Three things cannot be long hidden : the sun, the moon, the truth [Danielle/Peter]

Danielle referma le dossier posé sur son bureau d’un geste sec. Elle en connaissait le contenu par cœur, aucun détail n’ayant échappé à sa lecture méticuleuse. Lorsqu’elle avait commencé à étudier le cas de Peter Virtanen, un souvenir vaguement familier lui était revenu en mémoire. Mais c’était en observant la photo de Lou, sa fille, qu’elle avait pu réellement replacer cet homme. Des années plus tôt, elle l’avait mis à l’abris, lui et sa fille, lorsque les choses avaient dégénéré lors de cet évènement qu’on appelait dorénavant le Bloody Sunday. Peu altruiste d’ordinaire, Danielle s’était laissée toucher par ce tableau du père de famille tenant sa fille inconsciente dans les bras, au milieu du chaos. Parfaitement confiante en ses capacités à les sortir de là sans y perdre la vie – elle ne se serait pas risquée à faire ce choix autrement – elle les avait conduit chez Janet, son amie apothicaire qui tenait une boutique sur le chemin de Traverse. Peter l’avait remercié, et lui avait promis qu’il n’oublierait pas ce sauvetage. Le moment était venu de vérifier si l’enseignant tiendrait parole.

Car le professeur Virtanen n’était pas réellement un père célibataire : il avait vécu plusieurs années en concubinage avec Chloé Hellsoft, enseignante en divination, ancienne directrice du département des mystères, et probable traitre au régime Marchebank. Les soupçons de cette trahisons – pourtant nombreux – restaient malheureusement sans preuve fondée. Or, Hellsoft étant appréciée au sein de la communauté sorcière et notamment auprès des parents d’élèves de Poudlard, ils ne pouvaient pas se contenter de la faire disparaître dans de mystérieuses conditions – cela aurait mis la puce à l’oreille des terroristes qui guettaient le moindre de leurs faits et gestes pout les discréditer auprès de la population. Et il s’était avéré que Chloé Hellsoft n’avait pas eu besoin de leur aide pour disparaître sans laisser de trace. Deux miliciens l’avaient recherché activement pendant quelques jours – s’ils parvenaient à lui mettre la main dessus, ils pourraient l’envoyer en aller-simple à Skye, sans que personne ne soit au courant. Mais force était de constater que l’enseignante était rompue aux exercices de dissimulation, car les deux hommes étaient revenus bredouilles.

Qu’à cela ne tienne, Danielle ne comptait pas laisser passer cette occasion en or d’apprendre enfin la vérité sur Chloé. Elle avait rassemblé tous les éléments qu’elle pouvait sur Hellsoft, les classant avec précision dans un épais dossier, puis elle avait envoyé une lettre de convocation à Peter Virtanen. Hellsoft avait beau être discrète, secrète, la milicienne était persuadée qu’elle avait laissé échapper certains détails à celui qui avaient si longtemps partagé son quotidien – après tout, ne disait-on pas que les conversation les plus importantes se faisaient sur l’oreiller ? Restait donc à déterminer si l’amant en question cautionnait les propos de sa compagne – voire même, s’il y participait activement. L’option n’était pas à écarter, surtout pas en ces temps où chacun devait se méfier de son voisin – « Vigilance Constante » était le credo d’un ancien membre du BDA, décédé pendant l’année de la Terreur ; c’était à présent la devise de tout membre du gouvernement.

Cependant, pour Danielle, peu de doutes subsistaient quant à la participation de Chloé Hellsoft à une organisation terroriste. Si elle avait pu, elle l’aurait probablement arrêté plusieurs mois plus tôt, préférant se fier à son instinct plutôt qu’à des preuves facilement manipulables par n’importe quel sorcier à tant soit peu doué avec la magie. Chloé leur avait peut-être filé entre les doigts, mais Danielle comptait bien tirer les ficelles du jeu à partir de maintenant.

« Chef ? Virtanen est arrivé. » l’informa Anthony en passant sa tête dans son bureau.

La chef de la milice releva les yeux et hocha la tête. « Tu peux me l’installer dans la salle 3 ? J’arrive. » Danielle se leva de sa chaise, et rassembla les papiers qui concernaient le cas Virtanen : documents officiels, photographies, coupures de journaux. Elle glissa le dossier sous son bras, lissa les plis de sa robe mauve d’un geste sec et quitta son bureau.

La salle 3 était la plus reculée de toutes, loin des oreilles indiscrètes (Vigilance Constante !), mais également la salle la moindre sombre et la moins lugubre de celles qu’ils possédaient. Face à Peter, Danielle ne savait pas encore quelle attitude adopter, et préférait le rencontrer dans un rôle neutre – elle prendrait sa cape de méchante milicienne plus tard si la situation l’exigeait.

« Bonjour, monsieur Virtanen. Je ne sais pas si vous vous rappelez de moi, nous nous sommes rencontrés il y a quelques années, lors du Bloody Sunday.  J’espère que votre fille n’a aucune séquelle de cette journée… » s’enquit-elle d’une voix douce, bien que sa première préoccupation n’était pas Lou. « Vous savez pourquoi vous êtes là ? » demanda-t-elle en le sondant du regard.

La cape sombre de Peter s'enroulait derrière lui alors qu'il traversait le parc de Poudlard à grandes enjambées. Fidèle à lui même, le professeur de runes présentait un visage parfaitement impassible qui ne laissait rien deviner de l'agitation qui régnait dans son esprit. Il n'avait pas été surpris de recevoir une convocation du Ministère de la Magie. Il avait déjà répondu brièvement à leurs questions au moment de la disparition de Chloé et s'était attendu à être rapidement recontacté pour un entretien plus complet. Mais les semaines étaient passées sans qu'il ne reçoive la moindre nouvelle de la justice magique.

Le fait de n'être convoqué que maintenant l'inquiétait. La lenteur de l'administration anglaise était-elle plus qu'un mythe et pouvait-elle justifier ce délai ? Ou de nouveaux éléments avaient-ils été découverts, nécessitant qu'on l'entende à nouveau ? Les questions se bousculaient dans son esprit alors qu'il refermait la grille de l'école derrière lui, prêt à transplaner pour le Ministère de la magie. Il n'était pas inquiet -il n'avait rien à se reprocher- mais il avait malgré tout hâte que cet entretien soit terminé. Il n'avait aucune envie de passer de longues minutes à ressasser ses derniers jours avec Chloé, à chercher ces soi-disant signes qu'il n'avait pas vus, à essayer de se souvenir de choses qu'il n'avait jamais sues. Parce qu'il ne savait pas. Il ne savait rien. Et il voyait bien que cela les rendait fous, qu'ils ne le croyaient pas. Il les comprenait, lui aussi avait du mal à concevoir qu'il n'ait rien vu venir, et pourtant c'était le cas.

Il avait été frustré, au début, d'être mis face à sa propre ignorance, de devoir avouer que non, il ne connaissait pas si bien que ça la femme qui partageait sa vie. Aujourd'hui Peter était soulagé de ne rien savoir. Ainsi il n'avait pas à choisir de révéler ou non des informations concernant Chloé. Il n'était pas certain du choix qu'il aurait fait dans le cas contraire. Il s'évitait ainsi une décision difficile. La situation était même plutôt simple : il n'avait rien à leur apprendre il y a un an, et il n'avait rien de plus à leur apprendre aujourd'hui. Il espérait simplement que la Milice n'aurait rien à lui apprendre non plus. Et si on l'avait convoqué pour lui annoncer une mauvaise nouvelle ? Il s'était tant habité à l'absence de Chloé et au sentiment de rancoeur qui grandissait en lui, qu'il ne s'était pas préparé à la douleur que ce serait de la perdre pour de bon.

L'enseignant se composa une expression affable est se dirigea vers le bureau d'accueil du Ministère de la Magie où il annonça qu'il avait rendez-vous avec Danielle Coleman, à dix heures. Il était en avance de très précisément sept minutes. L'hôtesse d'accueil le dévisagea des pieds à la tête, la bouche entrouverte. Elle se demandait sûrement qui pouvait bien avoir un entretien privé avec la chef de la Milice. Elle cherchait aussi certainement d'où elle connaissait ce visage familier. La réponse était évidente : Poudlard. La jeune femme devait avoir un peu plus de vingt ans. Elle avait vraisemblablement été élève quand Peter était déjà enseignant, mais il n'en gardait aucun souvenir. Il était clair que ce n'était ni une ancienne Serdaigle, ni une ancienne étudiante du cours de Runes. Ses étudiants ne finissaient pas hôtesse d'accueil.  

Il suivit l'itinéraire indiqué par la jeune femme et patienta quelques minutes dans une salle d'attente austère. Il fréquentait très peu le Ministère de la Magie, et ne se souvenait pas avoir déjà mis les pieds au département de la justice magique. Il jeta un regard perplexe aux affiches accrochées aux murs, en se demandant s'il existait vraiment des adolescents sensibles à des slogans aussi stupides. Il s'était perdu dans la contemplation d'une racine de Mandragore en forme de crâne quand un milicien en cape pourpre l'invita à le suivre "en salle 3". Peter s'exécuta et se retrouva rapidement installée dans une salle un peu plus chaleureuse, face à une table et à une chaise vide, qui ne tarda pas à être occupée par Danielle Coleman.

Peter se rappelait évidement de l'intervention de la jeune femme qui leur avait permis, à lui et à Lou, de se mettre en sécurité lors du tristement célèbre "Bloody Sunday". Le visage de la chef de la Milice était connu de tous et il le croisait régulièrement aux détours des pages de la Gazette -un visage plutôt agréable, d'ailleurs- ce qui le ramenait immanquablement à ce fameux jour où il avait promis qu'il lui revaudrait ça. Ill avait une excellente mémoire.

"Bonjour Miss Coleman, lui répondit-il poliment. Bien sûr, je ne pourrai pas l'oublier. Lou se porte à merveille, merci beaucoup. Quelque chose lui disait toutefois qu'on ne l'avait pas fait déplacer pour s'inquiéter de l'état de santé de sa fille. J'ai mes hypothèses, répondit-il d'un ton tranquille. Mais surprenez-moi."

Il ne savait pas vraiment s'il était entendu comme témoin, comme suspect, ou si on avait simplement des informations à lui communiquer, et il préférait ne pas prendre de risques en dévoilant ses intuitions. Il était là pour répondre à des questions, pas pour jouer aux devinettes.

Danielle apprécia la réponse de Peter, même si elle nota la prudence dans le choix de sa réponse.

« Je ne suis pas certaine de vous surprendre, en réalité. » rétorqua-t-elle en le sondant du regard.

Il lui paraissait inconcevable que Peter ne soit pas au courant des activités illicites de sa femme. Elle lui en avait peut-être pas parlé, mais il avait forcément entendu ou vu quelque chose. Danielle prit une profonde inspiration et ouvrit le dossier « Hellsoft-Virtanen ». Elle déposa une photographie de sa compagne face au père de famille.

« Voilà maintenant plusieurs mois que Mrs. Hellsoft a disparu. » commença Danielle de but en blanc. « Nous avons mis quelques détectives sur sa piste, mais sans succès apparent. Votre compagne semble s’être volatilisée. » Elle joint ses mains sous son menton, observant attentivement l’homme en face d’elle.

« Le ministère est assez… préoccupé par sa disparition. »

Préoccupé n’était pas le terme exacte. Danielle avait surtout envie de mettre la main sur cette traître pour l’envoyer à Skye. Elle se ferait même un plaisir de s’occuper d’elle personnellement.

« Surtout que nous avons des raisons de penser que votre compagne se livrait à des activités illégales. »

Danielle laissa passer un court silence, avant de reprendre.

« Certaines informations prêtent à croire que Mrs. Hellsoft était membre d’une organisation terroriste, ou tout de moins qu’elle soutenait activement leurs actions. »

C’était un demi-mensonge, mais ce ne serait sûrement pas la première fois que Danielle mentait lors d’un interrogatoire.

« Mais je suppose que je ne vous apprends rien ? » lança-t-elle en fronçant les sourcils, les yeux vrillés dans ceux du professeur. « Il me parait compliqué de penser que vous n’étiez pas au courant de tout ça alors que vous partagiez sa vie… »

Pour le coup, elle n’avait aucune preuve de cela et toutes les recherches qu’ils avaient mené sur Peter avaient été vaines – l’homme semblait blanc comme neige. Ce n’était pas pour autant que Danielle comptait le laisser s’en tirer à si bon compte – comme tout le monde, il passerait un interrogatoire dans les règles de l’art.

Si seulement elle était autorisée à lire dans les pensées, songea Danielle en retenant un soupir. Avec son travail d’Oubliator, elle était devenue une excellente legimens – un exercice qu’elle adorait et qu’elle se plaisait à continuer sur Skye. Tout serait en tout cas beaucoup plus simple et le mensonge n’aurait pas sa place dans les interrogatoires.

Mais puisqu’il fallait se prêter au jeu… Danielle se redressa, fixant toujours son interlocuteur avec intérêt. Un interrogatoire était une véritable partie de poker : bluff, mise, poker-face…
Et avec elle, c’était toujours all-in.

Peter retint un éclat de rire amer quand la chef de la Milice lui expliqua que le Ministère était assez préoccupé par la disparition de Chloé Hellsoft.

"Et moi donc..."

Son regard s'arrêta un moment le portrait de Chloé que Danielle avait glissé dans sa direction. Il n'avait pas beaucoup de photo d'elle, réalisa-t-il alors. Il n'avait jamais fait partie de ces gens qui immortalisaient tous les instants de leur vie. Il avait quelque clichés de Chloé et de Lou, juste après sa naissance, mais aucun portrait de la femme qui avait partagé sa vie. C'était assez curieux de penser que la Milice avait plus de photos d'elle dans cet épais dossier que lui dans son appartement.

Peter ne cilla pas quand Danielle évoqua les soupçons du Ministère quant aux activités illégales de sa compagne. Il ne fit même pas l'effort de paraitre surpris. On lui avait déjà dit tout ça. Et il avait déjà répondu qu'il ne savait rien. La jeune femme trouvait visiblement "compliqué" de penser qu'il n'avait rien su des soi-disants activités de Chloé durant leur vie commune. Et pourtant...

Pour de nombreuses personnes c'était impensable, de ne pas tout partager avec sa moitié. Ce n'était pas vraiment aimer si on ne connaissait pas chaque détail de la vie de l'autre. De son côté, Peter avait toujours trouvé cette idée absurde. Il considérait que c'était important, de conserver une certaine intimité, même au sein du couple. Et ils ne comprendrait jamais ces gens qui n'avaient aucun secret l'un pour l'autre. Si lui et Chloé avaient cédé aux pressions extérieures, ils se seraient mariés après la naissance de Lou, auraient cessé de vivre dans deux appartements séparés, auraient eu toutes ces grandes conversations sur leurs valeurs et leurs principes d'éducation. Ils n'avaient jamais fait tout ça. Ils ne s'étaient jamais entendu sur rien, pour être honnête. Ils étaient radicalement différents, et pourtant cela avait fonctionné. De situations de crise en situations de crise, ils avaient tenus bons. Et il était persuadé d'avoir éprouvé des sentiments sincères pour Chloé. Tout cela avait été noyé dans la rancoeur laissée par son absence, mais il arrivait encore à s'en souvenir parfois. Ils s'étaient aimé, au moins un temps. Peut-être pas comme les autres s'aimaient, mais à leur façon. En gardant leur part de liberté, de secret, et en se disputant sur à peu près tous les sujets importants.

L'enseignant avait conscience que cela pouvait être surprenant, il était habitué aux remarques pleines de jugement et à la curiosité mal placée. Parce qu'évidement ce n'était pas la bonne façon d'être en couple, et chacun y allait de son conseil savant ou de son analyse de la situation. Les gens se comportaient souvent en psychologues sans qu'on leur ait demandé. Il avait toutefois le sentiment que Danielle Coleman se fichait bien de ce que son besoin d'indépendance pouvait révéler sur les traumatisme de sa petite enfance. Elle n'était clairement pas là pour juger la légitimité de son couple. Elle voulait des réponses. Et il n'avait rien à lui donner. Du moins pas sur Chloé.

"Vous ne m'apprenez rien, en effet, confirma-t-il, parfaitement calme. J'ai été informé de ces soupçons au moment de sa disparition. Et j'ai le regret de vous annoncer qu'aucun souvenir d'éventuelles confessions nocturnes ne m'est revenu depuis. Ils n'avaient jamais occupé leurs nuits à bavarder. Si Chloé Hellsoft menait des activités illégales quand nous vivions ensembles, je n'en savais rien."

Il avait eu des soupçons, bien sûr. Elle s'absentait, elle était tendue, et encore plus secrète que d'habitude. Ils n'avaient peut-être pas été le couple parfait, mais il l'avait assez bien connu pour savoir qu'elle ne pourrait pas faire autrement que de s'engager dans un mouvement d'opposition. C'était dans sa nature. Et elle le connaissait suffisamment bien pour savoir qu'elle avait tout intérêt à ne pas lui en parler. Il n'aurait jamais été d'accord.

"Elle était assez secrète, surtout les semaines avant sa disparition. Il sentait bien qu'il allait devoir donner un peu du sien. Plus vite il donnait un os à ronger à la Milice, plus vite cet entretien serait terminé. Mais ça ne m'a pas inquiété, c'était dans sa nature. Je ne faisais pas attention à ces choses là, à l'époque. J'étais peut-être naïf -pas vraiment le mot qui venait à l'esprit quand on le connaissait un peu- mais je ne pensais pas que ce genre...d'activités, comme vous dites, atteindrait Poudlard."

Danielle hocha simplement la tête lorsque Peter Virtanen l’informa qu’aucune « confession nocturne » ne lui était revenue depuis leur dernière conversation. Elle fut cependant moins convaincue lorsqu’il affirma qu’il ne savait rien des activités illégales qu’elle menait.

Danielle n’était pas une femme romantique dans l’âme, et elle pouvait parfaitement concevoir ne pas partager tous ses secrets avec la personne qui partageait sa vie – après tout, elle ne l’avait jamais fait. Elle avait eu quelques histoires pourtant, avait partagé le quotidien de quelques hommes – parfois pendant quelques mois, parfois pendant quelques années – mais elle avait toujours voulu garder son indépendance. Elle savait apprécier les moments qu’elle passait en couple – les sorties, les dîners, les grandes soirées passées à lire au coin du feu, les nuits partagées… Mais elle avait aussi besoin de sa part de solitude pour se recentrer sur elle-même.

Depuis qu’elle avait pris les rênes de la milice, Danielle n’avait pas eu le temps de penser à s’engager dans une quelconque relation amoureuse – elle vivait uniquement pour son travail. Elle passait ses journées avec ses équipes, soit sur le terrain, soit dans son bureau à coordonner ses hommes, élaborer des plans, ajuster certains détails.

Son ambition était bien plus grande que la petite part d’envie qu’elle pouvait ressentir lorsqu’elle voyait ses collègues rentrer chez eux auprès de leur famille. Danielle n’avait plus de famille depuis longtemps – ses parents étant décédés lorsqu’elle était plus jeune. Mais elle avait un but, une mission, et un gouvernement à ne pas décevoir – et cela lui suffisait amplement pour s’épanouir.

Reportant son attention sur le professeur de runes, Danielle se pencha vers lui avec un intérêt manifeste lorsqu’il mentionna qu’elle avait été assez secrète avant disparition. Ce n’était guère étonnant – une personne qui s’apprêtait à fuir en laissant ses deux enfants derrière elle ne pouvait pas risquer de se faire repérer. Lorsqu’il mentionna Poudlard, la chef de la milice posa un regard pensif sur lui, et garda le silence quelques secondes.

« Je comprends que votre compagne ait gardé précieusement un tel secret… » commença-t-elle. « Mais vous étiez l’une des personnes qui la connaissait le mieux. D’après vous, est-ce qu’il est possible que Chloé Hellsoft fasse partie d’un groupe d’opposition ? » questionna-t-elle simplement, évitant volontairement le mot « terroriste ». Puis, elle précisa : « Je ne vous demande pas de preuves, ni même des conversations que vous n’avez de toute évidence pas entendues. Je vous demande simplement votre avis sur la question… »

Ce n’était pas très conventionnel, mais elle s’en fichait royalement. Elle avait fait une croix sur l’espoir de retrouver Hellsoft – cela faisait trop longtemps qu’elle était partie, elle pouvait être n’importe où dans le monde. Cependant, elle comptait bien tirer son épingle du jeu…

« Oui, » souffla-t-elle ensuite en secouant doucement la tête. « C’est terrible que de telles activités atteignent une école. Je ne supporterai pas qu’un évènement comme celui qui a secoué Leopoldgrad se reproduise à Poudlard… »

Puis, elle rassembla son dossier, le consulta quelques instants, et poursuivit :

« Monsieur Virtanen, je ne vais pas vous mentir, mes hommes ont enquêté sur vous. » elle préférait être franche, parce qu’une idée commençait à germer dans son esprit et qu’elle avait tout intérêt à s’attirer la sympathie du professeur. « Il s’agit de la procédure, dans un cas comme celui-ci. Je vous rassure, ils n’ont rien trouvé de compromettant. » Et pourtant, elle avait mis ses meilleurs détectives sur le coup. « Mais vous comprendrez que je suis obligée de vous poser la question… Que pensez-vous du gouvernement Marchebank ? Et que vous inspire les mouvements terroristes ? » questionna-t-elle en joignant ses deux mains.

Evidemment, un contestataire aurait vite fait de lui mentir sans sourciller. Mais si Danielle avait eu le moindre soupçon sur Peter, cet interrogatoire ne serait pas passé de la même façon – à vrai dire, il aurait probablement fait un petit tour à Skye. Il s’agissait bien plus d’une question de routine, lui permettant seulement d’analyser les termes qu’il employait pour parler du gouvernement…

Machiavel se réveilla en sursaut de sa sieste et se redressa promptement sur son fauteuil pour observer fixement la porte du bureau. Parfaitement immobile, ses fines moustaches finirent par s'agiter tandis qu'il tentait d'identifier ce qui l'avait tiré du royaume des songes. De toute évidence, il ne s'agissait pas de son humain, dont la pièce ne comportait nulle trace. Pourtant, quelque chose attirait l'attention de l'animal, quelque chose dans l'air, que les hommes auraient peut-être appelé une intuition. Cela lui chatouillait le museau, comme pour l'inciter à se mouvoir, et il finit par céder à sa curiosité.

Après s'être étiré rapidement en plantant ses griffes dans le cuir sombre du fauteuil, Machiavel grimpa sur le bureau d'un bond gracieux puis retomba au sol en silence. Il trottina jusqu'à la porte restée entrouverte puis traversa le couloir, non sans gratifier Josie d'un miaulement affectueux. De son pas preste, il suivit la trace invisible et mystérieuse à travers les différentes pièces du niveau 1, son territoire, puis finit par regagner l'ascenseur. Là, il lui fallut attendre qu'une grande sorcière aux talons hauts ne vienne appeler l'ascenseur pour pouvoir y accéder. Reconnaissant, il se frotta contre ses bas, y déposant au passage quelques poils, puis descendit au niveau II.

Il aimait cet endroit, c'était son deuxième niveau préféré après le IV. Ici, l'atmosphère était particulière, et il en parcourut les couloirs avec plaisir. Machiavel n'avait pas de destination précise, autre que celle que lui dictait son instinct, qui ne le trompait jamais. Bientôt, il se retrouva devant une enfilade de salles lugubres, qui ne lui inspiraient rien qui vaille, mais son ouïe fine capta des sons humains vers le fond. A pas feutrés, il s'approcha de la salle en question, dont la porte n'avait pas été complètement claquée. Avec un feulement de contentement, Machiavel l'ouvrit du bout de la tête et pénétra dans la pièce, comme un roi dans son royaume.

Deux humains se trouvaient là, qu'il considéra un moment, avant de faire son choix. Rapidement, il courut vers la femelle, qui lui était parfaitement familière, et grimpa d'un bond puissant sur ses genoux. Sans la moindre gêne, il s'installa sur le tissu mauve, assis pour mieux pouvoir fixer le mâle d'un regard qui ne cillait pas.

"Meaaawwww", s'exclama-t-il avec détermination. Après un instant, il finit par se rouler en boule sur son siège chauffant, sans lâcher Peter Virtanen du regard.

Fut un temps où être interrogé par les forces de l'ordre aurait plongé Peter dans un profond état d'angoisse. Il avait longtemps été un peu paranoïaque sur les bords, et persuadés que les secrets de son passé -un en particulier- risquaient d'être découverts à chaque instant. Et voilà qu'il se tenait face à la chef de la Milice qui, après une soi-disant enquête, lui affirmait qu'il était irréprochable. Rien que ça ! Soit elle savait et avait un sens de la morale discutable, ce qui n'était pas à exclure. Soit elle ignorait qu'il avait été accusé de meurtre, il y a quinze ans, ce qui était assez inquiétant pour les compétences de ses enquêteurs. Si cette seconde hypothèse était la bonne, il ne se faisait pas trop de soucis quant aux chances qu'avait Chloé de réussir à passer entre les mailles de la Milice.

Il hésita un instant à lui faire la remarque, ne serait-ce que pour montrer l'étendue de sa bonne fin, mais décida finalement de s'abstenir. Il ne craignait plus vraiment d'être inquiété avec cette veille histoire, mais il n'était pas téméraire au point de s'accuser lui-même alors qu'on ne lui reprochait rien. Danielle Coleman le trouvait peut-être irréprochable, mais cela ne l'empêcha pas de l'interroger sur ce qu'il pensait du gouvernement Marcehbank, et des mouvements terroristes. De l'avis de Peter c'était une question un peu idiote. Qui dans cette salle se serait risqué à une autre réponse que celle qui s'imposait ? Mais encore une fois, il s'abstint de faire le moindre commentaire.

En toute honnêteté, il n'avait rien contre le gouvernement actuel. Il voulait bien admettre que certaines décisions prises par Marchebank étaient un peu extrêmes, comme l'isolement de Bristol, mais elles étaient certainement nécessaires. Il aurait fallu être sacrément idiot pour adopter ce genre de mesures impopulaires sans une bonne raison et, bien qu'il ne la connaisse pas personnellement, Peter était persuadé que Léopold Marchebank était loin d'être un imbécile. Les temps étaient difficiles, la société magique avait souffert des déboires du MIM et accusait le gouvernement en place de tous ses maux. Mais aux dernières nouvelles ce n'était pas le FREE qui avait fait explosé un bâtiment public et tué presque deux cents personnes.

"Je pense que le gouvernement est accusé à tort de beaucoup de travers, répondit-il franchement en s'éloignant un peu de la table pour s'adosser contre le dossier de sa chaise. Je n'irai pas jusqu'à dire que le Ministre Marchebank est irréprochable -personne ne l'est jamais vraiment- mais je suis certain qu'il fait au mieux, ce qui ne doit pas être facile en ce moment. Quant aux mouvements terroristes, il est évident qu'il ne m'inspire rien d'autre que de la colère et du mépris. Il avait abandonné son dossier pour venir poser ses coudes sur la table et se rapprocher de son interlocutrice. Mais j'imagine que cette réponse ne vous surprend pas ?"

Il se demandait si quelqu'un avait déjà eu l'audace de critiquer ouvertement le gouvernement dans ce genre d'interrogatoire, ne serait-ce que pour le plaisir de la provocation. Lui ne se serait pas risqué à faire de l'humour, malgré un certain penchant pour l'ironie. Il avait le sentiment que c'était le genre de plaisanterie qu'il pourrait amèrement regretter. Il se contenta donc de sa sage réponse mais s'autorisa à soutenir le regard de la milicienne sans ciller, comme un gage de son honnêteté.

Il tourna finalement la tête en direction de la porte quand celle-ci s'ouvrit brusquement toute seule. Un coup d'oeil en direction du sol lui apprit que ce n'était pas un sortilège mais simplement un chat qui avait poussé le battant et qui traversait maintenant la pièce avec nonchalance, comme s'il se trouvait en royaume conquis. Peter s'était préparé à beaucoup de choses, avant cet entretien, mais certainement pas à croiser un félin méprisant. Ce dernier bondit agilement sur les genoux de Danielle et fixa Peter d'un regard mauvais. Il avait beau s'être calmé sur la paranoïa, il était persuadé que ce chat ne l'aimait pas. Sale bête.

"C'est une nouvelle technique d'interrogatoire ? lança-t-il avec un sourire amusé, malgré son regard qui trahissait une certaine inquiétude. Vous n'imposez quand-même pas à vos coéquipiers de se changer en chat pour espionner vos entretiens ?"

Il ne savait pas combien étaient payés les miliciens mais si leur poste les obligeait à se métamorphoser en animal de compagnie, ils avaient intérêt à réclamer une augmentation de salaire.  

« Non, elle ne me surprend pas. » répondit honnêtement Danielle. « Et je pense que, n’importe qui, en interrogatoire en tête-à-tête avec la cheffe de la milice, m’aurait servi l’exact même réponse – honnête citoyen comme terroriste. » lança-t-elle avec indifférence, en balayant l’air de sa main.

Ce qui était intéressant, c’était que Peter Virtanen se rende compte de la banalité de sa réponse – qui paraissait encore plus bancale lorsqu’on portait de tels soupçons sur les activités de sa compagne. Danielle n’avait pas spécialement d’intérêt à ce que Peter lui assure son allégeance au gouvernement – au contraire, elle avait besoin qu’il se sente suffisamment en danger pour savoir que collaborer avec eux était la meilleure solution d’envisager son avenir. Elle s’apprêtait à poursuivre son interrogatoire, lorsque la porte grinça derrière elle. Elle pivota la tête, la main déjà posée sur sa baguette magique, avant de se détendre parfaitement lorsqu’elle avisa leur visiteur impromptu. Le chat sauta sur ses genoux pour s’y installer, avant de lancer un miaulement féroce à Virtanen. Danielle, dissimulant un sourire, caressa le chat entre les oreilles qui ronronna de contentement. Il n’était pas rare de croiser Machiavel dans les bureaux de la milice, qui prenait visiblement beaucoup de plaisir à assister aux interrogatoires menés par les miliciens. Danielle appréciait particulièrement la compagnie du félin, qui le lui rendait bien.

Elle répondit à l’interrogation de Peter par un sourire mystérieux, tandis que le chat ne cillait pas et continuer de fixer l’homme d’un air sévère. « Peut-être. » répondit-elle simplement, satisfaite que la présence de Machiavel le déstabilise un peu. Pour continuer sur cette lancée, elle ouvrit le dossier du professeur, où la copie d’un dossier de police finlandais se trouvait sagement rangée. Danielle lui lança un regard lourd de sens en sortant la feuille.

« Votre présence ici, Monsieur Virtanen, ne relève pas d’une simple procédure pour retrouver votre femme – qui, à mon sens, aurait excellé chez les Aurors pour l’épreuve de dissimulation. » commenta Danielle d’un ton détaché. Elle laissa passer un silence. « Voyez-vous, vous nous semblez parfaitement irréprochable… En Angleterre. » Elle releva les yeux de ses papiers pour le fixer.

Trouver le véritable nom de famille de Peter n’avait pas été une mince affaire, mais le lieutenant qu’elle avait mis sur le coup était excellent pour ça. En reconstituant son arbre généalogique, ils avaient fait la surprenante découverte que Peter Virtanen était connu en Finlande sous le nom de Peter Carrow… Avec cette information en main, il n’avait pas été difficile de demander à la communauté magique les copies de son casier judiciaire et ceux des procès liés à cette sombre affaire.

Que Peter ait tué un homme, Danielle s’en fichait comme de sa première robe de sorcière – d’autant plus que le meurtre avait eu lieu dans un autre pays, à une autre époque. Pour autant, elle comprenait pourquoi Virtanen avait fait tant d’efforts pour le dissimuler à la communauté magique anglaise – son poste à Poudlard ne resterait pas longtemps le sien si cette information venait aux oreilles des mauvaises – ou des bonnes, si on se plaçait d’un point de vue éthique – personnes.

« Je considère que tout cela relève d’une autre époque, d’une autre personne, et d’une autre juridiction. » fit-elle en reposant le papier. « Comprenez bien notre crainte, cela dit. Chloé était votre compagne – et je suis prête à croire qu’elle vous a tenu éloigné de ses agissements. Mais, malgré les belles réponses que vous pouvez me donner sur le gouvernement, » Son visage se fendit d’un léger sourire « vous restez tout de même un des premiers suspects de la milice. Chloé pourrait chercher à vous contacter, vous demander de réaliser n’importe quelle tâche ingrate pour elle, vous inciter à rejoindre les bancs de son mouvement terroriste pour l’aider… Et ce dossier finlandais ne joue pas entre votre faveur pour nous prouver que vous ne serez jamais de cela.» Danielle posa ses coudes sur la table pour s’approcher un peu plus de Peter. « Bien sûr, j’aimerais vous croire sur parole lorsque vous me dîtes que vous n’avez qu’un mépris pour eux et leurs actions… Mais, après ce qu’il s’est passé à Leopoldgrad, nous ne pouvons prendre aucun risque. Vous l’avez dit vous-même, il est absolument regrettable que de tels agissements aient atteint Poudlard. Et il serait profondément regrettable que cela se reproduise encore. » lança-t-elle d’une voix calme, mais inflexible, en sondant le professeur. « Pour être franche avec vous, le ministère ne se sent pas réellement à l’aise avec cette situation, connaissant vos relations avec Chloé. Il a été bien évidemment question de vous relever de vos fonctions. » Elle bluffait, mais après tout, ce n’était pas complètement improbable non plus. Un lien avec une terroriste reconnue comme tel – qui avait trahi le gouvernement au sein même du ministère – était un motif à son sens valable pour cela ; certains avaient été envoyés à Skye pour moins que ça. « Lorsque je me suis rappelée de notre rencontre, je me suis tout de même positionnée pour pouvoir vous rencontrer une nouvelle fois avant de prendre une décision à votre sujet. Histoire de voir si nous pouvions trouver un moyen de vous laver de tout soupçon quant à cette prétendue appartenance à des mouvements terroristes. »

Elle allait rajouter quelque chose, mais préféra finalement rester muette, intriguée de ce que Peter pourrait proposer pour se tirer de cette situation.

Peter s'était attendu à ce que la chef de la Milice ne s'empresse de démentir ses soupçons à propos du chat qui venait d'interrompre leur entrevue, mais elle ne lui répondit que par un sourire mystérieux qui le troubla plus qu'il ne l'aurait voulu. Il ignorait s'il était davantage déstabilisé par le regard inquisiteur du félin où par l'attitude un peu provocatrice de Danielle Coleman, qui n'était pas pour lui déplaire.

Son intérêt pour son interlocutrice fut brusquement refroidi quand elle sortit un casier judiciaire finlandais de l'épais dossier posé sur la table. Il reconnut immédiatement le sigle du Maaginen Oikeusministeriö, qui avait hanté ses nuits pendant des années. Il avait crié victoire beaucoup trop vite. Evidement, la Milice était remontée jusqu'à cette sombre histoire. Juste quand il pensait que c'était définitivement derrière lui, que cela appartenait pour toujours à un passé que personne n'irait déterré, elle lui renvoyait tout en pleine figure.

Il eut toute la peine du monde à conserver un visage impassible et se détendit à peine quand Danielle assura que tout cela relevait d'une autre époque et d'une autre juridiction. Elle n'avait pas l'air le moins du monde gênée par l'aspect moral de l'affaire. Mais si ce casier n'avait aucun intérêt à ses yeux, alors pourquoi l'agitait-elle sous son nez ? Probablement pour s'en servir comme monnaie d'échange. Elle avait un moyen de pression sur lui désormais. Elle connaissait son plus terrible secret et avait certainement l'intention de s'en servir pour qu'il lui donnerait des informations sur Chloé. Malheureusement pour elle, il n'avait rien à lui proposer, et elle semblait d'ailleurs l'avoir compris. Loin de lui demander à nouveau des informations qu'il ne possédait pas, la jeune femme lui expliqua très calmement que ce dossier, en plus de sa relation avec Chloé, faisait de lui un suspect très sérieux.

Peter avait beau nourrir une profonde rancoeur à l'encontre de son ex-compagne, il n'aurait probablement pas dévoilé ses secrets à la Milice, s'il les avait connus. Elle était la mère de sa fille et il l'avait aimé, un jour. Il n'aurait pas livré Chloé s'il avait eu le choix, il en était persuadé, mais il n'était pas prêt à prendre des risques pour la protéger non plus. Et surtout, il refusait de souffrir les conséquences de ses décisions. Elle s'était engagée dans la résistance seule, et ce n'était pas à sa famille de payer pour son choix. Outre sa propre sécurité, c'était aussi celle de Lou et de Maeva qu'il voulait protéger. Il savait bien que perdre son poste à Poudlard n'était pas la pire des choses qui pouvait lui arriver s'il était suspecté de collaborer avec des réseaux terroristes.

Danielle Coleman laissa toutefois entendre qu'il ne tenait qu'à lui de se débarrasser de tout soupçon d'appartenance à des mouvements terroristes. D'ordinaire d'un flegme légendaire, le professeur dut se faire violence pour ne pas s'empresser de répondre n'importe quoi. C'était pourtant sa réponse : n'importe quoi. Il ferait tout ce qu'il pouvait pour prouver qu'il n'avait rien à voir avec les activités que Chloé avait pu mener dans son dos.

"Je vous avoue avoir du mal à saisir le lien entre ceci, il baissa les yeux sur son casier judiciaire finlandais. Et la disparition de Chloé. Il s'agita nerveusement sur sa chaise, croisant et décroisant ses mains sur la table. Surtout que, comme votre interprète finlandais vous l'aura surement déjà dit, j'ai été innocenté. Relaxé pour manque de preuves, plus exactement. C'est écrit noir sur blanc. En finnois. Bien sûr, pour des raisons évidentes, j'aimerais que cette histoire ne soit pas rendue publique.Vous l'avez dit vous-même, cela relève d'une autre époque, et d'une autre juridiction... Je comprends vos soupçons, mais je vous assure que Poudlard n'a rien à craindre de moi. Et s'il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour vous en assurer, je le ferai."

Peter avait retrouvé son calme et s'était rapproché légèrement de la table, son regard polaire rivé sur le visage de son interlocutrice. Il était parfaitement honnête. Il pouvait bien être les yeux et les oreilles de la Milice à Poudlard, espionner ses collègues, oeuvrer auprès de Daisy, n'importe quoi. Il avait bien compris que ses options étaient limitées : il était avec le gouvernement ou contre le gouvernement. L'heure de la neutralité et de la passivité était définitivement révolue, et il avait clairement fait son choix.

"Vous n'avez qu'à demander. N'importe quoi, répéta-t-il tranquillement. Quand vous voulez."

Elle n'était pas obligée de lui proposer quelque chose tout de suite. A vrai dire il espérait -sans vraiment y croire- que cette promesse suffirait à prouver à Danielle Coleman qu'il était de son côté, et qu'ils pourraient en rester là. Bien que la compagnie de la jeune femme ne soit pas désagréable, il aurait préféré pouvoir engager la conversation dans un contexte moins tendu, et parler d'autre chose que de sa compagne disparue.

L’attitude de Peter Virtanen arracha un sourire satisfait à Danielle, qui se recula sur sa chaise pour observer plus attentivement son interlocuteur. Elle avait l’impression d’avoir mené cette interrogatoire d’une main de maître, amenant le professeur à l’exact endroit où elle voulait le trouver ; à vrai dire, cela n’avait pas été bien compliqué. Peter semblait être un homme censé, bien conscient que ses intérêts se trouvaient du côté du ministère, et non avec ceux de son ex-compagne.

« Le lien ? » répéta toutefois Danielle en désignant tour à tour le dossier finlandais de Peter puis la photo de Chloé Hellsoft « Disons seulement que cette affaire ne joue pas en votre faveur pour nous persuader que vous n’êtes pas du genre à aider une organisation terroriste comme le faisait votre compagne. » déclara tranquillement Danielle, en le sondant du regard.

Toutefois, plus elle passait du temps en compagnie du professeur de Runes, plus il lui semblait qu’elle n’avait pas à le craindre ; il ne semblait pas représenter un danger pour le ministère. Or, au fil du temps, Danielle avait appris à faire confiance à son instinct, qui ne la trompait que rarement. L’attitude de Peter la confortait dans cette impression, et notamment la façon dont il avait répété qu’elle pouvait lui demander « n’importe quoi ».

« J’étais sûre que nous parviendrons à trouver une entente, Monsieur Virtanen. » lança Danielle avec un léger sourire, sa main toujours perdue dans la fourrure de Machiavel, qui ronronnait allégrement sur ses genoux. « Il me semble, en effet, qu’il y a quelque chose que vous pourrez faire pour nous. »

Danielle prit quelques secondes en faisant mine de réfléchir. En réalité, elle savait déjà précisément ce qu’elle allait demander au sous-directeur de Poudlard, elle ne voulait seulement pas trop le brusquer en lui faisant croire qu’elle l’avait mené en bateau pendant tout leur entretien. Ce n’était même pas le cas – pas tout à fait, du moins, car Danielle avait véritablement pris garde à sonder le professeur pour connaître ses intentions envers les mouvements d’oppositions et envers le gouvernement.

« Votre compagne a longtemps résidé à Poudlard, avec vous et votre fille, Lou. » annonça simplement Danielle en tapotant distraitement la table du bout des doigts. « Nous connaissons les… rancunes que Chloé nourrissait envers le gouvernement, du coup, je me demande si elle aurait pu en faire part à des collègues, ou pire, à des élèves. » Son ton se fit de plus en plus grave. « Ces idéologies sont néfastes pour d’aussi jeunes personnes, qui n’ont pas comme nous le recul nécessaire pour examiner une situation. Vous savez comme moi qu’il est facile de manipuler des jeunes esprits, de les enrôler dans une cause perdue et dangereuse. Je ne dis pas que c’est ce que votre compagne a fait. » ajouta Danielle – si, c’était sûrement ce qu’elle sous-entendait un peu. « Mais si des journaux ont été trouvés par des élèves, ou que certains membres du groupe de Chloé ont pu entrer en contact avec des élèves pour les persuader du bien-fondé de leur cause… » La chef de la milice ne prit pas la peine de terminer sa phrase, échangeant seulement un regard entendu avec Peter.

Il était primordial, à son sens, de protéger Poudlard des tourments qui agitaient le monde magique. Officiellement, c’était parce qu’il ne fallait pas perturber d’aussi jeunes sorciers avec de telles histoires sordides de terrorisme. Officieusement, c’était parce qu’elle craignait les comportements téméraires des adolescents qui pourraient prendre partie contre le ministère.

« Je n’ai absolument pas envie de voir les élèves atteints par ces sordides histoires. Il est de notre devoir de les protéger du monde extérieur et des violences commises par les membres des groupes d’opposition. » affirma Danielle d’une voix qu’elle tenta d’adoucir, comme pour prouver sa bonne foi. « Je ne vous demande rien de plus que ce que n’importe quel bon professeur, soucieux du bien-être de ses élèves ferait : faîtes attention à eux. Restez conscient qu’un tel poison ait pu s’immiscer dans l’enceinte du château. Ouvrez les yeux. » expliqua Danielle en se penchant vers Peter pour se rapprocher de lui. « Et contactez-nous immédiatement si une situation vous parait suspecte et que vous ne pouvez pas la gérer vous-même. » demanda-t-elle en vrillant son regard dans le sien.

Ce qu’elle lui demandait réellement, c’était d’être ses yeux et ses oreilles. D’écouter les conversations en salle des professeurs, de prendre garde aux discussions de ses élèves les plus âgés… Mais, après tout, ne lui demandait-elle pas de faire simplement ce que tout gouvernement pouvait attendre des professeurs d’une aussi grande institution comme Poudlard ?

Danielle Coleman ne parut pas réfléchir bien longtemps avant de lui avouer qu'il y avait, effectivement, un service qu'il pourrait lui rendre, dans le but de prouver sa loyauté au Ministère. Il était évident que c'était l'objectif de cet interrogatoire et qu'elle avait cette proposition en tête depuis le début. Peter avait le désagréable sentiment d'avoir été manipulé, pourtant il était conscient que c'était la meilleure façon dont cette rencontre pouvait se dérouler. La jeune femme l'avait emmenée exactement là où elle le souhaitait, et c'était une bonne chose, peu importait son égo. Il n'avait pas vraiment envie de contrarier la chef de la milice.

"Je vous écoute."

Peter se rapprocha légèrement et posa ses coudes sur la table, observant Danielle avec toute son attention, une lueur d'appréhension dans le regard. Il craignait de ne pas pouvoir tenir parole, de se voir proposer un marché qu'il ne pourrait pas accepter. Et pourtant, alors qu'il s'imaginait justement toutes les choses indicibles que pourrait bien lui demander la chef de la milice, il fut forcé de constater qu'aucune d'entre elle ne lui paraissait inacceptable. Ce qu'il faudrait faire pour blanchir son nom et protéger sa famille, il le ferait. Il était prêt à n'importe quoi.

Il hocha la tête quand Danielle évoqua les dégâts que pouvait causer, au sein d'une école, une idéologie comme celle de ces terroristes qui se disaient "résistants". Dans les mots de la Milice, il retrouvait ses propres craintes, qu'il avait formulées auprès de Daisy quelques mois plus tôt. Il ne pouvait qu'adhérer à ce discours, lui-même convaincu que ces illuminés étaient particulièrement dangereux auprès d'adolescents influençables. Peter comprenait facilement comment ce mouvement pouvait attirer de jeunes esprits en quête de justice. Il comprenait comment, aux yeux d'enfants qui se cherchaient encore eux-mêmes, et qui souffraient parfois de leurs relations difficiles avec les autres, ce groupe de desespérés, unis par une lutte commune et prêts à mourir pour leur cause, pouvait apparaitre comme une solution. Il fallait les protéger de ces terroristes, de leurs idéaux teintés de violence et de leurs beaux discours.

"Je ne peux qu'être d'accord avec vous, assura-t-il fermement. Et vous pouvez compter sur moi pour m'assurer que nos élèves ne seront pas contaminés par ces idées-là."

Peter considérait que c'était son devoir en tant qu'enseignant, de protéger ses étudiants contre l'endoctrinnement, et il n'avait pas besoin de la Milice pour le lui rappeler. Mais ce n'était pas exactement ce que la chef de la Milice lui demandait, du moins ce n'était pas tout. Toujours au nom du bien-être des élèves, et en le formulant de façon à ce que cela apparaisse comme une noble tâche, Danielle Coleman lui demandait tout simplement d'espionner ses collègues et ses élèves les plus âgés, et de les dénoncer en cas de comportements suspects.

L'enseignant ne cilla pas, presque rassuré par cette demande qui lui paraissait plus que raisonnable. L'idée de jouer les taupes pour le Ministère au sein même de l'équipe enseignante n'était pas des plus plaisantes, mais s'il y avait effectivement des professeurs convaincus par ces idéologies terroriste, alors il n'aurait aucun scrupule à les dénoncer.

"C'est entendu, répondit-il simplement en s'adossant contre le dossier de sa chaise, plus détendu qu'au début de leur entretien. Au moindre comportement suspect, au moindre soupçon, vous serez informée." Peter plongea son regard bleu acier dans les yeux de son interlocutrice, comme pour lui prouver sa bonne foi.

Peu désireux de s'attarder sur les différentes raison ayant mené à la conclusion de ce petit marché, Peter décida de s'intéresser aux aspects purement pratiques de cette mission qu'il venait d'accepter.

"Est-ce que vous attendez des rapports réguliers ? Ou simplement une alerte lorsque la situation l'exige ?"

Il n'était pas très à l'aise à l'idée de devoir rendre régulièrement des comptes à la Milice, mais devait bien admettre que la perspective de côtoyer plus souvent sa charmante interlocutrice n'était pas pour lui déplaire.

« J’étais certaine que vous partagerez mon point de vue. » déclara tranquillement la cheffe de la milice en sondant Peter du regard.

Machiavel, toujours perché sur ses genoux, dévisageait l’homme avec méfiance. Sa main droite se perdit dans son pelage alors que, pensive, elle parcourait une nouvelle fois des yeux le dossier qui était étalé devant elle.

Cela l’arrangeait que Peter, de lui-même, s’oppose de façon aussi virulente aux actions menées par son ex compagne. Il pouvait mentir, évidemment, mais Danielle sentait que ce n’était pas le cas. Peter savait ce qui était le mieux pour lui, pour sa famille. Il savait que ses intérêts se trouvaient du côté du ministère ; il en avait probablement conscience avant cette rencontre mais, si ce n’était pas le cas, elle avait probablement achevé de le convaincre de l’importance de soutenir la politique de Leopold Marchebank. Il faisait preuve d’un bon sens et d’une logique assez redoutable que Danielle admirait et valorisait dans le comportement de ceux qui croisaient son chemin. Peter n’allait pas se laisser aveugler par les actions de Chloé Hellsoft ; ce n’était pas parce qu’elle s’était impliquée dans un mouvement terroriste qu’il allait faire de même pour faire perdurer son souvenir ou continuer son combat. Il prenait ses décisions en fonction de ce qu’il y avait de mieux pour lui et pour ses filles ; c’était, selon Danielle, une excellente façon de veiller à leur sécurité.

« C’est parfait. » approuva Danielle en hochant la tête, laissant un sourire satisfait fleurir sur ses lèvres. « Vous faîtes le bon choix, monsieur Virtanen, croyez-moi. Plus que tout, nous ne souhaitons pas que les… combat qui animent certains sorciers puissent être repris par des élèves plus jeunes et plus influençables. »

Ce n’était pas tout à fait vrai. Enfin si, en théorie, elle voulait empêcher les élèves de Poudlard de prendre part à ces débats politiques ; de cette façon, l’école restait sous la coupe du ministère et les tensions ne pouvaient pas pénétrer dans l’enceinte du château. Mais elle savait que cette idée était utopique ; rien n’avait jamais empêché les adolescents de reprendre à leur compte les combats des adultes. Danielle voulait être capable de maîtriser ce phénomène. Elle voulait connaître les noms des élèves qui portaient de idéaux contraires à ceux du régime parce qu’il y avait un grand pourcentage de chance que ces derniers aient été grandement influencé par leur famille. Et puis il y avait les professeurs, également, dont personne ne pouvait se prêter véritablement garants. Avoir Peter de leur côté leur permettait de garder une main sur Poudlard. Il deviendrait ses yeux et ses oreilles dans l’enceinte du château.

« Simplement quand la situation l’exige, cela devrait suffire. » assura Danielle. Elle détestait faire des réunions pour constater qu’il ne se passait rien de nouveau ; elle n’en voyait pas l’intérêt. « Je vous contacterai peut-être, de temps en temps pour vous demander des renseignements sur un élève ou un membre de l’équipe professorale. Cela ne devrait pas arriver souvent. » le rassura-t-elle d’un sourire. « Je ne communiquerai pas avec vous via Patronus, parce que le mien est connu de la communauté sorcière et que j’aimerai que notre accord reste secret. » le prévint-elle, d’un ton qui ne souffrait pas de contradiction. « Je peux vous contacter par cheminette ? A moins que vous préférez les communications par Pear ? » proposa-t-elle en désignant du menton le sien, posé sur la table.

Peter doutait assez souvent, de lui-même comme des autres. Sa vie était semée de remords et il regrettait certains des choix qui l'avaient mené dans le bureau de la Milice. Il avait fait des erreurs dans sa jeunesse et encore aujourd'hui, des choix de vie discutables, s'était attaché à des personnes qui n'étaient pas bonnes pour lui, et il avait souvent le sentiment de ne pas savoir quoi faire. Il n'était jamais complètement sûr de lui, et n'arrivait pas à aligner ses valeurs morales à ses choix stratégiques. Aujourd'hui pourtant, il était convaincu d'avoir pris la bonne décision.

Rien n'était jamais parfait, et cet arrangement à la Milice avait quelques inconvénients, mais ils étaient mineurs face à ce que cela lui garantissait : sa sécurité, celle de ses filles, et la tranquillité de Poudlard. Il savait que le poste de Directeur lui demanderait de prendre de nombreuses décisions concernant l'école, et il était certain qu'en se liant au Ministère, il faisait le meilleurs choix pour ses élèves. Satisfait de la tournure de cette entrevue, et décidé à montrer sa bonne volonté, l'enseignant se renseigna sur les modalités pratiques de cette collaboration, qui avait très certainement intérêt à rester secrète.

Danielle Coleman lui confirma rapidement qu'elle ne tenait pas à voir leur arrangement rendu public, et il l'approuva d'un signe de tête.

"La communication par cheminette me parait un peu risquée, il y a souvent du monde dans mon bureau, répondit-il avec un froncement de sourcils. Je préférerais échanger par Pear, si cela vous convient."

Peter avait mis un peu de temps à s'intéresser aux fameux Pear, qui s'étaient mis à apparaitre à tous les angles de couloir à Poudlard. Il avait d'abord pensé qu'il ne s'agissait que d'un gadget destiné à amuser les adolescents, mais il devait avoué qu'il s'était laissé prendre au jeu. Il détestait l'admettre, mais il avait désormais du mal à passer toute une journée sans consulter son Pear, que ce soit pour consulter une publication de la Gazette, pour gérer son agenda, ou pour jouer à des jeux idiots au milieu de la nuit, quand il n'arrivait pas à fermer l'oeil.

"Vous permettez ?" s'enquit-il en sortant son Pear de sa poche pour le poser sur celui de la chef de la Milice.

Il tapota les deux appareils du bout de sa baguette, et récupéra aussitôt le sien, qui était désormais enrichi de toutes les informations nécessaires pour qu'il puisse contacter Danielle Coleman. Cela avait beau être purement professionnel, l'idée d'avoir les coordonnées d'une aussi jolie femme était assez plaisante.

"N'hésitez pas à me contacter en cas de besoin, reprit-il en rangeant l'appareil dans sa poche. Ce serait un plaisir de vous revoir."

Leur entretien touchait à sa fin mais Peter attendit que Danielle l'invite à se lever et à quitter le pièce, ne voulant pas paraitre trop à l'aise dans les locaux de la Milice. Il se surprenait presque à espérer avoir rapidement de bonnes raisons de contacter la Milice, ce qui était loin d'être très professionnel.

"Alors à bientôt, peut-être, la salua-t-il en lui tendant la main. J'espère que nous aurons d'autres occasions d'échanger, sans attendre une situation de crise."

Il adressa un sourire poli à la jeune femme, avant de quitter la salle pour retourner à Poudlard. Cet entretien avait été bien plus enrichissant qu'il ne l'aurait cru, et son regard sur la Milice avait définitivement évolué. Il était plus qu'acquis à la cause.