Les Alliés [PV Jonah]

Casey esquissa un sourire timide à l’attention de l’infirmière qui venait de refermer son pansement. Elle était à la fois douce et professionnelle. Rachelle lui avait longuement expliqué comment éviter les risques d’infection sur sa plaie et elle lui avait assuré qu’elle ferait tout son possible pour qu’elle cicatrise au plus vite. L’infirmière avait tenu ses engagements. La cicatrice était –certes encore très visible et sensible- mais propre et fine. Elle avait pleinement remplit sa mission et elle s’était occupée de lui quasiment tous les jours depuis un mois et demi. Casey se sentait en confiance avec elle et ils parvenaient même à avoir quelques discussions tous les deux même s’il avait encore du mal à évoquer vraiment son ressenti. N’était ce pas d’ailleurs le moment idéal pour aborder le sujet de la crise d’angoisse qu’il avait eut chez les Barclay quinze jours plus tôt ? Ils étaient seuls, pour une fois sans Jonah, et il n’y avait pas d’autres patients alités.

Lors du barbecue, l’adolescent avait été submergé par une vague d’émotion soudaine qu’il avait eut beaucoup de mal à tempérer. Il se doutait que cet état de tension et de stress découlait des suites de son agression mais il aurait voulu pouvoir parler de cette angoisse avec une personne neutre et bienveillante comme l’était Mme Silvester.

"Tu peux y aller ! » lui indiqua cette dernière

Casey se leva du lit sur lequel il était assis et remercia poliment la jeune femme. « D’accord. » répondit-il lorsqu’elle lui donna rendez-vous dimanche matin. « Je passerai vers 11h30 . » Il ne voulait pas l’obliger à se lever aux aurores et à l’attendre toute la matinée. Il hésita quelques instants, observa Rachelle puis le bout de ses chaussures, la porte d’entrée de l’infirmerie et revint finalement sur elle : « Passez un bon week-end également. » Tant pis, il lui parlerait dimanche. Cela ne pressait pas, après tout, il n’avait pas refait de nouvelle crise d’angoisse. Et puis, il avait déjà laissé passer  dix jours, il n’était plus à une journée près. Ce n’était pas comme si c’était la première fois qu’il remettait cette déclaration au lendemain. L’adolescent attrapa donc son sac, chercha son écharpe sans la trouver –zut, il avait encore dû l’oublier à la bibliothèque- puis il prit la direction de la sortie avec un dernier signe de la main pour l’infirmière.

Il venait de tourner à l’angle du couloir lorsque Jonah déboucha du côté opposé. Le père de famille espérait ne pas arriver trop tard. Il avait été retenu en classe à cause d’une altercation dans son cours entre Linnet Sneals et une autre élève hors il avait déjà raté la séance de soin de l’avant-veille.  L’enseignant hâta le pas avant de frapper à la porte . Il attendit que Rachelle l’invite à entrer avant de pousser le battant mais il constata rapidement qu’il avait dû rater Casey de peu. L’infirmerie était déserte. Sa collègue lui confirma son intuition et un voile de contrariété passa sur le visage du père de famille.

«Ah dommage.  J’ai eu un contre-temps, confessa-t-il en jetant un coup d’œil à sa montre, Il fit quelques pas dans l’infirmerie et s’arrêta non loin de sa collègue, les deux mains sur les hanches. «  Alors ? Comment est la plaie ? » demanda-t-il en l’interrogeant du regard.

Il avait peur que le maléfice de magie noire ne se réveille et que l’incision, pour une raison inexplicable, ne se remette à saigner. Jonah s’était documenté sur ce type de sortilège depuis l’agression de son fils -  il ne supportait pas l’idée de rester dans l’ignorance- et ce qu’il avait lu lui avait glacé le sang. Il existait des sorts pouvant provoquer des plaies qui restaient béantes une vie entière. Heureusement Casey semblait avoir échapper à ce scenario. Dans son malheur, il avait été plutôt chanceux…

« Les médicomages nous avaient prévenu dès le premier jour pour la cicatrice. Tu n’as pas à être désolée. Répondit Jonah en massant son front entre son pouce et son majeur, C’est déjà merveilleux que la plaie soit résorbée en à peine plus d’un mois. Nous ne te remercierons jamais assez. Il esquissa un sourire conscient de l’investissement de sa collègue.  Maintenant il faut que Casey apprenne à vivre avec cette cicatrice sur son bras. Je sais que ce n’est pas simple à accepter pour lui mais il y arrivera, j’en suis persuadé. argua –t-il d’un air volontaire comme pour s’auto-convaincre.

Casey avait-il le choix ? Pas vraiment. Il devait rebondir. Jonah craignait que son fils n’ait pas les épaules pour endurer une telle épreuve mais il voulait ardemment croire en lui. Le chemin vers l’acceptation allait être long et semé d’embuche mais Jonah restait positif : Casey, aussi fragile soit-il, en était capable.

La voix de Rachelle le sortit subitement de ses pensées. Étonné par sa question Jonah s’efforça de se reprendre. Il avait dû paraitre anxieux pour que sa collègue ne s’inquiète de son état :

« Bien sûr, ça va, ça va bien, merci. Assura-t-il en hochant la tête. Il afficha un sourire rassurant avant de tempérer légèrement ses propos,  je suis juste un peu soucieux ces temps-ci, c ‘est tout. »

Entre l’agression de Casey et le climat de tension et de surveillance qui régnait au sein de l’école, et dans le monde magique en général, autant dire que Jonah perdait sérieusement le sommeil.

« L’enquête n’a pas vraiment avancé à vrai dire, il retint un soupir agacé et s’efforça de garder un ton de voix le plus neutre possible, La P.M reste sur la théorie d’un acte isolé de violence gratuite. A les écouter, Casey était là au mauvais endroit et au mauvais moment. »

L’enseignant haussa les épaules  avec fatalité:

« Le portrait robot de l’homme n’a rien donné et les analyses magico-légales sur le lieu de l’agression n’ont pas abouties non plus. L’agresseur s’est volatilisé et n’a laissé aucune trace derrière lui. »

Il n’y avait jamais eu autant de policiers, d’aurors et de miliciens en Angleterre que sous le gouvernement Marchebank. Ces soi-disant professionnels de la sécurité répondaient présents pour les surveiller, pour rafler des innocents comme Curtis Montgomery,  pour blesser presque mortellement la femme de Jeremy ou pour arrêter un homme brandissant un poireau mais ils étaient tout bonnement incapables de retrouver l’agresseur d’un gamin de 14 ans.
L’enseignant serra la mâchoire.
« Je ne pense pas que Casey soit leur priorité en ce moment, si tu veux mon avis. » souffla-t-il en laissant le soin à Rachelle d’interpréter ses propos.

Il avait l’impression, depuis plus d’un mois maintenant, qu’il pouvait  parler plus franchement avec elle et qu’il partageaient tous deux la même vision des choses vis-à-vis du régime. Même si la mort de Daisy avait instauré un climat de suspicion entre les collègues de Poudlard,  Jonah savait qu’il pouvait compter sur Thelma, Neville et Jeremy . Il s’était toujours bien entendu avec les Silvester,  et il lui avait semblé, à plusieurs reprises, que le silences de Rachelle étaient encore plus parlants que ses mots. Le père de famille espérait ne pas se tromper.

«Après c’est compliqué pour Casey de passer à autre chose en sachant que le gars est encore dans la nature. Il aurait été plus rassuré s’il avait été confondu…Enfin j’imagine. Tempéra-t-il  Casey ne parle pas beaucoup de son agression avec moi. Jonah releva les yeux vers sa collègue et hésita quelques secondes,  et avec toi…Il, il en parle ? » s’enquit-il d’un ton mal assuré qui trahissait une certaine forme de gène et d'impuissance.

Non, évidemment. La réponse de Rachelle n’étonna pas Jonah. Bras croisés sur son torse, l’enseignant hocha  la tête pour approuver les propos de sa collègue. Les adolescents choisissaient rarement des adultes comme confidents et le plupart du temps ils préféraient s’en remettre à leur bande de copains. C’était normal. Il avait pu observer ce phénomène avec Dean, Gaby ou encore Virgil mais le souci avec Casey était qu’il avait relativement peu d’amis, à part Sasha Benson qui avait passé une journée avec eux cet été. Jonah ne savait pas trop quelle genre de relation entretenait les deux adolescents aujourd’hui et il essayait de ne pas trop s’immiscer dans l’intimité de son fils en se montrant curieux…

Une part de lui espérait que Casey avait pu trouvé une forme de soutien auprès de la préfète et d’un autre côté il s’inquiétait d’une trop grande proximité entre eux. Ils avaient tous les deux vécus des choses particulièrement moches pour leur jeune âge – surtout Sasha- et Jonah craignait que son fils n’ait pas les épaules pour supporter ses propres problèmes et aider son amie à mieux vivre avec les siens.  Il devait toutefois accepter cette part d’inconnu et suivre les conseils de Rachelle.

« Ne le prend pas pour toi, Il sait qu'il peut compter sur toi."

Jonah esquissa un sourire.

« Je sais qu’il faut que je lui laisse un peu d’air mais c’est compliqué parfois de trouver le juste milieu entre le laisser faire ses armes et être là pour lui. » expliqua-t-il. Il décroisa les bras et mit ses mains en balance, « Il faut trouver le bon dosage, le bon équilibre… C’était le propre de chaque parents. Ils y parvenaient avec plus ou moins de réussite et de facilité,   Enfin je suis content d’apprendre que votre relation progresse dans le bon sens. Il te fait confiance. Ça se voit. »

Pour avoir assisté à plusieurs séances de soin, Jonah avait pu constater que Casey s’en remettait totalement à Rachelle pour ce qui était de la guérison de sa cicatrice. Il ne lui serait même pas venu à l’esprit de ne pas écouter ses conseils ou ne pas respecter sa posologie.

En parlant de personnes de confiance, Rachelle interrogea son collègue sur la relation qu’entretenait Casey avec ses frères. Le père de famille poussa un soupir en s’appuyant sur le montant en fer d’un lit de l’infirmerie.

« Je crois que l’agression les a tous beaucoup choqués –c’est eux qui l’ont trouvé dans la ruelle- expliqua-t-il, Je sais que Dean a essayé de lui en parler dans ses courriers - ils s’écrivent beaucoup tous les deux –mais Casey est resté très évasif. Jonah avait échangé sur ce point avec son ainé, Gabriel en parle mais qu’avec moi, pas avec son frère:  Il ne fait que me demander des nouvelles de l’enquête, du traitement que tu donnes à Casey, de l’évolution de la plaie. Il veut savoir si la cicatrice est propre, si la PM a des pistes… On sent qu’il a besoin de verbaliser, d’être rassuré et d’avoir des réponses à ses questions. Quand à Virgil…et bien… tu sais comment il est. » Rachelle avait suivi Virgil une grande partie de l’année précédente pour ses problèmes d’addiction. «  Il fait comme si rien ne s’était passé, son comportement n’a pas varié d’un iota – autant dire qu’il  était toujours aussi insolent-  mais, bizarrement,  j’ai l’impression que c’est plus tendu avec Casey depuis.  Ils ne se sont pas disputés ou quoi que ce soit de cet ordre mais, il y a quelque chose dans l’air… Casey paraissait plus vite agacé par le comportement de  son ainé, je ne sais pas trop comment l’expliquer à vrai dire… »

Ce n’était qu’une intuition mais elle semblait bien réelle. Jonah avait du mal à se l’expliquer et il espérait bien que Dean pourrait bientôt lui apporter le fin mot de l’histoire. Alors qu’il était tout à ses pensées, les sourcils froncés,  son expression changea quelque peu lorsque Rachelle le questionna sur l’apprentissage de Virgil à Skye.

« Oui, il a commencé début septembre. Ça lui plait beaucoup : Je crois qu’il n’a jamais été aussi investi dans quoique ce soit d’autre, expliqua Jonah sans aucune passion toutefois,  J’ai eu son tuteur par patronus, il en est très content. Il pense que Virgil peut avoir sa place dans les équipes de Skye dès la fin de sa scolarité s’il obtient de bons résultats à ses ASPICS. »
N’importe quel parent aurait été heureux que son fils trouve enfin sa voie mais Jonah ne parvenait pas à s’enthousiasmer pour ce projet professionnel si controversé. Il esquissa un vague sourire à l’attention de Rachelle et se fendit d’ une transition  toute trouvée…

« D’ailleurs, comment va Curtis Montgomery ? Tu le suis depuis sa réintégration à Poudlard ? Jonah observa sa collègue, tergiversa quelques secondes et décida finalement d’insister davantage, Je le trouve vraiment différent en classe depuis la rentrée. Il se releva , croisa les bras avant de tempérer quelque peu ses propos,  J’imagine que ce n’est pas simple d’être accusé de terrorisme et de revenir en cours ensuite comme si de rien n’était mais…  J’ai l’impression qu’il y a autre chose. Jonah se tut,  Il était vif, doté d’un esprit critique, un peu subversif parfois, certes, mais il n’était pas complètement hors de contrôle. Depuis septembre, je le trouve éteint, absent.... Presque…lobotomisé ! »

Il avait employé ce terme en souriant à moitié comme s’il s’agissait d’une simple comparaison de mauvais gout. Une blague.  Toutefois le sourire de l’enseignant s’effaça progressivement tandis qu’il interrogeait Rachelle du regard. lls savaient, l'un comme l'autre, que ce n'était malheureusement pas une blague mais surement la triste vérité...

« Ils lui ont fait quelque chose, n’est-ce pas ? »

A la mention de Curtis Montgomery, l’attitude de Rachelle changea  perceptiblement. Son sourire vacilla et elle prit quelques secondes supplémentaires pour répondre à la question de Jonah, comme si elle mesurait chaque mot qu’elle allait prononcer. Ils avaient bien conscience, l’un et l’autre, que leur conversation était sur le point de prendre une tournure controversée. Jonah s’était légèrement dévoilé mais c’était un risque à prendre. Un risque mesuré bien sûr. Cela faisait plus d’un an qu’il entretenait de bonnes relations avec les époux Silvester et il lui avait semblé, à plusieurs reprises, qu’ils partageaient les même idéaux, même si plus personne au sein de Poudlard  ne critiquait ouvertement la politique du gouvernement depuis le « suicide » de Daisy.

Jonah avait tendu une perche en osant évoquer l’état psychique de Montgomery . Rachelle était libre de la saisir, ou pas. L’enseignant retint son souffle tandis que l’infirmière commençait à poser son diagnostic . Il hocha la tête lorsqu’elle évoqua le traumatisme subi par Curtis et se figea légèrement lorsqu’il fut question des méthodes d'intimidations musclées que l’adolescent aurait pu subir.

Jonah croisa le regard hésitant de Rachelle. En ces temps troublées, les regards et les non-dits semblaient encore plus révélateurs que les mots eux-mêmes. L’infirmière venait pourtant d’emmètre une critique à peine voilée  du régime en place.  Jonah l’encouragea d’un signe de tête, comme pour corroborer ses propos et  l’inviter à en dire davantage. L’infirmière sembla hésiter un instant.  Le climat actuel invitait à la prudence. Personne n’avait envie de finir écrasé au pieds de la tour d’astronomie mais Rachelle finit par formuler à voix haute ce que tout le monde pensait tout bas : Montgomery avait vraisemblablement été victime de Manipulations Mentales Magiques non consenties.

Jonah resta quelques secondes immobile, debout entre les lits immaculés. Ils y étaient. Il déglutit, pria mentalement pour ne pas tomber dans un piège de la Milice et finit par regarder tout autour de lui, scrutant l’infirmerie vide du regard. Il se doutait que l’endroit était protégé des intrusions extérieures, ne serait-ce que pour respecter le secret médical, mais il préféra demander confirmation à la responsable des lieux.

« Est-ce qu’on peut parler ici ? » Sous entendu « sans risque. »
Ils étaient tous au fait du nouveau système de surveillance préconisé par le Ministère pour lutter contre l’incivilité des élèves…
« J’en suis  arrivé à la même conclusion que toi. » finit-il  par dire en se rapprochant légèrement de Rachelle pour ne pas avoir à parler trop fort. « Je pense que ce que nous connaissons de Skye n’est que la face visible de l’Iceberg . Jonah aurait préféré ne pas avoir à incriminer Meredith Kane, son amie, et encore moins son propre fils mais il devait se rendre à l’évidence, j’ai entendu…des choses… qui pourraient corroborer ta version des faits. » ajouta-t-il, les sourcils fronçés d’inquiétude à l’idée que Virgil puisse être impliqué dans ces experiences.
La presse clandestine fourmillait de témoignages de personnes dont les proches –opposants aux régime pour la plupart- revenaient de leur garde à vue littéralement métamorphosés.
Jonah s’appuya sur le montant d’un lit et croisa ses bras sur son torse.
«  Je ne sais pas toi mais, personnellement, je refuse qu’un autre élève de l’école subisse le même sort que Curtis, Jonah vivait l’arrestation de Montgomery et son changement psychique comme le premier, et surtout le plus grand échec de sa carrière de professeur à Poudlard. Il avait été incapable de protéger cet élève comme il aurait dût le faire. Hors, il savait que d’autres jeunes gens avaient potentiellement le même profil que Curtis : Noor Van Salisbury, Linnet Seals, Jay Barnett… pour ne citer qu’eux, Qui sommes nous pour  laisser faire ça ? » interrogea-t-il alors.
Il y avait un pas entre la prise de conscience et l’activisme. Un pas que Rachelle n’était peut-être pas prête à franchir…

"Des choses ? Quel genre de choses ?"
Les bras croisés sur son torse, Jonah dodelina de la tête comme s’il hésitait à en dire plus. Certes, il venait de se montrer critique envers le régime mais il s’apprêtait à franchir un nouveau pallier. Il y avait une différence entre condamner oralement les agissements du pouvoir en place et œuvrer activement –et illégalement- pour contrer ces exactions en tentant de monter un réseau résistant au sein de Poudlard.
Ses pensées voguèrent un instant vers Thelma, celle qui l’avait initié à ce réseau parallèle. Elle l’avait amené, progressivement, à ouvrir les yeux, à prendre conscience de la gravité de la situation. Elle avait misé sur lui, en quelque sorte, en acceptant de se dévoiler lors du réveillon de Noël. Elle lui avait montré les tracts et les journaux résistants et elle lui avait laissé le temps de murir tout ça, de croiser les sources et de faire son idée sur la question.

Aujourd’hui, il était dans une posture identique. C’était à lui de prendre le risque en misant sur Rachelle. Il y avait toutefois une différence notable entre ces deux expériences. L’urgence de la situation : Dix mois plus tôt, Poudlard était encore un endroit relativement  sûr et préservé, … ce qui n’était plus le cas maintenant.
Au sein de l’équipe pédagogique, la parole s’était lissée. Les questions politiques étaient rarement débattue en salle des professeurs – voir plus du tout- et il était clair maintenant que certains enseignants fuyaient même cet endroit pour éviter d’ avoir à  exposer ses idées. Un infime changement dans les habitudes des professeurs mais plus que jamais révélateur. Ils étaient nombreux à corriger leurs copies dans leur bureau personnel et à rejoindre leur salle de cours et leurs appartements privés en effectuant simplement un bref passage en salle des professeurs, tôt le matin ou tard le soir, pour relever leurs casiers.

Jonah se forçait à ne pas changer ses habitudes de travail et à conserver son enthousiasme habituel et son énergie mais il ne pouvait pas s’empêcher d’analyser, un à un, chacun de ses collègues en tentant de les catégoriser:   Fiable ou pas.  Il espérait sincèrement ne pas se tromper avec Rachelle. Le fait que Thelma corrobore sa vision des choses le rassurait et ils avaient, depuis longtemps, l’idée d’approcher l’infirmière. C’était maintenant ou jamais.

« Des choses pas claires, il se tut un instant avant de poursuivre, lobotomies, expériences psychomagiques controversés et non consenties :  Modification de la personnalité, altération magique du jugement, endoctrinement, … Il existe beaucoup témoignages concordants, je pourrai te les faire lire si tu le souhaites. Ils sont nombreux à avoir été victimes de Skye uniquement parce qu’ils ne pensaient pas comme Leopold Marchebank, Victime. Il avait choisi ce mot à dessein. Le Centre de Skye n’était  pas seulement un centre de soin pour aider les sorciers à mieux vivre. Quelque part, dans les profondeurs de cette île, une poignée de chercheur charcutaient et torturaient les opposants au gouvernement. Jonah passa une main dans sa barbe naissante, guettant la réaction de Rachelle.

Elle semblait réellement concernée et soucieuse d’agir au plus vite, consciente de l’urgence qui pesait sur leurs épaules. Elle non plus, elle ne souhaitait pas revivre l’expérience Curtis Montgomery "Qu'est-ce qu'on peut faire ?" demanda-t-elle alors. Jonah se redressa sur ses jambes et quitta son appui. C’était un peu comme s’il avait attendu ce signal depuis le début de leur conversation pour enfin s’activer.
« Il y a beaucoup de choses à faire : Repérer les élèves contestataires avant la Milice, prévoir un plan d’extraction si jamais ils sont vraiment en danger,…tout en faisant en sorte qu’on ne puisse pas nous soupçonner. » Jonah afficha un bref sourire sans joie, Il faut se rendre à l’évidence, la Milice est très bien informée et très bien organisée. Elle a déjà infiltrée l’école avec Magpie et peut-être d’autres membres de l’équipe pédagogique ou même des élèves. Il faut que nous partions du principe qu’elle a  surement une longueur d’avance et que ses moyens d’actions sont immenses... – l’ombre de Daisy plana un instant sur la conversation- il nous faut donc être prudents et très discrets. »

L’infirmerie offrait le parfait bastion pour cela. De puissants enchantements protégeaient le secret médical et il était difficile, même pour des sorciers expérimentés, de percer les défenses d’un tel lieu. Bref, c’était un endroit sûr –lieu de plus en plus rare au sein de l’école- surtout depuis le nouveau projet de magico-surveillance.

« Est-ce que tu penses que William serait prêt à nous aider ? » s’enquit alors Jonah. Le concierge occupait un poste stratégique, surtout en vue d’une potentielle exfiltration d’élève. Le mari de Rachelle devait surement connaitre tous les passages secrets et tous les recoins stratégiques du château. Jonah était toutefois conscient que sa question pouvait mettre sa collègue mal à l’aise. Elle n’avait peut-être pas envie de parler au nom de son mari. Il réfléchit un instant pour peser la situation et ajouta :

«Si tu veux, prends le temps d’en discuter avec lui mais il faut que tu saches que Thelma en ait. Rachelle devait savoir que ces projets fous d’opposition au régime en place n’étaient pas la lubie d’un seul homme mais bel bien d’un réel groupe de personnes.  Thelma était la directrice adjointe, présente à Poudlard depuis plusieurs années, elle offrait une image de stabilité et de confiance que Jonah ne possédait peut-être pas auprès de ses collègues. Toutefois, il ne mentionna pas Neville ni les petits jeunes de l’équipe, Liam et Jeremy,  afin de préserver une partie du réseau, au cas où. Mieux valait rester prudent …Nous avons aussi des soutiens à l’extérieur, précisa-t-il. Il se racla la gorge avant de poursuivre « As-tu déjà entendu parlé du LEXIT ? »

La résistance avait été entachée par l’attentat de la Marchebank, c’était indéniable. Les réticences de Rachelle vis-à-vis du groupuscule étaient tout à fait justifiées, Jonah lui-même avait choisit de garder ses distances avec certaines actions menées par le groupe. Thelma, qui était nettement plus impliquée que lui, lui avait affirmé que les responsables de cette catastrophe avait été évincé du LEXIT mais l’image de la résistance était dorénavant ternie auprès de l’opinion publique. Rachelle avait l’honnêteté d’admettre ses doutes, doutes que Jonah comprenait parfaitement, pour les avoir partagés.

« C’est ça. Le collectif regroupe plusieurs collectifs résistants afin d’accroitre son champs d’action et d’organiser au mieux les différents réseaux : Espionnage, exfiltration, information, aide médicale…. Je ne vais pas te mentir, je n’ai jamais mi les pieds à une de leur réunion,admit-il d’emblée.  Jonah ne tenait à pas à s’y montrer par pur principe de précaution. S’il voulait pouvoir jouer double jeu auprès du Ministère, il devait se préserver . Seules quelques personnes devaient connaitre son implication au sein du réseau, ses plus proches collaborateurs à Poudlard et quelques cadres du LEXIT, tout au plus. C’était hors de question qu’il aille boire une bière à Saint Agnès après une mission réussie comme l’avait fait les participants à la marche pacifiste de Bristol. Quand Dean lui avait raconté ce regroupement festif semblable à une fête étudiante, Jonah n’y avait pas cru. Il était hors de question qu’il s’affiche là-bas. Ses interlocuteurs privilégiés étaient Thelma, Neville, Hannah et Dean et personne d’autre pour le moment.

« …mais je peux t’assurer que j’ai une entière confiance en mes contacts là-bas. Ce sont des personnes sûres qui partagent nos convictions et qui condamnent fermement ce qui s’est passé à la Marchebank. Tout n’est pas parfait avec le LEXIT, j’en ai conscience, dit-il en secouant la tête, mais la situation est d’une urgence extrême. Nous devons nous appuyer sur des personnes extérieures et le LEXIT a les moyens de nous aider. Thelma pourra surement t’en dire plus que moi au sujet du groupe mais je pense sincèrement que c’est notre meilleure option. »
Créer leur propre réseau d’exfiltration de Poudlard, parallèle à celui  du LEXIT, prendrait un certain temps dont ils ne disposaient pas. Jonah fit une pause, soucieux d’en revenir aux bases de son métier.

« Les parents du monde magique nous ont confié leurs enfants. Nous en avons la responsabilité. Ce ne sont pas des paroles en l’air pour moi, assura-t-il en accrochant le regard de Rachelle, je veux juste faire mon boulot  le plus correctement possible, en mon âme et conscience. Il haussa légèrement les épaules, même si cela implique d’avoir à flirter avec l’illégalité. »

Il accrocha un léger sourire à ses lèvres et poursuivit :

« Quoiqu’il en soit, j’ai pris mes dispositions en cas de coup dur. Tout est prêt si jamais je dois fuir avec ma famille –les passeports moldus, les billets d’avion aux dates flexibles, et un point de chute, à New York, chez un sympathisant. Jonah avait finalisé tout cela durant l’été- Je vous conseille de prendre vos précautions  avant de vous engager. Il laissa passer un bref silence avant d’ajouter, Personne n’a envie de finir comme Daisy. »

Jonah avait laissé la question de Rachelle en suspens un peu plus tôt dans leur conversation mais il préférait jouer carte sur table maintenant et verbaliser ce qu’il pensait tout bas.

« Elle a une conversation houleuse avec le Ministre en juillet et se suicide en août, la veille de la rentrée, il secoua la tête, Tu connaissais Daisy surement mieux que moi  et je ne l’ai jamais vu baisser les bras une seule fois ni se laisser abattre : Que ce soit au DOM, ici à Poudlard ou dans le cadre de sa vie personnelle. Ça ne colle pas. Elle était déterminée à valoriser et protéger chaque jeune. Je ne dis pas que Peter n’a pas les mêmes convictions qu’elle -honnêtement je pense, et j’espère, qu’il veut le meilleur pour les élèves- mais…la mère de sa fille a disparu. Elle est soupçonnée d’être une « terroriste » et est passible de la peine de mort. Le Ministère a un moyen de pression énorme sur Peter. Énorme.  Chose qu’il n’avait pas sur Daisy. »

Jonah secoua la tête en signe de négation lorsque Rachelle évoqua ses fils. Non, les plus jeunes de ses garçons n’étaient pas au courant de ses activités au sein de la résistance et il ne comptait absolument pas les mettre dans la confidence ! Plus ses fils se tenaient éloignés de la politique actuelle, mieux c’était, selon lui. Égoïstement, Jonah souhaitait que ses garçons évitent de s’impliquer trop dans un camps…ou dans l’autre.

Ils auraient tout le temps de prendre position après Poudlard comme l’avait fait son ainé en intégrant la résistance.

«  J’en parle un peu avec  Dean parce que nous avons une relation d’adulte à adulte, expliqua-t-il, mais pas aux plus jeunes. Il secoua de nouveau la tête,  De plus, avec Virgil en stage à Skye,je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’évoquer ce genre d’organisation illégale en sa présence. Je ne tiens pas à lui faire prendre des risques en le mêlant à ça. »

Les employés de Skye étaient scrupuleusement surveillés. Nul doute que si le gouvernement doutait de l’un de ses collaborateurs, sa psyché serait analysée et passée au peigne fin. Virgil avait déjà du se soumettre à un détecteur de mensonge pour décrocher son stage, les traqueurs de conscience n’étaient pas à une intrusion près ! Mieux valait laisser son fils dans l’ignorance. Pour le bien de tous.

Jonah ne comptait pas évoquer auprès de lui, ou de ses petits frères, ses doutes concernant le soi-disant suicide de leur ancienne directrice.

Certes, les raisons pouvant amener quelqu’un au suicide était nombreuses…et souvent obscures, même pour l’entourage proche du défunt. Jonah n’avait jamais fréquenté les filles de Daisy personnellement -ni même à Poudlard- et il n’avait pas eu l’occasion de discuter avec elles de la mort soudaine et prématurée de leur mère.  Partageaient-elles la même vision des choses que Rachelle et lui?

Au sein du Lexit, en tout cas, personne n’imaginait que Daisy ait pu « abandonner » ses filles de la sorte. Les laisser livrées à elles-mêmes, sans mère. Cela ne collait pas avec l’image de Poufsouffle bienveillante et dévouée qu’elle avait. Ils étaient nombreux à remettre en question la thèse du suicide et Jonah faisait clairement partie de ceux là. Il n’hésita pas à s’en ouvrir à Rachelle d’ailleurs et pointa du doigt la situation actuelle de l’école avec Peter à sa tête…

« Je ne sais pas s’ils le font chanter mais avoue tout de même que la situation est étrange. Peter est forcément tiraillé : La mère de sa fille est portée disparue et activement recherché pour terrorisme par le gouvernement en place et d’un autre côté, il est promu à un poste à responsabilité fortement médiatisé . Même si l’école est indépendante du gouvernement on sait très bien que si Marchebank avait décidé de se lancer dans une campagne de dénigrement de Peter, il aurait obtenu l’assentiment de l’opinion publique. Qui a envie de voir le mari d’une soi-disant dangereuse terroriste s’occuper de nos enfants ? Personne. » fit-il remarquer à juste titre. Jonah avait tourné le problème dans tous les sens « Hors, Marchebank a publiquement affiché son soutien à Peter sur twitcher… S’il a fait ça c’est qu’il a forcément quelque chose à  gagner en retour. Soit Peter se sent redevable d’être maintenu en poste et il fait tout pour entretenir ses bonnes relations avec le Ministre -en acceptant par exemple la magico-surveillance au sein de l’école-  soit, le gouvernement  a déjà les moyens de faire pression sur lui –peut-être détiennent-ils Chloé ou des informations sur elle que nous ignorons. » C’était un scénario tout à fait envisageable. Merlin seul savait ce qui se passait réellement dans les tréfonds de Skye.
Jonah se tut un instant. Il existait bien deux derniers scénarios : Celui qu’il n’avait pas envie d’envisager -mais qui ne devait pas être ignoré pour autant- et celui qu’il espérait secrètement.
« Soit Peter est totalement acquis à la cause du gouvernement. Il est complice et il est maintenu en poste pour surveiller les élèves et …l’équipe pédagogique. La pire supposition. Soit Peter a un coup d’avance, Jonah esquissa un sourire, Il fait croire à tout le monde, même à nous , qu’il est à la botte de Marchebank, mais il en profite pour l’espionner pour le  compte de la résistance, le sourire du directeur de maison s’agrandit,  Ce n’est pas totalement incongru, ça a déjà été fait par le passé. »
Par le prestigieux directeur Rogue, pour ne citer que lui.
« Le seul problème c’est que pour le moment, on ne sait pas. On est plusieurs à essayer de tâter le terrain comme tu dis, mais…tu connais Peter. » Il n’était pas un homme très accessible. « Personnellement j’ai envie de croire qu’il est animé de bonnes intentions mais on ne peut pas se fier à une simple intuition personnelle. »

Il reporta son attention sur Rachelle et avoua finalement :

« Cela fait près de dix mois qu’avec Thelma on a eu l’idée de t’approcher. On en a beaucoup discuté ensemble et avec d’autres membres du Lexit, Neville pour ne citer que lui, C’est une décision concertée. On ne peut pas se permettre de prendre de risques avec qui que ce soit. »