#CollaBro [JR Peter & Jonah]

Depuis la rentrée scolaire, Peter s'efforçait de passer le moins de temps possible dans le bureau du directeur. Son bureau, désormais. Il ne parvenait pas à s'y sentir chez lui. Tout dans cette pièce lui rappelait Daisy, et il ne supportait pas d'être exposé en permanence au regard doux du portrait de son ancienne collègue. Il ne se faisait pas à ses nouveaux appartements et s'il n'avait pas tenu à préserver les apparences, il serait probablement resté dans ses anciens quartiers.

Même Lou semblait perturbée par ce déménagement. La fillette avait du mal à prendre ses repères dans sa nouvelle chambre et ne lâchait plus son père d'une semelle, elle qui avait toujours été une enfant assez indépendante. Elle ne parlait presque plus et continuait à mélanger son anglais et son finlandais alors que tous les spécialistes assuraient que c'était à trois ans que les enfants bilingues surmontaient ces difficultés. Rachelle lui répétait de ne pas s'inquiéter, que chacun se développait à son rythme, mais Peter voyait bien que même l'infirmière commençait à trouver ce comportement anormal.

Préoccupé par sa fille, et submergé par le culpabilité dès qu'il repensait à Daisy, Peter avait du mal à trouver le temps et l'énergie de se consacrer à ses missions de directeur. Il avait pris du retard dans plusieurs démarches administratives, avaient des courriers de parents d'élèves qui attendaient des réponses depuis des semaines, et ne trouvait plus le temps de préparer ses cours de runes. Pourtant, il n'avait pas hésité à accepter l'entrevue que Jonah avait sollicité quelques jours plus tôt. Il ignorait ce dont il serait question mais comptait bien profiter de cet entretien pour sonder un peu son collègue. Il était persuadé qu'il y avait, au sein de l'équipe pédagogique, des opposants au régime. Les élèves passaient bien plus de temps à Poudlard que chez eux, et si certains avaient des idées de résistances, ils avaient certainement été guidés dans cette direction.

Peter estimait Jonah, qui avait longtemps été un père célibataire, comme lui, et qui s'investissait beaucoup pour la vie de l'école. L'aide de son collègue lui avait été précieuse ces dernières semaines, et il espérait pouvoir le compter parmi ses alliés.

Quelques coups frappés à la porte lui indiquèrent justement l'arrivée du directeur des Serpentards et Peter l'invita à entrer et à prendre place sur la chaise en face de son bureau. Avec son énergie habituelle, Jonah lui exposa rapidement son projet d'inscrire l'école de magie sur les différents réseaux sociaux si prisés par les élèves. Un excellent moyen de surveiller ce qui se disait dans un cadre où les adolescents se sentaient à l'abris et plus libres d'exprimer leurs pensées.

"Je vais regarder ça, répondit-il en attrapant le parchemin que Jonah lui tendait et qui détaillait la procédure permettant d'ouvrir des comptes certifiés. Je t'avoue ne pas être un expert en la matière, mais je te fais confiance. Son collègue avait l'air de s'y connaitre bien mieux que lui en matière de réseaux sociaux. C'est une bonne chose de moderniser notre communication, et cela pourrait créer un lien avec les parents d'élèves..."

Peter jeta un regard découragé en direction des courriers de parents inquiets qui voulaient tout connaitre de la vie de leur progéniture à Poudlard. Certains essayaient d'appuyer la candidature de leur enfant aux sélections de Quidditch, d'autres s'inquiétaient du menu proposé au diner et d'autres s'estimaient visiblement très bien placés pour soumettre des idées de réformes plus ou moins pertinentes.

"C'est gentil, merci ! ajouta-t-il quand Jonah proposa de s'occuper des démarches. Je me suis laissé un peu débordé... avoua-t-il avec un soupir en se laissant aller contre le dossier de son fauteuil. D'ailleurs, j'aurais bien aimé avoir ton avis sur une question... J'ai rencontré des représentants des forces de l'ordre il y a peu et ils ont suggéré d'installer un système de surveillance dans les couloirs de l'école, un peu comme des "caméras" moldues, tu dois connaitre ça mieux que moi. Il n'en avait jamais entendu parler avant que la Milice ne lui explique leur fonctionnement. Ils pensent que cela pourrait aider à lutter contre la violence et le harcèlement, qu'est-ce que tu en penses ?"

C'était surtout un excellent moyen pour la Milice et pour lui-même de réparer facilement les éléments perturbateurs aux seins des élèves comme des enseignants pour les remettre dans le droit chemin avant qu'il ne soit trop tard, ce qui pourrait ne pas plaire à Jonah s'il avait des choses à cacher...

Peter remercia Jonah d'un sourire quand ce dernier affirma être disposé à lui donner un coup de main si besoin. Le nouveau directeur savait bien que plusieurs de ses collègues étaient prêts à l'aider avec les tâches administratives, malheureusement il ne pouvait pas déléguer ce genre de mission à n'importe qui. Et l'une des premières tâches de son année serait justement de déterminer en qui il pouvait avoir pleinement confiance. Il était persuadé qu'il y avait, au sein de l'équipe, des sympathisant des terroristes, mais il ne savait pas qui. Cet entretien avec Jonah était une excellente occasion de commencer son enquête.

Sur le ton de la conversation, Peter évoqua alors un sujet qui serait un bon prétexte pour recueillir l'avis de son collègue sur le régime de Marchebank. Jonah était très politisé, tout le monde au sein de l'école le savait. Il était impliqué depuis des années dans le milieu associatif, et soutenait de nombreuses causes. Il était impossible qu'il n'ait pas d'avis sur les derniers évènement qui avaient secoué le pays. Et Peter comptait bien le pousser à la confidence.

Le directeur était toutefois conscient que ce ne serait pas un exercice facile. Il devinait sans mal que Jonah était dans une posture semblable à la sienne. Qu'il soit un supporter de la résistance ou du FREE, son collègue essaierait certainement de savoir si Peter était loyal au Ministre de la Magie ou non. Chacun des mots échangé ce soir serait donc choisi avec précaution, et Peter ne voulait pas laisser passer le moindre indice.

"Evidement, commenta-t-il avec un air concentré quand Jonah lui expliqua que, dans le monde moldu, le recours aux "caméras de surveillance" était prévu par un cadre législatif très strict. Il faut bien éviter les dérives..."

Le Directeur fronça les sourcils quand son collègue affirma que les caméras magiques n'étaient, selon lui, pas le bon outil pour lutter contre la violence au sein de l'école. Ses arguments étaient recevables, et les solutions alternatives qu'il proposait tenaient la route, mais comment savoir s'il ne refusait pas l'idée simplement par peur de ne plus pouvoir comploter tranquillement contre le régime ? Peter sonda un instant Jonah de son regard clair, faisant mine de réfléchir aux propositions de l'enseignant.

"Les deux mesures ne sont pas incompatibles, répondit-il finalement. Elles sont mêmes plutôt complémentaires, si tu veux mon avis. Des ateliers de sensibilisation sont une excellente idée, mais pour qu'ils soient efficaces il faudrait que les élèves comprennent qu'ils ne peuvent pas agir impunément, même à l'abris dans leur salle commune."

Tout comme les enseignants qui se pensaient certainement à l'abris des oreilles indiscrètes, cachés dans la salle des professeurs. Cela devait changer aussi.

"Pourquoi pas ? s'étonna-t-il avec un haussement d'épaules quand Jonah l'interrogea sur le soudain intérêt du gouvernement pour la violence scolaire. Pas que je sache, avoua-t-il au sujet d'une éventuelle hausse des agressions au sein de l'école. Mais les divers fugues hors de Poudlard ces dernières années ont beaucoup inquiété les parents -comme tu le sais- ce serait un bon moyen d'éviter que ce genre d'incident ne se reproduise, tu ne crois pas ?"

Personne ne voulait revivre un drame comme celui de la mort de Roxanne Prewet, ou celle de Danny Sneals. Sans parler de tous ceux qui s'étaient peut-être échappé le temps d'une soirée sans connaitre de sort si tragique.

Peter n'osa pas pousser l'audace jusqu'à interroger Jonah sur les autres intentions qui pourraient être celles du gouvernement. Si son collègue voulait s'aventurer sur ce terrain, il allait devoir faire le premier pas. Le directeur se contenta d'observer l'enseignement avec un regard tranquille, qui ne trahissait rien de la méfiance qu'il éprouvait à son égard.

Peter laissa un faux sourire amusé fleurir sur ses lèvres quand Jonah expliqua être du genre à vouloir responsabiliser les élèves plutôt que de les sanctionner. Le fatalisme apparent de son collègue ne le trompait pas, le directeur des Serpentard se cachait derrière sa nature bienveillante pour justifier ses réserves vis-à-vis des nouvelles mesures de surveillance.

"Et cela fait de toi un excellent professeur, le complimenta Peter en s'adossant à son fauteuil et en croisant les pieds sous son bureau. Malheureusement, il arrive que la meilleure des pédagogies ne suffise plus à maintenir l'ordre..."

Il soupira, comme si l'idée de surveiller les faits et gestes des élèves de l'école le contrariait. Le projet ne l'avait pas convaincu tout de suite, à vrai dire. Il avait mieux à faire avec son temps que d'espionner ses étudiants. La Milice n'avait toutefois pas manqué de lui faire remarquer que ce système de surveillance serait également un excellent moyen de repérer les éléments fiables au sein de son équipe pédagogique... Peter pourrait ainsi facilement déterminer quels étaient mes collègues sur lesquels il pouvait compter. Il espérait sincèrement que Jonah en ferait partie. Il savait son collègue engagé mais il le connaissait aussi comme un père de famille responsable. Peter voulait croire que Jonah n'était pas ce genre de parent, prêt à mettre toute sa famille en danger sous prétexte que le gouvernement avait commis quelques impairs. Pas un parent du genre de Chloé.

Le nouveau directeur de Poudlard n'était pas complètement acquis à la cause du FREE. Il était conscient des failles dans le régime de Marchebank, mais aucun gouvernement n'était parfait. En attendant, ce n'était pas le Ministère qui faisait exploser des banques. Peter n'adhérait peut-être pas complètement aux méthodes du FREE, mais il méprisait ces terroristes plus que tout. Des égoïstes, des fanatiques, qui reniaient tout au nom de principes auxquels ils ne comprenaient rien. Comment Jonah pourrait-il en être ? songeait-il en sondant son collègue du regard. Cela paraissait impossible, et pourtant il ne pouvait pas écarter cette possibilité, pas encore.

Peter se pencha sur le bureau avec un regain d'intérêt quand Jonah l'interrogea sur les modalités pratiques de ce système de surveillance. L'enseignant semblait avoir finalement accepté l'idée -ou du moins c'était ce qu'il prétendait- mais avait beaucoup de questions, et d'objections. Le directeur se demandait si la réticence de son collègue à voir sa salle de cours surveillée était une simple question de fierté et d'indépendance -parfaitement compréhensible- où si elle dissimulait une crainte de ne plus pouvoir se livrer à quelque propagande anti-régime face à ses élèves, ou à ses collègues.

"Je ne vois pas l'intérêt de surveiller les salles de classe non, répondit-il simplement, comme si le sujet ne souffrait d'aucune discussion. Les dortoirs non plus, évidement. La salle des quatre maisons, en revanche, c'est une nécessité ."

La vérité était que les plans étaient déjà faits, prêts à être installés. Toutes les salles de classe seraient équipées. La Milice lui avaient promis des appareils indétectables, la pointe de la technomagie, développés par les meilleurs ingénieurs de VargasCorp. Mais c'était une vérité que Peter ne pouvait pas partager avec Jonah pour le moment, son collègue était encore trop méfiant. Il se sentait remis en cause, exposé, et c'était légitime. Peter le comprenait, lui non plus n'aurait pas apprécié être espionné pendant ses cours, mais c'était un mal nécessaire. Il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter que les idéaux terroristes ne se répandant au sein de l'école.

"Tu as raison, plus nous serons transparents et ouverts au dialogue et mieux ce nouveau système sera compris et accepté, ajouta-t-il avec un sourire confiant quand Jonah suggéra d'informer le C.A. Je pensais d'ailleurs présenter le projet au prochain conseil, ajouta-t-il. Je me demandais si tu accepterais de valider les emplacements avec moi ? Ta connaissance des systèmes moldus me serait d'une grande aide, et nous pourrions présenter les plans ensembles..."

Peter savait pertinemment que le projet serait plus facilement soutenu s'il émanait d'un professeur apprécié comme Jonah plutôt que du seul directeur. De plus, faire croire à son collègue qu'il avait participé à l'élaboration des plans définitifs pouvait endormir sa méfiance. Il s'agirait seulement de s'assurer que Jonah ne découvre jamais l'existence des autres équipements, qui seraient placés dans les salles de cours, et dans la salle des professeurs.

"Et la volière, très bonne idée," renchérit Peter à la suite de la suggestion de Jonah.

Il ajouta mentalement la lutte contre les trafic de drogues à la liste des arguments qu'il pourrait présenter pour soutenir la mise en place de ce système de visio-surveillance. Il avait bon espoir que ce projet soit accepté à l'unanimité par le conseil d'administration, surtout s'il était présenté par un enseignant aussi sympathique et impliqué que Jonah. Peter n'était pas idiot, il avait conscience que ci cette idée était imposée unilatéralement par le directeur de Poudlard, il soulèverait inévitablement des questionnements et des contestations. En faisant porter le projet -au moins en partie- par Jonah, il s'assurait le soutient du reste de l'équipe pédagogique.

Le directeur de Serpentard semblait d'ailleurs plutôt enthousiaste, mais Peter était incapable de dire s'il était réellement convaincu ou s'il faisait seulement semblant, pour ne pas attirer ses soupçons. La mort brutale de Daisy avait instauré un climat de méfiance au sein de l'équipe, qui n'aidait pas Peter dans sa prise de poste.

"C'est gentil, je savais que je pouvais compter sur toi !" affirma Peter avec un sourire reconnaissant pour son collègue.

Il avait envie de croire que Jonah était un fidèle collaborateur, mais ne pouvait pas se risquer à lui révéler tous les emplacements des équipements de surveillance pour le moment. S'il se révélait par la suite que le père de famille était un véritable élément de confiance, peut-être Peter se risquerait-il à être honnête avec lui. Pour l'heure, il devrait se contenter de lui livrer la version officielle du projet.

Jonah ne tarda pas à verbaliser une question qui pouvait tout aussi bien être une marque d'intérêt qu'un signe de méfiance, et Peter posa les coudes sur son bureau en faisant mine de réfléchir à une question qui avait été tranchée des semaines plus tôt : les professeurs auraient accès à certaines des images, depuis la salle des professeurs, Peter et la milice auraient accès aux images capturées à l'insu de l'équipe pédagogique. Deux emplacements n'apparaitraient pas sur les plans soumis au conseil d'administration en octobre : un dispositif serait placé à l'entrée de l'Aile Sud, pour surveiller les allées et venues nocturnes des professeurs, et un autre dans la salle des professeurs.

"Je ne sais pas exactement sous quel format nous pourrons récupérer les images -tu en sais certainement plus que moi là-dessus, concéda-t-il. Mais je trouverais pertinent que l'ensemble de l'équipe pédagogique puisse y avoir accès, peut-être depuis la salle de professeurs ? Je voudrais pouvoir accéder au image depuis mon bureau aussi, évidement, mais je pense que nous ne serons jamais trop d'yeux vigilants, n'est-ce pas ?"

Il entendait bien gagner la confiance de son équipe en leur donnant l'impression d'avoir le contrôle de la situation, tout en les surveillant avec attention. Il ne se donnait pas plus de quelques mois pour identifier ceux de ses collègues à qui il pouvait réellement faire confiance, et ceux dont il devait se méfier...ou se débarrasser.

"D'accord, tu as raison, pas dans la salle des profs !" Peter leva les deux mains en signe de reddition.

Les arguments de Jonah étaient parfaitement convaincants, et il ne voyait aucun problème à ce que les postes de surveillance soient placés dans la salle des archives. Il n'avait, de toute façon, pas l'intention de demander aux enseignants une vigilance constante. Officiellement, ces systèmes de visio-surveillance étaient là pour dissuader les élèves, et pour pouvoir consulter les images en cas bagarres ou de débordements. Il se fichait bien d'où seraient visibles les images des caméras "officielles", ce n'étaient pas celles qui l'intéressaient le plus. La totalité des flux -y compris ceux des caméras secrètes- seraient transmis directement dans son bureau, et enregistrés dans des archives de la Milice, au cas où.

"Il va falloir résister à la tentation !" répondit-il avec un sourire quand Jonah évoqua la tentation de surveiller son fils en permanence.

Tentation qui était de plus en plus présente pour lui également, maintenant que Maeva fréquentait Virgil Forbes et sa "petite bande d'amis", que Peter ne voyait pas d'un très bon oeil. Ils n'étaient pas réputés pour être les élèves les plus sérieux de l'école, et il aurait préféré qu'elle se trouve d'autres nouveaux camarades, mais il ne voulait pas interférer dans la vie sociale de se belle-fille, qui avait bien d'autres problèmes à gérer en ce moment.

Le directeur fut un peu surpris de voir le sujet de la conversation s'éloigner de la sphère professionnelle pour prendre une tournure plus personnelle. Il n'était pas particulièrement proche de Jonah et ne se souvenait pas avoir déjà parlé de sa vie privée avec son collègue autrement qu'en échangeant quelques banalités. D'ordinaire plutôt secret, Peter réalisa toutefois qu'il allait devoir apprendre à s'ouvrir un peu aux autres s'il tenait à se faire des alliés au sein de l'équipe pédagogique. Il lutta donc contre sa volonté première de changer habilement de sujet et laissa échapper un soupir.

"Elle donne le change, en tout cas. Maeva avait encaissé la mort de son père avec une force que Peter ne lui aurait pas soupçonné. Pourtant, il avait le sentiment que cette apparente solidité n'était qu'une façade, et qu'il suffirait d'un rien pour que l'adolescente ne s'effondre. Mais...Je ne sais pas, elle n'en parle pas. Je ne sais pas si je dois lui forcer la main et aborder le sujet, ou la laisser gérer ça à son rythme..."

Il aurait voulu être capable d'avoir une vraie conversation avec Maeva, à propos de tout ce qui était arrivé dans sa vie dernièrement, mais il n'arrivait pas à faire le premier pas. Elle était si courageuse, si forte, qu'il avait fini par se convaincre qu'elle n'avait pas besoin de lui. Il savait que c'était lâche, et qu'une adolescente de dix-sept ans avait certainement besoin d'aide pour affronter la perte d'un de ses parents, mais il avait du mal à endosser ce rôle là. Elle venait de perdre son père, comment pouvait-il déjà prendre sa place ? Il n'avait jamais cherché à être un père pour Maeva, parce qu'elle en avait déjà un, et que son rôle de beau-père lui convenait parfaitement. Maintenant qu'elle était presque orpheline, qu'est-ce que cela faisait de lui ?

Peter fut à nouveau surpris, mais également touché par la question de Jonah, et sentit une lourde fatigue s'abattre sur lui alors qu'il méditait sa réponse.

"J'essaie, répondit-il, las, en se laissant aller contre le dossier de son fauteuil. J'ai encore un peu de mal à trouver ma place, auprès de Maeva, mais aussi au sein de l'école... Il hésita une seconde et jeta un regard au portrait de Daisy, accroché à sa droite. C'est difficile de m'investir quand je sais que ce n'est pas moi qui aurait dû être assis là."

Daisy aurait dû se tenir à sa place, mais il avait fait le nécessaire pour que ce ne soit pas le cas. Ce souvenir occupait ses pensées en permanence, et hantait les rares heures de sommeil qu'il parvenait à trouver. Il voyait son portrait tous les jours et cette vision lui rappelait immanquablement ce qu'il avait fait. Il savait qu'il finirait par étouffer sa culpabilité, un jour. Il n'oublierait pas, mais il réussirait à vivre avec, à ne pas y penser. Pour le moment elle continuait de peser lourdement sur ses épaules, au point qu'il avait parfois le sentiment qu'il ne pouvait plus avancer. Il se sentait prisonnier d'une situation qu'il avait lui-même provoquée, pris dans son propre piège. Il s'était pensé plus fort qu'il ne l'était, il avait joué et maintenant il avait gagné. Jamais il n'avait connu de victoire plus amère, pourtant gagner était la seule option. Il ne pouvait pas perdre, pas à ce jeu là.

Apparement, même alors qu'il avait élevé quatre enfants, Jonah ne connaissait pas la formule magique qui permettait d'avoir une conversation calme avec un adolescent. Pire, il n'existait visiblement pas de solution universelle. Dommage. Voilà qui était tout à fait décourageant. L'éducation de Lou s'était toujours faite plutôt naturellement, depuis sa naissance. Sa fille changeait tous les jours et Peter tentait de s'adapter comme il le pouvait à ses nouveaux modes d'expression, à ses nouvelles questions, à de nouveaux fonctionnements. Il apprenait, petite à petit. Mais avec Maeva, il n'avait pas le temps d'apprendre. Il se retrouvait d'un seul coup avec une adolescente de seize ans qui avait toutes les raisons du monde d'être troublée, et sans la moindre idée de comment elle fonctionnait, ni de ce dont elle avait besoin.

"Je ne suis pas certain que cela fonctionne très bien avec Maeva, répondit-il toutefois quand Jonah évoqua sa technique de "mettre les pieds dans le plat". Il aurait bien trop peur de brusquer la jeune fille en l'abordant trop frontalement. Je vais rester sur "Jeter des perches de façon plus ou moins subtile", je crois."

Peter n'avait pas l'habitude de se confier sur des aspects si personnels de sa vie, mais il devait admettre que cela lui avait fait du bien. Il n'était pas beaucoup plus avancé sur l'attitude à adopter vis-à-vis de Maeva, mais il était rassuré de savoir que c'était le lot de tous les parents de se sentir complètement démunis. Son rôle de beau-père n'était malheureusement pas le seul dans lequel il se sentait dépassé. Peter sentit son coeur se serrer alors que Jonah tentait de le rassurer sur sa légitimité professionnelle.

S'il avait seulement la moindre idée...songea-t-il quand son collègue affirma que ce qui était arrivé à Daisy n'était pas de sa faute. Peter aussi, avait cherché à se dire que ce n'était pas que de sa faute, que ce n'était pas lui qui l'avait voulu, qu'il avait fait ce qu'il fallait pour protéger sa famille. Mais il pouvait retourner le problème dans tous les sens, la conclusion restait la même : il avait tué Daisy. De sang-froid. Il avait choisi sa sécurité plutôt que son intégrité. Et le portait de l'ancienne directrice était là pour lui rappeler ce choix tous les jours.

Le directeur ferma brièvement les yeux, comme pour lutter contre un trop plein d'émotions, en entendant Jonah affirmer que Daisy lui avait toujours fait confiance. Son collègue n'avait pas conscience à quel point il avait raison... Elle lui avait fait suffisamment confiance pour venir le rejoindre au sommet de la tour d'astronomie en pleine nuit. Elle lui avait fait confiance même quand il avait pointé sa baguette sur elle. Elle lui avait fait confiance jusqu'au bout, il le savait. Elle avait à peine lutté conter l'Imperium. Elle lui avait fait confiance, et c'était ce qui lui avait coûté la vie. Il ne supportait pas d'entendre les paroles réconfortantes de Jonah, et dut se faire violence pour rouvrir les yeux et ouvrir à son collègue un visage aussi neutre que possible.

"Merci Jonah, répondit-il d'une voix un peu rauque. Pour le dossier, précisa-t-il en désignant d'un geste de la main les papiers relatifs aux caméras de surveillance qu'ils avaient étalés sur le bureau. Et pour tout le reste, ça me touche beaucoup."

Il espérait que ses remerciements mettraient fin à cette discussion qu'il n'était plus capable d'assumer. Il ne pouvait pas simplement chasser son collègue de son bureau, pas après la conversation qu'ils venaient d'avoir, mais il avait vraiment besoin d'être seul.