War is coming [Nasreen & Danielle]

Le front appuyé dans le creux de sa main, Danielle lisait et relisait des rapports qui n’arrêtaient pas de se contredire. Depuis quelques temps, le Ministère était sur le pied de guerre. Les derniers évènements avaient confirmé une peur de Danielle : certains membres livraient des informations hautement confidentielles à des groupes terroristes. Dès lors que cette information avait été vérifiée – ou du moins, très fortement supposée – Danielle s’était lancée corps et âme à la recherche de ces traîtres, bien décidée à les arrêter. Mais ce n’était pas si simple que cela. Evidemment, ces traîtres étaient assez malins pour assurer leurs arrières et tout ce que la chef de la milice détenait jusque-là n’était que des suppositions. Elle savait bien qu’il ne lui fallait pas beaucoup plus pour arrêter quelqu’un – le régime était fait de tel manière que les condamnations étaient prononcées très rapidement : après tout, il fallait assurer la sécurité de la population. Et quoi de plus sûr que d’enfermer un criminel à Azkaban, ou de l’envoyer sur la lointaine île de Skye ? Cependant, pour éviter tout débordement de la presse dite « anti-régime » (de moins en moins nombreuse, heureusement), Danielle préférait assurer ses arrières. Toutefois, la milicienne croyait en son instinct, qui ne l’avait que très peu trahi ces dernières années. Plongée dans ses pensées, elle ne releva la tête que lorsqu’on tapa à la porte.

« Chef ? »

« Oui, entrez. » répondit-elle en se redressant.

Le lieutenant Cooper Hamilton fit son apparition, les traits tirés et des cernes sous les yeux.

« Ah, Hamilton ! Joyce m’avait dit que tu passerais. »

« Oui. Je rentre tout juste de Bristol. »

« Et ? »

« On s’est fait avoir. Comme des bleus. »

Danielle l’interrogea du regard, les sourcils froncés.

« On patrouillait dans Bristol, quand on a été interpellés par une petite fille. Le temps d’avancer vers elle, on a été encerclés par trois personnes. Une femme et deux hommes je dirai, ils étaient tous cagoulés. Ca s’est passé sur le port. »

« Des blessés ? »

« Aucun passant n’a été touché. Je pense avoir touché un des hommes mais je ne suis pas certain. Et David a l’épaule salement amochée. »

« Putain Hamilton ! Mais quand est-ce que vous apprendrez à vous servir de votre baguette ? T’es attaqué, tu ripostes et tu m’en ramène un vivant ! Si t’as envie de patrouiller gentiment dans les rues et de répondre aux appels pour tapage nocturne, je te place à la PM ! »

« Chef… »

« Non Hamilton, t’a merdé. Puis tu crois que c’était le moment, avec tout ce qui arrive en ce moment ? On va passer pour qui, si on laisse s’enfuir ces putains de terroristes alors qu’ils ne se donnent même pas la peine de se cacher ?! » s’exclama Danielle. « T’as une baguette, tu t’en sers, c’est tout. D’autant plus que vous avez été attaqués, vous n’avez même pas initié ce combat ! » La milicienne soupira. « Je te préviens c’est la dernière fois que tu me fais un coup comme ça. Je t’ai nommé lieutenant parce que je sais que t’es capable de faire ce boulot, mais je n’aurai aucun scrupule à nommer quelqu’un d’autre à ta place. »

« Bien chef. » Cooper acquiesça, et fit volte-face pour sortir du bureau.

« Hamilton ? » l’interpella Danielle. « Montes jusqu’au bureau de la communication et prends le dossier avec toi. Racontes-leur ce qu’il s’est passé, insiste bien sur le fait qu’ils utilisent des enfants – des enfants innocents - pour parvenir à leurs fins. Et dis à David qu’il a intérêt à récupérer rapidement. »

Le lieutenant hocha la tête et sortit du bureau. Danielle s’appuya contre le dossier de son fauteuil en soupirant. Elle savait qu’elle avait été dure avec Hamilton, mais elle avait besoin que ses hommes comprennent qu’il fallait impérativement se montrer plus dur, s’ils voulaient retrouver l’ordre un jour. Elle ne pouvait pas leur en vouloir, ils n’avaient jamais été entraînés pour ça. Mais le contexte était particulier et elle devait absolument reprendre les choses en main avant que l’Angleterre ne sombre définitivement dans une guerre civile. Or, si la méthode douce de « dissuasion » ne fonctionnait pas, Danielle n’aurait aucun scrupule à utiliser une stratégie bien moins plaisante.

Ils étaient encore chanceux d’avoir une grande partie de la population derrière eux. En même temps, les miliciens abordaient des uniformes semblables, rassurants, avec des mots tels que « sécurité » inscrits dans leur dos. Lorsque les terroristes les attaquaient en pleine rue, à proximité des autres habitants, ils s’en tiraient toujours avec le beau rôle. Et Danielle savait qu’il fallait jouer sur ça, que c’était le moment où jamais de reprendre le contrôle total de la situation.

Elle consulta sa montre d’un coup d’œil et se leva. Elle ouvrit la porte de son bureau et avisa la lieutenante Nasreen Johar, attablée un peu plus loin.

« Johar ? Tu peux venir s’il-te-plait ? »

De tous les lieutenants qu’elle avait nommés, Johar était l’un de ses préférés. Danielle avait toujours aimé les femmes de caractère, qui n’hésitaient pas prendre des décisions – un peu comme elle, en réalité. Et elle avait confiance en Johar, donc le travail était toujours satisfaisant. Hamilton était capable de la même chose, elle en était persuadée. Elle l’avait également nommé car il était excellent en stratégie. S’il parvenait à s’endurcir un peu, tout serait parfait.

« Assieds-toi. »

Prenant place face à elle, Danielle l’observa quelques instants.

« La situation est en train de nous échapper, je le sens. Si on continue comme ça, on risque de se faire avoir. Il faut qu’on change nos méthodes. Et j’aurai besoin de toi pour m’aider à le faire. »

L’échec de l’équipe d’Hamilton était parvenu aux oreilles du bureau, peu avant que ce dernier n’y fasse irruption, car l’information d’un milicien blessé sur le terrain était en général très vite relayée. Ainsi, lorsque le lieutenant passa la porte du bureau, la mine fermée, beaucoup de regards se tournèrent vers lui, certains plus compatissants que d’autres. Au moins, il ne s’était pas fait blessé lui aussi, songea Nasreen en le voyant passer. Il aurait pu y avoir plus de dégâts. Les groupes terroristes de Bristol n’étaient pas à sous-estimer et commençaient à se faire une certaine main, leurs embuscades étaient de plus en plus difficiles à déjouer. La porte se claqua derrière Hamilton, et un certain silence s’abattit dans la pièce, tandis que chacun savait pertinemment ce qui allait arriver.

Car leur commandante ne tolérait pas l’échec, et tous le savaient. Hamilton n’était ni le seul ni le dernier à devoir essuyer les remontrances de Danielle Coleman, surtout quand on savait qu’elle était particulièrement sur les nerfs ces derniers temps. Il y avait de quoi : le réseau de résistance se développait de plus en plus, ils le savaient, ils en faisaient l’épreuve sur le terrain-même. Le plus inquiétant était sans doute que certaines informations sensées être confidentielles avaient fuité, alors l’heure et l’ambiance étaient à la méfiance. Il n'y avait pas trente-six solutions, jugeait Nasreen, il y avait des traîtres parmi eux, voire dans des rangs hauts placés du Ministère. Parfois, elle attrapait le regard insondable de sa chef sur l’un de ses coéquipiers. Auror de formation, elle savait reconnaître les atours d’une enquête et elle se demandait combien de temps s’écoulerait avant que Coleman ne formule le fond de ses soupçons…

Tirée de ses pensées lorsqu’elle entendit son nom, la milicienne se redressa d’une traite et s’exécuta sans rien dire, un peu inquiète au fond d’elle d’être convoquée juste après qu’un de ses camarades se soit fait remonter les bretelles. Serait-ce son tour ? Elle ne menait pas mal ses missions actuelles mais ne savait t-on jamais… Elle s’assit et attendit prudemment que sa chef prenne la parole, soutenant son regard. Sa colère semblait s’être évacuée, estima Nasreen intérieurement, et tout ce qu’elle lisait sur sa figure à cet instant était surtout de la préoccupation, ce qui transparut à ses paroles. La milicienne prit quelques secondes pour évaluer les propos que sa chef lui confiait. Changer leurs méthodes ? Pensait t-elle à les rendre plus impitoyables ? Et de qui craignait t-elle qu’ils se fassent avoir exactement ?

« Vous pouvez compter sur moi, chef » assura t-elle, avec ce calme déterminé qui la caractérisait.

Elle avait profondément confiance en Danielle, c’était une commandante qu’elle respectait. Elle ne doutait pas de la justesse des intuitions de sa chef, car elle avait plusieurs fois prouvé par le passé qu’elles étaient correctes. Bon soldat qu’elle était, Nasreen n’hésitait que rarement avant d’accepter les demandes de sa supérieure.

« Il est vrai que nos ennemis se multiplient, et certains se cachent... souffla t-elle, faisant part de ses précédentes réflexions. A quoi pensez-vous exactement ? Vous comptez durcir nos méthodes sur le terrain ? Verrouiller des canaux d'informations ? » s’enquit la lieutenante.

La situation inquiétait Danielle depuis un moment déjà. Au début, les actes des opposants au régime étaient dignes de plaisanteries enfantines. A présent, elle se méfiait plus que jamais d’eux. Sans qu’elle ne sache comment, ils semblaient toujours avoir une longueur d’avance sur la Milice. D’ailleurs, depuis la création du groupuscule, les miliciens étaient souvent ressortis bredouille des affrontements. Elle n’avait pas eu de perte dans son équipe non plus – et heureusement. Mais elle ne comprenait pas comment des sorciers inexpérimentés, sans véritable formation au combat, puissent s’en sortir aussi bien. Et c’était d’ailleurs cette réflexion qui l’avait mené, quelques jours auparavant, à une idée quelque peu effroyable.

Les traîtres agissaient sous son nez. Ils étaient sûrement là, au Ministère, à guetter des informations, à écouter aux portes. Ils étaient peut-être Aurors, miliciens, avocats… Ou même plus hauts-placés. Il y avait eu des fuites sur des sujets qui avaient été traités trop discrètement pour être connus de leurs ennemis. Tout tombait sous le sens. Il y avait des taupes.

Cette idée répugnait Danielle, sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi. L’idée qu’il puisse y avoir des traîtres parmi ses hommes, qu’elle en fréquente même peut-être quotidiennement, l’horrifiait. En bonne chef, elle se devait de douter de tout et de tout le monde. Elle avait remis en cause plus d’une fois certains membres de la milice, et, à la moindre attitude louche, au moindre soupçon, elle préférait mettre sur le banc plutôt que de prendre un risque. Evidemment, il y avait, parmi la milice, certaines personnes en qui elle avait particulièrement confiance. C’était le cas de la lieutenante Johar, par exemple. Déjà, parce qu’elle avait été persuadée plus d’une fois de sa confiance et de sa loyauté envers la milice. Et puis, elle avait toujours apprécié les femmes qui occupaient des postes traditionnellement réservés aux hommes, surtout quand elles démontraient à ces derniers par leurs actes qu’elles avaient bien plus de mérite à être là qu’eux. Et c’était le cas de Johar, qui était l’une de ses meilleures lieutenante, bien devant certains hommes (elle se demandait d’ailleurs si son nouveau lieutenant, Nikolas, n’avait pas deux pieds à la place des mains, tant il pouvait se montrer maladroit…).

Faire sa place au milieu des hommes, cela avait été le quotidien de Danielle pendant des années. Elle avait toujours été en concurrences avec des hommes persuadés de faire mieux qu’elle. Dans sa jeunesse, lors de sa formation d’Oubliator, l’un lui avait même suggéré de retourner faire la cuisine afin de laisser les « affaires sérieuses » aux vrais hommes. Il se souvenait sûrement encore de la dérouillée qu’il avait prise, suite à ses paroles. Même au sein de la milice, certains remettaient en cause son statut de chef.

« Je pense que nous avons des traîtres, ici, au Ministère. » commença Danielle en fixant Johar. « Peut-être des Aurors, voire des miliciens, je n’en sais encore rien. Je suis en train de revoir tous les dossiers des membres de la milice, et je vais faire de même avec les Aurors. Il faut absolument lister tous les comportements suspects. »

Elle jeta un coup d’œil à pile de dossiers qui l’attendait, et retint un soupir.

« Ce que je vous propose, lieutenante, c’est de monter une équipe. Vous pouvez choisir vos hommes, je ne demande qu’à avoir un droit de regard dessus pour m’assurer de votre choix. Ensuite, libre à vous de mener votre mission comme vous le désirez, tant que les résultats sont là à la fin. Evidemment, cette mission restera secrète, et les autres membres de la milice ne seront pas mis au courant. Cependant je vous demanderai à tous d’instaurer des contrôles d’identité surprise. Dans les rues, par exemple, et notamment celles de Bristol, j’aimerai que vous vérifiez les identités des passants, ainsi que leurs raisons de venir ici. » Elle s’interrompit un instant, puis repris : « Mais vous et votre équipe, vous aurez la mission plus particulière de débusquer les traitres. Un grand nombre de moyens seront à votre disposition. Changement d’apparence pour bosser sous couverture, filature… Bref, repérer les traîtres et venir me faire un rapport avant d’agir – on ne sait jamais. » Elle eut un sourire, et se pencha un peu vers la jeune femme. « Ce que je vous propose, Nasreen, c’est une véritable chasse aux sorcières. »