Esprits Rebelles [Kelilah & Jonah]

04 Janvier 2011

Jonah était attablé à son bureau, occupé à corriger les copies de ses cinquième années. Il bataillait littéralement devant le parchemin de Cindy Hamilton, cherchant, en vain, des points positifs à son devoir. Malheureusement, il n’y avait aucune réponse juste – même lacunaire. La jeune femme avait quasiment rendu copie blanche et Jonah ne pouvait même pas essayer de valoriser des bribes de réponse, comme il le faisait parfois avec ses élèves les plus en difficultés.

Cindy était condamnée à recevoir un D –pour Désolant- lettre qu’il inscrivit à l’encre rouge en haut du parchemin. Il accompagna toutefois cette note d’une longue annotation précisant les modalités d’un contrôle de rattrapage et des séances de soutien qu’il était disposé à lui donner.

Comme de nombreux autres élèves en ce moment, Cindy n’avait pas la tête aux études et Jonah ne pouvait que la comprendre. Le contexte actuel, particulièrement lourd, n’était pas propice à l’épanouissement scolaire. Cindy avait perdu sa sœur  cet automne et les malheurs de Linnet Sneals durant les vacances d’hiver était sur toutes les lèvres depuis la rentrée de janvier. Jonah ferma brièvement les yeux et s’efforça de chasser le souvenir de cette nuit de décembre de son esprit et essaya de se concentrer sur son travail.

Même pour lui c’était difficile ! Comment s’intéresser aux différents systèmes de chauffage moldu quand le monde dans lequel il vivait était sur le point de s’écrouler ? Il voyait bien que certains élèves au sein du château commençaient à prendre le mesure de la crise dans laquelle se trouvait le pays. Il devinait la méfiance et la contestation dans leurs regards et Jonah priait chaque jours pour que ses élèves se montrent très prudents et qu’ils fassent profils bas.

C’était ce qu’il faisait, lui, en offrant aux yeux de tous cette image de collaborateur du régime, serein à l’idée de donner la vie, même dans cet environnement sensible.

L’enseignant n’eut toutefois pas le temps de s’appesantir sur ses sombres pensées puisque son rendez-vous toqua enfin à la porte. Jonah rangea prestement ses copies et se composa une mine affable avant d’inviter son élève à entrer.

« Bonjour Kelilah, je t’en prie, installe-toi, dit-il en désignant d’un geste de la main le siège face à son bureau. Jonah tutoyait tous les ressortissants de sa maison et Kelilah n’échappait pas à cette règle. Il avait accueilli cette jeune élève directement en quatrième année à la rentrée de septembre. Son  dossier scolaire était épais comme  un roman de Magpie : Le jeune Afghane avait commencé ses études de magie dans une école de sorcellerie allemande avant de rejoindre un institut magique en Israël, institut plutôt décrié pour ses méthodes douteuses. Elle avait fui son pays d’origine en guerre et avait perdu un certain nombre de ses proches dans le conflit : Son père, mort, et sa mère, enlevée par des terroristes. Elle avait vécu chez sa sœur installée à Berlin durant un temps avant d’être prise en charge par ses oncles. Le dernier en date habitant Cardiff, elle avait été contrainte d’intégrer un troisième établissement scolaire en tout juste quatre ans.

Bref, encore un dossier pour Jonah Forbes qui avait parfois l’impression que sa maison accueillait tous les enfants blessés dans leur innocence, contraints de grandir plus vite que les autres.

L’enseignant sortit justement le livret scolaire de la jeune Maalemalgazi et prit la parole afin de lui expliquer l’objectif de ce rendez-vous :

« Je t’ai convoqué aujourd’hui pour  faire le point sur ta scolarité et ton intégration au sein de l’école, il tourna quelques pages du dossier afin de parcourir rapidement les compte-rendus de ces collègues au sujet de Kelilah : « Des capacités mais l’attitude est parfois désinvolte. » ,« Aucun travail » en histoire de la Magie , « D’excellentes aptitudes et un intérêt vif pour la matière » en Soin aux créatures Magiques, « Bien en pratique mais les cours ne sont pas appris. » En métamorphose.  
En clair, un bilan contrasté.

Jonah reporta son attention sur Kelilah et croisa les mains sur son dossier. Avant de lui faire remarquer quoique ce soit ou de lui reprocher certains comportements  il voulait entendre sa version personnelle.

« Bien, je t’écoute. Quel bilan ferais-tu de ton premier semestre ici, à Poudlard ? »

« Je préfère rester debout, si cela ne vous dérange pas. », protesta Kelly, se sentant probablement en position de faiblesse face à son Directeur. La jeune Serpentard se doutait qu’il ne serait pas question de son doux visage ou d’un débat sur la téléphonie moldue lors de cette entrevue. Elle savait pertinemment qu’elle n’avait pas été à la hauteur en ce premier semestre. Et Merlin sait à quel point Jonah Forbes était connu de tous pour son tempérament battant et sa carence de charité envers les personnes se laissant aller. Il savait de quoi il était question quant au fait de grandir à travers les épreuves de la vie. Il avait appris que rien ne sert de se lamenter sur son sort et que le seul moyen de prendre sa revanche sur l’existence était de donner de sa personne et d’avancer, et aussi, de garder le sourire en toutes circonstances. Kelly savait à qui elle avait à faire, avant même d’avoir eu le temps de s’entretenir pleinement avec son Directeur de maison et professeur dans un contexte plus personnel. Les échos du passé de Monsieur Forbes lui était parvenus aux oreilles dans les couloirs de Poudlard. Elle était particulièrement impressionnée par le personnage. Seulement, il était hors de question qu’elle ne laisse transparaître le respect qu’elle pouvait éprouver vis-à-vis de cet homme qui avait surmonté avec brio de tumultueuses expériences lui aussi. Personne ne devait connaître sa sensibilité et sa grande fragilité intérieures. Elle  dissimulait donc son embarras actuel sous une attitude détachée et un regard un brin provocateur. Elle resta cependant correcte dans ses paroles. L’adolescente avait pour habitude de trouver un subtil mélange entre provocation et humilité, un peu comme si ses paroles étaient une sorte de potion contre l’indifférence. En effet, son comportement laissait transparaître un besoin impétueux de dire qu’elle existait. Ses mots étaient courtois, mais son attitude insoumise, imperméable à toute discussion, désobéissante voire indisciplinée, la rendait parfois un peu agaçante aux yeux de ses professeurs. Si bien que son insolence n’était pas vraiment factuelle et il fallait s’armer de beaucoup de délicatesse, de ruse et de stratagème pour la piéger.

« On m’appelle Kelly, Monsieur. Kelilah, c’est vieux-jeu et surfait. C’est aussi incompatible à toute intégration. Puis de toute façon personne ne m’a jamais appelée comme ça à part mon père. C’est juste un nom sur un papier »

A travers le regard de l’homme qui se tenait face à elle, elle compris qu’il valait quand-même mieux qu’elle s’assoit. Malgré sa bienveillance apparente, il ne semblait pas du genre à se laisser contredire par une quatrième année. En se baissant pour ramener sous elle le siège que lui avait pointé Monsieur Forbes, elle aperçu un léger relief à la jonction du pantalon et de la chaussette de ce dernier. La marque semblait se prolonger vers le haut du corps ou du moins le long de la jambe de son interlocuteur, elle ne savait pas trop. Ce pourrait-il être une cicatrice ? Pourrait-ce être en lien avec la démarche quelque peu particulière du Directeur de Serpentard ? Quoiqu’il en soit elle s’était attardée déjà trop longtemps du regard sur cette particularité physique, et loin d’elle l’idée de mettre l’homme mal à l’aise. Elle poursuivit donc :

« Au sujet de mes quelques absences, si je peux me permettre, Poudlard est grand. Il m’arrive parfois de m’y perdre. Pour ce qui est du devoir que je n’ai pas rendu sur le fonctionnement des circuits électriques moldus, pour ma défense et ainsi que je vous l’ai déjà mentionné, je me suis faite attaquer par une chouette. Cela m’a fait perdre beaucoup de temps. Aussi, je n’ai jamais voulu faire ces quelques mètres en direction de la Forêt Interdite, c’est simplement que j’ai jeté mon cahier d’Histoire de la Magie trop loin sous un excès de frustration dont je m’excuse par ailleurs. Quand à ma sortie dramatique de ce même cours l’autre jour, sachez que je ne l’ai pas rage-quit comme tout le monde semble le penser. J’avais juste une envie pressante et je me dois d’être un minimum théâtrale afin de garder de la personnalité. Il n’y a pas de bons ou de mauvais moments pour avoir du panache ».

Kelly avait la terrible sensation de s’enliser sous le regard sceptique de Jonah Forbes. Elle ne savait pas réellement quoi dire, comment agir, et de quel bilan parler. A ses yeux, et cela depuis son arrivée en Grande-Bretagne, chaque jour se ressemblait ici à Poudlard et ses amis lui manquaient. D’un côté, elle n’avait jamais fréquenté une école de magie dans laquelle elle se sentait aussi à l’aise d’être elle-même. Peut-être même un peu trop. D’un autre, elle avait le sentiment de ne pas être chez elle.
Ou du moins, pas pour le moment.

« Je ne vois pas en quoi ton prénom serait un frein à ton intégration. » affirma Jonah.

Si les élèves de Poudlard s’arrêtaient à ce détail, il échouait dans les valeurs d’ouverture qu’il s’échinait à leur transmettre. L’enseignant estimait que la jeune femme n’avait pas besoin d’angliciser son prénom pour faciliter son insertion au sein des étudiants. Au contraire. Elle pouvait porter fièrement sa culture et ses origines plutôt que de chercher à se fondre dans la masse.

Quoique. Kelilah ne semblait pas véritablement vouloir atteindre cet objectif. Pas du tout même. Elle s’était fait remarquer pour différents manquements aux règlements depuis la rentrée de septembre et elle n’hésita pas à les rappeler à son directeur de maison lorsqu’il lui demanda de tirer le bilan de ce premier semestre.
Evidemment Jonah était au fait des différents écarts de Kelilah et surtout  au courant de ces excuses fantasques : Le coup de l’attaque de chouette avait d’ailleurs fait rire –et désolé- toute la salle des professeurs lorsque Jonah avait raconté cette anecdote à ses collègues. Les élèves ne savaient plus quoi inventer pour se faire remarquer…

Jonah n’était pas psychomage mais il avait l’impression que Kelilah cherchait surtout à se faire une réputation au sein de l’école. La réputation de l’élève un peu rebelle –mais pas trop. Ni fayotte, ni cancre, le juste milieu en somme.  Il savait à quel point la situation pouvait être difficile pour les élèves arrivant en cours de scolarité. Les amitiés entre camarades étaient déjà scellées depuis plusieurs années et certains jeunes éprouvaient parfois les plus grandes difficultés à nouer de nouveaux liens. Tenir tête aux enseignants était une manière comme une autre d’avoir l’air cool aux yeux des autres élèves . D’ailleurs, Kelilah  semblait concevoir sa scolarité en grande partie à travers le regard des autres, étudiants comme professeurs : « être théâtrale », « faire preuve de panache » semblaient être ses préoccupations premières plutôt que d’apprendre une multitude de choses ou de se sentir à l’aise ici.
Ce besoin d’attention excessif cachait peut-être un simple désir d’être considérée –pour une orpheline, c’était tout à fait légitime- ou une pathologie plus lourde. Jonah ne savait pas encore.

« Donc, si je te suis, ton bilan du premier semestre se concentre uniquement sur tous les manquements au règlement que tu as commis ? » demanda-t-il tranquillement sans animosité aucune. Kelly avait enfin accepté de s’asseoir et il tenait pas à braquer davantage la jeune fille.

« Alors que ces affaires ont toutes été réglées par mes collègues enseignants, ou par moi-même d’ailleurs. », Kelilah avait récolté un D à son devoir d’Etudes des Moldus –normal- mais Jonah lui avait laissé l’opportunité de rédiger un devoir de rattrapage comptant dans la moyenne du semestre, opportunité offerte à tous les autres élèves aussi, bien sûr, bien que cette main tendue  soit surtout destinée à Kelilah. Il ne tenait pas à ce qu’elle s’enfonce dans cette spirale de mauvais résultats et surtout, qu’elle s’y complaise. Son arrivée à Poudlard était l’occasion de prendre un nouveau départ qu’il espérait positif.

Il n’avait toutefois pas été aussi tendre avec elle pour sa sortie dramaturgique du cours d’histoire de la magie. Il avait sanctionné ce comportement par des heures de colle, des points en moins à Serpentard et il avait exigé que Kelilah fasse des excuses à son enseignant, M. Wembley.

Jonah n’était pas près à tout accepter pour faciliter l’intégration de cette nouvelle élève : S’intégrer, c’était aussi savoir être en mesure de respecter les autres et les règles de vie régissant le bon fonctionnement de l’établissement.

« Le but de cet entretien est de faire le point sur ta scolarité de la manière la plus objective possible, que ce soit dans les situations d’apprentissage ou dans la vie au sein du château. » reprécisa-t-il «  Tu ne peux pas résumer cinq mois d’études à un devoir non rendu et un incident disciplinaire. »

Il attendait de Kelilah qu’elle sorte de son personnage rebelle pour engager une véritable conversation de fond avec lui. En était-elle capable ? Il n’allait pas tarder à le savoir…

« Tu ne peux pas résumer cinq mois d’études à un devoir non rendu et un incident disciplinaire. »

Voilà qui était prévisible. Ce petit jeu évasif n’avait pas le moindre impact sur Monsieur Forbes. Ce dernier semblait toujours aussi calme, son objectif bien en vue. En effet, il était déterminé à percer à jour la jeune fille et n’en démordrait pas. Jonah était un homme soucieux du bien-être de ses élèves et il était conscient que derrière ce genre de comportements pouvait se cacher une faiblesse. Il avait du tact et beaucoup de diplomatie dans son approche, pas la moindre animosité. Pourtant, Kelly se sentait piégée. Elle savait qu’elle allait devoir faire preuve de maturité et de coopération si elle voulait poursuivre sa scolarité à Poudlard. Cela devait visiblement commencer par faire preuve d’un plus grand abandon envers son Directeur. Alors à la question « en était-elle capable ? », elle-même ne savait pas. Mais Jonah Forbes avait bel et bien ouvert une brèche dans son dôme intérieur. Il était ferme et délicat, semblait savoir s’y prendre avec les esprits rebelles.

« Des fois, j’ai peur. », dit-elle en baissant les yeux afin de ne pas croiser le regard interrogateur de son Directeur de maison. Ô grand jamais. Exprimer sa fragilité était ce qu’elle redoutait le plus. Cependant, elle savait aussi qu’elle venait d’en dire trop ou pas assez. De bonne volonté, elle poursuivit donc :

« J’ai peur de m’attacher à des personnes, puis de les perdre. Je voudrais que les liens qui unissent les gens durent pour toujours. La dimension éphémère des choses est cette crainte pénible que je m’applique chaque jour à balayer d’un revers. Vous savez, ce n’est pas mon nom qui m’empêche de m’intégrer…, admit-elle, c’est moi et moi seule. La plupart des élèves de Poudlard semblent posséder de grandes valeurs, notamment ici à Serpentard. Et sincèrement, en vue des mythes que j’ai pu entendre entourant cette maison, je suis agréablement surprise. J’ai eu notamment l’occasion de croiser une préfète, Nelly Horrocks, qui m’a fait très bonne impression, mais... »

Le regard de la jeune Serpentard s’assombrit puis elle pris le temps d’une inspiration avant de se vêtir d’une attitude des plus sérieuses que Jonah n’avait encore jamais eu la faveur d’entrevoir.

« Monsieur Forbes, pensez-vous que la situation politique actuelle va se stabiliser ? Depuis que je suis arrivée à Poudlard, j’ai la désagréable sensation que nous sommes tous assis en permanence sur une sorte de bombe à retardement. »

Son regard fuit un bref instant dans le vide, comme si elle tentait de se replonger dans de profonds souvenirs.

« J’ai perdu beaucoup des miens sur mes terres d’origine. Ceux qui sont toujours de ce monde se sont éparpillés dans plusieurs pays afin de trouver un semblant de quiétude. Pour la plupart, je ne les vois plus. Et j’arrive ici et… ce parti, cette résistance, toutes ces mesures de protection déployées... »

La jeune fille se redressa alors tout en recoiffant ses cheveux d’un geste nerveux :

« Je ne veux pas perdre des amis encore une fois, dit-elle d’une voix qui semblait vouloir abréger la conversation. Depuis septembre, j’ai croisé des humains et des fantômes dans les couloirs de Poudlard. Je suis plus à l’aise avec les fantômes. Tenez, Peeves l’esprit frappeur, par exemple. Même s’il me jette des projectiles à chaque fois qu’il m’aperçoit, j’apprécie sa compagnie. Lui au moins, s’il disparaît, c’est uniquement pour revenir avec un mauvais tour dans son sac. Ça ne veut aucunement dire qu’il ne sera plus jamais là. »

Kelilah tomba le masque plus rapidement que Jonah ne l’aurait cru. Habituellement ses élèves rebelles s’enlisaient dans une posture volontairement contestataire afin de ne pas perdre la face devant leur professeur, aussi bienveillant soit-il. Pourtant les arguments de Jonah semblèrent faire mouches puisque la jeune femme se confia sur ses plus intimes craintes. Si le directeur de Maison avait initialement programmé ce rendez-vous pour évoquer avec Kelilah son intégration au sein de Poudlard et ses éventuelles difficultés scolaires, il ne s’attendait pas à ces aveux si personnels.
La jeune afghane nourrissait de profondes inquiétudes l’empêchant  de sociabiliser pleinement avec ses camarades : Elle avait peur de s’attacher, peur de perdre –encore- des proches. Cette angoisse prenait surement sa source dans son parcours chaotique et son statut de jeune orpheline ayant connue la guerre.
Comment grandir sereinement alors qu’elle avait traversé de telles épreuves à un si jeune âge ?

Jonah pouvait aisément comprendre le décalage entre Kelly et les élèves de Poudlard dont l’innocence était -encore en partie- préservée.
En s’isolant de la sorte, Kellilah tentait ni plus ni moins de se protéger de nouvelles désillusions. Mais était ce vraiment la solution ? Tenter de limiter les interactions avec ses semblables ne l’aiderait pas à aller de l’avant. Jonah en était persuadé. Généralement la quête d’isolement avait plutôt l’effet inverse.

Jonah s’apprêtait donc à  prodiguer quelques conseils à Kelly – comme se rapprocher un peu de Nelly Horrocks ou Sasha Benson, deux préfètes de sa maison qui accueillaient très bien les nouveaux venus - mais la conversation prit subitement une tournure particulièrement inattendue.

Comment se pouvait-il que Kelilah, fraichement débarquée de l’étranger, soit si clairvoyante face à la situation politique du pays ? Jonah se redressa quelque peu et s’appuya sur le dossier de son siège, écoutant la jeune fille sans l’interrompre alors qu’elle avouait être en proie à un certain malaise depuis son arrivée en Grande Bretagne.

Son expérience personnelle en  zones de conflit, lui avait incontestablement appris la vigilance et elle avait développé une sorte de sixième sens. Elle savait , de toute évidence, décrypter les signes avant-coureurs et annonciateurs d’un régime totalitaire.

Kellilah Maalemalgazi était la première élève de Poudlard à lui parler si ouvertement de la politique actuelle du pays. La première aussi à remettre en doute à demi-mot les mesures prises par  le régime Marchebank . Certes,  Linnet Sneals l’avait fait, elle aussi, mais trop tard.   Jonah s’efforça de ne rien laisser paraitre de son trouble. Combien étaient-ils au sein des élèves à partager le ressenti de cette toute jeune fille sans oser verbaliser leurs craintes. Dix, vingt ? Peut-être plus.

A l’instar de Kelly,  certains jeunes devaient se trouver dans des situations particulièrement anxiogènes. A trop vouloir protéger les élèves de Poudlard, le LEXIT avait peut-être négligé un point important : Communiquer avec eux et avoir confiance en leur capacité de jugement. La résistance ne pouvait pas éternellement les maintenir en marge des décisions prises pour leur propre avenir. Restait maintenant à trouver le bon interlocuteur au sein des élèves. Un interlocuteur digne de confiance, assez âgé pour pouvoir endosser cette responsabilité et assez fédérateur autour de lui pour incarner la voix du LEXIT auprès des étudiants.
Kelilah avait beau être particulièrement perspicace, elle ne pouvait pas remplir ce rôle. Comme elle le disait elle-même, elle était incapable de nouer des liens avec ces camarades présentement. Pour le moment, Jonah avait surtout une mission essentielle,  l’enjoindre à se montrer plus prudente. C’était une chance qu’elle ait verbalisé ses craintes auprès de lui et non pas auprès de Peter ou de Mildred Magpie.

« Il est vrai la situation du pays est un peu instable pour le moment. Il choisissait ces mots avec attention afin de ne pas laisser transparaitre son avis personnel sur la question. Kelilah ne devait pas mesurer ses accointances avec la résistance, Le Ministre Marchebank a choisi de mettre en place des mesures qui ne sont pas au goût de tous et qui ont provoqué des distensions au sein de notre pays. Je comprends que ce climat de tension actuel  t’inquiète, et tu as raison d’y être vigilante – Kelly devait absolument conserver cette philosophie. Jonah ne tenait pas à endormir sa sagacité avec des propos trop rassurants, un bon citoyen se soucie de la politique intérieure de son pays, il laissa fleurir un léger sourire sur ses lèvres, mais cela ne doit pas te contraindre à la solitude. L’isolement ne t’apportera rien de bon Kelilah, crois moi, et je suis persuadé qu’il y a de nombreux  camarades au sein de l’école avec lesquels tu pourrais te lier d’amitié – Bizarrement le nom de Sasha Benson ne lui semblait plus si opportun, l’ex-petite amie de son fils ayant fait un excellent stage à la Milice. Il aurait aimé pouvoir l’aiguiller vers un interlocuteur sûr et surtout fiable mais il n’en avait pas, Je pense qu’il serait judicieux que tu t’inscrives dans un club, dit-il alors.  Jonah était un fervent défenseur des activités de groupe qui favorisaient  l’esprit d’équipe et la cohésion,  il y a le club de Bavboules, celui de duels – il omit volontairement le Club des Arts dirigé par une pro-régime en puissance et poursuivit- ou, pourquoi pas, l’équipe de quidditch ? Je sais que les essais sont déjà passés mais tu venais tout juste d’arriver lorsque la capitaine les a mit en place en septembre. Je peux voir avec elle si cela t’intéresse.  Serpentard a grandement besoin de nouveaux joueurs ! La défaite récente contre Serdaigle restait encore en travers de la gorge de Jonah et il voulait que son équipe soit prête pour la rencontre contre Poufsouffle. Dictature ou pas, il y avait des choses qui ne changeaient pas et mater l’équipe de Thelma en faisait partie.

«  En tout cas, je veux que tu saches que je suis heureux de voir que nous pouvons discuter sereinement : A mes yeux,  la communication entre un élève et son directeur de maison  est essentielle, voir  primordiale. Tout ce qui est dit dans ce bureau est et restera purement confidentiel. Le directeur se fendit d’un sourire professionnel, Ce n’est pas forcément le cas ailleurs dans Poudlard. » ajouta-t-il tranquillement, l’air de rien.

C’était  bien une mise en garde qu’il tentait de distiller innocemment dans ses propos.  Kelilah devait rester prudente et ne pas verbaliser ses doutes à n’importe qui ni n’importe où.

« D’ailleurs, à ce propos, souhaites tu que j’évoque ton état d’anxiété auprès de l’infirmière, Madame Silvester ?  J’ai entièrement confiance en sa discrétion et en ses diagnostics, expliqua-t-il,   et si je te demande cela c’est parce que je pense sincèrement qu’elle peut t’aider.  Soucieux d’apaiser les éventuelles craintes de la jeune femme, il précisa , Elle ne propose pas forcément des solutions médicamenteuses pour gérer le stress  simplement des exercices de respiration, de sophrologie que tu peux interrompre quand bon te semble… »

Rachelle était aussi, et surtout,  une membre du LEXIT et Jonah tenait à ce que Kelilah soit entourée d’adultes référents bienveillants à son égard.

Il ne tenait pas à répéter l’erreur Linnet Sneals.

Il y eut alors un silence, une pause, un intervalle hasardeux, durant lequel Kelly pris le temps de la réflexion. Elle eut plongé si profondément dans l'abîme de son esprit, que l'instant s'en trouva scindé tel ces deux océans semblant se confronter dans le golf de l'Alaska. Il aurait pu s'écouler six mois.

« Pardon, j'ai eu une absence, s'excusa-t-elle, vous avez parlé d'infirmière ? »

La jeune fille secoua son pied frénétiquement. La tournure de la discussion la rendit un peu nerveuse. Elle réalisa soudain qu'elle avait probablement bien trop longtemps déserté son rôle et se demanda si allait enfin retrouver son éloquence opiniâtre. Pourquoi le Directeur Forbes semblait-il soudain si soucieux. Sa confiance apparente, son attitude protectrice, ses mots rassurants... Certains paramètres avaient pour effet de mettre en route ce détecteur dans la tête de la jeune sorcière qui ne la laissait rarement souffler plus d'une minute. Elle n'arrivait pas vraiment à le définir, à assimiler les signaux qui la chatouillaient ; quelque chose clochait quelque part. Pourtant, elle ne vit pas vraiment clair dans le jeu de Jonah, qui tentait simplement d'orienter l'adolescente vers un entourage bienveillant, politiquement parlant ou peut-être juste dans un contexte extra-scolaire.

« Par tous les mages ! Pas d'infirmière ! », s'exclama la jeune fille d'un discours intempérant, avant de reculer sa chaise de quelques centimètres, puis de poursuivre : « Je ne suis pas malade ! Il me faut au moins cinq dragées poubelle de Bertie Crochue pour admettre un éventuel état d'incommodité ! Et encore, je parle d'une expérience gustative suivant deux boîtes de couinesouris à date de péremption dépassée que mon cousin Sarid m'a fait gober tout rond, enfin... Soit. D'accord, revenons à nos acromentules. »

Il est évident que la Serpentard voulait à tout pris éviter la dernière proposition de son Directeur, s'imaginant déjà examinée sous toutes les coutures par une professionnelle des bobos du corps et de l'esprit, ayant évidemment quelques fioles de potions sous la main, mais surtout, un statut qui rappelle qu'il y a un problème quelque part. Ce climat de tension venant parfaire son arrivée désordonnée, ne devait en aucun cas l'amener à admettre qu'elle n'était pas invincible. Chaque seconde en Angleterre magique semblait être le minuscule rouage par milliers d'un engrenage gigantesque dont l'image mentale sentait presque la poudre à canons. Elle ne comprenait pas bien les tensions politiques embaumant ce nouveau lieu qu'elle découvrait. Mais elle voyait que tout était bien plus profond qu'une histoire de partis politiques qui se succèdent. Que peut-être, certains en avaient-ils payé le prix fort.

La jeune afghane avait toujours été attirée par les grandes discussions politiques se profilant le samedi soir dans les chaumières, celles-même dont la qualité interminable rendait possible n'importe quelle évolution une fois minuit passé. Chacun y refait le monde et les gouvernements à sa sauce, les uns explorant le fossé de leur désaccords dans des débats tumultueux, quand d'autres aiguisent leur propos à la bière au beurre pour finalement ne même plus savoir leur propre nom. Mais ce qui l'interpellait ici, c'était le silence. Personne ne donnait son avis. Les gens passaient dans les rues et les couloirs des villes et des bâtiments, se croisaient, discutaient, mais ô grand jamais n'énonçaient certains mots. Après celui dont il ne faut pas prononcer le nom, il y avait ces mots qu'il ne faut pas prononcer.

« Pardon, M'sieur Forbes, mais vous avez mentionné un nom. Marchebank. Je l'entends beaucoup. Je ressens pleinement son pouvoir et son incidence auprès des gens. J'ai comme le sentiment que ma question restera sans réponse, mais, je me demandais simplement pourquoi il se trouve systématiquement au sein d'un bouillonnement incessant. Pourquoi cet homme prend-t-il les décisions qui ne conviennent pas au peuple ?

Enfin, non, oubliez. »

La jeune fille était depuis toujours pourvue d'une forme de naïveté et d'une certaine franchise, mais elle réalisait que certains de ses propos pouvaient mettre mal à l'aise son interlocuteur, voire même  lui porter préjudice à elle, s'ils tombaient dans les oreilles de n'importe qui.

« Pour en revenir à ma scolarité, se rattrapa-t-elle, je vais tenter de m'investir au mieux. Je vais aussi réfléchir à votre proposition quant aux clubs et à mon avenir social au sein de Poudlard. J'ai toujours été fascinée par les joueurs de Quidditch professionnels. Je fais du cheval chez les moldus, alors en général je suis bien capable de dompter un balai. Si l'équipe cherche une poursuiveuse remplaçante à garder sous le coude en cas de pépin, je me joindrai à eux. », dit-elle en fixant son Directeur avec sincérité. « Autre chose ? J'apprécie beaucoup votre compagnie, comprenez-moi, mais j'ai une rando dans la forêt interdite à 16 heures et je dois vous avouer que je suis un peu short niveau timing. »

Sous le regard réprobateur de Jonah Forbes, la jeune fille sourit d'un air à la fois malicieux et amical pour signifier ce qui n'était rien qu'un humour taquin, sans arrière-pensée.

Tout comme un crabe de feu ne fait pas un niffleur, un esprit rebelle ne faillit jamais.

La proposition de Jonah rencontra peu d’adhésion chez Kelilah. De toute évidence, la jeune fille ne voulait pas entendre parler d’infirmière pour le moment et préférait gérer son stress et son anxiété, seule. L’enseignant n’y voyait pas d’inconvénient. Il ne la jugeait pas en grande détresse et il voulait bien la laisser se débrouiller, en gardant toutefois un œil sur elle, de loin. Il demanderait un bilan à ses collègues d’ici quelques semaines pour faire le point sur son investissement, sa participation et son attitude en classe mais il ne comptait pas lui mettre une pression supplémentaire sur les épaules.

« Comme tu voudras mais sache que si tu as besoin Mme Silvester est disponible et discrète. » expliqua-t-il.

Ce n’était pas simple d’être la petite nouvelle de l’école. Kelilah avait surement besoin d’un peu de temps pour s’acclimater. Visiblement désireuse de changer de sujet rapidement, elle embraya sur  des questions politiques en évoquant le travail du Ministre et son omniprésence. Jonah s’accouda sur son bureau et écouta l’adolescente déverser son analyse portant sur les actions de Marchebank. Il n’arrivait pas vraiment à savoir si elle agissait de la sorte pour se faire remarquer ou si elle cherchait à lui faire passer un message indirect.

« Pourquoi cet homme prend-t-il les décisions qui ne conviennent pas au peuple ? »

Jonah avait des dizaines de réponses en tête à cette question : Parce qu’il est mégalomane. Parce qu’il n’envisage rien d’autre que son propre profit, sa réussite.  Parce qu’il veut imposer sa vision du monde, quoi qu’il en coute, et qu’il ne supporte pas l’idée d’être contesté.  Pourtant, l’enseignant se fendit d’un bref sourire serein avant de lui faire une toute autre réponse.
« Les chefs d’états sont souvent critiqués pour leurs prises de décision, quelles que soient leurs politiques. »

Il ne connaissait pas assez Kelilah pour se laisser entrainer sur ce terrain là avec elle. La jeune fille paraissait quelque peu instable et fragilisée par son déracinement.  Il estimait qu’il ne devait pas accroitre son trouble aussi préféra-t-il opter pour la réserve et elle n’insista pas.
En effet, Kelilah préféra revenir d’elle-même sur le sujet de sa scolarité et promit de s’engager un peu plus sérieusement. Jonah hocha la tête pour valider cet élan d’investissement qu’il lui restait encore à concrétiser par des actes : Il ne comptait plus le nombre de promesses d’élèves qu’il avait entendues, promesses qui ne s’étaient pas toujours réalisées… Il la sentit  toutefois réellement  motivée à l’idée d’intégrer l’équipe de quidditch. Du point de vue du professeur, il s’agissait là d’une très bonne chose. Le sport créait des amitiés, renforçait l’esprit de cohésion et permettait de garder la forme. Il attrapa donc sa baguette et fit léviter un planning jusqu’à lui qu’il examina quelques instants.

« L’équipe de  Serpentard a réservé le stade demain de 18 à 19h30 et samedi de 9h30 à 12h. Tu peux te présenter à l’entrainement, je préviendrais Sandra Monroe, la capitaine. Et n’hésite pas à discuter avec quelques élèves de l’équipe avant : Hugh est dans ton année, Gabriel en deuxième, Blair en cinquième, Moreen en septième… récita-t-il de mémoire, je suis sûr qu’ils seront ravis de t’informer. »

Surtout Gaby, son fils, qui ne jurait que par le quidditch !

L’entretien touchait à sa fin et Kelilah semblait pressée de regagner son dortoir. Enfin, plus exactement, la forêt interdite, disait-elle avec un air malicieux. Jonah esquissa un léger sourire en réponse à sa boutade et s’adossa sur son siège, bras croisés sur le torse.

« Ca tombe bien, je suis aussi un peu « short niveau timing » dit-il en reprenant volontairement son expression, je dois aller coller quelques élèves qui ont enfreint le règlement…Une histoire de randonnée dans la foret justement… » Expliqua-t-il d’un air amusé avant de désigner d’un geste de la main l’entrée de la pièce. « Kelilah, je te souhaite une bonne soirée… » Maintenant qu’ils avaient fait le point, elle pouvait prendre congé. «   Et n’oublie pas : La porte de mon bureau te sera toujours ouverte. »