6 février 2010

Au Mirror Of Erised, la fête battait son plein. Kelly, une jeune avocate, fêtait ses trente ans, et avait privatisé le fameux bar pour y organiser une soirée dont certains agents se souviendraient sûrement longtemps... Ou n'en n'auraient absolument aucun souvenir, à en juger par la quantité d'alcool qui coulait depuis le bar central, où le personnel était surmené. Avalon avait connu Kelly parce qu'elle avait collaboré avec elle sur une affaire quelques mois auparavant. Elle n'était pas particulièrement proche de sa collègue, mais elle n'avait pas refusé l'invitation de cette dernière à célébrer son passage dans la trentaine ; quand il s'agissait de faire la fête, Avalon Davies n'était jamais du genre à dire non.

Elle se tenait d'ailleurs dans le fond du bar, une pinte de bière à la main, le regard posé sur une table de billard. Elle suivit la boule qui roulait sur le tapis des yeux, et laissa échapper un cri de victoire lorsque finit sa destination dans l'un des trous de la table.

"Isy ? Ne serait-ce pas notre, je ne sais plus, cinquième victoire ? Sixième ?" fit-elle mine de demander, la mine réjouie. Elle ne put empêcher son sourire de redoubler de plus belle en avisant les visages contrariés de leurs adversaires - deux filles du service de la comptabilité dont elle ne se souvenait plus du nom. Elle allait fanfaronner encore un peu, lorsque deux jeunes hommes s'approchèrent d'elles.

"Partantes pour remettre votre titre en jeu ?"

Avalon considéra les nouveaux venus, sourcils haussés, et esquissa un sourire en coin.

"Isy ?" interrogea-t-elle en reportant son attention sur sa coéquipière et amie.

Isobel avait inauguré sa soirée avec un verre de vin mais elle était bien vite passée à la bière, qui lui paraissait plus adaptée à l’ambiance du Mirror Of Erised. Kelly, une avocate du niveau deux, fêtait son anniversaire et elle avait été généreuse avec les invitations. Elles s’étaient déjà croisées dans quelques apéros, elles avaient des copines du Ministère en commun, et elles discutaient joyeusement lorsqu’elles se croisaient. Elles avaient un peu échangé lorsqu’elle était arrivée, Isy lui avait offert son cadeau soigneusement emballé, et elle avait fini par tomber sur Avalon, qui était la meilleure personne avec qui passer cette fête. Elles avaient enchainé quelques bières et parties de billard, notamment contre Poppy et Barbara de la compta. La manche était décisive... Assise sur le rebord d’une table, les jambes dans le vide, elle observait Avalon avec concentration. Lorsque cette dernière envoya la dernière boule dans le trou, Isy eut une exclamation de joie et un sourire ravi. La fanfaronnade de son amie la fit rire.

- Mais c’est notre sixième victoire, ma chère Avalon !

Ce qui n’avait pas l’air au goût de Poppy et Barbara. Cette dernière avait l’air un peu mauvais. Et visiblement, leur série de victoire avait attiré l’attention de deux nouveaux arrivants - collègues ? - qui leur proposèrent de remettre leur titre en jeu avec un sourire équivoque. Il suffisait de voir leur mine assurée pour comprendre qu’ils étaient persuadés de les battre. Peu décidée à se laisser impressionner comme cela, Isy descendit de son rebord de table et eut un sourire mutin.

- Le sept est mon chiffre fétiche, répondit-elle.

Alors une septième victoire, c’était évident. Avalon et elle faisaient de toute manière une excellente équipe, elles n’allaient pas se laisser impressionner.  

Isobel et Avalon s'étaient bien trouvées. Elles s'étaient rencontrées des années auparavant, et avaient longtemps gravité autour du même cercle d'amis, puis leurs caractères respectifs les avaient conduit à nouer rapidement des liens. Et, l'un des points communs aux deux femmes étaient leur amour de la victoire. Elles formaient, toutes les deux, une équipe redoutable au billard, comme elles l'avaient déjà prouvé six fois de suite ce soir. Alors, quand Isobel accepta sans sourciller une nouvelle partie, peu impressionnée par les deux avocats qui venaient les défier, Avalon ne put empêcher un sourire malicieux d'étirer ses lèvres.

"Parfait." déclara l'acolyte de l'avocat qui venait de les défier, et qu'Avalon identifia sans peine comme étant Andrew Warlock.

"On vous laisse même commencer." déclara Avalon en saisissant s'appuyant contre la table pendant que le second homme - qui devait avoir un peu plus de trente ans et se prénommait Xavier - formait le triangle au milieu de la table. Les deux hommes échangèrent un bref hochement de tête, avant de se mettre en position.

L'homme à la peau mate et aux cheveux ondulés saisit une queue et se pencha sur la table. Il resta immobile quelques brefs instants, l'air très concentré puis, d'un coup très sec, cassa le triangle en éparpillant les boules sur le tapis vert. L'une d'entre elles tomba dans une poche, ce lui qui tira un sourire parfaitement satisfait.

Andrew Warlock, qui observait le jeu, déclara après un échange silencieux : "On va prendre les vertes."

"Vous voulez parier quelque chose sur votre défaite ?" interrogea alors Xavier, très sûr de lui.

Isobel avait bien évidemment reconnu Andrew Warlock, l’ancien candidat aux élections Ministérielles du SPAM. Même si elle ne le connaissait pas personnellement, son aura et la manière dont il déclara « Parfait » lui suffirent pour estimer qu’il était arrogant et prenait sûrement cette victoire pour acquise. En bonne Lavespère, elle aimait beaucoup faire la leçon aux hommes et l’idée que Avalon et elle emportent une septième victoire devenait encore plus satisfaisante. Le regard qu’elle échangea avec son amie alors que cette dernière les invitait à commencer lui permit d’estimer qu’elle avait peu ou prou les mêmes envies. Elle céda même la galanterie à leurs opposants pour qu’ils commencent la partie.

Leur premier coup fut bon - il fallait l’admettre - ce qui les mit en confiance, peut-être un peu trop. La petite remarque du deuxième homme fit hausser les sourcils d’Isobel, qui se tourna alors vers Avalon.

- Je ne sais pas pour toi, Av, mais j’ai l’impression ici que certains compensent quelque chose...

C’était bien trop tentant de rentrer dans le jeu de leurs petites fanfaronnades. Elle laissa donc à son amie la primeur de commencer, elle qui était - il fallait le dire - un peu meilleure qu’elle.

Avalon et Isobel se connaissaient depuis plusieurs années maintenant. Avalon, dont les relations amicales se concentraient majoritairement sur ces quatre hommes qu'elle avait rencontré lorsqu'elle avait dix-huit ans, s'était immédiatement bien entendue avec l'américaine, qui lui ressemblait sur plusieurs points. Elles étaient toutes les deux très assurées, très fières, avec un esprit de compétition bien ancré qui faisait d'elles d'excellentes partenaires de jeu, et de redoutables adversaires...

Et encore plus lorsqu'elles avaient derrière elles plusieurs victoires qui leur assuraient une certaine confiance. Aussi, ce fut sans surprise que les deux jeunes femmes relevèrent le défi d'Andrew Warlock et de son confrère qui, eux aussi, semblaient très sûrs d'eux. La remarque d'Isobel à ce sujet tira un éclat de rire à Avalon et même un sourire à Andrew Warlock, qui fit remarquer :

"C'est un peu facile d'attaquer directement sur ce plan-là."

"Ça ne le serait pas si vous n'étiez pas tous autant attachés à ce plan-là." contra Avalon en saisissant la queue de billard pour aller se mettre en position.

Elle se pencha sur la table, ferma un œil et prit quelques secondes pour se concentrer avant d'envoyer son cou, qui envoya une boule dans une poche et en dégagea une autre pour la placer stratégiquement vers le centre de la table.

Le coup d'Andrew Warlock fut étonnement bon, ce qui tira un froncement de sourcils à Avalon.

"En attendant, compensation ou pas, on mène." lança Xavier avec un sourire satisfait.

"Vous avez un coup d'avance." fit remarquer Avalon en jetant un regard à Isobel tout en portant sa bière à ses lèvres pour en avaler une gorgée.  

Isobel eut un sourire indulgent à l’égard d’Andrew Warlock, qui sembla prendre un tantinet personnellement sa remarque. Moh, pauvre sucre. Avalon fit remarquer avec justesse qu’ils étaient un peu sensibles de ce côté-là et elle eut un sourire alors qu’elle prenait une gorgée de bière. C’est vrai que c’était toujours tentant de remettre quelques hommes un peu trop fanfarons à leur place.

Elle observa son amie réussir un beau coup, bien vite contré par le mouvement suivant de l’avocat - qui se débrouillait effectivement plutôt bien (et semblait un peu trop satisfait de lui-même.)

- C’est mathématique, répondit-elle à Xavier, pile au moment où Avalon leur signalait peu ou prou de la même chose. La partie était loin d’être finie et elles n’avaient pas dit leur dernier moment. Isy reposa sa bouteille de bière sur une table derrière elle et attrapa la queue avant de se rapprocher de la table. Elle observa le jeu quelques secondes avant de se décider. Elle se pencha, visa avec attention et...

1 - Isobel réussit son coup et empoche une boule
2 - Isobel rate
3 - Isobel réussit son coup et empoche deux boules
4 - Isobel rate
5 - Isobel réussit son coup et empoche une boule
6 - Isobel rate

En effet, comme le fit remarquer Xavier dès le début de la partie, les deux avocats menaient. Au début, cela n’inquiéta pas particulièrement Avalon, mais quelques coups hasardeux de leur part creusèrent un peu plus l’écart, et elles se retrouvèrent rapidement dépassée. Avalon ne savait pas ce qui était le plus insupportable : cette défaite qu’elle sentait arriver, ou le sourire absolument insupportable affiché sur les visages d’Andrew ou de Xavier ? Un mélange des deux, probablement, qui éveilla chez elle un profond agacement vis-à-vis de ces deux hommes suffisants.

Le dernier coup d’Avalon, s’il lui permit d’empocher une boule, ne parvint pas à rattraper le score étonnement haut des deux avocats. La partie se termina dans un silence lourd de la défaite de deux jeunes femmes qui détestaient perdre. Elles échangèrent un regard renfrogné qui n’échappa pas à Xavier.

« De toute évidence, on ne compense pas tant que ça. »
« Oh, c’est bon. » maugréa Avalon en levant les yeux au ciel.

Elle reposa la queue de billard sur le tapis, après avoir rassemblé les boules au milieu. Andrew et Xavier eurent un sourire désabusé.

« J’imagine qu’on aurait dû se douter que vous étiez mauvaises joueuses… »

Ce qui était probablement la pire chose à dire à deux personnes qui l’étaient vraiment.

Ce n’était pas qu’Isobel était mauvaise joueuse, c’est juste que perdre la contrariait au point qu’elle aurait pu en donner des coups de pieds, voilà tout. Leur partie avec Avalon ne s’était pas foncièrement mal engagée mais l’écart s’était creusé au fil des tours. Andrew et Xavier se débrouillaient plutôt bien, alors qu’elle-même avait eu quelques coups plutôt malchanceux. Avalon empocha bien une boule sur son dernier tour mais cela ne fut pas suffisant pour rétablir le score. La partie se termina donc sous les regards goguenards des deux avocats et la mine sombre des deux amies. Évidemment, puisqu’ils étaient mauvais gagnants (et l’esprit d’Isy oublia à cet instant, de manière plutôt convéniente, toutes ses précédentes fanfaronnades) ils ne purent s’empêcher de faire une petite remarque, qui lui fit lever les yeux au ciel.

- Peut-être que nous ne voulions pas blesser un peu plus votre ego fragile en gagnant une nouvelle fois, suggéra Isobel, en haussant les épaules.

S'il y avait une chose qu'Avalon détestait - outre le fait de perdre - c'était les sourires horriblement satisfaits des personnes qui gagnaient une partie de billard. Ce n'était que du billard, pourquoi ressentaient-ils le besoin de se vanter autant sur cette ridicule victoire ? Désiraient-ils qu'on leur offre l'Ordre de Merlin avec ? Une cérémonie en leur honneur ? Une interview qui ferait la Une de la Gazette du Sorcier ?

Evidemment, comme Avalon en plus d'être mauvaise joueuse, était d'une terrible mauvaise foi, elle ne fit pas l'effort de se souvenir qu'elle-même avait fanfaronné - et pas qu'une seule fois - au cours de cette soirée sur ses prétendus talents au billard. En revanche, elle trouvait l'explication d'Isobel bien plus plausible, si bien qu'elle l'approuva d'un hochement de tête.

"Mais bien sûr." railla Xavier, qui ne semblait pas croire à leur défaite volontaire. "Et comment se portent vos ego, dans tout ça ?"

"Parfaitement bien." répondit Avalon en haussant les sourcils. "Ils n'ont pas à souffrir de la même manière que les vôtres, de toute évidence."

Peut-être était-ce un peu mesquin de les attaquer ainsi mais vraiment, dans une guerre sans merci comme celle-ci - car oui, l'ego d'Avalon était en réalité au combat pour récupérer sa dignité blessée - tous les coups étaient permis.

"Une revanche ?" proposa alors Andrew Warlock, moins fanfaron que son ami.

"Sans façon." déclina Avalon. "Ca ne fait pas des années qu'on se bat pour nos droits pour finalement se retrouver à rassurer vos égos blessés. Consolez-vous avec vos queues." fit-elle en désignant du menton celles (de billard) qu'ils tenaient entre les mains. Qu'ils fassent bien ce qu'ils veulent avec les autres.

"Je t'offre un verre, Isy ?" fit-alors Avalon en se tournant vers son amie.

Heureusement, Avalon et elle étaient amies même dans la mauvaise foi. Elles étaient toutes les deux là, à mal vivre leur défaite face à ces deux prétentieux d’Andrew et Xavier. Isobel s’était un peu renfrognée tandis qu’Avalon râlait ouvertement, ayant elle-aussi bien vite oublié leurs fanfaronnades lorsqu’elles remportaient des victoires écrasantes. La manière dont elle refusa la revanche lui tira un rire, rire accentué devant la mine choquée de Xavier, qui ne s’attendait visiblement pas à une telle réplique.

- Avec plaisir ! accepta-t-elle. Bonne soirée, messieurs, lança-t-elle en attrapant sa veste et son sac à main.

Après tout, elles étaient venues ici pour s’amuser, pas pour être humiliées dans des parties de billard. Elles se rapprochèrent du bar pour avoir des consommations, avant de trouver une table un peu à l’écart pour pouvoir discuter tranquillement.

- Franchement. Je ne sais pas pourquoi on s’entête à parler à des mecs de la Justice Magique. Tous les mêmes.

L'avantage d'être amie avec Isobel, c'est qu'elles se soutenaient dans cette défaite cruelle et injuste, sans que l'une ne soit choquée de la réaction de l'autre. Elles se tirèrent de cette situation désagréable avec panache - et Avalon ne put retenir un sourire narquois devant la mine défaite de Xavier - puis gagnèrent le bar pour passer commande. Avalon hésita un instant avant d'opter pour un cocktail au nom saugrenu qui paraissait très sucré (un bon point pour le cocktail), et laissa Isobel faire son choix.

Elles s'éloignèrent en direction d'une table, leurs boissons à la main, et s'installèrent face à face. Ici, le brouhaha de la salle ne les empêchait pas d'avoir une conversation, qui démarra au quart de tour sur leurs récents adversaires. Avalon approuva les paroles d'Isobel d'un vigoureux hochement de la tête.

"Enfin, surtout les avocats." prit-elle soin de préciser parce qu'elle travaillait aussi à la Justice Magique (mais la partie intéressante de la Justice Magique, pas celle qui se noyait sous la paperasse). "Je crois que je n'ai pas rencontré un seul avocat qui ne soit pas imbu de lui-même." Alors que, vraiment, la fierté d'Avalon minuscule était minuscule. "C'est comme si c'était un package : ils passent le Barreau, et on leur donne une immense estime d'eux-mêmes, contrebalancée par de piètres performances sexuelles et une panoplie de remarques narquoises."

Armée d’un verre de vin blanc - ça y est, elle en avait fini avec la bière - Isobel s’était assise à leur nouvelle table, bien décidée à continuer leur petit exercice de mauvaise foi. Heureusement, avec Avalon, elle n’était jamais déçue : cette dernière s’empressa de rebondir sur ses propos, comme toujours avec beaucoup d’humour. Isy hocha largement la tête lorsqu’elle glissa que tous les avocats étaient imbus d’eux-mêmes (cela allait clairement avec le diplôme). Elles venaient d’en avoir une splendide démonstration (tandis qu’elles incarnaient évidemment une grande humilité.)

- N’oublie pas un salaire qui les fait se croire au dessus du commun des mortels et qui leur fait penser que s’ils te payent un repas à l’Hippogriffe cendré, tu leur tomberas sur les genoux dans la seconde.

Elle ne parlait pas du tout d’expérience, voyons. Elle prit une gorgée de vin avant de lancer, tout en faisant un large mouvement de main avec son verre.

- En plus, le troisième coup de Warlock était sérieusement contestable, disons-le.

Avalon n'avait jamais été une personne très objective. La neutralité ne l'intéressait guère ; elle était de toute façon une femme très entière et très passionnée, dont "subjectivité" était souvent le deuxième prénom. Elle avait des avis bien tranchés sur des questions parfois sérieuses, parfois futiles, mais elle n'y dérogeait pas. Il était en somme très difficile de faire changer Avalon Davies d'avis - à vrai dire, elle ne se souvenait pas qui était la dernière personne à avoir réussi cet exploit, puisque sa mauvaise foi l'empêchait souvent de donner explicitement raison à quelqu'un d'autre.

C'était d'ailleurs pour cela qu'elle trouvait en Isobel une partenaire merveilleuse, prête à la suivre sur les chemins de la subjectivité avec une aisance caractéristique des mauvaises perdantes (qu'elles n'étaient évidemment pas, comme elles l'avaient affirmé à Andrew et Xavier quelques minutes plus tôt.)

"Plutôt m'étouffer avec la serviette de table." commenta Avalon à la remarque - très juste - d'Isobel. "Tu te souviens quand je suis sortie avec un avocat, une fois ? Je te promets que j'aurais pu mourir d'ennui avant le plat principal." confia-t-elle avec un sourire en coin.

Et, comme cette théorie venait de se vérifier à nouveau, elles pouvaient décider joyeusement de mettre tous les avocats dans le même panier de façon totalement arbitraire.

"Alors là," rebondit Avalon en reposant son cocktail devant elle, "je suis bien d'accord. Le tir n'était pas du tout réglementaire, on aurait pu appeler à la faute pour reprendre la manche." affirma Avalon avec assurance. "Ca aurait changé tout le cours de la partie, on avait déjà un peu d'avance à ce moment-là en plus."

- Mais oui, je me souviens ! s’exclama Isobel avec satisfaction. Celui qui parlait de sa mère avant même que vous n’arriviez au restaurant ?

L’équation avec Avalon était plutôt simple : elle avait toujours des histoires de rendez-vous ratés ou catastrophiques voire même absurdes. C’était une blague récurrente avec elle, elle semblait toujours tomber sur des hommes particuliers alors qu’ils paraissaient à peu près normaux au premier abord. Cela leur avait permis d’avoir des discussions très drôles (et à Isobel de savoir quels sorciers éviter. Même si elle avait déjà comme règle de ne pas sortir avec des gens du Ministère, petite règle enfreinte juste une fois. Deux. Trois fois mais ça valait largement le coup.) Le plus drôle évidemment était de pousser les descriptions de ces gentlemen jusqu’à la caricature, parce qu’elles étaient toujours de bonne foi, c’était bien connu. La preuve en était : elles arrivaient parfaitement à passer à autre chose après leur partie ratée de billard.

- C’est bien ce que je disais : on les a laissés gagner.

Isy tourna le regard vers leurs anciens concurrents. Xavier semblait parler un peu fort, une gobière à la main.

- Non mais regarde, au moins ils sont contents. C’est fragile les garçons des fois, une petite victoire leur fait du bien.

Isobel était plutôt satisfaite de cette conclusion : elles les avaient laissés gagner, donc elles n’avaient pas perdu. Voilà qui était bien mieux. Avalon et elle échangèrent un regard satisfait au dessus de leurs cocktails. Évidemment, elles critiquaient le grand ego d’Andrew Warlock et de Xavier mais dans le fond, elles n’étaient (presque) pas mieux. Voilà que leur défaite se transformait presque en action féministe afin d’éviter le pire aux mères de leurs opposants.

- Elles devraient nous remercier, valida Isy en haussant la tête. Tu sais, j’ai un ami avocat - je sais, fit-elle en secouant la tête, anticipant le regard (faussement) désapprobateur d’Avalon. Mais c’est quelqu’un de bien, je te le présenterai un jour quand tu viendras à New-York !

Elle faisait régulièrement ce genre de petits appels du pied pour inviter son amie dans son pays natal. Elles s’étaient plusieurs fois dit qu’elles allaient le faire, toutes les deux, mais l’occasion ne s’était jamais vraiment présentée. Cela avait un certain coût et il fallait être disponible en même temps... En plus, ces dernières années, avant son retour en Louisiane et Abel, lorsque Isobel revenait au pays, elle dormait chez son amie Jessica, c’était toujours un peu plus délicat d’amener une autre personne pour deux semaines.

"Je suis bien d'accord." approuva Avalon en mélangeant distraitement son cocktail atrocement sucré et donc terriblement délicieux.

Et voilà comment, après une défaite, Isobel et Avalon parvenaient à ressortir gagnantes. Satisfaite de cette conclusion qui jouait en leur faveur - parce qu'elles l'avaient décidé - la jeune femme reporta son attention sur Isobel lorsque cette dernière mentionna son ami américain. Elle haussa les sourcils lorsqu'elle précisa sa profession, mais esquissa un sourire à la proposition qu'elle lui fit.

Partager ses histoires sentimentales catastrophiques était quelque chose qu'Avalon faisait assez facilement avec les autres ; surtout lorsqu'il s'agissait d'un premier rendez-vous complètement raté, ou d'histoires hautement impossibles à concrétiser. Elle se livrait moins sur les relations douloureuses qui avaient marqué sa vie plus jeune - il lui semblait qu'en plusieurs années d'amitié, elle n'avait jamais abordé ce sujet avec Isobel.

"Ce serait bien qu'on trouve un moment pour partir, depuis le temps qu'on en parle." commenta Avalon avec un sourire. "Et je ne dis pas ça que pour ton ami avocat." assura-t-elle en riant. "J'ai largement donné ma part avec les relations à distance." souligna-t-elle d'ailleurs. Il y a quelques années, alors qu'elle était en vacances avec Isobel justement, Avalon avait rencontré un homme charmant d'origine mexicaine, avec lequel elle était restée plusieurs mois. "Après," la taquina-t-elle, "ce n'est pas moi qui vais te reprocher de préférer partir en Corse ou en Islande avec Abel..."

- Mais oui ! approuva Isobel avec un enthousiasme non feint, s’animant sur sa chaise aux paroles d’Avalon. Ce n’était pas la première fois qu’elles évoquaient ce projet d’aller aux États-Unis. Un peu chauvine sur les bords, elle ne manquait jamais une occasion de faire la publicité de son pays en vantant toutes les choses qu’elles pourraient y faire. Elles avaient plusieurs fois fantasmé sur ce voyage entre copines mais rien de concret ne s’était jamais fait, partagées entre la question financière, leurs boulots et leurs disponibilités. En plus, ajouta-t-elle, Abel et son associé ont un appartement là-bas pour quand ils sont à leur agence américaine. Je suis sûre qu’on pourrait y rester s’ils sont en Angleterre... Comme ça, on aurait juste les Portoloins et nos dépenses là-bas.

Ce qui pouvait tout de même représenter une sacrée somme mais après tout, ce n’était pas un voyage qu’on faisait tous les week-end. Jusque là, elles s’étaient contentées de partir quelques jours en Europe, ce qui avait toujours été super mais elle avait véritablement envie de l’emmener à New-York, même si ce n’était pas pour rencontrer Jack (même si Isy était plutôt certaine que Avalon le trouverait fort mignon.)

La petite taquinerie de son amie lui tira un grand sourire et elle sentit ses joues chauffer comme une adolescente en émoi. Elle eut un petit rire et glissa ses cheveux derrière ses oreilles, hochant la tête. Elle eut la brève idée qu’une autre elle lui aurait sûrement mis un petit tacle derrière la tête pour la punir de cette attitude mais elle évacua bien vite cette pensée.

- Au Brésil, révéla-t-elle. On essaye de recaser le Brésil parce qu’on a pas pu le faire cet automne quand il était au Japon, mais nous n’avons pas de date encore... Et je voudrais qu’on aille à Paris en mars, je voudrais lui faire la surprise, je sais qu’il y a souvent des Portoloins moins chers à cette période alors je guette un peu... Mais ! Cela ne veut pas dire que je ne veux pas partir avec toi, au contraire, j’ai encore une vie en dehors quand même.

Evoquer ce potentiel voyage aux Etats-Unis tirait à Avalon un sourire un peu rêveur, alors qu'elle écoutait Isobel, déterminée à la convaincre de la suivre dans le pays qui l'avait vu naître. La question financière avait longtemps été un frein dans l'aboutissement de ce projet qui les tenait pourtant à coeur. Le salaire d'une Auror, puis d'une milicienne, était confortable mais loin d'être mirobolant. Depuis qu'elle était devenue lieutenante, en revanche, Avalon pouvait se permettre davantage d'extras - sa collection de baskets s'en était retrouvée agrandie - et envisager un voyage sur le continent américain devenait moins problématique.

"Moi tu sais que je suis déjà convaincue." affirma Avalon avec un sourire sincère. "Bon, j'ai posé une grande partie de mes congés à Noël, mais... A partir du printemps ?" proposa-t-elle. "On pourrait partir au moins une semaine ?"

L'idée lui paraissait en tout cas parfaitement séduisante - avec ou sans Jack à l'horizon. Prévoir des petites - ou, dans ce cas là en particulier, grandes - escapades avec Isobel avait toujours été quelque chose qu'Avalon adorait faire. Elles étaient plutôt compatibles, toutes les deux - peut-être parce qu'elles savaient supporter le caractère enflammé de l'autre (les rageux disaient "mauvais"). Elles étaient ainsi parties en weekend dans plusieurs capitales européennes, et Avalon en gardait toujours de jolis souvenirs.

Peut-être pas aussi jolis que ceux qu'Isobel conservait de ces voyages avec Abel, concéda-t-elle avec un sourire en observant son amie rire doucement de sa taquinerie. Sensible au bonheur des gens qu'elle aimait, Avalon voyait bien que son amie rayonnait lorsqu'elle évoquait son compagnon. Sa petite réflexion à la fin lui tira à son tour un rire.

"Je sais," approuva-t-elle "et tu sais bien que je te l'aurais fais remarquer, sinon." souligna-t-elle avec un sourire en coin ; Avalon n'était pas connue pour avoir la langue dans sa poche. "En tout cas c'est sympa, comme idée de cadeau, Paris." fit-elle en agitant distraitement le contenu de son verre avec un mélangeur. "Ca a l'air de bien se passer entre vous." constata-t-elle en observant Isobel. "T'as l'air heureuse." fit-elle avec un sourire.

L’idée de ce voyage qui se dessinait ravissait Isobel. Elle avait véritablement envie de faire découvrir à Avalon New-York, cette ville qu’elle appréciait tant. Lorsqu’elle était jeune, dans le sud des États-Unis, elle avait toujours eu envie de la visiter. Elle regardait assidument des séries comme Cagney et Lacey et se disait qu’un jour, elle irait là-bas. Elle avait volontairement cherché un stage de fin d’études dans les grands cabinets new-yorkais de relations publiques, afin de pouvoir y vivre pendant plusieurs mois. Elle gardait de cette période-là d’excellents souvenirs. Jess et elle vivaient en coloc dans un appartement plutôt miteux, avec une douche qui alternait le chaud et le froid. Elles n’avaient qu’une chambre et Isobel dormait sur le canapé-lit inconfortable, comme elle payait la plus petite part du loyer (les parents de Jess l’aidant un peu.) Mais elle s’était follement amusée, elle avait adoré son stage, sortir, découvrir la ville et mener sa vie là-bas, une vie dont elle avait toujours rêvé. Elle avait souvent dit que, si elle devait revenir aux USA, cela serait pour vivre à New-York.

- Au printemps, pourquoi pas ! En plus, il y a clairement moins de monde qu’à Noël.

Elle espérait vraiment que ce voyage pourrait se faire et ne resterait pas que des paroles en l’air. Elles étaient capables d’organiser des séjours, elles l’avaient déjà fait, mais elles avaient toutes les deux des emplois du temps plutôt chargés, surtout depuis que Avalon avait pris la tête de l’unité Renseignements de la Milice. Quant à Isy, elle consacrait souvent ses congés à quelques escapades en amoureux avec Abel. Elle essayait tout de même de garder du temps pour ses amis, elle n’était pas ce genre de personne. En tout cas, elle essayait ne pas l’être et elle savait bien que Avalon lui aurait clairement signifié s’il y avait un souci. À la remarque de son amie, elle haussa les épaules, comme pour minorer le sourire qu’elle avait aux lèvres.

- Ça se passe super bien, confessa-t-elle. Abel et elle étaient ensemble depuis un an et deux semaines, si on parlait véritablement de leur couple, mais se fréquentaient depuis un an et un mois si on prenait en compte l’espace de flottement qu’ils avaient eu auparavant. Autant dire que c’était la plus longue relation véritablement amoureuse qu’elle ait eue de sa vie. Elle n’avait pas fait exprès de retenir les dates. Elle avait juste une bonne mémoire. Je suis très heureuse, avoua-t-elle avec une légère grimace, comme si c’était quelque chose de grave. J’avais un peu peur, quand on a pris l’appartement que... Je ne sais pas, que ça se passe mal. Ils avaient emménagé ensemble le mois dernier, à Londres. On était quand même très souvent l’un chez l’autre avant, tu vois, mais je me disais toujours que j’avais l’option « rentrer chez moi », si on se disputait un peu ou si j’avais envie d’être toute seule, tu vois. Mais pour l’instant, tout roule vraiment, alors je touche du bois. À la fois, on passe du temps ensemble mais on arrive également à avoir nos espaces sans que ça pose souci. Des fois, il est dans son bureau, il bosse, moi je bouquine ou je fais mes trucs de mon côté dans la chambre et comme ça, on a nos moments pour nous. Puis franchement, on a la place, on ne se marche pas vraiment dessus... L’appartement lui semblait toujours gigantesque, avec ses trois grandes chambres, son salon, sa salle à manger, la grande cuisine, la terrasse : bref, ils pouvaient s’espacer. Puis je trouve qu’on a un bon rythme et on ne se prend pas la tête pour les tâches ménagères. Pour deux raisons. La première, ils mettaient tous les deux la main à la pâte. La seconde, ils avaient une femme de ménage. Cela aidait. Je trouve qu’on est vraiment bien alors... J’espère que ça va continuer.

Pour aller où, elle ne savait pas, mais en tout cas, elle n’avait vraiment pas envie qu’ils se séparent. Elle était bien auprès de lui, elle aimait tous les moments qu’ils passaient ensemble et quand il lui faisait un sourire, elle se sentait fondre.

Un léger sourire sur les lèvres, Avalon détaillait une Isobel toute souriante, apaisée, visiblement comblée par la relation qu’elle menait avec Abel. Pour être proche de la jeune femme depuis plusieurs années maintenant, Avalon avait suivi ses retrouvailles houleuses avec celui qui avait été son meilleur ami d’enfance, puis le début difficile de leur relation, les différentes crises qu’ils avaient traversé – dont un départ à l’étranger qui avait failli signer la fin de leur couple. Elle était heureuse de constater que toutes ces épreuves appartenaient au passé, et que leur futur semblait plus radieux. Abel et Isobel venaient d’emménager ensemble et, à ce que son amie lui confiait, la vie avait l’air de s’organiser doucement autour de cette cohabitation qui les ravissait tous les deux, malgré les grimaces d’Isobel.

Avalon en était sincèrement heureuse pour elle, et espérait que ce bonheur s’établisse durablement dans leur relation, comme Isobel le formulait d’ailleurs.

« J’espère aussi, vraiment. » répondit Avalon en observant son amie, un sourire franc sur les lèvres. « En tout cas, vous avez l’air d’avoir trouvé votre rythme dans votre nouvel appartement, c’est important… »

Avalon, quant à elle, avait toujours vécu seule, depuis qu’elle avait quitté l’appartement qu’elle occupait plus ou moins avec Fergus, une dizaine d’années plus tôt. Au moment de sa formation pour devenir Auror, elle avait songé à s’installer en colocation mais s’était ravisée au dernier moment, préférant appréhender cette nouvelle solitude dont elle n’était pas coutumière. Elle avait également failli habiter avec son petit-ami de l’époque – et se bénissait pour ne pas avoir sauté le pas.

« Puis vous avez quand même beaucoup évolué, tous les deux, depuis le début. » fit Avalon en posant son menton dans le creux de sa main. « Il n’y a pas de raison pour que les choses se passent mal maintenant. »

Un petit temps de silence passa, avant qu’Avalon n’ajoute, en souriant :

« En tout cas, je suis contente pour toi. Puis hé, » son regard se fit malicieux, « t’as bien mérité ta grande histoire d’amour, hein. »  

Isobel hocha la tête lorsque son amie souligna avec affection qu’ils semblaient avoir trouvé leur rythme. C’était vraiment le cas. Elle se sentait très heureuse avec Abel et elle espérait que c’était tout autant réciproque. Il la faisait se sentir bien, aimée et chérie et elle espérait lui rendre la pareille. Évidemment, rien n’était jamais écrit dans une relation mais avec un peu de chance, ils allaient pouvoir continuer ce chemin ensemble. Avalon le disait bien, après tout, il n’y avait pas de raison que les choses se passent mal. Ils avaient dépassé les grandes dissensions et blessures de leur passé, ils faisaient des efforts pour que tout aille mieux entre eux, pour se parler plus, se parler mieux, s’aimer mieux, presque. Il n’y avait plus qu’à continuer dans cette voie et prier pour que rien ne les éloigne. Mais Isy tut ses pensées à son amie, peu à l’aise à l’idée de dévoiler des choses si intimes. Elle se contenta de lui adresser un sourire.

- J’espère bien.

Elle eut un rire quand Avalon glissa qu’elle avait bien mérité sa grande histoire d’amour. C’était peut-être vrai. Elle avait vécu des choses difficiles, avait passé une longue partie de sa vie à se sentir rejetée, pas assez aimée. C’était bien, d’avoir un peu de répit.

- Je suis d'accord, souffla-t-elle avec un petit sourire en coin. Et tu sais quoi ? Toi aussi. J’ai le nez pour ces choses-là, faut me croire, y’a de grands talents de divination dans ma famille, plaisanta-t-elle. Ta graaaande histoire, elle est au coin de la rue, elle va débarquer dans ta vie et mettre les pieds sur la table en moins de deux, tu verras.