Ces éléments qu'on préfère cacher - Abigail

Un samedi comme un autre à la bibliothèque de Poudlard. Le samedi, il n'y avait pas cours, les élèves étaient donc libres d'aller et venir dans l'enceinte de l'école. Beaucoup d'entre eux venaient passer un moment dans mon antre. La plupart y travaillaient leurs devoirs pour la semaine suivante. Les autres venaient simplement lire un peu.

En règle générale, le samedi après-midi, c'était plutôt calme. J'avais réaménagé les espaces de façon à ce que chacun puisse y être totalement autonome. Bien sûr, les élèves me sollicitaient toujours pour ceci ou cela, mais ils se débrouillaient seuls la plupart du temps. Cet après-midi ci ne fit pas exception à la règle.

J'avais toujours du travail ici, mais il m'arrivait malgré tout de prendre du temps pour lire par-ci par-là. C'était justement le cas à ce moment précis. C'était d'ailleurs de plus en plus le cas. Depuis que j'avais retrouvé le souvenir de la mort d'Aiden, j'avais du mal à penser à autre chose. Et la lecture était la seule qui arrivait à me changer les idées  l'edpace de quelques heures.

Et une fois n'était pas coutume, j'étais plongée dans un thriller. Je n'avais strictement pas prêté attention à l'heure qu'il était, la dernière fois que j'avais relevé les yeux de mon bouquin remontait à cinq minutes, non ? C'est qu'il était passionnant ce livre ! Et tellement prenant ! Et j'en arrivais justement à un passage particulièrement tendu. Le dangereux criminel venait de pénétrer dans la pièce où se trouvait sa future victime. Celle-ci était cachée dans un placard et il s'en approchait lentement...

La voix de Nathanael me fit sursauter, mais alors pour de vrai ! J'en tombai même de ma chaise. On pouvait faire carrément plus classe quand même...

- Mr Morgenstern ?

Déjà ? Bon sang, quelle heure était-il ? Je redressai mes lunettes sur mon nez et me relevai en prenant appui sur l'assise de ma chaise. Le moins qu'on puisse dire, c'est que je n'avais pas très bonne mine. J'avais les traits tirés, le regard fatigué. J'avais du mal à dormir sans faire de cauchemar. C'était un effet secondaire au fait d'avoir partiellement recouvré mon souvenir. Ca irait mieux dans quelques temps, bien sûr, c'était juste le contre-coup.

- Je ne vous avais pas entendu arrivé. C'était l'évidence même, vue ma réaction. J'étais plongée dans mon livre...

Je levai le fautif pour le montrer brièvement, comme si j'avais besoin de me justifier et le reposai sur mon bureau.

- Merci d'être venu.

J'esquissai un sourire. Je me doutais qu'il n'avait pas envie d'être là, mais il était venu tout de même. Malgré son hostilité à mon égard, il tenait parole. C'était tout à son honneur.

A sa remarque je balayai les lieux du regard moi aussi. Il y avait encore quelques élèves mais en fait, l'heure de fermer la bibliothèque était dépassée de quelques minutes déjà.

- Nous pouvons aller dans mon bureau. J'indiquai la porte juste derrire moi d'un geste de la main. Mais donnez moi juste le temps de fermer, si vous le voulez bien.

Simple question rhétorique et je n'attendis pas son approbation pour le faire. Ma voix s'éleva dans la bibliothèque, amplifiée par un sort adéquat.

- Jeunes gens, la bibliothèque ferme ses portes pour ce soir. Merci de vous diriger vers la sortie. Je vous souhaite une bonne soirée !

Rapidement, un groupe d'élèves passa devant Nathanael et moi. Je les saluai d'un sourire chaleureux tandis qu'ils sortaient. Un autre élève s'arrêta à l'accueil pour faire enregistrer le livre qu'il souhaitait emporter et quitta les lieux à son tour. Il était évident, à nous regarder tous que j'étais à l'aise dans mon travail et appréciée des élèves.

Lorsqu'ils furent enfin tous sortis, j'agitai ma baguette en direction des grandes portes pour les fermer et me tournai vers Nathanael.

- Je crois que nous serons tranquilles maintenant.

J'ouvris la porte de mon bureau et m'effaçai pour le laisser entrer en premier. C'était un vrai bureau de bibliothécaire... Des piles de livres étaient posées un peu partout, y compris sur les deux chaises qui se trouvaient à l'intérieur de la pièce. Il y avait également quelques caisses d'autres livres en attente de traitement dans un coin. Et il semblait difficile de trouver une place pour poser quoique ce soir d'autre sur mon bureau. Ma besace était abandonnée dans un coin derrière la porte et les murs étaient couverts d'affiches de l'école des loisirs (une maison d'édition moldue française spécialisée dans la littérature enfantine que j'aimais beaucoup).

- Je vous en prie, installez-v... Je m'interrompis en prenant conscience du bazar et pris un air gêné. Oh, attendez...

Je m'emparai de la pile de livres qui occupait l'une des chaises pour la libérer à l'attention de Nathanael et... me trouvai bien embêtée parce que je ne savais pas où la poser. Je finis par m'en débarrasser sur le sol et les livres qui occupaient la seconde chaise prirent la même direction.

- Voulez-vous un peu de thé avant de commencer ?

Mon bureau était un véritable foutoir oui. Mais pas tant que ça en fait, si on considérait que j'arrivais encore à retrouver ce que je cherchais quand c'était le cas. Ce n'était pas tant que j'étais moins soignée que Mme Pince, quand on est bibliothécaire, l'organisation est une qualité relativement naturelle. Mais depuis l'époque de l'ancienne bibliothécaire, les choses avaient bien changées. Avec l'ouverture de la section "moldue", j'avais du faire l'acquisition d'une quantité astronomique d'ouvrages en un temps relativement court. Le problème étant qu'une fois tous ces livres sur place, il fallait les traiter correctement avant de les mettre en rayon et ça, ça prenait beaucoup de temps. Et il se trouve que du temps, j'en manquais, donc j'avais pas mal de retard, d'où l'invasion de livres un peu partout. Mais je n'avais pas honte, je faisais ce que je pouvais. Quant aux rayonnages qui se trouvaient le long des murs ? ma foi, je n'avais pas la moindre idée de l'endroit où ils étaient passés. Quelqu'un avait dû trouver qu'ils seraient plus utiles dans sa salle de classe que dans le bureau de la bibliothécaire ? Et comme j'étais nouvelle, mieux valait pour moi ne pas faire trop de vagues...

Je préparai rapidement le thé et revins en poser une tasse devant Nathanaël, gardant l'autre pour moi. J'avais bien pris le soin de mettre les quatre sucres. Ca m'étonnait un peu, je trouvais que c'était beaucoup, mais si c'était comme ça qu'il l'aimait alors... autant faire ce qu'il me demandait.

- Ils se ferment dès que j'essaie d'aborder le sujet. Je ne les avais jamais vus comme ça...

Mon père m'avait mise à la porte la dernière fois que j'avais voulu en parler. Purement et simplement. Il m'avait renvoyée d'où je venais en disant que ce n'était pas la peine que je revienne tant que je n'aurais pas décidé de lâcher l'affaire. Mon propre père ? Il avait toujours été particulièrement aimant avec mes frères et moi, je ne lui avais jamais connu cette sévérité. Quant à ma mère, elle s'était tout bonnement enfermée de sa chambre et refusé que d'en sortir tant que je ne serais pas partie. Cela ne leur ressemblait tellement pas. Quel était donc ce secret qui pouvait changer mes parents de la sorte ?

- A force de me heurter à des murs, j'ai fini par comprendre qu'il valait mieux ne plus en parler, au risque de... perdre mes parents.

Et ça, sincèrement, je m'y refusais. C'étaient mes parents, je les aimais !

- J'ai voulu retourner dans ce village, celui où nous vivions à l'époque de l'accident. J'ai retrouvé la cabane, enfin, ce qu'il en reste.

Elle avait vraiment été détruite par les flammes. La végétation avait repris sa place, mais on voyait encore des morceaux de bois calcinés par-ci par-là. Et la cheminée de pierre se dressait toujours, noire de suie.

- Mais personne ne semble savoir ce qu'il s'est passé.

Est-ce que tout le monde avait oublié, comme Liam et moi ? Est-ce qu'à force de creuser dans ma mémoire, Nathanaël et moi avions mis le doigt sur quelque chose qui nous dépassait ?

La question de Nathanaël me fit froncer les sourcils légèrement et je m'appuyai contre le dossier de la chaise quelques secondes, le temps de réfléchir à la réponse la plus correcte que je pouvais apporter à cette question. C'est qu'elle était plus que pertinente. Il y aurait forcément des conséquences désastreuses si mes parents apprenaient que j'avais fait appel à un legilimens pour découvrir la vérité. Mais il fallait pourtant que je la sache, depuis que Nathanaël m'avait fait entrevoir ce souvenir, c'était devenu primordial.

- Ce qu'il ne savent pas ne peut pas... leur faire de mal. Je suis responsable de la mort d'un enfant, Mr Morgenstern, il faut que je comprenne pourquoi je ne m'en souviens pas. J'ai besoin de le savoir.

Pourquoi ? Bonne question. Mais c'était devenu une sorte d'objectif, de quête et ça me hantait à chaque instant, à chaque fois que mon attention et mon esprit n'étaient pas tournés vers autre chose.

Nathanaël se referma comme une huître alors que je lui racontais mes investigations dans le village de mon enfance et ce que j'avais trouvé là-bas. Ou plutôt, ce que je n'avais pas trouvé. Il semblait penser que j'y étais allée juste pour m'assurer que tout ceci avait bien existé, que cette idée n'avait pas simplement été implantée dans mon esprit par lui. Je fronçai les sourcils et levai les mains, comme pour me justifier.

- Ce n'est pas pour ça que j'y suis allée ! Je vous fais confiance, vous n'auriez eu aucune raison de me mentir à ce sujet. Peut-être que j'avais tort, mais bon, je faisais confiance à mon instinct, et mon instinct me disait qu'il ne me nuirait pas. Je me disais que me retrouver sur les lieux raviverait ma mémoire. Ou que quelqu'un se rappellerait de ce qu'il s'est passé et serait en mesure de m'en parler. Ca n'est pas comme si ça remontait à des centaines d'années. Ca doit faire 20 ans, tout au plus. Les personnes que j'ai interrogées vivaient là depuis plus de 50 ans. Un accident comme celui-ci, on en parle, ça ne reste pas secret. Comment ont-ils pu ne pas être au courant, ne pas ne serait-ce qu'en avoir entendu parler ? C'est comme si ça n'était jamais arrivé. Pourtant la cabane est là !

Mais Nathanaël ne semblait pas surpris outre mesure.

- "Leur" but ? De qui parlez-vous ?

Je croyais avoir une petite idée de la réponse. Mais non, c'était impossible, mes parents n'auraient jamais fait ça. Ils n'auraient pas osé. Mon père était un moldu, ça ne pouvait donc être que ma mère, mais il l'aurait empêchée de le faire. Et puis, ma mère n'était pas une sorcière assez puissante pour effacer la mémoire de tout un village !

Il semblait à plonger à nouveau dans mes souvenirs. Il avait même l'air pressé d'en avoir fini d'ailleurs. Je pouvais le comprendre, peut-être avait-il autre chose à faire par la suite ? Sans compter qu'il n'appréciait pas tellement ma compagnie. J'acquiesçai donc et le laissai s'emparer de mon menton comme il avait pris l'habitude de le faire à chaque fois qu'il se préparait à entrer dans mes souvenirs. Je fermai les yeux et revécu le cours de quelques scènes récentes : la visite du village, l'interrogatoire de mes parents et la porte qui se refermait sur mon père en claquant. Je ne pus m'empêcher de tressaillir en la revoyant. C'est que c'était douloureux de revoir sa réaction. Et puis, à nouveau, Nathanaël déroula devant mes yeux la scène de la cabane, l'incendie, tout ce qui s'était passé. Et comme à chaque fois, revivre cette scène fut une vraie torture. A la fois parce que le feu me semblait si réel que je sentais la panique m'envahir, mais aussi parce qu'une fois encore, je me voyais confrontée à la mort de quelqu'un, mort que j'avais provoquée.

Mais Nathanaël ne s'arrêta pas là cette fois. Devant mes yeux se joua alors le dénouement de toute cette histoire. J'étais recroquevillée sur le canapé d'une maison et je pleurais. J'avais encore des traces de fumée sur le visage et mes vêtements avaient brûlés par endroit, nous étions donc encore le jour de l'incendie. Mon père s'agenouilla devant moi, tenant la baguette de ma mère dans sa main. Il essayait de me réconforter, mais ça ne marchait pas. Il finit par se résoudre à tendre sa baguette à ma mère, sans prononcer un seul mot. Il fit un signe de tête et ma mère agita sa baguette sans qu'une seule formule ne soit sortie de sa bouche. Alors c'était donc ça. Tout ceci venait de ma mère. Mais... comment avait-elle pu ?

Je m'apprêtai à ce que Nathanaël ressorte de mon esprit maintenant qu'il avait trouvé la réponse à mes questions, mais non. Une autre bribe de mes souvenirs semblait avoir attiré son attention et je ne fus pas longue à comprendre pourquoi : Margaret apparut devant mes yeux. Margaret qui pleurait à cause de Nathanaël, encore une fois. Et moi qui essayais de lui remonter le moral.

Et puis, tout à coup, la scène changea. C'était toujours Margaret, mais ce n'était plus moi qui me trouvais face à elle, c'était Nathanaël. C'était étrange, je ne me souvenais pas de cet échange entre eux. Attendez une minute, je n'y étais même pas d'ailleurs ! J'avais beau regarder partout, je ne me voyais nulle part ! Et puis la scène changea à nouveau pour me laisser voir Nathanaël serrant contre lui le corps sans vie de Margaret. J'aperçus, un peu plus loin, l'éclat roux de la chevelure de Cillian, mais encore une fois, je n'étais pas là. C'était perturbant. Comment ça pouvait se retrouver dans mon esprit ?  Est-ce qu'on me l'avait raconté et que je l'avais imaginé ?

Sauf que les images qui suivirent, personne n'avait pu me les raconter. De tous les protagonistes, je ne reconnaissais que Nathanaël, les autres m'étaient totalement inconnus. C'est alors que je compris que ce que je voyais là, ce n'étaient pas mes souvenirs, c'étaient ceux de l'homme qui me faisait face.

- Mr Morgenstern...

Ma voix était-elle réellement sortie de ma bouche ou est-ce que je l'avais imaginé, cela aussi ? J'aurais aimé qu'il rompe le contact, je n'avais pas envie de voir ses souvenirs à lui, ça me semblait être une intrusion dans sa vie privée, il ne m'y avait pas autorisée ! Il avait l'air du même avis que moi d'ailleurs, parce qu'il nous ramena à la réalité de façon relativement brutale.

Je relevai les yeux sur lui, gênée, ne sachant pas quoi dire. Il avait l'air furieux, quelque chose me disait qu'il valait mieux ne pas faire le moindre commentaire. Je ne m’attendais pas, cependant à ce qu’il ait une réaction d’une telle violence. Je sursautai légèrement en voyant la tasse se briser et le suivis des yeux alors qu’il sortait de mon bureau tel un ouragan. Ok… et qu’est-ce qu’il allait se passer maintenant ?

Une fois seule dans mon bureau, je repensai au secret familial que Nathanaël avait remis à jour. Je n’arrivais pas à croire que mes parents aient pu faire ça. Encore que, si, je pouvais le comprendre. Nathanaël avait raison, pour protéger leurs enfants, les parents sont prêts à tout, alors pourquoi pas à ça ? Mais qu’ils aient refusé de m’en parler alors même que je les questionnais ? Pourquoi ? Pourquoi s’être énervés à ce point et avoir décidé de garder le secret malgré tout ? Mais je ne pus empêcher mon esprit d’aller également vagabonder du côté de ce que j’avais pu apercevoir des souvenirs de Nathanaël. C’était… Mon Dieu, mais qui était cette homme que j’avais en face de moi ?

Je laissai échapper un soupir et m’occupai de ramasser les débris de tasse et de nettoyer le sol à la façon moldue. Le fait que ça prenne plus de temps me permettait de réfléchir en même temps. J’étais encore à genoux par terre quand Nathanaël revint dans la pièce. Je me redressai, pour relever les yeux sur lui alors qu’il restait debout. Il était plus distant et plus froid que jamais. Il me faisait presque froid dans le dos soudain. Mais je me refusais à avoir peur de lui. Il m’avait aidée à faire le point sur ce souvenir effacé de ma mémoire, il ne pouvait pas être si mauvais. Et les souvenirs que j’avais vus de son enfance, ils étaient terribles. Ils pouvaient expliquer son comportement actuel…

- Si vous craignez que je n’en parle à quelqu’un, ce n’est absolument pas mon genre. Et qui plus est, c’est déjà oublié, il était inutile que vous me fassiez cette recommandation. Mais si vous n’avez pas confiance, allez-y, faites.

Je haussai les épaules, mimant un air indifférent. Mais en réalité, s’il pouvait éviter de modifier mes souvenirs, ça m’arrangerait. Je baissai les yeux sur ses mains et me rendis compte qu’il saignait quelque peu. Les débris de tasse avaient dû entailler sa peau.

- Laissez-moi au moins soigner vos coupures…

J'acquiesçai, soutenant son regard sans ciller.

- En effet, vous n'en mourrez pas. Encore que ce genre de blessure peut s'infecter et l'infection, elle, pourra peut-être vous tuer. Mais vous êtes médicomage, ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre.

Encore que c'était de la médecine moldue ça, ces histoires d'infection et tout ça. J'avais beau être une sorcière et vivre dans le monde magique, j'avais encore des réflexes de moldus. Mon père avait tenu à m'inculquer un bon nombre de ses connaissances. C'était étrange, c'était comme s'il avait peur que mon côté sorcière me fasse oublier d'où je venais, comme s'il avait peur que je le considère comme un inférieur, quelque part. Il avait fait la même chose avec mes frères et je peux vous assurer que le jour où Liam avait décidé de suivre des études de médecine moldue en parallèle à ses études de médicomage, mon père en avait presque pleuré de reconnaissance.

- Vous permettez ?

Je farfouillai dans un tiroir pour en tirer un désinfectant et des compresses. J'étais facilement sujette aux diverses blessures. Je devais reconnaître que j'aimais la façon qu'avaient les moldus de travailler avec les livres, la manipulation, l'art de la reliure à la main. La magie rendait les choses trop faciles et quelque part, m'ôtait ce plaisir de faire les choses par moi-même. Encore une chose que mon père m'avait inculquée.

Je tendis la main en direction de Nathanaël, comme pour l'inviter à me donner la sienne et me laisser le soigner. Je n'y étais pas obligée, il pouvait, effectivement, le faire lui-même. Liam disait souvent que la médecine sorcière était très différente de la médecine moldue en ce sens qu'elle ne traitait pas les mêmes maladies ni les mêmes blessures. Mais je suppose qu'il existait un sort pour guérir les blessures de ce genre. J'aurais pu laisser Nathanaël se soigner tout seul, un coup de baguette et on n'en parlerait plus. Mais... il m'avait aidée à retrouver ce souvenir enfoui. Rien ne l'y obligeait, pourtant il l'avait fait. Je lui en étais particulièrement reconnaissante et je voulais, à mon tour, faire quelque chose que pour lui. Ce n'était pas grand chose, mais ce serait toujours un début.

Lorsqu'il s'approcha de moi, je pris cela pour un oui, quand bien même son attitude était glaciale. Cela dit, ça ne changeait pas tellement de son habitude, n'est-ce pas ? Je pris sa main dans la mienne doucement avec l'intention de la nettoyer, mais ses paroles m'arrêtèrent net dans mon élan.

Je relevai les yeux vers lui, soutenant son regard. Mon coeur s'était soudain mis à battre la chamade et ma respiration se faisait difficile. Je ne me souvenais pas qu'il ait vu quoique ce soit en rapport avec mon intégration à la Résistance. Mais les images s'était enchaînées si vite...

- Je...

Je sentis comme une sourde angoisse monter en moi. Ce n'était pas que je manquais de courage, mais je savais le sort qui attendait les résistants. Je lâchai sa main et fis un pas en arrière, puis un autre, comme si le fait de remettre de la distance entre lui et moi pouvait me protéger davantage. Que pouvais-je répondre à cette question ? Il avait sondé mon esprit, si je lui mentais maintenant, il le saurait forcément.

J'étais incapable de détacher mon regard du sien, comme si le fait de continuer à soutenir son regard pouvait me préserver de la moindre tentative contre moi qu'il aurait pu faire.

- Qu'est-ce que vous allez faire ?

Un aveu, en quelque sorte. Mais qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? Mon attitude entière criait la vérité face à cet homme dont je savais qu'il avait déjà vu la réponse dans mon esprit. Lui mentir aurait été totalement inutile. Ca aurait été une forme de lâcheté aussi. Alors voilà, ma "carrière" de résistante allait-elle s'achever avant d'avoir vraiment commencé ? J'aurais au moins eu le mérite de garder mes convictions jusqu'au bout.

Incapable de détacher mon regard de lui, je gardai cependant le silence. Il semblait soudain avoir perdu toute attitude vraiment hostile. Je veux dire, il venait de reculer de quelques pas lui aussi, levant les mains devant lui dans un geste qui pouvait presque paraître rassurant. Est-ce que ma réponse à sa question "oui"? Evidemment, ça me semblait relativement clair, même si ça restait implicite.

Je retins mon souffle alors qu'il se dressait toujours face à moi. Il pouvait avoir deux façons de réagir face à cette information. Ou il était lui-même un opposant du régime auquel cas il garderait le silence. Ou il était le contraire et je ne donnais pas cher de ma liberté si c'était le cas. Et c'est que je ne tenais pas particulièrement à me retrouver à Azkaban... Une chose était sûre cependant, je ne lui voulais aucun mal, mais je ne me laisserais pas capturer sans me battre.

Ma main glissa doucement vers la poche dans laquelle j'avais glissé ma baguette. Je n'étais pourtant pas très sûre de ce que je devais faire. Il avait l'air tellement différent ? Il n'avait plus cet air glacial et cruel de tout à l'heure. Il semblait hésiter, osciller entre les deux possibilités qui s'offraient à lui. Et son geste rassurant... que signifiait-il ? Pouvais-je lui faire confiance ? Ma main s'arrêta en chemin sans avoir ne serait-ce que touché ma baguette. Je crois que j'avais pris ma décision.

- J'aimerais... que vous gardiez cette information pour vous. Que vous l'oubliez, que vous... n'en parliez pas.

Sauf que cacher des résistants, c'était se mettre en danger soi-même non ? Est-ce que je ne lui en demandais pas trop.

- Mais je suis consciente des risques que vous prendriez et je ne veux pas vous attirer d'ennuis.

Je pris une profonde inspiration et me redressai, prête à affronter ce qui risquait de venir.

- Faites ce que vous pensez devoir faire. En votre âme et conscience. Mais sachez que si vous prenez la décision de me livrer, je ne me laisserai pas faire sans me défendre. Et je ne veux pas vous faire de mal.

Il riait ? Se moquait-il de moi ou avais-je dit quelque chose de profondément stupide ? Je ne savais trop comment le prendre. Un homme tel que lui aurait pu rire de mon appréhension sachant qu'elle n'avait pas lieu d'être. Un homme tel que lui aurait pu rire du peu de forces que je lui opposerais en cas de besoin...

Son rire s'éteignit rapidement alors qu'il se rapprochait doucement de moi. Son attitude n'était plus aussi hostile que précédemment néanmoins, je ne savais pas trop à quoi m'attendre venant de lui. Il était si changeant ! Je m'efforçai de ne pas bouger, me rappelant ses paroles précédentes. Il m'avait demandé de ne pas le fuir, il m'avait appelée par mon prénom. J'avais même cru voir une lueur étrange dans son regard quand j'avais eu mon mouvement de recul.

- Qui vous êtes ?

Je fronçai les sourcils et soutins son regard quelques secondes, curieuse, ne comprenant pas où il voulait en venir. Et puis il m'expliqua et mes yeux s'écarquillèrent, bien malgré moi.

- Vous travaillez pour le gouvernement...

Si je n'avais pas déjà été dos au mur, incapable de reculer davantage, je crois que oui, une fois encore, je me serais éloignée de lui. Il avait beau avoir changé d'attitude à mon égard et paraître désormais moins cruel, plus amène, ses paroles étaient effrayantes, chargées de menaces. C'était comme s'il me promettait de me faire vivre un enfer à demi-mots.

- Vous ne pourrez pas entrer dans mon esprit si je vous en ferme l'accès...

Ca revenait à utiliser l'occlumencie, don que je ne maîtrisais absolument pas. Ces mots n'étaient que du bluff. Quelle idiote, il le savait certainement déjà, je n'avais jamais résisté à ses assauts, même quand il me prenait par surprise. Soutenant son regard, mon cerveau restait bloqué sur ce qu'il venait de dire. On enfermait les résistants à Skye et on les torturait avec la légilimencie... C'était peut-être la pire chose qu'on pouvait faire à un être humain, s'attaquer directement à son esprit. c'était le seul rempart qui pouvait éventuellement permettre de résister à une torture physique. Mais détruire l'esprit c'était... pire que tout.

Je déglutis difficilement et me surpris à reprendre mon souffle quand il déclara qu'il n'avait pas l'intention de me dénoncer. C'était comme si j'avais été en apnée durant toutes ses paroles. Est-ce que je pouvais vraiment lui faire confiance quand il disait qu'il ne parlerait pas ? Quelque chose dans son regard me poussait à le croire, oui. Mais ce n'était pas logique.

- Vous n'êtes pas un fervent défenseur du ministère...

Et pourtant, il travaillait sur Skye. Il avouait lui-même être l'instigateur de tortures faites aux opposants au régime. Mon regard se perdit dans le vague alors que je tournai et retournai cette pensée dans ma tête. Je n'avais rien à craindre de lui. J'avais envie de le croire, tellement envie. Je finis par acquiescer, ce qu'il ne put voir étant donné qu'il me tournait le dos.

Me rappelant soudain que j'avais toujours le désinfectant dans la main et que je n'avais même pas commencé à le soigner comme j'en avais l'intention, je m'approchai de lui, lui pris la main et le contournai pour me remettre face à lui. Sa main saignait toujours, l'entaille était plus profonde qu'elle n'en avait l'air. Un sort lui permettrait de faire disparaître la cicatrice s'il le souhaitait.

Doucement, je tamponnai la blessure avec la compresse que j'avais préparée et commençai à enrouler une bande autour de sa main, mes doigts glissants sur les siens au fur et à mesure. Je m'interrompis alors, l'espace d'une seconde, pour plonger mon regard dans le sien.

- Merci, Nathanaël. Je... Je vous promets que je ne parlerai pas de vous. Vous n'aurez pas d'ennuis à cause de moi, je ne le permettrai pas.

Penchée sur sa main, je gardai le silence, quelques secondes. Nathanaël avait raison, j'aurais été bien incapable de l'empêcher d'entrer dans mon esprit comme il l'avait déjà fait à plusieurs reprises. La raison en était simple, je ne savais pas bloquer les intrusions de ce genre. Je n'avais jamais appris l'occlumencie, je n'en avais jamais eu besoin.

- Alors, j'apprendrai à le faire.

C'était peut-être la meilleure solution. J'avais des choses à cacher désormais, il fallait que je sois prudente. Il fallait également que j'apprenne à me protéger. Ou du moins, à protéger mon esprit. Il fallait que je trouve quelqu'un qui m'apprenne l'occlumencie.

Nathanaël disait avoir ses raisons de travailler pour le gouvernement, j'imaginais que c'était le cas, en effet. Car qui pourrait soutenir le gouvernement de la sorte (en torturant des gens) sans être pour autant convaincu de la justesse ce qu'il faisait s'il n'avait pas réellement une bonne raison de le faire ? Je n'osais pas le questionner, et c'était probablement mieux ainsi, mais je ne pouvais empêcher mon esprit de relier des points ensemble, d'élaborer ses propres théories. Etait-ce en lien avec cet oncle dont il m'avait accusée d'être l'agent et qui semblait le terrifier à un point dont je n'avais même pas conscience ?

Il se disait dangereux. J'acquiesçai, sans pour autant lever les yeux de sa main blessée.

- Je sais que vous l'êtes. Le simple fait que vous travailliez pour le gouvernement fait de vous quelqu'un de dangereux pour moi.

On ne pouvait pas m'accuser de ne pas être lucide sur ce point. Seulement, savoir cela ne suffisait pas.

- Mais vous m'avez aidée et là encore, vous dites que vous garderez mon secret. Si vous étiez réellement dangereux, pourquoi me protéger de la sorte ? D'autant que si cela se découvrait, votre sort ne serait pas plus enviable que le mien...

C'est alors qu'il eut ce geste étrange. Je relevai les yeux dans les siens tandis que sa main frôlait mon visage et venait remettre en place une mèche de cheveux. Cet homme était décidément plein de contraste, capable d'une extrême froideur, mais aussi de gestes doux, presque protecteurs, à la limite de l'affectueux d'ailleurs, comme celui qu'il venait d'avoir à mon égard. Mais je n'étais pas au bout de mes surprises. Le souffle soudain irrégulier, je ne parvenais plus à détacher mon regard de celui du sien.

C'était la deuxième fois que Nathanaël me volait un baiser. Et cette fois encore, rien n'indiquait qu'il était sur le point de faire cela. Il n'était pas affectueux, rien ne laissait supposer qu'il eut pu s'intéresser un tant soit peu à moi. J'aurais plutôt dit le contraire si l'on m'avait interrogée. Mais alors, pourquoi faisait-il cela ? Toutefois, ce baiser n'était pas non plus tout à fait le même que l'autre fois. L'autre était froid, presque brutal, avec l'intention non-dissimulée de me blesser ou de se moquer de moi. Celui-ci était différent. Il ne ressemblait pourtant pas à ceux qui étaient décrits dans les livres, mais il était plus doux, presque plus chaleureux.

Mais comment en être sûre alors qu'il reprenait déjà cette voix dure qui lui était habituelle. Un homme tellement contrasté qu'il était difficile de le suivre et de savoir ce qu'il pensait vraiment. Mais peut-être était-ce intentionnel ?

Je ne réagis pas alors qu'il retirait sa main de la mienne avant que je n'ai pu terminer le bandage. Je gardai les yeux fixés sur lui, avec cette lueur d'incompréhension dans le regard. Et ce trouble également, parfaitement visible, qu'il déclenchait chez moi. Je ne comprenais pas pourquoi il agissait de la sorte. Et je ne comprenais pas non plus pourquoi moi, je réagissais comme ça face à lui. Je me sentais presque idiote. Heureusement, il n'épilogua pas sur le sujet. Evitant mon regard il m’asséna cette sentence, affreuse.

- Je... non !

Comme ça je le permettrai ? Il n'était pas question que je lui apporte délibérément des ennuis ! Pas après tout ce qu'il avait fait pour moi. Et quand bien même, je n'étais pas ce genre de personne. Je soutins son regard, m'apprêtant à affirmer une nouvelle fois que non, il n'aurait pas d'ennuis à cause de moi, lorsqu'il reprit la parole. Et sa voix avait beau être glaciale, il ne subsistait aucune trace de cette froideur dans ses yeux. C'est alors que je compris où il voulait en venir.

- Monsieur Morgenstern... Nathanaël, je... vous ne pouvez pas me demander ça. C'est... je ne suis pas le genre de personne qui laisse accuser les autres à sa place. Si vous deviez avoir des problèmes par ma faute, je me devrais d'en assumer la responsabilité. Ce n'est pas à vous de payer pour moi, ce ne serait pas juste !

Autant vous dire qu'avec ça, ses salutations passèrent totalement inaperçues. J'étais restée sur cet ordre qu'il m'avait donné. Non, vraiment, il ne pouvait pas me demander ça et s'attendre à ce que je le fasse vraiment.