Back to Black [OS]

Sofya Belinski
Sofya BelinskiMembre des Veilleurs
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Profil Académie Waverly
Back to Black [OS] Icon_minitimeDim 17 Sep 2017 - 0:43
18 janvier 2010

Cela faisait maintenant une heure que l'homme promenait son chien entre les immeubles blafards d'Hartcliffe. Grand et efflanqué, il était engoncé dans une grosse parka verte qui lui donnait l'air encore plus maladif. Un bonnet élimé reposait sur le sommet de son crâne dégarni, et son long nez tordu était rougi par le froid. Hormis lui, il n'y avait guère âme qui vive dans ce quartier moldu, car il fallait être particulièrement courageux pour se risquer à affronter les températures négatives. Un vent glacial soufflait entre les tours grises, et le glaçait jusqu'aux os. Son chien misérable, qui avait fait ses besoins depuis bien longtemps, jappait régulièrement pour signifier son mécontentement. Pourtant, il ne cessait pas sa ronde, son regard vif dissimulé par le col de sa veste, remonté sur la moitié de son visage.

Enfin, un mouvement près du hall d'un immeuble attira son attention, et il s'arrêta pour se rouler une cigarette. Ses doigts engourdis eurent quelques difficultés à manier le papier fin et le tabac, ce qui lui laissa tout le loisir d'examiner le petit groupe d'individus qui ne semblait pas l'avoir remarqué. Son oeil avisé nota la petite bourse qui changeait de main, et l'objet fin que l'un des hommes semblait avoir coincé dans la poche arrière de son jean. Voilà qui avait tout l'air d'être une baguette magique. Il actionna son briquet, alluma sa clope et reporta son attention sur le petit groupe de trois hommes. Un chat de gouttière apparut non loin d'eux, les toisant du haut d'un muret, ce qui fit aboyer son chien. Aussitôt, il sentit trois paires de regard se poser sur lui, et il murmura un juron entre ses dents avant de tirer sur la laisse du chien. Inutile de s'éterniser ici, quelque chose lui disait que ce n'était pas sa journée... Aucune info intéressante à se mettre sur la dent, rien que de vagues soupçons, pas assez pour confirmer la vague rumeur qui l'avait poussé à se rendre sur les lieux.

Sans se presser, l'homme reprit sa marche en se dirigeant vers le nord. Le ciel commençait déjà à s'obscurcir, et il avait hâte de regagner le centre-ville. Quelle plaie qu'il soit impossible de transplaner dans cette foutue ville ! Une fois arrivé, il lui faudrait encore faire son rapport, avant de pouvoir prendre une bonne douche pour réchauffer ses membres congelés. Une fois éloigné des barres d'immeubles, il se pencha pour libérer le chien de sa laisse et le laissa recouvrer sa liberté. Bientôt, le paysage changea pour laisser place à des maisonnettes et petits immeubles résidentiels, à l'apparence plus avenante. A grandes enjambées, il marcha jusqu'au quartier sorcier et sortit machinalement ses papiers de sa poche en avisant un groupe de miliciens.

Il balaya les représentants des forces de l'ordre des yeux. Puis se figea en reconnaissant la silhouette familière de l'une d'entre eux. Quelque chose de lourd tomba dans sa poitrine quand elle tourna son regard chaud et familier vers lui, sans lui prêter plus ample attention, trop occupée à échanger des plaisanteries avec un collègue masculin. Grand, blond et musclé, le collègue en question portait fort bien l'uniforme, constatation qui eut le don de lui serrer le coeur.

"Contrôle d'identité. Votre nom s'il-vous-plait."

"Harley Perks, herboriste, résident de Bristol", récita-t-il en tendant ses papiers au milicien. L'homme les examina longuement avant de se décider à les lui rendre, puis à faire un pas de côté pour le laisser passer.

Il lui fallut quelques secondes pour réussir à décoller son regard de Nasreen. Bien sûr, elle ne l'avait pas reconnu, et c'était bien heureux : preuve que son déguisement fonctionnait ! Sofya se devait de passer inaperçue aux yeux de n'importe qui, mafieux, malfrat, résistant ou milicien. Son identité ne pouvait pas être remise en cause car il en allait de sa propre survie : un espion découvert en mission pouvait souvent dire adieu à la vie, elle l'avait constaté bien assez souvent. Pourtant, que Nasreen ne la reconnaisse pas lui déchirait le coeur, et c'est avec cette douleur béante dans la poitrine qu'elle se hâta de regagner les Folies.

C'était la première fois qu'elle la voyait depuis ce jour terrible de leur séparation, et c'était à la fois beaucoup trop tôt, et terriblement tard. C'était comme si une éternité s'était déroulée depuis leur rupture, et une fraction de secondes à la fois. Elle lui manquait affreusement, mais se rappelait de leur dernière conversation comme si elle avait pris fin il y a cinq minutes. Elle se rappelait de chaque moment fort de leur histoire, de leur rencontre éblouissante, de la douceur de ses lèvres lorsqu'elles s'étaient embrassées pour la première fois, de l'odeur et du goût des plats indiens qu'elle lui cuisinait, de leurs conversations sur la politique et l'art... Et de chaque mot assassin échangé lors de leur dernière soirée ensemble. Son expression douloureuse n'avait pas quitté ses pensées depuis, pas plus que son regard trahi.

Comme ce soir-là, Sofya pénétra dans les Folies et se dirigea vers sa petite loge pour se changer et se noyer sous la douche. Son rapport devrait attendre qu'elle ait recouvert ses esprits. Retrouver son corps féminin, avec ses courbes et ses angles familiers, lui procura un réconfort rare. D'ordinaire, elle aimait à se fondre dans l'apparence de quelqu'un d'autre, mais voir Nasreen l'observer comme une inconnue lui avait fait tant de mal qu'elle avait besoin de se retrouver elle, Sofya. Car elle sentait que bientôt, c'était tout ce qu'elle serait en droit d'attendre de la part de la belle milicienne, un regard d'indifférence... Sofya se lava longuement, laissant l'eau chaude réchauffer ses membres glacés par sa longue mission. Elle essaya d'évacuer au passage les émotions négatives qui lui nouaient la gorge, mais rien n'y fit. Finalement, elle prit le temps d'enfiler une jolie robe, des talons, d'arranger ses cheveux et de se maquiller, avant de regagner les couloirs du casino.

L'apparence, toujours, ne pouvait être laissée au hasard pour la comédienne et espionne qu'elle était.

Seul Roy se trouvait dans le bureau des chefs du gang lorsqu'elle y frappa. Comme souvent, c'était avec lui qu'elle traitait et auprès de lui qu'elle faisait ses rapports. Une forte impression de déjà-vu s'imposa à elle lorsqu'elle s'installa dans l'un des fauteuils de cuir, un verre de Whisky Pur Feu à la main, face à Roy. La dernière fois, elle était venu auprès de lui après avoir été larguée par Nasreen, pour lui confier les dernières bribes d'information qu'elle avait pu obtenir de la milicienne. Dire qu'elle avait perdu une magnifique relation naissante, simplement parce qu'elle avait fait son travail, par pure loyauté envers son gang... Une fois de plus, l'amour lui filait entre les doigts. Et cette fois serait certainement la dernière. Sofya devait se rendre à l'évidence : son avenir se trouvait ici, dans cette pièce qui fleurait bon les complots, le luxe et la monalisa. Son avenir se jouait sur les planches et en coulisses, mais pas dans une bulle rosée à jouer les petits couples et à élever de charmants bambins. Cela n'avait jamais été, et cela ne serait jamais elle. Au fond, peut-être que cette rupture était une aubaine : Sofya était sur le point de s'égarer, d'oublier qui elle était. Plus jamais elle ne ferait cette erreur, ni ne perdrait son attention de la sorte.

"Alors ?"

"Alors pas grand chose, Roy. J'ai arpenté la cité pendant un bon moment sans récolter d'informations tangibles. J'ai quand même vu quelques dealers qui avaient l'air sorciers, l'un d'eux avait une baguette, j'en mettrais ma main au feu. Plutôt étonnant en terres moldues, mais de là à dire qu'il s'agit de Sharacks... Rien ne permet de confirmer qu'ils ont fait d'Hartcliffe leur nouveau territoire. Mais je peux continuer d'enquêter."

"Oui, continue, on ne peut pas lâcher l'affaire."

"Très bien."

D'un coup, elle descendit son verre d'alcool puis se leva pour prendre congé. Elle fit quelques pas en direction de la porte, puis se ravisa et s'enquit brusquement :

"T'aurais de la Volubilis ? Juste un peu pour ce soir ?"

"Bien sûr", répondit-il en se dirigeant vers un placard, avant de l'interroger : "Tu es sûre que ça va ?"

"A merveille", répondit-elle sobrement, le visage fermé. Elle se saisit du sachet violacé qu'il lui tendait et prit congé sans plus de cérémonie.


***

Back to Black [OS] Giphy

Au K-Club, au plein centre de Leopoldgrad, la fête battait son plein. Au coeur de la nuit, la boîte ne désemplissait pas et Sofya se déhanchait au son des musiques technomagiques à la mode. La Volubilis avait fait son effet, ainsi que les différents verres qu'on lui avait offert au cours de la soirée. A chaque shot descendu, le regard trahi de Nasreen se faisait un peu plus flou dans sa mémoire. Et le sorcier qui lui tournait autour depuis maintenant une heure se faisait plus séduisant. Accrochant son regard alangui au sien, elle glissa ses bras autour de son cou et vint danser tout contre lui. Un frisson de désir la parcourut quand son bras se glissa au creux de son cou, tandis que ses lèvres venaient jouer avec les siennes. Bientôt, les baisers se firent plus exaltées, et Sofya se laissa aller entre les bras de cet inconnu, toute à ses sensations. La musique, la fatigue et l'étreinte l'emportaient dans un long tourbillon d'oubli alcoolisé. Pour la première fois depuis plusieurs jours, la douleur dans sa poitrine s'était apaisée.

"Chez toi ou chez moi ?", lui glissa-t-il finalement à l'oreille, tandis que sa main se faisait plus baladeuse.

"On aurait du mal à te faire passer le check-point pour aller chez moi...", répliqua-t-elle avec malice.

"Bristolienne, hmm... J'aime."

Sofya lui décrocha un clin d'oeil puis s'empara de sa main pour l'entraîner à travers la foule compact qui se déhanchait. Après une attente un peu trop longue au vestiaire pour récupérer sa longue veste de fourrure, ils finirent par se trouver devant le club. L'air froid et le brusque silence qui choquait ses tympans eurent le don de l'aider à retrouver prise avec la réalité. L'espace d'un instant, elle observa cet homme qui l'accompagnait, et se demanda qui il était. Quel était son nom, que faisait-il dans la vie, était-il seulement digne de ses faveurs - si l'on omettait son physique avantageux. Mais il glissa de nouveau son bras autour de sa taille, et elle décida bien vite que cette question n'avait aucune importance. Ils marchèrent quelques minutes dans la ville endormie, ses talons claquant sur les pavés de l'Allée Dalhiatus. Les ruines de la March Bank, en cours de reconstruction, se découpaient sur le ciel, en complet décalage avec les autres bâtiments de la ville, bijoux architecturaux flambants neufs.

Bientôt, ils parvinrent au pied de l'un des gratte-ciel, où résidait sa conquête du soir. Visiblement, il devait bien gagner sa vie, songea-t-elle en le suivant dans l'ascenseur spacieux. Si spacieux qu'ils n'attendirent même pas d'arriver à son étage pour se livrer à des ébats enfiévrés. Un peu plus tard, Sofya eut l'occasion de découvrir un grand appartement luxueux, avec une vue magnifique sur le reste de la ville. Allongée sur le torse de l'Inconnu, dans un lit confortable, elle laissa la somnolence la gagner en songeant que le réveil serait difficile. Mais pour l'heure, elle se sentait bien, enfin, apaisée.

Ce soir, elle retrouvait sa vie telle qu'elle devait être. Seule et fière, libre et indépendante. Ce soir elle n'avait de comptes à rendre à personne. Demain, elle reprendrait sa vie d'espionne, sa vie d'artiste.

Sa vie pour la mafia.


OS Terminé


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