Mieux vaut tard que jamais [Astrid]

Eliott salua d’un sourire le chauffeur du magicobus et se faufila tant bien que mal entre les quelques passagers jusqu’à un siège vide ou il s’installa, Bianca sur ses genoux. Elle avait rendez-vous avec la pédiatre pour la visite de contrôle des dix-huit mois, avec quelques semaines de retard. Le début de l’été avait été un peu compliqué pour le jeune couple et ils avaient complètement oublié de programmer le rendez-vous, mais Eliott était persuadé que le médicomage ne leur en tiendrait pas rigueur. La visite de contrôle des dix-neuf mois était certainement tout aussi importante !

Fait assez exceptionnel pour être souligné, Eliott était parfaitement à l’heure. Il était même en avance, et s’était donc décidé à prendre le Magicobus -le transplanage était plutôt déconseillé chez les jeunes enfants, d’après un des bouquins de Charlotte.Et puis, il n’était pas mécontent d’avoir quelques minutes de trajet supplémentaires pour se préparer à retourner à Ste-Mangouste. Le jeune homme était un peu nerveux à l’idée de se retrouver à l’hôpital sorcier, où il n’était pas retourné depuis l’annonce de la mort de Samantha. Il avait promis à ses anciens collègues de passer les voir après le rendez-vous, mais n’était pas certain qu’il en aurait le courage. Il avait fini par donner sa démission, après un long congé maladie, et réfléchissait actuellement à sa deuxième -ou troisième ?- réorientation professionnelle.

Tout à ses pensées, il remarque avec amusement que Bianca semblait faire de grands sourires à quelqu’un, sur leur droite. Il tourna la tête et avisa une jeune femme rousse aux traits familiers, qui rendait ses sourires à la fillette, pour le plus grand bonheur de cette dernière. Il mit un instant à comprendre pourquoi la physionomie de l’inconnue ne lui était pas si inconnue que ça, et son visage s’éclaira quand il réussit finalement à mettre un nom sur ce sourire.

« Astrid ? l’appella-t-il, un peu hésitant. Il n’y avait pourtant aucun doute, c’était bien son ancienne camarade de classe, assise à deux sièges du sien. Elle n’avait pas changé ! Eliott Warlock, se présenta-t-il, conscient qu’après huit ou neuf ans elle ne se rappelait certainement plus des prénoms de tous les élèves de leur promotion. On était ensemble en Sortilèges ! »

Leurs vies avaient complètement changé depuis, pourtant il s'en souvenait comme si c'était hier.


« Monsieur Warlock, voulez-vous bien reposer les quatre pieds de votre chaise par terre ? »

La voix du Professeur Harris résonna dans la salle de classe silencieuse et tous les regards se tournèrent vers le dernier rang, où Eliott se balançait sur sa chaise, physiquement présent mais l’esprit à des kilomètres de Poudlard.

« Monsieur Warlock ! »

L’éclat de voix de son enseignant le fit sursauter et il perdit l’équilibre, se renversant par terre dans un bruit fracassant sous les éclats de rire de ses camarades. Le directeur de Serdaigle poussa un soupir, exaspéré, alors que son élève se relevait péniblement en massant son coude endoloris.

« Pardon…  marmonna Eliott en remettant sa chaise sur pied.
- Allez donc vous asseoir un peu au premier rang, cela ne vous fera pas de mal ! »

Le Gryffondor n’essaya même pas de protester et se traina jusqu’au premier rang sous le regard moqueur de Jensen, assis à côté de Lilly. Il se laissa tomber sur une chaise vide, à côté d’Astrid à qui il adressa un vague sourire. Il promena son regard autour de lui, découvrant la salle de classe sous un angle nouveau. Il ne se souvenait pas avoir jamais dépassé le troisième rang, sauf peut-être en étude des moldus.

« Et prenez donc des notes, ça vous changera ! »

Eliott profita du fait que son enseignant se trouve dans son dos pour lever les yeux au ciel, avant de se pencher vers sa voisine de table en grimaçant.

« Excuse-moi, tu peux me prêter une plume ? Et euh…un bout de parchemin ? »

Oui parce qu’Eliott Warlock venait en cours sans plume, et sans parchemin. C’était ce qu’on pouvait appeler un cas désespéré.

« Merci, c’est cool ! répondit-il avec un sourire en attrapant les fournitures qu’Astrid lui tendait. Je te le rendrai ! » ajouta-t-il en agitant le morceau de parchemin.




Il ne lui avait jamais rendu son morceau de parchemin, et il lui en avait même emprunté beaucoup d’autres, tout au long de l’année, mais Astrid ne lui en avait jamais tenu rigueur.

En partie parce que le Professeur Harris l’y obligeait, et en partie parce qu’il en avait envie, Eliott avait continué de s’asseoir au premier rang en cours de Sortilèges. Ses notes dans cette matière étaient toujours catastrophiques, mais il lui arrivait de bavarder un peu avec sa voisine de table, ce qui rendait toujours le cours un peu plus agréable -quand ils ne se faisaient pas sermonner par leur enseignant. La compagnie de la jeune fille n'était pas désagréable, elle riait à ses blagues nulles, le laissait copier sur ses notes, et elle sentait bon.

Comme à son habitude, le Gryffondor était arrivé juste à temps pour le début du cours, et se faufile aussi discrètement que possible -donc pas discrètement du tout- jusqu’au premier rang, alors que tous ses camarades étaient déjà installés. Il s’assit à sa place habituelle, attacha en chignon ses cheveux devenus trop longs et, après avoir vérifié qu’Harris ne regardait pas dans leur direction, se pencha vers sa voisine de table.

« Salut ! »

Mais Astrid ne leva même pas les yeux de sa feuille et continua de griffonner, alors même que le cours n’avait pas encore commencé. Loin de se formaliser de ce silence inhabituel, Eliott se contenta de lever les deux mains de chaque côté de son visage, comme un criminel pris en faute.

« Oui je sais, les ASPIC, il faut travailler, tout ça, je me tais ! »

Il ne dit plus rien et Astrid ne lui décrocha pas un seul mot pendant les deux heures de cours. Elle quitta même la classe sans lui dire au revoir, ce qu’il mit sur le compte du stress dû à l’approche des examens. Un peu refroidi, il ne s’installa pas à côté d’elle au cours suivant, se contentant de la saluer d’un geste de la main auquel elle ne répondit pas, et déserta peu à peu le premier rang, juste à temps pour retrouver son ancienne place avant la fin de l’année.

Il y avait une odeur de fin d’été dans l’air qui laissait Astrid pensive et contemplative des paysages qui défilaient derrière les vitres du Magicobus. Juste derrière elle, une famille avec deux enfants qui discutaient vivement des courses à faire sur le Chemin de Traverse lui rappelait que la rentrée scolaire approchait, et par conséquent, la sienne aussi. Elle avait pris trois semaines de congé et revenait la première semaine de septembre, comme la plupart de ses collègues du département. Comme toujours, ce constat la laissait quelque part entre l’empressement de retrouver ses sujets de recherche passionnants et ses collègues qu’elle appréciait et l’envie que les vacances se prolongent encore un peu, parce qu’elle n’avait pas eu le temps de faire tout ce qu’elle aurait voulu.

Peut-être parce qu’elle n’était pas pressée de rentrer chez elle et retrouver une routine qui lui rappellerait que la reprise du travail était proche, elle avait choisi de rentrer en Magicobus plutôt qu’en transplanage ou par Cheminette. C’était un peu plus long comme trajet, il fallait compter à peu près une heure entre la maison de ses parents où elle venait de passer une semaine et son appartement londonien. Mais c’était plus agréable. Elle n’aimait pas toujours l’instantanéité des moyens de transports sorciers les plus utilisés, c’était pratique quand on ne voulait pas perdre de temps, mais en l’occurrence, c’était la fin des vacances, elle avait tout son temps et c’était plus sympathique de lire tranquillement en laissant de temps à autres son regard vagabonder vers le paysage extérieur.

Ce fut la sensation d’une main sur son bras qui tira Astrid de sa lecture et la fit baisser le regard vers une petite fille blonde, à côté d’elle. Elle avait un sourire parfaitement adorable auquel Astrid ne put que répondre avec attendrissement. Elle aimait beaucoup la compagnie des enfants mais n’avait que trop peu l’occasion d’en croiser, à part quelques lointains petits cousins pendant les rassemblements de famille… Elle prêta volontiers quelques instants d’attention au bébé qui gazouillait joyeusement, maintenant, sans remarquer tout de suite que leur petite communication secrète avait attiré l’attention du père.

Astrid n’eut aucun mal à reconnaître cet homme et la surprise lui tira un mouvement de recul réflexe. Il avait changé depuis leur adolescence mais, pour être honnête, elle avait passé tant de temps dans sa jeunesse à étudier les traits harmonieux de son ancien camarade de classe qu’elle aurait pu reconnaître son visage dans à peu près n’importe quelles circonstances. Alors qu’elle avait été plus rapide à l’identifier, elle mit beaucoup plus de temps à réagir. Eliott, lui, la salua avec un entrain qu’elle reconnaissait bien aussi. Quant à Astrid, elle bafouilla -et se détesta immédiatement pour cela :

« Oh ! Euh oui, je… Je me souviens de toi. Ça fait longtemps. »

Elle se sentit aussitôt stupide car elle aurait préféré réagir avec le même naturel qu’Eliott qui se présentait avec une politesse et un sourire parfaits. Elle ne savait pas trop ce qu’elle était sensée faire dans ces circonstances. Elle n’était pas sûre que si c’était elle qui l’avait reconnu, elle serait partie lui parler. Elle aurait probablement plutôt détourné le regard… S’efforçant d’enterrer son embarras, elle rebondit sur le sujet qui les avait fait prêter attention l’un à l’autre, en désignant le bébé dans ses bras :

« C’est ta fille ? »



12 novembre 2001

Astrid ne pensait pas qu’elle aurait une raison de graver dans son esprit la date de ce triste et banal jour pluvieux de novembre dans son esprit, d’autant plus que le professeur Harris semblait particulièrement de mauvaise humeur et qu’elle s’était encore chamaillée avec le bon à rien qui lui servait de binôme en potions tout à l’heure. Les circonstances semblaient réunies pour qu’elle ait plutôt hâte de retrouver le réconfort de son lit, du moins jusqu’à ce que, par un hasard qu’elle ne comprit même pas, Eliott Warlock se retrouve assis à côté d’elle et lui adresse un sourire. Elle baissa aussitôt le regard sur son parchemin avec la sensation que ses joues étaient devenues un feu de cheminée et l’espoir vain que les bouclettes autour de son visage parvenaient à masquer ce spectacle. Paraître pour la dernière des idiotes niaises était vraiment la dernière chose dont elle avait envie mais à cet instant, elle se sentait parfaitement ridicule et heureuse à la fois, ce qui était exactement la définition d’une idiote niaise. Trop occupée à réaliser que le garçon pour qui elle avait toujours eu un faible était actuellement plus proche d’elle qu’il ne l’avait jamais été, elle n’entendit pas vraiment les commentaires secs du professeur Harris. En revanche, elle fut toute ouïe quand Eliott se pencha pour lui demander un parchemin et une plume.

« Bien sûr » murmura t-elle en fouillant aussitôt dans ses affaires.

Est-ce que c’était pathétique de se sentir contente de ce bref moment d’attention qu’Eliott lui accordait en la remerciant avec un sourire ? Cela ne faisait aucun doute. Elle jeta brièvement un regard derrière elle et aperçut Raven qui, sans surprise, lui renvoyait un sourire narquois, lourd de sens. Oui, bon ça va… songea Astrid en se renfrognant. Plus très concentrée sur ce que disait leur professeur de sortilèges, elle jetait sans pouvoir s’en empêcher des regards furtifs vers son voisin qui semblait un peu désorienté sur les notes à prendre. Prenant son courage à deux mains, elle lui proposa :

« Tu… Tu veux mes notes ? On en était aux limites du sortilège de Fidelitas… »

Elle lui tendit ses parchemins plein de notes prises avec assiduité, un geste dont elle ne se doutait pas encore qu’elle allait répéter de nombreuses fois par la suite.


24 mai 2002

Astrid ne comptait plus le nombre de fois où elle avait pu se sentir stupide ou pas à sa place, au cours de sa scolarité à Poudlard qui touchait bientôt à sa fin. Mais jamais ce constat n’avait été aussi amer que maintenant. Pour les petites pestes de son dortoir qui avait prétendu être ses amies pour mieux pouvoir se servir d’elle, au fond, Astrid, aurait pu voir le coup venir. Elles n’étaient pas vraiment des personnes fréquentables, elle le savait, elle avait simplement choisi d’ignorer cette intuition pour rompre avec sa solitude. Elle ne pouvait donc pas dire qu’elle avait été réellement surprise de découvrir leur vrai visage.

Eliott, elle ne l’avait pas vu venir. Elle pensait vraiment avoir affaire à quelqu’un de gentil, de sincère. Elle ne pensait pas qu’il ressentait la même chose qu’elle à son égard, alors cela l’avait surprise de recevoir un mot de sa part pour lui donner un rendez-vous dans le parc, après les cours. Mais elle y avait cru, parce qu’elle ne voyait pas Eliott Warlock se jouer d’elle. C’était un bon garçon, quelqu’un d’honnête.

La désillusion était beaucoup plus douloureuse cette fois, parce qu’elle avait injecté beaucoup plus d’attente et d’émotionnel dans cette relation. Elle avait appris la veille, après avoir attendu en vain jusqu’à l’heure du couvre-feu, que le Gryffondor n’était finalement pas plus sincère que les autres. Mais quand il se permit de s’asseoir à ses côtés, en la saluant comme si de rien n’était, elle songea qu’il était même cruel et la colère se superposa à sa tristesse. Prise d’un sursaut de fierté, Astrid ne daigna ni le regarder ni lui répondre. Elle avait été suffisamment humiliée comme cela. Elle lutta pendant tout le cours pour ne pas laisser la boule qui lui serrait la gorge remonter.

Bon sang, elle avait vraiment hâte de quitter cette école.

Depuis cette fameuse dernière année où Eliott s’était rendu coupable d’une mauvaise action qu’Astrid ne lui avait pas pardonné, de l’eau avait clairement coulé sous les ponts. Elle pouvait se souvenir assez distinctement du jeune garçon qu’il avait été et qu’elle avait apprécié, dont elle avait même été amoureuse un temps. Il semblait égal au souvenir qu’elle gardait de lui : quelqu’un de souriant, d’enthousiaste, de sociable. Il lui parlait avec autant d’aisance que s’ils étaient revus plusieurs fois, ce qui déstabilisait quelque peu Astrid. Il évoqua Charlotte, qu’elle n’eut pas de mal à replacer : elle avait une bonne mémoire des noms, et en sept ans, elle avait eu le temps de retenir tous ceux de sa promotion, au moins.

« Oui. Charlotte Meyer, Gryffondor ? Je me souviens. Je ne la connaissais pas trop, mais elle avait l’air sympa. »

Astrid n’avait pas énormément d’amies à Poudlard, à l’époque et Charlotte semblait au contraire faire partie de ces personnes solaires, comme Eliott, qui se faisaient facilement des amis. Elle traînait plutôt avec les gens geek, elle, comme Raven, précisément. En tout cas, Eliott venait de lui donner une information qu’elle se laissa le temps d’apprécier. Elle n’aurait jamais deviné qu’il était en couple avec elle, il n’y avait pas eu de signes avant-coureurs pendant leur scolarité, lui semblait t-il. D’un autre côté, Astrid était plutôt douée pour faire abstraction des informations qu’elle ne souhaitait pas voir dans le domaine de ses relations, et en l’occurrence, elle n’avait pas envie de savoir Eliott intéressé par d’autres filles.

Si retrouver son ancien camarade pouvait la mettre un peu mal à l’aise, le sourire qu’elle fit en voyant Bianca se recroqueviller dans le cou de son père fut réellement sincère. Les enfants étaient vraiment trop mignons.

« Oooh elle est adorable ! Elle s’appelle Bianca, c’est ça ? C’est très joli, comme prénom. Coucou, Bianca » fit-elle en agitant la main, avec douceur.

La petite semblait intimidée de concentrer l’attention d’une inconnue, comme la plupart des enfants à cet âge. Astrid n’avait pas -encore- de neveux ni de nièce, mais elle avait des cousins qui avaient des enfants et elle pouvait observer le même type de comportement attendrissant chez eux. Eliott attrapa son attention à nouveau, en engageant une discussion autour des questions que tous les anciens camarades de promotion se posaient, quand ils se retrouvaient après des années à se perdre de vue. Elle répondit ce qu’elle répondait à chaque fois, en taisant volontairement le nom du Département des Mystères :

« Je fais de la recherche, en sciences environnementales. Donc j’écris des articles, je participe à des colloques, je monte des projets… Je travaille avec des associations aussi, pour faire des actions, type la sensibilisation dans les écoles, révéla t-elle. Et toi, qu’est-ce que tu deviens ? A part, papa, je veux dire. »

Ce qui était un travail à part entière, elle n’en doutait pas. Elle répondait poliment mais les personnes qui connaissaient bien Astrid auraient pu remarquer que son ton manquait de chaleur. Ses derniers rapports avec Eliott avaient été tendus, elle avait mis du temps à se remettre du mal qu’il lui avait causé, alors même s’ils étaient des années plus tard et qu’elle n’y pensait plus du tout, elle ressentait un certain inconfort.

« Hum, quelques uns, oui… répondit t-elle à sa question suivante. Pas mes camarades de dortoir, c’est sûr, c’était des pestes, dit-elle en plaisantant. Aujourd’hui, elle avait un recul qui lui permettait d’en rire, mais à l’époque, elle avait beaucoup souffert de l’hypocrisie et des brimades de ses camarades. Je suis proche de Raven, tu te souviens d’elle ? Elle était à Serpentard. »

Bianca ne semblait pas décidée à se montrer sociable aujourd'hui, et Eliott avait abandonné depuis longtemps l'idée de comprendre la logique de sa fille de deux ans. Un instant plus tôt elle faisait de grand sourire à l'étrangère assise à côté d'eux dans le bus, et maintenant que ladite étrangère s'intéressait à elle, elle se cachait dans les bras de son père.

"De la recherche, impressionnant ! s'exclama-t-il avec un intérêt non-feint. Les sciences environnementales, c'est un sujet d'avenir, ça doit être en plein essort, non ?"

Il interrogea la spécialiste du regard, comme pour obtenir son approbation. Il n'était pas surpris que son ancienne camarade se soit tournée vers la recherche, elle avait toujours été brillante. Sans son aide en Sortilège, il n'aurait jamais réussi à décrocher un D à ses ASPIC -une de ses plus grandes fierté.

Eliott aurait du s'attendre à ce qu'Astrid lui retourne sa question -il s'agissait d'un réflexe de politesse assez prévisible- pourtant il se retrouva un peu pris au dépourvu quand elle l'interrogea sur sa propre carrière. Il hésita un instant à éviter la question en saisissant la perche qu'elle lui tendait sur son rôle de père -qui était, il est vrai, équivalent à un travail à temps plein, sans vacances- mais il décida de jouer la carte de l'honnêteté.

"J'étais ambulancier jusque récemment, mais je viens de démissionner. Son coeur se serra quand il songea aux raisons pour lesquelles il avait quitté Ste-Mangouste, mais il s'efforça de ne rien laisser paraitre et s'accrocha à son sourire avenant. Les horaires étaient trop irréguliers, ce n'était pas facile avec Bianca, et les gardes de Charlottes chez les Aurors..." Il ponctua son explication d'un haussement d'épaules fataliste.

Le rythme particulier des ambulancier n'avait en réalité jamais été un problème pour leur vie de famille, bien au contraire. S'ils avaient eu tous les deux des horaires de bureau, ils auraient dû chercher quelqu'un pour s'occuper de Bianca pendant qu'ils travaillaient, mais grâce à leurs rythmes décalés ils avaient toujours réussi à s'organiser pour qu'il y ait quelqu'un à la maison. Si Charlotte travaillait de nuit, Eliott prenait ses gardes en journées, et inversement.

Il avait une dette de sommeil plus importante que toutes celles qu'il avait jamais contracté dans sa vie -et ce n'était pas peu dire- mais il avait pu profiter au maximum de Bianca pendant ses premiers mois. Un des avantages du chômage était qu'il avait la chance de pouvoir passer encore beaucoup de temps avec elle, et il savait que la séparation avec sa fille serait probablement le pus difficile, quand il retrouverait un emploi.

"Je ne sais pas encore vraiment ce que je vais faire après, avoua-t-il. J'étais chauffeur de taxi, avant, dans le monde moldu. Oh et j'ai été prof remplaçant à Poudlard aussi, pendant quelques mois ! Harris était scandalisé, raconta-t-il avec un sourire amusé en repensant à l'expression de son ancien enseignant quand il l'avait vu arriver en salle des professeurs. Mais pour l'instant je suis suffisamment occupée avec Bianca !"

En entendant son prénom, la fillette se décida à leur montrer de nouveau son visage et adressa même un sourire timide à Astrid.

"Oui, je crois que je me souviens... reprit-il en essayant de se rappeler d'une certaine Raven. Elle n'était pas dans l'équipe de Quidditch de Serpentard ? Il joignit son rire à celui d'Astrid quand elle mentionna les "pestes" de son dortoir. Les adolescents sont cruels, récita-t-il sagement. Mais elles n'étaient pas si terribles que ça, si ? Il n'avait plus grand chose à faire de défendre l'honneur de Sandy Reynolds, mais il ne se souvenait pas de son ex-petite-amie comme d'une peste. Vous étiez la promo la plus sympa chez les Poufsouffles ! Après Gryffondor bien sûr."

Le Choixpeau avait d'ailleurs hésité un instant entre Poufsouffle et Gryffondor au moment de la répartition d'Eliott. Il avait finalement tranché pour les rouges et or après avoir marmonné quelque chose à propos d'un manque acharnement au travail et de sa patience très limitée. Nul n'était parfait !

« Oui on peut dire ça… C’est un sujet qui prend plus d’importance parce que de plus en plus de gens prennent conscience qu’on a des modes de vie qui emmène notre planète droit dans le mur et j’ai envie de dire, il était temps qu’on s’en rende compte ! »

Astrid ne s’intéressait pas au sujet par effet de mode ou parce qu’elle voulait se laisser porter par un domaine qui avait de l’avenir, comme disait Eliott, mais bien parce qu’elle était convaincu de l’importance du sujet. Malheureusement, trop de personnes ne se sentaient pas concernées, en particulier les sorciers. Ce sont les moldus qui polluent, avec leurs grosses machines et leurs énergies fossiles, lui disait-on. Pas tant que ça, soutenait Astrid, la libération de l’énergie magique avait également un impact sur l’atmosphère, mais c’était un champ de recherche très nouveau et très incertain. Elle espérait trouver de quoi appuyer cette thèse et c’était la raison pour laquelle elle avait rejoint le Département des Mystères, qu’on pouvait considérer comme le centre de recherche le plus développé et le mieux doté en moyens dans le pays.

Cependant, elle n’était pas sensé trop détailler ce qu’elle menait comme recherches au sein de cet organisme secret, alors elle préféra reporter la discussion sur Eliott. Sa réponse fit surgir chez Astrid une autre casquette que celle de l’écolo engagée et elle esquissa un sourire.

« Oh. C’est toi qui a mis ta carrière en pause pour laisser ta femme continuer son travail chez les Aurors et t’occuper de votre fille, alors. C’est rare ça, bravo, vous êtes un couple déconstruit » plaisanta t-elle.

Une preuve supplémentaire s’il y en avait besoin qu’Eliott était quelqu’un de bien, du moins si l’on omettait cet incident en septième année. Malgré la rancune qu’elle avait longtemps gardé contre lui à ce sujet, Astrid était contente d’avoir de ses nouvelles aujourd’hui. Il semblait avoir eu une vie bien rempli après Poudlard entre la naissance de sa fille et les multiples métiers qu’il avait enchaînés.

« Oh c’est vrai, tu as été professeur ? » Elle ne voulait pas renchérir telle la mauvaise langue d’Harris, mais elle ne put réprimer son étonnement. Eliott n’était pas, pour ainsi dire, le plus studieux des élèves à son époque. « Tu n’es pas obligé de savoir tout de suite, c’est bien aussi de prendre le temps de faire le point, on a jamais ce temps là, alors que c’est nécessaire je trouve… Je travaillais dans une entreprise qui fabriquait des potions, avant, révéla t-elle, après un petit temps d’hésitation. Ca s’est mal terminé. J’ai pris une bonne année sabbatique avant de trouver ce que je voulais faire et franchement ça m’a fait un bien fou ! Tout ça pour dire que c’est pas une mauvaise chose de prendre son temps quand on est un peu perdus, au contraire. Surtout si tu as de quoi t’occuper » ajouta t-elle en rendant le sourire que Bianca leur adressait.

Comme toujours quand on rencontrait d’anciens camarades de Poudlard, la discussion vira rapidement sur leurs souvenirs d’école et leur promotion. Si cela amusait certains, Astrid était du camp des personnes chez qui cela faisait remonter quelques souvenirs un peu douloureux. Elle hocha pensivement la tête au commentaire d’Eliott, qu’elle ne put s’empêcher de nuancer un peu maintenant qu’ils étaient deux adultes bien faits et conscients des abus de leur enfance :

« La plus sympa, je n’irais pas jusqu’à dire ça… Elles étaient pas toujours très sympas la bande de Sandy, Hannah, Penny et compagnie… Elles se sont beaucoup moquées de moi à l’époque, avoua t-elle en haussant les épaules, avec un air plus détaché qu’elle ne l’était réellement. Ma septième année n’a pas été de tout repos, haha, j’avais vraiment hâte que ça se termine. »

Eliott répondit par un sourire à la remarque d'Astrid qui le félicitait d'avoir démissionné pour s'occuper de sa fille, en laissant sa femme continuer son métier d'Auror. Le choix s'était plutôt imposé à lui, et avait été motivé par des raisons qui n'avaient rien à voir avec l'intention d'être un couple moderne, mais il garda évidement cette précision pour lui. Même s'il avait quitté Sainte-Mangouste dans un contexte difficile et que son travail lui manquait, il essayait de tirer profit de la situation en profitant un maximum de Bianca.

L'étonnement de sa camarade quand elle appris qu'il avait été professeur transforma son sourire en un éclat de rire et il hocha la tête pour confirmer ses dires.

"Pendant quatre mois seulement, nuanca-t-il. Et crois-le ou non mais j'étais plutôt apprécié comme prof ! En particulier parce qu'il ne donnait quasiment pas de devoirs et oubliait régulièrement de corriger ceux qui lui avaient été rendus. On ne se refaisait pas. Sauf de ma soeur, bien sûr, qui n'était pas ravie."

Avoir son grand frère sur le dos pendant une partie de sa dernière année à Poudlard n'avait pas vraiment plu à Paige, mais leur cohabitation s'était finalement bien passé. Il avait promis de ne pas l'envahir -avait plus ou moins tenu cette promesse- et elle lui avait accordé quelques soirées en retour pour qu'ils puissent passer un peu de temps ensemble.

Le jeune père hocha silencieusement la tête à l'entente des sages paroles d'Astrid, qui lui recommandait de prendre son temps pour décider de sa réorientation professionnelle. Elle-même avait visiblement connu une expérience qui s'était mal terminée, et avait pris le temps de réfléchir à ce qu'elle cherchait avant de se lancer dans une nouvelle carrière. Il savait qu'il en avait besoin, de ce temps, notamment parce qu'il ne savait même pas s'il voulait travailler en monde sorcier, ou de nouveau en monde moldu. Il était complètement perdu. Et puis, il avait désormais les moyens de se permettre de prendre ce temps, ce qui n'était malheureusement pas donné à tout le temps. Malgré tout ça, une part de lui avait envie de retrouver rapidement une activité. La patience n'avait jamais été son point fort.

"Qu'est-ce qui s'est passé, dans l'entreprise de potions ? Le travail ne te plaisait pas ? s'enquit-il avec curiosité, avant de réaliser qu'il se montrait peut-être un peu indiscret. Désolé, tu n'es pas obligée de répondre, je pose trop de questions !"

Il était bavard et plutôt curieux de nature et avait une tendance à oublier que les gens ne devenaient pas les meilleurs amis du monde en seulement quelques minutes, et que l'on était pas censé raconter sa vie privée à n'importe quelle personne croisée dans le bus.

La conversation dériva naturellement vers leurs souvenirs communs à Poudlard, un sujet qu'il estimait bien moins délicat. Il fut pourtant peiné d'apprendre qu'Astrid ne gardait pas d'aussi bon souvenirs de sa scolarité que lui. Les temps actuels étaient si difficiles qu'il chérissait la nostalgie de ses dernières années d'école. Évidement il avait énormément de personnes et de choses à chérir dans sa vie d'adulte, mais elle charriait aussi son lot de préoccupations et d'angoisse. Repenser à ses dernières année à Poudlard lui permettait parfois de se replonger dans l'insouciance de cette époque.

"Je ne savais pas..." répondit-il simplement quand la jeune femme lui avoua que ses camarades de dortoir s'étaient régulièrement moquées d'elle.

Il ne put s'empêcher de se sentir un peu coupable pour Sandy, qu'il fréquentait à l'époque. Il n'aurait jamais imaginé que sa petite-amie de Poudlard puisse avoir été un tyran. Il se demanda alors si Astrid l'avait, à l'époque, classé dans la même catégorie. Maintenant qu'il y repensait, il se rappelait la façon dont elle avait commencé à l'ignorer en septième année, alors même qu'ils s'entendaient plutôt bien jusque-là, même sans être très proches. Il avait envie de lui poser directement la question mais n'osait pas. Il n'hésita pas longtemps quand elle évoqua d'elle-même les difficultés sa septième année, et sauta sur l'occasion.

"Qu'est-ce qui s'est passé en septième année ?"

« Oh ça ne m’étonne pas trop » répondit t-elle avec un léger sourire, alors qu’Eliott déclarait qu’il avait été un professeur apprécié.

Elle se souvenait très bien de lui et de l’aura qu’il dégageait dans leur jeunesse à Poudlard. Eliott faisait partie de ces garçons populaires, appréciés de tous, à la fois bon ami et beau garçon. Au-dela de son apparence flatteuse, Astrid avait découvert chez lui de nombreuses qualités qui confirmaient sa place chez les Gryffondor : loyal, courageux, serviable. Encore aujourd’hui, dans la façon qu’il avait de s’adresser à elle, elle avait l’impression qu’il dégageait toujours cette gentillesse et cette attention envers les autres, qui l’avait beaucoup séduite à une époque et qui se manifesta à nouveau dans la façon dont il s’enquit sur son précédent travail.

« Non ça va, assura t-elle, pour ne pas qu’Eliott se sente indiscret. Maintenant qu’elle se sentait épanouie et à sa place au Département des Mystères, elle avait fait la paix avec cette époque de sa vie où elle avait traversé une longue dépression. Son côté engagé avait repris le dessus et elle pensait même que c’était important d’en parler, pour sensibiliser aux travers du monde du travail. Ce n’était pas le travail en soi qui ne me plaisait pas, c’était plutôt le cadre. J’avais des chefs tyranniques, assez peu concernés par le bien-être de leurs employés, qui ne pensaient qu’à faire du chiffre et nous mettaient une pression monstre. J’ai fini par faire un burn out, avoua t-elle. Puis en parallèle, j’ai découvert que l’entreprise n’était pas très éthique sur le plan environnemental aussi et ça m’a dégoûtée. Je ne regrette pas le moins du monde de m’être échappée de cet horrible endroit ! »

Si elle n’avait pas de mal à évoquer cette douloureuse époque face à Eliott, leurs souvenirs communs à Poudlard, en revanche, était déjà un sujet plus sensible. Astrid avait assez mal vécu sa scolarité, ponctuée de moments difficiles, car elle s’était montrée très vulnérable au regard des autres. Petite adolescente très ronde et très complexée, elle avait été la victime idéale des moqueries et des coups bas pendant des années et ne s’était sentie sortir de cet enfer qu’en rencontrant quelques personnes à peu près aussi à l’écart qu’elle, comme Raven qui était devenue sa meilleure amie. Dans son quotidien à l’école, elle avait connu quelques amitiés sincères et puis il y avait eu les autres, qu’elle détestait ou qu’elle admirait en secret et dont elle rêvait de se rapprocher, exactement comme Eliott. La désillusion à son sujet n’en avait été que plus violente. Alors qu’il semblait le garçon parfait à ses yeux, elle avait découvert un autre aspect de lui, qui avait gâché le regard qu’elle portait sur lui.

Aujourd’hui, Astrid avait grandi, pris du recul, elle s’était instruite et s’engageait dans de multiples causes, ce qui lui permettait de poser les bons mots sur les abus qu’elle avait vécu. Alors qu’à l’époque, elle s’était sentie fautive, inintéressante, nulle, maintenant elle était capable d’affirmer que ce qu’elle avait vécu n’était ni plus ni moins que du harcèlement scolaire. La fibre révoltée en elle, qui avait pris le dessus sur la fille timide qu’elle était dans sa jeunesse pour faire d’elle une femme engagée aujourd’hui, la poussa à ne pas laisser passer la naïveté et l’inconscience dont Eliott fit preuve en déclarant qu’il n’avait rien vu des agissements de ses camarades, ni de la façon dont il l’avait lui-même traitée.

« Comment ça, qu’est-ce qu’il s’est passé en septième année ? Tu as oublié ? l’interrogea t-elle, les sourcils froncés. Toi aussi tu t’es moquée de moi, Eliott… »

Son ton n’était pas froid, mais il n’était pas aussi aimable qu’il l’avait été jusqu’à ce point de la conversation. Sa position était celle de la défensive et de l’étonnement à la fois, face à l’ignorance dont Eliott faisait preuve. Elle le scruta quelques secondes, comme pour tenter de lire dans ses intentions. Lui-même avait l’air sincèrement surpris, alors elle hésita quelques secondes. Elle avait du mal à croire qu’il se moquait d’elle. Sans doute avait-il tout simplement effacé cet événement de sa mémoire parce qu’il avait été insignifiant pour lui, qu’il n’en avait pas mesuré l’impact. Astrid prit une légère inspiration. Elle s’était promis de ne plus laisser passer ce genre d’ignorance quand elle en était témoin mais la pédagogie avait toujours de meilleurs résultats que la colère alors elle s’efforça de contenir l’indignation que cette pensée lui inspirait.

« Ecoute, c’est du passé maintenant et sûrement que tu n’avais pas conscience de ce que tu faisais à l’époque… On ne peut pas dire qu’on était correctement guidés et informés sur ce que signifie le harcèlement. » Loin de là, même, Poudlard avait de nombreuses lacunes à compenser sur la sensibilisation de ses étudiants à de multiples causes, l’OFFRE s’était d’ailleurs récemment engagée dans des demandes auprès du conseil d’administration pour pouvoir intervenir auprès des élèves avec des exercices pratiques. « Mais je me suis sentie aussi blessée et humiliée à cause de la lettre que tu m’as laissée pour me donner un faux rendez-vous que quand Sandy ou ses copines me suggéraient de faire du sport si je voulais trouver un copain... »

Eliott grimaça quand Astrid lui détailla son ancien cadre de travail, qui n'était pas loin de sa vision personnelle de l'enfer. Des chefs tyranniques obsédés par leurs chiffres au point de négliger les relations humaines, c'était ce qu'il avait réussi à éviter jusqu'à présent et ce qu'il continuait de fuir. Il secoua la tête de gauche à droite avec un soupir quand son ancienne camarade lui avoua avoir fait un burn-out. Si ces gens-là avaient réussi à pousser Astrid au burn-out, ils étaient réellement des esclavagistes. Il se souvenait d'elle comme d'une élève très studieuse, et impliquée, et n'avait aucun doute sur le fait qu'elle soit une employée idéale.

"C'est clairement eux qui ont subi la plus grosse perte au moment de ton départ, commenta-t-il avec sérieux. Tu as bien fait de partir, peut-être que ça leur servira de leçon !"

Oui, Eliott restait un incorrigible optimiste et il croyait réellement possible que la démission d'une salariée exemplaire puisse faire changer les choses. Mais en attendant que cette société de fabrication de potions n'ouvre les yeux sur la façon dont elle traitait ses employés, c'était à lui de se remettre en question. Il avait interrogé Astrid sur sa septième année avec une curiosité sincère, mais le ton de la conversation changea aussitôt et il sentit la jeune femme sur la défensive quand elle lui répondit que lui aussi s'était moqué d'elle. Il accusa le coup sans rien dire mais son regard trahissait sa surprise et son malaise.

Il voulut protester -il ne se souvenait pas s'être déjà moqué d'elle- mais se souvint également que, s'il n'avait jamais été l'auteur des moqueries, il en avait souvent été témoin, et il n'avait rien fait pour les arrêter. Il avait laissé faire, parce qu'il s'était dit que ce n'était pas bien méchant, que c'était comme quand Jensen se moquait de ses cheveux trop longs et de son incapacité à être à l'heure. Pourtant cela n'avait rien à voir. Ce n'était pas les mêmes moqueries quand elles venaient d'amis et étaient lancés sur le ton de la plaisanterie que quand elles circulaient dans l'école derrière le dos de la victime.

Il ne réalisait que maintenant à quel point Astrid et lui avaient connu des expériences différentes à Poudlard, et combien celle de la jeune femme avait dû être difficile, parfois. Il s'en voulu de ne pas avoir ouvert les yeux plus tôt, de ne pas être sorti de sa bulle de joueur de Quidditch populaire pour réaliser que la moitié de l'école -dont des amis à lui- faisait quotidiennement souffrir certains élèves. Il en voulait à son lui-même de seize ans d'avoir été si stupide et désinvolte, simplement parce que la vie à Poudlard était facile pour lui.

Il avait baissé les yeux sur Bianca, toujours installée sur ses genoux, qui regardait le paysage défile par la vitre avec curiosité, mais releva timidement la tête vers son ancienne camarade.

"Je suis vraiment désolé Astrid, je ne me rendais pas compte..."

Il avait conscience que ses excuses arrivaient bien tard, et qu'elles n'effaceraient pas ce que la jeune femme avait vécu à Poudlard, mais il espérait qu'elle saurait le pardonner. Leurs retrouvailles chaleureuses s'étaient changé en malaise mais il gardait l'envie de renouer avec son ancienne camarade, si toutefois elle le voulait bien.

Eliott fronça toutefois les sourcils quand elle mentionne une lettre qu'il lui aurait écrite, et un faux rendez-vous qu'il était certain de ne jamais lui avoir donné. Il prit un instant pour fouiller sa mémoire, mais n'eut pas à réfléchir longtemps avant d'arriver à la conclusion qu'il n'avait jamais écrit de lettre à Astrid, pour la bonne et simple raison qu'il n'écrivait jamais de lettre à qui que ce soit, ce qui désespérait ses parents, à l'époque.  

"Quelle lettre ? Je ne t'ai jamais écrit de lettre..."

Les excuses d’Eliott, qui semblaient tout à fait naturelles et spontanées, ébranlèrent Astrid. Difficile de lui faire frontalement des reproches quand il adoptait cet air contrit. Ce fut seulement le souvenir de la douleur que cet événement lui avait causé dans son adolescence qui lui permit de tenir bon face à Eliott et ne pas laisser passer. La Astrid, timide et complexée de dix-sept ans, se serait effacée et lui aurait probablement pardonné aussitôt. Celle de vingt-six ans qu’elle était devenue avait développé son amour-propre et sa conscience des schémas infernaux qui gangrénaient cette société. Comme par exemple, le fait qu’on pardonnait bien plus volontiers des écarts à des garçons et que si Sandy et Hannah passaient pour des pestes, Eliott lui, pouvait facilement s’en tirer et rester le beau joueur de Quidditch populaire alors qu’il avait tout autant blessé Astrid, si ce n’était plus.

Du moins c’était ce qu’elle avait pensé et ressenti toutes ces années jusqu’à maintenant. Quand Eliott démentit toute implication dans cette histoire de lettre, Astrid resta interdite. Pendant un moment, elle garda le silence, le regard vrillé dans celui d’Eliott, cherchant à démêler le vrai du faux. Etait-il sincère ou se moquait t-il d’elle, encore une fois ? Ou avait-il purement oublié cette histoire ? Dans le doute, Astrid chercha à lui rafraîchir la mémoire, sans perdre sa méfiance :

« Une lettre que j’ai reçue au milieu de la septième année, signée de ton nom… Tu me donnais rendez-vous près du lac après les cours. Ça ne te dit rien ? J’ai attendu là-bas pendant des heures comme une idiote » ajouta t-elle, en espérant que cela ferait passer l’envie à Eliott de se moquer d’elle si c’était ce qu’il faisait.

Eliott se sentit brusquement mal à l'aise sous le regard d'Astrid, chargé de reproches et de méfiance. Elle avait l'air d'avoir été sincèrement blessée par lui, et il avait honte de ne même pas être en mesure de savoir pourquoi. Il reporta lâchement son attention sur Bianca, qui venait de réussir à retirer sa chaussures et s'appliquait à en grignoter une lanière. Il prit son temps pour rattacher la minuscule sandale décorée de papillons sur le pied de sa fille, et en profita pour fouiller sa mémoire à la recherche d'un élément qui l'aiderait à comprendre ce dont Astrid parlait. Il avait beau essayer de se souvenir, il ne se rappelait pas avoir jamais écrit une lettre à la jeune femme. Il n'était pas vraiment du genre à écrire beaucoup de courrier, à Poudlard, ou à écrire quoi que ce soit d'autre, d'ailleurs.

Toute sa scolarité il s'était contenté de signer les courriers qu'Andrew, puis Paige, envoyaient à leurs parents, qui étaient donc restés sans nouvelle de lui entre sa quatrième et sa sixième année, période où il était leur seul enfant à Poudlard. Sa mère lui avait souvent reproché de ne jamais écrire et n'avait jamais cru une seule seconde à son argument de défense "J'économise le parchemin pour mes devoirs !". Astrid lui reprochait au contraire de lui avoir envoyé une lettre, voilà qui était nouveau. Une lettre qu'il ne se rappelait pas avoir écrite. La jeune femme dut sentir son désarroi car elle essaya de lui rafraichir la mémoire en lui donnant davantage de détails, qui ne firent qu'ajouter à la confusion de l'ancien Gryffondor. Une lettre pour donner rendez-vous à une fille ? Cela ne lui ressemblait pas. S'il avait voulu inviter Astrid à le retrouver au bord du lac, il lui aurait simplement demandé. Beaucoup plus rapide, beaucoup plus simple, bien moins fatiguant.

"Tu es sûre qu'elle était signée par moi ? Je ne me souviens pas avoir écris la moindre lettre, je... Il secoua la tête comme pour se débarrassé de ses doutes. Il était certain de ne pas avoir écrit cette lettre. Pourquoi est-ce que je t'aurais envoyé une lettre ? Oups, mauvaise formulation. Enfin, j'veux dire, on se voyait deux fois par semaine en sortilèges, pourquoi je t'aurais écrit alors qu'on était assis juste à côté ?"

Ils s'entendaient même plutôt bien, à l'époque. Il passait son temps à lui emprunter du parchemin et des plumes, et à recopier ses notes sans la moindre gêne, et il n'aurait pas été davantage embarrassé de lui donner rendez-vous au bord du lac. Du moins, c'était le cas avant qu'Astrid n'arrête brusquement de lui adresser la parole, en cours d'année. Une étincelle s'alluma -enfin- dans son cerveau alors qu'il réalisait que ce changement d'attitude, qu'il n'avait pas compris à l'époque, était peut-être lié à la fameuse lettre. Celle qu'il n'avait pas écrite. Celle dans laquelle il donnait rendez-vous à Astrid près du lac. Celle à cause de laquelle elle l'avait attendu pendant des heures. Pourquoi l'avoir simplement attendu, d'ailleurs ? Et pourquoi ne pas lui en avoir parlé quand ils s'étaient revus la semaine suivante.

"Est-ce que... Est-ce que c'est à cause de cette lettre que tu ne me parlais plus ? s'étonna-t-il. Mais pourquoi tu ne m'as rien dit ?"

Le Magicobus tremblotait de temps en temps, agité par les secousses du voyage en traversant de multiples paysages admirables, mais Astrid n’y prêtait plus attention. Toutes ses pensées étaient rivées sur Eliott et sur les souvenirs qu’elle avait de la fin de leur scolarité à Poudlard. Astrid avait connu avec cette histoire ce qui était sa première peine de coeur alors elle n’aimait pas trop l’idée qu’il puisse ne plus s’en souvenir ou pire, s’en moquer. Mais l’incompréhension d’Eliott semblait sincère et ébranlait toutes les certitudes qu’elle avait au sujet de cet événement. Il n’avait jamais écrit de lettre, disait-il, ce n’était même pas son genre, semblait t-il affirmer, puisque s’il avait voulu lui donner rendez-vous, il l’aurait fait de vive voix, au moment de leurs cours de sortilèges. Déstabilisée, elle répondit, moins assurée que jusqu’à maintenant :

« Eh bien… Je ne sais pas. Mais j’ai vraiment reçu cette lettre avec ton nom en bas, j’en suis certaine. »

Elle se retint de dire qu’elle ne pouvait pas en douter car elle avait été très heureuse de lire qu’il en était le destinataire. S’était-elle trompée tout ce temps-là ? Le doute commençait à s’emparer insidieusement dans son esprit. Il n’y avait pas besoin d’être Auror pour résoudre ce mystère, si Eliott était certain de ne pas avoir écrit de lettre alors quelqu’un d’autre l’avait fait à sa place, en se faisant passer pour lui. Mais qui, et pourquoi ?

La question que lui posa Eliott la tira de ses investigations mentales. Il l’interrogea à son tour, faisant le lien entre cette information et l’attitude qu’elle avait eue. Elle se rendit compte alors que si Eliott disait vrai et qu’il n’avait rien à avoir avec cette histoire, alors il avait dû se sentir inexplicablement repoussé car en effet, elle n’avait donné aucune explication à la distance froide qu’elle avait brutalement imposé, blessée. Elle ne pensait tout simplement pas avoir besoin de le faire.

« Oh euh… Eh bien, parce que je t’en voulais et que je me sentais humiliée, avoua t-elle. J’étais contente de recevoir cette lettre de toi, moi… »

Bon c’était un peu gênant de reconnaître son crush à demi-mot, dix ans plus tard, mais de l’eau avait coulé ses ponts, se dit-elle pour ne pas laisser l’embarras s’installer. Ils n’étaient plus deux adolescents maladroits, ils étaient deux adultes, passés à autre chose depuis longtemps, elle pouvait bien lui avouer la vérité au sujet de cette histoire sur laquelle ils semblaient s’être sentis rejetés et avoir été dupés tous les deux. Elle lui devait bien ça.

« Peut-être que la personne qui a écrit cette lettre à ta place était quelqu’un qui en pinçait pour toi et voulait m’éloigner… Ou alors, juste quelqu’un qui cherchait à se moquer de moi, c’est plus probable » reconnut t-elle avec un sourire un peu crispé.

Il ne fallait pas rêver, la Astrid Grenfell de dix-sept ans ne pouvait pas être perçue comme une concurrente sérieuse dans la course pour le coeur d’un garçon. Avec un soupir, elle gémit, une main cachant ses yeux :

« Oh Merlin, quelle histoire ridicule… »

Il aurait fallu attendre huit ans après leur sortie de l'école pour qu'Eliott comprenne enfin ce qui lui avait valu d'être complètement ignoré par Astrid à la fin de leur dernière année. Et il avait beau savoir pertinemment qu'il n'avait pas écrit cette lettre, il se sentit désolé quand la jeune femme lui avoua qu'elle lui en avait voulu et qu'elle s'était senti humiliée. S'il avait seulement eu une idée, à l'époque, des raisons de la rancoeur de sa camarade, il aurait été lui parler et tout se serait certainement arrangé. Mais il n'avait jamais été questionné Astrid sur son changement de comportement avec lui, parce qu'ils n'étaient pas si proches et qu'il avait plein d'autres amis avec qui parler. Il avait simplement accepté son silence, avait retrouvé le fond de la classe, et avait lamentablement échoué à son examen de sortilèges pour les ASPIC.

Alors il n'avait pas écrit cette lettre, mais il avait peut-être mérité le silence d'Astrid pour n'avoir pas fait davantage d'efforts pour essayer de la comprendre.

"Je suis désolé, assura-t-il en se passant une main dans la nuque, signe qu'il était mal à l'aise. Si j'avais su..."

S'ils avaient connu la vérité à l'époque, la fin de leur scolarité aurait surement été un peu différente, mais il savait qu'il était inutile de chercher à refaire le monde. Les choses s'étaient passé ainsi et ils ne pouvaient rien y changer. Tout cela était loin derrière eux et ils semblaient tous les deux épanouis dans leur vie aujourd'hui. Toutefois, rien ne leur interdisait de jouer les détectives et d'essayer de comprendre ce qui avait pu se passer, huit ans plus tôt.

Eliott laissa échapper un éclat de rire désabusé quand Astrid mentionna l'hypothèse qu'une fille de leur promotion ait cherché à l'éloigner d'Astrid parce qu'elle en pinçait pour lui. Il n'avait jamais eu l'impression d'avoir beaucoup de succès avec les filles, à Poudlard. Il avait des amis filles mais aucune ne lui avait donné l'impression de s'intéresser à lui de façon romantique, sauf Sandy. Sandy qui l'avait largué comme une vieille chaussette lors de leur dernière soirée de fin d'année. Pas vraiment une attitude digne d'un tombeur.

"Si quelqu'un en pinçait pour moi à Poudlard, j'aurais bien aimé le savoir !"

Quoique, si la personne en question n'avait rien trouvé de plus intelligent que d'envoyer de fausses lettres de sa part à Astrid, ce n'était pas une grande perte. La deuxième option n'était toutefois pas plus plaisante puisqu'elle impliquait que l'un de leur camarade ait agi de la sorte uniquement pour se moquer d'Astrid, ce qui n'était vraiment pas sympa. Les adolescents étaient des êtres méchants.

"Mais qui ferait une chose pareille ?"

Et pourquoi ? voulut-il ajouter, mais il se ravisa en se rappelant qu'Astrid lui avait avoué avoir été très heureuse de recevoir cette lettre. Est-ce que cette personne avait pensé qu'Astrid en pinçait pour lui et avait utilisé cette idée pour ce moquer d'elle ? Ce n'était plus méchant, c'était cruel. Et légèrement embarrassant pour les adultes qu'ils étaient devenus et qui se recroisaient par hasard dans le Magicobus des années plus tard. L'auteur de cette plaisanterie de très mauvais goût n'avait surement pas prévu ça. Eliott avait beau savoir que tout ça s'était passé huit ans plus tôt, et que cela n'avait plus vraiment d'importance, il avait vraiment envie de savoir qui avait fait ça.

Astrid ne s’attendait pas vraiment à recevoir des excuses de la part d’Eliott, car elle n’avait pas évoqué ce sujet dans cette optique. Malgré tout, elle fut touchée par ce geste, et surtout par la sincérité évidente qui imprégnait ses paroles. Instantanément, elle cessa de douter du fait qu’il s’agisse encore une fois d’une mauvaise blague et elle se mit à appréhender cette perturbante idée que tout ce temps-là, elle avait simplement mal interprété les choses et quelqu’un d’autre s’était joué d’eux deux.

Le commentaire d’Eliot la tira de ses pensées et elle eut un léger rire, un peu amusée, un peu nerveuse à cette exclamation qu’elle ne comprenait pas vraiment, tant il lui avait semblé à l’époque qu’Eliott était le genre de garçon qui avait tout pour plaire : il était très gentil, Gryffondor, plutôt drôle et beau. Elle avait mis très peu de temps à tomber sous son charme, elle, ce qu’elle avoua à son tour, dans un élan de sincérité :

« Eh bien, moi, j’en pinçais pour toi ! »

Le reconnaître à haute voix fit paradoxalement tomber la gêne qu’elle ressentait depuis le début de leur échange. Toutes les cartes étaient désormais sur la table et, même si Astrid avait depuis longtemps fait le deuil de cette histoire qui lui avait fait beaucoup de mal à une époque, elle ressentit un certain soulagement à faire preuve de cette honnêteté avec Eliott. Ils pouvaient y voir plus clair tous les deux, même s’ils ne pouvaient pas aller bien loin avec le peu d’indices dont ils disposaient.

« Je ne sais pas… Les filles de mon dortoir peut-être. Hannah et Penny. Elles n’étaient pas très gentilles avec moi. »

Cette hypothèse n’étonnait pas beaucoup Astrid puisqu’elle avait déjà essuyé quelques crasses de leur part. Elle se laissa brièvement prendre par ces souvenirs qui remontaient, les yeux perdus dans le paysage qui défilait par la fenêtre. Quand elle se rendit compte qu’ils approchaient de la station où elle devait descendre, elle se ressaisit et se tourna vers Eliott :

« En tout cas, je suis désolée aussi, je me rends compte que tu t’es senti repoussé toi aussi, sans comprendre ce qui se passait. Visiblement, tout n’était qu’un malentendu… Bref, c'est une bonne chose qu'on ait pu éclaircir ça. C’était un plaisir de te revoir et rencontrer ta petite fille. » Elle fit un petit signe de la main à l’adorable petite blonde qui babillait dans les bras de son père, puis offrit à ce dernier un sourire un peu hésitant. « Peut-être qu’on aura d’autres occasions de se revoir, ça me ferait plaisir. »

Sur ces salutations, elle quitta le Magicobus, la tête pleine de vieux souvenirs auxquels elle n’avait plus pensé depuis longtemps. Après quelques minutes d’hésitation, elle finit par sortir son Pear One de sa poche et chercher le nom d’Eliot Warlock dans la recherche instamag. Quand elle le trouva, elle envoya une demande d’invitation et rangea son appareil. Voilà, s’il souhaitait lui aussi lui parler à nouveau, il n’avait plus qu’à faire un pas dans sa direction.