Pizza trois fromages [Pryia, James et Jeremy]

« Une trois fromages, une margherita et une regina ? »

« C'est bien ça, Maurizio ! »

« Vingt-trois noises, s'il te plait. »

Jeremy fouilla la poche de son jean et en extirpa une poignée de piécettes, qu’il compta avant de les déposer sur le comptoir. En échange, le pizzaïolo lui tendit une pile de cartons fumants, dont il s’empara avec empressement. Une odeur délicate de fromage fondu et de sauce tomate s’en échappait, et il entendit son estomac émettre des gargouillements évocateurs. Après avoir remercié et salué le restaurateur, il quitta la petite pizzeria et remonta la rue pavée, sa pile de cartons amoureusement calée contre lui. Combien d’argent Juliet et lui avaient-ils donné à Maurizio depuis leur installation à la cité Nimbus, trois ans auparavant ? Mieux valait ne pas compter. Les pizzas y étaient raisonnablement savoureuses au regard du prix, proches de l’appartement, et Maurizio était très sympathique. Jeremy passait parfois le voir pour le simple plaisir de commenter la dernière journée de championnat ou le taquiner sur les mauvaises performances de l’équipe nationale italienne. Fervent supporter du Qualcio Napoli, Maurizio entraînait l’équipe benjamine au sein du club de Quidditch de Cosmos pendant week-end, et Jeremy prévoyait déjà d’inscrire Gabrielle chez les poussins dès sa troisième année. Juliet et lui avaient d’ailleurs déjà investi dans un maillot à son nom, que la petite portait sur son balai-jouet, avec lequel elle tournait en boucle dans l’appartement.

Le nez dans ses pensées sportives, il ne remarqua pas tout de suite la silhouette masculine qui se dirigeait droit sur lui. Ses cartons à pizzas se heurtèrent violemment à un Pear, et à un buste, auquel était rattaché un James Carter particulièrement confus.

« Mais enfin ! Mes pizzas ! On ne rentre pas ainsi dans les pizzas des gens, ça ne se fait pas ! », s’exclama Jeremy en feignant une indignation démentie par son large sourire. « Ça alors, ça fait plaisir de te voir ! Comment tu vas ? Qu’est-ce qui t’amène dans notre belle cité ? »  

Si James et Jeremy avaient gardé contact depuis leur sortie respective de Poudlard, leurs liens s’étaient quelque peu distendus au cours des derniers mois. Jeremy avait été tellement occupé qu’il avait dû mettre sa vie sociale de côté. La situation s’était néanmoins arrangée depuis son retour de vacances avec Gabrielle et Juliet, le mois dernier. La rentrée scolaire était passée, l’atmosphère familiale s’améliorait grandement, et il pouvait désormais se consacrer à d’importantes, très importantes considérations : comme résister contre le régime du vil Leopold Marchebank, et sauver la princesse Peach dans Super Mario. On était un courageux Gryffondor, ou on ne l’était pas. Ce soir, c’était la seconde de ces nobles tâches qui l’attendait.

Après avoir échangé quelques amabilités avec James, Jeremy sentit la chaleur des pizzas qui commençait à s’amoindrir contre lui, et Priya attendait son retour. Pourtant, il était heureux de cette rencontre fortuite et avait envie de rattraper le temps perdu avec James. Dilemme, dilemme, si seulement il existait une solution simple à ce problème… Soudain, l’éclair de génie.

« Hé, mais tu fais quoi ce soir ? On va jouer à Mario Kart avec une amie et manger des pizzas. C’est un jeu vidéo moldu », précisa-t-il, conscient que la plupart des sorciers ne connaissaient pas le concept. « En plus, j’ai pris trop de pizzas, pour avoir le plaisir d’avoir une part froide demain, mais comme je fais preuve de grandeur d’âme, j’veux bien t’en céder une. Et y’a de la gobière au frais. »

C’était une proposition qu’il était impossible de refuser, aussi les deux jeunes hommes se retrouvèrent bientôt à prendre le chemin de l’appartement, qui se trouvait à deux pas. Une fois arrivés sur le pas de la porte, il confia sa précieuse cargaison à James pour tourner la clef dans la serrure.

« Bienvenue chez moi », lança Jeremy en pénétrant dans le vestibule, jetant ses clefs dans le meuble sur l’entrée. Il précéda James dans le salon, où Pryia attendait sur le canapé.

« James, voici Pryia, qui était à Serdaigle dans mon année, Pryia, voici James, un ex Poufsouffle ! Je ne sais pas si vous vous connaissiez à Poudlard… Je l’ai invité à se joindre à nous, la compétition Mario Kart n’en sera que plus féroce ! »

Enjoignant à ses invités de s’installer, il les abandonna momentanément et revint bien vite avec des gobières et un décapsuleur. Jeremy s’installa dans son fauteuil préféré, celui qui lui était réservé car soit-disant « il laissait des poils partout ». Un soupir de contentement s’échappa de ses lèvres : enfin une soirée entre potes !

Assise en tailleur sur le canapé dans le salon des Baker, Priya réalisa trop tard qu'elle aurait dû insister pour accompagner Jeremy chercher les pizza. Elle ne savait pas du tout quoi faire, seule ici. Il lui arrivait souvent de se rendre compte trop tard de ce genre d'erreurs et de se retrouver dans des situations gênantes comme celle-ci.

La jeune femme promena son regard autour d'elle pour détailler l'appartement familial. Plusieurs indices dans la pièce laissaient facilement deviner qu'un jeune enfant vivait ici, pourtant elle avait encore du mal à réaliser que son ancien camarade était le père d'une petite fille de deux ans. Il y avait des jouets éparpillés dans un coin de la pièce, une chaise haute dans la cuisine, de minuscules manteaux accrochés derrière la porte. Son appartement à elle était rempli de bandes dessinées, de jeux-vidéos et de sachets de nouilles instantanées. Ils n'avaient clairement pas le même type de vie, et pourtant ils avaient réussi à organiser cette petite soirée que Jeremy avait qualifié de "régressive". Priya ne voyait pas vraiment ce qu'il y avait de régressif dans le fait de passer la nuit à jouer à Mario Kart -elle faisait ça tous les vendredis- mais avait accepté l'invitation avec plaisir, en souvenir du bon vieux temps. Ils avaient invité Horace à se joindre à eux mais le jeune homme travaillait dans une entreprise d'événementiel et avait justement une prestation ce soir-là.

Elle était ravie d'avoir croisé Jeremy dans les rues de Léopoldgrad, en allant au travail, alors que lui-même se rendait à l'académie de Lycaon. Elle avait perdu tous ses camarades de vue quand elle était partie en Alaska et elle s'était empressée de lui demander des nouvelles de tous les membres de leur promotion. Le nombre de décès dans les élèves de leur année était absolument terrifiant, et elle avait mis quelques jours à digérer toutes ces informations, mais était déterminée à renouer des liens avec ceux de ses anciens camarades qui n'avaient pas connu une mort violente et précoce.

Priya sortit son Pear de sa poche et ouvrit Instamag pour regarder les dernières publications des influenceurs les plus populaires du réseau. Elle les connaissait tous, au moins de nom, car ils étaient listés sur un grand tableau blanc dans une des salles de VargasCorp. Ils étaient chouchoutés et choyés par l'entreprise, qui n'hésitait pas à développer de nouvelles fonctionnalités juste pour eux. Après tout, c'était eux qui faisaient le succès de l'application. Elle lika la dernière photo de Kessy Brooks -un smoothie coloré qui était certainement bien plus sain que les pizzas qu'elle s'apprêtait à manger- et eut juste le temps de ranger l'appareil dans la poche de son jean en entendant la porte de l'appartement s'ouvrir.

Elle fronça les sourcils en entendant Jeremy lui souhaiter la bienvenue chez lui -elle patientait ici depuis cinq minutes et estimait qu'il était un peu trop tard pour ce genre de politesse- et fut surprise de constater qu'il n'était pas revenu seul. Ah. Elle ne s'était pas préparée mentalement à devoir faire connaissance avec un inconnu ce soir. Mais elle allait gérer cet imprévu avec détachement parce qu'elle était quelqu'un de très à l'aise en société, tenta-t-elle de se convaincre. Etait-elle censée se souvenir de ce James ? Elle ne se rappelait pas du tout de lui, et espérait que la réciproque était vrai car le contraire serait terriblement gênant. Elle était vite gênée.

"Salut ! lança-t-elle en se levant du canapé pour saluer le nouvel arrivant, qui avait l'air très sympathique. Enchantée !"

Elle tendit le bras dans sa direction pour lui serrer la main, juste au moment où il se penchait vers elle pour lui faire la bise, lui mit donc un coup de poing accidentel dans le bas-ventre et se confondit en excuses alors que ses joues viraient radicalement au rouge pivoine.

"Pardon ! Je suis désolée ! Elle s'éloigna vivement du jeune homme pour maintenir une distance de sécurité d'au moins un mètre entre eux. Elle ne tenait pas à le malmener davantage et se savait maladroite quand elle était nerveuse. Ce qu'elle n'était pas du tout, parce qu'elle était quelqu'un de décontracté. Je ne suis violente que dans Mario Kart d'habitude, promis..." ajouta-t-elle dans une vaine tentative de détendre l'atmosphère, ou plutôt de se détendre elle-même.

"Merci James, franchement, tu nous as bien sauvé la mise." lança Hayden alors que James récupérait son manteau suspendu dans l'entrée, "Ma réunion s'est éternisée, et avec Eileen à l'étranger pour le travail..."

"Aucun problème monsieur McNeil !" le rassura James avec un sourire, "J'adore passer du temps avec Louise !"

Affalé chez lui pendant l'un de ses rares jours de repos, James avait reçu un patronus paniqué d'Hayden McNeil, qui lui demandait s'il était possible qu'il aille récupérer Louise à l'école et qu'il reste avec elle jusqu'à ce qu'il rentre, un peu avant le dîner. Eileen était à l'étranger pour les vacances, Grady travaillait à la réserve, Tony ne répondait pas, et la grand-mère des enfants rendait visite à une vieille amie pour la semaine. James n'avait pas hésité très longtemps, parce que sa bonne âme de Poufsouffle lui avait soufflé de voler au secours de la famille de son meilleur ami, et il avait transplané pour Nimbus (pardon, Cosmos), dans la minute pour aller chercher Louise. A l'école, il avait dû  négocier avec la maîtresse de Louise pour qu'elle reparte avec lui, parce qu'elle semblait réticente à l'idée de la laisser s'en aller avec un homme âgé qu'elle n'avait vu auparavant. Et les protestations de James (mais pour qui le prenait-elle ?) n'y faisaient rien. Heureusement, Hayden McNeil avait fini par envoyer un patronus à la maîtresse et Louise et James avaient pu quitter l'école.

James adorait la petite soeur de Grady. Globalement, James adorait les enfants, lui-même étant un grand enfant. Sur le chemin, ils avaient acheté ce qu'ils avaient appelé un "goûter de rois" (enfin, de reine aussi, avait-il corrigé pour Louise), composé d'un gâteau au chocolat sur lequel il avait rajouté du sucre glace et des fraises coupées en morceaux. Ils avaient déballé leurs victuailles sur la table de la cuisine, James avait servi deux verres de jus d'orange, et ils avaient goûté en bavardant joyeusement. Louise lui avait raconté sa vie dans les moindres détails - et pour une enfant de six ans, elle avait vraiment une vie bien remplie ! - et James l'avait écouté avec sérieux. Pour rire, il lui avait demandé si elle avait un amoureux (ou une amoureuse, avait-il rajouté), et elle lui avait répondu très sérieusement que non, elle n'avait pas d'amoureux, ni d'amoureuse, parce qu'elle préférait jouer au Quidditch et grimper dans les arbres. "Bien sûr", avait répondu James en hochant la tête, elle avait parfaitement raison. Ils avaient ensuite fait une vidéo pour Grady où Louise lui expliquait que, comme James avait acheté du chocolat, elle commençait à le préférer comme frère - il s'était empressé de l'envoyer à son meilleur ami - et, finalement, ils avaient fait ensemble les devoirs de Louise, avant de jouer à "devine à quoi je pense". Hayden venait de rentrer, et après avoir discuté un peu avec le père de son meilleur ami, James venait de prendre congé.

Il marchait dans Nimbus-Cosmos, plongé dans ses pensées, lorsqu'un carton rectangulaire le heurta et le repoussa en arrière ! Il faillit grommeler, avant d'apercevoir que le propriétaire de ces cartons était Jeremy Baker, qu'il salua avec enthousiasme.

"Mario Kart, pizza et gobière ? Je suis ton homme, Jeremy Baker." lança James avec un éclat de rire.

Il jouait régulièrement aux jeux vidéos avec ses amis moldus, et désormais avec Grady depuis qu'il avait ramené de chez ses parents sa vieille console. Parfois, ils réglaient des dilemmes à la console (par exemple : celui qui perd à Mario Kart va faire la vaisselle, ce qui était, de toute évidence, la chose la plus adulte à faire pour prendre des décisions.)

Bavardant gaiement avec Jeremy, James le suivit jusqu'à chez lui et rentra à sa suite dans son appartement, observant les lieux avec curiosité, notant avec un sourire les photographies qui parsemaient les murs.

"Salut Priya !" lança-t-il en se penchant pour lui faire la bise, alors qu'elle lui tendait la main, ce qui occasionna un moment gênant de confusion où le poing de Priya atterrit directement dans son estomac.

"Ne t'en fait pas !" la rassura James avec un sourire bienveillant - surtout que Priya avait de toute évidence une force de moustique. "Tu es absolument du genre à lancer des carapaces bleues, ça se voit." lança James en riant - et tout le monde savait que les carapaces bleues étaient l'arme des fourbes.

Le jeune homme déposa son manteau sur le porte-manteaux et regarda autour de lui, avant de demander à Jeremy : "Juliet et Gaby ne sont pas là ?"

Médusé, Jeremy contempla la rencontre entre Pryia et James avant de partir dans un grand éclat de rire, qui tenait d'ailleurs plutôt de l'aboiement. Une rencontre haut en couleur, il était déjà persuadé que ses deux potes allaient parfaitement s'entendre.

"Oui, elle est fourbe, méfie-toi !", réagit Jeremy tout en faisant un clin d'oeil taquin à la jeune-fille, dont il connaissait la timidité avec les inconnus. Dans ce type de situation, et comme avec beaucoup de filles, Jeremy ne trouvait généralement rien de mieux à faire que de l'embêter gentiment, mais cela ne devait pas trop la gêner puisqu'elle acceptait ses invitations à jouer à Mario Kart.

Une fois ses deux amis installés dans le canapé avec des gobières, Jeremy entreprit de savourer la sienne avec contentement. Dans ces moments là, il avait l'impression de retrouver en partie le grand adolescent qu'il aurait probablement été si la vie ne l'avait pas poussé plus vite que prévu dans l'adultisme. C'était rafraichissant de fréquenter des gens dont les préoccupations et discussions étaient celles de jeunes de leur âge, sans considérations de résistance à mener ou de couches à changer. Après la débâcle qu'avait connu son mariage, Jeremy avait compris qu'il avait besoin de se ménager ce genre de moment de temps en temps, pour mieux s'investir dans ses responsabilités le reste du temps, alors il avait appris à le faire sans culpabiliser, du moment qu'il en parlait à Juliet. Par exemple, ce soir, sa chérie passait du temps avec sa propre famille sans lui, et c'était bien aussi.

"Non, elles sont dans la famille de Juliet ce soir !", répondit-il à la question de James. "J'ai dit à Juliet que je devais m'entraîner pour continuer à lui mettre la pâté à Mario Kart. Sinon elle me bat et je suis obligé de faire la lessive."

Il grimaça à cette perspective, avant de laisser échapper un rire. Il avait initié son épouse aux jeux vidéos moldus depuis que son petit frère cracmol lui avait offert sa première console et qu'il était parvenu à la trafiquer pour qu'elle fonctionne en appartement sorcier. Il lui avait fallut jeter quelques sortilèges pour créer une bulle de protection autour de l'écran et de la console, mais cela avait fonctionné, pour leur plus grand plaisir. Ainsi, ils pouvaient se faire des soirées en amoureux à se balancer des carapaces bleus, ou à découvrir les grands classiques du cinéma moldu. Jeremy commençait d'ailleurs à avoir une collection de DVD tout à fait respectable, qui occupait une étagère entière de leur bibliothèque.

"Tu sais ce que vous devriez faire, chez Vargas ?", lança soudain Jeremy, en jetant un regard à Pryia par dessus la pizza qu'il était en train de découper, "après les Pear, vous devriez vous lancer sur le marché du jeu vidéo. C'est super compliqué à faire fonctionner en appart sorcier, ces bidules, il y a tellement d'interactions magiques... Ça va que je suis un grand mage, mais pour le commun des mortels, c'est compliqué."

Jeremy adopta un air faussement suffisant, tout en tendant le carton à pizza vers ses invités pour qu'ils se servent.

"Pryia bosse chez Vargas, ce qui est environ le job le plus cool de la terre", expliqua-t-il à l'intention de James. Si l'on omettait le fait que cette entreprise était ultra soutenue par le régime en place, que son siège était à Leopoldgrad et qu'elle étouffait la concurrence naissante sous un marketing honteux. Mais ce n'était pas exactement le type de débat qu'il se sentait d'avoir avec Pryia.

Après avoir allumé la console et tendu les manettes à James et Pryia, il se laissa tomber dans son fauteuil avec satisfaction. Il sentait qu'il allait prendre une raclée. Son petit doigt lui soufflait que la jeune femme était absolument redoutable à ce jeu...

Priya se détendit un peu face à la réponse de James, qui ne semblait pas trop lui en vouloir de l'avoir accueilli avec un coup de poing dans l'estomac. Des gens bien, les Poufsouffles. Toujours un peu embarassée, la jeune femme s'assit sur l'accoudoir du canapé et laissa échapper un éclat de rire alors qu'on l'accusait d'être du genre à lancer des carapaces bleues. Elle se sentait bien plus à l'aise maintenant que la conversation dérivait sur le sujet des jeux vidéos et se permit même de jeter un regard faussement outré à Jeremy qui venait de la qualifier de fourbe.

"C'est une accusation parfaitement infondée, se défendit-elle. Je ne lance ja-mais de carapace bleues... Ça ne sert à rien quand on est en tête !" ajouta-t-elle avec un sourire en coin.

Elle se vantait un peu, mais elle pouvait se le permettre : elle n'avait pas perdu une partie de Mario Kart depuis des années. Elle gagnait même contre son frère, qui était pourtant encore plus geek qu'elle -si, c'était possible. Elle fut amusée de constater que Jeremy et Juliet se répartissaient les corvées de la même façon qu'elle et Jamal quand ils étaient plus jeune : en s'affrontant aux jeux-vidéo. Elle était persuadée que c'était le secret des couples qui durent. Elle-même n'avait pas la moindre expérience en la matière, mais Jeremy et Juliet avaient l'ait plutôt heureux, et elle était convaincue que cela avait à voir avec Mario Kart.

"Mais c'est ce que l'on fait, figure-toi ! répondit-elle en tendant le bras pour attraper une part de pizza au fromage. On a lancé nos premières consoles à la Muggle Convention cette année, en avant-première. Elles ne sont dispos qu'en pré-commande pour le moment, elles sortent à noël. Elle croqua dans la pointe de sa part de pizza et savoura cette première bouchée avant d'ajouter : Le grand mage devrait être plus attentif à mon compte InstaMag !"

Priya ne publiait que très peu de contenu sur l'application -elle préférait regarder les photos des autres- mais il lui arrivait de partager les actualités de Vargas Corp. Elna, la Community Manager en charge de tous les réseaux sociaux de l'entreprise pouvait se montrer particulièrement insistante quand elle voulait obtenir des likes et des re-twitch de la part des employés. La jeune ingénieure hocha la tête pour confirmer les dires de Jeremy, qui expliquait justement à James qu'elle travaillait chez Vargas.

"C'est plutôt cool oui, admit-elle. Surtout quand il faut tester les consoles, j'avoue. Beaucoup moins quand elle passait des nuits entières à tenter de faire fonctionner une application et qu'elle enchainait les bugs. Elle avait vécu de longs moment de désespoir, dans les laboratoires de Vargas, au beau milieu de la nuit. Elle avait tendance à travailler un peu en décalé, parce qu'elle était généralement très efficace après minuit. Beaucoup plus qu'avant onze heures du matin, en tout cas. Et toi, qu'est-ce que tu fais ?" demanda-t-elle à James.

Priya attrapa la manette que Jeremy lui tendait et s'installa en tailleur sur le canapé à côté de James. Elle sélectionna rapidement son personnage -un espèce de monstre avec une carapace recouverte de pics- et fit quelques réglages sur son véhicule pour le rendre le plus performant possible.

"Quand vous voulez !"

Elle avait terminé sa part de pizza et était prête à abandonner toute forme de politesse et de compassion. Elle était aussi impitoyable dans les jeux-vidéos qu'elle était timide dans la réalité, ce qui n'était pas peu dire.

James éclata bien volontiers de rire à la remarque de Priya. Très bien, qu'à cela ne tienne, il acceptait le défi ! Il était moldu, lui aussi, et avait passé des heures et des heures sur sa console lorsqu'il habitait encore chez ses parents. D'ailleurs, c'était quelque chose qui lui avait particulièrement manqué à Poudlard - les jeux sorciers comme les échecs et la bataille explosive étaient bien amusants, mais ils avaient tout de même leurs limites. Il avait donc initié Grady à la console moldue et ils avaient investi dans un charmant petit appareil qui leur permettait de passer des soirées - et des nuits - endiablées. Il nota intérieurement l'idée de Jeremy de jouer les tâches ménagèrent sur les victoires à Mario Kart pour la soumettre plus tard à Grady. Cela lui semblait être un moyen tout à fait équitable de les répartir - et puis, si c'était validé par un père de famille alors c'était le comble de l'adultisme !

"Le grand mage a dû mal à se faire à la technomagie ?" plaisanta James en tendant le bras pour attraper une part de pizza au fromage. Il la savoura lorsqu'il prit la première bouchée - c'était indéniablement le meilleur repas de toute la planète.

James, décidemment accro à son Pear, n'avait évidemment pas manqué les nouvelles sur la sortie des consoles Vargas. Il avait sûrement était abasourdi par le prix de l'appareil, ce qui l'avait très nettement refroidi. Il avait un salaire, pour le moment, mais ce n'était vraiment pas la période pour ce genre de période...

"Peut-être que tu pourrais nous avoir une petite console en avant-première à moindre prix ?" plaisanta James, "On pourrait instaurer une garde partagée avec Jerem !"

Au final, c'était un peu comme un enfant, avec moins d'entretien, non ? Bon, peut-être pas, mais l'idée de la garde partagée était excellente.

"Je suis ambulancier magique, pour le moment." expliqua James après avoir avalé un bout de sa pizza. "J'ai fait ma formation à St Mangouste en sortant de Poudlard, et je bosse là-bas encore aujourd'hui." Il laissa passer un cours moment. "Mais je vais démissionner." Il croisa brièvement le regard de Jeremy et haussa rapidement les épaules - il savait parfaitement pourquoi James ne pouvait pas rester à St Mangouste plus longtemps, il avait déjà évoqué le sujet au LEXIT. "Je vais ouvrir un bar avec Grady !" donna-t-il comme guise d'explication à Priya - parce qu'il s'agissait aussi de la vérité. "C'est mon colocataire depuis nos onze ans, on était ensemble à Poudlard. On cherche des locaux sur le Chemin de Traverse en ce moment." Il but une gorgée de sa bière avant d'interroger Jeremy : "Et alors, comment se passe la vie au château ?" Il réfléchit une seconde et un sourire amusé s'étira sur ses lèvres : "Tu as une super promo de septième année, dis-moi ! J'ai jamais autant collé d'élèves que ceux de leurs promo, je crois."

Il n'avait jamais autant collé d'élèves que Virgil Forbes, plutôt.

Tandis que James et Pryia faisaient connaissance, Jeremy n'avait qu'une seule pensée en tête : la nouvelle console de Vargas Corp qu'il allait demander pour Noël à Juliet. Excité comme un gamin de six ans, Jeremy préparait sa liste mentale d'arguments pour la convaincre, et se promit de s'abonner au compte Instamag de son amie. Bon, pour cela, il lui faudrait déjà installer Instamag et créer un compte, mais cela ne devait pas être si compliqué... au pire, il trouverait bien un septième année à Poudlard pour lui expliquer comment faire. Ou James, James saurait faire, songea-t-il en reportant son attention sur le jeune homme, qui s'adressait justement à lui.

"Formidable ! Je n'aurais pas cru, mais c'est en fait super rigolo d'être du côté prof de la Force", avoua-t-il avant de reprendre une gorgée de bière. Il actionna sa manette des pouces pour sélectionner son personnage habituel, tandis que James mentionnait sa promo de septième année. Il laissa échapper un ricanement : "Ouais, il y a de beaux spécimens, et je crois que le pire d'entre eux c'est le fils de Jonah, ironique n'est-ce pas ? Franchement, nous à côté on était des enfants de cœur, avec Jayden, Killian, O'Connor... Les jeunes c'est plus ce que c'était. Maintenant ils sont vicieux, et ils ont plus de moyens de nuire, avec leurs Pear..."

Jeremy glissa un regard d'excuse à Pryia, mais il n'en démordait pas : le jeune père qu'il était n'était pas près de mettre un tel objet dans la main de sa fille. Gabrielle attendrait d'être majeure, vaccinée et affranchie de l'autorité de son vieux père. Autant dire que ce ne serait pas pour tout de suite... Il surprenait assez souvent les hologrammes et les écrans des Pear de ses élèves quand il se promenait entre les rangs ou dans les couloirs, pour savoir que c'était simplement un nouveau terrain de jeu sans foi ni loi, sur lequel les adultes n'avaient que peu de prises pour juguler cette fougue et ces passions adolescentes.

"Prêts à prendre la raclée ?", lança-t-il lorsque tout le monde eut choisi son personnage, "Alors c'est parti !"

Aussitôt, la conversation laissa place à la musique entraînante et aux sons du jeu, tandis que leurs personnages se lançaient à l'assaut de la piste. Concentré, les yeux exorbités fixés sur l'écran et la langue entre les dents, Jeremy maltraitait sa manette avec application, accélérant, prenant des virages serrés, attrapant des cubes magiques et évitant de justesse des ravins mortels. Prenant la tête de la course, il balança une peau de banane sur James qui le suivait de prêt, mais se fit devancer par Pryia. Au coude-à-coude, les trois personnages achevèrent le premier tour, sous les cris d'encouragement et les jurons de leurs joueurs : "Allez ! Allez ! Allez !!! Putaiiiin Pryiaaaa !"

Malgré son entraînement quasi quotidien avec Juliet, Jeremy était devenu bon mais pas suffisamment pour battre ses deux camarades. A son grand regret, il arriva dernier de cette première course, et reconnut sa défaite de bonne grâce.

Une part de pizza triangulaire dans une main, sa bière dans l'autre, Jeremy se laissa retomber dans son fauteuil et lança à l'intention de la jeune fille : "Je parie que vous vous faites des petites séances chez Vargas Corp, c'est pour ça que tu es aussi forte !"

"Wow ! C'est trop cool comme projet ! s'exclama Priya quand James lui expliqua qu'il avait l'intention d'ouvrir un bar avec son colocataire, un certain Grady. C'était un prénom qui lui était étrangement familier, Grady, sans qu'elle ne parvienne à remettre un visage dessus. Bonne chance pour vos recherches de locaux alors !"

La jeune fille croqua dans sa part de pizza et jeta un regard amusé en direction de Jeremy qui se plaignait de sa promotion de septième année. Professeur Baker, elle n'arrivait toujours pas à s'en remettre, c'était trop bizarre ! Elle était pourtant persuadée qu'il était un très bon enseignant, et aurait adoré être une petite souris pour pouvoir se glisser au fond de la classe pendant un de ses cours.

Les présentations étaient maintenant faites, et ils ne tardèrent pas à s'installer sur le canapé pour leur première course. Priya laissa les garçons choisir le circuit -elle les connaissait tous par coeur de toute façon- et ne retint pas une exclamation victorieuse quand James opta pour l'un de ses préférés. Concentrée, les doigts crispés sur sa manette et les yeux rivés sur l'écran, elle démarra en trombe mais se fit avoir par une peau de banane qu'une vile personne avait jeté sous ses roues. Déterminée à remporter cette partie, elle abandonna le circuit principal pour emprunter l'un des nombreux raccourcis secrets du jeu, et rattrapa les garçons juste avant la ligne d'arrivée. Une coquille rouge et deux dérapages plus loin, elle terminait en tête de la course.

"YES !" s'exclama-t-elle en bondissant sur ses pieds et en brandissant sa manette dans un geste triomphant. Elle essayait d'avoir la victoire modeste. Elle n'y arrivait pas toujours.

La jeune femme se laissa retomber sur le canapé à côté de Jeremy et lui envoya un coup de coude dans les côtes assorti d'un regard noir quand il affirma qu'elle devait s'entrainer chez Vargas.

"Je ne te permets pas de douter de mon professionnalisme ! s'exclama-t-elle, faussement outrée. Je ne fais rien d'autre que de travailler très sérieusement !" affirma-t-elle en levant le menton.

Et faire des parties de jeux vidéos. Et des pauses goûter. Et des parties de Quidditch-Pong avec des gobelets de café. Mais c'était parce que leur créativité avait besoin d'être stimulée.

"On a plein de boulot en plus en ce moment ! reprit-elle avec sérieux en se penchant pour attraper une part de pizza. Et je vais bosser pour Danielle Coleman en direct, articula-t-elle en deux bouchées de pizza. C'est une histoire de dingue ! s'emballa-t-elle en repensant à sa rencontre avec la chef de la milice. Je l'ai rencontrée par hasard dans un se..square, à Londres, commença-t-elle alors que le rouge lui montait aux joues. Elle avait failli raconter qu'elle avait croisé quelqu'un dans un sex-shop. Elle n'était pas tout à fait prête à assumer cette histoire ! Je n'avais pas encore récupéré toute l'actualité et je ne l'ai absolument pas reconnue, c'était suuuuper gênant ! J'avais l'impression de passer pour une parfaite idiote mais elle m'a proposé de bosser directement pour elle, pour la Milice ! C'était incroyable !"

Encore aujourd'hui elle avait du mal à croire à sa chance. Miss Coleman ne lui avait encore confié aucune tâche spéciale mais elle lui avait posé quelques questions sur la géolocalisation et Priya s'était efforcée de lui faire un retour le plus complet et le plus documenté possible, tout en restant très concise -elle ne voulait pas lui faire perdre son temps. Elle était réellement ravie de cette opportunité, mais il y avait quelques questions qui la tracassaient et qu'elle n'avait pas osé poser à ses collègues.

Priya hésita un peu avant de décider que Jeremy et James ne se moqueraient surement pas de son manque de connaissance de leur monde actuel, et qu'elle pouvait partager ses interrogations sans crainte. S'ils se permettaient de la prendre de haut, elle pourrait toujours leur flanquer une raclée à Mario Kart.

"D'ailleurs, je me demandais... commença-t-elle, un peu hésitante. Qu'est-ce qu'elle fait cette milice, exactement ? C'était plus facile de travailler pour une organisation dont on connaissait l'objet. Je veux dire, on a déjà la PM, et les Aurors, qu'est-ce qu'il reste aux miliciens ?"

Elle attendit la réponse de ses partenaires de jeu en croquant avec gourmandise dans sa part de pizza, parfaitement inconsciente du caractère particulièrement délicat de sa question.

James regarda avec effarement sa première place lui échapper des doigts lorsqu'une carapace bleue s'abattit sur son kart avec autant de force que la colère de Merlin sur le monde. Il lâcha une exclamation outrée, mais ses brillants talents de joueur ne purent jamais égaler ceux de Priya, qui remporta sans aucune surprise la course. Celle-ci sauta sur ses pieds pour célébrer sa victoire, arrachant un éclat de rire au jeune homme, pas mauvais perdant pour un sou - on était Poufsouffle, ou on ne l'était pas.

De toute façon, la jeune femme avait de toute évidence une longueur d'avance sur eux, plongée dans le jeu vidéo comme elle devait l'être à son travail. James ne jouait plus autant qu'il le souhaitait, depuis qu'il travaillait, et Jeremy venait d'une famille sorcière, donc n'avait pas non plus la chance d'avoir baigné dans cette culture depuis sa naissance. Cependant, la jeune femme s'offusqua d'une telle remise en question de sa victoire, arguant que la charge de travail qu'elle avait à Vargas l'empêchait de toute façon de s'entraîner lorsqu'elle était au bureau.

James, qui avait pris un morceau de pizza pour se remettre de sa défaite, eut dû mal à l'avaler lorsque la jeune femme mentionna le nom de la cheffe de la milice. Le fromage lui sembla devenir caoutchouteux, et il fit passer le morceau avec une grande gorgée de soda, qui lui resta en travers de la gorge. Silencieux, il écouta Priya raconter avec enthousiaste comment Danielle Coleman lui avait demandé de travailler pour elle, hochant mollement la tête à ses paroles. Il échangea un regard lourd de sens avec Jeremy, et reporta son attention sur l'ingénieure, qui qualifiait sa propre histoire "d'incroyable" - ce n'était vraiment pas le terme que James aurait choisi. Il avait un peu de mal à comprendre comment Priya pouvait se réjouir d'une telle nouvelle, alors que lui-même redoutait tant, à Ste Mangouste, que la milice l'appelle pour aller chercher un blessé en lui demandant explicitement de l'emmener sur l'île de Skye.

Sa question, posée sur un ton un peu hésitant, lui fit froncer les sourcils et il se rappela qu'elle avait mentionné, un peu plus tôt, qu'elle n'avait pas encore "rattrapé toute l'actualité". Serait-ce possible que Priya ait vécu dans une grotte pendant ces derniers mois ? songea-t-il avec une teinte d'humour noir.

"Eh bien, c'est un peu compliqué." commença-t-il, un peu embarrassé par la question. Priya travaillait chez Vargas, se réjouissait à l'idée de travailler avec Coleman, donc il était délicat de lui apporter de véritables informations... "La milice est un corps créé par Marchebank au début de son mandat, pour garantir la... sécurité du pays. Officiellement, ils luttent contre ceux qui menacent le gouvernement." Il se refusait à dire le mot "terroriste." "Je crois qu'ils travaillent aussi avec les Aurors sur certains dossiers, et ils sont en relation avec l'île de Skye, aussi." ajouta-t-il, l'air de rien, comme pour savoir que Priya connaissait de cette mystérieuse île.

Jeremy s'empressa d'enfourner une énorme part de pizza dans sa bouche à la mention de Danielle Coleman. C'était une méthode qu'il avait mis au point avec lui-même depuis qu'il s'était engagé sérieusement en résistance : pour éviter de se trahir, toujours trouver un moyen de gagner du temps pour se donner le temps de réfléchir à ses prochaines paroles. Quitte à prendre le risque de s'étouffer avec une olive : c'était toujours une fin plus délicate que ce qui l'attendait si la milice le rattrapait...

En l'occurrence, c'était effectivement nécessaire, car cela l'empêcha d'émettre un commentaire désobligeant à l'égard de la chef de la milice, que Priya semblait tenir en haute estime. L'enthousiasme de la jeune femme était parlant, et suffit à rappeler à Jeremy que ce n'était pas parce que quelqu'un était jeune et sympa qu'il partageait ses opinions politiques. L'adrénaline de la course de Mario Kart continuait de courir dans ses veines, cette fois pour allumer des signaux de danger dans son esprit, et il se força à mâchonner sa pizza le plus lentement possible pour se donner le temps de réfléchir.

Son ancienne camarade était-elle aussi ingénue qu'il n'y paraissait ? La question qu'elle leur posa ensuite, avec l'air de ne pas y toucher, interrogea sérieusement Jeremy qui échangea aussitôt un regard entendu avec James. Peut-être que cette innocente partie de Mario Kart pouvait déboucher sur quelque chose de bon, si cela pouvait sensibiliser une personne de plus aux horreurs de ce régime. Jeremy estimait que c'était désormais aussi son rôle que d'apporter les informations nécessaires à toute personne qui se poserait des questions, que ce soit au sujet de la milice ou de toute autre mesure mise en place par le FREE. James émit une réponse mi-figue mi-raisin, suscitant l'approbation silencieuse de Jeremy : en la matière, mieux valait se montrer prudent. Priya restait après tout une employée de Vargas Corp qui travaillait sur les Pear... même si cela le peinait de se méfier ainsi d'une ancienne camarade de Poudlard, il en allait de leur survie.

Jeremy avala une ultime bouchée de pizza, qu'il fit descendre avec une rasade de bière et se cala dans son fauteuil en une attitude parfaitement détendue. Pourtant, il restait attentif aux émotions et réactions de la jeune femme, à l'affut d'un signe qui pourrait trahir son affiliation véritable.

"C'est ça. Les aurors, on l'oublie parfois mais c'est un corps créé spécifiquement pour chasser les mages noirs", expliqua-t-il pour compléter les propos de James. "Ils ont acquis le prestige qu'on leur octroie aujourd'hui de haute lutte en combattant, parfois avec succès, de célèbres mages noirs et en s'impliquant dans les guerres contre Grindelwald et Voldemort. Les Oubliators, eux, n'ont pas vocation à exercer de missions en rapport avec les forces de l'ordre : ce sont des spécialistes de la mémoire, des agents de terrain qui interviennent le plus souvent en terres moldues. Quant à la Police Magique, elle a la charge de tous les crimes et délits du quotidien, commis par les mages et sorciers lambdas, comme toi et moi. Ca peut aller de l'assassinat sans usage de la magie noire jusqu'aux excès de vitesse en balai, en passant par les violences conjugales, bref, c'est un périmètre d'intervention très large. La milice..."

Il s'interrompit, observa brièvement l'étiquette de sa bière qu'il s'amusait à décoller du bout de l'ongle, puis releva un regard insondable sur la jeune femme.

"La milice a été créée à des fins éminemment plus politiques, quelques mois à peine après l'élection de Marchebank, après les premières actions connues de groupes de résistance tels que la Salamandre, surtout le Kraken qui était plus violent. Comme l'a dit James, il s'agit de lutte anti-terrorisme. Tous ces groupuscules se sont réunis désormais sous le nom de Lexit, et la milice a gagné en importance, en pouvoirs d'intervention et en effectifs, en particulier depuis l'effondrement de la March Bank. Son objectif premier est d'éviter la déstabilisation du régime."

Après un court instant d'hésitation, Jeremy se décida à aller un peu plus loin dans son exposé. Rien de très répréhensible, après tout il ne faisait qu'exposer l'opinion d'autrui...

"Comme tu peux l'imaginer, cela ne s'est pas fait sans susciter un certain nombre de critiques. Certaines actions particulièrement violentes ont pu choquer, et puis les détracteurs de Marchebank n'y voient qu'un moyen de plus de s'assurer d'un contrôle toujours plus grand sur la population, voire d'étouffer tout débat démocratique. C'est un sujet très intéressant, en tout cas."

Et il l'invitait vivement à se renseigner, songea-t-il en concluant ses propos d'un sourire, comme pour en alléger le message.

Priya réalisa immédiatement que sa question avait jeté un froid. la pièce semblait avoir perdu deux degrés et les deux garçons étaient soudainement très absorbés dans la mastication de leur pizza. Elle pesta intérieurement contre sa curiosité et se promit de ne plus poser de questions pour le reste de la soirée. Elle allait s'en tenir à ses stratégies de sociabilisation habituelles, à savoir répondre aux questions qu'on lui posait et se contenter de sourire en gardant ses réflexions pour elle.

Ce fut finalement James qui reprit la parole le premier pour lui expliquer que la Milice avait été instaurée par Leopold Marchebank pour lutter contre la déstabilisation du régime. Priya hocha lentement la tête, enregistrant soigneusement chacune des informations fournies par le Poufsouffle. La jeune ingénieure avait bien l'intention d'approfondir ses recherches et tenait à se souvenir exactement de chaque terme employé.

En bonne Serdaigle, elle avait bien évidement essayé de rattraper un peu l'actualité sorcière à son retour en Angleterre, sans grand succès. Ses parents et sa familles ne l'avaient informée que de l'actualité moldue -sa mère attendait le mariage du prince William avec une excitation digne d'une adolescente- et ses collègues n'étaient pas très bavards sur le sujet. Elle avait pensé qu'il lui suffirait de lancer un "Et qu'est-ce que vous pensez de Marchebank ?" à un after work pour avoir aussitôt un beau panel d'opinion politiques, exprimées de façon plus ou moins alcoolisée, mais tous les sorciers semblaient étrangement prudents sur le sujet. Et l'attitude de Jeremy et James ce soir ne faisait que conforter cette impression.

Le Gryffondor prit la parole à son tour et lui dressa un tableau un peu plus complet de la situation. Priya l'écouta avec attention, notant mentalement tous les termes clés qu'elle identifiait dans le discours de son ami. Elle fronça malgré elle les sourcils face aux dernières explications du jeune homme, qui faisait passer la milice pour une sorte de police de l'opinion. Est-ce que cela pourrait être la raison pour laquelle tout le monde était si frileux à l'idée de parler de politique ? Elle n'avait pas assez d'éléments pour se faire une opinion sur le sujet, mais il lui semblait que ce corps d'élite n'était pas aussi irréprochable qu'il y paraissait.

"Je vois... répondit-elle simplement, songeuse. Merci !" ajouta-t-elle avec un sourire sincère.

Elle avait des tas de questions à poser sur ce que venait de lui révéler son ami, mais elle n'osait pas. Quelles actions violentes ? Quel débat démocratique ? Qu'avait à dire l'opposition ? Elle mourrait d'envie de savoir tout ça mais craignait de plonger une nouvelle fois ses anciens camarades dans l'embarras, aussi garda-t-elle le silence.

"Et vous n'auriez pas un journal à me conseiller ? s'enquit-elle finalement, presque timidement. Si l'information ne venait pas à elle, alors elle irait la chercher. J'ai feuilleté quelques exemplaires de la Gazette mais je n'ai rien trouvé de très intéressant."

Elle s'était forcée à lire régulièrement la Gazette du Sorcier quand elle était à Poudlard, notamment pour rattraper son retard sur ses camarades issus de familles sorcières, et se souvenait y avoir souvent trouvé des articles de fond plutôt bien traités. Les numéros qu'elle avait parcourus à son retour d'Alaska n'était qu'une suite d'articles sans intérêts de "Comment bien dégommer votre jardin" à "Votre horoscope magique pour l'année 2011" - en tant que Bélier elle devait s'attendre à une année pleine de changements et de remise en question. Voilà qui le ne lui tait pas très utile.

James préféra laisser Jeremy - plus impliqué dans le LEXIT qu'il ne l'était lui-même - dépeindre la milice et ses actions. Il admira la réponse du père de famille, toute en subtilité, quand lui aurait eu plus de difficultés à ne pas se mettre en danger. Même si Priya avait l'air d'être une jeune femme très sympa, il gardait en tête qu'elle travaillait pour Vargas, qui était intimement lié avec la milice et le gouvernement. Il venait de la rencontrer, et ne voulait pas prendre le risque de mettre en péril tout le mouvement de la résistance en ayant la langue un peu trop pendue.

C'était tout le côté délicat de leur mouvement, pour le moment. Ils se battaient contre un ennemi qui avait l'opinion public de son côté ; les mesures prises par Marchebank, au début de son mandat, avaient tout pour réjouir les sorciers. James avait fini par ouvrir les yeux, après le meurtre de Samantha et le procès de Lauren, mais il était évidemment plus difficile pour quelqu'un comme Priya, par exempe, de faire de même. Sur le papier, le gouvernement avait l'air idéal. Il fallait s'intéresser à ses failles, à ceux qu'il laissait de côté, à ceux qu'il interdisait de parler, à ceux qu'il réduisait à jamais au silence, pour comprendre toute l'horreur qu'ils étaient en train de vivre.

Et comment blâmer ceux qui ne parvenaient pas à prendre conscience de cela ? Le régime de Marchebank était fort, son équipe de communication était excellente, et tous les journaux d'opposition étaient interdits dans le pays. Il était plus que délicat de se faire une idée du monde actuel en lisant "La Gazette du sorcier" qui s'était vendue au ministère ; ou, encore pire, Multiplettes.

"C'est normal." répondit James, lorsque la jeune femme mentionna justement le célèbre journal sorcier. "La Gazette n'est pas un journal si indépendant que ça. Elle est très liée au gouvernement." Il haussa les épaules. "Avec l'apparition de la milice et les divers actions des mouvements d'opposition, les journaux indépendants, qui n'étaient pas forcément en accord avec la politique menée par Marchebank, ont disparu." précisa-t-il.

Il tourna un regard songeur vers Jeremy, préférant lui laisser prendre la décision de parler à Priya, ou non, de l'existence des journaux clandestins, qui relataient la vie politique du pays de manière bien plus réelle. Il se souvenait de la première fois où il avait eu ces documents dans les mains ; il se souvenait de la claque, du choc. Après une telle lecture, il n'y avait plus de retour en arrière possible. Il fallait choisir son camp.

Qu'est-ce que Priya avait bien pu penser de leurs explications ? La jeune femme était restée très sibylline dans sa réponse, si bien qu'il était difficile de savoir à quoi s'en tenir. Est-ce qu'ils avaient réussi à lui faire entendre que la situation était plus complexe qu'il n'y paraissait ? Se murait-elle dans un silence prudent, comprenant qu'ils n'étaient pas très à l'aise avec ses questions ? Où se plaçait-elle par rapport à ça ? Jeremy avait envie de croire que cette amie, ancienne camarade d'école avec laquelle il partageait tant de souvenirs, se rangerait de leur côté. Pourtant, s'il avait bien apprit quelque chose depuis sa sortie de Poudlard, c'est que l'on pouvait toujours être surpris, même par ses amis les plus proches.

Impossible à ce stade de savoir si Priya les testait, ou si elle était sincèrement aussi naïve qu'elle en avait l'air. C'était tout à fait possible, venant de l'étranger, et il était plutôt enclin à la croire, mais il n'oubliait pas non plus le métier qu'elle exerçait et l'enthousiasme avec lequel elle avait dépeint son travail avec la milice. On ne pouvait pas demander à Priya de plonger tête à la première dans la résistance, l'espace d'une partie de Mario Kart, Jeremy était bien placé pour savoir que l'engagement prenait du temps, c'était tout un processus psychologique qui nécessitait une prise de conscience croissante - et donc un accès à l'information.

La question de la jeune femme était donc légitime, mais devaient-ils y répondre ? En proie à l'hésitation, Jeremy s'empara d'une nouvelle part de pizza qu'il entreprit de mastiquer tandis que James s'essayait à une réponse. Rien ne pouvait entamer l'appétit du jeune homme, pas même une conversation telle que celle-ci. Du coin de l'oeil, Jeremy guetta la réaction de Priya face à la réponse de James, déjà un peu plus engagée, mais qui restait prudente. Il décida de le suivre sur cette voie.

"Oui, on a vu la quasi totalité des titres fermer, à l'exception d'une petite poignée, comme la Gazette bien sûr... Bon, j'imagine que d'autres doivent continuer à circuler quand même, sous le manteau. On sait bien que l'interdit n'empêche jamais tout."

Il soutint tranquillement le regard de Priya, avant de porter sa bouteille de bière à ses lèvres pour en boire une gorgée. Il n'allait tout de même pas se rendre jusqu'à sa cachette secrète dans le placard du couloir d'à côté pour en tirer ses exemplaires du Cognard Déchaîné, alors même qu'il venait de reprendre contact avec la jeune femme. Son instinct lui dictait de lui faire confiance, certes, mais il devait avant tout écouter sa raison. Trop de choses en dépendaient.

Priya hocha silencieusement la tête en écoutant les réponses des deux garçons. Elle n'avait aucune raison de remettre leur parole en question -pourquoi lui mentiraient-ils ?- pourtant elle avait du mal à croire que tout ça soit vrai. Il y avait très certainement un fond de vérité.Elle n'avait jamais été particulièrement intéressée par la politique mais quand elle écoutait les gens en parler ils arrivaient souvent à la conclusion que tous les politiciens étaient corrompus, et qu'au fond ils étaient tous les mêmes, peu importait leurs programmes et orientations. Alors elle pouvait facilement  concevoir que le gouvernement de Marchebank ait commis des écarts, ou dissimulé certains travers. Mais James et Jeremy lui dépeignaient un état totalitaire, qui aurait pris le contrôle de la presse, censuré les médias et muselé l'opposition politique. C'était impossible, pas au vingt-et-unième siècle, pas en Grande Bretagne !  

Cela aurait fait un excellent scénario de film ou de roman, mais ça ne pouvait pas être la réalité. Les gens se seraient forcément rendus compte de quelque chose d'aussi grave, ils se seraient insurgés, le pays serait à feu et à sang ! Il y avait des moyens de communiquer sans passer par les médias officielles maintenant, et puis il y avait la scène internationale, on ne pouvait pas mettre en place une dictature sans que personne ne s'en aperçoive, si ? Une partie d'elle avait envie de rejeter en bloc cette hypothèse qui venait complètement bouleverser son quotidien, mais une part de son cerveau cherchait déjà des indices pour corroborer les propos de Jeremy et James. D'abord l'absence de presse contestataire, qu'elle avait pu constaté d'elle-même, et puis cette milice qui avait visiblement une mission plus politique qu'il n'y paraissait.

En bonne Serdaigle, Priya ne supportait pas d'être mise face à une équation dont elle ne connaissait pas tous les paramètres, et elle avait encore des dizaines de questions à poser. Mais elle sentait que l'ambiance s'était quelque peu tendue depuis qu'elle avait abordé ce sujet, et réalisa qu'elle n'avait peut-être pas choisi le meilleur moment pour se mettre à parler politique. La graine du doute était planté dans son esprit mais elle prendrait le temps de se renseigner et d'y réfléchir, plus tard, seule. Pour le moment, elle préférait renouer avec son ami perdu de longue date, et lui mettre la raclée à Mario Kart.

"Oui, j'imagine qu'il suffit de chercher un peu pour mettre la main dessus..." répondit-elle en soutenant le regard de Jeremy quand il lui expliqua que des journaux clandestins devaient continuer à circuler.

Elle imita son ancien camarade et but une gorgée de sa bière avant de reposer la bouteille pour s'emparer d'une part de pizza.

"Bon, assez parlé ! J'ai comme l'impression que vous essayez de gagner du temps pour ne pas perdre au prochain circuit, articula-t-elle entre deux bouchées. Prêts pour la revanche ?"