Everything sucks [James & Grady]

15 mai 2010

James, affalé dans son canapé, une bière à la main, contemplait le paquet de chips posé sur la table basse d'un œil vitreux. Il tendit inutilement sa main libre dans cette direction, mais ses doigts se refermèrent dans le vide. Il grogna ; le paquet était bien trop loin.

Sa baguette n'était bien évidemment pas dans sa poche - il ne pouvait même pas tricher en utilisant un petit "accio" des familles, le life-hack préféré des sorciers. Le jeune homme soupira et tendit le pied pour essayer de rapprocher le paquet de lui. C'était peine perdu, et il finit sa trajectoire par terre, éparpillant gaiement des petites miettes sur le parquet du salon. Fantastique.

Nouveau soupir. James se décida - enfin - à se pencher en avant pour ramasser ledit paquet, attrapant au passage sa baguette magique pour nettoyer les dégâts qu'il avait causé. Pour se récompenser de cet effort surhumain, il engouffra une poignée de chips, avant d'avaler une longue gorgée de bière.

"Grady !" lança-t-il en interpellant son ami qui traversait le couloir. "J'ai préparé l'apéro." Du doigt, il désigna la bière qu'il avait sorti pour son meilleur ami, ainsi que le paquet de chips déjà entamé - il y avait aussi un bol de saucisson ; pas fou !

Depuis que Marlene n'était plus là, plus personne ne venait pimper leurs apéros avec des bâtonnets de carottes ou des tomates cerises.

Grady avait pris une très longue douche pour se décrasser. Il ne voulait pas entrer dans les détails mais cela impliquait une licorne, une brouette plein de purin et une chute. Il s'était décapé jusque sous les ongles. En sortant, il avait longuement ébouriffé ses cheveux dans une serviette, avait enfilé son pyjama et avait ouvert la fenêtre de la salle de bains pour chasser toute la buée. Il s'apprêtait à aller se vautrer sur son lit - vraiment dessus : il n'était pas certain d'avoir le courage de se mettre dedans, fallait soulever la couette et tout - quand la voix de James l'interpella alors qu'il traînait des pieds dans le couloir, tel un zombie en chaussons.

- Hum ? Ah. Apéro. Manger.

Il fut immédiatement télécommandé vers le canapé et s'y vautra, comme un petit sac de sable. Heureusement, il avait pensé à saisir sa bière et le décapsuleur avant : il n'avait pas l'intention de se relever. Il ouvrit sa boisson dans un pshiit réconfortant et en prit une gorgée avant de soupirer.

- Je suis claqué. Je propose qu'on reste sur ce canapé pour toujours, on se fera livrer jusqu'ici, on payera le livreur pour qu'il rentre dans l'appart...

James observa son ami se laisser tomber (ou plutôt s'effondrer) sur le canapé à côté de lui. Il se décala pour lui laisser un peu plus de place, avant d'approuver ses paroles d'un vigoureux hochement de tête.

"Ouais, carrément." acquiesça James avant de prendre une longue gorgée de sa boisson. "On sera célèbres pour ça, t'sais dans le livre des records moldus. "Les deux hommes qui ne se sont plus levés du canapé depuis le 15 mai 2010"

Si James était au moins sûr d'une chose dans sa vie actuellement, c'était bien qu'il ne se lasserait pas de vivre avec Grady - ou même de rester à côté de lui sur ce canapé si confortable et si accueillant. Ils vivaient ensemble depuis qu'ils avaient 11 ans, et leur colocation n'était que le prolongement presque logique de ce qu'ils avaient vécu à Poudlard - même si, malheureusement, les elfes de maison n'étaient plus là pour laver leurs affaires en cachette.

"Dure journée ?" interrogea-t-il avant de mordre dans un bout de saucisson.

Grady rit un peu - mais pas trop fort, plutôt en mode vibreur - à la vanne de son meilleur ami et souleva sa bière pour qu'ils trinquent. Ça semblait être une bonne situation, ça, squatteur de canapé.

- On part sur ça alors, répondit-il en prenant une gorgée de bière.

De toute manière, il ne se voyait même pas se relever pour aller se mettre dans son lit. Il faudrait se redresser, se mettre sur ses jambes, marcher, pousser la porte de la salle de bains, se brosser les dents, repartir dans l'autre sens, aller dans la chambre, pousser la porte, soulever la couette et puis dormir. Trop d'efforts, il ne pouvait pas. Il poussa un soupir équivoque à la question de son pote.

- M'oblige pas à raconter, marmonna-t-il. Il tourna la tête vers James. Et toi ? T'es allé bosser aujourd'hui ou... ?

Depuis la mort douloureuse de Samantha, les choses étaient compliquées. Grady se levait avec un pincement au cœur, il n'arrêtait pas de penser à elle. Il n'osait pas imaginer ce que c'était pour son meilleur ami, surtout qu'il s'était en plus séparé de Marlene. Une raison de plus de ne plus bouger du canapé : le monde extérieur craignait vraiment. Il se sentait au plus bas en ce moment, et ce qui était arrivé à Samantha et Lauren ne faisait que renforcer ce profond sentiment de mal-être. Il avait envie de mettre la tête dans la sable et de ne plus jamais jamais jamais bouger.

James tourna la tête vers son meilleur ami, gardant le silence mais l’interrogeant du regard. Il décida toutefois de ne pas le relancer sur le sujet. Depuis quelques mois, Grady n’était pas au meilleur de sa forme – pour vivre avec lui depuis plus de huit ans maintenant, James connaissait bien les variations d’humeur de son ami. Ce n’était pas très étonnant : sa marraine était décédées quelques mois plus tôt, dans des circonstances mystérieuses et atroces, sa rupture avec Kessy l’avait sérieusement ébranlé, et, récemment bien sûr, le décès de Samantha Miller et de Lauren McGowan, qui avait secoué toute leur génération.

« Non. » répondit-il avant de prendre une poignée de chips. « J’avais posé une semaine de congé il y a quelques mois. » Il était censé partir en week-end avec Marlene, mais, de toute évidence, il n’avait aucune envie de passer quelques jours au bord de la mer, tout seul.

En réalité, il était heureux de ne pas avoir à poser un pied à l’hôpital avant la semaine prochaine. Parcourir les couloirs de St Mangouste le ramenait inévitablement vers Samantha, et prendre le volant de son ambulance lui paraissait au-dessus de ses forces. Par chance, ses collègue avaient été plus que compréhensifs, et il avait passé le mois à s’occuper de la Centrale pour répartir les appels.

Mais le mal-être restait présent. Il ne pouvait pas s’empêcher de se mettre à la place de sa défunte amie : et si, un jour, la milice lui demandait de conduire un homme blessé à Skye ? Que ferait-il alors ? Parviendrait-il à faire le même choix que Samantha, à désobéir aux ordres des miliciens, en sachant pertinemment que cela pourrait lui coûter la vie ? Il avait envie de croire que ce serait le cas, que jamais il ne pourrait s’abaisser à de telles horreurs. Mais face à la perspective d’une mort certaine, il avait peur de flancher.

Peut-être, songeait-il alors, qu’il ferait mieux de ne pas chercher à se retrouver dans une telle situation. Cela faisait en effet quelques semaines que James pensait sérieusement à quitter l’hôpital. Cela lui brisait le cœur, pourtant, parce qu’il adorait son métier. Mais il ne pouvait pas se permettre de l’exercer dans de telles conditions ; jamais il ne pourrait se regarder dans un miroir s’il commettait un acte aussi horrible que celui de conduire quelqu’un sur l’île de Skye.

« Je vais peut-être quitter l’hôpital. » lança-t-il à Grady de but en blanc.

C’était sûrement la meilleure solution.

Grady hocha la tête sans faire beaucoup de commentaires sur la semaine de vacances de James. Il lui semblait bien qu'il était censé partir avec Marlene (parce que en apprenant cela, il s'était dit qu'il allait pouvoir squatter tout l'appartement tout seul et aller aux toilettes la porte ouverte) mais il ne voulait pas en rajouter une couche. Partir en vacances seul, ce n'était pas très drôle et lui-même bossait toute la semaine donc bon... James était bon pour une semaine de repos. Pas certain que cela lui fasse du bien de rester seul pour autant. Grady lui-même s'absorbait dans le travail pour éviter de penser. Face aux licornes, il fallait toujours rester concentré et cela l'aidait à ne pas trop réfléchir à l'état actuel du monde et de sa vie. Le boulot lui faisait du bien (et puis cela payait les factures et manger, c'était toujours bien et utile, songea-t-il en prenant une poignée de chips.) La remarque brusque de son ami lui fit tourner la tête, surpris. Il ne s'attendait pas vraiment à cela.

- Ah ouais ? À cause de... de Sam ?

Enfin, "à cause", ce n'était pas sa faute à elle mais celle de ces enfoirés de miliciens.

"Ouais." répondit James.

Il avait de plus en plus de mal à parcourir les couloirs de St Mangouste. Parfois, pendant de brefs instants, il oubliait qu'elle était morte et s'attendait presque à la voir arriver, son grand sourire enthousiaste aux lèvres pour le chambrer sur sa dernière défaite au Quidditch Pong des apprentis. "J'étais pas capitaine à Poudlard, moi !" aurait-t-il marmonné pour la forme, avant lui lancer un clin d'oeil et de lui promettre de prendre sa revanche le weekend suivant.
Puis, la vérité le frappait, lui serrait le coeur.

C'était trop dur et il refusait de s'imposer ça plus longtemps que nécessaire. Et même, la présence milicienne omniprésente au sein de l'hôpital le mettait mal à l'aise - il avait l'impression de collaborer avec ceux qui avaient assassiné son amie.

"Et puis même. J'peux plus travailler là-bas, y a la milice partout." ajouta-t-il donc. "On nous demande plus en plus de faire des allers-retours à Skye, d'y déposer des patients..." Il était épargné pour le moment, parce que ces missions étaient souvent attribuées aux plus âgés d'entre-eux. "Et j'pourrais pas." Il haussa les épaules, l'air résigné.

Quant à savoir ce qu'il ferait, après avoir quitté l'hôpital... Eh bien il n'en n'avait pas la moindre idée. Il trouverait bien quelque chose, songea-t-il en passant en revue toutes les opportunités qui s'offraient à lui. Il était heureusement plutôt polyvalent, et était certain qu'il trouverait rapidement quelque chose. Quitte à travailler chez les moldus, d'ailleurs.

"Hé, tu penses pas que les licornes pourraient m'approcher, moi aussi ?" lança-t-il alors à son meilleur ami pour détendre un peu l'atmosphère, avant d'avaler une gorgée de bière.

Pas étonnant que James ait du mal à retourner au boulot, Grady ne savait pas s'il aurait pu recommencer à travailler comme si de rien n'était après tout ça. La mort de Samantha... Rien que d'y penser, ça lui tordait le ventre. Il était en plein déni sur cette histoire. Dès que son esprit partait vers elle, il se forçait à penser à autre chose, quitte à s'abrutir dans un jeu vidéo ou à récurer les écuries de fond en comble. C'était horrible. Un frisson le traversait à chaque fois, ce coup au coeur familier, cette nausée. Il ne voulait pas y penser. Il ferma les yeux en descendant plusieurs gorgées de sa bière. Ne. Pas. Y. Penser. Sa voix fut un peu rauque quand il répondit à son meilleur ami.

- Ouais, t'as raison. Puis... chais pas ça, ça serait hypocrite de faire comme si de rien n'était, comme si... c'était normal.

Poussant un soupir découragé - ne pas y penser, ne pas y penser - il attrapa sa baguette magique qui était posée sur l'accoudoir du canapé et la pointa sur les paquets de chips posés sur la table.

- Wingardium Leviosa.

Les paquets s'envolèrent et vinrent se positionner entre eux, afin qu'ils soient plus facilement accessibles.

- Pourquoi on s'embête, franchement ?

Pourquoi se lever, quand on était un sorcier ? La plaisanterie de son ami lui tira un rire ) ce qui n'était pas gagné - et il tourna la tête vers lui en haussant les sourcils.

- Non, cherche pas mec, t'es trop viril. T'as de la barbe, j'te signale.

James, comme Grady, n'avaient jamais été des garçons très adeptes des confessions. Globalement, ils avaient plutôt du mal à exprimer leurs sentiments et étaient passés professionnels du "si on en parle pas, c'est que ça n'arrive pas." Ce mantra - s'il n'était pas exactement idéal pour un mode de vie sain - était pourtant plutôt efficace. Généralement, ils étouffaient leurs soucis sous une bonne couche d'humour lourd et leur faisaient face uniquement lorsqu'ils n'avaient plus le choix.

Pour cette raison, James décida de ne pas relancer son meilleur ami sur le sujet si douloureux de Samantha. Il préférait garder sa peine pour lui et l'exprimer de manière bien moins saine - généralement en massacrant du regard chaque milicien qu'il croisait dans la rue. Il se contenta donc de piocher une grosse poignée de chips dans le paquet qui lévitait désormais entre Grady et lui.

"Ché vrai" approuva-t-il la bouche pleine. Il avala le contenu avec une grande gorgée de bière.

La réponse de son meilleur ami lui tira un rire et il tourna vers lui un regard amusé.

"C'est quoi cette discrimination ?" s'offusqua-t-il en portant sa main à ses joues. "Puis j'te signale que toi aussi, t'as de la barbe." Il tendit son bras pour toucher le menton de son meilleur ami. "Enfin ça s'en rapproche pas mal." ricana-t-il en laissant retomber sa main. "Peut-être que les licornes ne t'approcheront plus, toi non plus. Mais peut-être que tu approcheras un autre type d'individu avec ta corne." Il eut un sourire suggestif.

Grady & James, mesdames et messieurs.

Grady afficha l'air angélique qu'il abordait souvent face à sa mère quand James l'accusa de discrimination. Non, c'était juste un fait, les licornes se laissaient rarement approcher par les hommes. Il n'y avait que deux soigneurs hommes dans l'équipe d'ailleurs, lui et Murray, un vieux loup un peu solitaire qui avait déjà réussi à approcher des licornes à l'état sauvage dans sa grande ferme des landes écossaises. La légende disaient aussi qu'elles préféraient les jeunes vierges mais il avait dans ses collègues des mères de trois enfants, donc bon... C'était plutôt une histoire de personnalité, selon les théories des spécialistes.

James tendit la main pour toucher son menton et Grady passa machinalement une main sur le petit duvet qu'il entretenait depuis trois mois. Contrairement à ses amis, il n'avait pas vraiment le besoin de se raser tous les jours, quoi. À l'adolescence, il avait guetté avec impatience ses premiers poils sur le menton qui s'étaient fait tardifs. Il avait naturellement la peau douce, telle une sirène hors de l'eau.

- Tsss, parle pas mal de mon duvet. C'est beaucoup de boulot ! répondit-il à son meilleur ami. La petite blague qu'ajouta James derrière, toute en finesse, tira un rire à Grady contre sa Gobière. Ah bah j'aimerais bien mais c'est pas gagné hein. J'serai vieux garçon, tu sais, c'est un concept aussi. Mais j'aurai pas de chat plutôt... des Salamandres. C'est cool les Salamandres.

James étouffa un rire lorsque Grady porta pensivement la main à son visage pour effleurer son duvet. A l'adolescence, ils avaient été deux opposés : James avait l'air d'un ours hirsute et Grady avait la peau aussi lisse que celle d'un enfant. Il avait été très fier lorsqu'il avait remarqué que son menton et ses joues s'étaient recouverts de ses premiers poils, parce que ça faisait "grand" et qu'il avait un peu l'impression de devenir un homme. Bien vite, il s'était rendu compte qu'il détestait cordialement se raser et, d'ailleurs, plusieurs années s'étaient écoulées avant qu'il ne réussisse à se raser à peu près correctement sans s'écorcher la peau et ressortir de la salle de bain avec la figure digne d'un grand film d'horreur. Maintenant, ça allait à peu près - mais il détestait toujours le faire, donc il laissait traîner la chose jusqu'à entendre des "mais tu piques !" quotidiens.

"Vieux garçon ? Tss." James secoua la tête. "Personne ne parvient à résister à ton charme, mon Gradou." C'était le surnom que lui donnait sa mère depuis qu'il avait deux ans et que James avait réussi à glaner un jour lorsqu'il était parti en vacances avec les McNeil. Depuis, il l'utilisait sans mesure.

Il prit une nouvelle gorgée de bière et essaya sans y parvenir de lancer une chips en l'air et de la rattraper au vol avec sa bouche. La chips en question alla malheureusement se cogner contre sa joue avant de tomber lamentablement au sol.

"Et puis," il haussa les épaules d'un air fataliste, "un jour on pourra toujours révéler à tout le monde la véritable nature de notre relation."

- Oh la ferme, répliqua Grady quand James utilisa le surnom Gradou. Pour faire bonne mesure, il lui donna même un vague coup dans le ventre. Il avait toujours détesté ce surnom, surtout quand, à l'adolescence, Tony l'avait métamorphosé en Gradouble. Je sais en vrai, c'est juste chiant quoi.

Sa rupture avec Kessy lui restait en travers de la gorge. À la fois il était vachement en colère contre elle et en même temps, un peu déprimé aussi. Il l'aimait beaucoup... Mais ça ne servait à rien d'y repenser parce qu'elle avait agi comme une Niffleur enragée avec lui. Mignonne mais pénible quoi. Puis de toute manière, il n'avait pas besoin d'une femme pour être heureux. Il l'avait lu dans Cosmowitch (et il avait aussi dit cela à Marlene quand elle était venue chercher ses affaires, mais elle avait commencé à pleurer, il avait paniqué et lui avait donné deux packs de yaourt. Il avait vraiment paniqué.)

Il observa la trajectoire de la chip (est-ce que chip se mettait au singulier, tiens ? Bonne question. Parce que personne ne disait "Hé, tu veux une chip ?" Non parce que personne ne mangeait jamais une seule chip. Personne n'avait assez de self-contrôle pour n'en manger qu'une. Pas lui en tout cas. Mais puisque le s était la marque du pluriel, techniquement on pouvait dire une chip... Il allait écrire un article et le publier dans La Gazette du Sorcier pour amener les consciences à se réveiller. The chip awakens.) Quoiqu'il en soi, il avait observé James faire tomber sa chip avec un peu de blasage (si si, c'était un mot, tout comme chip.) Il était toujours nul à ce jeu, pas comme lui, bien évidemment.

- Ah ouais ? La véritable nature de notre relation où je ramasse derrière toi ? lança-t-il goguenard en se baissant - effort maximal - pour ramasser la chip. Hé, tu sais, maintenant, plus personne ne va râler parce qu'il y a des slips sales sur le canapé - désolé Marlene - alors on va devoir ranger. Nous sommes des adultes maintenant, on va devoir être propres et ordonnés ! Parce que, être propre, c'est important.

« Tu ramasses derrière moi ? » s’offusqua James en se redressant sur un coude. « Non, non, non. Grady McNeil, tu as toujours été à un stade de crasse bien plus avancé que moi. »

Il voulait bien admettre qu’il avait des failles ; par exemple, parfois, quand il n’avait pas envie d’accumuler la vaisselle sale, il ne sortait pas d’assiette et mangeait à même la casserole. Pour certain, c’était un manque d’hygiène évident ; James voyait ça comme une technique hautement développée pour économiser de l’eau et, ainsi, préserver la planète.

De toute façon, quoiqu’on en dise, jamais Grady, ni James, n’auraient pu prétendre à, un jour, égaler Danny Sneals. Et, lorsqu’on passait plusieurs années avec un phénomène comme Danny dans le même dortoir, on devenait brusquement très tolérant à la saleté – c’était un instinct de survie qu’ils avaient dû développer dès la première semaine suivant leur entrée à Poudlard.

James laissa fleurir un sourire sur ses lèvres, et secoua doucement la tête. « Arrête de reprendre mes phrases ! » s’insurgea-t-il. De toute façon, Grady pouvait bien dire ce qu’il voulait ; James avait reçu une éducation militaire et avait grandi dans une maison où la moindre poussière était traquée et cela avait laissé des marques. « J’te parie qu’il y a un cimetière de tes chaussettes sales sous le canapé. Tu sais, celles que tu balances discrètement quand t’as la flemme d’aller les mettre à la machine ? » interrogea-t-il en haussant les sourcils.

- Quoiiii ? s'offusqua Grady d'une voix trop aiguë. Moi je suis plus sale que toi ? Je ne suis pas sale, moi Monsieur, tu dis ça parce que je viens de la Cité Nimbus ?

Évidemment il l'embêtait mais c'était un mensonge, il n'était pas crasseux. D'abord ils e lavait tous les jours, oui monsieur. Et peut-être que oui, des fois, il laissait la vaisselle dans l'évier, d'accord, et ses fringues sur le lit, et son gel douche vide dans la douche, et les emballages de gâteaux sur la table mais attention ! Ce n'était pas de la saleté, mais du dérangement. Il était bordélique. Et c'était tout un art à entretenir. De toute manière, les environnements trop rangés, ça le stressait. Il avait une âme d'artiste, lui, une âme libre et malicieuse tel un Pitiponk des champs qui gambaderait justement dans ces mêmes champs !

- Ce n'est pas un cimetière, corrigea-t-il. C'est un rassemblement pacifique de chaussettes. Tu vas quand même pas les empêcher de se réunir librement, si ? Elles cherchent l'amour.

Parce que leurs moitiés avaient été aspirées par le lave-linge (ou étaient tombées sur le balcon du voisin du dessous un jour où l'étendoir avait basculé).

"Ah non, sûrement pas parce que tu viens de la cité Nimbus. Ta mère m'a suffisamment traumatisé la dernière fois qu'elle est venue chez nous pour que je comprenne qu'il n'y avait aucun rapport en ces deux faits."

Elle avait littéralement rangé tout leur appartement, alors qu'ils s'étaient absentés le temps d'aller faire quelques courses pour le déjeuner. Lorsqu'ils étaient revenus, l'endroit était méconnaissable - James s'était d'ailleurs demandé s'il n'avait pas mis les pieds chez quelqu'un d'autre, avant de reconnaître les photos accrochées au mur. A moins que son voisin de 87 ans avait dans son entrée une photo de toute leur promotion de Poudlard au moment de la remise des ASPICs, il était décidément bien chez lui.

C'était sans doute pour cela que la mère de Grady s'entendait si bien avec la sienne - ensemble, elles adoraient se plaindre de leurs grands dadets de fils qui ne comprenaient pas l'intérêt de faire leur vaisselle après chaque repas, et pas uniquement lorsqu'ils n'avaient plus de petites cuillères propres.

"Moi je suis pour l'amour des chaussettes." répondit James en hochant la tête avec sérieux. "Elles ont été trop longtemps opprimées par les autres sous-vêtements, elles ont le droit au bonheur aussi." Il but une gorgée de sa bière. "En plus, avec tous les bouts de chips qui tombent sous le canapé, elles ont de la nourriture pour des années."

Grady hocha la tête pensivement à la mention de sa mère et son dernier exploit à leur appartement. Elle était venue leur rendre visite une fois et en avait profité pour tout ranger (et d'ailleurs, si on demandait son avis, tout déranger puisque ce n'est pas parce que c'était le bordel qu'il ne savait pas où étaient ses affaires...) ce qui leur avait fait très bizarre.

- Je pense qu'elle a été oppressée par mon père, révéla Grady. Il aimait pas le bordel. Il nous faisait ranger. Ranger c'est donc le truc de mon père. Je ne veux pas oppresser les gens en rangeant. Non au patriarcat.
Parce que évidemment, tout ce que faisait son père, c'était le patriarcat. Donc, devoir répondre à ses parents au téléphone parce qu'ils s'inquiétaient, c'était l'oppression du patriarcat.

- On devrait monter le Front de Libération des Chaussettes, mon gars. La mention des chips sous le canapé fit rire Grady qui manqua de recracher un peu de bière. Franchement, quand on y pense, c'est déglue. C'est pas comme ça qu'on va oser ramener des filles ici, moi je te dis. Elles fuiront en courant ! Faut les faire tomber amoureuses avant qu'elles ne mettent un pied ici. Enfin amoureuses...

"Estime-toi heureux, moi mes parents s'oppressaient mutuellement avec le ménage." commenta James en faisant tourner sa bière dans sa bière d'un geste machinal. "Tu as bien vu comment c'est chez eux... Il n'y a même pas de plis sur les plaids."

Alors que le plaid de James et Grady, lui, était roulé en boule au pied du canapé, et mériterait sûrement un petit coup de machine à laver. Oui, il fallait bien l'avouer, les deux Poufsouffle n'étaient pas les as du rangement. Et pourtant, James avait grandi dans une famille de militaires, et, par conséquent, possédait cet étrange gêne qui était censé lui faire aimer l'ordre et la propreté. D'ailleurs, pendant des années, lorsqu'il était plus jeune, il avait maintenu une chambre parfaitement bien rangée, avec un lit fait au carré tous les matins. Puis, il était arrivé à Poudlard, et avait partagé son dortoir avec Grady et Danny Sneals... Et ses petites manies n'avaient pas survécu. Ses parents avaient récupéré un enfant parfaitement différent de celui qui était parti, en septembre, la boule au ventre. "Ils nous ont gâché notre fils" avait déploré, à moitié amusé, sa mère en découvrant l'état de ses vêtements après six mois de scolarité à Poudlard. Alors oui, en théorie, James savait comment ranger, par quoi commencer, quels produits utiliser et où. Il savait faire briller les baignoires, plier des draps en quelques secondes seulement, et même cirer un parquet. En pratique, il avait cette fameuse maladie présente chez beaucoup de jeunes adultes qui menaient carrière prenante et vie sociale de front : la flemme.

"Amoureuses." releva James en ricanant. "Disons qu'il faut suffisamment leur plaire pour passer outre la surprise en découvrant notre charmante demeure." Il laissa un instant s'écouler et reprit, en pointant du doigt Grady, l'air menaçant : "Et les filtres d'amour ne comptent pas ! This is not consent !"

- Vous n'étiez pas assez nombreux, c'est pour ça, expliqua Grady d'un ton docte. Tes parents n'avaient que ça à faire. Nous, on était quatre enfants. Ma mère était super occupée.

Pourtant Grady n'était pas resté très proche de ses frères. Gareth et lui ne se parlaient plus beaucoup, pas qu'ils ne s'entendaient pas mais... Ils n'avaient pas grand-chose à se dire. Et pourtant, Grady était bavard. Quant à Tony, ils étaient assez différents et ne ressentaient pas forcément le besoin de se parler souvent. En fait, James avait un peu "pris" la place de ses frères. C'était son bro. Son vrai bro. Heureusement, il y avait Louise, sa petite puce, la plus mignonne des petites princesses. Elle lui manquait souvent. Il essayait de la voir régulièrement mais ce n'était pas toujours le plus facile, puisqu'il évitait son père depuis la "mort" de Juliana.

Quand James releva le terme "amoureuses" en ricanant, Grady lui adressa un regard équivoque. Il voyait très bien ce qu'il voulait dire par là mais comme il était un gentleman et bien, il ne le disait pas. Bien élevé, le Grady.

- Hé, pas besoin de me le préciser ! Je n'ai pas besoin de tels artifices voyons, c'est bien connu que toutes les filles se pâment devant moi comme un Niffleur dans une bijouterie. Il avait quand même un record : il avait déjà embrassé deux filles. En trois ans. Tombeur, va. Ou bien ! Il avait levé le doigt comme pour évoquer une brillante théorie. On n'allume pas la lumière, on fait croire que c'est cassé et hop, on laisse le salon dans le noir afin qu'elles ne voient pas les dégâts. Pas de solutions pour le lendemain matin en revanche.

"J'oublie que vous étiez quatre." lança James, un peu songeur. Il ne voyait que rarement les deux autres frères de Grady. Pour lui, il y avait Grady et Louise - Tony et Garreth étaient beaucoup plus discrets, et beaucoup plus absents. "Cela dit, rien qu'avec toi, ta mère devait avoir un ressenti quatre enfants." ricana-t-il, en ayant une pensée vers sa propre mère, qui s'était souvent désespérée de l'avoir comme fils. Ce n'était pas sa faute, sa soeur, Eleonore, était un ange à côté de lui - il avait bien fallu qu'il se démarque pour être vu par ses parents !

Pour lui, Grady était son véritable frère. Et maintenant qu'ils vivaient ensemble, c'était encore plus le cas. Ils passaient des soirées tous les deux, vautrés sur leur canapé, à échanger sur les chaussettes sales et les filles - et ça, c'était le véritable amour fraternel.

"Eh bien, le matin, on dit qu'on a reccueilli un bébé Niffleur sauvage et qu'il saccage notre appartement la nuit mais qu'on ne peut pas le mettre dehors tant qu'il n'est pas guéri." lança James, à moitié sérieux - la théorie lui paraissait brillante, surtout lorsqu'il posait un oeil morne sur le bazar qui régnait autour d'eux. "Tout le monde trouvera ça adorable ! On va l'appeler Alphonse. Alphie le Niffleur." décida-t-il. Il avisa le paquet de chips et fit un effort surhumain, preuve de son amour pour Grady, pour demande : "Hé, tu veux la dernière chip ?"

RP TERMINE