[JR] Café soupirs [Galahad & Danielle]

14 octobre 2010

Depuis la rentrée scolaire il n'était pas rare de croiser au ministère de jeunes sorciers, pas encore diplômés, qui se rendaient plusieurs fois par semaine sur leurs lieux de stage. Il s'agissait d'une mesure révolutionnaire, mise en place pour la première fois cette année, qui était censée faciliter l'insertion professionnelle des élèves. En théorie, l'idée n'était pas mauvaise... Tant que Danielle n'avait pas à se coltiner des adolescents prépubères sur son lieu de travail. Mais elle avait eu beau tempêter, protester et argumenter des heures avec le service des ressources humaines, elle n'avait pas obtenu gain de cause et accueillait donc des jeunes élèves de Poudlard pour son plus grand plaisir. Elle s'estimait seulement chanceuse de partager cette charge avec le BDA et la PM ; de cette façon les stagiaires tournaient et ne restaient pas trop longtemps chez elle, à moins qu'ils en fassent la demande et qu'elle accepte.

Le dernier arrivé en date pour une période de deux semaines s'appelait Kris. Il avait dix-sept ans, un style je-m'en-foutiste parfaitement travaillé, des cheveux volontairement ébouriffés par un mouvement de main maîtrisé et son Pear vissé dans sa main droite. C'était d'ailleurs le cas ; assit à un bureau, le jeune homme faisait vraisemblablement défiler son fil d'actualité Instamag, insensible à ce qu'il se passait autour de lui. Formidable. Même l'arrivée de Danielle dans l'openspace ne lui fit pas relever la tête -  alors qu'elle lui jeta un regard polaire en gagnant la machine à café, devant laquelle se tenait Galahad. Elle se posta à côté de lui, observa longuement Kris et soupira.

"Vraiment, je suis désolée de t'imposer ça." lança-t-elle.

Galahad était le seul milicien à qui elle avait pu assigner Kris pour les deux prochaines semaines ; de toute évidence, le duo ne fonctionnerait pas.

Galahad tira sa petite bourse en peau de dragon de la poche intérieure de sa veste et constata avec un soupir qu'il ne lui restait plus que quelques pièces. Il allait réellement falloir qu'il prenne le temps de faire une étape à Gringotts, car s'il n'était plus en mesure de noyer son irritation dans le café, l'heure était grave. Cela lui donnerait de plus l'occasion de prendre des nouvelles de Karsec et sa petite famille, son ami gobelin étant aux dernières nouvelles sur le point d'avoir un petit gobelin, et il était curieux d'obtenir une photo : les gobelins faisaient partie de ces peuples qui semblaient vieux à tout âge. Alors à quoi pouvait bien ressembler un nourrisson ? Voilà le type de considération métaphysique qui occupait généralement les pensées de cet intellectuel.

Glissant ses dernières noises dans la machine, il sélectionna l'expresso et observa le liquide insipide qui emplissait lentement sa tasse noire. Tout à ses pensées, il ne remarqua pas tout de suite l'arrivée de sa supérieur hiérarchique. Sa voix le fit sursauter et il adressa un bref sourire à Danielle, dont le regard froid était posé sur son nouveau stagiaire.

Ah. Kris.

"Tu peux être désolée", répliqua-t-il avec une pointe de dérision, tout en retirant sa tasse de la machine pour lui céder la place. Il but une gorgée du liquide et esquissa aussitôt une grimace : "Ce café est vraiment infâme, Danielle, comment prétends-tu nous faire travailler dans de telles conditions ? Des stagiaires aussi dynamiques que des mollusques sur un rocher, et même pas de bon café italien pour compenser... Je vais me plaindre aux syndicats."

Le second de Galahad au sein de l'unité des briseurs de sorts, Talulah, était bien connue du service entier pour avoir été élue déléguée du personnel. Occupation qu'elle prenait très à cœur et que Galahad soutenait gentiment, tant que cela ne transformait pas trop leur carré de bureaux en bureau des pleurs. Il tenait au bien-être de ses agents, et puis cela contribuait à créer du lien entre leur petite unité, soudée et parfois relativement inaccessible, et le reste de la milice. C'était aussi une running-gag entre Danielle et lui, car très honnêtement, demandait-on réellement leur avis aux miliciens sur leurs conditions de travail ? Ils avaient très clairement d'autres niffleurs à fouetter.

Galahad jeta un coup d'oeil vers son stagiaire et constata, sans grande surprise, qu'il ne prêtait pas la moindre attention à la tâche qu'il lui avait assignée. Un gant de fer magique détraqué, récolté la veille lors d'une mission à Bristol, prenait la poussière en attendant que Kris daigne décoller le nez de son Pear pour tenter de l'analyser. Ce n'était pas une tâche facile, mais sans danger et totalement à la portée d'un élève de septième année débrouillard. Hélas, tout l'enjeu du problème résidait dans le "débrouillard"...

Se penchant légèrement vers Danielle pour ne pas se faire entendre, il raconta à voix basse :

"J'ai essayé de l'emmener en mission hier. Avalon m'avait demandé d'investiguer sur des dysfonctionnements magiques reportés à Bristol, près des quais. Talulah et moi avons engagé une négociation serrée avec trois gars, probablement des membres d'un gang... et monsieur le stagiaire n'a rien trouvé de mieux que de tout filmer avec son engin, pour le mettre sur sa "story" de "Snapechat"... Quoi que cela veuille dire. Les trois hommes n'ont pas apprécié, ont pensé que nous étions en train de les ficher, l'un d'entre eux a même évoqué son droit à l'image."

Galahad roula des yeux, encore excédé par l'absurdité de toute cette situation.

"Au final, nous avons dû engager le duel et les coller trois jours à Azkaban, tout ça pour découvrir que c'était des Veilleurs. Finalement, nous avons récolté ce machin sur son bureau que je lui ai demandé d'analyser mais comme tu peux le voir, il trouve beaucoup plus intéressant de se plaindre de son stage par message auprès de ses insipides amis..."

Souriant face à l'expression de Danielle, il leva les mains comme pour se dédouaner :

"Hé, j'aurais essayé !"

Ah, le fameux sujet du café revenait sur le tapis. Danielle accueillit les remarques de Galahad avec un sourire sceptique et haussa les épaules. Tous les miliciens se plaignaient de la qualité de cette boisson depuis des mois et des mois ; si bien qu'elle avait fini par signaler cet état de fait au ministère, qui, évidemment, n'avait absolument rien fait. Seule Avalon se réjouissait de cette mixture, dans laquelle elle rajoutait allégrement une tonne de sucre, du lait, du caramel, parfois de la noisette... Sous le regard dépité de Danielle qui ne buvait son café que très noir.

"J'ai une bonne machine dans mon bureau." avoua Danielle en baissant la voix. "Je peux peut-être te donner une dérogation pour t'éviter de boire cette... eau aromatisée au café." Elle haussa les épaules, "Je m'en voudrais que tu ne survives pas à ces deux prochaines très - très - longues semaines."

Et encore, ce n'était pas certain que Kris reste deux semaines au sein de la milice. Sérieusement, Danielle avait d'autres niffleurs à fouetter qu'accueillir des stagiaires peu motivés par les missions qu'on leur donnait. Ainsi, elle ne se privait pas pour les envoyer à la Police Magique, qui, de toute évidence, n'avait rien de mieux à faire de ses journées.

Elle écouta le récit de Galahad sans pouvoir s'empêcher de lever les yeux ciel dans une attitude parfaitement dépitée. Elle ne savait pas pourquoi mais elle avait l'impression que la jeune génération, qui sortait tout juste de Poudlard, n'était pas connue pour son intelligence - ou tout de moins, qui se retrouvait dans des situations qui ne mettaient pas leur intelligence en valeur. Probablement une triste conséquence des Pear qu'il avait greffé à l'heure main (bien que Danielle reconnaissait également que, depuis qu'elle avait le sien, elle le consultait plusieurs fois par jour).

"Je ne sais pas pourquoi ils continuent de nous envoyer des stagiaires, franchement." soupira Danielle en coulant un regard vers Kris. Il dût sentir le regard froid de la milicienne sur lui car il releva vivement la tête, et sursauta. Puis, il verrouilla son Pear, le posa avec précaution loin de lui et se remit au travail - ou du moins, fit semblant de se remettre au travail. "Je vais l'envoyer chez la PM pour qu'il aille mettre des contraventions, ce sera bien plus adapté à son esprit boiteux." commenta Danielle d'un ton neutre. "Enfin, ça ne peut pas être pire que Kleia." admit-elle en faisant référence à l'ancienne stagiaire de Galahad...

Galahad retint à grand peine un éclat de rire moqueur à la vue de son stagiaire qui, pris sur le fait, rangeait son engin diabolique pour feindre de travailler. Si Galahad parvenait à impressionner lui-même la plupart des stagiaires, il y avait encore certains petits malins pour se moquer éperdument de sa position d'autorité et alors il n'y avait bien que le regard glacial de Danielle Coleman pour les mettre au pas. Galahad avait toujours été impressionné par la facilité qu'avait ce petit bout de femme, d'apparence frêle, pour mener son petit monde à la baguette. Personne n'osait trop la ramener devant Danielle Coleman, et il était prêt à parier que cette règle s'appliquait même à Marchebank lui-même.

Fort heureusement, il avait su s'attirer les bonnes grâces de sa hiérarchie, probablement parce qu'il était l'un des rares miliciens doté de plusieurs neurones connectés et en parfait état de fonctionnement. Galahad augmentait aussi quelque peu la moyenne d'âge d'une milice trop jeune et inexpérimentée, qui en devenait ainsi impétueuse et prompt aux erreurs de jugement.

Galahad détourna son regard de Kris pour approuver la proposition de fort bon sens de Danielle :

"Avec plaisir. Tu sais que j'aime transmettre mon savoir immense avec de jeunes recrues, mais il faut un minimum de bonne volonté. Je ne suis pas faiseur de miracles et dans ce cas précis, c'est bien d'un miracle dont nous avons besoin..."

Après tout, il était entré dans la milice pour progresser dans sa carrière et rendre son emploi plus palpitant et proche du terrain, pas pour devenir éleveur de mollusques. La mention de son ancienne stagiaire lui fit rouler les yeux dans leurs orbites, et un profond soupir de consternation s'échappa de ses lèvres. Kleia. Son pire cauchemar. 1m90 de jambes, de rouge à lèvres et de grelucherie. Kleia, 17 ans et fille de politicard, avait fait jouer les relations familiales pour obtenir ce stage tant convoité auprès de la milice. Pour leur grand malheur respectif, elle avait été affectée à Galahad, probablement l'un des seuls mâles de l'open space à résister à ses charmes ridicules d'adolescente écervelée. Complètement immunisé à ses moues et ses excuses, Galahad l'avait traité avec la même exigence que n'importe quel stagiaire, ce qui l'avait profondément vexée : Kleia avait commencé par se mettre en grève, allant jusqu'à se peindre les ongles sur les rapports de mission bien ordonnés de Galahad, puis, comme il tentait péniblement de la mettre au travail, elle avait fini par dandiner sur ses talons de quinze centimètres jusqu'au bureau d'Avalon, où elle s'était plainte du comportement inapproprié de son tuteur. Jusqu'à l'accuser de harcèlement moral. Bien évidemment, ses plaintes n'avaient trouvé aucun écho auprès de quiconque, et Kleia avait quitté son stage avec un rapport atroce de son tuteur, non sans provoquer une scène au beau milieu de l'open space, le traitant de vieux con frigide devant la totalité de ses collègues.

Galahad avait réagi avec la plus grande placidité, mais le mal était fait. "Vieux con frigide" était restée la réponse taquine qu'on lui octroyait chaque fois qu'il ronchonnait sur l'état du bureau de ses subordonnés ou une deadline non terminée.

"Allons boire un café miraculeux dans ton bureau et ne parlons plus des sujets qui fâchent, veux-tu ?", répliqua-t-il d'un air maussade, avant d'emboîter le pas de sa supérieur. Parvenu dans le bureau de Danielle, Galahad ferma la porte et s'installa dans le siège face au sien, en poussant un soupir de contentement. Le grand solitaire qu'il était avait parfois besoin d'un moment de respiration loin de l'open space.

Avisant l'immense pile de parapheur qui occupait toute la surface de la table ronde qui occupait un coin de la pièce, Galahad interrogea Danielle du regard :

"Goldstein continue d'être aussi con, ou ça va un peu mieux ?"

Le milicien ne se serait pas permis de tels propos au sujet du directeur de la justice magique, son supérieur hiérarchique ultime, si Danielle n'avait pas déjà lâché quelques remarques acerbes à son sujet en sa présence. La chef de la milice considérait que Goldstein, en plus d'être ringard et misogyne, n'avait aucune vision sur l'avenir de la milice et leur imposait régulièrement des décisions sans queue ni tête. Vieux de la vieille, Goldstein continuait de privilégier régulièrement le bureau des aurors, sans sembler réaliser que les forces vives de son département avaient changé de corps...

Danielle masqua un léger sourire à Galahad en lui tournant le dos pour se diriger vers son bureau. Elle avait fait exprès de faire référence à son ancienne stagiaire, parce qu'elle savait que le sujet était plus qu'épineux. Si le milicien, sans aucun doute, aimait former et transmettre son savoir, certains stagiaires étaient plus réceptifs que d'autres à son caractère relativement maussade. Danielle songea brièvement que quiconque trouverait Galahad "maussade" aurait tout intérêt à passer plus de deux heures d'affilées dans son bureau à elle ; à coup sûr, le milicien aurait tout l'air d'être un grand bout-en-train après cette expérience.

L'image que Danielle s'était construite, au fil des années, avait la vie dure, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Elle n'était pas arrivée à ce poste si prestigieux en essayant de plaire à tout le monde, loin de là. Elle était directe, froide, mais terriblement efficace. Lorsqu'on lui en avait fait le reproche, elle avait rétorqué - et à juste titre - qu'elle n'avait pas besoin d'être de bonne compagnie pour mener la milice. Elle répugnait cette idée selon laquelle elle devait se montrer agréable, parce qu'elle la trouvait profondément sexiste. Un homme avec le même comportement qu'elle était loué dans son travail pour sa rigueur et sa droiture alors qu'on lui intimait de "sourire plus". Un profond scandale contre lequel elle se battait personnellement en refusant de modifier son attitude d'un iota.

Mais plus le temps passait, plus elle se sentait encline à se montrer plus ouverte avec ses miliciens. Cela faisait quelques années qu'elle avait pris la tête de cette brigade d'élite et elle passait tellement de temps au QG qu'elle s'y sentait chez elle, et, ce faisant, elle se sentait aussi moins sur ses gardes. Elle avait appris à connaître ses hommes et à les apprécier - rarement de manière visible, mais elle avait très à coeur leur réussite. Alors évidemment, elle restait fidèle à elle-même - elle continuait à leur demander de travailler beaucoup, les harcelait pour des rapports lorsqu'elle constatait un retard, même minime, et était intransigeante sur la qualité du travail fourni. Toutefois, maintenant qu'elle se savait respectée, elle parvenait aussi à assouplir les lignes pour entretenir des relations plus cordiales avec ses employés.

Danielle servit deux tasses de café, bien noir, et en tendit une à Galahad, tout en fronçant les sourcils après ses propos.

"Bien sûr que Goldstein est toujours aussi con, c'est l'essence même de sa personnalité." répondit-elle acide, en avisant l'immense rapport qui trônait sur son bureau.

Elle avait une dent contre le directeur de la justice magique, et ne l'avait jamais caché plus que de nécessaire - elle s'en était d'ailleurs plaint à Leopold le matin même lors de leur réunion quotidienne (en évitant toutefois d'employer des mots aussi crus). Goldstein refusait de comprendre l'importance de la milice au sein du gouvernement et continuait à privilégier le bureau des Aurors, même pour des missions spécifiquement réservées à la milice. Il avait déjà essayé de réduire leurs effectifs, alors qu'il lui fallait absolument plus d'hommes sur le terrain. Il passait également sa vie à remettre en question absolument toutes ses décisions - notamment parce qu'il avait dû mal à admettre qu'un corps de combat soit dirigé par une femme et qu'il ne lui faisait pas confiance. Danielle, donc, détestait cordialement Goldstein, et l'inverse était réciproque car, loin de se laisser démonter par son attitude, Danielle allait régulièrement consulter directement Leopold pour faire valider ses décisions - chose que le directeur de la justice magique haïssait par dessus-tout.

"Il a passé une partie de la matinée à m'expliquer pourquoi nos effectifs devraient être réduits, et comment optimiser nos forces." Elle fronça les sourcils - Danielle détestait qu'on lui explique comment faire son travail, surtout lorsqu'on n'avait jamais mis un pied dans la milice, ou dans n'importe quel corps de combat (pour le coup, Goldstein venait du Magenmagot) et elle détestait encore plus lorsqu'on le faisait en adoptant un ton paternaliste avec elle. "Il a moyennement apprécié que je le rembarre en lui expliquant que Marchebank avait déjà accepté une hausse des effectifs trois jours avant... Dont je lui avais pas parlé." Elle haussa les épaules en avalant une gorgée de café. "S'ils veulent trouver des vieux cons frigides, c'est à la direction qu'il faut aller..." lança-t-elle distraitement, l'ombre d'un sourire sur les lèvres.

Sans laisser à Galahad la possibilité de s'étouffer d'indignation, la cheffe de la mlilice poursuivit :

"Comment se passe la formation des nouvelles recrues à l'académie ? Avalon m'en a un peu parlé, mais je n'ai pas eu le temps de lire son rapport pour le moment."

Galahad laissa échapper un éclat de rire face à la réponse cinglante de Danielle. Décidément, le courant ne passait vraiment pas entre sa chef et son supérieur hiérarchique. Enfin, ce n'était pas lui qui allait le contredire. Ce bureau contenait actuellement deux des plus gros QI de cette Direction, ce qui n'était certes pas bien difficile, songea Galahad avec acidité, tout en touillant dans sa tasse de café un morceau de sucre imaginaire.

Humant l'odeur réconfortante qui émanait de sa boisson chaude, il écouta le récit de Danielle avec une compassion non feinte, sans se retenir de lever les yeux au ciel. Réduire les effectifs de la milice alors qu'ils étaient plus sollicités que jamais sur le terrain relevait de l'inconscience la plus totale. Les hommes étaient fatigués, sous tension, multipliaient les erreurs au fil des heures supplémentaires. Heureusement, Danielle avait eu la bonne idée de court-circuiter Goldstein pour passer directement à l'échelon supérieur : et ce que Marchebank disait, personne ne le contredisait (à part, justement parfois, Danielle).

"Tu as bien fait", commenta-t-il en un murmure. "Mieux vaut être prudent avec cet imbécile."

Galahad adressa un regard approbateur à la jeune femme, avant de la remercier d'un sourire de gratitude quand elle retourna son malheureux surnom sur Goldstein. Il était soulagé de constater qu'elle, parmi tous, ne le considérait pas ainsi. Même s'il ne lui avait jamais exprimé, il éprouvait beaucoup d'estime pour sa supérieur, qu'il admirait beaucoup, pour sa force de caractère comme pour l'intelligence de ses décisions. Pas facile, pour un bout de femme de se nicher une telle place au sein d'une administration d'hommes. Entre elle et Hailey, la justice magique était plutôt bien pourvue en femmes compétentes et, s'il avait été Marchebank, il aurait évincé Goldstein pour l'une des deux chefs depuis bien longtemps... mais il n'était pas ministre, et il avait aussi parfaitement conscience que Goldstein avait des soutiens politiques qui le rendait plus incontournable que sa politique... Difficile à évincer publiquement, il restait particulièrement gênant. Heureusement, Danielle avait visiblement trouvé la parade en nouant une relation de confiance avec le ministre. Un bon point de plus pour la chef de la milice, songea-t-il en sirotant sa tasse de café.

Lorsque Danielle changea de sujet pour le questionner concernant l'académie, Galahad se redressa dans son siège et s'anima à cette évocation. Contrairement à ce que son expérience récente avec les stagiaires de Poudlard suggérait, la formation des jeunes était un sujet qui le passionnait.

"Écoute, très bien, je suis plutôt satisfait ! Avalon t'a sûrement dit que le recrutement n'a pas été facile, mais je suis finalement plutôt content de notre première promotion. Certains candidats sont prometteurs, l'un en particulier me paraît réellement brillant, un excellent duelliste avec les idées bien en place. Quant aux autres, ils font globalement preuve de bonne volonté et de sang-froid, avec un peu de patience, je pense qu'on peut vraiment en tirer quelque chose", commenta-t-il avec une lueur de fierté au fond du regard, avant d'ajouter avec un sourire : "Ce n'est pas pour nous jeter des fleurs, mais je trouve qu'Avalon et moi formons une bonne équipe. Je dirais même que nous méritons une grosse augmentation, au moins."

Il ponctua sa remarque d'un léger clin d’œil, avant de retrouver son sérieux et d'interroger Danielle à son tour : "Et comment se déroule le nouveau plan de surveillance de Poudlard ? Le projet avec Vargas Corp est toujours sur les rails ?"

Danielle écouta Galahad avec attention, sa tasse de café brûlante entre les mains. La milice, à ses débuts, avait été un corps hétéroclite, composé à la fois d'Aurors, de policiers, d'Oubliators, de Baguettes d'Elite... Elle avait rassemblé de nombreux sorciers qui n'avaient pas pour habitude de travailler ensemble. Cela n'avait pas été évident : l'animosité entre ces différents corps de métier était connue de tous. Il lui avait fallu déployer des trésors de confiance et de diplomatie (qu'elle n'avait pas), et, finalement, le résultat avait été plutôt satisfaisant. L'avantage, c'était que chacun avait des connaissances précises et essentielles pour le bon fonctionnement de la milice : les policiers étaient excellents sur le terrain, les Aurors enquêtaient avec brio, les Baguettes d'Elites pouvaient toucher une cible, à 50 mètres, les yeux fermés, les Oubliators avaient des connaissances sur l'esprit et la mémoire particulièrement utiles lors des interrogatoires, les Briseurs de sorts étaient d'excellents mages... Toutes ces compétences avaient réussi à bâtir une milice forte et polyvalente.

Mais la milice n'était pas sans faiblesse, Danielle en avait parfaitement consciente. Si les plus vieilles recrues s'étaient finalement faites au travail en équipe, les plus jeunes d'entre eux avaient encore du mal à collaborer avec les différents corps qui formaient la milice. Aussi, l'idée d'une formation unique, complète, lui avait paru être la solution idéale pour parer à ce problème. En créant une unité de groupe, derrière une seule formation, elle palliait au problème des "clans" qui se formaient bien trop rapidement. Désormais, ils ne seraient plus "ancien Auror" ou "ancien policier", travaillant pour la milice ; ils seraient tous "miliciens."

L'Académie avait vu le jour quelques mois plus tôt, et les résultats étaient parfaitement satisfaisants. Bien que des instructeurs - recrutés avec la plus grande prudence - y travaillaient à plein temps, nombreux de ses miliciens y faisaient régulièrement des interventions pour former les élèves à certains arts dont ils avaient la spécialité. Elle s'y était rendue, deux semaines plus tôt, pour donner un cours sur l'art de légilimencie ; deux heures de cours pendant lesquelles personne n'avait pipé mot.

"C'est amusant," souffla Danielle, "J'ai eu la même demande d'Avalon hier matin." Elle laissa un léger sourire fleurir sur ses lèvres. Avalon et Galahad formaient en effet, à ses yeux, une très bonne équipe, plutôt complémentaire. La fougue de la jeune femme était calmée par l'expérience du briseur de sorts, mais son énergie - relativement communicative - leur permettait également d'avancer plus vite. Plus Avalon évoluait au sein de la milice, plus Danielle se félicitait d'avoir fait confiance à son instinct et de l'avoir nommé Lieutenant. Elle avait su se faire respecter, malgré son jeune âge, et se démarquait des autres par une force de caractère qui plaisait particulièrement à la cheffe de la milice. "On verra pour une augmentation dans quelques mois." fit Danielle avec un sourire énigmatique. "Pour le moment, si je demande une noise de plus pour la milice, je risque de me faire égorger."

Elle ponctua sa remarque d'un petit sourire, et poursuivit : "En effet, le projet est toujours sur les rails, les premières caméras devraient être installées dans le mois." expliqua Danielle. "Les endroits où elles seront placées ont été décidées par le CA il y a quelques jours et les ingénieurs de chez Vargas ont présenté le modèle qui sera installé dans Poudlard." Ce que Danielle ne disait pas, c'était qu'un autre modèle, plus petit, presque indétectable, serait également installé dans des endroits qui n'avaient pas été évoqués au CA. Elle se garda bien d'évoquer ce sujet avec Galahad - à part Leopold Marchebank et Peter Virtanen, personne n'était au courant. "On va garder un oeil sur les images de Poudlard, mais je ne pense pas qu'on en tire grand chose. Ce sera sûrement plus utile contre le harcèlement scolaire, mais ça ne relève pas de nos fonctions." fit-elle en haussant les sourcils - elle avait décidemment autre chose à faire de ses journées. "Tu as pris connaissance du dossier 987b, en parlant de ça ?" demanda-t-elle en effleurant un peu épais dossier du bout des doigts.

Galahad étouffa un sourire quand Danielle lui révéla avoir reçu la même demande de promotion de la part d'Avalon. Si la jeune femme et lui formaient un aussi bon binôme, c'était justement parce que leurs esprits fonctionnaient de la même façon. Au fil des semaines, une complicité grandissante s'était noué entre les deux agents qui partageaient désormais fréquemment des missions, du fait de cette bonne complémentarité.

Hochant la tête d'un air entendu à la réponse de Danielle, il se mura dans le silence en se contentant de siroter son café. On verrait dans quelques mois, il savait bien ce que ce type de réponse signifiait. Danielle renvoyait aux calendes grecques une potentielle promotion car elle n'avait pas la marge de manoeuvre suffisante, donc c'était un non à peine déguisé. Bah, il aurait essayé ! Ce n'était pas tant qu'il avait besoin d'argent, car Galahad avait un mode de vie particulièrement économe. C'était plutôt qu'il avait besoin de signes de reconnaissance de sa hiérarchie, des signes concrets et palpables, du fait de son investissement en comparaison à l'activité de certains glandus. Participation au recrutement et à la formation des jeunes agents, management de son unité des briseurs de sorts, accueil de tous les Jean-Kevin stagiaires possibles et imaginables, Galahad ne comptait pas ses heures et son investissement pour que cette milice fonctionne. Ce qui lui demandait parfois une certaine abnégation.

Il était le genre d'agent qui s'intéressait au fonctionnement global de la milice et du ministère, qui avait besoin de connaître les tenants et les aboutissements de son travail et de s'y intéresser plus globalement. Aussi, il écouta avec intérêt les nouvelles du projet caméras à Poudlard et du partenariat avec Vargas Corp, qui s'avérait très profitable pour la milice. Il ne comptait pas le nombre de dossiers qui pouvaient être débloqués grâce aux informations fournies discrètement par l'entreprise...

Comme sa chef l'interrogeait sur le dossier de traque des lieux de rencontre de la résistance, un éclair d'excitation passa dans son regard et il se redressa sur son siège.

"Oui, absolument. Très intéressant. Je suis tout à fait disposé à réorganiser les missions actuelles des Briseurs de sorts pour qu'on puisse s'investir dans ce dossier. Après l'attaque du dôme de Bristol, il est évident que le Lexit s'est octroyé les services d'enchanteurs de talents. Nous pouvons attendre un certain niveau de protection autour de leurs lieux de rencontre. Peut-être pas tous, cela dit, mais toujours est-il que je pense notre expertise utile pour aider à identifier les protections en place, et bien sûr, à jeter les contre-sorts..."

Tous les miliciens disposaient d'un niveau de base en sorts et contre-sorts, mais les briseurs avaient une connaissance fine des mécanismes les plus complexes utilisés afin de dissimuler un lieu aux yeux de certaines personnes. D'ailleurs, il n'aurait pas été étonné d'apprendre que certains briseurs de sorts du Ministère avaient retourné leur veste. S'il était certain de la fidélité de sa poignée d'agents, ce n'était pas le cas de tous ses collègues non miliciens...

"Est-ce que tu as déjà élaboré un plan d'action ?"

Galahad put enchaîner immédiatement sur la référence du dossier qu'elle lui donna, ce qui tira un sentiment de satisfaction à Danielle ; qu'elle ne laissa cependant pas paraître trop longtemps sur son visage, bien plus concentrée par les paroles de briseur de sort.

Cette petite unité, au sein de la milice, était précieuse, et contribuaient à l'expertise liée à de nombreux dossiers sensibles. Danielle savait pertinemment que la force de la milice - comme sa plus grande faiblesse, parfois - reposait dans la richesse et la diversité de ses membres. Baguettes d'élite, Auror, Oubliator, membre de la PM, briseur de sorts... Tant de métiers qui leur offraient des possibilités infinies. Coordonner tout ce petit monde n'était pas une mince affaire, mais Danielle était intimement persuadée qu'il s'agissait de la meilleure option pour proposer à Leopold un corps d'élite pluridisciplinaire, capable d'intervenir sur n'importe quelle mission.

"C'est exactement ce que je te demande." approuva Danielle en hochant la tête suite aux paroles de Galahad. "On est quasiment certain que le LEXIT a déserté Bristol depuis quelques mois, mais il doit rester des traces de leur passage dans la ville. Et si on arrive à trouver quels enchantements ils utilisent pour se protéger, on pourra travailler sur les contres-sorts, et éventuellement repérer à quels endroits on utilise les mêmes enchantements." affirma Danielle, avant de se diriger vers son immense armoire en bois, qu'elle ouvrit d'un sortilège informulé. Elle en sortit deux immenses plans qu'elle étala sur son bureau.

"Tiens regarde, voici les plans de Bristol. On a réussi à repérer plusieurs zones où il est possible d'identifier des lieux de rencontre, notamment en entrecoupant les informations qu'on a eu des interventions de l'année dernière sur la ville. Et, si on croise ses données..."

Les deux miliciens sirotèrent leur café bien noir, annotant le dossier 987b de leurs diverses remarques.

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