Jeu de piste - dépositions [JR]

Visage grave et aussi blême que de la crème anglaise, Mildred finit par pousser la porte du bureau des dépositions. Toute apprêtée dans son joli tailleur rose, la romancière souhaitait ardemment se délivrer de son affreux témoignage, qui comme elle l'espérait, aiderait les enquêteurs dans ce puzzle macabre. Fidèle à sa réputation de hyène journalistique, elle avait voulu tourner autour de la dépouille de la pauvre Molly Griffin afin d'y glaner quelques informations; Mais la Milice avait d'ores et déjà quadriller le lieu du crime, à la recherche de précieux indices sur l'identité du terroriste fou, tueur de jeune maman.
Car la Milicienne décédée en service, en plus d'avoir été une jeune veuve, laissait derrière elle un pauvre petit orphelin. Une tragédie comme savait si bien le faire Bristol! Mildred s'était jurée de planter ses ongles de journaliste de caniveau dans la chair tendre du petit orphelin, afin de lui arracher des larmes et une histoire triste qui ferait pleurer ses lecteurs. Cette histoire allait lui rapporter des Galions, et Mildred ne pouvait que remercier le ciel de lui avoir offert sur un plateau en argent une victime aussi apitoyante que rentable.
Mildred Magpie s'éclaircit la voix, avant de parler aux enquêteurs :

"Pauvre enfant, fauchée si jeune! Mère de famille de surcroit! Dans quel monde vivons nous? Je me le demande... "

Mildred sortit un petit carré de soie pour éponger une larme de crocodile, avant de se lancer dans son témoignage.

"En cette funeste soirée du sept Août, j'étais sur Bristol, chez moi. Comme vous le savez, j'habite au dessus de mon fabuleux Cabaret, qui d'ailleurs offrira ce week-end un effeuillage burlesque à ne pas manquer pour la somme modique de 25 Galions. Mais là n'est pas le sujet... Il faisait atrocement chaud cette nuit-là, au point que je n'arrivais pas à trouver le sommeil! "

Mildred trouva de bon ton, de ne pas dévoiler aux enquêteurs que son insomnie dépendait également d'une autre variable beaucoup plus inavouable que la canicule estivale. Mais quelle femme oserait se targuer de pouvoir trouver le sommeil, après avoir vu le beau Toni travailler torse nu au cours de la journée de la veille? Aucune! Mildred continua son récit palpitant :

"Il faisait si chaud que je me suis levée pour prendre un verre bien glacé de jus de citrouille, et c'est alors que j'ai entendu retentir ce cri strident dans la rue en contrebas. Par Merlin, rien que d'en parler, je sens mon cœur se tordre dans ma poitrine! C'était un hurlement de femme, j'en suis certaine! Immédiatement, je me suis penchée à la fenêtre pour observer l'origine de cri si déchirant. Mais malheureusement, il faisait beaucoup trop sombre pour distinguer quoi que ce soit de concret dans l'obscurité. J'en suis la première désolée. C'est si affreux! Que va devenir cet enfant sans sa mère? "

Nouvelles larmes de crocodiles, avant que la journaliste ne finisse enfin par se lever, marquant ainsi la fin de son témoignage. Secrètement, elle espérait que ce crime odieux n'impacterait pas ses affaires et son Cabaret. Au pire, son quotidien comblerait le manque à gagner qui résulterait de cette tragédie Bristolienne.  

"En espérant que vous puissiez rapidement châtier le coupable, je ne peux pour l'heure que vous apporter mes encouragements. Vous pouvez me joindre à n'importe quelle heure, je suis à votre entière disposition! Au revoir messieurs! "

Le dernier regard de la cougar s'appesantit lourdement sur les deux Miliciens qui tenaient le bureau des dépositions. La justice magique étaient devenue diablement sexy!

Voilà plus d'une vingtaine de minutes que Nathanaël attendait dans le couloir pour pouvoir faire sa propre déposition.
Lorsqu'il était arrivé, la porte se refermait déjà sur une femme rousse qu'il avait cru reconnaitre comme Mildred Mapgie.
Cette attente lui faisait clairement perdre son temps et Merlin seul savait qu'il ne disposait jamais d'assez de celui-ci. Longtemps il avait d'ailleurs hésité à venir témoigner de ce qu'il avait vu ce soir-là. Parce que oui, forcément, un crime se produisait forcément l'un des rares seuls soirs où il se trouvait à Bristol. Manque de chance vraiment ! Son hésitation provenait principalement de certaines réserves qu'il avait en ce qui concernait le pouvoir en place. Les agissements dont il était témoin à Skye tout comme ce qu'il était amené à faire chaque jour commençaient sérieusement à germer dans son esprit et à remettre certaines choses en perspective.

Mais soit, il était l'un des outils du régime Marchebank depuis qu'il avait choisi de remplacer son frère et de se rendre sur l'île. Peu importe la méfiance qui s'insinuait doucement en lui, il s'agissait tout de même d'un crime. Il ne pouvait décemment pas se taire.

La porte se rouvrit enfin libérant la salle de déposition dans laquelle il se dépêcha de pénétrer.

Trois miliciens l'attendaient impassibles ou presque. Nathanaël détestait clairement l'atmosphère de ce genre d'endroits. Ce n'était pas la première fois qu'il était tenu de s'y rendre. Lors du décès accidentel de William, le jeune homme avait déjà dû témoigner pour aider à blanchir l'image ternie du jumeau restant. Le motif n'était pas personnel cette fois mais l'ambiance n'avait toutefois pas changé.

Saluant de la tête les deux employés de milice, il vint se placer près de la chaise laissée vacante par la précédente témoin. Ne faisant pas mine de s'y installer, il croisa ses deux mains dans son dos.

- Je suis Nathanaël Morgenstern. Je travaille sur Skye. Ce soir du sept août, je me trouvais à Bristol pour un rendez-vous personnel plutôt fastidieux d'ailleurs. J'en sortais et vu l'heure, j'étais à la recherche d'une ruelle déserte pour pouvoir transplaner à mon domicile quand j'ai croisé mademoiselle Griffin.

Marquant une pause, il se remémora le visage de l'inconnue qui l'avait heurté ainsi que celui de la photographie de l'appel à témoins paru le matin même. Oui, c'était elle, pas de doute possible.

- Du moins, je l'ai reconnue comme telle en voyant la photographie de la victime. Elle m'a heurté et semblait agitée. Sa démarche était vive et elle avait sa baguette en main. Il m'a clairement été signifié que je devais ... comment était-ce encore ?

Nathanaël prit une mine pensive avant de vriller ses yeux sur les miliciens qui lui faisaient face.

- Oh, j'y suis ! Elle m'a clairement signifié de dégager. Tout en insistant pour que ce soit le plus rapidement possible. C'est là que j'ai vu son badge de la Milice. J'ai supposé qu'elle devait être dans une intervention et ai donc excusé sa brusquerie en tant que cause de l'urgence de la situation.

Décroisant ses bras de son dos, le jeune homme salue à nouveau les deux employés pour lui signifier qu'il en a fini. Se détournant, sa main se pose sur la poignée lorsqu'un détail lui revient.

- J'oubliais... Visiblement, elle attendait quelqu'un. Toute son attention était tournée vers cette personne dont elle guettait l'arrivée ou ... l'entrée en scène apparemment. Je n'ai cependant pas attendu pour assister à la suite de sa soirée. J'ai transplané en Ecosse deux ruelles plus loin.

Le médicomage reste songeur l'espace d'un instant, le regard perdu vers le sol.

- Je suis navré de cette perte pour votre milice. Sur ce, je vous laisse.

Ouvrant grand la porte, le jeune homme s'engouffra vers l'extérieur.

Bien que la situation puisse paraitre cocasse -un meurtrier répondant à l'appel à témoin d'un meurtre- Matthew n'avait pas longtemps hésité avant de se rendre dans les locaux de la Milice pour faire sa déposition. Le faussaire avait parfaitement conscience qu'il devait se présenter aux forces de l'ordre avant qu'elles ne viennent à lui... Combien de temps faudrait-il avant qu'un Milicien ne fasse le rapprochement entre la présence de l'étrangleur de Bristol ce soir là en ville et le meurtre d'une belle et jeune femme dans la fleur de l'âge ?... Surement quelques heures, à peine, alors autant révéler immédiatement ce qu'il avait entendu .

Et puis, ce genre d'action lui permettrait peut-être de gagner quelques points auprès du docteur Kane. Son profil psychologique étant encore à l'étude par la psychomage de Skye, Matt devait montrer qu'il était dorénavant devenu un citoyen respectable. Le genre de personne qui dénonçait les meurtres au lieu d'en commettre.

"J'étais à Bristol le soir du sept août, dans l'atelier des décors qui jouxte les Folies Sorcières, commença-t-il après s'être installé dans un petit box pour faire sa déclaration; J'avais une scénographie à finir pour le lendemain et mon employeur -Mme Magpie- m'avait donné l'autorisation de rester afin de boucler tout ça." expliqua-t-il d'un ton posé, "J'étais donc en train de travailler lorsque j'ai entendu des cris dehors. J'ai posé mes outils et tendu l'oreille: Quelqu'un parlait. Il semblait donner un ordre. Je ne sais pas si la Milice était déjà sur place mais on aurait dit que l'intervention était en cours. Je n'ai pas entendu distinctement ce que disait la voix mais à un moment, il m'a semblé entendre le mot "terroriste."

Il se tut et observa l'employé chargé de prendre les dépositions face à lui.

"Je ne suis pas sûr, mais je préférai tout de même vous le dire." révéla-t-il en se levant,  J'espère que cela vous aidera...au moins un peu." conclut-il avant de quitter les locaux de la Justice Magique.

Les dépositions s'enchainaient à un rythme effréné, chacune d'entre elles apportant sa petite pierre à l'édifice de la vérité. Damian jouait à la merveille le rôle du justicier désinvolte, qui paraissait ailleurs comme si rien de ce qui était dit n'avait une quelconque importance dans le déroulement de l'enquête. Et pourtant... Chaque témoignage ne faisait que conforter une hypothèse personnelle qu'il souhaitait faire partager avec Ian, son si brillant partenaire. L'un et l'autre aurait dû se retrouver le terrain, tant ils étaient brillant pour dénicher le petit indice que personne ne voyait, mais voilà... En ce qui le concernait, Damian payait une fâcheuse tendance à mélanger le plaisir au travail, d'où l'explication de sa présence entre les quatre murs du bureau des dépositions. Mais même prisonnier de ce travail fastidieux, les jolies femmes venaient à lui, au grand dam de sa supérieure Danielle Coleman. L'incorrigible milicien tourna un regard aussi fripon que complice vers son partenaire d'enquête, une fois que la petite poupée rousse du nom d'Abigail O'Brien venait de claquer la porte derrière elle. Une pause s'imposait, ainsi qu'un échange de point de vue.

"Pas mal, la petite rousse... Elle me donnerait presse envie de me replonger dans la lecture. Pas toi? A non, j'oubliais que tu te faisais vieux, et tu préfères certainement mieux jouir de l'expérience d'une bonne vieille romancière. Elle est encore potable et riche de surcroit. De plus, elle pourrait écrire un livre et nous faire partager tes exploits. " Damian marqua une pause, comme pour laisser à son confrère milicien préféré, le temps de digérer sa vanne. "En tout cas, oublie la jolie brune à l'accent russe. Un soir, je me suis rendu aux Folies pour y consommer les produits locaux, et j'ai pensé bien faire en lui demandant ses tarifs. Mais malheureusement pour moi elle n'exerce pas la profession de péripatéticienne... Oh que non! C'est une grande artiste la mademoiselle! Et qui dispose d'un sacré revers de main, tu peux me croire, ma joue s'en souvient encore! Fort heureusement pour l'enquête, elle semble m'avoir oublié... "

Nullement éhonté à l'idée de raconter sa vie de débauche, Damian saisit sa tasse de café. Après quelques gorgées chaudes, il exposa un doute qui l'habitait concernant les différentes dépositions.

"De mon point de vue, les choses commencent sérieusement à se clarifier, et une hypothèse s'impose : Celle que notre gentille petite Molly Griffin connaissait clairement son tueur... Tu ne penses pas? Au vue des différents témoignages, plusieurs parlent d'avoir entendu un homme et une femme. Si nous partons du principe que Molly est bien la femme, alors elle aurait conversé avec son assassin avant d'être sauvagement abattu. Dès lors, nous savons que notre suspect serait probablement de sexe masculin. Tu m'arrêtes si je vais trop vite, je suis pas un vieux loup solitaire comme toi. "

Damian mâchouilla sa touillette à café, avant de la jeter dans sa tasse presque vide.

"Ce qui m'intrigue, c'est l'attitude de Molly. Le mec qui bosse à Skye dit qu'elle semblait attendre quelqu'un, déjà prête à intervenir, baguette sortit. Et si... Elle avait intercepté une piste la conduisant vers un réseau terroriste? Un milicien ou un Auror corrompu, par exemple? Elle aurait très bien pu vouloir mener l'enquête seule, pour s'octroyer toute la gloire de l'arrestation. Elle était ambitieuse la petite! L'homme au chapeau, je sais plus son nom, à parler de terroriste et d'une vive explication de texte. Molly avait un gosse à charge, et plus trop le temps de développer son cercle social. Une fois j'ai chercher à baiser avec elle, et elle m'a remballé. C'était le genre à finir vieille veuve éplorée et maman modèle pour son bambin. Moi je chercherai des indices parmi ses proches collaborateurs, plutôt que dans sa vie personnelle. Mon flair d'enquêteur m'indique que le meurtrier est beaucoup plus proche qu'il n'y parait... "

Après avoir déblayé le terrain et exprimé son opinion, le jeune milicien préféra laisser la parole à son confrère plus expérimenté.

"Mais je sais que je suis un instinctif, et c'est pourquoi j'aimerai avoir ton avis. Je ne voudrai pas faire fausse course, et je m'en remettrai à ton expérience. Peut-être que l'on devrai rappeler un témoin pour éclaircir certains détails, ou attendre d'autres dépositions... Peut-être que si tu baises bien la Magpie, elle te confessera avoir tuer Molly avec le chandelier dans la bibliothèque de Miss O'Brien, pour lui faire porter le chapeau. Ok, j'arrête de déconner! Crois-moi, c'est ma manière à moi de me délester de ma peine. Je peux pas croire que Molly soit morte... "

Damian secoua tristement la tête...