Que la force de la jeunesse soit avec moi [Azénor & Marcus]

« Oui, ma biche… Evidemment, ma Vivi, j’y penserai, je… Oui alors, faisons comme ça, à ce soir, mon coeur. »

La secrétaire personnelle de Marcus avait du tout entendre de l’échange par Cheminette entre lui et sa femme, tant il ne prenait même pas la précaution de parler à voix basse. Pourquoi le devrait t-il, dans son propre bureau ? Et puis, il assumait complètement toutes les conversations qu’il pouvait tenir avec sa chère et tendre, se moquant bien de ces jaloux qui auraient envie de se moquer de lui. Car Marcus était profondément convaincu d’une chose: quel homme pourrait refuser de se plier en quatre pour une femme aussi exceptionnelle que la sienne, l’impressionnante Verena Starhemberg, dans toute sa classe autrichienne ? Ah, ça en bouchait un coin, hein ! Alors il avait accepté de passer faire quelques courses sur le Chemin de Traverse pour sa femme en rentrant, et ce, sans rechigner, parce que de toute façon, il ne refusait jamais rien à l’amour de sa vie.

Se redressant face à la Cheminette, il épousseta la suie qu’avait laissé l’échange sur ses genoux, puis revint derrière son bureau, avec ce petit soupir des fins de journée où il guettait un peu le moment de partir. Mais il y avait encore tant de travail, ce ne serait pas sérieux de partir aussi vite, se morigéna t-il intérieurement en jetant un oeil à la pile de dossiers qui concernait Leopoldgrad. Sa main vint machinalement chercher l’épais cahier jauni qui lui servait d’agenda pour se rafraîchir la mémoire, tandis qu’il parcourait des yeux ses rendez-vous sur la semaine, une main posée sur sa joue sans grande grâce -pour ne pas dire qu’il était avachi. Et puis soudainement un « Oh » se forma sur ses lèvres et il se leva de son fauteuil pour rejoindre le bureau adjacent où se trouvait sa toute jeune secrétaire, Lisa Allen. Une jeune femme qui pouvait avoir l’air d’un soleil, lorsqu’elle ne se laissait pas sombrer dans de légères dépressions, ou hystéries de temps à autres… mais ce n’était qu’un détail ! Marcus l’aimait bien, cette petite souris pleine d’énergie et de franc-parler, et surtout, elle faisait bien son travail.  

« Excusez-moi Lisa, la petite Azénor est arrivée ?
-Oh oui, cela fait même quelques minutes ! Je lui ai dit de patienter, étant donné que vous étiez en communication.
-C’est parfait, dites-lui qu’elle peut entrer. »

Marcus laissa Lisa quérir la jeune fille dans la salle d’attente, tandis qu’il revenait lui-même vers son bureau et plus précisément vers son armoire à tasses de cafés. Une petite réunion qui serait un bon prétexte pour se faire une pause café, tiens, voilà ce qui allait lui redonner de la motivation. Il était en train de faire léviter deux tasses fumantes vers son bureau lorsqu’Azénor entra. Il lui fit un sourire bienveillant pour l’encourager à avancer, puis rangea sa baguette en désignant le fauteuil de l’autre côté de son bureau.

« Bonjour. Assieds-toi. Lui-même prit place sur son siège, et attrapa sa propre tasse. Tu aimes le café, j’espère ? Sinon j’ai d’autres boissons à te proposer, du thé, du jus de citrouille… »

Il attendit la réponse d’Azénor, puis prit le temps d’observer l’attitude de la jeune stagiaire qu’il recevait pour la première fois dans son bureau lui semblait t-il. Mais cela ne l’empêchait pas de connaître par coeur son parcours, et de la tutoyer, parce qu’il portait toujours un grand intérêt à leurs jeunes recrues. Sa grande maxime ? Que la force de la jeunesse soit avec nous ! Il était persuadé que c’était dans les têtes toutes jeunes et volontaires que se creusait le terreau des bonnes sociétés et ma foi, n’était ce pas pour amener l’Angleterre vers de jours meilleurs qu’il avait accepté ce poste de chef du Département des Transports Magiques ?

« Je ne vais pas te retenir trop longtemps, c’est bientôt la fin de ta journée, je crois, alors allons droit au but, avec la véritable question qui nous préoccupe. Et parce qu’il aimait bien faire des petits effets dans ses discours, même quand il n’y avait pas de raison particulière, il joignit le bout de ses doigts, ses coudes sur les accoudoirs, attendit un petit temps avant de demander de son air souriant et énigmatique. Azénor, est-ce que tu aimes notre service ? »

Azénor avait été convoqué dans le bureau du grand patron. Elle n’avait pas encore rencontré Marcus Peyne et cette convocation l’inquiétait. C’est pourquoi elle avait porté un soin tout particulier à sa tenue le matin même et avait fait attention à ne pas manger un plat à l’ail au déjeuner. Tout était donc en sa faveur pour cette réunion. Néanmoins, assise sur un fauteuil devant le bureau du nouveau directeur, elle ne pouvait s’empêcher de triturer le revers de sa jupe noire.

Et si elle avait fait quelque chose de mal ? Une erreur dans les dossiers qu’elle remplissait qui avait créé un incident ? Voir même un accident ! Si ça se trouve quelqu’un était mort par sa faute ! Par Merlin, comment ferait-elle pour vivre avec ça sur la conscience ? Elle allait se faire virer, c’était certain ! Mais comment retrouver du travail dans ces conditions ? En aurait-elle le courage ? Dans quelle branche pourrait-elle se reconvertir ?

Azénor était persuadée de finir sa vie à trier les poubelles des habitants de Londres lorsque Lisa vint la trouver. Au moins, elle avait le réconfort d’un visage ami. Les deux jeunes filles s’entendaient bien et mangeait régulièrement ensemble, Lisa était ce qu’Azénor pouvait qualifié « d’amie de boulot ». Elle fit donc un sourire crispé à la secrétaire alors que celle-ci lui offrait quelques mots de réconfort :

« Ne t’inquiète pas, ça va bien se passer ! Je te l’ai dit, Mr Peyne est un bon directeur. »

Lorsqu’Azénor passa la porte, elle fut un instant décontenancée de ne voir personne derrière le bureau. Lorsqu’elle l’aperçut dans un coin faisant léviter deux tasses, elle fut vaguement rassurée par son sourire. Apparemment, il n’était pas en colère contre elle, c’était déjà ça, peut-être que personne n’était mort alors.

Il l’invita à s’installer, bien, on y était. Une vague de panique traversa Azénor et elle dû se faire violence pour se reconcentrer. S’avancer. Ne pas se tordre la cheville avec ses talons. Pourquoi est-ce qu’elle avait mis des talons aussi ? Certes, ça faisait femme sérieuse mais c’était beaucoup trop périlleux, surtout avec cette moquette. Tirer la chaise. S’asseoir. Sourire poliment et tâcher de répondre à la question. Bien, le programme paraissait simple, ne restait plus qu’à l’exécuter.

« Tu aimes le café, j’espère ? Sinon j’ai d’autres boissons à te proposer, du thé, du jus de citrouille… »

Hein ? Quoi ? Comment ? De quoi ? Azénor releva brusquement la tête, surprise et se prit le pied dans le pied de la chaise, trébuchant maladroitement, se rattrapant en posant ses deux mains à plat sur le bureau.

Echec.

Les jours rouges écarlates, Azénor releva la tête pour croiser le regard de son directeur.

« Excusez-moi, je suis désolée, pardon. Qu’est-ce que vous disiez ? »

Concentrée, Azénor s’assit et posa sagement ses mains sur les accoudoirs pour éviter tout autre accident. Pourquoi fallait-il que sa maladresse revienne au plus mauvais moment ?

Si elle aimait le café ? Et bien, pas vraiment mais elle avait l’habitude des convenances et suite à son entrée fracassante, elle avait tout intérêt à se rattraper.

« Bien sûr, merci monsieur. »

Le silence s’installa alors que Marcus Peyne observait son employée. Pour se donner une contenance et reprendre ses esprits, Azénor porta la tasse de café à ses lèvres. Un peu chaud mais elle parvint à garder le visage impassible, reprenant peu à peu ses esprits. Son directeur prit finalement la parole et Azénor fut rassurée d’apprendre qu’elle pourrait rapidement s’enfuir de la pièce. Peu importait qu’elle soit virée si elle pouvait quitter cet endroit anxiogène, elle ne savait pas comment Lisa faisait pour travailler là.

Mr Peyne semblait toutefois vouloir faire durer le suspense et Azénor se raidissait sur son siège alors que les secondes passaient. Lorsqu’il finit par poser sa question, Azénor sentit le piège venir. Que pouvait-elle répondre à cela tout en restant convaincante. Trop stressée pour y penser plus longtemps, Azénor se lança :

« Beaucoup monsieur ! J’aime beaucoup mon travail monsieur. Je… Je ne suis pas là depuis très longtemps mais j’ai l’impression d’avoir trouvé ma place. Ce n’était pas facile au début, je sortais juste de Poudlard, je ne connaissais rien au monde du travail et encore moins de choses à propos des transports magiques mais j’ai été surprise par mon intérêt. J’ai été très bien entourée et j’ai appris plein de choses intéressantes. Vous saviez qu’il fallait un permis spécial pour connectée une cheminée au Réseau ? Je suis bête, bien sûr que vous le savez, vous êtes le directeur. Je disais donc que j’ai appris plein de choses intéressantes et puis, j’ai pu assisté assez efficacement mes supérieurs je pense. Je suis passée dans plein de services et c’était agréable de voir les différents bureaux nécessaires au bon fonctionnement du service. Et depuis quelques temps j’ai plus de responsabilités, je rédige moi-même des rapports qui sont supervisés ensuite bien sûr mais c’est moi qui les écrit en entier. D’ailleurs, j’espère que ce n’est pas pour ça que vous vouliez me voir ? Je n’ai pas écrit une bêtise dans l’un d’eux, si ? »

Bon, pour la réponse clair et concise, on repassera mais Azénor espérait avoir tout de même convaincu Mr Peyne de sa bonne volonté.

La petite maladresse d’Azénor tira un petit sourire à Marcus, qui ne put s’empêcher de penser à sa propre fille Cornelia lorsqu’elle était jeune : une vraie catastrophe ambulante. Oh, devenir une jeune adulte accomplie n’avait pas vraiment fait disparaître ce côté-là d’elle, mais disons qu’il s’était un peu atténué. Bien souvent, c’était un problème d’assurance qu’il fallait régler, et d’après ce qu’il entendait sur elle, cette jeune Azénor avait l’air d’être une jeune fille qui cherchait tout le temps à bien faire. Marcus ne fit pas de commentaire qui la mettrait mal à l’aise et se contenta de proposer à nouveau, avec un sourire tranquille :

« Est-ce que tu aimerais une tasse de café ? »

Il lui en servit une, avant de faire de même pour lui et prendre place sur son siège de bureau. Il en vint assez vite aux faits, comme il le faisait toujours, moyennement du genre à faire des pirouettes pour obtenir quelque chose. Marcus aimait la franchise, et souhaitait qu’on lui retourne la pareille. Il fut donc assez content qu’Azénor lui parle avec honnêteté, voire même spontanéité comme le montrait son flot continu de paroles. Voilà une jeune fille qu’il était facile de faire parler et Marcus aimait ça : moins elle présentait de défenses, et plus il serait facile de l’amener là où il voulait. La question craintive avec laquelle Azénor termina son discours arracha un rire bon public à Marcus, qui secoua la main comme s’il s’agissait là de plaisanteries :

« Voyons ! N’es-tu pas trop consciencieuse dans ton travail pour écrire de grosses bêtises dans tes rapports ? En tout cas, c’est ce que me disent tes supérieurs à ton sujet » révéla t-il, portant un regard malicieux sur Azénor.

Il lui fallait la mettre en confiance, et la rassurer sur ses capacités, c’était à moitié une opération de persuasion que Marcus menait là. A moitié, parce qu’il ne mentait pas pour autant, Azénor faisait partie de ces stagiaires dont on avait acclamé le travail, et c’était entre autres pourquoi il avait choisi de la faire entrer dans un projet qui lui tenait à coeur…

« Ils sont contents de toi, rassure-toi. Jason Calder m’a rapporté que tu étais un bon élément, et que tu étais prête pour obtenir un vrai contrat avec le Ministère. Alors c’est tant mieux si tu aimes ton travail ici, car il semblerait que tu vas encore rester parmi nous. »

Attendant de voir quel effet cette annonce faisait sur la jeune femme, Marcus finit par ajouter, toujours à tâter le terrain pour le moment :

« Alors, qu’en dirais-tu Azénor ? Est-ce que tu aimerais travailler pour nous, non plus comme une stagiaire, mais comme une employée ? »

Azénor était encore tendue et essoufflée par son petit discours lorsque le rire de Mr Peyne la prit par surprise. Son geste de la main acheva de la décontenancer. Qu’avait-elle dit ? Ou fait ? Est-ce négatif, se moquait-il d’elle ? Pourtant il ne semblait pas malveillant. Les quelques secondes précédant sa réponse suffirent à Azénor pour monter de nouveaux scénarios catastrophes, pourtant, il ne suffit que de quelques paroles pour rassurer pleinement la jeune fille.

Elle passa ainsi de l’angoisse à la joie et la fierté. Ainsi ses supérieurs avaient parlé d’elle à leur chef, lui en avait parlé en bien. Azénor avait souvent l’impression d’être invisible, une petite fourmi faisant sa tâche sans que personne ne s’en aperçoive, en partie lorsqu’elle était dans le département des archives, ce qu’elle faisait tout de même assez souvent. Ce n’était pas pour autant qu’elle se sentait inutile, au contraire, elle sentait que ce qu’elle faisait était fondamental pour certains travaux du département mais elle ne pensait juste pas que ses supérieurs s’y étaient attachés. Non seulement, elle s’apercevait qu’elle était moins invisible qu’elle ne le croyait mais en plus elle découvrait qu’elle avait fait bonne impression.

C’est donc le visage radieux qu’Azénor s’adressa à son directeur en tentant de réfréner son enthousiasme.

« Je n’avais pas conscience du point de vue de mes supérieurs. Merci. »

Bon, on avait fait mieux comme réponse mais elle avait un peu de mal à tout gérer à la fois, elle devait faire face à trop d’émotions simultanées. Au moins, elle été parvenue à rester concise cette fois !

La suite la laissa sans voix. Jason Calder ! Jason Calder comme son directeur de département avait entendu parler d’elle et en avait même fait part à son successeur. C’était tout bonnement incroyable et inespéré mais pas autant que la suite. Azénor aurait certainement dû s’attendre à ce qu’on lui propose un poste au Ministère mais son orientation post-Poudlard s’était faite de façon tellement peu réfléchie et désespérée qu’elle n’avait pas réellement envisagé la suite. Elle était bien là en tant que petite stagiaire. Rester plus longtemps ?

La question n’en était pas vraiment une, à son grand étonnement, Azénor avait pris goût à son travail et n’avait pas cherché à trouver autre chose, satisfaite de son sort. Si elle avait été reconnaissante envers le Ministère pour lui avoir offert un stage au sortir de Poudlard, elle était tout bonnement extatique à l’idée de se voir offrir un emploi, un vrai travail comme employée au Ministère ! Ses parents et sa famille seraient fiers d’elle !

Mr Peyne semblait ménager son effet, créant une sorte de petit suspense, néanmoins Azénor ne s’en aperçut même pas tant elle était plongée dans le chaos de ses émotions. Ce n’est que lorsqu’elle perçut la question qu’elle se reconcentra. Ce qu’elle en pensait ? Il lui posait réellement la question ?

Azénor inspira profondément, s’efforçant à se contrôler. Arielle lui disait régulièrement que sa tendance à dire tout ce qui lui passait par la tête pouvait lui causer du tort, notamment au Ministère alors elle tâchait de se maîtriser.

« Je serais ravie de pouvoir apporter mes services au département des Transports. J’ai vraiment trouvé ma place ici et je serais ravie que cela devienne officiel. Ce serait un grand honneur de pouvoir service le gouvernement de monsieur Marchebank. »

N’en faisait-elle pas un peu trop ? Pourtant elle était sincère, juste un peu empêtrée dans les conventions nécessaires à ce type d’entretien.

L’implication et l’enthousiasme dont fit preuve Azénor conforta Marcus dans l’idée qu’il embauchait la bonne personne. Sa dernière réplique, particulièrement, lui montrait toute la fidélité dont elle pouvait faire preuve envers le Ministère, et Marcus n’avait guère besoin d’autre chose, pour le poste qu’il comptait lui proposer. Cela faisait quelques semaines que son dernier projet pour le département était en marche, il avait d’abord fallu faire valider l’idée auprès de Leopold -qui avait été vite convaincu- puis débloquer les moyens pour la mettre en place. Il était venu le moment des embauches pour remplir le service qu’il était en train de créer, et Marcus avait vu en certains de leurs stagiaires, une jeunesse réactive et une malléabilité fort utiles à ses yeux. Profondément satisfait d’avoir visé juste avec Azénor Reynolds, le sourire de Marcus parut cependant léger et affable, comme toujours.

« Tu m’en vois ravi. Je constate que je ne me suis pas trompé à ton sujet, tu es véritablement un bon élément pour notre département. »

Les compliments ne pouvaient que l’encourager davantage à donner son maximum pour se hisser à la hauteur de ses attentes, Marcus, qui avait élevé quatre enfants, avait vite compris cette astuce. Loin d’être un patron -ou un papa- tyrannique, il était plutôt le genre à s’attirer la confiance et la sympathie de ses employés pour mieux les mener là où il le voulait. Derrière ce sourire aimable et cette générosité dont il pouvait faire preuve envers tout un chacun, très peu de gens se doutaient de la part obscure qui pouvait le conduire aux idées les plus perfides, et projets les plus sombres.

« J’ai cru comprendre que tu avais balayé un peu tous nos services, cette année, donc tu es au courant à peu près de comment fonctionne l’ensemble de nos services. Je pense donc que tu es prête à évoluer, j’attends de toi que tu tires profit de cette expérience, afin de t’investir dans un tout nouveau travail. »  

Après les compliments, venait l’étape de l’objectif. Il s’agissait de montrer à sa jeune employée l’importance de la tâche qui l’attendait, et de lui faire entendre qu’elle devait se donner à fond… pour ne pas le décevoir, lui.

« Tu as peut-être entendu parler du projet, l’information commence à circuler parmi les employés, depuis qu’il a été approuvé par la direction. Etant donné les tumultes dans notre pays, et notre devoir à tous au Ministère d’assurer la sécurité des habitants, j’ai pensé installer un service de contrôle des déplacements, qui pourrait nous aider à désamorcer la menace terroriste. Comme tu dois le lire aux informations, la police dispose de fiches de suspects, mais il leur est parfois difficile de pouvoir les surveiller, et d’anticiper leurs agissements. Je pense que tu as compris l’idée, notre nouveau service sera en étroite collaboration avec le département de la Justice Magique. Il s’agit de leur mettre à disposition les moyens de pister des suspects, et plus généralement, de prévenir les menaces en collectant des informations sur les déplacements de toutes les personnes utilisant nos services. Il est évident qu’elles resteront scellées, seules les informations utiles au déroulement d’une enquête pourront être sorties des dossiers. »  

Croisant les mains par-dessus son bureau, fort de ses discours aseptisés, Marcus vrilla son regard sérieux dans celui d’Azénor.

« Bien sûr, c’est un poste qui comporte des clauses de confidentialité, pour des raisons évidentes, tu dois en avoir bien conscience avant prendre ta décision. »

Si Azénor avait été des plus inquiètes face à cette convocation, désormais elle la savourait. Son nouveau chef de département prenait son temps pour la complimenter sur son comportement et son travail durant l’année passée et elle commençait à entrevoir la fin de cette rencontre et ce qu’elle percevait la laissait impatiente. Rapidement, son intuition fut confirmée et elle dû puiser dans ses ressources pour ne pas laisser exploser sa joie. Malgré son habitude des dîner mondain, elle ne put empêcher un sourire de venir sculpter son visage et sa jambe droite se mit à tressauter contre sa volonté, preuve de son envie de sautiller dans toute la pièce. Consciemment, elle se contenta d’hocher la tête, ne sachant que répondre à de telles paroles et préféra attendre de voir ce qu’était ce poste qu’on lui proposait.

Les yeux d’Azénor s’étaient peu à peu écarquillés à l’écoute de la mission que lui présentait Marcus Peyne car c’était une mission dont il s’agissait et non pas uniquement un boulot au Ministère. Azénor n’arrivait pas à croire qu’on lui expliquait cela, qu’on la mettait dans la confidence et surtout qu’on lui proposait de collaborer. Ce genre de poste aurait dû revenir à quelqu’un ayant de l’expérience, bien connu dans le département et totalement fiable. Azénor était fière au possible d’avoir été choisie, sans doute à cause de sa polyvalence et de sa jeunesse qui lui permettait plus de souplesse, dans ses horaires notamment même si son directeur n’en avait pas encore parlé. Depuis quelques minutes, Azénor était donc muette écoutant tout ce que son directeur avait à lui dire et l’assimilant peu à peu mais il semblait que c’était à son tour de donner son avis.

« Monsieur, je suis honorée de me voir proposer un tel poste. J’en comprends parfaitement l’importance mais aussi la sensibilité, la lutte contre le terrorisme est une priorité dans ce pays, je l’ai bien compris mais il semble qu’une partie de la population ait encore du mal à l’appréhender si j’en crois la Gazette. J’en parlais l’autre jour avec des amis et je leur disais justement que cette menace était à prendre au sérieux, qu’il était effrayant de penser que de telles personnes agissent dans notre pays sans que la population en soit inquiétée. Participer à l’effort anti-terroriste serait source de grande fierté pour moi. Si vous jugez que mes compétences vous serez utiles, je suis à votre disposition et bien entendu je comprends le besoin d’une clause de confidentialité, c’est normal sur ce genre de sujet. »

Maintenant qu’elle avait donné son avis général, Azénor se rendit compte qu’elle n’avait pas vraiment parlé du poste en lui-même.

« Pour être certaine d’avoir bien compris quel est le rôle du Département des Transports. Vous pensez donc mettre en place un système permettant de tracer les déplacements de certains individus qui sont sous surveillance du département de la Justice Magique, c’est bien ça ? On aurait donc un rôle d’assistant de ce département ? »

Ce serait tellement classe d’aider à l’arrestation de vils criminels, Azénor n’arrivait pas à croire en sa chance. De petite stagiaire, elle allait passer à défenseur de la population magique, dans l’ombre d’accord mais c’était déjà plus qu’elle n’aurait jamais imaginé.

« Et ce suivi, il concernerait quels déplacements : les Cheminées, les Portoloins, le Transplanage, les autres déplacements ? J’avoue être un peu plus à l’aise concernant le sujet des Cheminées même si j’ai aussi travaillé dans les autres services et pourrait très bien m’en sortir ! »

Azénor eut la parfaite réaction que Marcus escomptait. De toute évidence enthousiaste et fière d’avoir été choisie, elle appuya sur l’importance que revêtait la lutte anti-terroriste, signe qu’elle avait bien compris les enjeux de sa nouvelle mission. Satisfait et certain d’avoir trouvé là une employée qui saurait répondre à ses attentes, Marcus conclut ces propos :

« Tout-à-fait, Azénor, c’est une menace à prendre très au sérieux, et il est de notre devoir de le faire, et surtout, de le faire comprendre à la population. Nous n’allons pas tarder à exposer publiquement le projet de ce nouveau service, mais pour le moment, je te demanderai de garder le silence là-dessus. »

C’était le genre d’information qu’il valait mieux laisser au service communication la tâche de la livrer. Marcus était convaincu du bien-fondé de son projet, mais il y aurait forcément des critiques, c’était sûr. Il y en aurait moins en revanche, s’ils restaient maîtres de la façon dont le nouveau service serait présenté... Prêtant l’oreille aux questions suivantes d’Azénor, il rebondit :

« C’est à peu près cela. En vérité, les déplacements de n’importe quel individu utilisant nos services seront traçables, car l’idée est d’apposer un dispositif de contrôle à chacun de nos récepteurs, qu’il s’agisse de Cheminettes, de Portoloins, et autres… Cependant, pour des questions de droit à la vie privée, ce sont des informations qui resteront confidentielles au sein de notre département, et seules celles que réclame la Justice Magique pourront être sorties des dossiers. Il s’agit simplement d’offrir un outil supplémentaire à nos Aurors et Miliciens de pouvoir pister leurs suspects. »

Guettant les réactions de la jeune femme, il poursuivit, sur ses inquiétudes :

« Je sais que tu t’es surtout occupée du réseau de Cheminettes, puisque ton maître de stage était Jason Calder, mais ce n'est pas un problème, tu pourras parfaire tes aptitudes dans tous les réseaux, si tu acceptes ce poste. Et il en revint au point central de l’entretien, offrant un sourire avenant à Azénor.  Qu’en penses-tu ? A voir ton enthousiasme, j’ai l’impression que c’est un oui, mais je peux te laisser quelques jours de réflexion avant de signer le contrat, si tu le souhaites. »

Les paroles de son directeur de département ramenèrent le sérieux sur son visage, certes elle débordait de joie à l’idée de sa promotion et de la confiance dont elle témoignait mais le sujet était grave elle en avait bien conscience. La vie politique du Royaume-Uni magique se ternissait et en tant que représentante du Ministère, elle se devait de prendre tout cela très au sérieux.

« Soyez certain que je serais des plus discrètes sur le sujet, cela ne devrait pas poser trop de problème, les gens sont habitués au secret professionnel ! »

Elle ne pouvait lui offrir une garantie du type « je ne parle jamais de mon travail à l’extérieur », ç’aurait été un mensonge et elle tenait à rester droite face à son directeur. Par contre, elle savait que le poids de sa mission lui permettrait de garder sa bouche fermée sur les sujets sensibles. Toutefois l’annonce prochaine du projet lui rendrait la tâche bien plus facile, elle le savait.

Azénor était impressionnée par le projet que lui exposait Mr Peyne. Elle était surprise d’apprendre que le Ministère serait à même de connaître les déplacements de n’importe quel sorcier, ayant tout d’abord pensé qu’il ne s’agirait que des criminels mais la logique de la situation se fit peu à peu dans son esprit. On ne savait qui étaient les criminels, il fallait donc pouvoir surveiller tous les sorciers pour pouvoir retrouver parmi eux ceux qui étaient dangereux. Il en allait de leur sécurité à tous alors Azénor voulait bien accepter quelques concessions telles que savoir que le Ministère saurait quand elle était chez ses parents ou à Londres, quand elle allait faire du shopping ou quand elle allait boire un verre avec ses amis et rentrait à une heure bien trop tardive alors qu’elle devait travailler le lendemain. Elle faisait confiance au Ministère, elle n’avait rien fait de mal alors ces informations resteraient dans un carton. Il faudrait sans doute ouvrir une nouvelle salle dans les archives d’ailleurs !

« Le projet m’a l’air des plus censé, je trouve rassurant de voir que le Ministère met tout en œuvre pour protéger ses citoyens ! Il me semble important de prévenir la menace dont on commence à entendre parler. »

Pour sûr, elle serait ravie de prendre partie à ce projet toutefois elle voulait montrer son sérieux et les décisions précipitées n’étaient pas forcément bien vues. Elle prit donc son temps avant de répondre à la question de Mr Peyne.

« Vous êtes un homme perspicace, monsieur, et je ne peux vous cacher que cette offre est plus qu’intéressante. Le projet m’intéresse et je serais ravie d’y prendre part. Toutefois, j’aimerais avoir quelques informations supplémentaires concernant les modalités pratiques de cet emploi. Quels seraient les horaires, le salaire, ce type d’informations. »

Quoiqu’on en pense, Azénor avait reçu une éducation de sang-pur aussi n’était pas aussi désarçonnée qu’il n’y paraissait dans ce type de situation.

Marcus vit qu’Azénor était convaincue non pas simplement comme une employée qui se voyait offrir une promotion intéressante, mais véritablement comme une citoyenne qui approuvait le projet. Et cela le rassura sur la viabilité de son idée, car Azénor ne serait certainement pas la seule à avoir cet avis. Même s’il y aurait des critiques, car on critiquait plus ou moins à voix basse la politique assez interventionniste du FREE, Marcus croyait au fait que l’opinion serait globalement favorable. Ils traversaient des temps troublés, et il fallait face aux menaces trouver des réponses adéquates.

Mais Marcus ne se leurrait pas non plus sur ses propres motivations, il s’agissait autant pour lui de prévenir les conflits que de conserver le pouvoir, et cet instrument de surveillance devrait permettre au FREE d’asseoir son emprise sur le pays. C’était quelque chose que les citoyennes confiantes comme Azénor ne percevaient pas forcément, et Marcus ne comptait pas éclairer sa lanterne sur ce point. Pour ce projet, mieux valait des employés obéissants et confiants.

A sa question, Azénor ne lui opposa que quelques préoccupations matérielles que tout salarié normalement constitué avait. Marcus sut alors que la partie était gagnée, car le contrat qu’il lui proposait était, il le savait, plus tranquille et plus intéressant financièrement qu’un contrat de stagiaire, Azénor s’en rendrait bien vite compte.

« C’est tout à fait normal et je vais te laisser prendre connaissance de ces clauses en te laissant ces fiches d’information sur le poste, dit t-il en fouillant dans ses papiers pour les retrouver. Globalement, tu t’apercevras que le poste est assez confortable et fonctionne sur des roulements réguliers, car il faut pouvoir accéder à la surveillance à n’importe quel moment. Une fois que nos dispositifs seront installés sur l’ensemble du pays, il y aura de temps à autre de la maintenance à faire, cela fera partie de tes missions et on t’apprendra à le faire. Mais l’essentiel de ton travail sera ici, dans les bureaux, à établir les dossiers que la Justice Magique te réclamera, sur les personnes dont on souhaite surveiller les déplacements. »

Il tendit la paperasse à Azénor et la laissa la consulter à sa guise. Leur entrevue ne tarda pas à toucher à sa fin, il l’amena assez vite à prendre congé, en la conduisant à la porte de son bureau. Toutefois, il posa une main paternelle sur son épaule, avant qu’elle ne quitte la pièce, pour lui adresser une dernière recommandation :

« Le contrat est dans le dossier que je t’ai fourni, je te laisse deux jours pour prendre ta décision, Azénor. Tu le déposeras auprès de ma secrétaire, si tu souhaites le signer. Sache que tu seras la plus jeune de l’équipe que je cherche en constituer, mais ça ne doit pas être un obstacle pour toi. Je crois que tu as beaucoup de potentiel. »

Il offrit un dernier sourire à la jeune fille, après ce compliment qui achèverait de la convaincre, il en était sûr. A force d’expérience, Marcus avait appris les bons résultats qu’on obtenait auprès de ses employés, quand on soignait sa réputation de « bon patron ».