Le mensonge usurpe les apparences de la vérité [Afghan, Avalon, Danielle]

« Danielle ? » intervint une petite voix qui la tira de son travail. Elle releva la tête et interrogea du regard Irma, la secrétaire de la milice, qui l’observait depuis le pas de sa porte. « Je t’ai sorti tous les rapports du 12 juillet. » Elle s’approcha avec précaution et déposa la pile instable sur un coin du bureau en bois sombre.

« Merci, Irma. » lança Danielle en refermant le dossier qu’elle avait sous les yeux pour attraper le premier rapport de la pile. La secrétaire sortit du bureau sans demander son reste, refermant la porte derrière elle, coupant ainsi Danielle à l’effervescence qui régnait dans le QG.

Danielle aimait fonctionner avec des listes ; c’était la meilleure manière, selon elle, de ne rien oublier. Comme elle avait la chance d’avoir une excellente mémoire, elle réalisait ces listes mentalement et cochait les tâches au fur et à mesure qu’elle les réalisait. Ces dernières étaient bien évidemment classées selon un ordre d’importance – et comme la vie de Danielle était un constant état d’urgence, les choses comme « passer chercher la veste chez le pressing » ou « racheter du sel » étaient régulièrement en dernière position et, par conséquent, n’étaient jamais rayées. Après Bristol, sa liste mentale s’était allongée de manière drastique. Il avait fallu gérer les conséquences de la chute du dôme, mener des interrogatoires auprès des résistants qu’ils avaient arrêté ce jour, remettre en place les protections qui entouraient la ville, traquer la moindre piste, remonter chaque indice, démêler chaque témoignage. Cela avait été éreintant, mais, à présent, ils y voyaient plus clair.

Aujourd’hui, Danielle avait donc repris sa longue liste mentale et avait poursuivi sa réalisation. Lecture des derniers rapports de mission de ses hommes, entretien avec un informateur, visite à Skye pour un énième interrogatoire des parents Montgomery. Puis, elle était arrivée à la tâche « Afghan », qu’elle avait ajouté à sa liste juste après Bristol. Elle avait demandé à Irma de lui sortir les rapports de cette intervention, qu’elle parcourait désormais dans un silence uniquement trahi par les bruits des feuilles qu’elle tournait.

De sa main droite, elle tapota le bois de son bureau. Cette histoire l’agaçait profondément et il s’agissait d’un sentiment parasite dont elle avait hâte de se débarrasser. Danielle avait toujours été une grande observatrice et peu de détails échappaient à son attention – c’était d’ailleurs pour cela qu’elle était aussi douée dans son travail. Elle avait ainsi noté les changements dans l’attitude d’Afghan, avant Bristol, mais sans qu’elle ait le temps de s’en préoccuper. Puis il y avait eu le dôme, il y avait eu les vidéos de ce cher Sam Allport, et il avait été difficile de fermer les yeux sur son incompétence.

Si seulement cela n’avait été que de l’incompétence ! L’histoire aurait pu alors être réglée rapidement. Mais la cheffe de la milice avait rapidement compris que cela dépassait ce cadre ; elle avait souvent de bonnes intuitions, et quand même cela n’aurait pas été le cas, il suffisait d’observer quotidiennement Afghan pour s’en rendre compte. Mais là où l’histoire se compliquait véritablement, c’était lorsqu’elle avait découvert que, non seulement Afghan continuait à venir travailler comme si de rien n’était, mais qu’en plus, malgré les risques qu’il leur faisait courir à tous en travaillant dans cet état, il était couvert par sa supérieure. Par Avalon, donc, qui n’avait jamais évoqué avec Danielle la situation de son collègue et qui, comme elle venait d’en avoir la confirmation par sa lecture, avait falsifié – du moins, omis une grande partie de la vérité – sur son rapport du 12 juillet. Parfait, songea ironiquement Danielle en se massant doucement les temps, elle avait tout le temps nécessaire pour gérer une telle situation.

Elle était, à vrai dire, réellement ennuyée. S’il y avait bien une chose que Danielle attendait de ses hommes, c’était une honnêteté à toute épreuve. Elle s’entourait de gens en qui elle pouvait avoir confiance – si on le lui demandait, elle pourrait confier sa vie à Nasreen à Avalon. Savoir que cette dernière lui avait menti l’irritait profondément. Une irritation teintée de déception.

Pour autant, elle avait l’impression de ne pas avoir toutes les cartes en main pour comprendre la situation – du moins l’espérait-elle. Elle se leva, ouvrit la porte de son bureau à la volée et balaya le QG du regard.

« North, Davies, dans mon bureau. » lança-t-elle d’un ton qui ne souffrait d’aucune contradiction.

Elle alla s’asseoir sur sa chaise, attendant patiemment que les deux fassent leur apparition sur le pas de sa porte.

« Fermez la porte, asseyez-vous. »

Les deux s’exécutèrent sans piper mot. Avalon, raide, prit place sur la gauche. Elle d’ordinaire si enjouée avait perdu son entrain habituel et observait sa cheffe avec appréhension. Danielle laissa volontairement un silence pesant s’installer entre eux, les dévisageant à tour de rôle. Elle finit par jeter le rapport d’Avalon entre eux.

« Vous m’expliquez ? »

Avalon s’agita doucement sur sa chaise pour se pencher vers le document. Lorsqu’elle reconnut son écriture, elle releva les yeux vers Danielle.

« Qu’est-ce que tu veux savoir ? »

Danielle l’observa un long moment, puis ouvrit le rapport à la dernière page. Depuis qu’elles géraient chacune leur propre équipe, Avalon et Nasreen avaient des rapports à remplir sur les miliciens, notamment pour suivre leur évolution au sein de la milice. Pour ne pas rendre cette activité trop chronophage, Danielle avait limité cette évaluation à quelques sigles. Le 12 juillet, pour Afghan, Avalon avait coché « OK » dans toutes les catégories. Elle n’avait pas poussé le vice à laisser un commentaire détaillé sur son collègue – encore heureux.