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Maintenant, c'est fini [OS]

Roy Calder
Roy CalderPropriétaire d'un haras
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Profil Académie Waverly
Maintenant, c'est fini [OS] Icon_minitimeDim 9 Fév 2020 - 23:33
1er décembre 2010, port de Bristol  

Les bourrasques humides et glaciales, charriées par la houle, cinglent les visages fermés de l’assistance et s’insinuent dans les couches épaisses, noires, de leurs vêtements. Le spectacle familier de la mer qui s’échoue et se rétracte dans une danse inlassable n’émeut personne, les yeux sont rivés au sol ou fixés sur la ligne d’horizon, vides. Le regard de Roy, au contraire, s’accroche aux lignes de crête blanches qui découpent nettement les vagues dans le ciel, jusque leur chute inévitable et fracassante. Cette chorégraphie immuable est à ses yeux un solide point d’ancrage pour les coeurs éprouvés par le chagrin. L’espace d’un instant, face au grondement de de l’océan, il peut se rappeler l’insignifiante position des tumultes de sa propre vie, aussi violents soient-ils.

La foule reste immobile pendant que quatre hommes déplacent le cercueil jusque la barque qui a été affrétée et ancrée près du ponton. Les planches en bois durcies par l’humidité craquent sourdement sous leur pas tandis qu’ils déposent l’imposante sépulture au centre de leur barque, par la force de leurs bras. L’embarcation tangue et s’enfonce un peu plus dans l’eau dans des bruits de clapotis qui brisent le silence et tirent Roy de sa contemplation du paysage lointain. Ses yeux se fixent sur la croix symbolique, gravée à la surface du cercueil, et il se rappelle son rôle. Son regard croise celui du curé à sa gauche. D’un hochement de tête, il lance le départ de la cérémonie.

Did I disappoint you or let you down?
Should I be feeling guilty or let the judges frown?
'Cause I saw the end before we'd begun
Yes I saw you were blinded and I knew I had won

La fine silhouette osseuse du religieux, entièrement vêtue de noir, s’avance jusqu’au ponton, prenant la tête de l’ensemble des fidèles. Il se baisse, jusqu’à atteindre l’un des trois cierges disposés au sommet du cercueil, qu’il allume d’un geste.

« Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, paix à vous. Mes chers frères et soeurs, que Dieu Tout-Puissant nous fasse miséricorde. »


*****

15 octobre 2010, Manchester

La porte claque dans un bruit violent qui se répercute à travers les cloisons du vieil immeuble, encore imprégnées du son de leurs cris. Des cris, des cris. Ils remplissent sa tête, éreintent sa voix, nourrissent sa colère. Il n’en peut plus, il ne sait plus quoi faire. Il n’a pas pu évacuer sa rage jusqu’au bout alors il frappe le pied de la table basse, renverse d’un geste du bras l’amas de papiers qui la jonchaient. Quelque chose se brise en morceaux au sol. Un instant, il songe à casser tout ce qui se trouve à portée de sa main, mais il se retient, de justesse. Il n’est pas chez lui et elle lui en veut déjà suffisamment.

So I took what's mine by eternal right
Took your soul out into the night
It may be over but it won't stop there
I am here for you if you'd only care

Une vague d’abattement prend Roy par surprise, éteignant sa colère aussi brusquement qu’elle n’est apparue. Il se laisse tomber sur le canapé, le visage caché entre ses mains. Il se repasse en tête ses échanges avec Juliana, frénétiquement, comme pour y trouver une faille qu’il pourrait exploiter pour arranger les choses mais il ne trouve rien. La sensation de se trouver face à une impasse l’emplit d’une anxiété qui lui coupe le souffle. Fébrilement, il extirpe un joint de sa poche. La drogue qui emplit ses poumons apaise un peu ses nerfs mais ne lui offre pas davantage de solutions.

« Putain de merde… »

Tout est aussi brumeux que cette fumée bleutée sous ses yeux.


*****

1er décembre 2010, port de Bristol

La grande silhouette de Fergus succède à celle du curé qui se retire derrière sa longue toge sombre. Paradoxalement, le discours qu’il s’apprête à faire sera écouté encore plus religieusement que le prêche qui vient de se terminer. Les hommes rassemblés sous le vent glaçant des côtes bristoliennes sont avant tout venus rendre hommage à leur pair, leur frère, et Fergus représente à cet instant l’aîné, le mentor. Il s’avance jusqu’à atteindre avec le bout de sa baguette le deuxième cierge. Malgré la violence des bourrasques, sa voix profonde porte loin quand il prend la parole, le regard baissé vers le cercueil :

« Personne ne me contredira si j’affirme que tu as été parmi les hommes les plus efficaces et les plus loyaux dans nos rangs. Tu as accompli des choses dont personne d’autre n’est capable. Tu as littéralement été les yeux et les oreilles des Veilleurs. Sans toi, nous avançons dans le noir. »

You touched my heart you touched my soul
You changed my life and all my goals
And love is blind and that I knew when
My heart was blinded by you

*****

6 novembre 2010, Manchester

Le désir n’a pas disparu, pas totalement. Il surgit parfois, brusquement, parce que malgré leurs déchirements, ils tiennent toujours l’un à l’autre. Mais les étreintes n’ont pas la même saveur, ni le même sens. C’est une trêve passagère dans le tumulte de leurs conflits, une trêve amère, un pansement inefficace sur leurs plaies. Rien qui ne les apaise vraiment. Le silence qui s’éternise après leurs ébats est la preuve qu’ils sont tournés vers leur monde intérieur, sans se laisser la possibilité à l’autre d’y accéder. Ce qui s’est brisé dans leur relation semble l’être définitivement et ne bénéficie d’aucun remède.

Cette conclusion est une plaie béante dans le coeur de Roy. L’époque où il ne trouvait que de la tendresse dans le regard de sa partenaire n’est pas si loin et pourtant, elle lui semble être à des années lumière de son présent. Il la déçoit, jour après jour, il n’est pas ce qu’elle aimerait qu’il soit, il n’y arrive pas. Il n’est pas cet homme prêt à tout abandonner, à rompre ses serments, à trahir ses frères, à renoncer à ses intérêts personnels dans le seul but de la suivre. Il n’est pas cet homme, mais surtout, il n’a pas envie de l’être.  

I've kissed your lips and held your head
Shared your dreams and shared your bed
I know you well, I know your smell
I've been addicted to you


Lentement, Roy tend le bras vers son pantalon jeté par terre, au pied du lit. Il extirpe un joint, dans la poche arrière, et son briquet. Les vapeurs de la monalisa s’étendent dans l’atmosphère. Il inspire longuement une bouffée, qui ne suffit pas à remplir le vide qu’il ressent en lui, mais il en a besoin. Il en a toujours besoin, de plus en plus. Un diamant luit dans la périphérie de sa vision. Juliana a toujours cette bague de fiançailles à son doigt, comme une promesse en suspens, qu’ils n’ont pas encore concrétisée. Il y avait toujours quelque chose pour se mettre en travers de leurs plans. Ils ont repoussé une fois, deux fois, trois fois. Maintenant ils n’en parlent plus, mais cette bague est toujours là. Il ne sait pas quel sens lui donne Juliana, si elle s’y accroche toujours, quelque part, ou si elle n’ose tout simplement pas l’enlever. Il ne sait pas ce qu’elle espère, de son côté. Il pose l’éternelle question, celle qui tourne dans sa tête, sans qu’il ne trouve de réponse, celle qu’il lâche avec colère au détour de leurs confrontations, souvent, mais cette fois, elle franchit ses lèvres dans un murmure éraillé, fatigué, entre deux bouffées :

« Qu’est-ce que tu veux de moi, Julia ? »

Le silence lui répond. Leurs peaux nues s’effleurent légèrement, mais ils ne se touchent pas vraiment. Il sent sa compagne bouger, sous les draps, de sorte à lui tourner le dos.

« Que tu éteignes cette putain de cigarette. »


*****

28 novembre 2010

Le tissu froissé glisse entre ses doigts, aussi froid que s’il n’avait jamais été porté. Roy n’a même pas souvenir d’avoir un jour laissé cette chemise ici. Il la jette dans son sac, avec toutes les autres, au milieu d’autres babioles que Juliana a rassemblées pour être certaine qu’il emporte avec lui toutes les traces de son passage. Au moment où il dépose le dernier vêtement dans son sac posé sur le plancher, ce rituel lui paraît brusquement insignifiant, vide de sens. Maintenant, chacune de ces affaires qui lui appartenaient lui semble porter définitivement la marque de leur passage ici et il n’a aucune envie de les emporter avec lui. Il a envie de les brûler. Il ne sait pas pourquoi il est venu. Pas pour ça, de toute évidence.

Son regard se perd un instant dans le salon obscur où il a des dizaines de souvenirs. Cet endroit, qui a été le refuge de Juliana pendant des mois, a perdu les quelques traces de vie qui l’habitaient. Roy sait qu’elle ne s’est jamais complètement installée, consciente qu’elle devait se tenir prête à partir à tout moment. Elle n’a jamais vécu à proprement parler ici, elle s’y cachait, plutôt. Malgré tout, des objets personnels, des papiers en vrac, s’entassaient dans quelques coins et laissaient penser que l’appartement était habité.

Il n’y a plus rien de tout cela, les meubles sont vides. Elle aussi, elle est prête à partir définitivement. Il ignore quelle est sa prochaine destination, il sait simplement qu’elle quitte ces lieux pour partir trouver un refuge ailleurs, là où il n’aura aucun moyen d’avoir une prise sur elle. C’est une façon pour elle de se protéger et même pour lui, il vaut mieux qu’il ne sache pas, qu’on ne puisse pas percer par la magie leurs secrets. Ils ont un accord tous les deux, ils se sont promis de ne pas se nuire, pas directement en tout cas. Roy n’est pas naïf, il sait que cette promesse est fragile. Il sait que face à un ultimatum, Juliana ne fera pas le choix de le préserver lui. Cette séparation est déjà le signe qu’elle ne l’a pas fait. Il ne l’a pas choisie non plus.  

Goodbye my lover
Goodbye my friend
You have been the one
You have been the one for me

Une silhouette se détache du mur du fond dans l’obscurité sans le moindre bruit et surprend Roy. Il ne pensait pas la trouver là. Il croise son regard, qu’il connaît par coeur, et comprend qu’elle a ressenti le même besoin que lui. Dire adieu à cet endroit, dire adieu à eux deux. Brusquement, la gorge de Roy s’entrave d’un flot d’émotions qu’il réprime violemment depuis des jours. Jamais aucun échec n’a été aussi amer. L’espoir qu’il avait eu de faire marcher cette relation impossible lui paraît affreusement naïf, aujourd’hui. Pourtant, il ne peut pas s’empêcher de continuer d’avoir un dernier espoir, tout autant égoïste, l’espoir qu’elle ne l’oublie pas trop vite.

I am a dreamer but when I wake
You can't break my spirit - it's my dreams you take
And as you move on, remember me
Remember us and all we used to be

Un espoir parfaitement inutile, qui n’a pas beaucoup de sens dans la situation où ils sont tous les deux. Ils ont des ambitions bien différentes de celle de retrouver quelqu’un pour mener une petite vie tranquille avec. Aucun d’eux n’aspire à ce genre d’avenir, tout simplement parce qu’il ne peut pas exister dans les conditions de leur vie actuelle qui est un véritable enfer d’instabilité. Ils ont des sujets d’inquiétude beaucoup plus forts qu’une bête rupture amoureuse. Pourtant Roy a véritablement l’impression qu’il a fait le choix de s’arracher une partie de son âme et qu’il est en train de la regarder s’éloigner sans esquisser le moindre geste pour la retenir.

I've seen you cry, I've seen you smile
I've watched you sleeping for a while
I'd be the father of your child
I'd spend a lifetime with you


Il se penche vers le sac à ses pieds et s’étonne de son poids en l’attrapant. Finalement, son passage ici est plus lourd qu’il ne le pensait. Il s’arrête face à Juliana, sans savoir quoi lui dire. Ce sont leurs derniers mots, il le sait. Quelque part, cela l’empêche de dire quelque chose, comme s’il craignait que ces paroles ne fixent la dernière image qu’elle allait conserver de lui. Ils ne se détestent pas. D’une certaine façon, ils s’aiment même toujours, mais l’impasse qui se présente à eux est infranchissable et les empêche de se projeter davantage ensemble. Roy s’efforce de se rappeler les raisons pour lesquelles il a fait ce choix, en ravalant l’émotion qui lui serre la gorge. Puisque c’est leur dernier moment, il cède à une dernière envie, en attirant Juliana dans ses bras.

I know your fears and you know mine
We've had our doubts but now we're fine
And I love you, I swear that's true
I cannot live without you


« Fais attention à toi. »

*****

1er décembre 2010, port de Bristol

La bruine s’est invitée à la cérémonie et fouette les joues de Roy mais il ne fait plus attention. Son esprit est ailleurs, transporté dans ses souvenirs qui s’entremêlent, des images de violence et d’amour, des éclairs fugaces qui impriment des scènes brèves, des émotions vives dans son coeur. Il se souvient des paroles douces, mais terribles, que Juliana avait prononcées un jour, en le regardant longuement dans les yeux.

"Tu ne vas pas pouvoir préserver éternellement ton gang, notre combat, et ta relation avec Marchebank. Tu vas forcément devoir faire un choix."

Il a fait son choix, définitif, cette fois.

D’un pas lent, Roy s’avance vers le cercueil à son tour. Un sanglot étouffé perce le silence quelque part, derrière lui. Il sait que la responsabilité de prononcer les dernières paroles lui revient et que chacun ici retiendra le dernier hommage fait par le chef des Veilleurs à son soldat. Il sait que ce n’est plus seulement un message personnel qu’il doit adresser à un homme qu’il estime et qui est mort en faisant son service pour lui. Cet instant est éminemment politique.

Goodbye my lover
Goodbye my friend
You have been the one
You have been the one for me


« Tu fais partie de ces personnes que j’ai été cherché personnellement, car je tenais à t’avoir à nos côtés. Tu n’as pas été une recrue facile à convaincre. Mais quand tu as accepté, tu t’es engagé pleinement parmi nous. Evan Travis, je n’oublierai pas ton nom. Je n’oublierai pas ce que tu as accompli pour notre famille. Je n’oublierai pas que c’est toi qui nous a donné notre nom, toi qui veillais sur Bristol. »

Roy laisse un bref silence emporter la tristesse qui s’empare de lui, alors qu’il se remémore cette scène où le plus célèbre et le plus secret espion de la ville s’est brièvement ouvert à lui. Cette vague de mélancolie s’abat et recule en écho avec les mouvements de la mer, ne laissant derrière elle qu’une profonde résolution dans le coeur noir du chef de gang. Du bout de sa baguette, il allume le dernier cierge. Il ne se bat pas pour le désir de liberté des résistants, il ne se bat pas non plus pour le régime autoritaire du Ministère. Il n’a qu’un seul camp.

« Les Veilleurs font la promesse que les coupables ne resteront pas impunis. »

C’est le sien et celui de ses frères.

I'm so hollow, baby, I'm so hollow
I'm so, I'm so, I'm so hollow



FIN DU RP

Songpost : Goodbye my lover, James Blunt


Roy Calder

Walking on the sunny side

KoalaVolant