? Quelle surprise! J'imagine que cela devait être profondément romantique… »

Angus poussa un long soupir empreint de lassitude. Doreen était la reine pour adopter ce petit ton à la fois  condescendant et mesquin. Oui, il avait rencontré Emma dans un pub –et  il n’y avait aucun mal à ça- mais, pour sa sœur,  tous les prétextes étaient bons pour répandre sa méchanceté. Elle n’avait jamais adhéré au mode de vie de son jumeau jugeant qu’il fréquentait un peu trop assidument les bars et qu’il se laissait aller à vivre comme un ermite dans sa caravane délabrée. Elle était incapable de voir qu’Angus était très heureux ainsi et  elle préférait mépriser  son quotidien  dès que l’occasion se présentait. Ce n’était pas nouveau pour lui.

Si le milicien composait généralement avec  les mouvements d’humeur de sa sœur en faisant preuve d’une patience infinie, il fût un peu décontenancé face à la vive surprise qui saisit Doreen à la mention du nom de famille d’Emma. Sa jumelle attrapa sa tête entre ses mains comme s’ il avait évoqué entretenir une liaison amoureuse et charnelle avec Lord Voldemort en personne. De toute évidence, Do’ avait déjà entendu parlé d’Emma… et pas forcément en bien puisqu’elle la qualifia de  « spéciale ». Angus savait bien que ce mot n’était pas un compliment dans la bouche de sa jumelle.

« Quoi ? » grogna-t-il d’un ton bourru en fronçant les sourcils. « C’est quoi le problème ? » ajouta-t-il, abrupt, sa légendaire patience envers Doreen quelque peu entamée.

Il avait l’impression que quelque chose lui échappait. Que Doreen détenait une information capitale sur Emma qu’il aurait du savoir. Ou, en tout cas, que Do voulait le lui faire croire. Elle n’était pas la dernière pour tenter de rouler son monde afin de tourner n’importe quelle situation à son avantage. Elle avait fait ses armes chez les rouge et or mais elle n’aurait pas démérité chez les Serpentard aussi Angus se contenta de boire une nouvelle gorgée de Kinness, tout  en l’observant d’un air suspicieux.

Contre toute attente sa  sœur réagit avec encore plus de vigueur. Elle - qui mettait toujours un point d’honneur à ne pas se donner en spectacle en public- semblait avoir oublié sa réserve habituelle tandis qu’elle fustigeait sa naïveté :

" Tu n'as pas checké son profil psychologique, ni même son passé judiciaire? "

Angus secoua la tête, véritablement choqué par ces étranges reproches:

« Mais qui fait ça, Do !? » s’exclama-t-il, la tête rentrée entre les épaules et les paumes tournées vers le ciel.

Angus formula lui-même la réponse à sa question : Doreen. Doreen devait se livrer à ce genre d’expertise sournoise. Dès qu’elle rencontrait une nouvelle personne elle s’éclipsait surement  dans les toilettes pour chercher son  nouveau contact sur netflics ou sur les réseaux sociaux magiques afin de connaitre, en détails, ce nouvel interlocuteur avant même de lui avoir laissé l’opportunité de ce présenter.  

Angus n’avait pas ce réflexe. Peut-être était-ce un tord mais il préférait laisser la magie du moment opérer. Prendre le temps de connaître l’autre… à son rythme.
Il posa donc un regard particulièrement méfiant sur le PearPro  que Doreen venait de positionner juste devant lui, à côté de sa bière. Il pouvait reconnaitre l’interface de  Netflics ouvert  sur une mission classée dans les archives mais il se refusa, dans un premier temps, à esquisser le moindre geste en direction du Pear pour approfondir  ses investigations. Il se sentait tiraillé. D’un côté, il avait l’impression de trahir la confiance d’Emma en se jetant avidement sur ce rapport et de l’autre, il tenait à avoir toutes les cartes en mains pour tenir tête à sa sœur. Vu son aplomb, Doreen ne bluffait pas et Emma était visiblement belle et bien liée à l’affaire Sorden. Bien sûr, Angus avait entendu parlé de cette enquête confiée au bureau des Aurors. Il savait , comme tout un chacun, que cette sombre affaire  impliquait un certain nombre d’ élèves mineurs  de Poudlard. Élèves  que l’arithmancienne avait manipulés éhontément pour arriver à ses fins.

Angus entrevoyait les contours d’ un terrible scénario se dessiner dans son esprit alors que les éléments de l’enquête lui revenaient peu à peu en mémoire. Presque malgré lui, il baissa les yeux sur le Pear et scrolla rapidement le rapport relatant la mort tragique de tous les membres de la famille Artwood, péris brûlés dans l’incendie criminel de leur maison. Ces meurtres avaient été commandités et organisés par Ana Sorden en personne mais Angus savait déjà la fin de l’histoire avant même de l’avoir lue. Lorsque son regard se posa sur le patronyme de l’enfant incendiaire, une petite fille de 13 ans, que Sorden  avait utilisée, droguée et manipulée pour allumer le bûcher il resta totalement immobile, les pupilles fixées sur le nom d’Emma Blackbonnes.

Il accueillit le choc de cette information avec un long silence durant lequel il s’efforça de canaliser les émotions vives et contradictoires qu’il ressentait. Il n’entendait plus le bruit des conversations du pub, ni la clochette pourtant située juste à côté d’eux et qui signalait dans un tintement l’entrée des nombreux nouveaux clients. Empathie et inquiétude se mêlaient dans son esprit  à une colère sourde et féroce.  Un ensemble détonnant qu’il parvint à garder  pour lui en poussant lentement le Pear Pro de Doreen dans sa direction.  Il releva un regard sombre sur sa sœur, qui focalisait plus ou moins  injustement sa colère :

« Ça ne change rien du tout. » affirma-t-il avec aplomb.

Il aurait tout le loisirs de réfléchir plus longuement à l’impact de cette affaire sur sa relation avec Emma. Il savait d’hors et déjà qu’il allait essayer d’ en parler avec elle. Il ne voyait pas d’autres options possibles tant il refusait de faire comme s’il n’était pas au courant de cette tragédie mais, pour le moment, il tenait surtout  à tenir sa sœur à distance en lui faisant comprendre qu’elle n’avait pas son mot à dire dans cette relation. La décision d’Angus était prise. Doreen ne parviendrait pas à le faire changer d’avis…. Encore moins maintenant.

Il se sentait animé d’un engagement encore plus fort. Presque indéfectible, si puissant qu’il stoppa d’une formule la longue litanie de sa sœur  particulièrement dégradante et insultante envers Emma.

« Do. Ferme-la. » intima-t-il froidement entre ses dents serrés.
Expression fermée, regard dur : Angus était en rogne. Il y avait eut quelques signes avant coureur que Doreen aurait pu interpréter en amont si seulement elle avait porté un regard sincère et empathique  sur son frère. Elle aurait du se méfier de son long silence et de ses phrases courtes et lapidaires.

Il était fâché. Très fâché.

« Je viens te voir pour te dire que j’ai rencontré quelqu’un qui compte beaucoup pour moi et tu la traites de fille instable psychologiquement ? Il planta son regard sombre dans celui de sa sœur, De quel droit tu fais ça Do ? De quel droit parles-tu d’Emma en ces termes ? insista-t-il, Tu ne la connais même pas, tu ne la jamais rencontrée et tu oses – tu oses- porter un jugement sur elle ! Sur la base de quoi ? D’un putain de rapport d’enquête ! Il s’emportait si bien que quelques clients du bar tournèrent la tête dans sa direction. Il se massa le front avant de reprendre un ton plus bas presque fataliste , Je sais que tu es incapable de te réjouir pour moi, grande égoïste que tu es, et tu sais quoi ? je m’en fiche,  C’était vrai, il avait appris à composer avec le drôle d’amour fraternel teinté de jalousie  que sa jumelle entretenait à son égard,  mais je ne tolèrerai pas ça Doreen. Tu m’entends ? Je ne tolérerai pas que tu lui manques de respect. »

Il se pencha au dessus de la table et pointa un index inquisiteur en direction de sa soeur.

« Et quoique Emma ait fait par le passé et, quoique tu penses d’elle, ça ne changera absolument rien dans ma décision de m'engager avec elle. »

Ils avaient beau avoir grandi ensemble, et se connaitre presque par cœur l’un l’autre,  Doreen ne savait toujours pas s’y prendre avec son frère : Plus elle combattait ardemment ses choix, plus Angus mettait un point d’honneur à ne pas tenir compte de ses remarques. Elle aurait dû le savoir pourtant. Il voulait rester hermétique à cette forme de pression qu’elle cherchait à exercer sur lui et refusait d’envisager les choses sous son angle à elle, quand bien même certaines de ses inquiétudes aient pu être totalement fondées.

Doreen avait toujours été très prompte à s’immiscer dans la vie personnelle de son frère. Même enfant, elle cherchait continuellement à prendre l’ascendant sur Angus et à régenter son existence.  Bonne patte, il se laissait faire la plupart du temps. Les observateurs extérieurs auraient sans doute pointé Do’ comme étant l’individu dominant de leur duo mais les rapports de forces n’étaient pas si manichéens dans la réalité de leur relation, estimait Angus.

Certes, pendant de nombreuses années, ils s’étaient suffis l’un à l’autre, enfermés tous les deux dans leur bulle, mais en grandissant, Angus s’était trouvé d’autres affinités et avait développé un besoin de sociabilité que Doreen ne partageait visiblement pas.  Le petit Gus s’était lentement affranchi de sa sœur :  Il avait été le premier à tracer sa propre route, délaissant sa jumelle sans vraiment s’en rendre compte. Ils avaient fini par construire leurs vies parallèlement et différemment : Do s’était épanouie dans le mariage et dans la maternité quand Gus n’avait pas été en mesure se poser sentimentalement - bien qu’il ait essayé de le faire à plusieurs reprises.  Il avait revanche noué des amitiés solides contrairement à elle qui peinait réellement à se faire des amis.

Durant toutes ces années, Doreen n’avait eu de cesse de vouloir garder la mainmise sur son existence, comme si elle cherchait inexorablement à conserver un contrôle maladif sur lui. Elle n’hésitait pas à le clamer haut et fort : Elle connaissait Angus mieux que lui-même ! Elle savait ce qui était bon pour lui ! Elle était plus clairvoyante, plus avertie, moins naïve… Il devait l’écouter !

Mais du point de vue de Gus, elle cherchait surtout à le garder dans son giron. Elle voulait le conserver jalousement auprès d’elle.  Par peur de le perdre ? Par orgueil ? Impossible de le savoir mais  elle semblait  incapable de faire le deuil de cette relation fusionnelle qu’ils avaient entretenue enfant et dont Angus s’était détaché tout à fait naturellement.

Cette névrose rendait  Doreen à la fois terriblement attendrissante et extrêmement horripilante.

Angus aurait voulu lui assurer que jamais rien ni personne  ne pourrait s’immiscer entre eux . Il y avait quelque chose d’absolu, de souverain, dans leur relation qui touchait presque au mystique. Doreen était sa sœur, sa jumelle, et il l’aimait d’un amour inconditionnel.

Mais cet amour, aussi pur soit-il,  ne l’empêchait pas de constater les nombreux travers de sa frangine – comme elle remarquait surement les siens.  Sa possessivité et son ingérence n’étaient tout simplement pas tolérables, estimait le milicien. S’il voulait pouvoir envisager sereinement sa relation avec Emma, il devait poser les limites de l’acceptable immédiatement.

Ce qu’il fit sans détour : Doreen n’avait – et n’aurait- pas son mot à dire concernant cette relation affective.  Elle avait peut-être raison sur certains aspects mais Angus se sentait suffisamment sûr de lui, et de ses sentiments, pour assumer sa relation avec Emma. Après tout, ils avaient tous des blessures du passé prêtes à resurgir. Celles d’Emma étaient peut-être particulièrement vives et traumatisantes. En vérité, il n’en savait rien. Il avait bien perçue chez elle, parfois, de brefs moments de mélancolie mais il ne tenait pas à s’arrêter sur cette image réductrice -voire peut-être complètement erronée  -de fille instable et déséquilibrée.

Il n’avait pas la prétention d’affirmer qu’il connaissait très bien Emma mais c’était justement dans cette optique qu’il avait voulu officialiser leur relation. Il espérait pouvoir se rapprocher d’elle, avoir l’opportunité de la découvrir sous un jour nouveau, et qui sait, peut-être, construire une relation solide et durable et dépits de leurs antécédents respectifs et de leurs différences. N’en déplaise à Doreen.
Elle avait beau affirmer qu’elle n’agissait pas par pur égoïsme et qu’elle cherchait simplement à l’aider, Angus en doutait fort. Il était sûr qu’elle pensait réellement ses dires : Doreen était vraiment persuadé d’agir pour le bien de son jumeau en démolissant ainsi Emma.

Mais vexée de se faire rabrouer durement, elle rejeta sa chevelure en arrière et chercha à se soustraire au regard de son frère.  Angus se redressa légèrement sur son tabouret et observa sa sœur en biais, comme pour la jauger du regard.
« Tu vas quand même pas bouder là? C’était l’hôpital qui se fichait de Sainte Mangouste ! Doreen insultait littéralement Emma sans la connaitre et elle jouait l’outragée ! Sa sœur était incontestablement la reine pour renverser les situations à son avantage, Écoute Do’, si vraiment tu veux m’aider, reprit Angus en la prenant à témoin, Accepte cette situation parce que je n’ai aucune envie d’avoir à choisir entre Emma et toi. » assura-t-il  alors en croisant les bras, paumes sous les aisselles.

Ils n’avaient pas besoin d’en arriver à de telles extrémités . Angus ne  mettrait jamais ce sous-entendu à exécution d’ailleurs. Il ne cherchait pas véritablement  à poser un ultimatum, il tenait juste à ce que sa sœur prenne conscience de la situation inextricable dans laquelle elle le plongeait.

Fort heureusement, sa phrase eut l’effet escomptée sur sa jumelle. Sans attendre, Doreen révisa brusquement sa stratégie, consciente d’être allée trop loin et de contribuer à creuser le fossé entre eux. Elle s’excusa platement non sans laisser sous entendre qu’elle n’était pas dans son état normal en ce moment…
Gus quitta sa bière des yeux pour planter son regard dans celui de sa sœur, troublé par cet appel du pieds. Disait-elle la vérité ou cherchait-elle à se trouver des explications pour rendre ses propos et sa maladresse plus excusables ? Le milicien n’en savait rien.

Il avait beau être en colère contre elle présentement, il savait aussi que Doreen traversait une période professionnelle assez compliquée. Les prouesses qu’elle avait réalisées pour identifier le corps de Dalhiatus ainsi que  les traces adenomagiques de Whitaker avaient été injustement éclipsées par sa bévue lors de la traque de l’Ennemi W. Elle avait été convoquée par Danielle en personne et faisait profil bas dans les couloirs de la Milice depuis cet entretien qu’elle n’avait pas prit la peine d’évoquer avec  son frère tant elle n’était pas du genre à s’épancher sur ses états d’âme.

Pourtant, aujourd’hui,  Angus entrevoyait  l’opportunité de discuter de ces derniers événements un peu plus sereinement. Comme souvent avec lui, le ton montait vite et il pouvait se montrer colérique mais il savait aussi  faire la part des choses et retrouver  un peu de mesure dans ses échanges, si nécessaire. Surtout avec Doreen avec qui il se fâchait aussi vite qu’il se réconciliait.

« Tu veux en parler ? » demanda-t-il donc, d’un air un peu bourru, sans parvenir à  masquer complètement  l’inquiétude qu’il ressentait  à l’égard de sa sœur.
Sa jumelle sembla considérer sa question un instant, se mordit les lèvres et  balaya la perche qu’elle avait tendue entre eux d’un « Laisse-tomber » sans appel. Un rétropédalage en règle, du pur Dodo : Un pas en avant, six pas en arrière… et la porte dans ta figure ! En effet, elle poussa même le vice jusqu’à retrouver ses vieux travers, nettement plus à l’aise dans sa posture de grande sœur condescendante que dans celle de la jumelle à réconforter…

Excédé par ces revirements constants, Angus prit une profonde inspiration  et mima entre ses mains ouvertes et crispées  deux énormes boules sous son menton:

« Tu sais que tu es vraiment casse-couilles quand tu t’y mets Do’ !» Il ne connaissait personne sur terre capable de l’agacer autant,  songea-t-il tandis que la porte du pub s’ouvrait juste à côté d’eux pour la vingtième fois au moins depuis le début de leur conversation.  Franchement, je n’arrive pas à te suivre, la clochette tinta et l’individu s’engouffra à l’intérieur en même temps qu’un courant d’air froid, Toi et moi on est vraiment trop différents… »

Angus secoua la tête et releva machinalement les yeux sur la personne qui venait d’entrer dans le Mirror Of Erised. Son regard s’arrondit d’étonnement  lorsqu’il la reconnut :

« Emma ? » Un  voile de gêne parfaitement perceptible passa sur son visage,  Je ne pensais pas te voir ce soir ici ! Elle lui avait vaguement parlé d’une soirée de prévue avec Marlène. A moins qu’il se soit trompé de date… Tu retrouves des collègues ? »

Le Milicien se hissa sur son siège et tendit le cou pour chercher l’éventuelle silhouette de Marisa dans le fond du pub avant de reporter son attention sur une personne nettement plus proche, assise même juste devant lui,  qui patientait en silence dans l’attente d’être présentée : Doreen. Les jumeaux se jaugèrent un instant -comme seuls un frère et une sœur peuvent le faire- et, en un regard, tout fut dit entre eux.

« Emma je te présente Doreen, ma jumelle, dit-il sans quitter des yeux sa sœur, guettant le moindre de ses faits et gestes,  Doreen,  voici Emma, mon amie. » Il attrapa  la main de la jeune femme et caressa le revers de sa paume de son pouce  avant de lever les yeux vers elle pour lui accorder un sourire complice. Oui, elle était ce genre d’amie, là. « Tu veux t’asseoir avec nous ? »  proposa-t-il alors sans lâcher ses doigts dans les siens.