Scribouillages et patacitrouilles [Abigail Scavo]

Jeudi 18 juin 2009, temps de midi.

Les deux coudes posés sur la table, légèrement penchée en avant, Abigail posait sur son voisin d'en face un regard acéré.

"Non, tu ne peux pas dire ça, Najib. Bien sûr que la presse ne peut pas tout dire, surtout en cas de crise comme aujourd'hui ! Certains propos sont illégaux, ils encouragent à la haine, à la diffamation ou constituent des discriminations et il est tout à fait normal que les journaux qui les impriment ou les radios qui les diffusent soient réprimandées ! Personne n'a envie de revoir venir les mardoliens ou les terroristes, pas vrai ?"

Face à elle, le jeune garçon prit le temps de réfléchir à ses propos, triturant sa cravate bronze et bleue entre ses mains malhabiles. Najib était une grand garçon longiligne de son année, qui avait fait sa poussée de croissance avant tous les autres, aux traits sévères que démentait deux prunelles noires et malicieuses. Ses débats avec Aby, quasi-quotidiens, étaient peu à peu en train de devenir célèbres au sein de leur année, et tous les guettaient pour écouter et y mettre leur grain de sel. Aby aimait bien échanger avec Najib qui avait des avis construits, était très cultivé et ne s'énervait jamais. Le sujet du jour était un thème qui lui tenait particulièrement à coeur, le journalisme...

"T'as pas tort, mais qui nous dit que c'est pas le gouvernement qui pousse la censure un peu trop loin parfois, quand ils n'ont pas envie qu'on pointe du doigt ce qu'ils font de travers ?"

"Mon père a pu monter The Marchebank Time librement", rétorqua-t-elle en haussant les épaules.

"Avec un nom pareil, tu m'étonnes..."

"Bah écoute, t'as qu'à venir au club de journalisme et on verra bien si on est libres d'écrire ce qu'on pense ou non !"

"Touché", admit Najib avec un sourire gracieux. Sa camarade essayait activement de le débaucher pour son club depuis quelques jours, car elle était persuadée qu'il ferait un bon journaliste en herbe et car les prétendants ne se bousculaient pas au portillon. Après l'année tendue qu'ils venaient de passer, les élèves semblaient plus enclins à mener une vie tranquille dans l'ombre de leurs camarades qu'à briller par une activité qui pouvait vite se heurter à des considérations politiques... Mais Aby ne perdait pas espoir. Elle avait encore tout l'été et la rentrée pour trouver une équipe motivée et dynamique !

La jeune fille croqua dans un donut avec enthousiasme et s'apprêtait à relancer la conversation lorsqu'une demi-portion aux couleurs verts et argent se glissa à côté d'elle. Pas timide pour un sou, le garçon, dont elle ne se rappelait pas le nom mais qui devait être en première année, commença à lui parler de son projet de club de journalisme. Aussitôt, un sourire ravi illumina le visage de l'adolescente, qui ne put s'empêcher de décocher un regard entendu à Najib. Son projet allait être un réel succès !

"Oui, en effet, je voudrais lancer ça pour la rentrée, dès septembre ! Ca serait un journal de l'école bien sûr, à destination des élèves, des profs, et si ça marche bien, pourquoi pas les parents d'élève aussi comme ça ils auraient un peu des nouvelles de la vie extra-scolaire avec les clubs, les résultats sportifs, des portraits, des jeux, des chroniques et des articles plus approfondis sur des sujets divers, portant sur l'actualité de l'école ou de l'extérieur..."

Elle ouvrit les bras comme pour englober la multitude de possibilités qui s'offraient à eux : "On est assez libres en fait, ça s'appellerait Miniplettes, parce que le club serait sous la responsabilité de Mildred Magpie, comme le club de théâtre !"

Un petit reniflement se fit entendre de l'autre côté de la table, et elle tira la langue avec effronterie en direction de Najib. Oui, Mildred Magpie était une personnalité particulière et son journal n'était bien sûr pas de la même qualité journalistique que celui du père d'Aby, mais cela restait une femme extraordinaire aux yeux d'Aby ! Elle avait réussi à mener sa carrière avec succès, et Multiplettes était désormais le quotidien à plus grand tirage du pays, détrônant même la Gazette ! Qui plus est, elle avait des qualités de pédagogue que les enseignants de l'école lui reconnaissaient volontiers puisque les élèves étaient souvent bien plus intéressés par ses ateliers que par leurs cours... Aby la première, d'ailleurs, car elle avait enfin trouvé un adulte intéressé par l'idée de faire vivre un journal de l'école. Bientôt, la jeune fille serait en quatrième année et elle s'estimait désormais assez expérimentée pour être la rédactrice-en-chef d'un petit hebdomadaire ou d'un bi-mensuel, avec l'appui d'une adulte. Les quelques élèves qui l'avaient contacté depuis qu'elle avait posé ses affiches étaient assez jeunes, comme Max, mais il n'y avait pas d'âge pour écrire...

"Ca t'intéresserait ? Et au fait, comment tu t'appelles ?"

Au ton triste de son interlocuteur, Aby réalisa qu'elle avait commis une gaffe en ne le reconnaissant pas. Et c'était vrai que, maintenant qu'il le disait, Aby parvenait à le replacer, mais ils étaient nombreux au club de théâtre et elle avait tendance à ne pas faire très attention aux plus petits que soi. Ce qui était une erreur, comme elle le constatait maintenant, parce que les première année, eux, faisaient attention !

"Oh, oui, Max, bien sûr, excuse-moi, je ne suis pas bien réveillée."

Heureusement, le jeune Serpentard ne sembla pas lui en tenir rigueur puisqu'il se lança dans l'inventaire de toutes les choses qu'il pourrait faire pour Miniplettes. Le sourire d'Abigail s'agrandit au fil de ses propos, heureuse d'avoir trouvé un nouveau membre motivé et plein d'idées. Après tout, c'était bien beau de vouloir faire un journal, mais toute seule elle n'arriverait à rien... Aussi, elle était ouverte à toutes les candidatures, y compris celles des "pas fada des clubs". Suivant le regard de Max, elle tenta d'identifier son copain à la table des Poufsouffle, avant de reporter son attention sur lui :

"Ce serait super s'il était motivé aussi, je suis sur qu'il apprendrait plein de choses dans un club, et c'est une bonne façon de se faire de nouveaux amis, entre les maisons et les groupes d'âge !"

C'était ainsi qu'elle avait vendu son projet à l'équipe pédagogique, en tout cas. Ces temps-ci, c'était un argument qui faisait mouche. Elle but une gorgée de son jus de citrouille pendant que Max lui exposait son idée de bande dessinée. En théorie, elle trouvait l'idée sympa : plein d'hebdomadaires avaient un dessinateur attitré, qui leur faisait une bande dessinée à chaque numéro, ce qui ajoutait de l'humour et donnait envie aux lecteurs de lire le prochain... Mais avant d'accepter, elle voulait avoir un aperçu des talents de ce jeune Max.

"C'est une super idée, Max, c'est clair que Miniplettes va avoir besoin d'un ou plusieurs dessinateurs ! Tu penses à quel genre d'anecdote, des trucs sur la vie de tous les jours, ici à Poudlard ? Et tu crois que tu pourrais me faire un essai, pour me montrer un peu ce que tu as en tête et comment tu dessines ?", s'enquit-elle, avant de mordre dans une viennoiserie.

C'était qu'elle était ambitieuse, Aby, et elle tenait à ce que son journal soit une réussite. Chacun avait son talent particulier à apporter à l'entreprise, c'était certain, mais elle serait une rédactrice-en-chef vigilante, pour s'assurer notamment que le contenu de ce qui était rapporté dans son journal ne froisserait pas Mrs Magpie ou l'équipe enseignante. Elle ne voulait pas de terroristes en herbe anti-ministère, par exemple, comme il pouvait en exister dans l'école... Mais elle doutait avoir à se faire des soucis avec une demi-portion comme Max. A onze ans, on s'intéresse plus au Quidditch qu'à la politique, et le jeune homme ne semblait pas faire exception !

"Ca va, tu penses que tu arriveras à gérer le journal, en addition du théâtre, du Quidditch et des cours ?", demanda-t-elle également, soucieuse de ne pas voir des collaborateurs l'abandonner en cours d'année parce qu'ils avaient eu les yeux plus gros que le ventre.