Million reasons [Sasha-Isy]

« Mamaaaan, on va être en retard ! »

La voix de Sasha résonna dans la minuscule cage d’escalier de la maison de ville où habitait sa mère et la tête de cette dernière apparut dans l’entrebâillement de la porte de la salle de bain, affirmant qu’elle serait prête dans cinq minutes. L’adolescente était prête depuis une heure et avait pressé sa mère de s’habiller mais celle-ci avait évidemment attendu la dernière minute, préférant trainer au lit sous prétexte qu’elle était fatiguée. Elle était toujours fatiguée !

Impatiente, la jeune fille s’assit sur un accoudoir du canapé et parcourut une dernière fois les documents qu’elle avait soigneusement préparés pour leur rendez-vous à la banque. Elle avait enfin reçu une réponse -positive !- de Salem et elle devait maintenant finaliser les démarches pour débloquer les fonds nécessaires pour payer son inscription. Elle s’était occupée de toutes les formalités et avait complété le dossier toute seule, les seules choses qu’elle avait demandées à sa mère était d’être à l’heure le jour J, et de lui faire une copie d’un justificatif de domicile. Prise d’un doute, Sasha fouilla frénétiquement le dossier à la recherche du document en question et soupira en constatant qu’il manquait à l’appel.

« Mamaaaan, tu devais me faire une copie d’un justificatif de domicile ! se plaignit-elle d’une voix forte.
- Dans le meuble de l’entrée, tiroir de droite, lui répondit cette dernière depuis la salle de bain, où l’on entendait encore l’eau couler.
- On a rendez-vous dans dix minutes ! » lui rappela Sasha en se dirigeant vers le meuble indiqué par sa mère.

Agacée, elle ouvrit brusquement le premier tiroir et en examina rapidement le contenu. Aucune trace du document recherché. Elle s’apprêtait à le refermer quand un courrier retint son attention. Le logo d’un hôpital moldu accrocha son regard. Elle l’avait reconnu tout de suite, l’établissement était juste à côté de son ancienne école primaire. Pourquoi sa mère recevait-elle des factures d’un hôpital moldu ?  Prise d’un mauvais pressentiment, l’adolescente attrapa une des factures et la parcourut rapidement des yeux. Elle venait d’un service de psychiatrie. Elle connaissait la réponse avant de la lire mais sentit son cœur se serrer quand ses yeux se posèrent sur le nom du patient de la chambre 287, pour laquelle sa mère payait. Mark Benson. Elle resta interdite, incapable de faire le tri entre les émotions contradictoires qui l’assaillaient, et ne revint à elle qu’en entendant les pas pressés de sa mère, qui descendait l’escalier.

« Je suis prête, on peut y aller ! Tu as vu mon sac… ? Sasha ? »

La fillette fit brusquement volte-face, la facture de l’hôpital toujours dans la main, et posa sur sa mère un regard glacial.

« J’ai trouvé ça, annonça-t-elle d’une voix étrangement calme qui ne laissait rien paraitre de la colère qui montait en elle. J’imagine que tu comptais m’en parler… »

La facture datait de septembre, si sa mère avait voulu lui en parler elle l’aurait fait des mois plus tôt. Non, elle avait voulu lui cacher la vérité, c’était évident.

« Oh… Visiblement prise au dépourvue, Judith descendit les dernières marches de l’escalier d’une démarche hésitante. Chérie, ce n’est pas ce que tu crois…
-  Ah oui ? s’étonna-t-elle, acerbe. Parce que cela ressemble beaucoup à une facture d’hôpital, avec le nom de mon père dessus. Mon père dont tu ne connaissais pas l’adresse et dont tu avais perdu la trace, si ma mémoire est bonne…
- Je suis désolée, capitula sa mère. Je n’aurais pas dû te mentir, mais c’était uniquement pour te protéger... Judith fit un pas vers sa fille et tenta de lui prendre le papier des mains.
- Non ! protesta l’adolescente en s’éloignant de sa mère. Je veux y aller, exigea-t-elle en agitant la facture de l’hôpital.
- Sasha, ça ne servirait à rien…
- C’est mon père ! la coupa Sasha d’une voix forte. Tu ne peux pas m’empêcher le voir !
- Il ne se souvient même pas de toi ! »

La remarque de sa mère, qui avait finalement perdu patience, lui fit l’effet d’une gifle et Sasha sentit ses yeux se remplir de larmes. Elle bouscula sa mère pour accéder aux escaliers et commença à monter les marches quatre à quatre.

« Sasha, reviens…
- Je te déteste ! cria l’adolescente en guise de réponse.
- On va être en retard… »

La porte de la chambre de Sasha claqua violemment et le silence retomba sur la petite maison. L’adolescente se laissa tomber sur son lit, allongée sur le dos, et posa ses mains sur ses yeux. Elle pressa ses paumes contres ses paupières pour empêcher ses larmes de couler et respira profondément. Sa mère avait raison, elles allaient être en retard. Elle aurait le temps de pleurer et de se venger plus tard, elle devait aller à ce rendez-vous, c’était important. La jeune fille se releva et se posta devant le miroir de sa chambre. Ses yeux étaient rouges mais elle devrait réussir à faire illusion. Elle posa un peu de blush sur ses pommettes et colora ses lèvres avec un baume à la framboise. Quand elle sortit de sa chambre, à peine trois minutes après s’y être enfermée, elle était prête. Elle trouva sa mère assise dans le canapé, la tête entre les mains.

« On y va. »


Le rendez-vous s’était déroulé sans encombre mais Sasha avait eu du mal à se concentrer sur les informations de son banquier. Son esprit était occupé par une seule idée, à laquelle elle avait songé toute la journée. Elle avait largement eu le temps de changer d’avis mais ni les heures de réflexion ni les excuses répétées de sa mère n’avaient réussi à affaiblir sa volonté. Elle voulait partir d’ici. Elle ne pardonnait pas son mensonge à sa mère, elle voulait lui faire payer, et elle voulait retrouver son père.

Le soleil s’était couché et la chambre de l’adolescente était plongée dans la pénombre. Elle ouvrit doucement sa porte et jeta un œil dans la pièce à vivre, en bas des escaliers. Sa mère s’était endormie sur le canapé, comme tous les soirs. La fillette descendit les marches sur la pointe des pieds et fouilla la pièce du regard. Elle trouva finalement le sac à main de sa mère, accroché dans l’entrée, et en sortit le porte-monnaie de cette dernière, qu’elle vida de la totalité de son contenu. Elle remonta aussitôt dans sa chambre, où les affaires qu’elle avait préparées dans l’après-midi l’attendaient, sagement posées sur son lit. Sans réfléchir, presque mécaniquement, elle fourra l’argent dans son propre porte-monnaie, le rangea dans son sac à dos qu’elle hissa sur ses épaules, attrapa sa veste, et quitta sa chambre. Elle descendit silencieusement les escaliers, traversa la pièce à vivre et, sans hésitation, poussa la porte d’entrée et sortit de la maison.

Le Chemin de Traverse l’accueillit avec une brise fraiche et elle frissonna. Elle avait d’abord pensé à prendre une chambre au Chaudron Baveur mais l’établissement se trouvait à deux-cents mètre de chez elle, ce qui n’en faisait pas la planque idéale. Elle s’était donc rabattue sur les Trois Balais et espérait qu’elle aurait assez d’argent pour payer sa chambre. Elle n’aurait besoin que d’une nuit. Demain elle irait voir son père à l’hôpital, puis elle rentrerait directement à Poudlard. Elle était censée passer la totalité des vacances scolaires chez sa mère mais elle était persuadée qu’il était possible de rentrer plus tôt que prévu, beaucoup de ses camarades étaient restés au château pendant les vacances de printemps.

L’adolescente sortit sa baguette de sa poche et appela le Magicobus, qui ne tarda pas à surgir sous ses yeux, manquant de l’écraser au passage. Un voyage mouvementé plus tard, elle se retrouvait dans la rue principale de Pré-au-Lard, et se dirigea vers les Trois Balais, qui semblait encore bien animé malgré l’heure avancé. Sasha poussa timidement la porte de l’établissement et se dirigea jusqu’au comptoir où elle mit plusieurs minutes à attirer l’attention de la serveuse.

« Une chambre pour ce soir s’il-vous-plait, demanda-t-elle finalement en parlant assez fort pour couvrir le bruit ambiant.
- Tu es toute seule ? s’enquit la jeune femme blonde derrière le comptoir en scrutant Sasha d’un regard inquisiteur. La jeune fille hocha la tête. Tu as quel âge ?
- Dix-huit ans, mentit-elle. Je profite des vacances pour rendre visite à mon petit-frère qui est encore à Poudlard, ils ont une sortie demain. La maitresse des lieux parut convaincue et sa mine suspicieuse laissa place à un sourire plus chaleureux.
- Ça fera 5 galions et 12 mornilles, annonça-t-elle en tendant à Sasha une petite clé à laquelle était accrochée une étiquette portant le numéro 18. Deuxième étage, juste à gauche en haut de l’escalier. »

La Serpentard remercia l’aubergiste et suivit le chemin indiqué jusqu’à une petite chambre équipée du strict nécessaire. Elle déposa sa veste et son sac à dos sur le lit qui grinça sous le poids de ses affaires, et se sentit soudainement très seule. Elle hésita à écrire à Andrew pour lui raconter sa découverte matinale et son départ de chez elle, mais se décida à attendre le lendemain soir pour lui parler de vive voix. Une conversation avec son ami lui ferait certainement le plus grand bien. Elle se demanda si sa mère s’était réveillée, et si elle avait constaté qu’elle était partie. Si c’était le cas elle devait être malade d’inquiétude. Tant mieux.

Comme pour ne pas laisser sa rancœur à l’encontre de sa mère faiblir, l’adolescente sortit le courrier de l’hôpital de son sac et le parcourut à nouveau des yeux. Elle avait mémorisé l’adresse, le numéro de la chambre, et même le montant de la facture. Cela la rassurait de se sentir préparée, bien qu’elle sache que rien ne pouvait sans doute la préparer à affronter ce qui l’attendait demain. Elle se laissa tomber sur le lit sans même se déshabiller et laissa son esprit imaginer comment se dérouleraient ses retrouvailles avec son père. Sa mère disait-elle vrai, n’avait-il absolument aucun souvenir d’elle ? Était-il seulement encore lui-même ?

L’esprit agité par toutes ces questions, la jeune fille ne trouva pas le sommeil avant une heure avancée de la nuit et dormait encore quand plusieurs coups furent frappés à sa porte, tôt le matin. Elle mit quelques secondes à se rappeler l’endroit où elle se trouvait et, alors que ses souvenirs de la veille lui revenaient, elle s’avança prudemment vers la porte, peu encline à ouvrir à des inconnus.

« Sasha Benson ? appela une voix de l’autre côté. Police magique, ouvrez la porte. »

La Serpentard se figea sur place, et resta un instant immobile avant de laisser échapper un soupir de découragement. Tout son plan, qu’elle pensait pourtant solide, s’effondrait alors qu’elle tendait le bras pour saisir la poignée de la porte.  Elle n’avait même pas tenue douze heures avant d’être retrouvée. Elle avait terriblement honte, et ne trouvait plus son idée si brillante que ça. Son embarras fut encore plus grand lorsqu’elle reconnut le professeur Londubat à côté de la jeune femme blonde de la veille et de ce qui devait être un agent de la police magique. Il avait l’air déçu.

« Qu’est-ce qui se passe, Sasha ? Que fais-tu ici toute seule ?
- Professeur, je suis désolée ! J’allais rentrer à Poudlard, je vous le jure !
- Ta mère a signalé ta disparition hier soir, elle était très inquiète, lui répondit-il d'une voix dure. Elle a tout de suite alerté le Professeur Forbes, toute l’équipe s’est inquiété.
- Je suis désolée… »

Elle n’avait pas imaginé que sa mère préviendrait directement ses professeurs, sans même attendre une nuit ! Et elle n’avait pas pensé au fait que le Professeur Londubat était marié à la gérante des Trois Balais. Elle se sentait idiote, et immature. Une partie d’elle aurait voulu leur expliquer, pour son père et le courrier de l’hôpital, mais elle redoutait qu’ils n’infantilisent ses réactions et la sermonne en lui expliquant que sa mère avait eu raison, qu’elle faisait de son mieux pour la protéger. Elle n’avait pas envie d’entendre ça. Elle se contenta de baisser les yeux, honteuse.

« Ta mère nous a tout expliqué, reprit l’enseignant d’une voix plus douce en se baissant pour être à la hauteur de Sasha, la forçant à le regarder dans les yeux. Je sais que c’est difficile pour toi, crois-moi. Si tu veux que quelqu’un t’accompagne voir ton père, et que ta mère est d’accord je viendrai avec toi. Il y avait dans la voix de son professeur une intensité que la jeune fille ne comprenait pas. Mais ça ne justifie absolument pas de partir comme tu l’as fait. C’est très irresponsable comme comportement, il aurait pu t’arriver n’importe quoi.
- Je suis désolée, répéta simplement Sasha, comme une enfant prise en faute. Ce qu'elle était.
- L’agent McGowan, il désigna l’officier de police du regard, doit te ramener au Ministère pour clôturer l’enquête.  Ta mère viendra te chercher là-bas, tu pourras rentrer à Poudlard demain si c’est ce que te souhaite et que ta mère est d’accord, ou rester chez toi jusqu’à la fin des vacances.
- D’accord, répondit-elle d’une petite voix, espérant que sa mère accepte de la laisser retourner à l’école. Elle ne voulait pas la voir.
- Passe dans mon bureau à ton retour, d’accord ? Si tu veux discuter. »

L’adolescente se contenta de hocher la tête, sans comprendre pourquoi son enseignant se montrait si compréhensif avec elle.

« Tu as déjà fait du transplanage d’escorte ? Elle se tourna vers l’agent de la Police Magique, un grand brun qui tenait à peine dans l’ouverture de la porte, et hocha de nouveau la tête. Donne-moi ton bras. »

Elle n’eut même pas le temps de dire au revoir à son professeur qu’elle se sentit aspirer dans le vide. Quelques secondes désagréable plus tard, elle se retrouvait, un peu nauséeuse, dans le hall d’entrée du Ministère de la Magie, avec le désagréable sentiment que les ennuis ne faisaient que commencer. [/color][/color]

Isobel avait ses petites habitudes de travail. Elle arrivait tous les matins à huit heures, parce qu'elle se sentait plus efficace comme cela. Cela lui permettait de faire le point sur les dossiers de la journée, de se préparer un peu avant la cohue des employés qui arrivaient plutôt vers neuf heures. Comme elle n'avait pas de trajet, ou à peine, elle partait à sept heures cinquante-cinq de son appartement - ou de celui d'Abel. Ce matin, c'était de chez Abel, qui était encore enfoncé sous les oreillers parce que, pour lui, se lever était une vraie souffrance. Elle l'avait tout de même embrassé avant de s'en aller d'un bon pas. La première chose qu'elle faisait en traversant l'Atrium, c'était de s'arrêter prendre un café au caramel à la cafétéria, parce que cela la mettait de bonne humeur. La queue devant elle était raisonnable et elle y prit place, sortant son PearOne de la poche de son trench pour faire défiler Instamagic. Avec le décalage horaire, il y avait souvent des posts de ses amis américains. Elle avança d'un pas quand un employé de la comptabilité magique ait fini de vérifier (trois fois) la monnaie qui venait de lui être rendue et passa sur son application qui recensait la presse. Dramatique accident de transplanage dans le New Hampshire... Grève des employé du réseau de Cheminette pour défendre leur statut... Le président-sorcier King John Um qui menaçait de lâcher une nuée dragon sur son voisin Ronald Plump... Un Niffleur sauvant sa famille d'un incendie en Allemagne... Elle fit de nouveau un pas lorsque la file avança et envoya un SMS à Abel pour confirmer qu'ils dînaient bien tous les deux ce soir à 20 heures, ou plutôt 20 heures 30 finalement, elle ne savait pas trop encore, elle lui dirait dans la journée, smiley bisou. Un nouveau pas et elle rangea son PearOne dans sa poche, regardant autour d'elle. La première chose qu'elle devait faire, c'était absolument envoyer les modèles de brochures à la reprographie afin que la Coopération Magique Internationale puisse valider les maquettes, parce que sinon, il y allait avoir du retard pour la réunion d'après-demain et c'était pénible parce que Gillian Holmes partait ensuite en congés et...

- Bah si, tu sais, Sasha Benson, la fille qui avait témoigné contre Sorden.

La phrase que l'un des hommes devant elle prononça fut un bon moyen de sortir Isobel de ses pensées. Surprise, elle tendit l'oreille. Au vu de leurs uniformes, ils appartenaient à la PM mais elle ne voyait pas pourquoi ils parleraient de la jeune Sasha. La dernière fois qu'elle avait eu de ses nouvelles, c'était quand elle lui avait appris qu'elle était admise au programme d'été de l'université de Salem et qu'elle devait maintenant gérer des histoires de fonds pour financer tout cela. Isy lui avait répondu avec enthousiasme, ravie pour elle. C'était une excellente chose d'assister à ces cours, c'était un très bon plus pour un CV et puis cela devait être passionnant. Elle aurait adoré le faire au même âge, même si elle ne partageait pas le même attrait que Sasha pour les textes de loi. Mais la jeune adolescente semblait un peu différente des autres enfants de son âge et cela lui ferait sûrement du bien de rencontrer des gens un peu comme elle, des gens prêts à sacrifier leur été pour pouvoir aller à Salem.

- Et vous l'avez récupérée où ?
- Aux Trois Balais, elle avait fugué.

Une fugue ? À huit heures du matin ? Ça, c'était plus étonnant et cela ne correspondait pas tellement à l'image de Sasha que Isobel pouvait se faire. Mais elle n'obtint pas plus d'informations de la part des agents de la PM, puisque ces derniers se présentèrent au comptoir pour obtenir leurs cafés. Songeuse et désireuse de mettre cela au clair, Isobel prit sa boisson au caramel et se dirigea vers les ascenseurs, comme d'habitude. Sauf qu'au lieu de s'arrêter au niveau 1, comme tous les matins, elle descendit encore d'un cran pour descendre au Département de la Justice Magique. C'était sûrement l'un des plus grands du Ministère en terme de superficie - et de population - mais il était bien indiqué. Elle trouva sans difficulté la Brigade de Police et se dirigea vers le comptoir où un agent avait l'air d'avoir passé une assez mauvaise nuit. Un peu cernée et visiblement de mauvaise humeur, elle releva ses yeux vers Isobel.

- C'est pour quoi ?

Sortant son badge du niveau 1 comme une carte magique pour le poser sur le comptoir, elle assortit sa demande de son sourire commercial.

- Bonjour, Isobel Lavespère, je travaille au niveau 1 avec le Ministre, à la communication (formulé comme cela, on aurait pu croire qu'elle passait tout son temps avec Leopold Marchebank, ce qui n'était pas le cas. Mais c'était toujours utile de le placer, quand on voulait quelque chose dans ce monde) et on m'a transmis l'information (c'était plus élégant que de dire "j'ai entendu une conversation") que Sasha Benson était ici. Nous avons travaillé avec elle sur plusieurs dossiers primordiaux pour l'image du Ministère alors nous aimerions (ses collègues s'en fichaient sûrement, mais bon) lui parler afin de savoir ce qui se passe et éventuellement proposer un plan d'action en cas de problème.

La policière dardait sur elle un regard torve. Un silence s'installa.

- Vous êtes de la famille ?

Isobel haussa un sourcil, circonspecte.

- Non. Je suis du niveau 1, comme je l'ai expliqué.
- Parce que c'est une mineure.
- Mais ce n'est pas la question ?
- Je ne peux pas vous autoriser à venir récupérer des mineurs comme ça si vous n'êtes pas de la famille, Madame.
- Mais je ne veux pas la récupérer, je dois juste échanger avec elle pour être certaine que mon service n'a pas besoin d'intervenir dans cette histoire.
- Ce n'est pas possible, Madame, alors.
- Comme je vous l'ai expliqué...
- Ce n'est pas possible.
- Je pense que...
- Pas possible.
- Mais...
- Non.

Contrariée, Isobel fronça ses sourcils noirs. Non mais ! Quelle cerbère, celle-là. Pour autant, elle n'était pas déterminée à se laisser faire. Elle n'aimait pas qu'on lui dise non, surtout pas quand on était juste un agent d'accueil de la PM visiblement de mauvaise humeur. Qu'à cela ne tienne, elle reprit son plus joli sourire et recommença :

- Très bien. J'expliquerai donc la situation au Ministre de la Magie. Je peux vous demander votre nom ?

L'agent sembla soudain s'agiter et ce fut à son tour de froncer les sourcils.

- Pourquoi donc ?
- Et bien pour expliquer au Ministre pourquoi ses demandes n'ont pas pu être menées à bien.
- Mon nom n'a rien à faire dans cette histoire...
- Si, si, affirma Isobel en souriant toujours. Le Ministre est un homme de détails.

L'agent la fixa quelques secondes et Isobel sentit son aura se charger de colère. La carte "Leopold Marchebank" était sûrement la plus efficace dans tout le pays. Peu importait qu'il ne soit au courant de rien et qu'il se fiche sûrement de cette histoire. Quand bien même Sasha poserait un problème de réputation au Ministère de la Magie, en raison de leur petit accord, ils s'en occuperaient à la communication sans passer par lui. Il n'avait pas le temps d'être dérangé pour des bêtises. Mais ça, les gens ne le savaient pas toujours. Finalement, tout en la fusillant du regard, la policière lui désigna un couloir d'un signe de tête.

- Elle attend que sa mère arrive par là, au bout, vous tournez à droite.
- Je vous remercie, répondit Isobel avec un sourire vainqueur.

L'agent d'accueil ne répondit rien, sûrement agacée d'avoir dû affronter une petite opportuniste adepte du name-droping dès le matin. Isy, quant à elle, poursuivit son chemin dans la direction indiquée. Il y avait déjà du monde au sein de la PM, des agents à l'air pressés qui parcouraient les couloirs et, au loin, des cris de soûlards. Les cellules de dégrisement devaient être pleines... Elle tourna à droite, passa devant des bureaux fermés, et aperçu dans une sorte d'alcôve un ensemble de chaises. Sasha était sagement assise sur l'une d'elle, sous une affiche "Le philtre d'amour n'est pas un consentement" et "Elfe de maison maltraité ? Appelez la CHEM1789". Elle adressa un sourire à l'adolescente, déposant son sac à main en cuir beige sur le sol en s'asseyant à côté d'elle. Elle se demanda quand même, l'espace d'un instant, si des personnes arrêtées ivres et dégoûtantes dans la rue s'étaient assises sur ces chaises - parce que son élégante robe noire coûtait assez cher - mais prit sur elle.

- Avant Salem, un peu de délinquance ? plaisanta-t-elle doucement.

Sasha se tortilla sur la chaise en plastique inconfortable sur laquelle elle était installée et s'efforça de se concentrer sur son devoir de runes, en vain. Elle avait décidé de mettre à profit ces longues minutes d'attente pour relire ses devoirs de vacances, qu'elle avait évidement terminé en un week-end. Elle n'était pas très satisfaite de sa dernière interprétation runique et savait que le Professeur Virtanen ne tolérait pas la moindre approximation, mais elle n'arrivait pas à se concentrer. Cela était très certainement due au fait qu'elle soit actuellement sous la surveillance de la Police Magique après avoir une fugue ratée.

Elle avait supplié qu'on la ramène directement à Poudlard mais on lui avait expliqué -avec plus ou moins de patience- que seuls ses parents pouvaient venir la récupérer. C'était la procédure. Ils avaient l'air d'avoir l'habitude, ici. Elle avait entendu les agents de la PM, quand ils parlaient d'elle sous ses yeux, comme s'ils n'étaient pas là. Ils lui avaient bien fait comprendre qu'elle n'était qu'une adolescente parmi tant d'autres. Nombreux étaient ceux qui avaient fait les mêmes bêtises avant elle. Elle s'était attendue à être traitée comme une criminelle, mais c'est à peine si on avait pris le temps de la sermonner. A leurs yeux elle n'était qu'une gamine écervelée qui avait fait sa crise d'adolescence et qui avait voulu faire peur à ses parents. Et Sasha commençait à penser qu'ils avaient raison.

Les raisons qui lui avaient paru légitimes la veille au soir ne lui semblaient plus si évidentes maintenant. Elle avait été persuadée d'être dans son bon droit, d'agir dans son intérêt. Elle s'était convaincue qu'elle ne faisait que reprendre ce dont elle avait été privée, et que sa mère n'avait que ce qu'elle méritait. Avec le recul, sa décision ne lui paraissait plus si courageuse que ça. Elle avait toujours la facture de l'hôpital, coincé dans la couverture de son manuel de runes. Elle la gardait précieusement avec elle, mais elle commençait à se demander si cela en valait vraiment la peine. Avait-elle eut raison de prendre tant de risques pour un homme qui ne la reconnaitrait peut-être même pas ?

Elle n'avait pas encore pris la mesure de ce que sa stupide fugue allait lui coûter mais elle commençait à craindre d'avoir fait une grosse erreur. Et si c'était marqué dans son dossier scolaire ? Si cela l'empêchait d'intégrer le programme de Salem ? Elle ne se pardonnerait jamais d'avoir compromis son avenir sur un coup de tête. Elle n'aurait jamais du se laisser emporter par ses sentiments. Elle avait été dévastée, elle s'était sentie trahie, mais elle aurait du réfléchir d'avantage avant d'agir. Ils avaient raison, elle n'était qu'une adolescente sans cervelle.

Des claquements de talons, dans le couloir, lui firent relever la tête. Un instant, elle craint que ce ne soit sa mère, avant de se rappeler que cela faisait bien longtemps que sa mère ne portait plus de talons. Sasha ne se souvenait plus de la dernière fois où elle l'avait vue sans ces horribles chaussures en plastique qu'elle portait à Sainte-Mangouste. Elle fit donc mine de se plonger dans la relecture de son devoir, elle préférait éviter de croiser le regard des agents, elle était suffisamment embarrassée comme ça. Elle s'attendait à ce que la personne qui arrivait lui passe devant sans lui accorder un regard -elle présentait beaucoup moins d'intérêt que les ivrognes qui beuglaient un peu plus loin- mais les pas s'arrêtèrent à sa hauteur. Sasha releva alors les yeux et blêmit en reconnaissant Isobel Lavespère.

Finalement, elle aurait préféré que ce soit sa mère. Elle se fichait de la mettre en colère ou de la décevoir, son opinion n'avait plus la moindre valeur à ses yeux. Mais elle tenait Isobel en haute estime et était mortifiée à l'idée de l'avoir déçue. Elle était peut-être prétentieuse mais elle avait l'impression que la chargée de communication l'aimait bien, et cette relation était très importante pour elle. L'adolescente ne lui rendit pas son sourire quand la jeune femme s'installa sur la chaise à côté d'elle avec une plaisanterie. Ce n'était pas drôle. Elle avait été complètement stupide et fait une erreur qui allait certainement lui coûter cher. Ça ne lui donnait pas du tout envie de rire. Elle aurait fait n'importe quoi pour se rattraper, pour prouver qu'elle n'avait rien d'une délinquante.

"J'allais rentrer à Poudlard, je le jure !" expliqua-t-elle avec un regard implorant.

Ce n'était même pas un mensonge, c'était son plan depuis le départ. Passer une nuit aux Trois Balais, aller voir son père à l'hôpital, et passer le reste des vacances scolaires à Poudlard, loin de sa mère. Mais personne ne semblait vouloir la croire, visiblement les jeunes qui fuguaient le faisaient rarement pour aller à l'école. Les délinquants étaient rarement des premiers de la classe, et pas vraiment le genre d'adolescents que l'on acceptait en stage au Ministère de la Magie.

L'adolescente n'était pas dupe : Isobel ne travaillait pas à cet étage, elle s'était certainement rendue au service de la PM parce qu'on lui avait dit que Sasha s'y trouvait. Elle était surement venue retirer son offre de stage. La jeune fille ne résista pas bien longtemps avant de poser la question qui lui brûlait les lèvres.

"J'imagine que le Ministère n'a pas pour habitude de recruter ses stagiaires dans les cellules de la Police Magique ?" soupira-t-elle en fixant le bout de ses chaussures.

Sasha avait l'air paniquée par sa présence, sans que Isobel ne comprenne vraiment pourquoi. Effectivement, elle n'était pas dans une position très glorieuse, repêchée par la PM, mais elle n'était pas venue ici pour lui nuire, au contraire. Elle était assez curieuse de comprendre ce qui était arrivé. Devant le regard implorant de la jeune fille, Isy secoua doucement la tête. Elle n'était pas au courant de toute l'histoire, elle savait juste qu'il s'agissait d'une fugue mais cela ne l'étonnerait pas qu'elle ait vraiment fugué pour rejoindre Poudlard. On parlait quand même de Sasha Benson : elle allait sacrifier son été entre un camp de vacances au sein de Salem et un stage au Ministère de la Magie. Elle ne l'imaginait pas fuguer pour aller à un concert de rock.

- Je veux bien te croire.

Une aura de honte scintillait autour de la jeune élève et Isy pouvait la comprendre : elle venait d'être cueillie par la police. Si cela lui était arrivé lors de sa propre fugue, à seize ans, elle n'aurait pas fait la fière. Elle aurait surtout craint la réaction de sa famille qui n'aurait pas été tendre et se serait arrangée pour lui faire passer toute velléité de se sauver de nouveau. Sasha devait sûrement avoir peur de faire face à sa mère, qui ne devait pas être ravie de venir récupérer sa fille de quinze ans au commissariat. Elle ne la voyait pas autour mais elle ne devrait pas tarder. Sasha avait baissé les yeux sur ses chaussures et sa question lui tira un léger sourire en coin. C'était donc cela qu'elle craignait ? Cela pouvait se comprendre mais Isobel n'était pas descendue pour cela. Elle avait promis en plus : en échange de sa pleine et entière collaboration avec le Ministère de la Magie au sujet de l'affaire Sorden, elle décrochait un joli petit stage d'été. Elle n'était pas vraiment du genre à revenir sur sa parole. Elle l'aurait fait si vraiment les actions de Sasha avaient pu nuire à l'image du service mais ce n'était pas le cas. Personne n'entendrait parler de cette fugue et même si c'était le cas, cela passerait pour une bêtise adolescente, rien de bien grave. En plus, elle était partie de chez elle - ce qui ne remettait pas en cause Poudlard - et avait été retrouvée en moins de vingt-quatre heures, ce qui démontrait l'efficacité de leurs services de police. Rien de bien catastrophique aux yeux de la communicante qu'était Isy.

- Je ne vois pas de barreaux, répondit-elle tranquillement en faisant mine de regarder autour d'elles.

Juste quelques affiches moches et chaises en plastique.

- La proposition tient toujours, Sasha, ce n'est pas bien grave... Mais pourquoi es-tu partie de chez toi ? Tu étais si pressée de retrouver tes cours de... Petit coup d'oeil au manuel sur les genoux de la jeune fille. Runes ?

Le noeud au creux de son ventre se détendit un peu quand Isobel lui assura que sa proposition de stage tenait toujours. Sasha prit conscience que c'était ce qu'elle craignait le plus, bien plus que la colère ou que la déception de sa mère. Elle se fichait d'être privée de sortie pour le restant de ses jours, ou de se faire sermonner pendant des heures. Isobel semblait penser qu'elle n'avait rien fait de grave, et son opinion était bien plus importante aux yeux de l'adolescente que celle de sa mère. La chargée de communication avait su gagner son respect et son admiration là où sa mère ne faisait que la décevoir en permanence.

Sasha parvint même à esquisser un faible sourire quand la jeune femme lui demanda si elle avait fugué pour aller retrouver ses cours de runes. Elle fut presque tentée de lui répondre par l'affirmative. Elle songea un instant comme il serait plus facile de lui avouer qu'elle avait voulu rentrer à Poudlard pour retrouver ses amies, ou ses professeurs. Mais, sans qu'elle ne s'explique pourquoi, elle avait le sentiment qu'Isobel ne la croirait pas. Elle avait parfois l'impression que la jeune femme pouvait voir à travers elle, au plus profond de son âme. C'était un peu effrayant, parfois. Elle se demandait d'ailleurs ce qu'il pouvait bien y avoir, au fond de son âme. Elle même n'en était pas certaine, et aurait bien voulu pouvoir y jeter un oeil aussi.

Hésitante, Sasha promena rapidement son regard autours d'elle. Ses yeux glissèrent sur les affiches accrochées au mur "La Mandragore c'est la mort" ou "L'alcool c'est pas LOL", et elle baissa finalement la tête pour se concentrer à nouveau sur le bout de ses chaussures.

"Je me suis disputé avec ma mère..." souffla-t-elle finalement du bout des lèvres.

Elle aurait voulu avoir quelque chose d'un peu plus intelligent à dire, une raison légitime à défendre, mais c'était la triste vérité. Isobel le trouverait certainement ridicule d'avoir fugué après une simple dispute. Toutes les adolescentes se disputaient avec leurs parents, apparement c'était normal. Ce n'était pas simple pour autant. C'était dur pour elle, en tout cas. Peut-être qu'elle était moins forte que les autres, ou peut-être que ses disputes à elle faisaient plus mal, mais le simple fait d'y repenser lui donnait envie de pleurer. Elle ferma brièvement les yeux et s'efforça de trouver un autre sujet de conversation. Elle opta finalement pour une question qui lui trottait dans la tête depuis le début de leur brève entrevue.

"Excusez-moi mais... Elle avait conscience que sa question était un peu impolie, et elle ne voulait surtout pas vexer son interlocutrice, mais elle était curieuse. Pourquoi vous êtes venue me voir ?"

Si Isobel n'était pas venu retirer son offre de stage, alors que pouvait-elle bien avoir à lui dire ? Sasha aurait aimé croire qu'elle ne recherchait que le plaisir de sa compagnie, mais elle n'était pas prétentieuse au point de penser qu'une adolescente comme elle puisse avoir le moindre intérêt pour une femme comme Isobel. Ça cachait forcément quelque chose.

- Oh…

Ce fut ce que souffla Isobel lorsque Sasha avoua qu’elle s’était disputée avec sa mère. C’était cela, la raison de sa fugue, ce qui pouvait apparaître comme une banale altercation avec un parent. Cela arrivait à tout le monde. Et même elle, qui connaissait les ravages que pouvaient faire ce genre de disputes, elle aurait pu prononcer quelque chose comme « ça arrive », si elle n’avait pas senti une vague de tristesse envahir l’aura de l’adolescente. C’était plus compliqué que cela. La plupart des adolescents ne fuguaient pas lorsqu’ils se disputaient avec leurs parents, ils claquaient la porte de leur chambre, au pire. Mais il y avait des conflits qui dépassaient les simples tensions générationnelles, des choses plus profondément enfouies. Comment aurait-elle pu juger la gravité des actes de Sasha, quand elle était celle qui avait claqué la porte de chez elle à seize ans pour ne plus jamais revenir, ou presque ? Elle connaissait cette douleur là. Alors peut-être que la situation était différente pour la jeune fille à côté d’elle, sûrement même, mais Isy ne voulait pas être cette adulte là, celle qui avait oublié ce que cela faisait d’avoir quinze ans et d’avoir envie de tout quitter.

- Tu veux me dire pourquoi ? demanda-t-elle simplement.

Sasha ferait ce qu’elle voulait de cette proposition sincère, elle n’avait peut-être pas envie d’en parler à une inconnue, une inconnue qu’elle voulait impressionner, elle le sentait bien. Elle voulait son stage alors elle ne voudrait sûrement pas apparaître comme ce qu’elle était, une adolescente, mais comme une adulte digne de confiance qui méritait l’opportunité qui lui était donnée. Les deux n’étaient pas incompatibles, pourtant, mais Isobel ne voulait pas lui forcer la main. Elle haussa légèrement les épaules quand Sasha demanda pourquoi elle était venue la voir. Bonne question, elle aurait pu s’abstenir.

- J’étais curieuse.

C’était vrai, curieuse de savoir ce qui était arrivé.

- Je faisais la queue pour mon café quand j’ai entendu ton nom, je me suis demandais ce qu’il t’arrivait.

Sasha hésita quand Isobel lui demanda si elle voulait lui donner les raisons de sa dispute avec sa mère. Une part d'elle en avait envie, oui. Elle ressentait le besoin de se justifier, d'expliquer que ce n'était pas une dispute comme les autres, mais elle avait aussi peur de ne pas être prise au sérieux.

Les adultes avaient toujours tendance à minimiser les problèmes des adolescents. Comme si le fait d'avoir quinze ans rendait les émotions moins légitimes. Si elle avait eu quarante ans et qu'elle s'était disputé violemment avec son conjoint, ou même avec sa voisine, on aurait surement accordé plus de crédibilité à sa colère et à son chagrin. Mais parce qu'elle était encore une enfant, on estimait qu'elle n'était pas capable de prendre du recul. Ses réactions étaient forcément démesurées et ses tracas seraient vite oubliés.

Elle avait tellement été confrontée à ce genre de réactions que parfois elle doutait de la réalité de ses propres sentiments. Cette tristesse qu'elle ressentait, était-elle normale ? Avait-elle raison d'être à ce point en colère contre sa mère ? Ou était-ce exagérée de ne plus vouloir voir la femme qui l'avait trahie ? Est-ce ça ferait vraiment moins de mal, si elle n'avait pas quinze ans ? Elle trouvait les adultes cruels, de faire en sorte que les enfants se sentent ainsi. Il n'y avait rien de pire que de ne pas se sentir légitime à être malheureux.

La jeune fille décida finalement de laisser de côté la proposition d'Isobel et répondit à sa question par une autre interrogation. Elle avait beau réfléchir, elle ne voyait pas ce qui pouvait motiver la jeune femme à venir discuter avec elle dans ce qui était surement le recoin le plus sinistre du Ministère de la magie. Un mince sourire se dessina sur les lèvres de Sasha à l'entente de la réponse d'Isobel. Elle était curieuse de ce qui lui arrivait. Ce n'était pas grand chose, mais l'adolescente était réellement touchée par cette marque d'intérêt. Peut-être était-elle naïve, mais elle voulait croire que cet intérêt n'avait rien à voir avec les obligations professionnelles d'Isobel. Elle aimait l'idée que la chargée de communication ne s'intéressait plus uniquement à elle parce qu'elle était "la gamine qui avait aidé à arrêter Sorden", mais simplement pour elle-même, Sasha Benson.

Elle n'était pas certaine de ce qu'elle avait fait pour mériter cet intérêt, mais elle se sentait un peu plus en confiance, maintenant. Elle avait le sentiment que, puisqu'Isobel était curieuse de sa situation, elle ne la prendrait pas de haut. Sasha hésita encore un instant, avant de faire le choix de l'honnêteté.

"Elle ne voulait pas que je vois mon père, lâcha-t-elle après un moment de silence. Elle savait où il était et elle ne m'a rien dit."

Comme souvent, en le disant à voix haute elle réalisa à quel point cela pouvait sonner idiot. Sorti de son contexte, et vu de l'extérieur, ça l'était peut-être. Mais elle était à peu près certaine qu'Isobel était au courant de ce qui était arrivé à son père, et elle espérait que la jeune femme arriverait à la comprendre, ou au moins qu'elle ne la jugerait pas trop sévèrement.

Isobel perçut l'hésitation de Sasha mais elle n'insista pas. D'abord parce qu'elle savait que c'était très désagréable qu'on vous arrache des informations de force et ensuite parce qu'elle sentait que le sujet était délicat chez la jeune fille. Tout le monde avait ses secrets, elle la première, et elle respectait toujours cela. Son regard se perdit sur les affiches qui les entouraient, notamment "L'alcool, c'est pas LOL" et elle songea que, définitivement, la communication n'était pas un métier qui s'inventait. Elle fut tirée de sa contemplation consternée de "La Mandragore c'est la mort" par la voix presque timide de l'adolescente à ses côtés et elle se tourna légèrement vers elle, haussant un sourcil. Heureusement qu'elle connaissait le dossier, sinon elle aurait pu être un peu perdue devant la situation qui était évoquée. Le père de Sasha, dont la mémoire avait été complètement effacée sur décision du Mangenmagot, était maintenant en hôpital psychiatrique moldu si elle se souvenait bien. Oublier complètement un pan de sa vie ne devait pas faire du bien au cerveau, effectivement... Mrs Benson connaissait donc l'emplacement de vie de son ex-mari et l'avait caché à sa fille. L'adolescente qu'avait été Isy comprenait entièrement la détresse de Sasha. L'adulte qu'elle était devenue se doutait des raisons qui avaient pu pousser la mère de Sasha à faire cela.

- Tu as dû te sentir trahie, commenta-t-elle simplement.

Elle avait sûrement fait cela pour protéger sa fille, estimant qu'elle n'était pas prête à affronter cette situation difficile. Elle ne pensait sûrement pas à mal. Mais l'enfer était pavé de bonnes intentions, comme on disait. Elle n'avait pas envie de servir à Sasha le refrain habituel "ta mère fait ça pour toi" car elle l'avait beaucoup entendu de la part de son coven. Elle estimait qu'à un moment, les enfants n'en n'étaient plus et étaient capables de prendre leurs propres décisions. Sasha Benson était déjà passée par beaucoup de choses difficiles. Elle savait que son père ne la reconnaîtrait pas. Pourquoi l'empêcher de le voir ? Elle avait sûrement besoin de s'y confronter. Isobel aurait eu besoin de s'y confronter.

- Tu essayais d'aller le voir ? C'est pour ça que tu es partie de chez toi ? 

Sasha se contenta de hocher lentement la tête quand Isobel affirma qu'elle avait du se sentir trahie. C'était exactement ce qu'elle avait éprouvé, un sentiment de trahison. Elle ne pardonnerait jamais sa mère de l'avoir tenue si longtemps éloignée de la vérité. Elle n'avait rien fait pour mériter ça. Elle avait été forte, elle avait tout encaissé : les disputes, le divorce, le procès de son père. Elle n'avait pas failli, pas une seule fois, elle avait continué à bien travailler et à bien se comporter, elle s'était concentrée sur son avenir. Et pourtant, sa mère avait jugé qu'elle ne méritait pas de savoir. Qu'aurait-elle pu faire de plus, pour être à la hauteur ?

Elle était surprise de la facilité et de la justesse de son échange avec Isobel. Là où les autres adultes qui avaient croisé sa route parlaient de caprice, de crise d'adolescence, et d'appels à l'aide, Isobel parlait de trahison, et Sasha se retrouvait beaucoup plus dans ce second discours. Miss Lavespère semblait avoir une vie en tous points différentes de celle d'une adolescente de quinze ans, et pourtant elle la comprenait mieux que tous les autres. La chargée de communication avait-elle connu des situations similaires dans sa jeunesse ? L'adolescente brûlait d'envie de lui poser la question, mais elle n'osait pas, de peur de paraitre trop indiscrète. Elle garda donc le silence et hocha à nouveau la tête quand la jeune femme lui demanda si elle avait fugué pour aller voir son père.

"Oui... avoua-t-elle en baissant les yeux. Mais juste ce matin, précisa-t-elle en redressant la tête. Je serais rentrée à Poudlard juste après !"

Elle aurait d'ailleurs donné n'importe quoi pour être installée dans un fauteuil de la salle commune en train de finir son devoir de runes plutôt qu'à attendre ici comme une délinquante. Elle aurait eu largement le temps de rentrer au château avant que tout le monde ne s'inquiète, si seulement sa mère avait attendu vingt-quatre heures avant d'alerter toute l'Angleterre ! Justement, des bruits de pas dans le couloir lui indiquèrent que cette dernière venait d'arriver. Elle aurait reconnu sa foulée entre mille : petits pas rapprochés, démarche lourde, rien à voir avec le bruit élégant des talons hauts d'Isobel. Sasha laissa échapper un soupir résigné et tourna la tête pour guetter l'arrivée de sa mère.

Celle-ci déboula dans la salle d'attente, mal coiffée, les traits tirés et les yeux cernés, et darda sur sa fille un regard qui mêlait le soulagement et la colère.

"Merlin mais qu'est-ce qui t'est passé par la tête ? s'écria-t-elle en s'approchant de Sasha. Tu imagines comme j'étais inquiète ? Tu te rends compte de ce qui aurait pu arriver ? Une jeune file toute seule en pleine nuit ! Comment tu peux me faire ça, après Sorden ? J'ai eu tellement peur !"

Sasha ne montra pas la moindre réaction face aux reproches et à la détresse de sa mère et s'obstina à éviter de croiser son regard, fixant le mur en face d'elle. Elle n'était pas prête à lui pardonner, elle lui en voulait encore et éprouvait trop de rancoeur pour pouvoir ressentir la moindre empathie pour sa génitrice. Elle ne voulait pas la voir, elle voulait encore moins l'entendre, et surtout elle aurait voulu que cette scène n'ait pas lieu sous les yeux d'Isobel Lavespère, que sa mère n'avait même pas pensé à saluer.

"Dépêche toi, je te ramène à la maison.
- Non ! Cette fois l'adolescente avait tourné la tête vers sa mère et braqué sur elle un regard noir. Je rentre à Poudlard.
- Certainement pas ! Hors de question que je te laisse sans surveillance.
- Mais...!
- Il n'y a pas de "mais" qui tienne ! Aller, on y va !"

Sasha hésita, partagée entre l'envie de se défendre et celle de ne pas se donner davantage en spectacle devant Isobel. Elle détestait être traitée comme une enfant, surtout par une femme pour qui elle n'avait plus le moindre respect. Elle ne voulait pas lui obéir, elle estimait n'avoir aucune raison de le faire. Pourquoi était-elle traitée comme la fautive alors que c'était sa mère qui était responsable de cette situation ? Mais, avait-elle seulement une autre option ?

Sasha lui assurait avec empressement qu'elle avait prévu de retourner à Poudlard après avoir vu son père, comme si Isobel n'allait pas la croire. Pourtant, il suffisait de connaître un tantinet la jeune fille pour savoir qu'elle n'était pas du genre à disparaître dans la nature en abandonnant ses études (et son stage au Ministère et le programme d'été de Salem). Elle serait vraiment rentrée à l'école mais la loi ne l'entendait pas comme cela, et à raison. Sans vouloir tomber dans un discours "le monde est dangereux", elle était bien placée pour savoir qu'on pouvait faire de mauvaises rencontres. Il y avait toujours des gens qui étaient prêts à profiter de quelqu'un de jeune... Pour autant, bien consciente que Sasha connaissait ces discours, elle se contenta de hocher la tête, sincère.

- Je sais bien.

Mais elle n'eurent pas vraiment le temps de poursuivre leur conversation qu'une femme un peu débraillée arriva devant eux. La mère de Sasha semblait furieuse de retrouver sa fille au poste de police, après une disparition de toute une nuit. Elle avait dû vraiment s'inquiéter, imaginait Isobel, qui paniquait quand son chat ne rentrait pas de la journée (oui, elle n'avait pas d'enfants mais elle avait Sorbier, c'était pareil en moins encombrant.) Elle s'emporta directement et Isy observa la scène sans rien dire, se sentant de trop dans cette petite scène familiale. Sans vraiment essayer de discuter, ce qui braqua Sasha encore plus. Pourtant, elle avait quinze ans et peut-être qu'elle écoutait trop son adolescente intérieure mais elle se souvenait bien qu'à son âge, elle n'aurait pas supporté un savon pareil. Sans savoir pourquoi elle se lançait dans cette entreprise, elle se leva, sourit et tendit sa main à Mrs Benson.

- Bonjour ! Je suis mademoiselle Lavespère, nous nous sommes déjà parlé par Cheminette il y a quelques mois, au sujet du programme d'été de Salem.

"J'ai déjà dit à tout le monde que je rentrais à Poudlard ! Juste au professeur Londubat en fait, et à Andrew, mais c'était déjà beaucoup. Le Professeur Forbes a dit qu'il était d'accord ! Elle avait envoyé un hibou à son directeur de maison pour le prévenir qu'elle rentrait à Poudlard une semaine plus tôt que prévu et n'avait pas encore reçu de réponse. Mais son silence valait très probablement acceptation.
- Et bien tu diras à tes professeurs que tu rentreras à la fin des vacances, rétorqua Susan, agacée. Prends tes affaires, dépêches toi.
- J'ai du travail à faire ! renchérit Sasha sans esquisser le moindre geste pour récupérer son sac à dos.
- Tu travailleras à la maison ! Cesse de discuter !
- Mais...
- Ça suffit Sasha ! Si tu ne rentres pas tout de suite à la maison, tu peux dire au revoir à ton séjour à Salem cet été !"

Vaincue, Sasha foudroya sa mère du regard et se leva pour ramasser son sac à dos, dans lequel elle fourra son livre de runes d'un geste rageur. Ses yeux brillaient de larmes de colère et d'impuissance. Elle aurait voulu lui répondre qu'elle n'avait pas le droit de la priver de ça, qu'elle ne pouvait pas l'empêcher d'étudier, de réussir, mais elle savait que c'était faux. Elle était sa mère et la loi lui donnait tous les pouvoir, et surtout celui de lui gâcher la vie. A cet instant, elle la détestait.

Sasha venait de hisser son sac à dos sur ses épaules et se tournait vers Miss Lavespère pour s'excuser de cette scène et lui dire au revoir quand celle-ci se leva pour saluer sa mère. Sasha se sentit encore plus honteuse face à cette démonstration de politesse, qui n'avait visiblement pas effleuré l'esprit de sa génitrice. Le contraste entre les deux femmes était saisissant. Isobel était aussi élégante que Susan était négligée, aussi calme qu'elle était énervée.

"Ah...Oui, oui, je me souviens ! Bonjour ! Susan serra brièvement la main d'Isobel. Il y a un problème ? On a renvoyé tous les papiers, pour Salem."

L'adolescente se retint de lever les yeux au ciel. "On" n'avait rien envoyé du tout. Elle s'était occupée de son dossier toute seule, sa mère n'avait qu'à signer aux endroits où elle avait fait de petites croix au crayon à papier. Elle garda toutefois son commentaire pour elle, consciente que sa mère pouvait parfaitement retirer les signatures en question. C'était terriblement frustrant, de ne pas pouvoir laisser parler sa colère et de devoir se plier aux ordres de sa mère pour préserver ses propres intérêts. Elle aurait voulu lui cracher sa haine, lui jeter ses reproches à la figure, lui envoyer sa douleur en plein visage, mais elle avait encore besoin de son soutient, ne serait-ce qu'administratif, même si cela la tuait de l'admettre. Elle ne rêvait que d'indépendance et de liberté, mais elle avait encore besoin d'une mère, malgré tout. Et même si la sienne n'était pas à la hauteur, c'était le seul parent qui lui restait.

Isobel n'était pas très à l'aise à l'idée de se mêler d'une querelle familiale mais elle ne pouvait pas s'empêcher de se sentir désolée pour Sasha. Elle n'était pas mère évidemment alors c'était facile d'avoir de grands principes mais elle estimait que l'engueulade et le chantage n'étaient pas forcément les meilleures méthodes éducatives... La jeune adolescente avait l'air sur le point de pleurer et sa mère était furieuse. À tous les coups, la situation ne serait pas réglée. Elle n'était pas assistante sociale, elle aurait simplement dû retourner au premier étage pour commencer sa journée de travail mais elle ne pouvait pas s'empêcher de tenter quelque chose. Elle serra la main de Mrs Benson et balaya les questions sur Salem.

- Oh non, il n'y a aucun problème.

Sans savoir vraiment par où attaquer, elle décida de prendre le parti de la mère, pour mieux l'emmener là où elle voulait.

- Je suis descendue car il a été porté à ma connaissance que Sasha était ici, je voulais savoir de quoi il en retournait... Vous avez dû être tellement inquiète !

Sasha fit quelques pas dans le couloir, comme pour inviter sa mère à la suivre, mais cette dernière semblait avoir soudainement retrouvé les codes de la politesse et était visiblement décidée à échanger avec Isobel, qui affirmait qu'elle avait dû être terriblement inquiète.

"Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit ! Vous imaginer, une jeune fille toute seule, en plein Londres ? J'ai crains le pire vous savez ! Et après ce qui s'est passé avec Sorden... Je ne suis plus tranquille ! J'ai eu tellement peur !"

Sasha darda sur sa mère un regard noir. Souvent, depuis la mort d'Ana, elle avait eu envie de lui dire la vérité. De lui avouer qu'elle n'avait pas été secourue par les Aurors alors qu'Ana s'apprêtait à la tuer. Qu'il n'y avait pas eu de duel magique. Qu'elle avait poussé Ana dans la gueule d'une plante carnivore et qu'elle l'avait regardée se faire dévorer. Elle avait envie de lui dire qu'elle n'avait même pas fermé les yeux. Peut-être que si sa mère entendait ça, elle cesserait de la traiter comme une enfant.

Sasha se demandait si Isobel savait la vérité. Elle s'était souvent posée cette question. Elle aimait à croire que oui, et leurs échanges au moment des faits allaient dans ce sens. Quelque part, cela lui faisait du bien de se dire que quelqu'un, en dehors des deux Aurors, savait la vérité. Si un jours elle ressentait le besoin d'en parler, elle aurait aimé pouvoir se tourner vers Isobel. Peut-être trouverait-elle un jour le courage de lui poser la question, et de lui en parler. Pour le moment, elle tenait surtout à s'assurer que sa mère ne contamine pas la jeune femme avec sa vision complètement déformée de la réalité. Sa mère parlait d'elle comme une adolescente complètement inconsciente et immature, et Sasha ne voulait pas qu'Isobel entende ce portrait peu flatteur.

"Et vous, vous avez des enfants ? s'enquit Susan en remontant la bretelle usée de son sac sur son épaule. Quand ils sont petits c'est un bonheur, mais après...Grands enfants, grands problèmes comme on dit..."

Sasha fit tous les efforts du monde pour ne pas lever les yeux au ciel.

"Maman, Miss Lavespère doit surement aller travailler. Elle adressa un maigre sourire d'excuses à Isobel. On y va !
- Tu es pressée de partir maintenant ? Je croyais que tu ne voulais pas rentrer à la maison, commenta sa mère avec un sourire satisfait qui donna à Sasha une soudaine envie de hurler.
- Non, je ne veux pas. Soupir excédé. Je veux rentrer à Poudlard !
- Oh, ne recommence pas !
- Mais c'est toi qui..."

La fin de sa phrase se perdit dans un grognement de frustration. La communication entre la mère et la fille ne semblait pas s'arranger.

C'était comme si converger dans le sens de la mère de Sasha avait fait sauter une barrière. Elle qui était si pressée de partir il y a quelques instants était brusquement beaucoup plus bavarde. Isobel hocha la tête d'un air compréhensif quand elle lui relata à quel point elle avait été inquiète. Si on lui demandait son avis, les Ana Sorden n'étaient pas le plus grands risques pour une jeune fille de quinze ans livrée à elle-même... Elle n'avait rien de personnes alarmistes qui voyaient le mal partout pourtant mais elle en avait fait elle-même les frais lorsqu'elle avait à peu près le même âge. Pour autant, de ce qu'elle avait compris, Sasha avait été prudente, plus prudente qu'elle à l'époque. Elle avait fini par dormir au Chaudron Baveur, ce qui n'était pas très dangereux et elle comptait rentrer à Poudlard. C'était étrange, constata Isobel, cette manière d'être partagée entre l'adolescente qu'elle avait été et l'adulte qu'elle était devenue. C'était comme si elle était mi-raisonnable. Elle ne révéla pourtant rien de ses pensées à Mrs Benson.

- Oui, j'imagine... La question suivante lui fit secouer la tête, en espérant qu'elle n'amène pas le discours habituel (Ah mais oui ? Pourquoi ? Vous n'en voulez pas ? Oh c'est dommage, les enfants sont le plus grand bonheur de la vie, blablabla...) Oh, non, je n'en n'ai pas. Mais j'ai un chat.

C'était déjà beaucoup de travail, tout à fait. Elle avait prononcé la dernière phrase avec un sourire malicieux qui sembla détendre Mrs Benson quelques instants, puisqu'elle le lui rendit... avant que les choses ne se compliquent encore avec sa fille. Visiblement, les deux avaient du mal à se supporter. Mrs Benson avait l'air fatiguée - et son aura confirmait cette première impression - tandis que Sasha avait juste l'air exaspérée. C'était peut-être parce qu'elle se trouvait des points communs avec Sasha, quand elle avait seize ans du moins, ou parce qu'elle savait ce que c'était d'avoir une relation compliquée avec sa mère mais Isy avait envie d'aider la jeune fille. Elle l'aimait bien, elle la trouvait intelligente et déterminée et surtout... Ouais, elle devait un peu s'identifier. Jessica, qui aimait faire un peu de psychologie de comptoir, aurait sûrement dit qu'elle cherchait à réparer quelque chose. Isobel, elle, préférait dire qu'elle essayait d'être plus altruiste, c'était dans ses résolutions de "J'ai failli mourir" (et aussi, "je suis retournée à l'église et le prêtre m'a fait la leçon"). Puis dans le fond, elle ne pouvait pas s'empêcher de penser que, lorsqu'elle était adolescente et que rien n'allait, elle aurait bien aimé qu'on lui tende la main. Saisie par cette impulsion et refusant de trop réfléchir, elle sourit à Mrs Benson.

- Est-ce que je peux vous offrir un café ? Ça vous fera du bien, après toutes ces émotions...
- Oh bah oui, pourquoi pas...
- Ça te dérange de nous attendre là, Sasha ? lança Isy à la jeune fille, en lui adressant un sourire rassurant.

Elle ne descendait pas avec sa mère pour pouvoir mieux discuter d'elle sans qu'elle n'entende, plutôt le contraire. Elle allait arriver un peu en retard au boulot mais c'était rare, ce n'était pas très grave. Elle n'avait pas de réunion avant onze heures. Mrs Benson et elle descendirent dans l'atrium pour se diriger vers la petite cafétéria. Elle-même avait déjà un café à la main alors se contenta-t-elle d'en offrir un à la mère de famille. Cette dernière ne devait pas avoir l'habitude d'être beaucoup écoutée à ce sujet car elle se lança dans un presque monologue sur la difficulté d'être mère célibataire, avec une adolescente aussi intelligente mais exigeante que sa fille. Isy hochait la tête régulièrement, abondant dans le sens de Mrs Benson. Finalement, elle finit par glisser ce qu'elle avait en tête.

- Vous savez, Sasha a peut-être juste besoin de passer du temps un peu ailleurs et vous aussi, vous avez besoin de temps pour vous... Vous avez de la famille ?
- Non pas vraiment...

Et ce fut l'occasion pour elle de se glisser dans la brèche. Quand elles remontèrent, Mrs Benson avait donné son accord et Isobel se demandait encore si elle avait bien fait. C'était assez étonnant comme solution mais... Pourquoi pas, après tout. Sasha n'avait pas bougé du service et Isy put ainsi constater qu'elle avait oublié son foulard Denny & George sur sa chaise. Elle lui sourit.

- Sasha, ta maman et moi avons discuté et on s'est dit que... Tu pourrais venir à la maison quelques jours. Ça vous permettrait de vous reposer toutes les deux. Elle tourna la tête vers Mrs Benson pour lui adresser un sourire. Qu'est-ce que tu en penses ?

Maintenant, elle avait un chat et une adolescente. Catastrophe impulsive ou idée de génie, elle n'était pas encore décidée. 

Bien sûr que ça la dérangeait, d'attendre ici pendant que sa mère déversait un flot d'horreurs à son sujet et la faisait passer pour une petite fille immature et capricieuse. Elle aurait préféré rentrer immédiatement chez elle et passer la semaine enfermée dans sa chambre à étudier les runes plutôt que de laisser Isobel lavespère offrir un café à sa mère, mais elle se contenta de secouer négativement la tête. Elle parvint même à esquisser un sourire poli à l'attention de la jeune femme/

"Non, pas du tout."

Dépitée, Sasha observa sa mère s'éloigner en compagnie d'Isobel après un dernier "sois sage" qui la fit bouillir de rage intérieurement. En détournant les yeux, elle avisa le foulard en soie qu'Isobel avait oublié sur le dossier de sa chaise. Elle le ramassa délicatement, comme s'il avait été fait dans une matière particulièrement fragile et le replia soigneusement. Elle résista à l'envie de l'essayer -juste pour voir si elle portait bien le foulard- et le déposa précieusement sur le siège. L'adolescente se laissa à son tour tomber sur une des chaises en plastique, et soupira quand son regard se posa à nouveau sur les affiches aux slogans percutants de la Police Magique. Elle avait déjà passé de longues minutes à observer son environnement et n'avait rien trouver pour se distraire, aussi fut-elle forcée de se rabattre sur son manuel de runes. C'était dire à quel point elle s'ennuyait.

Sasha s'efforça de ne pas penser à sa mère et Isobel, à la cafétéria, en train de se plaindre des "adolescents d'aujourd'hui", et se concentra sur son devoir de runes, le relisant avec attention pour traquer la moindre erreur d'interprétation. Elle s'était tellement plongée dans son travail qu'elle ne releva la tête qu'en entendant les talons d'Isobel résonner dans le couloir. L'adolescente fut à peine rassurée par le sourire de la jeune femme et fronça les sourcils en l'entendant parler de "à la maison". A la maison de qui ? Elle avait bien une idée mais cela lui paraissait trop beau pour y croire. Est-ce qu'Isobel venait vraiment de lui proposer de passer quelque jours chez elle ? C'était dix fois mieux que Poudlard, c'était dix fois mieux que n'importe où ailleurs ! Elle était à deux doigts de sautiller de joie, mais fit un effort pour ne pas laisser exploser sa joie de façon trop visible.

"Vraiment ? Ses yeux s'étaient mis à briller d'excitation. Je... Bien sûr ! J'adorerai ! Je... Elle en perdait ses mots. Merci ! Merci beaucoup, mais...ça ne vous dérange pas ?"

Elle ne voyait pas vraiment ce qu'Isobel y gagnait à l'inviter chez elle, et si une partie d'elle ne demandait qu'à hurler de joie, Sasha restait également un peu méfiante. C'était trop beau pour être vrai. Elle se demandait si ce petit arrangement ne cachait pas autre chose.

"C'est vraiment très gentil, mais...Pourquoi ?" demanda-t-elle simplement, surprise par la générosité de cette proposition.

Isobel n'avait pas pas pris le temps de se demander si sa proposition ferait plaisir à Sasha, elle avait suggéré cette solution à Mrs Benson spontanément, mais elle constata immédiatement que c'était le cas. L'adolescente eut l'air ravi et son regard se mit à briller, ce qui fit sourire Isy. Mrs Benson elle-même semblait bien plus détendue qu'à son arrivée ici, comme si leur petite discussion dans l'Atrium lui avait vraiment fait du bien.

- Bien sûr que non ça ne me dérange pas, sinon je n'aurai pas proposé, répondit Isobel en secouant la tête.

Elle n'avait pourtant pas vraiment pris le temps de réfléchir à la logistique et maintenant que c'était concret, elle commençait à se poser quelques questions. Ne serait-ce pas bizarre de faire entrer Sasha dans son intimité, chez elle, de la faire dormir sur son canapé ? En plus sa chambre n'était pas vraiment séparée du salon, mais elle pouvait s'arranger pour le week-end, poser des rideaux ou bien Abel connaissait sûrement un sortilège d'archimagie pour lui arranger cela. Et puis aujourd'hui elle travaillait mais demain c'était samedi et qu'est-ce qu'on faisait avec une adolescente le samedi ? Ou avec une adolescente tout court ? Mais après tout, songea Isy en chassant ces pensées (elle aurait tout le temps de se décider dans la journée), elle n'avait pas proposé au hasard. La question de Sasha lui fit légèrement hausser les épaules et elle tourna la tête vers Mrs Benson, pour qu'elle valide ses propos.

- Et bien nous nous sommes dit avec ta maman que vous aviez besoin toutes les deux de prendre un peu de recul, et comme tu n'as pas vraiment de famille proche chez qui passer le week-end... C'est vrai que cela éviterait que mère et fille ne s'écharpent. Et puis... Isy eut l'air un peu gêné mais elle le dissimula vite avec un sourire. J'ai eu une relation assez compliquée avec ma mère à ton âge, aussi, et je sais qu'un relai extérieur m'aurait fait sûrement du bien à l'époque. Ça ne me dérange pas de t'accueillir ce week-end, je pense que ça m'aurait fait plaisir que quelqu'un me le fasse, il y a quelques années !

Peut-être que si elle avait pu avoir un véritable soutien extérieur, à la Nouvelle-Orléans, les choses auraient été différentes. Elle avait sa famille mais elle ne se sentait jamais pleinement la bienvenue chez eux. Évidemment, il y avait son grand-père mais elle n'osait pas se confier sur tous ses malheurs devant lui et il n'osait jamais trop s'opposer à ses filles. À force d'être malheureuse là-bas, elle avait explosé et était partie. Elle ne pensait pas que Sasha aurait disparu seize ans mais qu'est-ce que c'était, un week-end, alors que cela pouvait peut-être aider la jeune fille ? En plus, dans ses bonnes résolutions de "J'ai échappé de peu à la mort", il y avait "être plus altruiste". Ce qui n'était pas négligeable, c'est quelle appréciait Sasha, c'était une jeune femme intelligente et polie. Elles avaient déjà passé des moments toutes les deux lors des démarches pour Salem et lui avait même fait une lettre de recommandation dans son dossier de candidature. C'était peut-être comme une vague cousine, sauf que elle, Isy n'avait rien à lui reprocher.

Les joues de Sasha rosirent de plaisir quand Isobel affirma que cela ne la dérangeait pas du tout de l'accueillir chez elle pour le week-end. C'était une offre inespérée ! Non seulement elle n'aurait pas à supporter sa mère, avec ses angoisses et ses leçons de morale, mais en plus elle pourrait passer un peu de temps avec la jeune femme, qu'elle admirait beaucoup.

"C'est gentil, merci beaucoup."

Elle était infiniment reconnaissante à la jeune femme de lui venir une nouvelle fois en aide. Elle lui devait déjà tant ! C'était grâce à Isobel qu'elle avait obtenu un stage au Ministère, et grâce à elle également qu'elle s'était inscrite au programme d'été de Salem. Elle ne pouvait s'empêcher de se demander ce qui pouvait bien pousser la jeune femme à se montrer si généreuse avec elle. Elles n'étaient pas de la même famille, et Sasha n'était plus d'aucune utilité au Ministère maintenant que l'affaire Sorden était oubliée.

La réponse se présenta sous la forme d'une confession, lorsqu'Isole lui expliqua avoir eu elle-même une relation assez compliquée avec sa mère. Sasha hocha lentement la tête en réfléchissant aux paroles de la jeune femme. Peut-être Isobel retrouvait-elle en la voyant un peu de l'adolescente qu'elle avait été ? Cette explication lui plaisait beaucoup. Elle aimait l'idée qu'elle et Isobel soient semblables sur certains aspects -même si ce point commun était une mère insupportable. Elle ne pouvait pas s'empêcher de se dire que, peut-être, elle deviendrait elle aussi une chargée de communication élégante, cultivée et prête à aider les adolescentes aux situations familiales compliquées.

Du haut de ses quinze ans, assise sur une chaise en plastique dans un couloir du département de la Police Magique, Sasha se fit la promesse qu'un jour, elle ferait la même chose pour quelqu'un de plus jeune qu'elle. Elle ne deviendrait pas un de ces adultes qui oubliaient ce que c'était que d'avoir quinze ans et de ne plus vouloir être traité comme un enfant. Elle serait comme Isobel, à l'écoute et compréhensive. Et elle aurait une vie comme la sienne, avec un métier intéressant, plein d'amis, et des soirées dans tous les endroits branchés de Londres.

L'adolescente réalisa soudainement que sa présence risquait justement de compliquer les plans qu'Isobel avait potentiellement prévus pour ce week-end.

"Je ne vous dérangerai pas, c'est promis ! assura-t-elle. Vous ne saurez même pas que je suis là !"

Isobel pouvait bien l'oublier dans un coin, Sasha en serait ravie. La simple perspective de passer trois jours ailleurs que chez sa mère ou à Poudlard l'enchantait, et elle était prête à passer ces soixante-douze heures à relire son devoir de runes s'il le fallait !

"N'hésitez pas à m'écrire en cas de problème bien sûr, intervint sa mère. Pourquoi se sentait-elle obligée de sous-entendre que Sasha ne pouvait causer que des problèmes ? L'adolescente fusilla sa mère du regard et n'esquissa pas le moindre geste quand celle-ci fit un pas vers elle pour lui dire au revoir. Tu as tout ce qu'il te faut ? - Oui ! Elle avait mit dans son sac à dis tout ce dont elle avait besoin pour rentrer à Poudlard, elle ne manquerait de rien. On se retrouve lundi alors ? Silence. Sois sage. Sasha se retint de lever les yeux au ciel. Encore merci, reprit sa mère, à l'attention d'Isobel cette fois-ci. Merci beaucoup, c'est vraiment très gentil. Je..Je vais aller signer les papiers alors..."

Et, enfin, elle s'éloigna. Sasha sentit tous les muscles de son corps se détendre et eut le sentiment de pouvoir respirer plus librement. Inconsciemment, elle avait tendance à retenir son souffle dès qu'elle se trouvait face à sa mère, comme si elle se préparait à ce que la situation dégénère à tout instant. Elle sourit doucement en songeant qu'elle serait débarrassé de ce sentiment désagréable pendant les trois prochains jours.

- Oh ne t'en fais pas, fit Isobel avec un signe de la main, je ne te le proposerais pas si cela me dérangeait.

En réalité, elle ne savait pas encore trop s'organiser avec la présence de Sasha mais... Elle allait bien trouver, cela ne devait pas être si compliqué que cela. Peut-être qu'à la fin du week-end, elle aurait changé d'avis mais pour l'instant, elle ne s'inquiétait pas trop. Elle eut un sourire pour la jeune adolescente qui avait l'air ravie et cette constatation lui fit un peu chaud au coeur. C'était donc ça être gentille avec les autres... Intéressante expérience. Mrs Benson semblait également contente - et un peu soulagée - sûrement ravie de trouver une sorte d'intermédiaire entre elle et sa fille. Isobel ne savait pas trop ce qu'elle pensait de cette place mais...

- Ne vous inquiétez pas, assura-t-elle à la mère de famille. Je suis certaine que tout va bien se passer.

Après quelques dernières recommandations à Sasha et un autre remerciement, elle s'éloigna, les laissant toutes les deux. Isy posa ses yeux noirs sur la jeune fille, pensive quelques secondes. Et voilà, elle avait une adolescente sous sa responsabilité pour trois jours. D'accord. C'était normal. Elle allait gérer. Un coup d'oeil à sa montre lui indiqua qu'elle était bien en retard au travail et elle monta rapidement un plan dans sa tête.

- Alors, là je dois aller travailler, évidemment, donc si tu veux tu peux descendre dans l'Atrium t'installer à la cafétéria, je peux te passer un peu de sous si tu veux. Je te rejoindrai à la pause déjeuner et j'essayerai de ne pas finir trop tard ce soir, est-ce que ça te va ? Je suis désolée, ça ne va pas être une journée très passionnante pour toi mais je ne peux pas poser un congé à la dernière minute comme ça... Après, tu vas me dire, ajouta Isy après un instant de réflexion, tu peux monter au bureau avec moi, on dira qu'on fait une reconnaissance pour ton stage ! Ça sera peut-être plus intéressant pour toi ?

Sûrement plus que de rester à la cafet' toute la journée.

Sasha avait encore du mal à croire en sa chance. Sa mère était partie, et elle se retrouvait seule avec Isobel, avec qui elle allait passer les trois prochains jours. La chargée de communication était tout ce que l'adolescente aspirait à devenir : belle, élégante, ambitieuse. Elle comptait bien mettre à profit son séjour chez la jeune femme pour l'observer avec attention pour pouvoir reproduire ses manières et ses habitudes.

L'adolescente hocha la tête en signe d'assentiment quand Isobel lui proposa de descendre à la cafétéria pour l'attendre pendant sa journée de travail. Même la perspective de passer des heures entières assise sur une chaise en plastique dans un environnement bruyant l'enchantait, c'était toujours mille fois mieux que de rentrer chez elle avec sa mère.

"C'est gentil, j'ai ce qu'il faut, répondit-elle avec un sourire quand la jeune femme proposa de lui prêter un peu d'argent. Elle avait emporté toutes ses économies avec elle dans sa fugue. Ce n'est pas grave ! C'est parfait ! assura-t-elle quand Isobel s'excusa pour ce programme pas très passionnant. Les yeux de l'adolescente se mirent néanmoins à briller d'excitation quand, après réflexion, Isobel lui proposa de l'accompagner dans son bureau. Avec plaisir ! Je ne vous dérangerai pas, c'est promis !"

Un immense sourire aux lèvres, Sasha suivit Isobel jusqu'au niveau 1 en promenant son regard partout autour d'elle. Elle avait déjà visité son bureau quelques mois plus tôt mais elle était assez nerveuse lors de leur entrevue et n'avait pas pris le temps d'assimiler son environnement.

La matinée était déjà bien entamée et l'étage grouillait d'activité. Des notes ensorcelées voletaient au dessus de leur tête et des jeunes femmes perchées sur talons hauts se déplaçaient de bureau en bureau avec des piles de documents certainement très importants. Sasha pouvait tout à fait s'imaginer travailler ici, à sa sortie de Poudlard. Cette journée lui apparaissait comme une occasion d'avoir un aperçu de l'avenir dont elle rêvait et elle était plus que jamais déterminée à se donner les moyens de réussir.