Pâtes au pesto saupoudrées de malaise [PV entre personnes embarrassées ]

Avec un amusement à peine réprimé, Alessandro écoutait son ami qui lui contait son après-midi baby-sitting. Il trouvait très drôle de l'imaginer en compagnie d'un stagiaire tout propret à devoir lui montrer les arcanes de la milice. Ce qu'il trouvait beaucoup moins drôle, en revanche, c'était ce soit-disant repas à thème Italie que leur imposait la cantine : à vraie dire, c'était même une insulte pour son pays.

"C’est vraiment une belle opportunité pour eux mais peut-être pas dès la cinquième année", disait Angus en se mouvant le long du comptoir.

"Je savais que tu aimais les prendre au berceau, mais seize ans c'est un peu jeune, Angus", le taquina-t-il avant de froncer le nez devant le choix de son ami : "Pâtes bolo, Gus ? Vraiment ?"

Mais le maître-fléreurs ne devait pas avoir envie de se lancer dans un débat gastronomique avec lui, puisqu'il rebondit sur son histoire de stagiaires, affirmant qu'il aurait fallut dédier un agent à leur formation.

"Oui mais est-ce que tu voudrais vraiment infliger ça à un collègue ?", répondit Alessandro en observant avec consternation l'énorme deuxième louche de pâtes luisantes de beurre, de bœuf, de tomate et de fromage rapé qui se déposait dans l'assiette d'Angus. Ce dernier se plaignait désormais de son travail, ce en quoi Alessandro compatissait grandement. En même temps, quelle idée d'occuper un véritable travail ? Lui n'avait qu'à suivre partout un ministre alcoolique et mégalomane en s'assurant qu'il ne crève pas - tâche que Leopold ne rendait pas toujours aisée en accumulant plus d'ennemis qu'Alessandro ne parvenait à assembler de conquêtes - et jamais il n'avait le moindre rapport à saisir. Suivre l'instamag de Sam Allport n'avait pas l'air si terrible que cela, cela dit.

"Ça devait être plutôt marrant, cela dit, une source inépuisable de moqueries", commenta-t-il en observant les différents plats comme s'il s'agissait de plusieurs sortes joliment arrangées de bouses de dragon. "Mais pénible à la longue, j'imagine bien. Des... spaghettis au pesto, s'il-vous-plait, enfin, ce que vous osez appeler ainsi."

Alessandro adressa un grand sourire charmeur au cuisinier, qui le fusilla encore plus du regard en retour et jeta une plâtrée de pâtes dans son assiette. Comme ils se mouvaient vers les desserts, il esquissa un sourire mystérieux à la mention de sa conquête du nouvel an, puis jeta un regard critique vers les différents fromages proposés.

"Aucun. Ce n'est pas du fromage. Vous les anglais n'avez vraiment aucune honte."

Il attrapa à regret une grappe de raisins à l'air plastifiés dans une petite coupelle, la déposa sur son plateau qui se mit à léviter jusqu'à la caisse. Quelques instants plus tard, il s'installait à une table ronde libre, bientôt rejoint par Angus et sa montagne de pâtes bolo.

"Donc oui, le nouvel an, désolé de vous avoir lâché mais tu comprends...", dit-il avec un air entendu, avant d'enrouler quelques spaghettis autour de sa fourchette, sans le moindre enthousiasme. "Elle s'est quasiment jetée sur moi au K Club, alors je ne pouvais tout de même pas la décevoir ! Ce que femme veut, femme obtient. Sacré soirée en tout cas... C'était une jeune, comme ta Emma. Elle s'appelait Sa..."

Son regard, qui balayait la cantine sans but, s'arrêta soudain sur une silhouette féminine et familière. Aussitôt, ses pupilles s'écarquillèrent et sa bouche resta grande ouverte, la fourchette pleine de pâtes restant immobilisée à mi-hauteur devant son visage.

"Hum. Samantha", termina-t-il d'une voix rauque, avant de rentrer la tête dans ses épaules, comme si cela pouvait la soustraire à sa vue...

Danielle n'était globalement pas ravie par cette obligation d'accueillir des stagiaires dans son service. Déjà, parce qu'ils traitaient beaucoup de dossiers sensibles, et qu'il était impensable de laisser des oreilles imprudentes trainer à côté de leurs réunions. Ensuite, parce que Danielle avait une patience très limitée et que les stagiaires qui avaient défilé à la milice avaient une légère tendance à lui courir sur les nerfs en moins de quarante-cinq secondes. Généralement, elle se faisait un plaisir de déléguer cette lourde tâche de formation à Galahad ou Avalon, qui ad-o-raient leur rôle de tuteurs, et qui se chargeaient d'organiser un petit parcours initiatique dans les locaux de la milice. Mais les deux miliciens n'avaient pas pu caser leur petite stagiaire de 5e dans leur programme déjà bien chargée par la période (ils ne faisaient pas vraiment d'effort, selon elle), aussi elle s'était occupée personnellement du parcours de Sasha Benson.

Et elle ne le regrettait pas (complètement). Sa charge de travail avait bien évidemment augmenté (et elle ne pensait pas que c'était encore possible) mais Sasha était bien plus dégourdie que tous les stagiaires qui avaient défilé chez eux. Elle était intelligente, futée et faisait preuve d'un esprit logique assez rare pour une adolescente de son âge. Elle était discrète, et avait su trouver sa place dans la milice, observant les interactions autour d'elle bien plus qu'elle n'y prenait part. Danielle s'était un peu retrouvée en elle ; et ainsi avait pris plaisir à suivre sa formation et à y prendre une part active. Elle lui avait concocté un programme pour qu'elle découvre chaque corps de métier, et l'avait même laissé évoluer dans une salle d'énigme de l'Académie de Manchester ; le but étant qu'elle parvienne à s'en échapper le plus rapidement possible ; et, encore une fois, elle avait été surprise de sa capacité de réaction.

Son stage touchait bientôt à sa fin, et Danielle s'apprêtait à lui délivrer le tant attendu "rapport de stage". Elle avait fini de rédiger le papier tard dans la nuit ; il était posé, face cachée, sur son bureau. Pour ces dernières journées de stage, elle avait proposé à Sasha d'intégrer l'Académie la matinée, et de rester avec elle l'après-midi. Elle se tenait justement à l'entrée de son bureau, signe que son tuteur de la matinée l'avait ramené un peu plus tôt que prévu au ministère.

"Ah, bonjour Sasha, comment vas-tu ?" demanda Danielle en relevant les yeux d'un épais dossier sur lequel elle inscrivait des annotations depuis deux bonnes heures. "Ta matinée s'est bien passée ?"

Un regard vers sa pendule lui fit comprendre qu'il était midi et demi. Un bref examen d'elle-même lui permis de comprendre qu'elle n'avait pas spécialement faim (cela faisait longtemps qu'elle avait pris l'habitude de sauter le repas du midi). Un dernier coup d'œil vers Sasha lui fit prendre conscience qu'elle était légèrement pâle.

"Tu as faim ?" questionna-t-elle. Les matinées à l'Académie étaient généralement éreintantes. Et Sasha avait l'air bien trop déterminée pour demander une pause à son formateur. "Allons manger." décida-t-elle en se levant de son bureau. D'un coup de baguette magique, elle remit en ordre sa surface de travail, et remit les papiers importants qui traînaient dans une armoire qu'elle referma à double tour. Elle fit glisser sa lourde cape violette sur ses épaules, et quitta son bureau, Sasha sur ses talons.

Elle ignora le regard mi-interloqué mi-moqueur d'Avalon qui ne l'avait jamais vu sortir de son bureau entre 12h et 14h. Elle-même était attablée à son bureau, un sandwich dans une main, son PearPro dans l'autre. Elle se dirigea vers l'ascenseur.

"La cafétéria, ça te dit ?"

Sur accord de sa stagiaire, Danielle pressa le bouton de l'ascenseur, et se laissa entraîner vers la salle de restauration en interrogeant Sasha sur son stage et ses impressions.
Elle fut surprise de constater à quel point l'endroit était grouillant de monde ; ainsi elle était la seule à ne pas se nourrir le midi ? Des regards curieux se tournèrent vers elle (de mémoire d'homme, on n'avait jamais vu la cheffe de la milice dans la cafétéria à une heure décente du jour). Elle les ignora sciemment et se dirigea vers la file, pour récupérer un plateau, ainsi qu'une assiette fumante de ce qui ressemblait vaguement à des pâtes alla carbonnara, sur lesquelles Gloria (qui adorait curieusement Danielle), avait ajouté une quantité astronomique d'un semblant de fromage, qui n'avait d'italien que le nom. Elle remercia la femme d'un sourire poli, et ajouta à son plateau un tiramisu au café qui ne pouvait décemment pas être aussi bon que celui qu'elle avait dégusté à Naples la dernière fois qu'elle y avait été. Un petit regard vers Sasha lui apprit que cette dernière avait fini de remplir son plateau, et les deux se dirigèrent vers la cafétéria... Malheureusement remplie. Impossible de trouver une petite table tranquille pour déjeuner dans le calme avec sa stagiaire ! Danielle pesta intérieurement et commença à observer la salle. Hors de question de s'asseoir avec les avocats, qui riaient grassement. Et impensable également qu'elle accepte de partager son repas avec les employés de la PM - elle avait une certaine dignité. Finalement, il lui restait comme possibilité de déjeuner avec Josie de la compta - qui semblait déjà se plaindre de sa charge de travail avec une collègue - ou avec Angus et Alessandro, installés devant deux assiettes fumantes. Son choix fut vite fait.

"Messieurs, les places sont prises ?" demanda-t-elle pour la forme en posant son plateau et en invitant Sasha à faire de même (sans demander la permission, car Danielle n'était pas vraiment de ce genre là). "Comment allez-vous ? Alessandro, Leopold vous laisse donc prendre une pause déjeuner ?" demanda-t-elle avec un léger sourire flottant sur ses lèvres. "Je vous présente ma stagiaire de cinquième année, Sasha Benson." lança-t-elle à l'attention du garde du corps, qui ne l'avait jamais rencontré. "Si elle ne passait pas ses BUSEs cette année, on l'embaucherait directement." ajouta-t-elle en posant un regard sympathique sur la jeune fille.

Installée sur un coin de table au milieu de l'open-space de la milice, Sasha recopiait avec application les notes qu'elle avait prises dans la matinée au sujet de la brigade fléro-technique. Elle n'avait pas de rapport à rendre, puisqu'il ne s'agissait pas d'un stage obligatoire, mais elle tenait à garder une trace écrite de tout ce qu'elle avait appris au cours de ces deux dernières semaines. L'adolescente s'était découvert un réel intérêt pour le département de la justice magique, qu'elle envisageait de plus en plus de rejoindre après Poudlard. Le département de la communication lui avait beaucoup plu également mais elle avait le sentiment que la justice magique lui offrirait un meilleur tremplin vers le gouvernement. Il suffisait de voir Miss Coleman, qui était déjà directrice de la justice magique à moins de quarante ans.

Sasha avait une grande admiration pour sa tutrice de stage, dont elle enviait le parcours. Elle n'aspirait qu'à avoir la même carrière, pour ensuite se retrouver à la tête du pays. Et elle mettait déjà toutes les chances de son côtés. Elle s'appliquait à être une stagiaire exemplaire, qui n'hésitait pas à arriver très tôt et à rester jusqu'à ce qu'on la mette dehors, qui exécutait les tâches mêmes les plus ingrates avec le sourire et qui faisait tout pour ne pas gêner les miliciens dans l'exercice de leurs fonction. La discrétion et l'efficacité étaient des qualités que Danielle Coleman semblait apprécier, et Sasha en avait fait ses maitres mots.

Malgré ses efforts, la jeune fille n'arrivait pas encore à lutter contre son horloge interne, qui continuait de lui réclamer trois repas par jour. Elle aurait adoré pouvoir se passer de déjeuner comme le faisait Miss Coleman -c'était un gain de temps inestimable !- mais elle n'avait pas encore pris cette habitude et risquait de faire un malaise avant la fin de la journée si elle n'avalait rien. Après un énième coup d'oeil à sa montre, elle se décida finalement à quitter sa chaise pour aller informer sa tutrice qu'elle descendait s'acheter un sandwich à la cafétéria, qu'elle pourrait grignoter en terminant de reprendre ses notes.

"Très bien, merci, répondit-elle avec un sourire poli quand Danielle la salua. C'était très intéressant, je ne savais pas que la brigade fléro-technique était utilisée à d'autres fins que la recherche de drogues, j'ai appris beaucoup de choses !" expliqua-t-elle avec enthousiasme.

Sasha eut à peine le temps de hocher la tête à la question de sa tutrice -elle mourrait de faim- que celle-ci lui proposait d'aller déjeuner. C'était la première fois depuis le début de son stage qu'elle voyait Miss Coleman prendre une pause à midi et elle afficha une mine surprise, sur laquelle elle s'empressa de coller un sourire ravi.

"C'est parfait !" répondit-elle avant de suivre la chef de la Milice jusqu'aux ascenseurs.

Les deux jeunes femmes ne tardèrent pas à rejoindre la cafétéria du Ministère, particulièrement bondée. Sasha comprit rapidement pourquoi en avisant les différentes petites affiches qui annonçait un déjeuner "spécial Italie". Des pâtes au pesto, voila ce qu'il fallait pour faire sortir les fonctionnaires de leur bureau à midi. L'adolescente s'en fit servir une assiette par une dame au sourire jovial, attrapa un tiramisu à la framboise, et rejoignit Danielle qui semblait chercher une table libre.

Sasha balaya la salle du regard et ses yeux s'arrêtèrent sur Alessandro, attablé un peu plus loin en compagnie du milicien de la brigade fléau-technique avec qui elle avait passé la matinée. Les souvenirs de la soirée du nouvel an défilèrent aussitôt dans son esprit et elle se sentit brusquement mal à l'aise, comme exposée face à ces yeux clairs qui l'avaient vue bien moins vêtue que ça. Elle n'arrivait plus à penser à autre chose qu'à cette nuit là, à ce qu'ils avaient fait, et elle avait l'impression que cela pouvait se lire sur son visage. Elle perçut toutefois le mouvement du garde du corps, qui semblait se tasser sur sa chaise, et réalisa qu'elle n'était peut-être pas la plus embarrassée des deux. Voila qui devenait intéressant.

Elle en était là de ses constatations quand Miss Coleman l'entraina justement en direction des deux hommes. Encore plus intéressant. Sasha commençait seulement à réaliser à quel point elle représentait une menace pour Alessandro. Elle-même n'avait aucune envie de voir leur histoire s'ébruiter, mais savait qu'elle trouverait un moyen de passer pour une pauvre jeune fille sans défense et de s'attirer de la sympathie, là où lui risquait sa réputation, et potentiellement son poste. Un sourire tranquille se dessina sur ses lèvres fines alors qu'elle s'asseyait à côté d'Angus, face à Danielle qui lui présentait justement Alessandro.

"Nous nous sommes déjà rencontrés, répondit-elle en savourant par avance l'étincelle de panique qu'elle espérait avoir allumée dans le regard du garde du corps. Elle laissa s'écouler une poignée de seconde pour déplier sa serviette avant de préciser : l'autre jour, près de la fontaine à eau."

Finalement, ce déjeuner promettait d'être très divertissant.

"Messieurs, les places sont prises ?"

"Oui !", répliqua Alessandro avec empressement, mais sans le moindre effet : Danielle s'était déjà installée. Une fois n'est pas coutume, les pupilles sombres du garde-du-corps ne se posèrent pas un instant sur la belle milicienne, ses lèvres ne s'étirèrent pas en un sourire séducteur, et il ne saisit même pas l'opportunité qu'elle lui offrait de faire preuve d'un peu d'esprit en plaisantant sur l'esclavagisme auquel le soumettait Leopold. Toute son attention était entièrement fixée sur la stagiaire qui s'installait face à lui, un air presque ironique flottant sur le visage.

Il ne reconnaissait que trop bien ces yeux bleus, ce regard vif et brillant d'intelligence. Se pouvait-il vraiment que sa fameuse conquête du nouvel an soit aussi la petite stagiaire d'Angus ? Sous le choc, Alessandro peinait à additionner deux et deux, un certain choc peint sur son visage. Si c'était vrai, alors Angus avait dû mal comprendre son background...

Tant pour se donner une contenance que pour reprendre ses esprits, il se hâta d'avaler un peu d'eau, qui s'étrangla au travers de sa gorge. Cinquième année ? BUSES ? Il avait forcément mal compris, ou alors, il y avait un gigantesque malentendu. Probablement la deuxième option.

Un éclair de panique passa brièvement dans son regard alors qu'il effectuait un bref calcul mental, dont le résultat lui tira un froncement de sourcils nerveux. Le chiffre seize dansa joyeusement dans son esprit. Non, Danielle s'était forcément trompée, ce n'était pas possible. Sasha lui avait affirmé être étudiante, et puis la soirée était réservée aux majeurs, la chef de la milice devait faire erreur : cela n'aurait pas été étonnant au regard du nombre de stagiaires qui passaient par son bureau ces temps-ci...

Ses sourcils noirs et fournis se froncèrent un peu plus lorsque son impudente conquête, qui avait l'air de trouver la situation très à son goût, avoua qu'ils se connaissaient. Elle n'allait tout de même pas... si ? Il eut beau la fusiller du regard, et Sasha eut-elle beau mentir sur les circonstances de leur rencontre, un coup d'oeil vers Angus suffit à lui confirmer que le mal était fait.

Alessandro déglutit nerveusement, sortit la tête de ses épaules, se redressa de toute sa stature. Sa main droite s'était crispée sur sa fourchette, qui piquait encore et encore la même pâte sans qu'il ne lui prête la moindre attention. Tout son sang semblait s'être figé dans ses veines, et c'est avec une pointe de menace au fond de la voix qu'il finit par réagir, son regard toujours fixé sur celui de Sasha :

"Vous devez vous tromper, Danielle." Une phrase qui, de mémoire d'homme, était rarement prononcée à l'intention de la chef de la milice, "Sasha a déjà passé ses BUSEs il y a de cela quelques années. C'est en tant qu'étudiante qu'elle s'est présentée à moi, à...la fontaine à eau... Elle n'est certainement pas en cinquième année. A Poudlard."

Peut-être que s'il l'affirmait avec suffisamment d'aplomb, alors, cela deviendrait vrai. Après tout, il n'avait pas couché avec une élève de Poudlard depuis...depuis...eh bien, il ne se souvenait même plus depuis combien de temps.

Les odeurs nauséabondes des fromages caoutchouteux d'Angus venaient lui chatouiller les narines, et il commençait à se sentir nauséeux. Impression qui ne fit que se renforcer lorsqu'une voix bien connue se fit entendre dans son dos, pour s'enquérir d'un ton guilleret :

"Messieurs-dames, booonjour bonjour... Cette place est libre ?"

Sans attendre de réponse, un nouveau plateau vint se poser impérialement sur la place libre entre Sasha et Angus, et une paire de fesses ministérielles se posèrent avec grâce sur la chaise vide.

Parfait. C'était tout simplement parfait.

Au fil de ses années en tant que cheffe de la milice, Danielle avait développé une excellente intuition. Cela devenait commun à de nombreux enquêteurs, qui parvenaient à comprendre une situation rapidement, à l’analyser et à en tirer les conclusions nécessaires. Or, il y avait quelque chose dans cette situation qui  ne collait pas. Une rencontre pourtant plutôt banale s’était transformée en un moment de tension palpable. Le regard de Danielle passa brièvement de Sasha à Alessandro, puis s’arrêta sur le visage d’Angus, dont les yeux écarquillés témoignaient d’un savoir que lui seul détenait. L’attitude du garde du corps de Leopold, quant à elle, lui tira un haussement de sourcils surpris. Elle se garda bien de réagir à son ton menaçant cependant, notant cette information dans un coin de sa tête, alors que Leopold Marchebank s’installait entre Angus et Sasha.

On avait rarement vu une table plus surprenante ; la cheffe de la milice – qui déjeunait – le ministre de la magie et son garde du corps, un maître-fléreur et une stagiaire, tous assis et silencieux. Danielle salua Leopold d’un sourire, avant de reprendre la parole, à l’attention d’Alessandro.

« Alessandro, je pense que je serais au courant si ma stagiaire, dont j’ai signé la convention, était diplômée, ou majeure. » Pour la simple et bonne raison qu’elle avait dû remplir de très – très – longues attestations pour les assurances des stagiaires mineurs au sein de la milice. « Sasha est étudiante. A Poudlard. » affirma-t-elle en piquant sa fourchette dans son assiette de pâte.

Elle garda le silence un instant, les yeux rivés sur le sorcier. Elle avait un pressentiment, une intuition qu’elle n’avait pas envie d’écouter.

« Pour ma part, je suis plus curieuse de savoir comment et pourquoi le garde du corps du ministre pense en savoir autant sur ma stagiaire. » demanda-t-elle, d’une voix froide. Elle croisa le regard de Leopold, échangea avec lui un regard lourd de sens, puis ajouta : « Tu fais espionner mes jeunes stagiaires, Leopold ? » demanda-t-elle d’un ton plus léger, pour détendre l’atmosphère.  

Sasha avait bien évidement cherché à embarrasser Alessandro mais elle se serait largement contenté d'un regard gêné ou d'une pâte au pesto avalée de travers. Au lieu de !a, elle fut véritablement surprise par le manque de self-contrôle du garde du corps. Elle dt prendre sur elle pour ne pas lui jeter un regard outré quand il corrigea Danielle sur son âge, comme s'il était mieux renseigné que la chef de la milice sur les études de ses stagiaires. Premièrement, il jouait avec sa vie -en une semaine de stage elle n'avait vu personne prendre le risque de contredire Miss Coleman, et deuxièmement son attitude était extrêmement suspecte. Mais enfin à quoi jouait-il ?

Bon, elle comprenait qu'il soit surpris, évidement. Elle avait volontairement gardé le silence sur son âge lors de la soirée du nouvel an et s'était montrée évasive en évoquant des "examens de fin d'années", sans préciser lesquels. Elle ne voulait pas qu'il sache qu'elle était mineure et qu'elle avait menti pour entrer dans la soirée, mais pour sa défense il n'avait jamais demandé son âge ! Et puis, Sasha ne réalisait pas à quel point le fait qu'elle ait seize ans puisse être si important. A ses yeux, qu'elle ait seize ou dix-neuf ans n'avait pas grande-importance. Elle avait toujours affirmé que l'âge n'était qu'un chiffre, qui avait une valeur très différente pour chacun. Elle n'avait pas seize ans de la même façon que Cindy, par exemple, qu'elle n'aurait jamais imaginé à sa place au K-Club tant elle manquait parfois de confiance en elle et de maturité. Les expériences de chacun pouvaient faire vieillir plus ou moins vite, et c'était ça qui importait.

En l'occurence, il y avait une personne à cette table qui réagissait comme une adolescente émotive et ce n'était pas elle ! Sasha résista à l'envie d'envoyer un coup de pied dans le tibia d'Alessandro pour qu'il arrête son numéro, consciente que cela n'échapperait certainement pas à Danielle, assise à côté de lui. L'adolescente fut forcée de constater que l'idée que la vérité soit exposée la plongeait dans une certaine angoisse. Elle se pensait au dessus de ça, mais n'était finalement pas prête à assumer publiquement les débuts de sa vie sexuelle. En particulier pas devant sa tutrice de stage et... Le Ministre de la Magie. Qui venait de s'asseoir à côté d'elle.

"Bonjour Monsieur le Ministre, le salua-t-elle avec un sourire poli. Enchantée."

Ils s'étaient déjà rencontrés brièvement après la mort d'Ana Sorden mais il y avait fort à parier qu'il n'avait aucun souvenir d'elle. Sasha se força à retrouver un certain calme, en se rappelant qu'Alessandro avait bien plus à perdre qu'elle si leur relation devenait de notoriété publique. Elle réussirait à retomber sur ses pattes, elle en était convaincue. Cette pensée la rassura et elle réussit à poser un sourire tranquille sur le garde du corps que Danielle questionnait sur son attitude. Il avait intérêt à la jouer fine !

"Je vous assure que je n'ai rien à cacher !" répondit-elle avec son sourire le plus innocent quand Danielle demanda avec humour à Léopold Marchebank s'il faisait espionner ses stagiaires.

Ou presque rien.

C'était probablement la tablée la plus étrange que le restaurant ministériel ait jamais vu, et il avait fallut que cela tombe sur lui. Lorsque son patron s'installa avec bonhomie à leur tablée, Alessandro profita de l'agitation créée pour jeter un coup d’œil blasé en direction d'Angus, persuadé que son ami avait compris l'embarras dans lequel il se trouvait -en même temps, il avait été tellement mortifié que la discrétion n'avait pas été de mise. Cependant, alors qu'il espérait pouvoir profiter de l'arrivée de Marchebank pour détourner la conversation, Alessandro comprit bien vite qu'il n'était pas tiré d'affaire.

Alessandro reporta son attention sur Danielle Coleman, et soutint son regard en esquissant un sourire figé, tout en triturant un bout de pain avec nervosité. Ainsi donc, Sasha était bel et bien élève de Poudlard, et mineure, ah ah ah. Il allait la massacrer, songea-t-il sans oser détourner les yeux, pris sous le regard de la chef de la milice comme un lapin entre les phares du Magicobus. Bon, soyons honnête, il avait déjà fait bien pire - et faisait encore bien pire pour son employeur ici présent - que de coucher avec une mineure, mais les affaires de moeurs pouvaient s'avérer aussi destructrices qu'un petit assassinat bien senti. Surtout autour d'une telle tablée. Alessandro savait pertinemment que Coleman n'avait rien d'une douce colombe, mais enfin, tout de même.

Réfléchissant vainement à un mensonge crédible, il se retrancha dans un silence salvateur tandis que Leopold intervenait, non sans l'observer avec le plaisir un peu trop manifeste de celui qui avait senti le chaos sous-jacent :

"Tout le monde a quelque chose à cacher, jeune fille. C'est la première chose à savoir si vous vous intéressez à une carrière dans la milice... ou en politique."

Sasha paraissait, elle-aussi, un peu trop heureuse d'être là mais il allait lui faire rapidement passer le goût des sourires faussement innocents. Bien sûr que là, à la lumière du jour avec ses airs ingénus, elle avait l'air d'une gamine, où était donc la créature entreprenante et sexy qui n'avait pas hésité à lui mentir et à quitter une boîte avec lui, dix minutes après minuit ? Alessandro retint à grand peine un regard mauvais quand le ministre, bien trop heureux de la situation, renchérit :

"Je suis moi aussi curieux de savoir de quoi vous avez bien pu parler, à la fontaine à eau..."

"Un pari, on a parié de l'argent, sur le résultat du match des Pies", grommela-t-il en piquant ses pseudos-pâtes avec mauvaise humeur. C'était tout ce qui lui était passé par la tête. Dans le monde sorcier, les jeux d'argent étaient interdits aux mineurs, mais c'était tout de même nettement moins répréhensible moralement que des relations sexuelles, certes légales. Il préférait payer l'amende mais éviter le jugement de Coleman chaque fois qu'elle croiserait son chemin - c'est-à-dire très souvent. Bien sûr, il était possible qu'elle n'avale pas son mensonge mais peut-être ferait-elle semblant - après tout, elle n'était pas prude et lui-même se souvenait distinctement de ce qu'il avait vu, quelques mois auparavant, sur la Minister Map de Leopold...

Heureusement pour lui, Angus, ce bon copain, changea de sujet de conversation pour aller vers un terrain nettement moins glissant... quoi que. Alessandro émit une pensée de gratitude à son égard lorsque Leopold s'empara de la conversation sans se faire prier :

"Vous avez tort d'être aussi dur avec le monde moldu, ce sont des êtres surprenants et leur monde recèle de richesses pour qui veut bien s'y intéresser. Nous avons tout à gagner à apprendre à les connaître", disait le ministre en sirotant un verre de vin rouge. "Cela étant... en ce qui concerne M. Goldstein..."

Un tic, quasiment imperceptible, agita la lèvre supérieure du ministre alors qu'il échangeait un regard entendu avec Danielle. Alessandro savait pertinemment que le Directeur de la justice magique commençait à lui courir sur le système. Goldstein avait de l'agent et du réseau, deux qualités qui lui avaient valu sa place, mais les récriminations dans son service étaient légion. Il n'avait toujours pas pris la pleine mesure de la gravité de l'époque qu'ils vivaient et le caractère stratégique de son propre département, et Danielle comme Hailey devaient régulièrement batailler avec lui.

"Je vais lui parler. Vous avez raison, nous devons employer tous les moyens à notre disposition, même si je comprends, bien sûr, les raisons qui le conduisent à ne pas le faire...", dit-il d'un ton légèrement ennuyé.

Assez peu intéressé par la conversation, mais soulagé de pouvoir respirer un peu, Alessandro posa sur Sasha un regard insondable. Elle et lui allaient avoir besoin d'une petite conversation.

Le regard froid de Danielle ne quittait pas Alessandro, dont la présent de Sasha se révélait être parfaitement inconfortable pour lui. Tous, autour de cette table, semblaient avoir compris que quelque chose clochait – Sasha exceptée, qui affichait un air parfaitement innocent. La réponse du garde du corps – une banale histoire de paris sportifs – ne tira à Danielle qu’un vague haussement de sourcils sceptiques, alors qu’elle échangeait avec Leopold un nouveau regard lourd de sens. Elle n’aimait absolument pas la scène dont elle était témoin, songea-t-elle alors qu’un silence assez lourd s’installait au sein du petit groupe très hétéroclite.

Ce fut Angus Rice qui le brisa, en chantant les louages de Sasha Benson à Leopold Marchebank. Ces paroles ne tardèrent pas à se transformer en paroles engagées, alors que l’agent du la milice tenait un discours parfaitement incendiaire à l’égard de Goldstein. Danielle reposa sa fourchette dans son assiette, pour poser un regard songeur sur le milicien. Elle ne savait pas si elle devait se montrer amusée ou agacée, mais une chose était sûre : Angus n’avait pas froid aux yeux, songea-t-elle, pour faire de tels reproches devant le ministre de la magie lui-même. Elle tiqua à la remarque profondément raciste de Rice sur les moldus – et laissa Leopold répondre sur le sujet – si sensible – de Goldstein. Elle lui renvoya son regard, en prenant une gorgée d’eau, et hocha doucement la tête pour approuver ses paroles.

« J’espère qu’il sera plus sensible à tes paroles qu’aux miennes, Leopold. » fit Danielle d’une voix qui trahissait son agacement envers le directeur de la justice magique. De toute façon, même s’il était en désaccord avec les remontrances du ministre, son sort était maintenant scellé, songea-t-elle fugacement en reportant son regard sur Angus, qu’elle observa un instant. « Je ne peux que soutenir le ministre dans son ouverture vers le monde moldu, agent Rice. » lança-t-elle, comme pour rappeler à son employé qu’elle était née-moldue. Puis elle rajouta, un léger sourire en coin. « Qui sait. Vous vous découvriez peut-être une passion pour la technologie, et vous répondriez alors avec enthousiasme aux invitations aux formations Vargas que je vous envoie. »

Elle connaissait la passion d’Angus pour le logiciel Netflics, désormais installé sur tous les PearPro des miliciens. Elle décida de laisser son agent en paix, pour reporter son attention sur Sasha.

« Je ne te savais pas amatrice de Quidditch particulièrement, Sasha. Tu suis l’équipe des Pies ? »

Sasha se tendit de façon imperceptible lorsque le Ministre de la Magie s'interrogea sur le sujet de la conversation qui avait prétendument eu lieu entre elle et Alessandro près de la fontaine à eau. Elle était en train de réfléchir à une histoire crédible mais le garde du corps la devança et prétendit qu'ils avaient parié de l'argent sur le dernier match des Pies. L'adolescente soupira intérieurement. Elle aurait été capable de soutenir une discussion sur de nombreux sujets, mais le Quidditch n'en faisait pas partie. Elle avait tendance à se contenter de balayer cette section du regard quand elle lisait la Gazette le matin et réalisa qu'elle ne savait même pas si les Pies avait perdu ou gagné leur dernier match.

Heureusement pour elle, personne ne la questionna sur le sujet, et aucun des adultes présents ne parut s'offusquer du fait qu'une adolescente de seize ans parie de l'argent, ce qui était pourtant contraire à la loi. Elle ne put s'empêcher de se demander s'ils seraient aussi tolérants dans l'hypothèse où ils viendraient à apprendre la vérité. Certainement pas.

La jeune fille se laissa donc oublier et resta sagement silencieuse tout en écoutant avec  attention la conversation, qui venait de dévier sur un sujet beaucoup plus intéressant. Elle ne manqua pas les réactions et échanges de regard provoqués par la mention du Directeur de la Justice magique, qui ne semblait pas particulièrement apprécié des différentes personnes autours de la table. Elle nota cette information dans un coin de son esprit en se promettant de guetter le nom de Goldstein dans les journaux ces prochaines semaines, pour comprendre ce que l'on pouvait lui reprocher. Elle obtint un début de réponse quand Angus se plaignit du refus de Goldstein de laisser ses agents utiliser du polynectar pendant leur mission en monde moldu.

Elle fronça légèrement les sourcils face au mépris évidement de son tuteur de la matinée pour les moldus, et sourit quand Léopold et Danielle le lui reprochèrent ouvertement. Sasha avait été élevée comme une moldue pendant toute son enfance, comme beaucoup d'autres sorciers, et elle avait du mal à croire qu'il y ait encore des sorciers réfractaires au monde moldu quand il était de plus en plus mélangé au monde sorcier. Les deux mondes étaient étroitement liés et elle ne voyait aucun intérêt à lutter contre ce rapprochement.

La mention du polynectar avait attisé sa curiosité et elle aurait aimé savoir quelles étaient les raisons de son interdiction, mais elle n'osa pas poser la question. Elle regretta bien vite ce manque d'audace quand elle se retrouva interrogée par Danielle sur sa soi-disant passion pour le Quidditch. Merci Alessandro !

Heureusement pour elle, Sasha savait plutôt bien mentir, mais il s'agissait là de tromper la chef de la milice, aussi décida-t-elle de rester au plus près possible de la vérité.

"Je ne suis pas particulièrement passionnée, répondit-elle calmement. Mon meilleur-ami est un grand supporter de Flaquemare, je soutiens les Pies surtout par esprit de contradiction !"

Si on devait la questionner à propos du Quiddtch, elle préférait encore parler de Flaquemare que des Pies ! A force de passer du temps avec Andrew -même s'ils se voyaient moins cette année- elle avait retenu quelques noms de joueurs et exploits de l'équipe.

"C'était un pari idiot," conclut-elle en baissant les yeux, comme si elle avait honte, pour s'éviter de fusiller Alessandro du regard.

Alessandro guetta avec amusement la discussion entre Angus et les deux pontes du ministère, qui vantaient les atouts du monde magique. Malheureusement pour son ami, depuis la fin de la guerre, et à plus forte raison depuis la victoire du FREE, ce type d'opinion n'était plus vraiment en odeur de sainteté, quand bien même elles restaient partagées par la partie la plus conservatrice de la population.

Il commençait tout juste à se détendre, et à profiter en silence de l'attention qui était portée sur Angus et sa passion pour la technomagie, lorsque la chef de la milice eut l'idée brillante de revenir sur son mensonge. Aussitôt, il porta un regard impénétrable sur Sasha en mâchonnant ses spaghettis, priant intérieurement pour qu'elle ait quelques notions de ce sport - et pas seulement parce qu'elle bavait sur le capitaine de l'équipe de Quidditch depuis les gradins du terrain de Poudlard. Heureusement, elle apporta une réponse qu'il jugea honnête, bien que potentiellement dangereuse : avait-elle choisi cette équipe au hasard ? Probablement pas, la stagiaire semblait être une menteuse née, à en juger par son air honteux parfaitement convainquant.

Alessandro sentit Leopold frétiller sur sa chaise à la mention de son club de prédilection. Angus ne s'y trompa pas, à en juger par le regard qu'il adressa au ministre.

"Non pour ma part, j'ai prévu de passer la soirée avec mon épouse", répondit le ministre, qui ne fit pas beaucoup d'efforts pour dissimuler sa déception. Il fallait dire que les visites du ministre de la magie dans les tribunes se faisaient beaucoup plus rares depuis son élection, lui qui avait été un grand habitué des loges VIP du stade des Pies.  

"J'ai deux places qui ne vont pas me servir, si vous voulez y aller avec votre ami", proposa Leopold en portant un verre de vin rouge à ses lèvres, son regard fixé sur Angus.

"Ça t'intéresse ?", s'enquit Alessandro à l'intention du milicien, qui n'était pas contre assister au match en compagnie d'Angus, qui serait bien plus fun que celle de Leopold.

Leopold reporta ensuite son attention sur la jeune stagiaire, l'air légèrement amusé, et Alessandro retint inconsciemment sa respiration.

"Une supportrice des Pies et stagiaire à la milice, alors ? Qu'est-ce vous pensez des recrutements du mercato d'hiver ?", s'enquit-il en croisant les deux mains sous son menton, pour observer Sasha avec l'air acéré du professeur en pleine interro. Alessandro comprit qu'elle avait intérêt à être en mesure de lui citer quelques noms de joueurs, et crispa sa main sur sa fourchette. Ah, s'il pouvait lui communiquer tout ce qu'il savait par télépathie ! Alessandro lisait le journal sportif La Team tous les matins, et le marché des joueurs n'avait plus le moindre secret pour lui... mais il doutait qu'il en soit de même pour Sasha.

Une fois qu'elle lui eut répondu, le ministre se tourna vers la chef de la milice pour lui glisser en aparté :

"Cette jeune fille m'a tout l'air d'avoir du potentiel. Tu vois bien que ce n'est pas si mal, cette idée de stagiaire..."

Alessandro profita de cette seconde d'inattention pour glisser un regard entendu à Angus : Merlin, ce qu'il avait hâte que ce dîner se finisse ! Il n'était pas certain d'avoir très envie de débriefer l'évènement, d'un côté... c'était plutôt à Sasha qu'il avait l'intention de parler en tête-à-tête, dès qu'il en aurait l'occasion.

Il repoussa son assiette avec un air de dégoût et souffla à l'intention d'Angus, en ignorant ostensiblement l'existence de Sasha : "Ces pâtes sont infâmes, je ne sais pas comment tu fais pour manger ça."

Danielle esquissa un sourire vaguement amusé au commentaire d’Angus, qui ne prit pas la peine de lui répondre. Elle savait bien que son agent n’était pas très adepte des technologies Vargas et, d’ailleurs, il s’abstenait bien de se présenter aux formations, pourtant nécessaires à la prise en main de ces nouveaux objets. Mais il ne pourrait pas se débiner encore longtemps, car Danielle comptait bien lui faire passer son niveau 1, coûte que coûte.

Le sujet dériva à nouveau sur le Quidditch, et Danielle resta silencieuse en observant Sasha interagir avec le ministre sur le mercato d’hiver. Leopold aussi avait compris que quelque chose clochait, que la situation était bien plus complexe qu’un simple « pari idiot » qu’Alessandro et Sasha avait évoqué. Danielle n’était pas particulièrement amatrice de Quidditch, même si elle aimait beaucoup la sensation que procurait un vol sur un balai, mais elle se montra particulièrement intéressée par le sujet, son regard ne cessant de faire des allers-retours entre sa stagiaires et le garde-du-corps du ministre.

« Hum. » fit-elle à l’intention de Leopold. « Si tous mes stagiaires étaient aussi doués que Sasha, je t’accorderais peut-être ce point. » Elle haussa un sourcil avec un sourire narquois : « Mais tu peux aussi reconnaître que la majorité étaient des catastrophes ambulantes. »

Elle jeta un coup d’œil à Alessandro, qui regardait son assiette d’un regard noir, ignorant ostensiblement les autres personnes de cette table. Danielle fronça les sourcils, et jeta un regard vers Sasha.

« Sasha, tu as terminé ? » l’interrogea-t-elle. « J’ai un peu de temps avant ma première réunion de l’après-midi, » qui était avec Leopold d’ailleurs, « on pourrait en profiter pour faire ton bilan de stage, si tu veux. » Et, si elle en avait l’occasion, Danielle ne se gênerait pas pour questionner Sasha sur ce fameux pari qu’elle avait fait avec Alessandro… Ou plutôt, sur ce que cette histoire cachait réellement.

Sasha fut soulagée de voir que la conversation s'orientait vers le match de samedi soir, qui verrait s'affronter les Pies de Montrose contre les Harpies de Holyhead. Elle écouta sagement les échanges entre le Ministre et ses employés, bien heureuse de se faire oublier pour le moment. L'adolescente était pourtant du genre à aimer être le centre de l'attention et elle ne perdait jamais une occasion de s'imposer ou de faire ses preuves, mais le Quidditch était un des rares sujets sur lequel elle était incapable de soutenir une conversation.

Malheureusement pour elle, Léopold Marchebank n'avait pas l'intention de la laisser finir son repas en silence, et lui demanda son avis sur le recrutement du mercato d'hiver. Elle releva la tête et résista à l'envie de jeter un regard de détresse en direction d'Alessandro, parfaitement consciente qu'il ne viendrait certainement pas à sa rescousse. Bon, le mercato d'hiver. Elle avait déjà entendu Andrew en parler, elle en était certaine. Elle avait tendance à ne l'écouter que d'une oreille quand il se lançait dans de longues -très longues- dissertations sur le Quidditch, et regrettait maintenant de ne pas y avoir prêté davantage attention. Elle dut se contenter d'une réponse vague, et pria pour ne pas dire d'énormités.

"Les Pies ont récupéré de bons joueurs, mais les Harpies aussi, commença-t-elle un peu hésitante, avant de se rappeler du discours d'Andrew sur le sujet. Mais leur entraineur n'exploite pas suffisamment leur potentiel, l'équipe est loin d'être à son maximum, les Pies ont toute leur chance face à elles !"

Elle n'avait peut-être pas brillé par ses connaissances, mais elle espérait avoir au moins tenu un discours cohérent. Le ministre parut satisfait, puisqu'il assura qu'elle avait beaucoup de potentiel. Sasha se sentit rosir de plaisir et lui répondit par un sourire timide avant de reporter son attention sur son assiette presque vide, en réalisant que la tension des derniers échanges lui avait coupé l'appétit. Elle sentit le regard de Danielle se poser sur elle et se raidit imperceptiblement. La chef de la milice avait l'air contrarié -encore plus que d'habitude- et ne semblait pas avoir été convaincue par cette histoire de pari sportif. Cette dernière lui proposa alors de profiter d'un moment de libre après le déjeuner pour faire son bilan de stage, et Sasha espéra que sa tutrice ne profiterait pas de cette occasion pour la questionner au sujet d'Alessandro.

"Bien sûr, avec plaisir ! répondit-elle avec un sourire faussement enthousiaste. Imitant Danielle, elle se leva et attrapa son plateau. Au revoir messieurs, les salua-t-elle en évitant de croiser le regard d'Alessandro, qui semblait plongé dans la contemplation de ses pâtes. Bonne journée !"

Elle suivit la chef de la milice jusqu'à la sortie de la cafétéria, en réfléchissant déjà à la manière d'exploiter au mieux ce qui venait de se passer. Elle avait été prise au dépourvu par cette stupide histoire de par sportif mais Alessandro avait semblé encore plus embarrassé qu'elle. Elle avait la certitude qu'il n'avait absolument aucune envie de voir leur aventure s'ébruiter, et qu'elle pouvait faire payer son silence très cher... C'est avec un sourire tranquille que la jeune femme s'engouffra dans l'ascenseur à la suite de sa tutrice, satisfaite de ce déjeuner très intéressant.