Quid du stage ? [Rachelle]

1er décembre


Marlene n'avait pas quitté Poudlard depuis très longtemps et pourtant, cela lui fit un peu étrange de repasser les portes de l'école. Elle avait plein de souvenirs ici, des bons comme des mauvais, et elle avait l'impression de redevenir une élève en remontant les marches du grand escalier. Elle revenait en tant qu'étudiante, effectivement, mais en Médicomagie cette fois. Sa formation mettait l'accent sur la pratique : en plus des très nombreuses heures de cours et d'apprentissage dans les services, les élèves devaient découvrir le monde professionnel en dehors de l'hôpital et donc obtenir un stage. ils s'étaient tous jetés sur les Médicomages libéraux et autres praticiens, dans l'espoir de pouvoir obtenir le Graal. Elle avait envoyé un nombre impressionnant de lettres de motivation mais peu étaient revenues. Elle avait commencé à paniquer, surtout en voyant que la plupart de ses camarades avaient réussi à se caser quelque part. Heureusement, dix jours avant la fin du délai, elle avait reçu une réponse de Poudlard. Elle avait postulé sans trop y croire. Elle s'était dit qu'elle ne serait sûrement pas prise, pour des raisons évidentes de secret médical : elle connaissait beaucoup trop d'élèves de l'école, surtout après une année en tant que Préfète-en-chef. Cet état de fait était revenu pendant l'entretien mais cela n'avait pas eu l'air de gêner Mrs Silvester (ou bien peut-être que sa réponse l'avait convaincue...) Quoi qu'il en soit, elle avait été acceptée en stage et avait sauté de joie.

Elle allait venir une fois par semaine ici, pour observer au début, avant de pratiquer sous la surveillance de sa tutrice. Elle avait tout un rapport de stage à écrire pour la fin de l'année, avec un cahier de missions à remplir. Tout ces documents étaient sagement rangés dans son cartable de cuir, qui reposait sur sa hanche. Elle avait senti quelques regards curieux sur elle - les élèves avec qui elle avait été scolarisée devaient se demander ce qu'elle faisait là - alors qu'elle se dirigeait vers l'infirmerie. Elle avait cogné quelques coups contre le battant de bois, passant timidement sa tête lorsqu'elle entendit l'infirmière lui dire d'entrer.

- Bonjour, lança-t-elle sans oser s'imposer. Elle était un peu en avance, elle ne voulait pas déranger.  

Jusqu'à aujourd'hui Rachelle n'avait jamais ressenti le besoin de s'entourer d'un stagiaire. Mis à part les jours de match de Quidditch et pendant les épidémies de Dragoncelle, l'infirmerie était rarement très fréquentée. Elle aurait eu peur de ne rien avoir de très intéressant à apprendre à son élève et de le voir s'ennuyer. Et puis, elle avait eu une assez mauvaise expérience lors de son premier stage quand elle était étudiante. Elle était tombée dans un service de maternité complètement débordé qui manquait cruellement d'effectifs et de moyens, et s'était retrouvée à faire les lits et nettoyer les chambres parce que personne n'avait le temps de s'occuper d'elle et de lui expliquer les choses.

Mais les élèves étaient de plus en plus nombreux d'années en années, avec des blessures toujours plus étonantes, et elle avait fini par changer d'avis. Elle avait demandé l'autorisation à Peter de prendre un étudiant en médicomagie en stage, ce que ce dernier avait accepté sans hésiter. L'infirmière avait à coeur que cette première expérience soit un succès et avait choisi son futur stagiaire avec attention. Elle avait passé plusieurs entretiens avec des élèves qu'elle se souvenait tous avoir croisés à Poudlard -ce qui lui avait filé un sacré coup de vieux- et avait finalement arrêté son choix sur Marlene Barclay. La jeune fille avait été préfète en chef au cours de sa scolarité et avait donc l'habitude de représenter une figure d'autorité et une oreille attentive auprès des élèves, ce qui était une bonne chose.

Rachelle espérait qu'elle ne regretterait pas son choix, et fut forcée de constater qu'elle était un peu nerveuse pour ce premier jour. Elle n'avait aucune expérience dans l'enseignement, et avait peur de ne pas être un maitre de stage à la hauteur. Preuve de son état de stress, elle venait de lancer un sortilège de récurage sur le sol pour la cinquième fois en moins de vingt minutes. Le plancher de l'infirmerie était si propre qu'on pouvait presque se voir dedans. Heureusement, elle n'eut pas l'occasion de nettoyer les vitres une troisième fois puisque quelques coups frappés à la porte la firent sursauter.

"Entrer ! lança-t-elle en s'avançant vers la porte, qui laissa bientôt apparaitre sa nouvelle stagiaire. Bonjour Marlene, la salua-t-elle avec un sourire chaleureux. Comment vas-tu ? Viens, tu peux poser tes affaires dans mon bureau si tu veux."

Rachelle guida la jeune femme jusqu'à une petite pièce, au fond de l'infirmerie, dissimulée derrière une porte magique qui se fondait parfaitement dans le mur de pierre. Peu d'élèves avaient eu l'occasion de visiter cet endroit, pour la bonne et simple raison qu'il contenait quelques potions particulièrement dangereuses. Le bureau était meublé sobrement, et parfaitement rangé. Une table de travail au centre, un canapé gris dans un coin, de haut rayonnages remplis de livres de médicomagie, et une armoire fermée par une chainette en argent qui abritait de puissants anti-douleurs et somnifères.

"Tu pourras t'installer ici pour travailler si tu veux, quand il n'y a pas trop de monde. La matinée est plutôt calme pour le moment, juste une Serdaigle qui s'est fait jetée de son dortoir parce qu'elle réveillait toutes ses camarades avec ses quintes de toux, elle dort à côté, expliqua-t-elle d'une voix douce. J'espère que tu te plairas ici en tout cas, ajouta-t-elle avec un sourire. Ça doit te faire bizarre de revenir à Poudlard, non ?"

Elle-même avait ressenti beaucoup d'émotions contradictoires la première fois qu'elle était revenue à Poudlard en tant que médicomage. Elle avait plutôt de bons souvenirs de sa scolarité, mais elle avait aussi vécu les moments les plus difficile de sa vie entre ces murs, le soir de la bataille de Poudlard. Aujourd'hui elle s'était créé de nouveaux souvenirs heureux au sein de l'école de magie, et elle était plus que jamais attachée à ce lieu chargé d'histoire.

Le sourire chaleureux de Mrs Silverster détendit un peu Marlene, qui pénétra dans l'infirmerie. Elle n'avait pas l'air de déranger, même en étant un peu en avance. Elle savait qu'elle n'aurait pas dû stresser comme cela, l'infirmière était quelqu'un de profondément gentil et de patient : elle avait eu l'occasion de la voir de nombreuses fois lors de sa propre scolarité. Elle n'était pas particulièrement malade régulièrement mais elle avait souvent quelque chose de travers, comme une migraine ou bien des douleurs de cycle ou de stress. Souvent de stress. Elle avait toujours été bien reçue ici, il n'y avait pas de raison que son stage se passe mal... C'était ce qu'elle se répétait depuis ce matin. Elle prit un grand coup sur elle pour sourire et avoir l'air un peu moins angoissée :

- Très bien merci...

Est-ce que cela se faisait de poser la question en retour à un tuteur de stage ? C'était sûrement une question pour la politesse, en plus. Heureusement, Mrs Silvester enchaîna rapidement, ce qui évita à Marlene de se prendre la tête plus que de raison. Elle la suivit jusqu'à son bureau, un peu curieuse de voir cette pièce secrète à laquelle les étudiants n'avaient pas accès. La pièce était particulièrement bien rangée, ce qu'elle remarqua tout de suite : elle s'y sentit immédiatement bien. Elle déposa soigneusement son sac de cuir à côté du canapé, bien appuyé contre le mur pour ne pas perturber l'ordre de la pièce. Elle s'approcha ensuite des livres de Médicomagie qui peuplaient les rayonnages. Si elle avait des moments de creux, elle demanderait si elle pouvait les étudier : pas besoin de se battre avec ses camarades de classe pour avoir le dernier exemplaire, au moins.

- C'est gentil, merci ! répondit-elle avec un sourire lorsque sa tutrice affirma qu'elle pourrait s'installer ici. Il devait effectivement y avoir pas mal de moments de creux, même si les élèves étaient de plus en plus nombreux. Oh, c'est embêtant... Elle a la dragoncelle ? Une petite épidémie, histoire d'avoir des choses à dire dans son rapport de stage. C'est gentil, répéta-t-elle une seconde fois, je suis contente que vous m'ayez acceptée en tout cas, je suis sûre que ça sera un stage intéressant ! Ça me fait un peu étrange, oui, reconnut-elle en glissant une mèche blonde derrière ses oreilles, surtout que cela ne fait pas longtemps que j'ai été diplômée. J'ai un peu l'impression de revenir en tant qu'élève, je ne me sens pas légitime, enfin, je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire... Enfin, je vais trouver un autre positionnement, corrigea-t-elle pour que sa tutrice n'ait pas une mauvaise opinion d'elle. Décidée à faire ses preuves, elle lui fit un sourire. Est-ce que vous vouliez me confier des choses à faire en particulier ? Je suis motivée pour tout !

Même faire du café ou des copies de parchemins.

Rachelle sourit avec nostalgie en voyant Marlene s'approcher des rayonnages où étaient soigneusement alignés tous ses livres de médicomagie. Elle avait l'impression de se revoir, douze ans plus tôt, quand elle cherchait à intégrer le maximum d'informations possible, quitte à passer des heures entières plongées dans d'épais manuels. Elle se souvenait à quel point les études de médicomagie pouvaient être éprouvantes, entre les cours théoriques au programme particulièrement chargé et les stages de pratique souvent stressant. Elle espérait que l'adolescente pourrait profiter de ses journées à Poudlard pour souffler un peu, et continuer à apprendre dans un contexte moins pressurisant.

"Sens-toi libre de les consulter quand tu veux, assura-t-elle à la jeune femme. Certains sont peut-être un peu vieux, avoua-t-elle avec un sourire d'excuses. Cela va faire dix ans que j'ai terminé mes études, mais j'ai quelques manuels plus récents par là, ajouta-t-elle en pointant du doigt une étagère ou trônaient quelques livres flambant neufs. Ils peuvent peut-être t'être utiles."

L'infirmière hocha la tête en signe de compréhension alors que sa jeune stagiaire lui expliquait ne pas se sentir vraiment légitime à son poste, elle qui avait quitté Poudlard seulement un an plus tôt. Elle se reconnaissait beaucoup en Marlène, peu sûre d'elle mais pleine de volonté, et décida à cet instant qu'elle avait pris une excellente décision en l'acceptant en stage à l'infirmerie.

"Tu ne serais pas ici si tu n'étais pas légitime, répondit-elle simplement avec un sourire. Tu trouveras ta place naturellement, ne t'en fais pas. Et bien sûr, si jamais une situation te met mal à l'aise, avec des élèves plus âgés ou quoi que ce soit d'autre, tu n'as qu'à me le dire et on s'arrangera autrement, d'accord ?"

Elle pouvait comprendre qu'il soit difficile pour une jeune femme d'à peine vingt ans de devoir s'occuper d'adolescents de seize ou dix-sept ans. Il n'était pas évident de maintenir la distance nécessaire face à des gens si proches de soi, surtout à cet-âge là. Elle se souvenait très bien des premières fois où elle avait eu à faire à de jeunes hommes quand elle était en stage à Ste-Mangouste. Elle s'était souvent trouvée au moins aussi mal à l'aise qu'eux. Le professionnalisme et la réserve venaient avec les années.

"Rien de particulier pour le moment ! répondit-elle quand Marlene lui demanda ce qu'elle pouvait faire. Je vais d'abord te montrer rapidement le fonctionnement administratif de l'infirmerie, si tu veux ?"

Rachelle invita Marlene à la suivre dans la pièce principale, où était installé son deuxième bureau, celui auquel elle s'installait la plupart du temps, et que les élèves connaissaient bien.

"C'est le registre des patients, indiqua-t-elle à Marlene en lui désignant l'épais cahier en cuir qui était posé sur le bureau. Je le remplis avec les dates d'entrée, nom et prénom de l'élève, symptôme, traitement, etc. J'évite de le laisser trainer, il contient beaucoup trop d'informations, expliqua-t-elle. La nuit, ou quand je quitte l'infirmerie, je le range en général juste là. Elle se pencha pour insérer une petite clé en argent dans le premier tiroir du bureau, qui bénéficiait d'un sortilège d'extension indétectable. Je te donnerai un double de la clé, si jamais tu as besoin du registre. C'est aussi là que je garde les potions les plus fortes, ajouta-t-elle en plongeant le bras dans le tiroir pour un sortir quelques fioles en verre. Pousse Os, Philtre du mort-vivant, et les anti-douleurs les plus puissants, énuméra-t-elle. Elle s'interrompit pour laisser le temps à Marlène d'intégrer toutes ces informations. N'hésite pas si tu as des questions !"

Rachelle sembla lire dans les pensées de Marlene alors qu'elle passait devant les livres de Médicomagie. Elle lui assura qu'elle pouvait les consulter à sa guise et Marlene lui glissa un timide remerciement. Cela lui permettrait de combler quelques moments de creux, en étant plus tranquille qu'à la BU de Sainte-Mangouste, où les élèves de Médicomagie, notamment de première année, se battaient pour les précieux ouvrages. Le concours en fin d'année attisait la concurrence, même si l'ambiance n'était pas - pour le moment - mauvaise dans sa promotion. Il y avait même des livres complètement neufs, constata-t-elle avec ravissement. Son stage s'annonçait sous les meilleures augures. De plus, Mrs Bloomwood était particulièrement gentille et rassurante avec elle, ce qui mettait Marlene un peu plus à l'aise. Elle s'était empressée d'affirmer sa légitimité et même si elle n'était pas complètement convaincue, cela lui faisait plaisir d'être soutenue par sa maître de stage.

- C'est vraiment gentil, répondit-elle avec un sourire. Je n'hésiterais pas alors, si le cas se présente. Elle espérait que cela ne serait pas le cas, car elle avait vraiment envie de faire ses preuves. Si tout se passait bien, alors elle aurait sûrement une bonne note et une bonne appréciation. Cela la rassurerait en plus sur sa capacité à être un jour une vraie Médicomage. Pour l'instant, elle avait encore beaucoup à apprendre et Mrs Bloomwood n'avait rien à lui faire faire, mais elle espérait que cela viendrait. Avec plaisir !

Elle sortit de ses affaires l'un de ses fameux carnets de notes, pas celui offert par James, un autre, afin de ne rien oublier sur le fonctionnement de l'infirmerie. Commettre un impair était sa hantise. De plus, elle ne voulait pas avoir à mobiliser Mrs Bloomwood sans cesse, elle ne voulait pas passer pour une incompétente... Elle posa donc un regard curieux sur le registre des patients. Il était très épais et elle se demandait s'il ne datait que de ce premier trimestre ou s'il y avait des choses des années précédentes... Marlene se força à se reprendre bien vite. La curiosité était yn vilain défaut et c'était sûrement une atteinte au secret médical de lire des choses sur ses anciens camarades. Peut-être qu'elle lirait son dossier à elle, si elle le trouvait... Elle était venue régulièrement à l'infirmerie, pendant ses sept ans à Poudlard. Elle avait souvent mal au ventre ou bien la migraine, ou des angoisses qui l'empêchaient d'aller en classe.

- D'accord, souffla-t-elle, plutôt contente lorsque Mrs Bloomwood annonça qu'elle allait lui confier la clé du tiroir. Cela lui donnait l'impression d'avoir de grandes responsabilités. Elle nota où étaient donc rangées ces potions les plus puissantes, bien concentrée. Vous avez le droit de prescrire, du coup, des potions de classe 3 ? constata-t-elle devant le Philtre de Mort Vivant. Mais pourquoi on dit que vous êtes infirmière, dans ce cas là ? demanda-t-elle, un peu timidement. Vous savez, on dit toujours l'infirmerie et tout...

Marlene n'avait jamais réfléchi en détails à l'appellation de l'infirmerie jusqu'à maintenant. Tout le monde disait l'infirmerie, alors elle aussi. C'était un peu sur le modèle de l'infirmerie dans les établissements scolaires moldus où, pour le coup, le praticien était souvent infirmier. Mais puisque Mrs Silvester était Médicomage et bien... En même temps, comment pouvait-on appeler cela ? L'hôpital ? C'était un peu étrange dans un établissement scolaire. Même quand on y pensait, le poste de soin dans les complexes militaires s'appelait parfois infirmerie... C'était peut-être une étymologie latine ou quelque chose comme cela. Ou bien c'était plus complexe que cela. C'était peut-être parce qu'elle était toute jeune dans ses études mais elle avait l'impression que le titre de Médicomage était important. Pas parce que les infirmières ne l'étaient pas, au contraire, elles faisaient tourner les services mais cela indiquait un niveau d'études important, Mrs Silvester pouvait faire la plupart des gestes et prescriptions médicales, elle n'avait pas besoin d'envoyer la majorité de ses cas à Sainte-Mangouste... C'était étrange qu'elle ne soit pas reconnue ainsi.

Elle se mit d'ailleurs à lui raconter son parcours, comme quoi elle avait pris ce poste après ses études. C'était très impressionnant pour Marlene, elle ne savait pas si elle oserait. À Poudlard, on était tout seul, loin de Sainte-Mangouste ou des cliniques privées. C'était une lourde charge, on ne pouvait pas se reposer sur ses collègues ou les Médicos les plus âgés, on était seul face à son poste et relativement seul face à aux décisions à prendre. Quand on débutait, ou du moins, quand on était juste diplômé, c'était vraiment impressionnant.

- Vous deviez être très douée aussi, répondit Marlene lorsque Mrs Silvester affirma qu'ils n'étaient sûrement pas beaucoup à postuler. Après tout, c'est un poste complètement indépendant, pas de praticien expérimenté pour vous guider... Je pense que j'en serai pas capable si jeune, comme vous, conclut-elle en secouant la tête.

Elle n'arrivait pas à s'imaginer à cette place. C'était normal, elle était encore débutante dans ses études, peut-être même qu'elle n'allait jamais passer les examens de première année et qu'elle ne serait jamais Guérisseuse. Mais même pendant sa formation de sage-femme, elle avait un peu de mal, alors qu'elle avait été placée en position d'autonomie, à se penser comme une professionnelle. Elle était une élève dans sa tête et le serait sûrement encore pour quelques années. D'ailleurs, elle n'avait pas d'idée de spécialité vraiment dessinée, contrairement à la plupart de ses camarades. Beaucoup se voyaient en pédiatrie ou bien en cardio, ou bien encore au service de pathologie des sortilèges...

- Je ne sais pas encore, répondit-elle à la question de Mrs Silvester. J'attends de voir mes stages, je suppose... J'ai bien aimé mon stage aux urgences quand j'étais en formation de sage-femme, c'était très intéressant. J'ai bien aimé aussi ma formation avec les ambulanciers - et pas parce que James était là - mais c'est beaucoup de pression les urgences, je ne suis pas sûre d'avoir les épaules... J'étais en stage là-bas quand il y a eu la Marchebank, je pratiquais les premiers soins et les cas mineurs, les plaies, tout ça mais... C'était dur, comme ambiance...

"C'est gentil, merci" répondit Rachelle avec un sourire quand Marlène affirma qu'elle devait être très douée pour qu'on lui confie le poste de Poudlard dès sa sortie d'études.

C'était effectivement un poste qui demandait beaucoup d'autonomie. Exercer à Poudlard c'était aussi être privé de l'appui de ses collègues et de l'aspect un peu rassurant de la prise de décision collégiale. Ici elle était seule à poser ses diagnostiques et c'était une lourde responsabilité, mais elle voyait aussi -en principe- moins de cas très graves qu'elle n'en aurait vu à Ste-Mangouste, vers qui elle pouvait toujours se tourner lorsque cela arrivait.

"Ce n'est pas si effrayant que ça en a l'air, la rassura-t-elle. Tu gagneras en autonomie au cours de tes études, et en confiance en toi."

Rachelle avait remarqué, en faisant passer des entretiens pour le stage, que c'était souvent un point faible chez les étudiants, et encore davantage chez les jeunes filles. C'était comme si elles avaient le sentiment de ne pas être à la hauteur, et peur d'échouer, et de ne pas réussir à "mériter" leur place. L'infirmière avait elle-même été victime de ce sentiment et avait mis des années avant de se faire confiance. Elle tenait à rassurer Marlène sur ses compétences, alors que la jeune femme doutait d'avoir les épaules pour supporter le service des urgences.

"Je suis certaine que tu en es capable."

Le visage de Rachelle s'assombrit alors que sa stagiaire évoquait son intervention sur l'attentat à la Marchebank. Elle savait parfaitement comme cela avait du être difficile pour Marlene, toute jeune étudiante, d'affronter ça. C'était déjà difficile pour les médicomages rodés aux urgences, on ne s'habituait jamais à un carnage pareil. Elle se souvenait du sentiment d'impuissance qui l'avait submergé lors de son arrivée au beau milieu de la bataille de Poudlard. Elle se souvenait des choix difficiles qu'elle avait fait.

Rachelle était passionnée par la médecine, celle qu'on pratiquait dans le calme et après de longues réflexions, celle qui était basée sur la recherche et les études, celle qui minimisait la douleur et respectait la volonté des patients. Cette médecine là n'avait pas sa place sur une scène de guerre. Il fallait faire au mieux, sauver ceux qui pouvaient l'être, et ne pas perdre de temps avec les autres. C'était de la médecine de survie, et ce n'était pas beau à voir. Elle était réellement désolée que Marlene ait eu à affronter ça si tôt. C'était dur, à cet âge là, d'être confronté à ce genre de choix.

"C'est terriblement difficile de pratiquer dans ces conditions, cela demande beaucoup de courage. Tu peux être fière de toi, lui assura-t-elle avec douceur. Quoiqu'il se soit passé là-bas, grâce à toi certaines personne s'en sont sorties, et c'est tout ce qui compte."

Elle savait, pour être passée par-là, qu'on avait tendance à penser à ceux que l'on avait pas pu sauver. Elle s'en voulait encore aujourd'hui de ne pas avoir réussi à réanimer Simon. Mais nul n'était tenu à l'impossible, et dans ce genre de situation on n'avait pas d'autre choix que de se contenter de faire son maximum, même quand ça ne suffisait

"Ça n'a pas été trop dur, après ?"

Elle savait que Ste-Mangouste offrait du soutient psychologiques à ceux de ses employés qui étaient intervenus mais savait aussi que peu en profitaient. C'était pourtant important, de pouvoir mettre des mots sur ce que l'on avait vécu et de pouvoir échanger avec d'autres médecins qui avaient connu des situations similaires. Elle ne voulait pas forcer Marlène à en parler si elle ne le voulait pas, mais elle tenait à lui laisser cette opportunité.

Marlene eut un sourire un peu crispé pour Mrs Silvester lorsque cette dernière affirma qu’elle gagnerait en confiance et en autonomie au fil de ses études. Elle avait envie de la croire, il est vrai, mais l’idée était quand même effrayante. Elle avait vraiment peur de ne pas être assez douée, de ne pas être faite pour cela. Elle n’était pas la meilleure sur le plan scolaire, la première année de Médicomagie était pleine de cerveaux brillants. Elle travaillait beaucoup mais elle avait peur que cela ne soit pas toujours suffisant. Il est vrai que, contrairement au reste de ses camarades, elle avait un peu d’expérience professionnelle grâce à sa formation de sage-femme mais cela se tasserait vite au fil des stages. Si elle ne réussissait pas ces études, elle ne savait pas ce qu’elle ferait de sa vie... Elle préférait ne pas y penser et elle travaillait beaucoup. Le mots gentils de l’infirmière étaient un peu réconfortants mais ils auraient beaucoup plus de poids dans quelques mois, si elle réussissait son stage et que tout se passait bien. Elle allait en sorte que Mrs Silvester soit contente d’elle, qu’elle ne regrette pas de l’avoir choisie pour venir à Poudlard.

La conversation dériva bien vite sur ce qui était arrivé aux urgences après l’attentat de Marchebank. Ce jour-là était une journée normale pour Marlene : elle était dans son cycle de formation générale, où elle quittait un peu la maternité pour apprendre des gestes techniques de manière plus large. Elle avait donc trois semaines aux urgences auprès des guérisseurs urgentistes. Elle s’occupait beaucoup de plaies, de coupures, de brûlures... Quelques intoxications aussi, quelques problèmes gynécologiques et beaucoup de personnes alcoolisées. La nouvelle de l’attentat était tombée à la radio alors que les cheminettes s’illuminaient de partout pour prévenir l’arrivée de nombreux patients. La vague avait déferlé sur eux sans qu’ils ne puissent vraiment s’y préparer. Malheureusement, étudiante de première année de médicomagie, elle n’était pas d’un grand secours. Elle avait été reléguée dans les couloirs avec les autres jeunes étudiants  à faire ce qu’elle savait faire : soigner les plaies les moins graves - celles qui n’étaient pas mortelles - panser les brûlures, tenter de limiter les dégâts sur certains patients en attendant l’arrivée des vrais Médicomages. Il y avait des patients partout. Toutes leurs salles étaient remplis, les couloirs étaient encombrés de brancard, on tentait de monter au maximum dans les services mais les victimes étaient trop nombreuses.

Elle avait eu de la « chance » dans un sens car les patients qui passaient entre ses mains tremblantes n’avaient pas décompensé. Elle ne savait pas forcément ce qu’ils étaient devenus mais elle savait qu’elle avait pu faire de son mieux sur les premiers secours qui lui étaient demandés. Elle savait que Levi Bunch, en deuxième année, avait vu son patient faire un arrêt sans raison apparente (l’autopsie avait au final révélé une hémorragie interne qui leur avait échappé, dans la confusion du moment) alors qu’il parlait quelques minutes auparavant. Il avait dû commencer le massage seul, avec l’aide d’un infirmier mais le temps qu’un guérisseur senior se libère, il était mort. Elle s’estimait chanceuse de ne pas être passée par ce genre de situations mais il y avait tant de choses qui l’avaient marquée tout de même de ces journées... C’étaient les cris qui revenaient le plus. Tous ces cris de douleur, ces pleurs, tout ce désespoir, les familles qui se pressaient aux portes pour essayer de retrouver les gens. Cette patiente qui n’avait eu de cesse de pleurer pendant que Marlene tentait de faire cesser le saignement de sa jambe, après avoir retiré de gros éclats de verre. Ce n’était même pas des pleurs de peur, de douleur, comme elle en avait déjà vu, aux urgences à la maternité. C’était de la détresse.

Il y avait aussi toutes ces blessures, tout ce sang qu’elle apercevait quand elle cherchait des bandages, des pansements, des pinces. Tous ces corps sous des draps, qu’on tentait d’évacuer au plus vite pour refaire de la place, sans savoir pourtant où les mettre. Et puis tous ces cris, ces pleurs... Elle avait passé des heures et des heures aux urgences, avec les autres étudiants. Ils étaient restés jusqu’au lendemain soir, à terminer le travail pour les cas les moins graves, ce qui ne s’étaient pas présentés immédiatement, les petites blessures, les foulures, quelques fractures même. Et quand elle était rentrée chez elle, dans le silence de son studio, elle avait encore l’impression d’entendre ces cris de détresse qui lui nouaient la gorge. Quand Mrs Silvester affirma que des patients s’en étaient sortis grâce à elle, elle haussa les épaules, la gorge un peu nouée d’avoir repensé à cela.

- Je n’ai eu que des cas mineurs, j’étais juste étudiante sage-femme à ce moment-là, je ne savais pas faire grand-chose... J’ai géré des plaies surtout, beaucoup de déchirures... Des brûlures... J’ai rien eu de vital, j’étais dans les couloirs, pas au déchocage ou dans les box...

Et elle avait regretté, à ce moment-là, de se sentir si impuissante. Elle aurait aimé maitriser plus de techniques, être plus efficace, elle aurait aimé pouvoir aider plus, aider à sauver plus de patients. Évidemment, il fallait des gens pour gérer les cas un peu moins graves, pour laisser aux médicomages la place et le temps de s’occuper des urgences vitales, mais cela l’avait poussée, après coup, à intégrer la Médicomagie. Elle aussi, elle voulait pouvoir sauver des vies, dans quelques années. La question de Mrs Silvester lui fit un peu baisser les yeux.

- Et bien euh... je n’ai pas eu cas trop graves et même si des gens sont morts autour, je n’ai pas... pas personnellement vu mourir ce jour-là, vous voyez ? Et elle avait déjà assisté à un décès en temps « normal », un patient un peu âgé qui était arrivé pour suspicion d’infarctus aux urgences, quelques semaines avant. Puis ensuite on en a beaucoup reparlé en cours, quand on y est retournés, on a beaucoup débriefer avec les professeurs et il y a eu aussi une réunion avec le docteur Green, le chef des urgences vous savez... Alors c’est allé, globalement... Je crois que ce qui est resté le plus, et restera, ce sont les sons... Les gens qui crient et euh, enfin, vous voyez.

Rachelle répondit par un sourire doux aux explications de Marlene, qui essayait de minimiser son rôle dans le soin des blessés de l'attentat de la Marchebank. C'était un sentiment qu'avaient ressenti un jour tous les étudiants en médicomagie. La culpabilité de ne savoir faire plus, de ne pas savoir faire mieux, de ne pas être assez rapide. Elle-même avait souvent été confrontée à cette culpabilité pendant ses études, face à des situations d'urgence où elle ne s'était senti d'aucune utilité. Elle se rappelait avoir été parfois réduite à préparer les instruments pour des opérations en urgence ou à gérer la famille pendant qu'on s'occupait d'un blessé grave. Et elle avait patiemment attendu le jour où elle ne se sentirait plus inutile. Elle avait compris plus tard que c'était un objectif qu'elle n'atteindrait jamais. Elle était persuadée que même le plus compétent des médicomages de Sainte-Mangouste se sentait parfois complètement impuissant. Il y avait toujours plus de patients à prendre en charge, plus de monde à aider, et personne n'était capable de réparer toutes les blessures du monde.

Elle laissait toutefois Marlene faire ce chemin toute seule. C'était un ressenti personnel et elle ne voulait pas imposer sa vision du métier à la jeune fille, qui avait tout le temps de construire sa propre expérience.

"Tout le monde est important dans un hôpital, récita-t-elle pour rassurer un peu sa stagiaire. Il faut du monde pour gérer les cas un peu moins graves et laisser les médicomages plus expérimenté gérer les urgences vitales, sinon cela ne fonctionnerait pas."

Et à ses yeux il n'y avait pas une tâche plus valorisante que l'autre. Tout le monde ne pouvait pas être cardiomage et sauver des vies tous les jours. Il fallait des médicomages généralistes, des sages-femmes, des infirmières et des ambulanciers pour qu'un hôpital puisse fonctionner. Rachelle avait toujours considéré que les métiers qui suscitaient le plus d'admiration n'étaient pas nécessairement les plus difficiles.

"C'est ce qui t'a poussé à te réorienter en médicomagie ?"

Elle avait lu dans le dossier de Marlene qu'elle avait fait un an en formation de sage-femme avant de reprendre une première année de médecine. Les réorientations au sein du secteur médical étaient fréquentes, mais elles étaient plus habituelles dans l'autre sens. Elle comprenait désormais que c'était peut-être ce sentiment d'impuissance face aux victimes de l'attentat de la Marchebank qui l'avait décidé à tenter les études de médicomagie, pour être capable de gérer ces situations plus tard.

La jeune femme semblait en tout cas avoir plutôt bien géré les conséquences de cet évènement traumatisant. Elle avait visiblement eu l'occasion d'en parler en cours, ce qui était une bonne chose. Ce n'était pas le genre de souvenir qu'il était bon de garder pour soi. Rachelle hocha silencieusement la tête quand Marlene évoqua le souvenir des gens qui criaient. C'était ce qui semblait l'avoir le plus marqué, et l'infirmière pouvait parfaitement le comprendre. Elle se souvenait encore des hurlements désespérés des participants de la bataille de Poudlard, de ces gens qui appelaient vainement un ami, un frère ou parfois même un enfant. Des hurlements auxquels elle avait finalement ajouté le sien. Il y avait des sons comme ceux-là qu'on oubliait jamais.

"Oui, répondit-elle simplement à la question de Marlène. Je vois."

Elle lui adressa un sourire triste et s'empressa de changer de sujet pour ne pas se laisser rattraper par ses mauvais souvenirs.

"Est-ce que tu as des questions ? N'importe quoi, surtout n'hésites pas !"

Elle tenait à ce que sa toute première stagiaire se sente bien ici, pour que cette expérience soit un succès.

Ce n’était pas facile d’évoquer tous ces souvenirs, même auprès de Mrs Silvester qui avait pourtant l’air de savoir de quoi elle parlait. Marlene s’efforçait la plupart du temps de ne pas y penser, de laisser le temps faire son travail. Elle avait eu beaucoup de chance dans cette situation, parce qu’elle n’avait pas été victime tout d’abord, parce qu’elle n’avait perdu aucun proche et également parce qu’à l’hôpital, elle n’avait rien vécu de traumatisant, comme Levi Bunch par exemple. Les mots de l’infirmière scolaire résonnèrent en elle et elle hocha la tête, un peu pensive. Effectivement, elle avait raison. Il fallait bien que des gens gèrent ces brûlures et ces petites plaies afin de laisser du temps libre aux autres Médicomages, ceux qui savaient vraiment pratiquer la médecine. Elle avait fait de son mieux à son échelle, c’était peut-être déjà bien. Et surtout... Un jour elle espérait pouvoir être de ceux qui savaient véritablement soigner. Elle hocha d’ailleurs vivement la tête à la question de Rachelle.

- Oui, je voulais savoir faire plus de choses, pouvoir être plus utile encore... À vrai dire, j’aurais bien aimé pouvoir m’orienter en Médicomagie dès la sortie de Poudlard - ou du moins l’envisager - mais je n’ai pas été assez performante à mes ASPICS. Commencer comme sage-femme m’a permis de me faire mes armes autrement et c’est comme ça que j’ai obtenu ma réorientation... Réalisant qu’elle pouvait passer pour une opportuniste, elle s’empressa de préciser. Je voulais vraiment être sage-femme au début d’ailleurs, j’en étais très contente mais après l’attentat... L’envie d’autre chose m’est revenue. Mais je suis contente d’avoir commencé finalement en obstétrique parce que j’ai appris plein de choses là-bas, même en dehors des gestes techniques, je trouve que le rapport au patient est plus... personnel, en tant que sage-femme, et j’essaye de maintenir cela quand je travaille dans d’autres spécialités désormais.

Ce n’était pas toujours facile parce qu’elle manquait de temps ou bien parce qu’elle se concentrait sur ses enchaînements et ses soins, donc était un peu silencieuse. Des fois les patients étaient un peu étranges aussi, il fallait le dire... Mais elle tentait de garder ce motto en tête, elle avait l’impression que c’était un bon principe. Elle allait voir si elle pouvait également avoir cette position lors de son stage à Poudlard, mais elle avait l’impression que ce n’était pas gagné. Avec les élèves les plus jeunes, ceux qu’elle ne connaissait pas - voire qui n’étaient pas à Poudlard il y a deux ans lors de sa dernière année - cela serait sûrement plus facile de se présenter en tant qu’étudiante médicomage, en tant que presque professionnelle. Avec ses anciens camarades de classe, notamment les plus âgés... La posture n’allait pas être simple à trouver. D’ailleurs, à ce sujet... Lorsque Mrs Silvester lui demanda si elle avait une question, Marlene balbutia quelques mots.

- Euuh, oui, pour les repas, je ne suis pas censée manger à la table des professeurs, non ?

L’infirmière le faisait, alors cela semblait logique de la suivre et de ne pas s’installer à une table de maison mais... Marlene peinait à s’imaginer en haut de cette imposante estrade. Si elle devait croiser le regard goguenard de Virgil alors qu’elle manger à côté des professeurs. Elle allait vouloir s’enterrer quelque part, c’était certain. Beaucoup trop gênant.

FIN DU RP