Do you see what I see ? [Joséphine]

La fin de soirée était déjà bien amorcée. Le petit appartement bristolien baignait dans une atmosphère tamisée, l'obscurité de la nuit uniquement repoussée par une lampe à abat-jour orangé et par quelques chandelles qui flottaient à mi-hauteur du salon. Un fond de musique venait soutenir les conversations devenues plus joyeuses et désordonnées, depuis que la bouteille abandonnée au sol avait été vidée, seules quelques traces de rouge à lèvre et quelques dépôts de vin rouge persistant sur les verres à pied.

En une pose plaisamment alanguie, ses jambes nues ramenées sous elle et le bras étendu sur le dossier du canapé, Sofya observait Joséphine avec cette petite lueur au fond du regard. Cela faisait maintenant plusieurs heures que la danseuse était arrivée chez elle pour leur afterwork du mardi, dont elles avaient convenu la tenue par quelques messages Pear qui laissaient augurer une plaisante soirée.

Et plaisante, la soirée l'était. Il fallait dire que Sofya avait tout fait pour bien accueillir la jeune femme, l'invitant dans le confort de son appartement joliment décoré, enfilant une robe qui la mettait en valeur et mettant les petits plats dans les grands dans l'objectif plus ou moins assumé d'impressionner son invitée - non, pas l'impressionner, la séduire. Oh, il y avait déjà eu une forme de flirt entre Joséphine et elle, c'était évident. Mais était-ce réellement sérieux de sa part ou bien n'était-ce qu'une simple forme de jeu, sans volonté de concrétisation ? Cela n'aurait pas été la première fois que Sofya aurait été confrontée à ce type de situation. La comédienne connaissait sa propension à se montrer enjôleuse, séductrice, et certaines femmes pouvaient se sentir flattées et apprécier rentrer dans ce jeu, par fierté ou par curiosité, sans pour autant avoir l'audace de franchir le pas et repousser leurs limites...

Avec Joséphine, Sofya se sentait en terre inconnue. Joséphine lui plaisait, bien sûr, et imaginait bien comment la soirée pouvait évoluer, mais cette envie était-elle réciproque, ou bien Joséphine la voyait-elle simplement comme une simple bonne copine avec qui papoter en buvant des cocktails ? Avec le métier qu'elle exerçait, avait-elle seulement encore envie de ce genre de choses sur son temps personnel, d'ailleurs ? Tant de mystères, mais c'était aussi cela qui l'attirait chez Joséphine : cette aura énigmatique qu'elle dégageait et qui attirait Sofya comme un papillon de nuit attiré par la lumière...

Pour l'heure, si elle ne se sentait pas éclairée sur ces questions, Sofya n'en passait pas moins une excellente soirée. Une complicité naturelle semblait se nouer entre les deux jeunes femmes, qui parlaient un peu et riaient beaucoup. Envahie par une agréable chaleur, provoquée par le vin et le plaisir de la conversation, Sofya évoquait avec humour les facéties de leurs patrons aux Folies : il fallait dire qu'entre Roy et Mildred, le potentiel comique était présent.

"Mais oui, à la soirée cuir, tu n'as pas remarqué ?", disait-elle en riant, "Elle n'arrêtait pas de gigoter dans son pantalon moulant, je te jure, soit elle avait les sous-vêtements les plus inconfortables de la terre, soit elle a attrapé une maladie magique sexuellement transmissible... si c'est ça, imagine l'épidémie parmi les employés de Multiplette !"

Le scandale #balancetapie venait d'éclater et d'entacher sévèrement la réputation de la journaliste : véridique ou pas, cette histoire jetait fatalement le trouble sur la libidineuse patronne des Folies. Sofya n'avait pas été plus étonnée que cela de ces révélations, étant trop proche de Toni pour se faire encore des illusions quant à l'appétit sexuel de Mildred... Mais, après tout, cela ne la regardait pas.

"J'aurais aimé ne pas le remarquer ! répliqua Joséphine avec un soupir affligé. La vision des fesses de Mildred qui se tortillent dans son pantalon en cuir trop serré est imprimée sur ma rétine à vie ! Elle éclata d'un rire franc avant de poser un regard malicieux sur son hôte. En revanche, tu portais le cuir à merveille, ce soir là..."

Son air mutin se changea bien vite en grimace à la mention d'une potentielle maladie sexuellement transmissible que Magpie pourrait répandre parmi les employés de Multiplettes et Joséphine balaya cette théorie d'un geste de la main pour la chasser loin de son esprit.

La danseuse passait une soirée très agréable, en compagnie plus que charmante. La discussion avec Sofya était naturelle, fluide, et le flirt entre elles devenaient de plus en plus évident. Joséphine avait tant l'habitude de se montrer séductrice et enjôleuse qu'elle se rendait à peine compte de sa propre attitude. Draguer une autre femme était beaucoup moins habituel, mais pas inédit non plus. Elle avait fréquenté de très belles femmes de très près et s'était parfois prêté à quelques jeux de séduction, tant pour satisfaire sa curiosité que pour flatter son égo. Mais elle n'avait jamais donné suite à ces baisers volés ou à ces histoires sans lendemain. Elle n'avait rien connu d'autre que des aventures passagères depuis très longtemps.

Elle avait envie de plus cette fois-ci. Elle voulait apprendre à connaitre Sofya, vraiment. Percer ses secrets, connaitre ses rêves, et ses peurs. Elle savait que c'était un pari perdu d'avance, que ses relations ne duraient jamais, et qu'elle finirait par en souffrir, mais elle avait envie de tenter sa chance, pour une fois. Joséphine s'était persuadée que Sofya valait la peine de prendre le risque. Elle avait attendu cette soirée avec trop d'impatience pour prétendre que la jeune femme ne l'intéressait pas ; la belle comédienne la captivait et elle ne demandait qu'à la découvrir davantage, dans tous les sens du terme.

Toutefois, la danseuse n'était pas certaine que son envie soit partagée par la mystérieuse actrice. Elle avait travaillé dans l'industrie du sexe suffisamment longtemps pour reconnaitre les signes et il était assez évident que Sofya était ouverte à un rapprochement physique, mais avait-elle envie de plus que ça ? Sofya savait très bien ce que Joséphine offrait comme prestations dans l'aile ouest. Sachant cela, était-il encore possible qu'elle cherche autre chose qu'une histoire d'un soir ? Si c'était ce qu'elle voulait, la danseuse saurait s'en contenter, mais elle était prête à lui donner bien plus que ça.

Joséphine hésitait, l'esprit rendu trouble par le vin et par la proximité de Sofya, assise juste à côté d'elle sur le sofa. Devait-elle renoncer à l'espoir d'une relation plus profonde et saisir l'opportunité de passer un bon moment quand elle en avait l'occasion ? Il aurait été facile de continuer sur le terrain des conversations légères, de se rapprocher un peu de Sofya sur le canapé, de laisser ses mains effleurer les genoux nus de la belle comédienne, et remonter le long de sa cuisse... Joséphine séduisait comme elle respirait, elle savait très bien comment attirer quelqu'un dans son lit. Elle était douée pour les histoires de sexe, oui, mais beaucoup moins pour les histoires de coeur.

"Je ne t'ai jamais demandé, lança-t-elle, soudainement plus sérieuse, en se redressant sur le canapé pour faire face à Sofya. Qu'est-ce qu'il s'est passé...avec la femme brune de la vision ?"

Elles n'en avaient jamais parlé et Joséphine avait simplement pris pour acquis que la comédienne s'était séparée de son amie, comme elle l'avait prédit, mais elle était curieuse d'en apprendre davantage sur la vie amoureuse de Sofya, espérant que cela l'éclairerait un peu sur les intentions de la jeune femme.

Un voile de tristesse passa sur le visage de la comédienne à l'évocation de son ancienne petite-amie. Elle n'avait pas oublié cette prédiction que lui avait fait Joséphine, il y a de cela neuf mois désormais. Elle se souvenait parfaitement la façon dont elle lui avait répondu, froidement et avec certitude, qu'elle n'avait jamais été aussi heureuse. Pourtant, l'avenir avait fini par donner raison à Joséphine, soulignant ainsi la véracité de ses talents de voyante...

"Il s'est passé que tu avais vu juste, finalement", répondit-elle avec un maigre sourire. Elle se pencha pour poser son verre sur la table basse, et rassembla sa masse de cheveux bouclés en une haute queue de cheval.

"Nous sommes séparées, il y a de cela quelques mois. Elle m'a quitté", précisa-t-elle en détournant le regard pour le laisser errer dans la pièce tamisée. Sofya savait pertinemment qu'elle n'avait qu'elle à blâmer pour cette séparation, elle et ses mensonges, ses manipulations, qu'elle n'avait su sacrifier au bénéfice de sa vie personnelle. Hélas, il avait fallut qu'elle perde Nasreen pour réaliser à quel point leur relation était devenue importante pour elle - non, pas seulement importante, vitale. Sans elle, elle s'était retrouvée en perdition, et en payait aujourd'hui le prix.

"C'est ma faute, elle a finit par découvrir certaines choses que je lui dissimulais, et n'a pas apprécié la découverte... je ne peux pas la blâmer."

Un sourire tendre apparut furtivement sur ses lèvres, alors qu'elle reportait son attention sur Joséphine. Oui, Sofya s'en voulait d'avoir gâché cette belle relation naissante, mais plus le temps passait, plus la douleur s'atténuait, et plus elle se disait qu'elle n'aurait jamais été la femme que Nasreen espérait, de toute façon. C'était peut-être pour le mieux, qu'elles continuent chacun leur bout de chemin de leur côté. Sofya était de toute manière habituée à sa solitude.

"A trop travailler aux Folies, on finit par développer de sales habitudes", commenta-t-elle avec un brin de fatalité. Sofya savait que son mode de vie n'était pas facilitant pour entretenir des relations sérieuses, et s'en accommodait bien depuis des années. Elle était habituée à ne rendre de comptes à personne et à n'avoir personne à décevoir, alors ce n'était peut-être pas plus mal... Au fond, c'était certainement Joséphine qui avait raison, quand elle lui disait ne rien vouloir de compliqué. Les souvenirs de leur conversation, ce soir là aux Folies Sorcières, lui revinrent en mémoire et elle interrogea sa jolie convive du regard.

"Et toi, alors, tu penses toujours que l'amour ce n'est pas pour toi, j'imagine ?"

Joséphine regretta immédiatement sa question indiscrète en voyant le regard de Sofya se voiler de tristesse. Elle se mordit la lèvre, embarrassée par sa maladresse, et répondit au sourire triste de la comédienne quand celle-ci lui répondit que sa vision s'était finalement réalisé. Elle ne se donna pas la peine de feindre la surprise, ses visions se concrétisaient toujours, d'une façon ou d'une autre.

"Oh, je suis désolée..." répondit-elle quand la jeune femme lui expliqua que c'était son amie qui l'avait quitté.

Elle n'était pas vraiment désolée -elle accueillait le célibat de Sofya comme une excellente nouvelle- mais elle était sincèrement triste pour elle que sa dernière relation se soit mal terminée. La belle comédienne précisa que c'était les secrets qu'elle avait gardé qui lui avaient coûté sa relation et Joséphine hocha gravement la tête. Elle retint de justesse les questions qui lui brûlaient les lèvres, renonçant à percer le mystère qui entourait la jeune actrice, et qui faisait partie de son charme. Elle savait mieux que personne à quel point il pouvait être important de garder certains aspects de sa vie secrets, même au sein de son couple.

"Les secrets ne sont pas toujours une mauvaise chose, commenta-t-elle, évasive. C'est important, de garder une part de mystère... Et Sofya savait décidément comment éveiller sa curiosité. Joséphine répondit par un éclat de rire désabusé sur le commentaire de la jeune femme au sujet des mauvaises habitudes qu'on adoptait à trop travailler aux Folies. Ce n'est pas moi qui vais te contredire..."

Elle aurait bien vidé un verre de vin, pour accompagner le fatalisme de cette déclaration, mais les deux bouteilles qui trônaient sur la table étaient tristement vides. Avec un soupir las, la danseuse bascula sa tête en arrière contre le dossier du canapé et ferma les yeux une seconde. Elle rouvrit finalement les paupières et son regard vint se poser sur le visage de Sofya quand celle-ci la questionna à son tour.

Joséphine se souvenait parfaitement lui avoir affirmé, lors de leur dernière conversation, qu'elle était une célibataire endurcie qui ne cherchait pas de relation sérieuse. C'était un discours qu'elle servait souvent, et elle avait même fini par se convaincre elle-même que c'était la vérité. Au fond elle savait bien que ce n'était pas tout à fait vrai. Ce n'était pas parce qu'elle ne voulait pas d'histoires de coeur qu'elle n'en avait pas, c'était parce que les siennes ne terminaient jamais bien qu'elle n'en voulait plus.

"On va plutôt dire que je me suis résignée... répondit-elle en fixant à nouveau le plafond sans vraiment le regarder. Je n'ai jamais eu de chance de ce côté-là. Et c'était un euphémisme. Mais c'est parfois difficile de résister à la tentation..."

Elle laissa un sourire enjôleur fleurir doucement sur ses lèvres et glissa un regard enjôleur en direction de Sofya.

"Et toi, quelqu'un en vue ? Ou tu profites des joies du célibat ?" demanda-t-elle, en toute innocence.

Sofya, qui ne s'attendait pas à la réponse pleine de mélancolie de sa convive, se redressa sur un coude pour mieux pouvoir la contempler. Joséphine lui avait semblé tellement sure d'elle et pleine d'assurance lors de cette fameuse conversation, qu'elle avait pris pour acquis le fait que la danseuse n'envisageait plus de vivre une histoire romantique. Il est vrai qu'elles se connaissaient alors très mal, contrairement à maintenant, et l'atmosphère tamisée de l'appartement comme les nombreux verres de vin qu'elles avaient bu incitaient d'avantage à la sincérité des confidences. C'était une nouvelle qu'elle prenait avec un enthousiasme un peu trop suspect, et qui ne la laissait pas indifférente.

Peut-être était-ce le vin, mais la remarque sur la tentation lui parut tout particulièrement destinée. Difficile de ne pas répondre à ce sourire enjôleur sur les lèvres terriblement attirantes de la jolie danseuse, difficile d'ignorer la chaleur qui l'envahissait peu à peu et l'espoir qui faisait battre son cœur un peu plus vite. Sofya ne savait pas exactement dans quoi elle s'apprêtait à s'embarquer - une histoire d'une nuit, de quelques nuits ? Ou alors quelque chose de plus sérieux, et était-ce bien raisonnable alors que son état émotionnel restait fragile ? Peu importe, Joséphine venait de lui glisser une ouverture et elle avait toutes les raisons de s'y engouffrer...

Joséphine était une personne bien trop jeune et éblouissante pour s'être déjà résignée.

Un sourire emprunt de mystère flotta sur son visage à l'entente de sa question. En l'espace d'une seconde, elle s'était décidée, décidée à prendre le risque d'une situation gênante, car il lui semblait que les signaux de la danseuse étaient plutôt clairs... et si elle se trompait, alors tant pis, elle perdrait un peu la face mais s'en remettrait. Décroisant les jambes, elle se laissa glisser de quelques centimètres sur le canapé en se tournant vers Joséphine.

Tout en Sofya dégageait une sensualité sourde, ses joues rosies par la chaleur de la pièce et les effluves d'alcool, ses boucles dorées qui retombaient ponctuellement devant ses yeux, son corps tout en courbes lascivement tourné vers la jeune femme. Avec Joséphine, elle se trouvait naturellement à adopter une attitude de séduction, à rechercher ses faveurs, sans bien savoir où s'arrêtait le jeu et où commençait quelque chose de plus sérieux.

Plongeant un regard ardent dans celui de la jeune femme, elle tendit la main vers son son poignet, qu'elle effleura du bout des doigts.

"Quelqu'un en vue...", répondit-elle de sa voix chaude, en se rapprochant un peu plus. Délaissant son poignet, elle redressa la main jusqu'à son visage, caressant sa joue, glissant jusqu'à sa nuque.

"Quelqu'un qui ne résistera pas à la tentation, je l'espère", souffla-t-elle en s'arrêtant à quelques centimètres de son visage. Son regard glissa sur les lèvres de Joséphine avant de revenir à hauteur de ses yeux, l'incitant silencieusement à franchir ce pas. Haussant un sourcil, elle abordait un air de défi, préférant se retrancher derrière une attitude joueuse pour ne pas dévoiler à quel point Joséphine la troublait.

Joséphine attendit avec un mélange d'appréhension et d'excitation la réponse de Sofya, en se préparant mentalement à ne pas laisser voir sa déception si cette dernière ne lui convenait pas.

Il était parfaitement possible que la belle comédienne ait quelqu'un en vue, quelqu'un qui ne soit pas elle, et alors la danseuse aurait accepté de mauvaise grâce le rôle de l'amie confidente et l'aurait écouté parlé de sa nouvelle cible aussi longtemps qu'elle l'aurait voulu. Il était tout aussi probable que la jeune actrice n'ait pas envie d'une nouvelle relation, elle qui sortait d'une rupture, et Joséphine se serait contenté d'une aventure sans lendemain, si c'était ce que Sofya recherchait. Mais ce qu'elle espérait, sans vraiment oser se l'avouer, c'était que la jeune femme soit intéressée par elle. Elle essayait toutefois de ne pas laisser son imagination s'enflammer, elle savait qu'elle risquait d'être déçue.

Tous les sens en alerte, et un peu anxieuse, Joséphine observa l'attitude de Sofya changer alors que la belle comédienne décroisait les jambes pour se rapprocher d'elle sur le canapé. Une douce chaleur se diffusa doucement en elle alors que son regard glissait sur les jambes nues de la jeune femme, remontait jusqu'à son visage aux joues rosies, et s'arrêtait finalement sur ses yeux brillants. Un frisson parcourut son dos quand Sofya effleura son poignet et elle baissa les yeux pour observer les longs doigts de l'actrice qui caressaient sa peau. Elle releva le regard quand la main de Sofya se posa sur sa joue et elle se perdit à nouveau dans les yeux brillants de la jeune femme.

Un sourire doux se dessina sur le visage de la danseuse alors que le souffle chaud de Sofya venait caresser ses lèvres. Toutes ses questions n'avaient pas trouvé de réponses, mais celle que lui apportait la belle comédienne lui suffisait pour le moment. Elles auraient le temps plus tard pour réfléchir à ce qu'elles voulaient construire ou non et à ce que cette soirée signifiait, pour le moment elle voulait saisir sa chance et profiter de cet instant suspendu, comme hors du temps.

Joséphine fit durer ce moment quelques secondes, comme pour mieux le graver dans sa mémoire. Elle s'enivra du parfum de Sofya, effleura son genou de la main, contempla ses lèvres charnues.

"Le meilleur moyen de résister à la tentation c'est d'y céder..." récita-t-elle dans un murmure.

Sa main glissa du genoux de la comédienne jusqu'à sa hanche et se posa au creux de sa taille. Joséphine attira un peu plus la jeune femme à elle et s'empara de ses lèvres avec douceur, savourant avec délice la douce chaleur qui se répandait lentement dans son corps. Elle laissa de côté ses doutes, ses principes et ses appréhensions et s'abandonna complètement au réconfort de cette étreinte. Elle glissa son autre main dans les boucle de Sofya et elle approfondit leur baiser, le coeur battant et le souffle court.

Quand elle se sépara finalement de la jeune femme après plusieurs délicieuses secondes, elle avait les yeux pétillants de malice et les joues rosies par le plaisir.

"J'avais espéré que tu répondrais ça..." avoua-t-elle d'une voix douce en jouant distraitement avec les boucles blondes de la belle comédienne.

Le sourire de Joséphine suffit à rassurer Sofya, qui sentit son cœur s'emballer dans sa poitrine lorsqu'elle glissa sa main sur son genou. Elle retint inconsciemment sa respiration en savourant ce contact électrisant sur sa peau nue, tout en avisant le regard de Joséphine qui s'égarait inexorablement vers ses lèvres. La main de Joséphine se nicha au creux de sa taille, et Sofya lui répondit en lui saisissant la nuque, prête à recevoir son baiser. Elle le lui rendit avec douceur, accueillant avec plaisir cette douce sensation de bien-être qui se répandait dans tout son corps à mesure que leur étreinte se faisait moins timide. Entièrement absorbée par Joséphine, elle savoura avec délice ce moment de volupté qu'elle avait espéré et imaginé plusieurs fois, plus ou moins consciemment, sans bien savoir ce qu'elle en attendait. Ce n'était peut-être pas très sage, pour tout un tas de raison, mais à cet instant elle n'en voyait pas une seule qui vaille la peine de se détourner de la belle Joséphine.

L'expression de cette dernière reflétait la sienne lorsqu'elles se séparèrent, empreinte de malice, surprise et ravie de découvrir que son attirance était réciproque et ses envies partagées. Son regard accroché à celui de la jeune femme, son bras étendu sur le canapé derrière elle, Sofya répondit à sa confidence en rosissant de plaisir. Son sourire se fit plus taquin lorsqu'elle lui répondit.

"Je me disais que ce n'était pas une question tout à fait innocente. Même si je dois t'avouer que je n'étais pas complètement sure de moi", confessa-t-elle avec un brin d'auto-dérision, "mais cela valait la peine de tenter ma chance."

Incapable de décrocher son regard de celui de la jeune femme, elle n'aspirait qu'à l'attirer tout à fait dans ses bras, curieuse de découvrir les courbes de son corps, de s'enivrer de son parfum grisant, dont les effluves venaient tenter ses narines. Elle voulait retrouver la sensation de sa main fraiche sur son genou, retrouver ce frisson qui l'avait électricité à cet infime contact, et pouvait imaginer cette main qui se mouvait contre sa peau, remontait lentement le long de sa cuisse, et... Les pommettes de Sofya s'empourprèrent et elle détourna les yeux, un sourire coupable au coin des lèvres. Inutile de laisser son imagination s'emballer, elles avaient tout le temps et Sofya ne souhaitait rien brusquer, préférant laisser Joséphine mener la danse. Peut-être parce qu'elle occupait ce si singulier métier, Sofya ne savait pas exactement comment se positionner, et ne souhaitait pas la presser d'une façon ou d'une autre.

Laissant reposer sa tête sur le dossier du canapé, à quelques centimètres de celle de Joséphine, elle l'attira doucement contre elle pour l'embrasser une seconde fois. Un baiser tendre, suave, suffisamment bref pour la laisser envahie par un désir puissant qu'elle dissimula tant bien que mal derrière un sourire un peu trop large.

"Hmm", souffla-t-elle en se raclant la gorge, alors qu'elles se séparaient une seconde fois. Elle entrelaça doucement ses doigts aux siens et murmura : "J'espère que tu n'es pas trop résignée quand même..."

Elle devait bien l'avouer, Sofya pouvait imaginer un lendemain à cette soirée. Cela la surprenait, et peut-être était-ce trop tôt par rapport à ce qu'elle avait pu vivre, mais comment ne pas s'abandonner à cette chaleur qui l'envahissait lorsqu'une nouvelle personne lui plaisait... La comédienne n'avait jamais voulu d'une vie conventionnelle, elle n'avait jamais rêvé à un grand mariage en blanc, à un joli petit pavillon de banlieue, à des enfants, un chien et un balai familial. L'espionne nourrissait des ambitions trop complexes pour cela. Pour autant, elle chérissait cette complicité qui se développait entre Joséphine et elle, et elle pouvait s'imaginer nouer avec elle une relation plus intime... Si la jeune femme le voulait aussi.

Ses doigts fins jouant distraitement avec les boucles sauvages de la belle comédienne, Joséphine affichait un sourire rayonnant, son regard plongé dans celui de Sofya qui lui renvoyait sa propre excitation. Leurs visages à quelques centimètres à peine l'un de l'autre, les deux jeunes femmes étaient absorbées toutes entières dans cette bulle de complicité nouvelle, pleine de surprises et de promesses. La danseuse laissa s'étirer ce moment suspendu, admirant le visage souriant de Sofya, s'enivrant de son parfum et savourant le goût que ses lèvres douces avaient laissé sur les siennes.

"Je plaide coupable, répondit-elle en riant doucement quand la jeune femme sous-entendit que sa dernière question n'était pas innocente. Je n'étais pas sûre de moi non plus..."confessa-t-elle avec un sourire.

Elle ne l'était toujours pas, d'ailleurs. Elle ne savait pas ce que Sofya recherchait, ni la suite que la jeune actrice entendait donner à ce baiser. Peut-être aurait-il fallu en parler, dès maintenant. Clarifier les choses avant d'aller plus loin, ça aurait été plus raisonnable. Mais c'était prendre le risque d'un désaccord, c'était se lancer dans une discussion difficile, c'était poser des questions auxquelles Joséphine n'avait aucune envie de répondre pour le moment. Elle savait comment cette conversation risquait de se terminer. Son métier finirait par être évoqué, avec des mots teintés de gêne et de curiosité, cela soulèverait des questions, causerait des problèmes. Et elle partirait à la première difficulté, parce que c'était ce qu'elle faisait toujours. Joséphine était pas de ceux capables de s'accrocher à leur couple face à toutes les difficultés, elle ne savait pas se battre pour garder ses relations. A la première dispute, aux premières tensions, elle préférait abandonner tout de suite plutôt que de prendre le risque de souffrir davantage.

Parce qu'elle n'avait absolument pas confiance en sa capacité à affronter cette conversation tout de suite, la danseuse était décidée à la repousser aussi longtemps qu'elle le pouvait. Une part d'elle mourrait pourtant d'envie de savoir si Sofya imaginait une suite à cette soirée, mais maintenant qu'elle avait goûté aux lèvres de la belle comédienne, Joséphine avait envie de plus. Elle voulait s'abandonner à la nuit qui les attendait, à leur proximité nouvelle et à ce désir partagé. Elle voulait profiter tant qu'elle le pouvait. Elles parleraient plus tard.

Elle se laissa attirer de nouveau contre la comédienne et soupira de plaisir quand ses lèvres se pressèrent sur les siennes. Une décharge électrique parcourut sa colonne vertébrale et son dos se cambra alors que son corps cherchait à se rapprocher de celui de Sofya. Leur étreinte prit fin bien trop vite au goût de Joséphine, la laissant fiévreuse et emplie d'un désir inassouvi.

Un sourire doux mais teinté de regrets se traça sur ses lèvres quand Sofya entremêla ses doigts aux siens, avant de lui demander dans un murmure si elle n'était pas trop résignée. Elle n'allait peut-être pas pouvoir esquiver la discussion si facilement qu'elle l'aurait voulu.

"Non, je ne suis pas vraiment résignée, confessa-t-elle en posant doucement sa tête contre le bras que Sofya avait étendu sur le dossier du canapé. C'est juste plus facile de dire que je ne veux pas de relations sérieuses plutôt que d'avouer qu'elles ne fonctionnent jamais, expliqua-t-elle avec un éclat de rire qui sonnait un peu faux, en baissant les yeux sur leurs mains jointes. Enfin, presque jamais...Je ne m'avoue pas complètement vaincue...précisa-t-elle en relevant timidement le regard vers le visage de Sofya, à quelques centimètres du sien. Je veux bien retenter ma chance..." souffla-t-elle dans un murmure, reprenant intentionnellement la formule que la comédienne avait employée un instant plus tôt.

Elle ne prenait jamais tant de risques, elle n'avait pas l'habitude de se dévoiler autant dès le début d'une relation et, pleine d'inquiétudes, elle guetta la réponse de Sofya, le coeur gonflé d'espoir.

Le cœur battant la chamade, Sofya attendit la réponse de Joséphine avec une once de timidité qui ne lui était pas coutumière. Il lui semblait que sa question avait fait naître un voile de tristesse sur le visage de son invitée, et elle se morigéna intérieurement, regrettant déjà son interrogation. Peut-être que pour ce soir, il valait mieux laisser leurs gestes et leurs actes parler d'eux-même, assouvir ce désir, qui chargeait l'air d'une tension palpable chaque fois qu'elles se retrouvaient dans un cadre un tant soit peu intime.

Finalement, Joséphine lui fit une réponse douce et prudente, en reposant sa tête contre son bras. Du bout des doigts, Sofya joua avec l'une de ses mèches de cheveux, tout en se perdant dans ce regard ingénu qui séduisait si bien les hommes. Sa conclusion accéléra son rythme cardiaque, déjà effréné, alors que ses entrailles remuaient dangereusement. Joséphine était prête à essayer. Et elle, Sofya, était-elle prête ? Que désirait-elle ? N'aurait-elle pas dû se poser, analyser la question ? Une crainte toute naturelle jaillit en elle, qu'elle repoussa en resserrant son étreinte sur la main de la danseuse. Il s'agissait de Joséphine, face à elle, une danseuse des Folies, cette fois, pas une milicienne, la situation était complètement différente. Bien sûr, que son cœur s'affolait à la perspective de se laisser capturer une fois de plus, bien sûr qu'elle craignait une nouvelle désillusion, mais c'était la même crainte que Joséphine exprimait face à elle. Elles étaient deux dans cette histoire, à avoir eu plus que leur lot d'aventures avortées, et cette réalisation suffisait à la rassurer.

"Sache qu'on en est exactement au même point, dans ce cas", répondit-elle en esquissant un sourire encourageant, autant pour Joséphine que pour elle-même. Avec Nasreen, Sofya venait de connaître une désillusion immense, incapable de réaliser à temps à quel point ses sentiments étaient profonds et sincères. Elle se remettait encore de cette séparation, qu'elle imaginait à l'époque être la dernière avant bien longtemps, mais c'était justement forte de cette récente expérience qu'elle entendait bien profiter de ce qu'elle avait sous les yeux et apprécier cette relation naissante à sa juste valeur. Joséphine et elle se plaisaient mutuellement d'une attirance réciproque, et c'était bien tout ce qu'elles avaient besoin de savoir. C'était bien tout ce qui comptait, au-delà de toutes les raisons qu'elles pouvaient se donner pour ne pas se lancer. Cette émotion puissante qui s'emparait d'elle et faisait enfler sa poitrine, à la sensation douce des lèvres de Joséphine contre les siennes, ce bien-être qui l'envahissait toute entière et cette chaleur qui l'inondait toute entière emportaient toutes ses réticences.

Lentement, ses doigts fins délaissèrent la chevelure de Joséphine pour déposer une caresse le long de son cou gracile, où elle se pencha pour déposer ses lèvres brûlantes. Sofya déposa une série de baisers au creux de son cou et de sa mâchoire, tout en dénouant leurs mains liées pour venir s'emparer de la taille de Joséphine. D'abord tendres et sensuels, leurs baisers devinrent bientôt passionnées, alors que Sofya l'attirait impérieusement à elle. Elle bascula en arrière sur le canapé, entraînant Joséphine dans sa chute. Elle étouffa un soupir d'aise en sentant les courbes de son corps venir épouser les siennes, et Joséphine lui rendre ses caresses. Peu à peu, ses mains se glissèrent sous les vêtements de la danseuse tandis que sa bouche se perdait de nouveaux dans son cou et dans l'échancrure de son décolleté. En dépit du désir pressant qui dictait l'urgence de ses gestes, Sofya s'efforça de ne pas aller trop vite, car elle souhaitait savourer chaque instant, elle qui avait plusieurs fois fantasmé cet instant. Elle voulait prendre le temps de la découverte, de laisser leurs corps s'apprivoiser et d'explorer peu à peu le corps ferme et sensuel de sa partenaire. Elle voulait sublimer chaque courbe et chaque angle du corps dénudé de Joséphine d'un baiser, d'une caresse, jusqu'à la sentir frémir dans ses bras, jusqu'à la voir, chancelante de plaisir, atteindre la jouissance sous l'effet de ses caresses, tout contre elle.

Bientôt, elles oubliaient l'une dans les bras de l'autre toute trace de leur conversation, bien loin des regards prudents et des propos hésitants qu'elles se jetaient un peu plus tôt. Complètement absorbée par leur étreinte, Sofya avait perdu toute notion du temps. La nuit était probablement bien avancée lorsqu'elle se retrouva, la tête échouée contre l'épaule de Joséphine et le souffle court, à reprendre peu à peu ses esprits. D'un doigt tremblant, elle décolla une mèche trempée de sueur de son front et laissa son regard errer dans son salon. Il effleura le tissu délicat de sa robe, échouée au sol, accrocha la bretelle d'un soutien-gorge en dentelle qui reposait sur la table-basse, et se noya enfin dans le liquide rubis au fond d'un verre à pied. Une chandelle blanche brûlait lentement vers sa belle mort, et projetait ses rayons tremblotants à travers le verre translucide. Sofya resta un moment à observer les nuances fascinantes du rouge profond, laissant son souffle effréné retrouver un rythme plus apaisé. Finalement, elle redressa un regard incandescent vers Joséphine, apprécia un instant son expression alanguie.

"Tu es magnifique", murmura-t-elle finalement en se penchant pour déposer un infime baiser sur ses lèvres pleines. C'était probablement quelque chose qu'on lui disait souvent, mais Sofya avait la prétention d'espérer que cela signifiait un petit peu plus venant de sa part. Car ce compliment ne s'adressait pas qu'à sa plastique, mais bien à la personne toute entière qu'était Joséphine, quelqu'un qu'elle admirait, auprès de qui elle se sentait bien et entièrement libre d'être elle-même, sans faux semblants. L'intimité nouvelle qu'elles partageaient lui semblait sincère et précieuse, et s'il était trop tôt pour le dire, c'était ce qu'elle espérait exprimer, par la tendresse de son regard. De nouveau, elle s'empara doucement de sa main pour entrelacer leurs doigts et caresser le dos de sa main d'un geste distrait. Un sourire s'épanouit sur son visage, alors qu'elle fermait les paupières et se laissait envahir par la torpeur.

Joséphine frémit quand les doigts de Sofya effleurèrent sa peau en glissant sur son cou où ils furent vite chassés par les lèvres tendres de la comédienne. Elle ferma les yeux et savoura le plaisir de ce baiser et de ceux qui suivirent, les mains de la belle actrice se placèrent autours de sa taille et elle glissa les siennes dans ses cheveux bouclés.

Elle avait l'habitude d'être touchée, caressée, mais rarement avec autant de douceur. Avec les années, elle avait appris à se détacher de son corps, à agir presque mécaniquement, à stimuler une présence qui n'était en réalité que physique. Elle était capable de faire n'importe quoi, avec n'importe qui -et de le faire bien- sans presque rien ressentir. Avec Sofya elle voulait se concentrer sur chaque sensation, vivre pleinement chaque baiser, savourer chaque caresse. Elle voulait se donner toute entière, au delà de son simple corps.

La danseuse soupira d'aise en s'allongeant contre le corps de Sofya qui semblait fait pour épouser parfaitement le sien. Sa main délaissa les boucles de la comédienne pour venir effleurer sa poitrine, caresser sa taille et se glisser sous sa robe. Elle oublia les réflexes qu'elle avait acquis par la force des choses, elle abandonna toute réserve, oublia d'être séduisante, s'autorisa à penser à elle, et à prendre plaisir à cette étreinte. Elle retrouva l'envie de satisfaire sa partenaire quand rien ne l'y obligeait si ce n'était le désir de vouloir la combler. Le souffle court et le coeur battant la chamade, elle pressa davantage son corps contre celui de Sofya alors que leurs caresses se faisaient moins timides et que la tendresse laissait place à un empressement fiévreux. Elle s'abandonna complètement à cette étreinte, arrêta de réfléchir et se laissa seulement guider par ses propres sensations et celles de Sofya, par leurs souffles mélangés et leurs corps entremêlés.

Ses pensées ne retrouvèrent un fil cohérent que de longues minutes plus tard quand, les yeux fermés, elle reprit doucement son souffle, sa respiration calée sur celle de Sofya dont le corps chaud était encore lové contre le sien. Elle aurait voulu ne jamais ouvrir les yeux et profiter infiniment de ce sentiment de plénitude. Mais déjà elle sentait les doutes et les craintes qu'elle avait mises de côté ramper à nouveau jusque dans son esprit. La danseuse ouvrit les paupières et son regard caressa les boucles blondes de Sofya, éparpillées sur son épaule. Elle y glissa délicatement ses doigts et un sourire tendre se dessina sur ses lèvres quand la belle comédienne releva les yeux vers elle.

"Pas autant que toi", souffla-t-elle en réponse au compliment de la jeune femme.

Elle avait toujours trouvé Sofya très attirante, mais jamais elle n'avait été si belle qu'en cet instant, avec ses yeux brillants, ses joues rosie et sa chevelure blonde désordonnée. La comédienne avait déjà refermé les yeux, emportée par une douce torpeur, et Joséphine continua de la couver d'un regard doux, en essayant vainement de tenir ses doutes à distance. Elle était encore étourdie par leur étreinte mais ne pouvait pas s'empêcher de se demander ce qu'elle signifiait. Sofya cherchait-elle quelque chose de durable, ou même de sérieux ? Elle avait répondu être dans la même situation qu'elle, mais Joséphine n'était pas certaine de bien interpréter cet aveu et craignait d'avoir simplement compris ce qu'elle voulait entendre. Elle avait des questions plein la tête mais n'osait pas les poser. Elle ne savait plus comment se comporter. Elle ne demandait qu'à passer le reste de la nuit dans les bras de Sofya, mais ne savait pas si la jeune actrice partageait cette envie. Elle n'avait pas l'habitude d'être confrontée à cette situation, c'était généralement le moment où elle se rhabillait et faisait comprendre à son client qu'il fallait partir, ou payer quelques minutes supplémentaires. Mais elle ne voulait pas partir, du moins pas avant d'être certaine qu'elles pourraient se retrouver à nouveau.

"Sofya... murmura-t-elle en espérant que la jeune femme serait endormie et ne lui répondrait pas. Est-ce que...? commença-t-elle, hésitante, quand la comédienne ouvrit les yeux. Qu'est-ce que tu fais mercredi soir ?"

Elle aurait voulu lui demander bien d'autres choses, mais n'en avait pas trouvé le courage. Elle avait trop peur d'être déçue et de gâcher ce précieux moment.

La voix douce de Joséphine tira Sofya de sa torpeur, qui rouvrit des paupières alanguies sans daigner bouger d'un millimètre. L'état bienheureux dans lequel elle se trouvait l'empêcha de s'alarmer au ton hésitant de sa partenaire, à qui elle se contenta de lancer un regard interrogateur. A sa question, un sourire tendre et amusé apparut sur son visage, et elle se redressa enfin sur un coude pour mieux pouvoir observer Joséphine. Une fois retombée la fièvre de leur étreinte, l'hésitation avait rapidement retrouvé ses droits dans le ton de Joséphine. Pourtant, Sofya, elle, ne se sentait guère inquiète : tout ce qu'elle avait besoin de savoir, Joséphine le lui avait montré par chacun de ses gestes, de ses regards.

"Mercredi, je serai sur scène...", répondit-elle avec malice, "...mais je suis libre jeudi ou vendredi."

Attrapant une mèche rousse et brillante de Joséphine entre ses doigts, elle se mit à jouer avec et à admirer les mille-et-une nuances que les cheveux prenaient, sous les rayons tremblotants que la chandelle projetait sur eux. Du bout du pied, elle caressa la jambe nue de la danseuse avant de se pencher vers elle pour déposer un infime baiser sur ses lèvres.

"J'ai très envie de te revoir, Joséphine", ajouta-t-elle pour rassurer la jeune femme qu'elle sentait subitement timide, timidité qui contrastait avec l'intimité qu'elles venaient de partager. "J'ai très envie de voir ce que cette relation peut donner, si tu en as envie aussi, bien sûr. Tu as dis être prête à retenter ta chance, et c'est mon cas aussi. Peut-être que nos relations n'ont jamais fonctionné jusque-là parce que nous n'avions pas encore rencontré quelqu'un d'aussi génial, c'est tout. Ça vaut le coup de vérifier, en tout cas."

Elle rejeta la tête en arrière en arborant un sourire faussement orgueilleux, avant de revenir poser sa tête sur l'épaule de la danseuse. Sofya ne voulait pas laisser de non-dits, pas cette fois. S'exprimer de manière énigmatique faisait partie de son charme et de sa personnalité, mais la comédienne avait fini par apprendre qu'en amour, cela pouvait lui jouer plus de tours que de bienfaits. Sans aller jusqu'à définir précisément les contours de cette nouvelle relation, elle voulait assurer Joséphine sur le fait qu'elle ne la voyait pas comme une simple histoire d'un soir, ni même de quelques soirs...

Son trouble était visiblement plus perceptible qu'elle ne l'aurait cru, à en voir le sourire tendre mais amusé de Sofya à l'entente de sa question. La belle actrice semblait avoir deviné toutes les interrogations non formulées que la danseuse avait vainement tenté de dissimuler sous cette question innocente, mais se plia au jeu et lui répondit avec malice qu'elle se produisait mercredi soir. Evidement.

Les soirs de congé des danseuses tombaient souvent les jours des représentations de théâtre, bien qu'elles soient parfois appelées pour travailler en salle, ou dans l'Aile Ouest. Partager une scène risquait de compliquer un peu leur emploi du temps, mais il en fallait plus que ça pour dissuader Joséphine de vouloir un autre rendez-vous.

"Peut-être que je viendrais te voir... répondit-elle avec un sourire rêveur. Pour des raisons évidentes, elle évitait de trainer aux Folies Sorcières quand elle ne travaillait pas, mais elle pouvait bien faire une exception. Je travaille tard vendredi soir..." ajouta-t-elle en s'efforçant de ne pas détourner les yeux.

Elle était persuadée que Sofya comprendrait ce que "travailler tard" signifiait dans son métier, et elle n'était pas prête à avoir cette conversation maintenant. Elle n'avait plus honte de ce qu'elle faisait, elle avait appris à l'assumer et à ne plus se laisser rabaisser. Pour autant, ce n'était jamais une chose facile à gérer dans une relation de couple et elle comprenait que cela puisse soulever des questions. Elle savait qu'il lui faudrait y répondre un jour, mais elle ne se sentait pas encore prête à aborder ce sujet sensible avec Sofya.

"Jeudi soir après le show ?"

Elle fréquentait les Folies et Sofya depuis suffisamment longtemps pour savoir que la belle actrice était, comme elle, un oiseau de nuit. Elle espérait donc que la jeune femme ne verrait aucun problème à la retrouver tard dans la soirée, une fois que le rideau serait tombé sur la scène des Folies. Elle avait très envie de revoir Sofya et d'apprendre à tout connaitre d'elle, et fut rassurée d'entendre que ce désir était partagé. Elle sentit son coeur se mettre à battre un peu plus vite alors que Sofya lui avouait vouloir donner une chance à leur histoire. Elle aussi, elle ne demandait que ça. Pourtant, elle n'arrivait pas à se débarrasser de sa peur. Elle n'avait plus de raison de craindre que Sofya la repousse, mais elle sentait une autre forme d'angoisse, terriblement familière, s'emparer lentement d'elle.

Elle n'avait plus vécu d'histoire longue depuis ses seize ans, elle ne se rappelait même plus de la dernière fois où elle était restée en couple plus de deux mois. Et elle ne pouvait pas s'empêcher de repenser à cette vision qu'elle avait eu, celle qui avait annoncé la rupture entre Sofya et la jolie brune. Et si un jour, elle avait la même vision concernant leur couple ? Ce ne serait pas la première fois que son don de divination viendrait mettre fin à une de ses relations. Elle ne devait pas penser à ça, songea-t-elle en s'efforçant de rejeter cette idée dans un coin de son esprit.

"J'ai très envie de tenter ma chance, moi aussi, répondit-elle tendre en effleurant distraitement les épaules de Sofya du bout des doigts. Qui sait, peut-être que notre chance a tourné ?"

Elle l'espérait en tout cas. Pour une fois, elle prenait le risque d'y croire, d'oublier ses craintes et ses mauvaises expériences, et de se donner à nouveau. Elle était persuadée que oui, ça valait le coup.