Give your heart a break [Marlene]

Du bout de sa baguette en bois d'if émergea une lueur rouge qui vint envelopper la guirlande dorée. Cette dernière s'éleva lentement de quelques mètres pour venir se disposer joliment le long de l'étagère en bois et s'enrouler autour des piliers, suivant les gestes que Théo imprimait à sa baguette. Une fois satisfait, il rompit le sortilège, puis lança plusieurs sorts supplémentaires pour allumer les bougies qui flottaient au-dessus des rangées de livres. La nuit tombait tôt, à cette époque de l'année, et la pénombre tombait vite dans la bibliothèque. Son œuvre achevée, Théo observa un instant les alentours et s'auto-congratula : il avait fait du bon travail. Après avoir passé son après-midi à décorer l'immense bibliothèque pour la mettre aux couleurs de Noël, les lieux paraissaient réellement magiques. Il y avait mis du cœur et de la patience, comme un ultime cadeau à ces lieux avant son départ.

Il s'extirpa de sa rangée de livres, son carton de décorations désormais vide à la main, et entreprit de remonter vers le bureau des bibliothécaires. Avec un pincement au cœur, il réalisa que ce serait la dernière fois qu'il se chargerait des décorations de Noël de la bibliothèque, comme de tant d'autres choses. Aujourd'hui était son dernier jour de travail, après quoi son préavis de démission prenait effet. Théo avait dû inventer un projet de tour du monde pour justifier sa démission auprès de ses employeurs, attristés de le voir partir ainsi, et quelque peu inquiets pour lui. Certes, c'était la seconde fois que Théo abandonnait un travail, et il n'avait aucune idée de ce que l'avenir pourrait lui réserver. Quelle insertion dans une société qui le rejetait plus ou moins, quelles possibilités d'embauche après avoir tourné le dos à deux emplois ? Cette incertitude ne l'inquiétait pas. Lui qui avait grandi dans un manoir, été habitué à des considérations matérielles aisées, s'était déjà habitué à des conditions de vie bien moins confortables depuis sa rupture familiale, et ne le vivait pas si mal.

Et puis il était à mille lieux de ces préoccupations depuis quelques mois, incapable de se projeter de nouveau dans une routine de personne normale, sans engagement pour la résistance. La bibliothèque magique de Londres avait été bien plus qu'un lieu de travail pour lui, elle avait constitué son refuge pendant la tempête, et il ne la quittait pas de gaieté de cœur, mais c'était bien le seul aspect de son présent pour lequel il éprouvait de la nostalgie. Ce départ ne se faisait pas sans souffrance, mais il allait lui faire le plus grand des biens, il en était intimement persuadé. A vrai dire, l'impatience le tenaillait depuis que Lilly lui avait exposé les détails de la mission et avait accepté qu'il l'accompagne. Théo n'attendait qu'une chose, c'était de partir enfin, de laisser les dernières années derrière lui et de se sentir, enfin, utile, en se consacrant à la résistance, pour quelques mois.

Une année au plus profond de la Cornouailles, dans l'antre des Marchebank, à tenter d'infiltrer la famille la plus vénéneuse du pays. Une année loin de la turbulente Londres, loin également du QG où la présence de Jeremy et de Juliet se faisait plus pesante que jamais, où il fourmillait d'impatience dans l'attente d'une mission qui avait du sens, qui paraissait représenter plus qu'une goutte dans l'océan. Oui, il n'attendait que cela. Alors il se rassit à son bureau pour la dernière fois, resserra machinalement les pans de sa cape fine autour de son pull gris pour lutter contre le courant d'air dans l'entrée, et saisit sa plume et son encrier pour retracer une série de livres qui attendaient d'être commandés. Entièrement absorbé par sa tâche, il ne redressa pas tout de suite la tête à l'entente des bruits de pas qui se rapprochaient de son comptoir. Probablement un visiteur qui attendait un renseignement ou souhaitait emprunter un livre, songea-t-il en redressant finalement un visage interrogateur vers le nouveau venu.

Une jeune fille blonde, au visage qui lui semblait vaguement familier, se tenait face à lui. Il mit quelques secondes à la replacer, fronçant un instant ses sourcils clairs en se creusant la mémoire, puis la lumière se fit dans son esprit. Il se rappelait où il avait déjà croisé cette personne : en compagnie de sa cousine Emma. C'était une de ses amies, probablement une ancienne Serpentard.

"Bonsoir, Marlene, c'est ça ?", s'enquit-il avec un sourire, avant d'indiquer : "Je suis Théo, le cousin d'Emma, nous nous sommes déjà rencontrés. Est-ce que je peux t'apporter un renseignement ?"

Marlene avait toujours aimé lire, elle avait toujours beaucoup lu. Pourtant, elle ne se considérait pas comme une grande lectrice. Elle avait l'impression que ses lectures manquaient de légitimité. Elle ne lisait pas de livres trop sérieux ou bien des classiques de la littérature anglaise comme Conan Doyle ou bien Thackeray. Elle préférait les romans d'amour et son coeur penchait plus vers du Jane Austen, du Emily Brontë, du Mildred Magpie ou bien du Shakespeare (plutôt côté Roméo et Juliet, d'ailleurs.) Elle s'évadait dans les aventures des héroïnes, elle tombait amoureuse des belles passions décrites dans les pages des ouvrages. Cela la faisait rêver. Elle aussi, elle voulait un soupirant qui se damnerait pour elle, lui ferait la cour et ne supporterait pas son absence. La réalité était beaucoup moins reluisante ou du moins, sa vie amoureuse l'était beaucoup moins. Elle essayait de ne pas trop penser à la relation compliquée entre James et elle depuis toute cette histoire avec Grady. Les mots qu'il lui avait hurlé lors de leur dispute du mois dernier lui restait en tête. Elle était à peu près certaine que l'ancien amour d'Elizabeth Bennet ne l'avait jamais traitée de garce. Lire lui permettait d'éviter de trop penser, même si depuis qu'elle était entrée en Médicomagie, elle manquait de temps pour s'adonner à son loisir préféré : elle tombait de fatigue le soir et s'endormait après quelques pages. Elle avait trop de travail pour lire dans la journée, entre les leçons à apprendre, les cours auxquels elle assistait, les devoirs à rendre, son stage qui venait de débuter et l'intendance de la vie quotidienne.

Pourtant, cela lui manquait et elle avait envie de profiter des vacances de Noël pour s'y remettre un peu plus sérieusement. Elle venait juste de terminer Tempête de bonheur, un livre très chouette sur une jeune femme qui tombait amoureuse de son nouveau voisin alors qu'elle venait passer Thanksgiving à la la campagne. Il était donc temps de passer aux romances de Noël. Elle n'avait pas trop de sous pour acheter de nouveaux ouvrages, avec Noël qui arrivait elle préférait économiser, et avait donc profité du fait de finir un peu plus tôt pour se rendre à la bibliothèque magique de Londres, en espérant trouver son bonheur. Dès qu'elle avait passé le pas de la porte, elle avait été ravie. Le lieu était décoré aux couleurs des fêtes de fin d'année, conférant un peu de magie aux vieilles étagères. Les ouvrages foisonnaient, des petits canapés attendaient tranquillement les lecteurs et les tables près des fenêtres donnaient sur l'agitation du Londres sorcier. Elle devrait peut-être venir travailler ici, songea-t-elle en avisant une jolie guirlande lumineuse qui courait le long d'une étagère. Elle travaillait souvent à la bibliothèque de l'hôpital mais ici, elle serait très tranquille. Les quelques personnes présentes chuchotaient très discrètement.

Elle promena sa main le long des tranches des livres éclairés par les bougies, guettant celui qui lui sauterait au visage (pas littéralement, même si c'était déjà arrivé. Une fâcheuse attaque de manuel de neurobiologie.) L'endroit était immense et elle se perdit un peu dans la lecture des titres et des quatrième. Elle avait envie de tout emprunter. Elle finit par attraper deux romans, un romantique et un autre qui semblait un peu plus mystérieux, sur une jeune fille qui disparaissait dans la Forêt Interdite. Pour autant, elle n'avait pas trouvé son bonheur en termes de livres pour Noël et ce n'était pas faute de faire le tour des différents étages. Elle finit par retourner à la section roman, se penchant pour inspecter les rayonnages les plus bas. Elle repoussa d'une main preste une mèche de cheveux blonde qui lui passa devant les yeux, surprise une nouvelle fois de la couleur. Elle n'était toujours pas habituée.

Au printemps dernier, après sa rupture avec James, elle était allée passer la soirée chez sa cousine Meg. Cette dernière était en école de coiffure et elle lui avait proposé de lui faire une teinture, afin de se faire la main. Marlene avait accepté, parce que c'était drôle et parce qu'elle avait envie de changer de tête après la fin de sa relation amoureuse. Nouvelle Marlene, on avait dit. Elle avait été un peu surprise d'être rousse mais elle avait fini par s'habituer, c'était plutôt joli. La couleur avait fini par s'émousser, pour laisser place à un brun un peu plus clair que ses cheveux noirs classiques. Elle avait à la base l'intention de revenir au naturel. Et puis elle avait croisé Kessy Brooks dans un magasin. Longue histoire mais... Elle avait fini blonde. Ses camarades avaient été plutôt surpris de la voir revenir ainsi. Elle était aussi surprise le matin en se réveillant, à chaque fois. Son père n'avait encore rien vu mais il allait sûrement avaler de travers. Elle allait plutôt s'y faire, c'est juste que le blond c'était... très différent d'elle. Mais elle aimait bien l'idée de changer un peu, après encore une fois un problème avec James. C'était cliché mais tant pis. Cela lui donnait un peu l'impression d'avancer. En tout cas, les changements de tête étaient recommandés dans l'article de Sorcière Hebdo "Comment oublier son ex ?"  

Les quelques titres dont elle parcourut la couverture ne la convainquirent pas plus que cela et elle poussa un soupir, avisant sa montre. Il ne fallait pas trop qu'elle traîne, elle devait rentrer réviser. Ses romans dans les bras, elle se décida à demander de l'aide et se dirigea vers le bureau d'accueil. Un jeune homme y était assis, il paraissait très concentré à remplir des papiers à la plume. Marlene n'osait pas vraiment le déranger et elle resta plantée là quelques secondes jusqu'à ce qu'il remarque sa présence. Oh !  Elle le reconnaissait, c'était Théo Nott. Il était le cousin d'Emma mais même avant cela, elle l'avait remarqué dans les couloirs de l'école. Il était plus âgé qu'elle mais il faisait partie de ces nombreux beaux garçons inaccessibles qui la faisaient rêvasser en Histoire de la magie. Théo Nott, Jeremy Baker, Ulrich Keller (avant qu'il ne soit un meurtrier, évidemment.) Évidemment - et malheureusement - aucun d'entre eux ne connaissait son prénom à l'époque. Elle n'était pas vraiment le genre de filles qui était remarqué par les garçons. James avait été le premier à s'intéresser à elle et encore. Au début, c'était pour la détester (elle n'était pas en reste, elle l'accordait.) Aussi fut-elle toute surprise et ravie qu'il ait retenu son nom, même si c'était parce qu'elle était l'amie d'Emma.

- Oui c'est ça, Marlene ! Et je me souviens de... Elle allait dire vous, par réflexe. Elle se retint. Toi aussi. Brusquement un peu embarrassée, elle eut l'impression que ses joues chauffaient. Elle ne pouvait pas dire qu'elle cherchait des livres de Noël, il allait la trouver bête ou enfantine. Mais en même temps, elle avait bien envie de lire ça... Elle tenta de sauver la face avec sa formulation. Je cherchais des livres de saison, je ne sais pas où trouver cela...

Elle espérait qu'il n'allait pas lui proposer des ouvrages de jardinage ou de cuisine de soupe, réalisa-t-elle. Parce qu'elle aurait tellement honte de le contredire qu'elle finirait par les emprunter. Elle n'assumait pas vraiment ses lectures un peu niaises, elle savait que c'était un peu ridicule. James s'était toujours un peu moqué d'elle à ce sujet.

Théo hocha doucement la tête quand Marlene affirma qu'elle se souvenait aussi de lui. Le monde des sorciers était petit, et il n'était pas rare qu'il croise d'anciens camarades d'écoles venus étudier ou rechercher un livre en particulier. La plupart du temps, il s'agissait de rencontres, au mieux agréable, au pire indifférentes, mais il arrivait que des membres de la haute société se mêlent aux rayonnages, et c'était tout de suite plus déplaisant. Théo était alors généralement snobé, ou traité avec dédain, voire avec le même mépris que certains sangs-purs réservaient encore à leurs elfes de maison.

Enfin, Marlene n'avait pas l'air particulièrement hostile à son égard, songea-t-il en profitant d'une seconde de latence pour l'observer. C'était peut-être la première fois qu'il l'observait véritablement, mais elle lui paraissait changée : peut-être était-ce son visage, qui avait perdu quelque peu de ses rondeurs propres à l'adolescence, sa nouvelle couleur de cheveux qui lui illuminait le teint, ou bien ses pommettes rosies, probablement par le froid. Il fallait dire que la nuit était tombée, et avec elle une pluie battante, incessante, dont la musique se mêlait au crépitement des feux de cheminée. De toute évidence, Marlene ressentait aussi l'hiver qui approchait puisqu'elle était à la recherche de livres de saison...

"Oh oui, bien sûr, nous devrions pouvoir trouver ça", répondit Théo avec un sourire, avant de se lever pour contourner son comptoir. Un élan d'enthousiasme venait de l'envahir à cette demande. Toutes les personnes qui se rendaient à la bibliothèque ne lui demandaient pas conseil, c'était même relativement minoritaire, or c'était ce qu'il préférait. Lecteur assidu, il avait appris à découvrir chaque rayon et chaque thème pour être en mesure de répondre aux questions qu'on lui posait et d'orienter, au moins un minimum, les personnes au cours de leurs recherches. En plus, celle de Marlene était mignonne, bien qu'un peu imprécise, alors il se ferait un plaisir de l'aider. Après tout, elle serait probablement la dernière à lui demander conseil.

"Alors, des livres de saison, hmm ?", dit-il en s'avançant entre les rayonnages, Marlene sur les talons. "Plutôt roman, j'imagine ?"

Comme elle confirmait, il s'orienta vers les sections romans, ses sourcils clairs froncés sur son visage tandis qu'il réfléchissait. S'avançant à pas feutrés sur le plancher recouvert d'un épais tapis vert émeraude, il saisit un premier roman, avant de faire demi-tour pour s'orienter dans un deuxième rayon, puis un troisième. L'opération prit plusieurs minutes, mais il sélectionna, attentif et concentré, une jolie pile de romans, qu'il finit par faire léviter autour d'eux pour ne pas avoir à les porter. Finalement, il se tourna vers Marlene, non sans une certaine satisfaction. Avec tout ça, elle devrait pouvoir trouver son bonheur.

"Alors, si tu aimes les polars, je te conseille L'Arithmancienne des Glaces de Camilla Mäckberg, une auteure suédoise très en vogue, son roman se déroule en Scandinavie en plein cœur de l'hiver. Très bien mené, un récit haletant et des personnages bien construits, par contre je te préviens, c'est glaçant."

Ses yeux clairs fouillèrent ceux de Marlene, en quête de réaction. Peut-être que les crimes sanglants n'étaient pas ce qu'elle recherchait en prime abord.

"Sinon, du côté de la fantasy moldue, tu as Les lettres au Père Noël de J.R.R Tolkien. Des lettres écrites à ses enfants, pendant des années, cela rivalise d'inventivité, c'est très mignon et en plus tu as des dessins réalisés par l'auteur. Bien sûr, Bilbo le Hobbit, du même auteur, est un grand classique et également un conte très appréciable pendant les fêtes", ajouta-t-il en agitant quelque peu sa baguette, pour que les deux romans concernés volent un peu plus près de Marlene. Cela étant, tout le monde ne partageait pas sa passion pour cet auteur, découvert à Poudlard, un jour où il avait mis le nez par hasard dans "le Seigneur des Anneaux" avant de découvrir, trop tard, qu'il avait été écrit par un moldu.  

"Et le meilleur pour la fin...", souffla-t-il en agitant de nouveau sa baguette, pour que trois romans aux jolies couvertures colorées ne s'avancent à hauteur des yeux de Marlene. "La Magicienne de Chicago, l'histoire d'une moldue et d'une sorcière qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau et qui décident d'échanger leur place, pendant trois jours, le temps des fêtes. Celui-ci est américain, sinon du côté des français, je peux te conseiller "Concours d'Amour", l'histoire d'une jeune femme tout juste sortie de Beauxbâtons qui se lance à corps perdu dans la préparation du très sélectif concours de médicomagie, pour intégrer l'Ecole Médicomage de Paris. Le concours se passe juste après Noël, et elle décide de rentrer retrouver sa famille, dans un chalet en Haute-Savoie, le temps des fêtes. C'est très intéressant, pour tout ce qu'on y apprend sur la société française, et puis le personnage est passionnant, une sorte de Jane Eyre des temps modernes. J'aime bien son intérêt amoureux, aussi, le moniteur de ski."

A vrai dire, c'était même l'un de ses crushs littéraires, même s'il s'abstint bien de le dévoiler. Concours d'Amour était son préféré de la sélection, mais il avait encore une carte dans sa botte, qu'il dévoila avec un léger sourire :

"Amortensia pour Noël, l'histoire d'une jeune sorcière à Poudlard qui décide d'apprendre à réaliser un philtre d'amour très puissant à la perfection pour séduire son prof de potion. Bien sûr elle finit par le lui faire boire, et... je te laisse découvrir la suite, si tu en as envie. Un peu niais, mais efficace. Et puis comme on dit, c'est dans les vieux chaudrons qu'on fait les meilleures potions."

C'était le roman le plus léger de la sélection, de ceux qu'il avait lu en douce, dissimulé derrière son comptoir et un épais traité de potionologie. Un plaisir coupable, mais c'était peut-être précisément ce dont Marlene avait besoin, en tout cas, ce n'était pas lui qui irait la juger pour cela.

L'interrogeant de ses yeux clairs, il s'enquit à voix basse : "Quelque chose t'intéresse ? Je peux continuer à chercher, sinon. Il suffit que tu me précises tes goûts, mais nous avons vraiment beaucoup de choix."

Marlene fut surprise par l'enthousiasme de Theo qui se leva bien vite de son comptoir. Elle aurait plutôt pensé qu'elle allait le déranger, surtout qu'il commençait à être tard. Il devait être sollicité toute la journée par les lecteurs... En tout cas, il n'en montra rien du tout. Il était plus grand que dans ses souvenirs, constata Marlene alors qu'il passait devant elle pour rejoindre les rayonnages. Elle s'empressa de le suivre, hochant la tête lorsqu'il suggéra des romans.

- Oui, de préférence ! répondit-elle, un peu soulagée que sa demande n'ait pas été mal interprétée et que Theo ne parte pas sur des livres de cuisine de saison.

Il commença à parcourir les différentes étagères d'un air très concentré, sourcils froncés. Il se penchait, regardait des ouvrages, renonçait, changeait brusquement de rayon pour aller en chercher un autre. Marlene le suivait en espérant que cela ne lui donnait pas l'air trop gourde, surtout qu'ils ne parlaient pas. Elle aurait peut-être dû attendre dans l'allée centrale... Heureusement pour elle, il semblait trop concentré sur sa mission pour remarquer ce qu'elle faisait. Elle lui jetait des petits coups d'oeil de temps en temps, songeant qu'il avait l'air de prendre cela très au sérieux. Il devait bien connaître ses rayons pour en sortir autant d'ouvrages... Finalement, la quête se termina : ils étaient entourés de livres voletant autour d'eux et le cousin d'Emma avait l'air plutôt satisfait.

Malheureusement, sa première proposition la laissa plutôt froide (c'était le cas de le dire) même si elle essaya de ne pas trop le montrer. Elle n'avait pas envie de le vexer, il s'était impliqué dans sa recherche. C'est juste qu'elle n'aimait pas tout ce qui était un peu glauque, décès multiples et autres choses sanglantes. Surtout à Noël. Les romans policiers, c'était le truc de James. Elle, elle trouvait qu'il y avait assez d'horreurs dans le monde pour ne pas en plus en lire avant de dormir. Elle préférait les jolies histoires mais avait peur d'avoir l'air d'une gamine qui voulait lire des contes aux yeux de Theo. Pour rattraper le tout sans trop s'engager, elle lança un vague :

- Oh euh, ça a l'air pas mal. Au pire, elle pouvait l'emprunter et ne pas le lire. Sauf qu'elle allait avoir l'air bête si Theo lui demandait son avis lorsqu'elle le rendrait. Elle pourrait toujours le mettre discrètement dans la boite des retours... Heureusement, elle était un peu plus à l'aise avec la suite : Tolkien, elle connaissait. La couverture familière passa devant ses yeux et elle eut un sourire. Oh, j'ai déjà lu ! À Poudlard, quand je cherchais des lectures autres que les manuels de sortilèges... J'ai bien aimé ! J'ai préféré Bilbo au Seigneur des Anneaux, enfin, je n'ai lu que le premier tome mais c'était... Il y avait trop d'aventures et de bestioles pour elle, trop d'hommes qui secouaient leurs épées. Moins mon style.

Heureusement, son style se présenta sous la forme des trois derniers romans proposés par Theo. Leurs couvertures brillantes et colorées, qui passèrent devant elles, l'attirèrent au premier regard. Ils avaient tous l'air beaucoup trop bien. La Magicienne de Chicago parce qu'elle avait déjà vu un film de Noël qui se passait là-bas et que les américains savaient y faire, avec Noël. Elle rêvait de voir New-York à Noël, d'ailleurs. Quant au deuxième, évidemment qu'il l'intéressait, elle s'identifiait immédiatement au personnage principal. Elle aussi avait longuement préparé son entrée en Médicomagie (ce qui ne l'avait pas menée vers l'amour, au contraire, cela avait fait beaucoup de mal à sa relation) et elle adorait Jane Eyre.

- Charlotte Brontë est une des auteures que je préfère, avec Jane Austen ! commenta-t-elle avec enthousiasme. Et Emily Brontë, aussi.

Quand au dernier roman suggéré par Theo, il avait l'air très bien mais l'ancienne préfète-en-chef en elle ne pouvait pas s'empêcher de se questionner sur la légalité de la chose. Outre le fait que les potions d'amour bafouaient le consentement, il s'agissait quand même d'une histoire entre un enseignant de Poudlard et une élève. Alors bien sûr, elle-même avait déjà rêvassé sur certains enseignants, le professeur Greengrass notamment (le professeur Virtanen lui faisait trop peur) mais tout de même. Elle était curieuse de voir si ce sujet était abordé dans l'ouvrage. Elle fut sortie de ses pensées par la voix grave et basse de Theo, qu'elle ne put s'empêcher de remarquer. Il était éventuellement possible que ses joues aient pris un très léger coup de chaud.

- Les trois derniers ! répondit-elle rapidement, pour combler sa gêne. J'aime beaucoup les romans d'amour, confessa-t-elle, comme si son choix de livres ne le confirmait pas. En plus, je suis en première année de Médicomagie maintenant, je ne sais pas si Emma t'as dit mais (flagellation mentale : mais pourquoi est-ce que Emma le lui aurait dit ? Tout le monde s'en fichait de cela, en dehors de ses proches) je prépare le concours pour la fin de l'année, je me suis réorientée...

Comme pour rattraper le coup, puisque Theo Nott se fichait largement de sa vie, elle sourit et lança :

- En tout cas, tu connais la bibliothèque par coeur, c'est vraiment impressionnant !Ça doit être vraiment bien comme travail...

Marlene avait l'air d'être une lectrice de goût. De toute façon, il était rare de trouver des lecteurs de leur âge dans la bibliothèque, qui accueillait plutôt des étudiants que des jeunes venus spécialement pour leurs loisirs, alors c'était déjà parlant en soit qu'elle se soit rendue ici, mais en plus elle connaissait Tolkien, les soeurs Brontë, et aimait les romans d'amour. Lui aussi, il fallait bien l'avouer, c'était un plaisir coupable qu'il s'était découvert sur le tard, après sa sortie de l'école. Parfois, la vie avait été tellement difficile et il s'était senti si seul que les romans avaient été sa bouffée d'air, sa porte de sortie vers un monde imaginaire. Il avait commencé par s'y réfugier, puis petit à petit, ils avaient nourri et enrichi son imaginaire jusqu'à ce qu'il ne puisse plus imaginer s'en passer. D'ailleurs, il partait en mission avec un sac entier de livres, car les heures risquaient d'être longue avec Lilly pour seule compagnie - aussi agréable soit-elle par ailleurs.

Comme Marlene lui indiquait son choix, Théo renvoya les autres livres à leur place d'un coup de baguette et s'empara des trois romans élus. La jeune fille à ses côtés, il entreprit de regagner le comptoir de l'accueil pour enregistrer ses romans, tout en l'écoutant : ainsi, elle faisait de la médicomagie. A vrai dire, il n'était pas certain que sa cousine lui ait déjà parlé de la vie de Marlene. Il fallait bien avouer qu'Emma et lui se voyaient moins souvent depuis que Théo avait rompu avec le reste de la famille, pourtant elle était certainement la seule à ne pas lui avoir tourné le dos. Il eut une pincée de regrets à la pensée qu'il n'aurait pas le temps de la revoir avant son départ en mission, mais se promit de le faire à son retour - s'il revenait, bien sûr.

"Oui, je connais très bien la bibliothèque, maintenant", confirma-t-il en achevant son ouvrage, pour glisser les trois livres dans un sac et les tendre à Marlene. Tout en parlant, il rangea les derniers objets qui trainaient sur le comptoir, et agitait sa baguette pour éteindre les centaines de chandelles qui illuminaient les lieux - Marlene serait bel et bien sa dernière cliente. Une expression un peu nostalgique apparut sur son visage à cette pensée.

"En fait, c'était ma dernière journée de travail, aujourd'hui. J'ai démissionné, pour me consacrer à un projet personnel - des voyages, j'avais besoin d'air - et c'était mon dernier jour... ça fait bizarre."

Il atténua ses paroles douces-amères d'un sourire, et contourna le comptoir pour récupérer sa cape d'hiver au portemanteau, qu'il glissa sur ses épaules. Précédé par Marlene, il quitta la pièce et ferma l'immense porte en bois ouvragée avec sa longue clef fine, avant de se laisser une seconde pour réaliser. Voilà, cette page là de sa vie était finie, il ne lui restait plus qu'une dernière soirée pour se préparer psychologiquement avant le grand départ...

Se tournant vers Marlene, il poursuivit leur conversation : "C'est vrai que c'est un travail très agréable, très intéressant. J'aime bien conseiller les gens, enrichir les collections, monter des expositions... travailler avec les écoles, parfois... c'est beaucoup plus riche qu'on ne le pense ! Et toi, la médicomagie, ça te plait ?"

C'était un beau métier, et une voie difficile qu'avait choisi Marlene. Il l'admirait car, s'il appréciait élaborer des potions de guérison, Théo savait pertinemment qu'il n'avait pas le cœur assez accroché pour faire face aux blessures sanguinolentes ou purulentes ou aux maladies. Ils firent quelques pas dans la rue éclairée par les lueurs de lampadaires et de décorations lumineuses de Noël. Tout en enfilant une paire de gants pour échapper à la morsure du froid, Théo avisa la jeune femme à ses côtés et lui proposa, sur un coup de tête :

"Tu es libre, maintenant ? Demain est le jour de mon départ et je crois que j'ai envie d'un verre pour marquer le coup... Mais tu es peut-être attendue ailleurs ?", s'enquit-il poliment pour lui laisser la possibilité de refuser facilement. Il n'avait pas envie de rentrer, seul, au QG où l'attendraient seulement ses sacs déjà fermés. Une douce atmosphère hivernale recouvrait Londres, et il avait envie d'un profiter encore un peu.