#ParsAuJapon [Isobel & Abel]

"Il faut qu'on parle". Abel avait failli envoyer cette phrase à Isobel avec son Pear One, avant de songer que la formulation était beaucoup trop sérieuse et inquiétante pour ce qu'il s'apprêtait à dire à Isobel. Il s'était contenté d'envoyer un "Tu viens chez moi ce soir ?", beaucoup plus engageant et moins stressant pour tous les deux. Mieux valait mettre Isobel dans les meilleures conditions pour qu'ils puissent discuter. Il était rentré un peu tard pour envisager de cuisiner quelque chose alors ils s'étaient résolus à commander au japonais en bas de son immeuble, dont il savait qu'Isobel appréciait la nourriture. Il ne savait pas si les sushis pouvaient participer à la mettre de bonne humeur mais si c'était le cas, il prenait.

L'avantage certain, c'était qu'il n'avait aucune vaisselle à faire alors il put rejoindre assez vite sa copine sur le canapé. Normalement c'était le moment tranquille de la soirée où ils poursuivaient leur conversation, se faire des câlins ou s'installer devant un film, mais Abel se rendit assez vite compte qu'il n'avait pas la tête à profiter vraiment de cet instant. Il n'était pas très concentré sur ce que lui disait Isobel et ponctuait leur conversation de phrases plutôt bateau. La façon dont il allait faire son annonce ne cessait de tourner dans sa tête, si bien qu'il savait qu'il n'allait plus pouvoir repousser bien longtemps.

Au premier début de silence qui se glissa dans leur conversation, Abel sut que c'était le moment de la reprendre en main et la mener où il le souhaitait. Il suspendit les caresses machinales qu'il faisait courir le long du bras d'Isobel depuis quelques minutes et s'écarta légèrement pour pouvoir la regarder.

"Désolé je suis un peu ailleurs" reconnut t-il.

Y avait t-il vraiment une bonne façon d'amorcer les choses ? Abel n'avait jamais été doué pour parler avec tact. Quand il avait quelque chose à dire, il le faisait, car il avait tendance à vite fatiguer de tourner autour du pot. Fidèle à lui-même, il poursuivit donc sans autre forme d'introduction :  

"Il y a un truc dont je voulais te parler..."

Isobel était en train de raconter en long, en large et en travers la dernière réunion qu'ils avaient eu au sein du service au sujet de l'idée de lancer une boutique d'objets siglés au nom du Ministère et des petites phrases marquantes du Ministre. Certains trouvaient ça brillants, d'autres que c'était une catastrophe sur le plan de la communication et Isobel ne savait pas trop quoi en penser. Si leur sigle était le grand public... Elle n'était pas persuadée que beaucoup de gens avaient envie d'avoir une tasse avec la tête du Ministre dessus pour boire leur café du matin, sans offense évidemment. Abel n'avait pas vraiment l'air passionné par ce qu'elle relatait, notamment les prototypes réalisés par Anderson Bannerman de t-shirts "Leopoldesque". Elle pouvait objectivement comprendre que ce n'était pas le sujet de conversation du siècle mais elle ne disait rien, elle, quand il lui parlait de points de contrefort... Elle finit donc par interrompre son petit discours pour relever ses yeux noirs vers lui. Ils s'étaient installés sur le canapé après leurs sushis, elle avait étendu ses jambes sur lui et jouait machinalement avec un bouton de sa chemise à lui alors qu'elle parlait. Il reconnut qu'il était un peu ailleurs en croisant enfin son regard et elle eut un sourire.

- Bah oui un peu... Je t'ennuie ?

Elle était (à peu près) prête à l'entendre. Peut-être que tout le monde ne se passionnait pas pour les histoires de benchmarking de produits Leopold... Elle eut néanmoins un pressentiment pas très positif quand il affirma qu'il devait lui parler de quelque chose. Elle ne pouvait pas vraiment dire qu'il avait l'air grave - parce que c'était Abel et il avait rarement l'air extatique - mais il n'avait pas l'air très content non plus. Isy se redressa de sa position un peu avachie, posant un coude sur le dossier du canapé.

- Quoi ?

Ce n’était pas qu’Abel ne trouvait pas cela intéressant d’entendre parler des mugs qu’Anderson Bannerman fabriquait avec des slogans bien douteux de type « You got Leopold up », sensés être rigolos parce que « hold up » -vraiment Bannerman était un étrange énergumène- mais disons que quand il avait un sujet en tête, cela avait tendance à monopoliser son esprit jusqu’à ce que ça sorte. Structure de pensée obsessionnelle, ce n’était pas sa faute. Et comme ce n’était pas Isobel qu’il allait duper en faisant semblant d’écouter, autant faire preuve de franchise. Elle le piqua un peu et il eut un sourire d’excuse.

« C’est pas ça… »

C’était simplement qu’il avait quelque chose à lui dire et plus il attendait, plus il se posait mille questions sur la façon de le faire. Il aurait préféré qu’Isobel ne prenne pas une posture plus sérieuse mais il ne pouvait pas vraiment lui en vouloir : malgré lui, il avait pris un ton plus grave. Est-ce que c’était grave ce qu’il allait lui annoncer ? Un peu, peut-être. Pas trop, il espérait. Comme pour contrer cet effet, il saisit la main d’Isobel dans la sienne. Il s’éclaircit la gorge, en s’efforçant de garder ses yeux sur elle pour capter ses réactions alors qu’il avançait prudemment :

« En fait… On a répondu avec Isaac il y a quelques mois sur un concours assez difficile, un gros projet de zone d’activités. La concurrence était de taille mais… On a reçu les résultats hier et on a fini lauréats. »

Ce qui était une bonne nouvelle, très bonne nouvelle même. Jusque là c’était bien. Cela méritait même des félicitations. Quand il avait reçu le message, il avait eu un véritable ascenseur émotionnel. Sa fierté et sa joie que leur travail ait été sélectionné n’avaient duré que jusqu’au moment où il avait machinalement attrapé son Pear One pour annoncer la nouvelle à sa petite amie et qu’il avait eu une brusque réalisation au moment d’écrire le message. Allait t-elle forcément bien le prendre ? Il n’en était pas sûr. L’expression et le ton d’Abel suffisaient à suggérer qu’il n’avait pas fini sa phrase, parce que malgré lui, il commençait à sentir de nouveau monter cette appréhension. Sans quitter Isobel du regard, prêt à guetter la moindre ride de contrariété sur son visage, il poursuivit :

« C’est un projet au Japon, donc je vais devoir me déplacer là-bas. »

Isobel connaissait Abel depuis des années et elle savait quand il faisait une drôle de tête. Là, en l'occurence, il faisait une drôle de tête. De mémoire, c'était la tête qu'il faisait quand il avait fait une bêtise ou presque et elle ne l'avait pas revue depuis longtemps, celle-là. Un peu tendue, elle fronça les sourcils et baissa les yeux sur leurs mains lorsqu'il glissa ses doigts dans les siens. Elle était sûre à cent pour cent qu'il allait lui annoncer quelque chose qui ne lui plaisait pas, elle le voyait venir gros comme und dragon. Alors elle ne le félicita pas lorsqu'il lui expliqua être lauréat d'un appel d'offres fait il y a quelques mois, préférant attendre la suite.

- D'accord... ?

En soi, c'était une bonne nouvelle et elle ne voyait pas encore où pouvait se cacher le problème. Il finit par le lui avouer en glissant le mot "Japon" dans sa phrase. Parce qu'elle faisait attention au choix des mots, Isy tiqua sur quelque chose.

- Quand tu dis te déplacer, ça veut dire quoi ?

Parce qu'il pouvait très bien aller au Japon de temps en temps, c'était très chouette pour lui. Mais elle avait l'impression que ce n'était pas si facile, sinon il n'aurait pas été aussi tendu.

Elle était tendue, il le sentait rien qu’au contact de leurs mains : celle d’Isobel était figée par la même attente qui suspendait ses fins de phrases. Pour autant, Abel ne rompit pas ce contact qui était presque une façon de prendre le pouls de sa petite amie, au sens figurée. Tant qu’elle acceptait ce geste, alors elle était à l’écoute et pas fâchée. Il craignait de la contrarier et peut-être que son attitude à prendre des pincettes le faisait déjà. Il n’était pas le genre à tourner autour du pot, pourtant, il n’aimait pas cela. Mais il fallait dire qu’il était rarement nerveux. S’il y avait bien quelque chose qui caractérisait Abel, c’était cette force de tempérament qui le rendait difficilement perturbable. Avec Isobel, il était un peu différent et c’était bien, parce qu’elle le sortait de ses zones de confort, elle arrivait à faire ressortir des aspects de lui-même plus tendres, que peu de personnes connaissaient. D’un autre côté, il s’exposait beaucoup plus avec elle et parfois, c’était une situation qui faisait renaître des vieux réflexes en lui, comme l’envie de se retrancher dans un coin et faire ce qu’il avait à faire de son côté sans avoir besoin d’expliquer. Est-ce que cela se voyait qu’il s’était habitué à son célibat pendant un moment avant de retrouver Isobel ?

En tout cas, il avait un peu perdu l’habitude de gérer des choses à deux, et notamment sa carrière. Il était dans un métier qui lui demandait beaucoup de déplacements, Isobel le savait. Mais jusque là, il se contentait de s’absenter seulement quelques jours de temps en temps pour aller aux Etats-Unis dans son deuxième bureau. Ce qui l’attendait cette fois était un peu différent à priori et il hésitait sur la manière de le présenter. Commencer par le début était généralement une bonne stratégie alors il répondit :

« Eh bien… En fait, le client est américain, il lance un gros projet immobilier au Japon, qu’il pilote depuis les Etats-Unis. C’est pas une construction de l’envergure de Leopoldgrad mais c’est pas une simple tour de bureaux non plus, c’est tout un quartier. On a gagné le concours sur un plan masse de principe mais… Tout est à faire dans la réalité, il faut qu’on se confronte au site pour pouvoir affiner la proposition et lancer vraiment le projet. »

Est-ce que c’était un bon plan de s’éterniser sur des détails pour ne pas avoir à dire tout de suite les choses qui fâchaient ? Abel convint mentalement que non -en tout cas, lui, c’était le genre de choses qui l’insupportaient- et s’efforça de poursuivre sur les conclusions de toute cette histoire :

« Du coup, on a prévu de travailler depuis notre bureau à New York avec Isaac, pour pouvoir être en contact directement avec le client et faire régulièrement des allers-retours au Japon, le temps de lancer le projet… »

Ce n’était probablement pas une bonne idée non plus de faire durer le suspense plus longtemps sur la période en question, surtout que c’était certainement la première question qu’Isobel allait poser. Il termina en sentant son anxiété se manifester, comme une légère pression dans l’estomac :

« Donc quand je parle de me déplacer… Je parle de me déplacer entre les Etats-Unis et le Japon pendant à peu près deux mois, à priori. »

Abel semblait nerveux à l'idée de lui expliquer la situation, c'était du moins ce que Isobel retenait de ses détours dans son récit. Elle avait presque envie de lui demander d'abréger, qu'il lâche enfin le morceau et mette fin à ce pénible suspens. Elle sentait de toute manière que la nouvelle n'allait pas lui plaire, elle le voyait bien à sa tête et au fait qu'il n'en n'aurait pas fait toute une histoire sinon. Presque contrariée d'avance, elle en oublia de le féliciter pour avoir gagné son concours. C'était chouette d'accord, plan de masse, tout ça, mais qu'est-ce qu'il pouvait bien entendre par se déplacer ?

Il finit par enfin lâcher l'information, ou du moins une partie de cette dernière, en expliquant qu'il allait devoir travailler de son bureau américain. Donc il repartait à New-York... Isobel retira sa main de la sienne et s'éloigna un peu sur le canapé. Ah, d'accord. Elle aurait peut-être pu le voir venir : ils étaient américains tous les deux, Abel vivait vraiment là-bas avant de venir ici, il était un expatrié provisoire. Il n'avait pas vraiment bâti une vie au Royaume-Uni, pas comme elle, pas autant du moins. Néanmoins, il apporta une précision importante : il ne repartait que deux mois mais... C'était déjà pas mal, réalisa-t-elle, deux mois sans se voir. Ils avaient pris leurs habitudes ici, ils étaient bien. Elle était partagée entre le soulagement, parce qu'il ne déménageait pas complètement et la contrariété de ce qu'il lui annonçait. Rendue muette par l'information, elle finit par lâcher après un grand silence :

- Ok.

Sûrement pas le plus constructif des commentaires. Remontant une jambe sur le canapé, elle croisa ses bras sur sa poitrine.

- Et tu pars quand ?

Quand la main d’Isobel lui échappa, Abel comprit qu’ils étaient arrivés au moment qu’il redoutait un peu. Contrairement à ce qu’elle pouvait transmettre comme image d’elle face à la grande majorité de son entourage, elle était une femme affectueuse et tactile dans l’intimité. Abel était assez proche d’elle pour connaître cette facette de sa personnalité et pour savoir que quand elle lui refusait un geste d’affection, ce n’était pas parce qu’elle avait envie d’un peu de solitude. C’était généralement parce qu’elle était irritée. En l’occurrence, savoir qu’il allait se déplacer pendant deux mois ne lui plaisait pas et c’était bien parce qu’il s’y attendait, qu’Abel avait pris des pincettes.

Mais le plus déstabilisant, ce n’était pas qu’elle soit contrariée, c’était plutôt la manière avec laquelle elle manifestait cette contrariété. Isobel avait facilement la répartie vive, cinglante, sauter sur ce registre était souvent son premier réflexe quand elle se trouvait dans une situation qui était inconfortable pour elle. Pas cette espèce de réponse qui se voulait neutre sans l’être vraiment ce « Ok. » dont Abel ne sut que penser. Pour le moment il ignorait s’il préférait ça ou qu’elle se mette en colère, surtout si elle accompagnait ce commentaire lapidaire d’un repli littéral sur elle-même. Il la vit se retrancher dans un coin du canapé en rabattant ses jambes et ses bras sur sa poitrine, dans une position qui semblait lui dire de ne pas l’approcher et ne pas la toucher. Un peu peiné, Abel s’en garda et se résolut à se contenter de répondre à sa question :

« Je pars dans deux semaines. »

C’était rapide, il en était conscient mais ce n’était pas comme si cela dépendait de sa volonté. Ils avaient eu une réponse tardive, il était un peu pris au dépourvu lui aussi.

« Je sais que c’est un peu… soudain, ajouta t-il en espérant qu’il n’allait pas braquer davantage Isobel avec cette information, mais ça nous laisse quand même le temps de nous préparer et ça passera vite deux mois. »

L'exclamation avait échappé à Isobel. Il partait dans deux semaines et il ne lui disait que maintenant ? Dans deux lundi, il serait au Japon et elle ne l'apprenait que aujourd'hui ? Ce n'était pas soudain, comme il le soulignait avec ce bel euphémisme, c'était carrément brusque. Blessée, elle détourna le regard. D'accord, très bien, il partait au Japon dans deux semaines, pour deux mois, ils n'allaient pas se voir ou à peine alors qu'ils se voyaient presque tous les jours en ce moment mais ce n'était pas grave parce que, deux mois, ça passe vite. D'accord. Il disait qu'ils avaient le temps de se préparer, mais se préparer à quoi ? Ne plus se voir ?

Isy n'arrivait pas vraiment à identifier les sentiments qui l'assaillaient brusquement mais une chose était certaine : elle n'était pas ravie. Elle avait envie de crier sur Abel tout en sachant que ce n'était pas forcément rationnel. C'était pour son travail. Mais elle lui en voulait. Parce qu'ils étaient bien, tous les deux en ce moment, ils avaient pris leurs habitudes et maintenant, il partait deux mois au Japon, il lui annonçait deux semaines avant et c'était tout. C'était pas grave. Elle sentait le regard de son petit-ami sur elle, qui attendait une réponse, et elle coula des yeux sombres vers lui.

- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? C'est pas comme si j'avais mon mot dans l'histoire...

Finalement, le ton faussement neutre d’Isobel ne dura pas longtemps. Elle eut une exclamation teintée de colère qui laissa Abel silencieux. Que pouvait t-il lui dire ? Elle n’avait pas mal entendu, c’était bien deux semaines. Certes, c’était court mais à ses yeux, cela leur laissait le temps de se préparer, ce n’était pas comme s’il devait faire ses valises ce soir. Elle n’était visiblement pas de cet avis et Abel la laissa prudemment exprimer ce qui la gênait. Il fut un peu désarçonné par ce qu’elle finit par lâcher, avec un regard orageux.

« Comment ça ? On est en train d’en parler, là… »

Que lui reprochait t-elle exactement ? Il se rapprocha en se décalant légèrement sur le canapé, mais sans la toucher ou être trop proche non plus. Elle était fâchée, elle le repousserait. Mais il voulait tout de même lui signifier qu’il n’avait pas envie de se disputer avec elle, simplement de réussir à établir un dialogue.

« Je suis désolé de ne pas t'en avoir parlé plus tôt, ça fait des mois qu’on a répondu au concours, j’y pensais même plus et honnêtement, on pensait pas du tout gagner. Parfois on postule à des concours juste pour faire tourner la machine, pour que les employés se fassent la main. »

Il se tut en voyant l’expression d’Isobel, songeant que ce qu’il disait ressemblait à des justifications maladroites. Il soupira un peu.

« Tu sais que je dois voyager parfois pour mes projets, c’est pas la première fois… »

- Nous ne sommes pas en train d'en parler, rectifia Isobel, tu te contentes de me l'annoncer.

Au final, peu importait ce qu'elle en avait à dire puisque la décision était déjà prise. Son avis n'était pas nécessaire alors elle ne voyait pas ce que Abel attendait d'elle. Elle n'avait même pas envie de lui parler de toute manière. Il partait au Japon, il partait, que pouvait-elle lui dire ? Rien. Il se rapprocha un peu d'elle et elle se tendit, parce qu'elle n'avait pas envie de proximité maintenant, c'était trop facile de lui annoncer ça comme une fleur et espérer qu'ils continuent leur soirée comme si de rien n'était. Qu'il lui annonce que sa candidature remontait à des mois ne l'aidait pas vraiment à s'apaiser. Qu'il pense ou pas l'avoir ne changeait pas grand-chose.

- On était déjà ensemble il y a des mois, rappela-t-elle un peu froidement, ça ne t'aurait pas tué de me dire "Hé, au fait, je vais peut-être partir vivre au Japon deux mois."

Au moins, elle aurait eu l'idée en tête et n'aurait pas pris comme cela ses petites habitudes avec lui, elle aurait pu garder en tête que cela allait s'arrêter. Qu'il lui rappelle qu'il devait voyager, comme on ferait la leçon à une enfant, l'agaça profondément et elle lui lança un regard noir.

- Je sais bien, sauf que désolée de t'apprendre qu'il y a une différence entre "Je passe la semaine à mon bureau américain" et "je m'en vais deux mois à l'autre bout de la planète."

Abel ne sut pas tout de suite quoi répondre à sa petite amie quand elle lui reprocha d’être venu pour lui annoncer la nouvelle alors il fit ce qu’il faisait toujours dans ces cas-là : il se tut. Non, il ne l’avait pas incluse dans sa décision, mais c’était une décision professionnelle. C’était sa carrière et il n’avait pas jugé que cela représentait un changement si énorme. D’accord, deux mois c’était plus que la durée des déplacements auxquels il l’avait habituée, mais cela restait court, c’était faisable, cela passerait vite.

« Je n’y pensais même plus ! » tenta t-il de se justifier quand elle argua qu’il aurait pu la prévenir de l’éventualité de ce voyage.

Les choses s’étaient simplement mal enchaînées, il avait répondu à ce concours alors qu’ils venaient à peine de se mettre ensemble, lui semblait t-il, et Merlin savait comme le départ de leur couple avait été un peu flou sur ce qu’ils attendaient tous les deux. Etait-ce une bonne idée de lui annoncer qu’il participait à des concours internationaux alors qu’il n’était ni sûr de les avoir, ni sûr que leur couple allait durer assez longtemps pour faire face à cela ? Ils avaient assez de problèmes à gérer. Abel n’en parla pas, toutefois, pressentant que cela ne ferait qu’envenimer la situation. Au fond, Isobel n’avait pas tort, il aurait pu lui en parler plus tôt et au vu de son ton piquant, elle en était blessée, ce qui n’était aucunement son intention. Désireux d’apaiser la situation plutôt que de laisser la colère de sa petite amie franchir de nouveaux paliers, il se replia vers des excuses :

« Ecoute, je reconnais que le timing est mauvais et que j’aurais pu t’en parler plus tôt. Je suis désolé. »

Son regard un peu inquiet cherchait le sien. Il ne voulait vraiment pas se disputer avec elle… Mais comment lui dire ce qu’il pensait sans la brusquer davantage ? Il reprit, en espérant que ses excuses l’avaient un peu apaisée et qu’elle comprendrait sa position :

« Mais ce projet… C’est vraiment une bonne opportunité pour nous. On a du mal à trouver des projets ambitieux pour lancer notre bureau à New York, comme Leopoldgrad a pu l’être ici, avoua t-il. On commençait à envisager l’option de licencier quelques employés avec Isaac… Mais ce concours pourrait nous permettre de nous relancer. On peut pas passer à côté de ça…

Peut-être qu'il n'y pensait plus mais en attendant, il leur faisait tomber cela dessus sans prévenir. Isy n'était pas vraiment fan des surprises de ce genre et honnêtement, elle ne s'y attendait pas. Ils étaient bien comme cela et même si elle n'aimait pas trop faire des plans d'avenir trop lointain, ils avaient des chouettes projets tous les deux. Peut-être qu'elle réagissait excessivement, ce n'était que deux mois, comme il le disait mais c'était quand même long, deux mois sans se voir. Et puis c'était pénible ! Ils travaillaient pour se mettre en couple, pour arriver à se détendre, à se faire confiance, à trouver leur rythme et maintenant qu'ils étaient bien, il décidait de tout remettre en question brusquement, sans lui en parler ? Elle était en colère et surtout, dans le fond, elle était triste. Elle n'avait pas envie qu'il parte. Même ses excuses n'étaient pas très efficaces, elle n'avait pas envie de lui parler et voulait brusquement rentrer chez elle. À quoi bon s'attarder sur le sujet ? Il partait, il partait, très bien. Refusant obstinément de le regarder, elle fixait un point sur le mur en face.

- J'ai pas mon mot à dire de toute manière, maugréa-t-elle, tu vas le faire donc fais-le. Pars au Japon.

Abel parlait tout en ayant l’impression que ses mots glissaient comme de l’eau sur la surface imperturbable d’un double vitrage. Isobel gardait cet air obstinément coléreux et ce regard sombre fixé droit devant elle, refusant de lui accorder un regard à lui. Elle était vexée, blessée, contrariée et dans ces moments-là, c’était difficile de la faire changer d’état d’esprit. Malgré tout, Abel essayait, dans l’espoir que si cela ne la calmait pas maintenant, elle pourrait retourner ses paroles plus tard dans sa tête et s’adoucir. Elle lui en voulait de ne pas l’avoir incluse dans sa décision. Abel baissa quelques secondes son regard, pris par un certain sentiment d’inconfort. S’il n’avait pas parlé de cela à Isobel plus tôt, ce n’était pas seulement parce qu’il avait oublié ou parce qu’il avait été victime d’un mauvais timing. C’était sûrement parce qu’il estimait que c’était sa décision à lui. C’était sa carrière après tout. Lui, il n’aurait pas cherché à empêcher Isobel de voyager pour des raisons diplomatiques par exemple, si son travail l’exigeait. Il se serait adapté. Et il pensait qu’Isobel voyait les choses comme lui : elle ne lui avait jamais reproché d’être entre deux pays, jusque là, à passer régulièrement quelques jours aux Etats-Unis.

Il s’était sans doute trompé sur quelque chose. Ils n’avaient de toute évidence pas la même vision des choses. Et il ne saurait pas pourquoi tant qu’il n’aurait pas exactement posé le doigt sur ce qui gênait tant Isobel dans le fait qu’il doive s’en aller. Il releva ses yeux sur elle, cherchant ses mots avec une certaine nervosité.

« Tu as raison, c’est ma décision. »

De fait, son seul interlocuteur dans cette histoire avait été son associé, Isaac. Il avait décidé sans elle et il ne comptait pas lui donner l’illusion qu’elle pourrait le convaincre de ne pas accepter cette opportunité. Pour autant, elle était rentrée dans ses calculs, même s’il s’était trompé. Il ajouta donc, toujours nerveux :

« Mais je l’ai prise sans toi seulement parce que je ne pensais pas que ça allait affecter notre couple. »

Il pensait sincèrement pouvoir survivre à cette courte période de relation à distance et il avait cru qu’il en était de même pour elle. Il le croyait toujours, d’ailleurs. Il espérait que passé la surprise et la contrariété, ils parviendraient à s’adapter tous les deux.

« Isobel… »

Son ton sonnait comme une prière pour avoir son attention. Il voulait capter son regard, parce que ce serait plus facile de lui faire passer ce qu’il ressentait, de la rassurer et de calmer la tension entre eux, s’ils se regardaient.

« Ca passera vite, c’est pas si énorme deux mois… Et on peut communiquer facilement, avec nos Pear One. Je pourrai revenir certains week-end aussi. »

Isobel fit une exception à sa politique de fixation du mur : quand Abel confirma que effectivement, c'était sa décision (sous-entendu : je me fous de ton avis), elle tourna la tête pour lui envoyer un regard noir. Oh bah très bien, la prochaine fois, il n'aurait qu'à la prévenir une fois là-bas, puisqu'il prenait toutes ses décisions tout seul. Pourquoi elle s'embêtait, franchement ? Elle dû se mordre la langue pour ne pas avoir une réplique méchante (et un peu puérile) et recommença à fixer le mur blanc. Ah bah encore mieux, il prenait des décisions pour leur couple mais décidait tout seul que ça allait très bien se passer. D'accord. Et bien elle supposait qu'elle n'avait pas le choix, maintenant, ça n'affectait rien. C'est vrai qu'ils avaient un super passif de relation à distance, tout s'était vraiment très bien passé quand il était parti à la fac loin de la Louisiane. Isobel serra les dents pour ne rien répondre parce qu'elle sentait qu'elle allait être virulente sinon.

Ils y étaient encore. Abel prenait des décisions et elle était censée s'y plier. Comme avant, comme quand il était revenu et qu'il décidait quand est-ce qu'ils ne se parlaient plus, après leur premier baiser au bord du Mississippi, et puis quand ils se parlaient encore, quand il était venu la voir à l'hôpital et maintenant, il décidait qu'il partait deux mois et elle n'avait rien à dire, c'était sa décision mais tout allait très bien se passer. La manière dont il prononça son prénom la fit tourner la tête vers lui. Ce n'était pas la peine d'essayer de l'amadouer avec ses yeux de chaton triste, ça ne changeait rien à la situation. Super, ils allaient pouvoir s'envoyer des messages. Belle consolation. Et il pourrait revenir certains week-end, avec un beau conditionnel. Ils allaient se voir une fois en deux mois mais pas grave, ils allaient s'envoyer des messages. Pourquoi elle s'inquiétait, franchement ?

- J'ai pas le choix, de toute manière, fit-elle remarquer de manière un peu cinglante.

Encore plus que tout à l’heure, Abel eut la sensation que ses paroles n’avaient aucun effet sur Isobel. Pas l’effet voulu en tout cas. Son regard s’assombrissait un peu plus et son silence s’épaississait. Il connaissait cet air sur son visage : elle était en train de bouillir à l’intérieur. Mais elle ne disait rien et il n’y avait rien de plus frustrant pour lui. Comment était t-il sensé savoir quoi lui dire et comment réagir, si elle le laissait parlementer tout seul ? A nouveau, elle rappela qu’elle n’avait pas le choix, comme s’il n’avait rien dit. Cette fois, Abel se sentit démuni. S’était t-il à ce point trompé sur la manière dont leur couple fonctionnait, pour se heurter à un tel mur ?

Il commençait à sentir son calme mis à l’épreuve et ce n’était pas bon signe. Il avait envie qu’elle dise quelque chose, quitte à ce qu’elle explose et lui adresse d’autres reproches encore mais au moins il saurait mieux comment se positionner. Il s’efforça de ravaler son inquiétude mêlée d’impatience mais sans doute ne parvint t-il pas à la supprimer totalement en répliquant pour la pousser à parler :

« Et tu veux que je fasse quoi ? Que je refuse le projet ? »

Isobel sentit l'agacement dans le ton d'Abel et ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Elle ne voulait rien, elle, tout simplement parce que ses envies ne rentraient visiblement pas en ligne de mire. Il lui avait annoncé ce qu'il voulait lui dire, très bien, c'était bien assez pour la soirée. Elle secoua la tête avant de tourner le regard vers Abel, scrutant ses yeux gris alors qu'elle répondait :

- Tu as déjà accepté de toute manière.

Les dés étaient jetés, c'était bon. Isobel se leva un peu brusquement du canapé, pour faire quelque pas vers l'entrée. Elle avait envie de rentrer chez elle et de retrouver son chat.

- Je vais rentrer, il est tard.

Il était vingt-et-une-heure trente mais c'était déjà bien assez pour elle, cette soirée.

Isobel rejeta sa question comme elle avait rejeté ses autres remarques, ce qui emplit Abel d’un peu plus d’inquiétude. Elle avait raison, il n’était pas venu partager une prise de décision avec elle, il était venu lui annoncer une décision qu’il avait prise. Mais c’était sa carrière à lui et il avait la responsabilité de toute une entreprise entre ses mains, il essayait de faire ce qui était bon pour son agence. C’était sûrement une chose qu’il devait dire, au risque qu’Isobel le prenne mal, mais c’était la vérité et peut-être que ça leur permettrait enfin de parler, au moins.

Malheureusement Isobel décida que la conversation était terminée avant qu’il ne puisse répondre. Elle fit remarquer l’heure et Abel jeta automatiquement un oeil à sa montre.

« Il n’est pas si tard… Attends » tenta t-il de la retenir en la voyant se lever.

Isobel filait déjà, sans l’écouter. Une sorte d’alarme s’enclencha chez Abel, le poussant à se lever aussitôt à sa suite. Qu’ils se quittent là-dessus sans avoir réussi à discuter n’était vraiment pas une bonne idée. Il connaissait déjà la suite : elle allait lui faire la tête pendant des jours et il n’allait ni savoir quoi faire ni comprendre ses réactions.

« Chérie… »

Il avait retrouvé son ton doux de tout à l’heure, inquiet à l’idée de rester fâché avec elle. Il poursuivit en espérant la retenir dans ses mouvements pour partir :

« Ne t’en vas pas comme ça, parle-moi. Pourquoi… Pourquoi ça te contrarie tellement ? »

Elle entendit Abel se lever à sa suite mais s'efforça de ne pas y faire attention. Elle était déjà en train d'ouvrir le placard de l'entrée pour prendre sa veste quand il la rejoignit. Son interpellation suspendit son geste et son bras retomba un peu mollement alors qu'elle se tournait vers lui. C'était bien le moment de lui sortir des mots doux pour essayer de la calmer, tiens. Sa question lui fit hausser un sourcil. Il se demandait vraiment pourquoi elle était contrariée ? Il ne voyait pas du tout le problème dans ce qui était arrivé ce soir ? Presque abasourdie, elle croisa ses bras sur sa poitrine.

- Oh bah je ne sais pas, je devrais être ravie que tu partes pour deux mois dans dix jours, alors que je viens de l'apprendre ce soir ?

Honnêtement, même si elle l'avait appris il y a un mois elle n'aurait pas été contente mais elle ne précisa. Un mois, ils auraient pu s'organiser... Voire même encore avant. Si elle avait su avant, vraiment avant, ils auraient pu prévoir des choses, elle aurait pu mettre de l'argent de côté pour aller le voir, poser des jours de boulot voire même des petites vacances. Ils auraient pu mieux gérer la situation mieux que cela. Là c'était "Au fait, je pars au Japon. Ah t'es fâchée ?" Elle n'était peut-être pas très talentueuse dans tout ce qui était relation mais elle au moins, elle n'aurait pas fait un tel coup à Abel.

« J’ai pas dit ça, mais… »

Mais ce n’était pas si terrible, avait t-il envie d’ajouter. C’était deux mois, pas un an. Ils avaient les moyens de se contacter autant qu’il le voulait et lui pourrait se déplacer sur des week-ends pour venir la voir. Abel voyait tout un tas d’arrangements possibles qui pourraient faire passer très vite ces deux mois et leur permettre de rester régulièrement en contact. Isobel ne semblait pas les voir ou ne pas vouloir.

« Ce n’est pas dramatique non plus… C’est pas dix jours, c’est deux semaines, on a le temps de voir venir et d’en parler, assura t-il. Je t’ai dit, je prendrai des Portoloin pour revenir ici le week-end. »

Après une brève hésitation, il se détacha de l’encadrement de la porte pour s’approcher d’elle.

« Reste… »

Encore une fois, Abel décidait et elle devait suivre. Il avait décidé qu'elle ne devait pas trouver cela dramatique, que ce n'était pas grave et que donc, elle ne devait pas réagir comme cela. Elle le connaissait bien depuis le temps. Il trouvait qu'elle ne faisait trop, sûrement, peu importait que cela puisse lui faire de la peine ou l'angoisser, ce départ. Ce n'était pas dramatique. Sa correction sur les dix jours lui fit lever les yeux au ciel.

- C'est vrai que ça change vraiment la donne.

Non, ils n'avaient pas le temps de voir venir, ce n'était rien quinze jours... Puis il allait avoir des papiers à faire, ses bagages, ils bossaient tous les deux : beaucoup de choses en somme et ce temps allait passer très vite. C'était comme s'il partait demain, presque. L'ajout sur les Portoloins lui fit prendre un air de presque défi.

- Tu vas revenir tous les week-end ?

En ce moment, ils se voyaient presque tous les jours, même le mardi alors qu'elle avait ses deux heures de danse. S'il ne revenait qu'un week-end ou deux, cela ne serait qu'une maigre consolation... Sa demande de la faire rester lui fit secouer la tête.

- Pour que je me rappelle toute la soirée ce qu'on ne fera plus parce que tu t'en vas ? Non merci...

Elle était comme une boule de nerfs et d’agacement qu’il était difficile de savoir comment manipuler sans se piquer. Abel se piqua, plusieurs fois, à chaque fois qu’Isobel lui renvoyait une pique acide ou une provocation. Quand elle lui demanda à quelle fréquence il comptait revenir, il sut qu’il ne pouvait pas risquer de la décevoir en assurant une chose qu’il n’était pas certain d’accomplir alors il fut honnête :

« Sans doute pas, mais… Le plus souvent possible. »

S’il pouvait venir chaque week-end, tant mieux, il serait le premier heureux à le faire, mais il préférait ne pas trop s’avancer sur ce point. Il ne savait pas encore de quoi serait fait son voyage dans tous ses détails, il ne serait pas surpris d’avoir du travail à rattraper ou des personnes à rencontrer.

Ce n’était sans doute pas ce qu’elle avait envie d’entendre, malheureusement. Ce qu’elle répliqua pour s’esquiver lui fit de la peine à lui aussi. Il corrigea avec cette peine qu’il eut du mal à masquer :

« Non, pour qu’on profite des soirées qu’il nous reste… »

Sa voix mourut sur cette phrase, il détourna le regard avec un soupir. Voilà qui était déprimant comme conclusion.

Et voilà, c'est bien ce qu'elle pensait. Elle le voyait venir gros comme une maison. Abel allait avoir beaucoup de travail, elle allait espérer l'entendre dire chaque semaine qu'il revenait, cela n'allait pas être le cas, elle allait l'attendre et être déçue. Elle connaissait très bien ce schéma parce qu'elle l'avait déjà vécu, quand il était parti pour l'université. Elle était restée à la Nouvelle-Orléans à attendre de ses nouvelles, à espérer le voir, à être déçue quand il annulait. Elle avait été si malheureuse à cette période de sa vie... Elle ne voulait pas repasser par ce schéma. Et Abel ne semblait rien réaliser, ce n'était pas dramatique pour lui. Comme la première fois. Isy finit par baisser les yeux et secoua la tête.

- Ouais, fit-elle, pas convaincue.

Elle fit coulisser la porte du placard pour attraper son blazer, bien décidée à rentrer chez elle pour pouvoir vivre son "drame" dans son coin sans que Abel ne lui fasse la leçon. Mais la tristesse qui émanait de sa voix stoppa son geste une nouvelle fois et elle se retrouva avec sa veste à la main, devant le placard ouvert. Elle avait eu un coup au coeur. Oui, il ne leur restait plus beaucoup de temps, c'est bien ce qu'elle avait dit en affirmant que quinze jours ce n'était rien, Abel semblait le découvrir maintenant... Isy baissa les yeux, attristée elle aussi. Elle ne voulait pas qu'il parte, elle voulait qu'ils aient toutes les soirées possibles, comme avant.

- C'est ta décision, rappela-t-elle d'un murmure.

Il eut l’impression que la hargne d’Isobel s’émoussait, alors que sa voix à lui s’éteignait. Ce n’était pas qu’il venait de prendre conscience qu’il ne leur restait qu’une dizaine de soirées ensemble, c’était surtout qu’il prenait la mesure de la frustration que cela allait représenter s’ils les passaient à être fâchés. Pour le moment, Isobel lui en voulait et probablement qu’elle préférait être seule pour digérer. Il pouvait comprendre mais combien de temps cela durerait t-il avant qu’elle ne revienne vers lui ? Ils n’avaient pas le luxe de gaspiller leur temps.

Mais il ne pouvait pas la forcer à rester non plus et ce n’était même pas une bonne idée. Elle avait déjà attrapé sa veste, prête à partir. Ce n’était pas le bon moment pour discuter, comprit t-il en l’entendant lui répliquer que c’était sa décision. Elle était blessée, déçue, elle avait besoin d’y réfléchir de son côté et aussi inquiétante soit la perspective de la laisser partir comme ça, sans qu’ils aient pu parler, Abel sentait que c’était la chose à faire.

« Je sais. »

C’était sa décision, il n’allait pas la changer mais il ne désespérait pas de la faire accepter dans les prochains jours et trouver son terrain d’entente avec Isobel. Il franchit les derniers pas qui la séparaient d’elle, puis, voyant qu’elle ne le repoussait pas, effleura son bras en se penchant vers elle pour déposer un bref baiser sur ses lèvres.

« Bonne nuit, souffla t-il. Je t’appellerai demain. »

Isy avait presque espéré, en entendant le chagrin dans la voix d'Abel, que la réalisation allait le faire réagir. Qu'il allait renoncer, peut-être, ou s'arranger autrement. C'était bien mal le connaître. Il se contenta d'acquiescer, sans plus de réaction, et elle en fut déçue. Mais à quoi s'attendait-elle au juste ? Cela ne le touchait visiblement pas autant qu'elle, ce n'était pas grave pour lui, pas important, d'être séparé deux mois d'elle.

Elle enfila sa veste par dessus son chemisier et en dégagea ses cheveux. Elle se sentait malheureuse, cette nouvelle lui pesait vraiment et faisait naître en elle un sentiment d'angoisse profond, qui tordait son estomac. Comment étaient-ils censés profiter de leurs derniers jours ? À chaque fois qu'ils allaient se voir, elle n'allait penser qu'à son départ... Il fit quelques pas vers elle et effleura son bras, avant de déposer un baiser sur ses lèvres. Elle haussa les épaules à sa suggestion de l'appeler demain. S'il voulait. Cela ne changerait rien à leur conversation du soir ou à son départ.

- Ok.

Elle attrapa son sac à main qui était posé par terre et, sans espérer plus, franchit la porte d'entrée.

Une soirée de moins.