Maybe it's time [Sameo]

9 juillet 2010

La journée avait été éreintante, les patients s'étaient enchaînés et le temps avait défilé sans qu'il ne s'en rende compte. Toutes ses journées étaient rythmées par l'imprévu, aujourd'hui, il avait eu différents cas cliniques à différents stades de gravités. Samaël aimait son métier par dessus tout et il n'en aurait pas changé même pour tout l'or du monde malgré les astreintes et sa vie sociale largement diminuée. Il se noyait dans le travail, ne sortant quasiment plus et privilégiant le dortoir des internes à son appartement. C'était très certainement une façon de fuir la réalité, de ne pas avoir à penser à son mariage qui se brisait chaque jour un peu plus.

Il savait que Théo ne passait pas beaucoup plus de temps que lui à l'appartement. Il suffisait de voir la couche de poussière qui commençait à s'amonceler sur les meubles. De temps en temps, lorsqu'il prenait la peine de rentrer en espérant peut-être y croiser son mari, il lui arrivait de lancer un sort ou deux de ménage. Une façon comme une autre de garder l'endroit vivant malgré tout et montrer qu'il faisait un minimum d'effort en dépit de la situation. Il n'y avait quasiment plus d'échange entre eux, juste un immense silence qui ne faisait que s'allonger. Sam savait qu'il fallait mettre un terme à tous ces non-dits avant qu'il ne soit trop tard mais peut-être que c'était déjà le cas après tout.

La distance qui existait entre eux semblait à présent insurmontable. Il y avait trop de désaccord pour que ça aille réellement. Les risques que Théo prenait pour la résistance horripilait Samaël, il ne comprenait pas ce désir de ce mettre en danger. Bien évidemment, Sam ne cautionnait pas le gouvernement en place et soignait de temps en temps des résistants dans le besoin. Il était sympathisant mais pas de là à mettre sa vie en danger. Il ne comprenait pas où voulait aller Théo, lui qui disait vouloir des enfants, comment en accueillir un alors que son père pouvait mourir à tout moment ?

Mais ce n'était sans doute pas les seules raisons à cet éloignement, Sam avait commencé à se consacrer à sa carrière de façon obsessionnelle, délaissant quelque peu son mari. Il avait voulu prouver à la bonne société sorcière Sang-pure qu'il méritait l'amour que Théo lui portait malgré son sexe, qu'il était un bon parti malgré tout. Il voulait briller par son métier et prendre une sorte de revanche sur la vie. Mais tout ça avait vite était dépassé par son investissement pour ses patients. Il n'arrivait plus à décrocher, faisant passer sa vie professionnelle avant sa vie personnelle. Il avait commencé par oublier de manger certains midi et puis il avait oublié de rentrer parfois.

Il savait qu'il avait une grosse part de responsabilité dans la cassure qui s'était opérée entre Théo et lui. Pourtant... il n'arrivait pas à se résoudre à baisser les bras et tout arrêter. Ça ne pouvait pas être totalement fini n'est-ce pas ? Il avait l'impression de toujours tenir à son mari. A moins que ce ne soit qu'une illusion et qu'il vivait dans le passé de leur relation. Quand tout allait bien et qu'ils étaient complices. Il aurait parfois aimé retrouver tout ça et en même temps... il ne pouvait pas se voiler la face. Il n'y avait plus cette étincelle entre eux. Juste cette affection latente qu'il éprouvait toujours mais celle qu'on ressent pour un vieil ami que l'on connait depuis toujours.

Cette idée l'effrayait au plus haut point. Il ne pouvait se résoudre à voir cette vie qui s'annonçait si merveilleuse s'arrêter du jour au lendemain. Et pourtant, il allait falloir prendre une décision. Ils ne pouvaient pas rester dans cet état d'incertitude permanente. Il allait falloir qu'ils discutent sérieusement même si Samaël redoutait cette conversation autant qu'il l'espérait. Tout mettre à plat et prendre la décision qui conviendrait, c'était ce que lui avait conseillé sa sœur. C'était ce que tout le monde lui conseillait. Il poussa un soupir las alors qu'il poussait la porte d'entrée de l'internat pour s'affaler sur l'un des canapé de la salle commune.

Caleb Fleming tourna la tête vers lui avec un air désapprobateur sur le visage. Comme si le fait qu'il était plus âgé ou même le frère de Ann lui donnait le droit d'être moralisateur avec lui. A moins qu'il n'y ait autre chose, les deux jeunes hommes s'étaient beaucoup rapprochés ces derniers temps à cause du travail et de beaucoup de choses qui faisaient qu'ils se comprenaient. Ce n'était pas vraiment un secret pour Sam que Ann faisait parti du Lexit, il avait déjà eu l'occasion de discuter avec la jeune femme et avait plus d'une fois était invité aux déjeuners hebdomadaires du frère et de la sœur. Cette dernière avait d'ailleurs plus d'une fois était étonnée de voir que Théo restait dormir au QG au lieu de rentrer chez lui.

Ce qui avait amené beaucoup de questions de la part de son ancienne camarade de maison qui avait jugé utile de lui donner des conseils en relation amoureuse. Caleb avait pris un certain plaisir à s'immiscer dans la conversation et le frère et la sœur ne le lâchaient plus depuis. Comme s'il avait besoin de ça... Il se renfrogna légèrement avant de faire léviter un livre jusqu'à lui dans l'intention de profiter un peu de sa soirée. Mais c'était sans compter sur Caleb qui intercepta sa distraction du soir avant qu'il n'arrive jusqu'à Sam.

"Tu comptes rester ici jusqu'à quand ? Rentre chez toi Sam. Je pense qu'il est temps. Je croyais que les Poufsouffle étaient plus courageux que ça."

Un sourire en coin s'étira sur les lèvres de l'interne. Samaël se redressa en levant les yeux au ciel.

"Le courage est une qualité toute Gryffondorienne. Il ne faut pas tout confondre. Je suis travailleur pas téméraire."

Le sourire de Caleb s'agrandit légèrement. Sam n'aimait pas particulièrement qu'on se moque de lui et il aurait largement préféré qu'on le laisse tranquille. Mais visiblement, son ami n'était pas du même avis que lui.

"Ecoute... je conçois que ce n'est pas une situation facile mais dis toi que les choses ne peuvent pas être pire..."

Samaël hocha doucement la tête, comprenant parfaitement où le jeune homme voulait en venir et en soi, il avait totalement raison. Les choses avaient assez traînées. Il se leva donc avec fatalisme en poussant un soupir remplit de lassitude.

"Je vais déjà aller voir s'il est à l'appartement vu qu'il l'évite autant que moi en ce moment..."

Il esquissa un petit sourire avant de quitter la pièce. Il ne savait pas vraiment ce qui allait l'attendre, cela faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas revu Théo et la simple idée d'avoir une discussion avec lui, lui nouait l'estomac. Lorsqu'il entra dans leur appartement, le salon était éclairé, signe que quelqu'un s'y trouvait déjà. Il avisa l'heure sur la pendule du salon et grimaça légèrement, il était tard. Il enleva son manteau et s'avança dans la pièce sans trop savoir comment il allait être reçu en avisant son mari assit sur le canapé, un livre entre les mains. C'était assez peu surprenant finalement. Il esquissa un demi sourire à cette constatation avant de s'arrêter devant lui.

"Salut Théo..."

Il le fixa un moment les bras ballants, incapable de trouver sa place et mal à l'aise au possible.

"Tu lis quoi ?"

Une façon comme une autre d'amorcer le dialogue mais peut-être pas la meilleure des solutions. Il poussa un soupir las avant d'aller s'installer dans le fauteuil face à lui.

"Je pense... qu'il faut qu'on parle Théo. On ne peut pas laisser la situation s'éterniser de cette façon. Je crois qu'on en a tous les deux conscience et qu'il va falloir qu'on prenne une décision... Celle de savoir si...", il marqua une légère pause comme plongé dans ses pensées et sans vraiment savoir comment continuer sa phrase. "Est-ce que selon toi notre mariage mérite qu'on lui accorde une seconde chance ? Qu'est-ce que tu ressens encore ? Est-ce que c'est assez fort pour qu'on se donne la peine d'essayer ?"

Il n'avait pas osé regarder Théo une seule fois pendant qu'il parlait, il avait préféré fixer ses doigts croisés devant lui. C'était plus simple comme ça, il n'était pas perturbé par le regard de son époux et il ne perdrait pas le peu de courage qu'il possédait.

"Je crois personnellement ou du moins... je suis prêt à m'investir d'avantage si tu le souhaite. Je... J'ai encore des sentiments pour toi, Théo. J'imagine qu'il suffit juste de raviver la flamme qui existait entre nous... avant."

Il se permit un léger sourire triste, son regard se posant enfin sur le jeune homme pour le regarder réellement pour la première fois depuis qu'il avait pris la parole. Son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine.

Installé dans le canapé de son salon, Théo fixait les lignes de son livre sans les voir. Depuis combien de temps était-il installé ainsi ? Il n'aurait su le dire, mais une chose était sure : son livre était un prétexte, un simple moyen de s'occuper les mains tandis qu'il faisait et défaisait le cours de ses pensées. Le libraire ne pouvait s'empêcher de s'attarder sur le moment qu'il avait passé avec Juliet, quelques jours plus tôt, et à propos duquel il ressentait un mélange de sentiments confus et contradictoires. La honte et la culpabilité le submergeaient par vagues puissantes, alors qu'il pensait à son époux et à son ami, deux personnes auxquels il tenait sincèrement et qu'il avait pourtant trahi. Malgré cela, son coeur s'emballait et il rougissait intérieurement au simple souvenir de Juliet, nue entre ses bras, abandonnée contre lui... Cela lui avait paru si simple, parfait comme elle le lui avait dit, comme une évidence.

La teneur de ses propres sentiments lui était alors apparue clairement, et le fait qu'ils ne soient pas partagés par la jeune femme ne changeait rien : cela avait eu le mérite d'éclaircir les choses sur son propre désir, et surtout sur l'état de son mariage. Il était plus que temps qu'il parle à Samaël, et qu'ils prennent une décision ensemble. La situation qui pourrissait entre eux depuis plusieurs mois avait atteint son paroxysme, et il ne pouvait plus supporter qu'elle périclite d'avantage. Par respect et par amour pour Samaël, il se devait de faire preuve d'honnêteté envers lui et de lui avouer ce qu'il ressentait, quitte à en assumer toutes les conséquences. Ce serait un moment extrêmement douloureux pour tous les deux, et un constat d'échec d'une certaine façon, mais ensuite ils ne pourraient qu'aller mieux.

Alors Théo attendait, dans le carcan froid de leur appartement commun, le retour de Samaël. Sans être bien sûr que ce retour n'arrive, d'ailleurs, mais il attendrait le temps qu'il faudrait, plusieurs jours si nécessaire. Maintenant qu'il avait trouvé le courage en lui pour aborder cette discussion, il n'était pas question de se dérober...

Lorsque le silence fut rompu par le bruit de la porte d'entrée qui s'ouvrait, Théo se tendit inconsciemment sur son canapé. Ses yeux clairs continuaient d'errer sur les caractères tracés à l'encre noire, sans que leur sens ne parvienne à son cerveau. Quand Samaël pénétra dans la pièce et le salua, il tourna vers lui un regard empreint d'appréhension, tandis que ses entrailles se serraient :

"Salut, Sam. Je lis un roman d'aventure, le héros s'appelle Bob Lorane", répondit-il en refermant le livre, pour dévoiler une couverture bariolée. Son appréhension augmenta d'un cran quand il avisa son époux qui s'installait face à lui, et qui ne semblait pas en mener plus large que lui. De toute évidence, son timing était bon : Sam aussi voulait parler...

"Oui", souffla-t-il en se redressant légèrement, pour observer Sam avec curiosité. Qu'avait-il à lui dire, de son côté ? A quel point cette discussion serait-elle compliquée, se transformerait-elle en dispute comme plusieurs de leurs échanges récents ? Il espérait que non, s'ils étaient tous deux dans de bonnes dispositions pour échanger de manière constructive.

Il se mordit l'intérieur de la joue, Sam n'y allait pas par quatre chemins et attaquait directement dans le vif du sujet, en posant les questions qui fâchent. Pire que cela, il lui donnait sa propre réponse, une réponse pleine d'espoir qui lui noua l'estomac et lui serra la gorge. Merlin, Sam... ne rend pas cela plus difficile que cela ne doit l'être, songea-t-il douloureusement. Tendant la main pour franchir la distance qui le séparait de son époux, il serra doucement l'avant-bras de Samaël.

"Sam...", commença-t-il en soupirant, "Sam, même si l'on pouvait faire des efforts, et améliorer les choses entre nous pour un temps, je ne pense pas que ce sera suffisant. Bien sûr que j'ai des sentiments pour toi, tu sais à quel point tu comptes pour moi, mais raviver la flamme entre nous ? Même si l'on y arrivait..."

Il lâcha Samaël et posa ses mains sur ses genoux, tandis que son expression trahissait le pessimisme qui l'habitait.

"On finirait de nouveau par se faire du mal, Sam. Cela n'effacerait pas tout ce qu'on a pu se dire, ni nos désaccord, cela ne changerait pas le fait que nous avons deux visions différentes pour le futur, deux façons différentes d'appréhender nos vies, cela ne changerait rien de tout cela, ça irait peut-être mieux pendant un temps mais la routine et les incompréhensions reprendraient le dessus et..."

Sa voix se brisa, alors qu'il posait un regard malheureux sur son époux :

"...et j'ai peur qu'on finisse par se détester."

Et c'était bien la pire chose qui pouvait leur arriver : une haine qui finirait par effacer leurs souvenirs heureux et par anéantir la tendresse qu'ils avaient l'un pour l'autre. Or c'était bien vers cela qu'ils se dirigeaient depuis plusieurs mois, car ils s'étaient dit des choses que Théo ne pensait jamais entendre, car ils s'étaient blessé d'une façon qui ne leur ressemblait pas. Tromper Samaël, cela ne lui ressemblait pas, et pourtant il l'avait fait ; et pourtant, il rêvait de recommencer... mais il ne serait pas cet homme là, cet homme qui reste marié alors que sa tête et son coeur sont ailleurs. Théo avait fait un choix qu'il comptait bien assumer.

La couverture du livre était joli et il aurait pu lui plaire s'il s'était attardé un peu plus sur la quatrième de couverture. Mais un sujet plus grave demandait à être évoqué et Samaël avait enfin trouvé la force de l'aborder. Il n'alla pas par quatre chemins, à quoi bon ? Ils avaient suffisamment souffert l'un et l'autre pour qu'il se permette de dire les choses telles qu'elles étaient. Il était temps qu'ils se disent les choses, ils avaient assez attendu comme ça. Des questions devaient être posées et les réponses ne seraient pas forcément faciles à entendre. L'ancien Poufsouffle avait décidé de parler avec son cœur, d'offrir une seconde chance à leur couple.

Mais était-ce la deuxième ? Ils n'en étaient pas à leur première dispute. L'une d'elle avait failli les séparer à jamais. Et pourtant cette fois-ci tout semblait différent. Leurs échanges étaient tintés d'une forme d'amertume. Il y avait déjà eu trop eu de mots durs, trop de fuites et trop de colères et d'incompréhensions. Sam savait que Théo avait raison. Au fond de lui, il savait. Même s'il ne voulait pas l'admettre, même si c'était plus simple de fermer les yeux devant l'inéluctable. Ils ne pouvaient pas se séparer comme ça. Pas après tout ce qu'ils avaient traversé pour être ensemble. C'était comme un échec qu'il n'était pas prêt à assumer. Il refusait de s'avouer vaincu avant d'avoir essayé. Et pourtant... en avait-il la force ? Ils retomberaient fatalement dans la même routine à un moment donné.

Et pourtant... il l'aimait encore. Il avait l'impression du moins de tenir encore à lui. Mais était-ce suffisant ? Ce n'était plus aussi fort qu'avant, il n'était plus capable d'accepter qu'il se mette en danger. Il n'avait plus la passion ni même la patience de supporter encore une autre dispute. Alors peut-être qu'effectivement, il valait mieux tout arrêter avant qu'ils ne se fassent encore plus mal. Il ne détestait pas Théo. Loin de là. Et il ne voulait pas le détester non plus. Et cette tristesse, cet abattement qui lui serrait la poitrine, il n'arrivait pas à savoir si c'était dû à une immense peine ou à une fierté mal placé. La peur de perdre leur confort, il ne voulait pas déménager, il ne voulait pas de changement. Et pourtant... il avait déjà eu lieu. Il n'avait jamais réellement vécu sans Théo jusqu'à présent. Il avait toujours fait parti de sa vie et le voir disparaître tout à coup avait quelque chose d'effrayant. Arriverait-il à vivre sans lui ?

Sa vue se brouilla légèrement et il s'empressa de s'essuyer les yeux avant que les premières larmes ne tombent. Il ne voulait pas lui montrer sa peine, il ne voulait ps qu'il assume la décision de leur rupture seul. Ils seraient deux dans cette décision, aussi difficile soit-elle. Il ne pouvait pas le laisser porter ça seul s'ils étaient deux à savoir qu'au fond c'était la seule solution viable. Il inspira profondément et hocha la tête pour se donner du courage et enlever la boule qui s'était logé dans sa gorge.

"Je comprends."

Il redressa le regard et lui adressa un léger sourire vaillant pour tenter de cacher sa tristesse. Celle de voir leur relation se terminer de cette façon. Mais c'était sans doute la plus douce des façons.

"Je respecte et accepte ta décision. Si c'est que tu ressens au plus profond de toi alors..."

Il haussa les épaules avec une forme de fatalisme avant de pousser un profond soupir.

"J'imagine que tu as raison. Même si j'aurais aimé que les choses se passent différemment."

Il y aurait toujours ce regret en lui. Cette sensation que les choses auraient pu être différentes s'ils avaient fait de meilleurs choix. S'ils avaient mieux communiqué peut-être aussi. Mais ils en étaient là aujourd'hui.

"Comment vois-tu les choses ? Que souhaites-tu faire maintenant ?"

Samaël releva les yeux sur Théo tout en faisant tourner son alliance autour de son doigt. Chose qu'il faisait chaque fois que quelque chose le tracassait. Il allait sans doute devoir l'enlever maintenant que tout était fini. Son cœur se serra dans sa poitrine à cette constatation et il n'était pas prêt. Pas encore.

Théo guetta avec attention la réaction de Samaël. Il ne manqua pas ses yeux qui se brouillaient de larmes, la dignité avec laquelle il les retint. Son mari prenait sur lui, pour que cette séparation se passe le mieux possible, alors même qu'il aurait aimé le retenir, Théo pouvait le sentir. Et cette réaction de Sam, si digne, si empathique, lui rappela le Sam dont il était tombé amoureux, qu'il avait aimé, qu'il aimait encore d'une certaine façon. Cette sensation lui brisa le cœur, et il dut lui aussi lutter pour retenir ses larmes, alors que la culpabilité l'étouffait de l'intérieur.

Théo avait tellement mal agi, et il ne pouvait rester auprès de Sam dans ces conditions. Il ne pouvait pas faire de lui le mari cocu et trompé pendant des semaines, jusqu'à ce que Juliet et lui ne prennent leurs dispositions dans un sens ou dans l'autre. Théo savait qu'il prenait la bonne décision, celle qui s'imposait depuis longtemps. Mais savoir que c'était la bonne ne la rendait pas moins difficile à prendre. L'espace d'un instant, alors que Sam acceptait cette issue sans broncher, il fut à deux doigts de craquer. Il se sentit sur le point de s'avancer vers lui, de le prendre dans ses bras et de le supplier de tout lui pardonner. Peut-être qu'il le pourrait, c'était Sam après tout, peut-être qu'il pourrait lui pardonner et qu'ils pourraient repartir de zéro ? Après tout, ils avaient déjà traversé tant d'épreuves ensemble...

Trop d'épreuves, peut-être. Peut-être que leur couple était condamné du départ, à cause de lui, du chemin qu'il avait dû parcourir. De ce coming-out qui n'en finissait pas, car Théo peinait encore parfois à se regarder dans le miroir. Car il se dégoûtait, chaque fois qu'il croisait un membre de la haute société, de sa vie d'avant, et qu'il lisait le reflet de ce dégoût dans leur regard. Car il avait ressenti un profond soulagement à se retrouver dans les bras d'une femme, à se sentir la désirer, à se trouver normal, l'espace d'un instant. Puis il s'était méprisé pour cela. Théo ne parvenait pas à assumer complètement, après tout ce temps, après tout ce chemin parcouru, et cela l'empêchait de vivre pleinement sa relation.

Sam et lui n'étaient pas sur un pied d'égalité, ils ne le seraient jamais. Sam méritait mieux qu'un homme qui ne se sentait pas profondément fier, à chaque instant, d'être avec lui.

Toutes ces pensées se bousculèrent en lui, mais il ne prononça pas un mot. La gorge serrée, il s'efforça de trouver les mots pour répondre à la question de Sam.

"Je ne sais pas... Peut-être que je pourrais aller vivre quelques temps au QG, le temps de trouver un autre endroit où vivre. Et... je pense que ce serait bien qu'on coupe les ponts quelques temps", souffla-t-il en détournant douloureusement le regard. "Peut-être pas pour toujours, Sam, tu as toujours été et tu resteras toujours mon meilleur ami, et j'espère qu'on pourra renouer une relation d'une façon ou d'une autre... C'est peut-être utopique, mais je l'espère vraiment. Tu es toujours très important pour moi et j'aurais aussi aimé que les choses se passent différemment."

Il baissa le visage, observa piteusement ses mains et avoua du bout des lèvres :

"Mais je n'y arrive pas."

Redressant le regard, il l'interrogea à son tour : "Qu'est-ce que tu en penses, toi ? Comment est-ce que tu vois les choses ?"

Pendant un instant, Samaël se mit à espérer que Théo changerait d'avis qu'il le prenne dans ses bras et qu'ils essayent de surmonter tout ça ensemble. Parce qu'il voyait la même tristesse que la sienne sur le visage de son mari et il détestait ça. Il ne voulait pas le faire souffrir, il voulait simplement qu'il soit heureux. Ils méritaient tous les deux de vivre heureux. Après toutes les épreuves qu'ils avaient vécues, il avait eu l'impression que l'avenir serait radieux devant eux. Mais il n'en était rien. La passion s'était essoufflée et ils étaient là, l'un en face de l'autre alors que Théo lui annonçait qu'il irait vivre au QG en attendant de trouver autre chose.

Sam ne put que hocher la tête pour assimiler tout ça. Comment en était-il arrivé ? Qu'avait-il manqué dans leur histoire ? Il serra la mâchoire lorsque son futur ex-mari laissait entendre qu'il ne voulait plus le voir. Pour le moment en tout cas. C'était... ses raisons semblaient logiques, cohérentes, justes. Mais Samaël ne voyait que le fait que Théo ne voulait même plus le voir. Et ça faisait mal. Ça blessait. Il hochait la tête de façon automatique sans même s'en rendre compte avant de passer une main lasse sur son visage. Il soupira profondément et acquiesça alors que Théo continuait de lui expliquer qu'il voulait rester son ami. Mais le pourraient-ils seulement ?

Sam le voulait réellement, il ne voulait pas perdre ce qui les liait. Ils avaient été amis avant d'avoir été mariés. Mais peut-être que leur passé commun les empêcherait de redevenir de simples amis. Comment mettre de côté quelques années de vie commune ? Il avait l'impression que plus rien ne serait comme avant même en faisant tous les efforts du monde. Mais oui... Ils pouvaient essayer de rester amis. Il fallait essayer parce qu'il lui semblait en réalité impossible d'imaginer la vie sans Théo. A qui confierait-il ses pensées autrement ? Il avait toujours été là. Son meilleur ami avant tout. Alors il esquissa un sourire un peu triste.  

"Je pense que... Tu as raison. J'aimerai que nous restions amis aussi. Quand tu seras prêt et quand... ce sera moins difficile. J'espère qu'on réussira à retrouver un équilibre."

Il posa le regard sur son ancien amour et haussa les épaules à sa question. Il n'avait pas tellement envisagé de départ. Ses yeux parcoururent leur salon et il poussa un léger soupir.

"Je pense que c'est mieux pour nous deux si nous déménageons. Tu peux rester ici si tu le souhaites. J'irai chez ma sœur. Elle sera ravie, ça fait longtemps qu'elle ne m'a pas vu."

Il aurait aimé ne jamais avoir à prononcer ces mots mais la vie en avait décidé ainsi. Il se montrait bien plus brave qu'il ne l'était réellement. Et il ne savait pas réellement comment finir cette conversation désormais. Revenir à des banalités ce soir serait gênant. Faire comme si rien n'avait eu lieu était la pire idée. Mais dramatiser toute la situation l'était tout autant. Il inspira lorsqu'il se rendit compte qu'il avait retenu son souffle sans réellement savoir pourquoi.

"Je peux dormir à l'hôpital ce soir si tu veux. Tu étais rentré le premier et j'avais l'intention de prendre une garde supplémentaire ce soir. Je ne suis rentré que pour prendre une douche et... voir si tu étais là pour qu'on... discute."

Chose qu'ils avaient fait. La situation s'était décantée. Pas de la plus joyeuse des façons mais au moins... Ils étaient fixés et ils pouvaient désormais avancer. Chacun de leur côté.

"Je l'espère aussi", souffla Théo en accrochant le regard de Sam. Il se sentait blessé à l'intérieur, par ses propres actes et ses propres paroles, par l'attitude que Sam et lui avaient adopté ces derniers mois et qu'il était trop tard pour rattraper. S'ils voulaient tous les deux rester amis, alors c'était peut-être possible, pas vrai ? Revenir en arrière, comme à l'époque où rien de tout cela ne s'était encore passé, où ils étaient amis sans se désirer l'un l'autre, sans se faire du mal, sans cette passion qui s'était finalement avérée destructrice, de par le poids de sa famille. Une boule à la gorge, Théo était conscient que c'était une utopie, qu'il se berçait d'illusions. Sam avait été son amour, sa famille, sa bouée de sauvetage, il avait été son passé, son présent et son avenir à la fois, et maintenant il devait sortir de tout ça pour reprendre une place plus modérée et désacralisée dans sa vie. Ce genre de choses ne se faisait pas sans douleur. Sam ne serait jamais plus ce qu'il avait été pour lui, il devait faire le deuil de cette amitié fusionnelle aussi, il en allait de leur bonheur à tous les deux, mais à cet instant c'était trop dur à accepter. C'était une utopie, oui, mais une illusion nécessaire, presque vitale, à laquelle ils avaient tous les deux besoins de se raccrocher.

Quand Sam évoqua la possibilité qu'il puisse conserver l'appartement, Théo secoua aussitôt la tête en signe de dénégation : il n'avait aucunement besoin d'y réfléchir. Cet endroit était imprégné de ses souvenirs, des souvenirs de leur bonheur à deux, qui étaient désormais teinté de tristesse, d'amertume - il espérait que cela disparaîtrait un jour, mais il faudrait du temps. Les lieux avaient une mémoire, et celle-ci était trop chargée émotionnellement. Alors Théo ne savait pas exactement où il irait, probablement à St Agnès dans un premier temps, mais cela lui paraissait préférable à rester seul ici, au milieu des fantômes de leur mariage...

"Non, non, je ne souhaite pas continuer à vivre ici, ce serait...", il s'interrompit, conscient que Sam ressentait probablement la même chose que lui. "Nous ne sommes pas obligés de le garder."

Cela faisait un mal de chien, mais ils avaient tous deux besoin d'un nouveau départ, loin l'un de l'autre et loin de cet endroit. Pour ce soir, en revanche, Théo se sentait trop exténué pour partir et il fut reconnaissant à Sam de sa proposition. Il ne se sentait pas prêt à affronter le QG et les éventuelles personnes qu'il pourrait y croiser, surtout s'il s'agissait de Jeremy ou de Juliet. Alors il accepta avec gratitude son offre, à la fois pressé que cette conversation se termine et déchiré à la pensée que ce serait certainement leur dernière avant un bon moment :

"Je veux bien rester ici ce soir, si cela ne te dérange pas d'aller à l'hôpital. Sinon, je peux trouver un autre endroit, ce n'est pas un problème", souffla-t-il doucement. Sam accepta sans difficulté et, après un silence, comme il semblait qu'il n'y avait plus rien à dire, ils finirent par se lever et regagner l'entrée.

Un dernier regard, un long regard, qui en dit plus long que bien des mots. La gorge serrée, Théo se sentait prêt à craquer, et il accueillit avec une vague d'émotions intenses l'étreinte d'adieux de Samaël - leur dernière étreinte. Celle qui signifiait qu'il y avait toujours de l'amour entre eux, malgré tout, un amour différent, un amour blessé mais bien présent.

Finalement, les deux sorciers se séparèrent, la porte d'entrée se referma sur l'appartement désormais silencieux. Et Théo se trouva seul.

RP terminé