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Fire meet gazoline [Abel]

Isobel Lavespère
Isobel LavespèreChargée de communication
Messages : 1166
Profil Académie Waverly
Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeLun 20 Juil 2015 - 21:21
1er Mai 2009

Un léger brouillard flottait au dessus des pavés de la Cité Cosmos lorsque Isobel transplana sur les coups de trois heures du matin, troublant ainsi la quiétude de la nuit dans un craquement sonore. Ce n'était pas la première fois qu'elle venait, elle avait assisté à plusieurs réunions d'études dans le cadre de son travail mais c'était toujours de jour, avec ses collègues et surtout pas dans un tel état de nerfs. Il n'était pas vraiment usuel pour elle de perdre à ce point son calme mais cela n'avait rien à voir avec une quelconque douceur dans le caractère, c'était bien plus trivialement un simple moyen de garder un contrôle systématique sur toutes les situations qu'elle pouvait rencontrer. Cette petite politique lui avait toujours bien réussi et pendant des années, Isy avait mené sa vie d'une main de fer dans un gant de velours, ne tolérant aucune interférence et s'arrangeant toujours pour obtenir ce qu'elle désirait même si elle devait employer pour cela des moyens contestables, que ce soit par ambition, vengeance voire même les deux à la fois.

Et puis il y avait eu Abel.

Abel, qui pouvait la qualifier de peste manipulatrice autant qu'il le voulait mais qui avait sciemment préparé sa petite mise en scène pour venir la trouver aux Folies Sorcières le soir de son anniversaire il y avait un peu moins de six mois. Abel, qui pouvait clamer à qui pouvait l'entendre qu'elle l'avait trahi mais qui n'avait pas hésité à lui planter un couteau mille fois plus personnel dans le dos dès qu'il en avait eu l'occasion. Abel, qui semblait, pour des raisons contestables aux yeux d'Isobel, prendre un malin plaisir à lui nuire tout en l'ignorant sciemment dès qu'ils venaient à se croiser. Abel, qui pouvait se vanter de disposer d'un talent rare : celui de la mettre absolument hors d'elle.

Lorsque Roy était venu la trouver au sujet de sa mère, l'angoisse et la colère s'étaient disputés dans son esprit dans un premier temps mais au fil de la conversation et surtout au fil de sa réflexion, c'était la deuxième émotion qui avait pris le dessus. Il avait osé. Dans les faits, il aurait sûrement pu faire pire, elle n'avait pas besoin de réfléchir pour faire une liste longue comme le bras des informations dont Abel disposait sur elle et qui pouvaient lui nuire, ne serait-ce que sur le plan professionnel lorsque ce n'était pas pénal. Mais contacter sa mère, avec qui elle avait entretenu pendant des années une relation tumultueuse, relation que Abel connaissait parfaitement, c'était mille fois plus personnel. Il savait à quel point elle en avait souffert pendant des années, il savait à quel point elle avait été blessée des centaines de fois par l'attitude de sa mère, il avait été là à chaque fois, à chaque remarque de Sophie qui l'ébranlaient toujours bien plus qu'elle ne voulait l'admettre, il avait été là à chaque fois qu'elle avait claqué la porte de chez elle parce qu'elle n'en pouvait plus, il avait été là à chaque fois qu'elle disparaissait sans laisser de traces en la laissant toute seule. Il savait tout cela et il l'avait fait malgré tout. Non, plus que ça : il savait tout ça et il l'avait fait justement parce qu'il savait. Et c'était sûrement ça, le pire.

Pour la deuxième fois en six mois, Isobel avait laissé la colère prendre le pas sur elle et pour la deuxième fois en six mois, cela serait face à Abel. Elle n'avait même pas attendu le lendemain matin pour aller le trouver, elle n'avait même pas attendu une heure après le départ de Roy : elle s'était habillée rapidement et avait transplané. Ils s'étaient ignorés depuis ce fameux soir du trente-et-un décembre mais cette fois-ci, c'était terminé. Qu'est-ce qu'avait cru Abel ? Qu'après avoir découvert qu'il avait osé lui envoyer sa mère, elle ne ferait rien en retour ? Qu'elle le remercierait, peut-être ? Qu'elle lui serait reconnaissante ? Qu'elle viendrait s'extasier sur la merveilleuse idée qu'il avait eu pour la remettre dans le droit chemin ? Heureusement qu'il était là, n'est-ce pas ? Que ferait-elle sans le grand et sage Abel pour venir lui faire la morale ? Pour venir lui donner une leçon, comme une enfant qui n'avait pas été sage ? Qu'est-ce qu'elle avait bien pu faire sans lui et sa grande mansuétude durant toutes ces années, hein ?

Faisant fi du bruit qu'elle pouvait faire à cette heure tardive, Isobel avait tapé quelques coups secs à la porte d'Abel. Elle avait récupéré son adresse par sécurité en découvrant qu'il était en Angleterre et elle n'avait pas eu besoin de beaucoup chercher pour retrouver le parchemin sur laquelle elle était griffonnée. Elle avait la respiration un peu courte et la colère faisait légèrement trembler ses mains tandis que la vision du battant toujours fermé ne faisait que renforcer son humeur. Frappant de nouveau, un peu plus fort que la première fois, Isobel caressa l'idée de forcer la porte avec un sortilège juste au moment où cette dernière s'ouvrit sur le visage d'Abel. Elle n'eut même pas besoin de réfléchir à ce qu'elle devait lui dire, la rage parla pour elle et sa main vint délivrer à son compatriote une gifle retentissante dans laquelle elle mit toute sa force.

- T'es vraiment le pire des crevards ! cracha-t-elle avec colère tandis qu'elle devait serrer le poing pour ne pas le frapper encore. Ça t'a apporté quoi, hein ? Tu t'es bien fait plaisir, ça y est ?


« I never knew you were the someone waiting for me »
Abel Laveau
Abel LaveauArchimage urbaniste
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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeMar 21 Juil 2015 - 2:10
Deux choses étaient sacrées pour Abel : les ancêtres et le sommeil. Qu’on se le dise, il aimait à peu près autant hiberner sous sa couette que voguer à la découverte de nouveaux horizons. Il se justifiait en disant que c’était précisément parce que ses journées étaient pleines qu’il avait besoin d’une bonne nuit de sommeil. C’était ainsi, les faits l’avaient prouvé, un Abel sans minimum huit heures de sommeil au compteur était un Abel grincheux et muet -plus que d’habitude, s’entend.  Ces derniers temps, les choses étaient plus compliquées. Leopoldgrad rendait ses nuits plus délicates. A cause de l’adrénaline et du stress motivés par le projet, comme à chaque fois qu’il avait une grosse commande à gérer, Abel avait du mal à s’endormir et plonger dans un vrai sommeil. Le bruit le réveillait plus facilement, ses rêves étaient hantés de solutions éphémères et d’hypothèses décousues sur les questions qu’il se posait. Bref, lui qu’il fallait venir réveiller avec un Sonorus en temps normal avait l’ouïe assez sensible cette nuit-là : suffisamment pour que l’information qu’on frappait à sa porte lui parvienne au cerveau…

Qui osait ? Si c’était Klemens Dabroski qui avait besoin d’un service en pleine nuit ou ce genre de chose, il allait l’entendre, ou plutôt, sentir le froid glacial dans son regard. C’était un gentil voisin, mais il y avait des limites. Se levant tel un bourreau se préparant à se rendre sur le lieu de l’exécution, Abel ne pesta même pas, ni trébucha sur rien. Il se leva comme si une force l’avait poussé à le faire, comme si ce n’était pas tout à fait lui dans ce corps qui se dirigeait d’un pas automatique à la porte d’entrée : bref, il n’était pas réveillé du tout. Et la gifle qu’il reçut en ouvrant la porte n’eut même pas le mérite de le réveiller complètement. En fait, sur le coup, il crut avoir rêvé, un peu comme s’il était encore dans la dimension parallèle du songe qu’il avait laissé en se levant et qui trottait encore dans sa tête.

Mais non, décidément, cette douleur sur sa joue était bien réelle. Saisissant de ses longs doigts sa mâchoire comme pour la replacer, Abel mit un certain temps à percuter que c’était Isobel qui se tenait dans l’obscurité, dans un état de fureur qu’il avait rarement vu chez elle, même en fouillant dans ses souvenirs. Le contenu de ses paroles suscita quelques interrogations en lui auxquelles il ne trouva pas la réponse tout de suite, mais la forme le dérangeait déjà. Sa main passa sur le reste de son visage creusé.

« Mmff… Bien articulé, Abel. On est obligés d’avoir cette discussion là tout de suite ? » Attendez, il était sensé s’indigner de la gifle d’abord ! « Et t’étais pas forcée de me gifler pour me réveiller. »

A moins que ce n’était pas pour le réveiller, elle avait l’air vraiment en colère. Etrangement, cette situation était familière à Abel, pas parce qu’il l’avait déjà vécue mais parce qu’il l’avait… attendue. Un certain temps, quelques mois plus tôt, avant de la reléguer dans un coin de sa mémoire, parce qu’elle ne se décidait pas à se produire, il avait même presque oublié cette histoire. Il s’était joué de multiples scénarios dans sa tête, tant et si bien que la réaction violente d’Isobel ne l’étonnait pas : c’était même exactement ce qu’il avait prévu.

Oui, Abel était capable de fourberie. Il n’avait rien volé de son ascendance, et les Laveau n’avaient rien des conciliants sorciers pour lesquels on les faisait passer. Le plus calme des océans était capable des pires tempêtes, c’était un fait qu’Abel illustrait parfaitement. Il suffisait simplement de creuser les profondeurs de sa personnalité, pour s’apercevoir qu’il renfermait ses démons, derrière son apparente placidité. Il fallait le pousser dans ses retranchements, pour qu’il ressorte cette part de lui-même, bien enfouie la plupart du temps. Isobel avait toujours été l’une des quelques personnes capables de faire ressortir le meilleur de sa personnalité. Désormais, elle ne semblait pouvoir faire ressortir que le pire. Leur rencontre au cabaret de Bristol avait scellé quelque chose en Abel à son sujet. C’était comme si elle avait anéanti les quelques restes d’espoir qu’il avait, comme si désormais, il n’avait plus rien à perdre. Pourquoi se fatiguer, franchement, quand la fille qu’il avait cru connaître et aimer bafouait tous leurs souvenirs sans une once de pitié ? Pourtant, même là, même après cette rencontre, Abel n’en était pas encore arrivé au point de non-retour. Il avait juste décidé de rejeter toute cette part de son passé, de repousser purement et simplement tout ce qui concernait Isobel hors de lui-même : il n’avait jamais été important, soit, il allait l’oublier aussi. Il y avait eu trop d’énergie perdue dans cette relation démantelée. Il aurait pu s’en tenir là, en ravalant toute son amertume, en faisant un certain travail sur lui.

Et puis il y avait eu cette visite. Un mafieux arrogant, qui s’était permis de le violenter dans son propre appartement, et de le menacer au sujet d’Isobel, l’invitant -que le mot était ironique- à se tenir loin d’elle. Un moment, il avait songé à porter plainte… Avant de décider qu’un Laveau savait très bien régler ses comptes seul. Oh sa cible n’était nullement ces mafieux sans loi, il allait s’attaquer directement à la source du problème, qui s’était sentie suffisamment menacée pour lui envoyer cette visite surprise. Car Abel avait compris quelque chose : si Isobel avait réagi de la sorte, c’était mue par la peur. Et si elle avait peur… Alors c’est qu’elle considérait qu’il pouvait encore avoir une influence sur sa vie, contrairement à ce qu’elle lui avait balancé aux Folies Sorcières. Elle avait menti quelque part, il y avait quelque chose qui clochait depuis le début, de toute façon.

Cette simple déduction avait redonné une bonne dose d’énergie à Abel pour se relancer dans la bataille, mais une énergie bien plus malfaisante que celle de son premier élan. Ce fut autant l’envie de se venger que de ramener Isobel à ses devoirs qui motiva l’archimage à saisir sa plume. Il n’avait pas réfléchi longtemps. Sitôt son plan en tête, il s’était lancé : parfois, trop réfléchir empêchait d’agir, et il avait suffisamment tourné le cas Isobel dans sa tête. N’avait t-il pas suffisamment attendu ? Puisqu’Isobel s’obstinait, il allait employer les grands moyens, voilà tout. C’est précisément parce qu’il connaissait exactement les points faibles d’Isobel qu’il savait où appuyer pour la faire réagir.

Et ce n’était pas tant le plaisir de la voir se sentir trahie à son tour, que celui de constater que la présence de sa mère la rendait fébrile qu’Abel avait recherché. Il avait l’impression de tenir face à lui la preuve qu’Isobel n’avait rien renié de son passé, contrairement à ce qu’elle voulait faire croire : elle avait gardé l’amulette de sa mère autour de son cou, et désormais, la simple venue de sa mère la faisait réagir avec une violence rare. Et elle voulait lui faire croire qu’ils ne lui importaient plus ? Alors que même en dehors de tout ça, leur histoire, leurs familles, Abel sentait qu’elle était incapable de se barricader derrière l’indifférence. Il la sentait crispée en sa présence au boulot, puis dès qu’il s’éloignait un peu, elle retrouvait l’aisance qui lui avait valu ce joli poste au Ministère.

Abel n’était ni aveugle, ni idiot, même à trois heures du matin, et se rappeler tout ça venait de le réveiller complètement tiens. Après un certain temps sans parler, il cessa de s’avachir contre l’encadrement de sa porte, se redressant de toute sa hauteur face à Isobel en croisant les bras dans une posture défensive, répondant d’un ton contrôlé, un poil incisif :  

« Oui, ça me fait bien plaisir. Ca me fait bien plaisir de voir que je ne me suis pas trompé à ton sujet. Non seulement tu es égoïste, mais tu n’as même pas le courage d’assumer ce que tu as fait. Tu n’as tellement pas le courage que tu préfères me faire croire qu’aucun de nous n’a jamais compté pour toi. Et quand on te met face à ton passé, tu réagis comme si j’avais levé le voile sur ton pire secret. Un léger sourire ironique vint soulever le coin des lèvres de l’archimage. Du calme, Isobel. Ce n’est que ta mère. »


Abel Laveau
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Isobel Lavespère
Isobel LavespèreChargée de communication
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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeMar 21 Juil 2015 - 3:13
La claque retentissante qu'elle avait infligé à Abel n'avait même pas eu le mérite de la calmer et Isobel fixait son ancien ami avec un regard meurtrier, incapable de retrouver un semblant de calme alors qu'il passait lentement sa main sur sa joue. Cela faisait des mois qu'Isobel vivait dans l'angoisse qu'Abel fasse quelque chose, des mois qu'elle était dans l'expectative, suspendue à peurs et aux possibilités plus terrifiantes les unes que les autres qui s'imposaient à son esprit lorsqu'elle ne trouvait pas le sommeil et passait des heures et des heures dans son lit à se retourner. Toutes les tensions de ces derniers mois, toute la rancoeur et la peur accumulés sans parler de la rage explosaient à cet instant très précis alors qu'elle faisait face à Abel, fulminante. En plus des sentiments violents que ce dernier faisait naître chez elle, sa pratique intensive de la magie de ces derniers mois n'aidait pas Isy à garder son calme. Elle touchait à des sortilèges sombres qui influaient sur la manière dont elle gérait ses émotions et notamment la colère. La plupart du temps, elle arrivait à composer plus ou moins avec et mettait ses petits pics d'agressivité sur le compte du stress qu'elle ressentait au travail, tiraillée entre plusieurs projets de grande envergure, mais cette nuit-là, elle était incapable de réguler quoi que ce soit. La manière dont il lui répondit n'arrangea pas les choses et elle eut envie de lui décrocher une deuxième gifle pour le sortir de son apparente torpeur ensommeillée.

- Tu te fous de moi ?! s'insurgea-t-elle lorsqu'il demanda s'ils étaient vraiment obligés d'avoir cette conversation maintenant. Il pensait quoi ? Qu'elle allait sagement rentrer chez elle et revenir selon les bonnes disponibilités de Monsieur Oh, j'aurai pu faire mille fois pire, crois-moi, persiffla-t-elle avec un regard noir.

Cette situation était surréaliste. Elle était venue pour en découdre une bonne fois pour toute avec lui, pour mettre fin à cette situation qui pourrissait lentement et qui la rendait folle à force d'attendre. Quelque part au fond d'elle, Isobel ressentait une certaine forme de soulagement car elle pouvait enfin faire quelque chose même si ce quelque chose consistait à décharger toute sa rage sur Abel à trois heures du matin. Rester dans l'attente à guetter quelque chose qui pouvait bien arriver n'importe quand que ne jamais se produire aurait fini par mal tourner, si ce n'était pas déjà le cas. Elle soutint le regard d'Abel tandis qu'il la fixait sans dire un mot, croisant ses bras sur sa poitrine pour retenir les étincelles qu'elle sentait courir dans ses mains. La respiration courte, elle suivit des yeux son mouvement pour se redresser tandis qu'elle relevait le menton. Il avait beau la surplomber de vingt bons centimètres, sans parler du fait qu'il devait sans doute avoir mille fois plus de force qu'elle, Isobel n'avait pas peur d'Abel et elle envisageait encore très sérieusement de le frapper encore une fois pour voir si cela avait plus d'effet que la seconde fois. Elle n'avait jamais été quelqu'un de très pacifiste mais tout atteignait des sommets cette nuit-là.

Son regard se durcit plus encore lorsqu'il ne chercha même pas à nier ce qu'il avait fait. L'espace d'un instant, l'espace d'un infime instant, Isy aurait voulu croire qu'il n'avait pas fait cela, qu'il n'avait pas osé lui faire cela mais elle relégua ce bref moment de faiblesse au plus profond d'elle-même devant le ton tranquille d'Abel. Elle leva volontairement les yeux au ciel devant son petit discours sur son égoïsme et sa lâcheté même si elle avait senti ses doigts se crisper sur le tissu de sa veste. Par pure insolence, par pure provocation, elle vrilla ses yeux dans ceux d'Abel et cracha un « Tu me sers du réchauffé. » en référence à ce qu'il lui avait déjà dit six mois auparavant lorsqu'ils s'étaient retrouvés face à face aux Folies. Assumer ce qu'elle avait fait... La remarque lui donna envie de pousser un cri de rage tant elle n'arrivait pas à comprendre la manière dont il pensait. Elle n'avait de comptes à rendre à personne. Elle était une adulte, elle n'appartenait à personne et elle prenait ses décisions comme elle l'entendait. C'était sa vie, ses choix et elle n'avait pas à assumer quoi que ce soir auprès de sa famille. C'était tellement frustrant qu'Abel ne semble pas comprendre ça qu'elle avait envie de lui hurler dessus pour lui faire entrer de force dans l'esprit. Elle aurait pu. Elle aurait pu se mettre à hurler de toute la force de ses poumons pour enfin lui faire comprendre, elle aurait pu hurler jusqu'à ne plus avoir d'elle et qu'enfin, enfin il réalise cet état de faits. Elle aurait pu, oui. S'il n'y avait pas eu la provocation de trop.

La petite réplique d'Abel prononcé avec un léger sourire ironique coupa l'espace d'un instant la voix d'Isobel, étouffée par tant de... de... Elle n'en n'avait même plus les mots et le fixa sans rien dire l'espace d'un instant, soufflée par la rage et par toutes les insultes qui se bousculaient dans son esprit, par toutes les injures. Elle allait le tuer. Littéralement. Elle allait le tuer tant la rage qui se bousculait dans son cœur était importante.

- Espèce de...

Sa main se leva de nouveau mais celle d'Abel se referma sur son poignet avant qu'elle n'ait pu atteindre sa cible. Elle ne chercha même pas à se débattre même si l'envie de lui faire mal était encore bien présente et se contenta de l'assassiner du regard sans chercher à dissimuler la haine qui avait envahi ses traits à cet instant précis.

- Va en enfer, attaqua-t-elle. Comment est-ce que tu as pu seulement oser ?

C'était l'une de ces rares fois où Isobel perdait ses mots, elle qui était si douée avec. Elle fixait Abel avec rage, persuadée qu'à cet instant précis, elle pourrait tout faire contre lui.

- Appelle-moi traîtresse autant que tu veux, cracha-t-elle, mais la pire des enflures, c'est toi.

Elle, elle était partie, elle lui avait tourné le dos. Mais jamais elle ne se serait servi du lien qui les avait uni contre lui. Il y avait des choses que même Isobel ne ferait jamais. Abel ne s’embarrassait visiblement pas des mêmes considérations.

- La pire des trahisons, c'est pas la mienne.


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Abel Laveau
Abel LaveauArchimage urbaniste
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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeMar 4 Aoû 2015 - 1:50
Même dans ses plus lointains souvenirs, Abel ne se souvenait pas avoir déjà vu Isobel aussi fulminante, et pourtant, elle avait toujours eu un fort caractère. Alors il était assez contemplatif de l’état dans lequel il avait réussi à la mettre. Mais c’était sûrement en partie parce qu’il était trois heures du matin, et par conséquent, Abel avait quelque peu perdu en instinct de survie. La dernière provocation devait être celle de trop, comprit t-il à la lueur de choc et de fureur qui s’alluma dans le regard d’Isobel. Mais l’archimage ne regretta rien de ce qu’il venait de dire. Oui, il avait voulu la secouer, aussi violemment que possible, parce qu’il voulait la faire réagir. Le simulacre de discussion qu’ils avaient eu des mois plus tôt aux Folies n’avait apporté aucune des réponses qu’Abel attendait. Elle ne lui avait rien expliqué du tout, elle s’était contenté de se braquer et de l’envoyer sur les roses, pour rester poli. Il n’avait pas attendu seize ans et traversé l’océan Atlantique pour essuyer un tel échec, de gré ou de force, il allait la faire parler, car rien n’était plus dur pour Abel que de ne pas comprendre. Il n’en était même plus à l’étape de chercher à ramener Isobel auprès d’eux, si ce n’était pas ce qu’elle voulait, tant pis, il n’insisterait pas. Cela faisait de toute façon un moment qu’il avait compris qu’il ne pourrait jamais retrouver avec elle ce qu’ils avaient pu avoir dans leur passé. Mais pour faire son deuil de leur relation, en quelque sorte, il avait besoin de réponses, et de vraies réponses cette fois. Des explications sincères, pas le tissu de mauvaise foi qu’elle lui avait servi la dernière fois pour s’échapper.

Alors, contrairement à ce qu’Isobel avait l’air de s’imaginer, il n’avait pas fait cela gratuitement, par pur esprit de vengeance, mais avant tout pour obtenir ces explications qu’elle avait refusé de lui donner. Et cela passait par l’acculer dans ses derniers retranchements. Il intercepta la main qu’elle leva vers lui, cette fois, aussi bien pour l’empêcher de le gifler à nouveau que pour garder une emprise sur elle. D’ailleurs, il garda sa main sur son poignet, alors qu’elle lui crachait toute sa rancoeur. Peu impressionné, Abel garda le silence un petit temps, sans la lâcher des yeux, comme s’il s’attendait à ce qu’elle dise autre chose, mais visiblement, Isobel était trop soufflée par l’indignation et la colère pour ajouter quoique ce soit. Alors il reprit la parole, d’une voix claquante :

« Oh alors ça y est, tu commences à sentir ce que ça fait ? »

Si elle croyait qu’il allait faire preuve de compassion, ou même, s’excuser, elle se fourrait la baguette dans l’oeil.

« On va commencer à classer les dommages, maintenant ? Non parce que si on discute de ça, tu peux prendre en compte les intérêts sur les seize années que j’ai passé à me demander ce que j’avais fait de si mal pour que tu me rayes complètement de ta vie. »

Quelque chose avait vacillé dans le regard si dur d’Abel à cette phrase. Isobel n’était pas la seule à entrer dans des états extrêmes à cause de cette histoire. Lui, Abel Laveau, cet homme réputé pour rester imperturbable en toutes circonstances, perdait tout de son légendaire self-control en présence de cette femme qu’il ne savait plus par quel bout prendre. Ce coup était son dernier. Ce soir, soit il réussissait à retrouver un peu de l’ancienne Isobel qui se souciait un minimum d’eux, soit il la perdait définitivement. Il avait conscience d’être sur un terrain miné. Mais quelque part, avoir mis Isobel dans un tel état le rassurait sur un point : ils étaient encore un peu importants pour elle pour qu’elle perde à ce point sa contenance.

Profitant de l’emprise qu’il avait toujours sur le poignet de la jeune femme, il l’attira à l’intérieur de son appartement sans vraiment lui laisser le choix, sans aller plus loin que le sas, juste histoire de ne pas se mettre à réveiller le voisinage en restant à l’extérieur. Histoire de s’assurer qu’elle ne s’échapperait pas tout de suite, il garda encore un peu sa main sur son avant-bras.

« Ce n’est pas juste un coven trop étouffant que tu as quitté, Isobel. Ce sont des gens. Ta famille, tes amis. Des personnes avec des sentiments, des personnes qui t’aimaient. Tu sais quoi ? Je suis prêt à entendre que tu cherchais ta liberté, que la vie à la Nouvelle-Orléans ne te convenait plus, que tu voulais prendre ta vie en main. Mais pas que ça t’autorisait à nous poignarder dans le dos. »

Sa voix avait perdu de sa tonalité implacable, tout comme l’expression de son visage. Ce qu’il disait touchait à des sentiments trop profonds en lui pour qu’il parvienne à jouer les Abel intouchables, encore une fois. Ce soir, puisqu’il voulait toucher Isobel dans ce qu’elle avait de plus profond aussi, il acceptait de se dévoiler le premier. Pour la première fois depuis qu’ils s’étaient retrouvés, Abel ne s’adressait pas à elle sur un ton ironique, glacial ou condescendant. Cette fois, il montrait ce qu’il avait réellement dans le coeur : l’incompréhension, la douleur, le sentiment d’injustice. Il lâcha le poignet d’Isobel, puis se recula d’un pas. Il ne voulait plus lui donner l’impression de la brutaliser. Si elle voulait partir, elle en était libre. Mais il avait encore quelque chose à dire.

« Ta mère, souffla t-il, en baissant le regard dans celui d’Isobel pour sonder ses réactions. Tu ne le vois peut-être pas, ou en tout cas, tu refuses de le voir, mais ton départ ne l’a jamais laissée indifférente. Si je l’ai prévenue de ta présence, c’est parce qu’elle a le droit de savoir ce que tu es devenue. C’est ta mère, bon sang. Tu crois vraiment que si elle voulait te faire du mal, elle n’aurait pas déjà tenté quelque chose ? Tu es sa fille, elle tient à toi. Son regard se posa sur le pendentif, toujours attaché autour du cou de la sorcière, il n'avait pas bougé depuis la dernière fois. Et toi aussi. »


Abel Laveau
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Isobel Lavespère
Isobel LavespèreChargée de communication
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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeSam 29 Aoû 2015 - 20:28
L'espace de quelques instants, une chape de silence retomba entre Abel et Isobel, cette dernière se contentant de le fixer d'un regard orageux, les pulsations de son cœur toujours rythmées par la colère qui l'animait. Cela faisait des mois qu'elle lui en voulait, une rancœur diffuse et déraisonnée. Elle lui en voulait tout simplement d'être là, d'être revenu dans sa vie sans qu'elle ne l'ait autorisé, sans même qu'elle n'ait pu le prévoir. Elle lui en voulait d'être ce rappel constant de ce passé qu'elle avait cherché à fuir, il incarnait malgré lui des choses dont elle n'était pas si fière que cela. Elle avait rangé tout au fond de son esprit une partie entière de sa vie à laquelle elle ne voulait pas repenser pour ne pas regretter. Chaque fois qu'elle croisait le regard d'Abel au Ministère, chaque fois que son nom revenait quelque part, elle ressentait le même coup au cœur, le même vertige envahissant et elle le détestait pour cela. Elle détestait plus que tout les états dans lequel il la mettait, elle haïssait cette angoisse dans laquelle elle vivait depuis des mois, cette instabilité, ces questionnements, ces craintes, ces anticipations, le sentiment prégnant et entêtant que quelque chose allait arriver sans qu'elle ne puisse savoir ce que cela allait être. Elle perdait le contrôle et c'était quelque chose qu'elle n'avait jamais pu tolérer. Abel avait sur elle cet effet-là, cette influence nocive, il avait trop d'influence sur elle et ce, depuis toujours.

Fut une époque, de plus en plus lointaine, où cela avait été quelque chose de positif. Il était son ami, son meilleur ami, l'une des meilleures parties de sa vie. Elle l'avait toujours écouté, lorsqu'ils étaient jeunes, parce qu'ils se connaissaient par cœur, parce qu'ils se faisaient confiance. Parce qu'il était plus âgé aussi et posait souvent sur les choses un regard plus posé qu'elle, ce qui était d'ailleurs dans leurs caractères : Abel avait toujours eu cette capacité de livrer parfois une froide appréciation d'une situation lorsqu'elle avait toujours été plus emportée, plus prompte à se laisser dominer par ses émotions, surtout lorsqu'elle était jeune. Même lorsqu'elle était à Bâton Rouge et qu'il était parti pour ses études à Salisbury, ils correspondaient presque quotidiennement et ses conseils à lui étaient sûrement les seuls qu'elle daignait prendre en compte. Même après qu'elle ait quitté la Nouvelle-Orléans, Abel l'avait suivie sans le savoir : c'était lui qui lui avait donné envie de faire des études, c'était parce qu'il lui avait donné cette impulsion là qu'elle avait fini par se diriger vers Salem pour suivre un cursus universitaire malgré son manque de diplôme dans le secondaire. Sans lui, elle aurait sûrement continué à errer sans but d'un bout à l'autre du continent américain, de petits boulots en petits boulots, de mauvaise idée en mauvaise idée.

Cette influence positive était désormais terminée. Tout ce qu'il y avait pu y avoir de bien entre eux était désormais terminé, tout n'était plus que rancœur, colère et détestation. Le pouvoir qu'avait désormais Abel sur Isobel était de la rendre hors d'elle, de la plonger dans un état de nerfs qui ne lui était pas coutumier, un état qu'elle ne supportait pas, de moins en moins au fil des mois si seulement c'était possible. Toute la confiance, la bienveillance, c'était terminé et malgré tout ce qu'il pouvait dire, malgré tout ce qu'il pouvait penser, elle n'avait pas l'impression que c'était elle qui avait rompu tout cela. Elle n'avait jamais cherché à faire du mal à Abel, elle n'avait jamais cherché à lui nuire, elle n'avait jamais rien fait contre lui, elle avait fait les choses pour elle et là était toute la nuance. Lui, en revanche, il l'avait fait sciemment. Il était venu là pour la blesser volontairement, dans un esprit revanchard qu'elle ne lui connaissait pas, dans une volonté de nuire qui n'était pas coutumière au Abel qu'elle avait connu. Ils ne se connaissaient plus, réalisa-t-elle. Elle n'était plus l'adolescente qu'elle avait été, il n'était plus le garçon qu'elle avait idéalisé, ils n'étaient plus les amis qu'ils avaient pensé être un temps. Elle était peut-être la peste insensible qui était partie, oui. Elle lui avait tourné le dos, c'était vrai, sans prévenir. Mais c'était lui qui avait décidé de venir piétiner ce qui restait. Lorsqu'il lui demanda si elle sentait à commencer à sentir ce que cela faisait, elle tira sur son poignet pour se dégager, sans savoir pourtant ce qu'elle allait faire. Le gifler encore une fois ? Lui jeter un sort ? A quoi bon ? Rien ne semblait pouvoir calmer la tempête qui l'agitait.

Et pourtant, à cet instant précis, lorsque Abel repris la parole pour parler de compter les dommages, quelque chose ébranla légèrement Isobel dans sa fureur brute. Les seize années que j'ai passé à me demander ce que j'avais fais de si mal pour que tu me rayes complètement de ta vie. A cet instant, l'espace d'un infime instant, le regard d'Abel ressemblait plus à ses souvenirs de la Louisiane que ceux qu'ils venaient à échanger parfois dans les couloirs du Ministère de la Magie lorsqu'ils daignaient reconnaître la présence de l'autre. Isy avait quitté sa vie et sa famille parce qu'elle étouffait, parce qu'elle aspirait à plus grand, elle avait quitté la Louisiane comme on tourne une page, pour entamer un nouveau chapitre de sa vie, un chapitre qu'elle écrirait elle-même. Elle avait mis tout cela derrière elle et si elle ne pouvait pas l'oublier, cela ne l'obsédait pas tous les jours. Elle était passée à autre chose, tout simplement. Pas forcément avec simplicité mais avec volonté : elle était tournée vers l'avenir, le passé n'était que cette chose que l'on ne pouvait changer, réconfortante parfois, pesante souvent. Elle ne pouvait imaginer qu'on ne fasse pas la même chose. Pour être honnête, elle n'était pas – et n'avait jamais été – assez altruiste pour imaginer ce que ferait sa famille après son départ. Les seules fois où elle y avait pensé, elle avait simplement songé qu'ils feraient du mal, que l'eau passerait sous les ponts et que le temps ferait son œuvre. Et qu'il en serait de même pour Abel, qu'il comprendrait pourquoi elle avait fait cela et que c'était le mieux pour elle, voilà tout.

Cet instant d'hésitation permit à Abel de l'attirer à l'intérieur de son appartement sans qu'elle ne résiste, son esprit cherchant toujours les implications de cette phrase qu'il avait prononcé, de cet éclairage qu'il avait apporté. Elle n'aurait jamais pensé qu'il pourrait passer seize ans à se questionner sur ce qui était une telle évidence pour elle. Son départ n'avait pas été décidé sur un coup de tête, même si elle avait hésité jusqu'à la toute dernière minute. En réalité, c'était une idée qui tournait dans son esprit depuis des mois et des mois, si ce n'est bien un an avant qu'elle ne s'en aille réellement. Elle avait toujours aspiré à plus, à plus grand à autre chose et Abel l'avait toujours su, elle le lui avait toujours dit. Au final, son départ aurait presque pu être anticipé pour quiconque la connaissait un peu. Alors pourquoi tant d'incompréhension ? Était-ce tant qu'il ne comprenait pas ou qu'il ne voulait pas comprendre ?

Là, dans la pénombre du hall d'entrée d'Abel, le regard d'Isobel avait perdu de son obscurité et pour la première fois de la soirée, la colère qui battait dans son esprit s'éteignait quelque peu, remplacée par quelque chose qui se rapprochait plus du questionnement pour une fois. Pour la première fois depuis qu'ils s'étaient recroisés, Abel et Isobel se parlaient. Aux Folies Sorcières, en décembre, elle avait tout fait pour l'éloigner d'elle, pour le chasser aussi vite qu'il était apparu, sans que cela ait le moindre succès. En décembre, elle lui avait donné uniquement ce qu'il voulait, elle avait fait ce qu'il fallait pour s'assurer normalement qu'il ne l'approche plus et qu'elle puisse continuer sa vie comme elle le faisait pendant des années, en occultant un passé souvent trop encombrant. Cela avait échoué, Abel s'obstinant non seulement à rester au Royaume-Uni mais en faisant en plus le choix de la provoquer en contactant sa mère pour que celle-ci apprenne sa localisation. Mais ce soir, cette nuit, ils parlaient. Contrairement à Décembre, ce n'était pas le Abel hostile et dont les paroles étaient intrinsèquement menaçantes qui se présentait à elle, c'était un Abel qu'elle pouvait reconnaître. Tout ce qu'il disait à cet instant, sur la Nouvelle-Orléans, sur sa famille, elle le savait. Au fond d'elle, elle le savait. Mais elle repoussait avec force, tout simplement parce que cela ne l'aidait pas à avancer, bien au contraire, c'était tout autant de freins, tout autant de regrets qu'elle niait et qu'elle enfouissait au plus profond de son cœur.

Isobel avait été malheureuse à la Nouvelle-Orléans, surtout les dernières années. Mais ce qui l'avait rendu malheureuse, ce n'était pas tant sa famille que le fonctionnement de cette dernière. Ce qui l'avait rendue malheureuse, c'était ce chemin tout tracé qu'on lui offrait, cette vie en ligne droite qu'elle n'avait pas choisi, une vie comme une voie sans issue. Ce qui l'avait rendue malheureuse, c'était ces rues qu'elle connaissait par cœur mais surtout le fait qu'elle ne connaisse qu'elles. Ce qui l'avait rendue malheureuse, ce n'était pas le coven, c'était la place qu'on la forçait à y prendre. Ce qui l'avait rendue malheureuse, mille fois, c'était le délaissement de sa mère plutôt que ses écarts, c'était la dureté de sa tante malgré l'affection de ses cousins et du reste de sa famille. Isobel avait été aimée, en Louisiane. Par ses cousins, ses cousines, ses amis, ses tantes. Sa mère, à sa manière, sûrement un peu. Ironiquement, elle s'en rendait bien plus compte maintenant que sur le coup, lorsqu'elle avait seize ans et qu'elle ne rêvait que d'ailleurs. Avec le recul, elle se rendait compte qu'elle aurait pu faire les choses autrement, elle le savait depuis des années mais il était toujours si difficile de reconnaître qu'on puisse avoir tort, surtout pour quelqu'un d'aussi fier qu'elle. Il y a seize ans, partir était un besoin impérieux et pressant, ce n'était pas un caprice, c'était une nécessité. Elle était malheureuse, elle devenait tout simplement folle à tourner en rond, aussi bien d'esprit que de rage. Elle étouffait, tout simplement et avait besoin d'oxygène et elle l'avait pris de la seule manière dont elle pouvait l'envisager : avec brutalité.

En faisant cela, elle avait fui les conséquences de son acte tout simplement parce qu'elle les craignait. Elle avait peur de la réaction de sa famille, sincèrement, car elle savait à quel point la Nouvelle-Orléans pouvait être brutale derrière ses airs de fête. Elle connaissait la cruauté de son coven parfois, elle connaissait les règles qui le régissait et elle les craignait, tout simplement. Elle savait que toute sa verve, tout son culot, tout ce qui lui avait toujours permis d'avancer dans la vie ne serait d'aucune utilité si jamais sa famille se retournait contre elle. Et puis en plus de tout cela, en plus de la peur qu'elle jugeait légitime pour sa sécurité, il y avait – et c'était mille fois plus difficile à admettre – la honte. Isobel était fière de son parcours, réellement. Elle était partie de rien et tout ce qu'elle possédait, elle l'avait gagné seule, elle avait construit sa vie et personne n'aurait pu prédire qu'elle arriverait là où elle était. Mais il y avait des choses dont elle n'était pas fière dans la vie et la manière dont son départ s'était fait faisait partie de ces choses, Abel et son regard blessé qu'elle découvrait pour la première fois s'imposant comme le cuisant rappel de tout cela. Elle faisait tout pour laisser cette honte derrière elle, comme tout ce qui la gênait mais elle ne pouvait pas effacer la brûlure qu'elle ressentait parfois. Elle ne pouvait rien y changer, ce qui était fait était fait et le passé était le passé et pourtant, parfois, dans ses rares moments de faiblesse, de plus en plus nombreux ces derniers temps, lorsque l'angoisse lui étreignait le cœur lorsqu'elle s'allongeait dans son lit et cherchait désespérément le sommeil, tout cela revenait. Elle passait des heures à s'agiter, se repassant dans son esprit le fil de sa vie, de ses erreurs et de ses craintes, tout cela jusqu'à ce que le soleil de l'aurore traverse ses rideaux.

Lorsque Abel lâcha son poignet, elle passa machinalement sa main gauche sur ce dernier, sur la trace rouge que la poigne avait laissé sur sa peau. Elle n'avait pas prononcé un mot depuis qu'il avait pris la parole, elle n'avait même pas laissé la moindre émotion filtrer sur son visage, se contentant de le fixer de ses grands yeux noirs bien que cette apparente neutralité, qui avait peu à peu remplacé la colère, ne soit qu'une façade. L'esprit d'Isy était agité, tout autant que les palpitations de son cœur et ses pensées se bousculaient dans sa tête sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit.

La mention de sa mère manqua de la faire reculer d'un pas, dans un vieux réflexe machinal. Sophie et Isobel avaient toujours eu une relation plus que compliquée et conflictuelle. Elle avait beau cherché dans ses souvenirs, elle n'avait pas l'impression qu'elles se soient un jour entendues, même lorsqu'elle était enfant. Elle avait passé les premières années de sa vie auprès de sa grand-mère, qui estimait – à juste titre – que sa fille n'était pas apte à élever un enfant et n'était revenue auprès de Sophie qu'après la mort de la première. Sa mère n'avait pas changé de mode de vie sous prétexte de sa maternité et elle écumait plus les bars que les parcs pour enfants. Très jeune, Isobel avait été quelque peu livrée à elle-même bien qu'elle soit sous la surveillance quelque peu lointaine des autres membres de sa famille, comme un paquet un peu encombrant que l'on ballotte, l'enfant dont personne ne veut vraiment, ou c'était du moins l'impression qu'elle en avait eu pendant des années. A son adolescence, elle avait profité du manque total de surveillance de sa mère pour faire ce que bon lui semblait et il n'avait pas fallu attendre longtemps pour qu'on murmure dans les ruelles du Carré Français qu'Isobel Lavespère filait un mauvais coton. Sa fugue n'avait finalement été que l'apothéose de tout cela. Isy avait beaucoup de rancœur pour Sophie, elle en avait toujours eu. A vrai dire, elle en voulait à sa mère autant qu'elle voulait son attention et ce n'était pas peu dire. Elle aimait se dire qu'elle avait mis tout cela derrière elle : Sophie n'avait pas voulu être mère – et l'avait toujours dit – et bien Isobel lui avait donné ce plaisir en partant. C'était plus facile de se dire qu'elle n'avait plus de lien avec Sophie que de reconnaître tous les sentiments agités qu'elle ressentait encore à son égard. C'était tellement plus facile de dire qu'elle la détestait plutôt que de reconnaître qu'il avait été un temps où elle aurait tout donné pour que sa mère montre un peu de tendresse à son égard. C'était plus facile de se dire que Sophie avait été heureuse de son départ que de reconnaître qu'au fond, elle aurait aimé savoir qu'elle l'avait cherchée. Comme toujours, avec Isobel, c'était plus facile de faire comme si de rien n'était.

Les mots d'Abel la touchèrent bien plus qu'elle ne voulait l'admettre et elle détourna le regard quelques secondes, se détestant instantanément pour cela. Elle ne voulait pas entendre parler de sa mère, c'était trop sensible même si elle n'aimait pas le reconnaître. Elle aurait tellement voulu ressentir l'indifférence qu'elle feignait au quotidien, elle aurait voulu que tout cela ne lui fasse rien mais ce n'était pas le cas. Sa version des choses était mille fois plus aisée à suivre et elle s'en berçait depuis des années car c'était comme cela qu'elle avançait. Peut-être que ce n'était pas la vraie, certes. Mais Isobel faisait dans la communication, après tout, pas dans l'information : la véracité n'était pas son principe premier, l'essentiel étant que cela fonctionne. Et cela avait fonctionné, avant Abel. Sa version était facile à détruire, pourtant, et il suffisait de faire comme Abel qui venait de poser les yeux sur le médaillon qu'elle portait autour du cou, cadeau de sa mère qu'elle n'avait jamais quitté, qu'elle portait toujours. Est-ce qu'elle le portait par affection pour Sophie ? Non, aurait répondu Isobel si on lui avait posé la question. Elle le portait car c'était une amulette magique de protection, voilà tout, et que celles de sa mère étaient puissantes, c'était bien la seule chose qu'elle savait faire avec sa magie.

Elle finit par relever la tête vers Abel, croisant ses bras sur sa poitrine. Sa présence remuait trop de choses, des choses dont elle ne voulait plus entendre parler, des choses qui la dérangeaient profondément car cela touchait à des domaines de sa vie qu'elle avait éteint. Isobel avait bâti autour d'elle un mur solide et rares étaient ceux qui avaient réussi à le percer, rares en étaient les failles. Comment une seule personne pouvait-elle arriver à tout faire vaciller en quelques mots ? Elle ne voulait pas de tout cela dans sa vie, c'était trop dangereux pour elle, Abel était trop dangereux pour elle, elle le savait depuis des mois mais tout cela se vérifiait encore plus ce soir. Alors quoi ? Elle avait essayé de l'éloigner d'elle et cela avait donné un résultat absolument contraire. Il était donc temps d'essayer autre chose, quelque chose qu'elle aurait sûrement dû faire en décembre mais elle avait réagi sous le coup de la panique à ce moment-là. Donner ce qu'il voulait à Abel pour qu'il sorte de sa vie et qu'elle puisse continuer d'avancer, peut-être un peu cahin-caha parfois mais continuer d'avancer parce qu'elle ne pouvait pas se permettre de se retourner.

- Qu'est-ce tu veux, Abel ?

Pour la première fois, il n'y avait pas d’agressivité dans sa voix, juste une véritable question. Pour la première fois, Isobel abaissait un peu ses barrières.

- Tu n'es quand même pas venu en Angleterre juste pour défendre la cause de ma mère, non ? Dis-moi ce que tu veux.

Et le ton sur lequel elle prononça la dernière phrase aurait presque pu passer pour une défaite, si ce n'est une supplique.


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Abel Laveau
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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeMer 2 Sep 2015 - 11:17
Abel ne saurait dire à quelle réaction il s’attendait exactement. Mais il était certain de ne pas avoir prédit celle-ci. Il s’imaginait qu’elle allait tenter de démonter son discours, de prouver qu’il avait eu tort d’agir ainsi, de lui faire mille reproches, et encore, ça c’était dans le cas où elle acceptait de lui parler, car il s’était aussi attendu à ce qu’elle refuse de s’exprimer et le plante là. Il était conscient d’avoir touché les cordes sensibles, il l’avait fait sciemment, à vrai dire. Abel n’était pas quelqu’un de tendre lorsqu’il s’agissait de dire la vérité, il ne l’avait jamais été. Il n’y avait rien qui l’impatientait plus que de se trouver face à une personne qui se complaisait dans une bulle de mensonge, et il avait tout l’impression que c’était ce à quoi Isobel jouait. Que s’était t-elle imaginé, tout ce temps-là ? Qu’elle pouvait simplement disparaître, du jour au lendemain, pour se débarrasser d’un passé un peu trop encombrant pour elle, et qu’il n’y aurait jamais aucune conséquence ? Que personne ne chercherait jamais à obtenir des explications ? Il paraissait inconcevable pour l’archimage qu’elle ait changé de vie sans penser qu’elle allait blesser ceux qu’elle laissait de côté. Il ne comprenait pas qu’elle se pense à ce point au-dessus d’eux pour estimer que sous prétexte qu’il s’agissait de son avenir, tous les coups lui étaient permis.

Certainement, Abel aurait du tourner la page, comme tout le monde. Oh, il avait fini par le faire. Plus tard que tous les autres, c’était certain, mais il avait fini par enterrer Isobel dans un coin de son esprit, avec toute son amertume, son ressentiment et sa douleur face à tant de gâchis, mais il avait fini par tourner la page. Il n’était pas désespéré au point de se morfondre seize années entières. Au bout de trois ans de recherche, Abel avait brutalement décidé d’arrêter les frais et de ne plus accorder de son temps à celle qui avait été sa meilleure amie. Il avait compris très vite qu’Isobel ne souhaitait pas être retrouvée, et qu’elle avait fui la Nouvelle-Orléans de son plein gré. Au fond, avec du recul, il ne savait même pas ce qui l’avait maintenu tant de temps à la chercher, trois ans, tout de même, alors que même les Lavespère avaient arrêté de s’échiner. Le déni, certainement, le refus de voir une vérité trop dure à accepter en face. Le refus de reconnaître qu’il ne comptait pas assez pour Isobel pour qu’elle le garde dans cette nouvelle vie qu’elle avait choisi de mener.

Tant bien que mal, il avait fini par enterrer tout ça, et retrouver sa vie normale, rythmée par son métier, ses voyages, ses retours à la Nouvelle-Orléans. Pendant des années, il n’avait plus prononcé le nom d’Isobel, il ne pensait même plus à elle, sauf quand il surprenait un détail qui le ramenait à son souvenir, car les souvenirs étaient des choses difficiles à effacer complètement. Il aurait continué ainsi, si la vie n’avait pas décidé de remettre la jeune femme sur son chemin. Quand il avait reçu la coupure de journal faisant mention du nom d’Isobel, chargée de communication au service du ministère anglais, il s’était senti pris entre deux feux. Il avait longuement hésité. Jeter cette coupure, parce qu’il avait tourné la page et que faire un pas en arrière lui demanderait une énergie qu’il n’était pas sûr de vouloir dépenser ? Ou prendre ce signe comme l’indice qu’il avait si longtemps cherché, l’occasion d’obtenir enfin des réponses ?

Rouvrir la boîte de Pandore avait libéré la foule de sentiments négatifs qu’Abel avait nourri à l’encontre d’Isobel, avec une intensité qu’il n’avait pas su contenir quand il s’était enfin trouvé face à elle. Il ne l’avait sûrement pas abordée de la bonne manière. Mais Isobel n’était pas la seule à se montrer capable de faire ressortir le pire, chez l’autre. Abel ne perdait jamais son sang-froid, c’était précisément comme cela qu’on le désignait. « La statue de glace là-bas ». Il n’était pas connu pour se mettre dans des états de grande émotion, il fallait vraiment le pousser à bout, ne serait-ce que pour l’entendre hausser le ton. Mais Isobel… Eh bien, c’était assez inexplicable, quelque part, qu’elle ait encore un tel effet, qu’elle soit encore capable de remuer une telle quantité d’émotions violentes chez lui. Il présentait les choses comme si appeler Sophie tombait sous le sens, mais au fond, ce qui l’avait poussé à le faire n’avait rien de rationnel. Ce besoin qu’il avait de pousser Isobel dans ses derniers retranchements n’était pas rationnel.

Et pourtant, il ne cherchait pas à la détruire, ni même à lui faire du mal. C’était certainement ce qu'il était en train de faire, dans les faits, à voir la mine défaite et le ton suppliant de la sorcière. Mais ce n’était pas ce qu’il voulait, ce n’était pas ce qui le motivait. Oui, il remuait volontairement des sujets sensibles, il appuyait sciemment sur les zones douloureuses, mais son véritable but dans tout ça, Isobel n’avait toujours pas l’air de l’avoir compris. Abel rabattit ses mains le long de son corps, d’un geste lent, à deux doigts de soupirer face à cette attitude dont il ne savait que penser. Il ressentait encore trop d’amertume envers elle pour faire preuve d’une réelle compassion, mais il ne pouvait nier que la rendre dans cet état de… tristesse n’était pas ce qu’il avait voulu. Et il n’avait toujours pas de réponse, puisqu’Isobel n’avait pas daigné lui faire part de ce qui était passé dans sa tête pour qu’elle passe d’un état de fureur extrême contre lui à cet abattement total. Mais quelque part, qu’elle lui pose la question directement lui facilitait le travail. Il était temps de laisser tomber les masques.

Son ton fut clair, sans l’ombre d’un tremblotement, et pourtant, Abel se sentait presque liquéfié à l’intérieur. Comme s’il avait ré-absorbé toute la tension de tout à l’heure, pour la contenir derrière cet air calme qu’il affichait, pour s’empêcher de gâcher cette seule chance qu’il avait de parler avec Isobel.

« Je veux que tu m’expliques. Je veux que tu me dises, sans détour, sans mensonge, pourquoi tu es partie sans rien me dire. Je veux savoir pourquoi tu ne m’as pas contacté, même juste une seule fois, tout ce temps-là. Il eut un infime temps de pause. Et je te parle de moi, seulement de moi, cette fois. Pas de ta mère avec qui tout est compliqué, ni de ton coven qui t’empêchait d’être libre. »

Effectivement, il allait cesser de prendre Sophie comme prétexte, car c’était tout ce qu’elle avait été dans sa manoeuvre, au fond. Un prétexte pour faire réagir Isobel.


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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeSam 12 Sep 2015 - 23:12
Je veux que tu m'expliques. Comprendre, encore et toujours, tout et n'importe quoi, l'éternelle obsession d'Abel. Déjà lorsqu'ils étaient enfants, encore plus lorsqu'ils avaient commencé à aller tous les deux à l'école et à cet instant précis, c'était toujours le cas. Il voulait comprendre ce qui semblait une évidence aux yeux d'Isobel, une telle évidence. La situation aurait presque pu lui tirer un rire en d'autres circonstances, si elle n'avait pas été occupée à essayer de canaliser au maximum l'agitation de son esprit, sa pulsion première qui aurait été de secouer Abel pour qu'enfin il comprenne enfin qu'elle ne lui devait rien. Pourquoi fallait-il qu'il s'obstine ? C'était cela qu'elle ne comprenait pas, elle. Pourquoi est-ce qu'il lui demandait encore des comptes seize ans après ? Pourquoi après tant d'années, pourquoi est-ce que cela lui importait autant dans le fond, ses raisons ? Ce qui était fait était fait, le mal était causé, les dés avaient été jetés et rangés depuis bien longtemps. Qu'est-ce que savoir lui apporterait de plus, dans le fond ? Isobel faisait partie de ces gens qui attachaient plus d'importance aux conséquences qu'aux intentions, qui au fond importaient bien peu lorsqu'il s'agissait d'agir, seul le résultat avait une influence.

Pourtant, à cet instant précis, elle se sentait presque résignée. Elle ne comprenait pas l'obsession d'Abel mais sentait que le seul moyen d'enfin arriver à l'éloigner, à se protéger, serait de lui donner - ne serait-ce qu'en partie - ce qu'il attendait. Isobel cédait, tout simplement, elle qui avait pourtant comme principe de ne jamais renoncer au dernier mot. Elle n'avait jamais été de ceux qui toléraient l'échec ou la défaite mais on pouvait toujours trouver meilleur que soi à ce petit jeu-là et en l’occurrence, Abel avait toujours été plus fort qu'elle. Dans le duo qu'ils avaient formé pendant des années, elle était toujours passée pour la forte tête aux yeux des adultes, parce qu'elle avait un caractère plus flamboyant, plus affirmé mais derrière ses airs tranquilles, il pouvait être cent fois plus dur qu'elle. Elle ne gagnerait pas dans le petit jeu auquel il se livrait tant Abel paraissait inébranlable lorsqu'elle avait l'impression que son monde et sa stabilité s'écroulaient sous ses pieds sans qu'elle ne puisse y faire quoi que ce soit. Elle était fatiguée, lassée, usée de ces mois d'angoisse et de questionnements. Alors elle ferma les yeux quelques instants, croisa ses bras sur sa poitrine et poussa un soupir avant de les rouvrir, vrillant ses pupilles dans celles d'Abel.

- Je te l'ai déjà dit, je te l'ai dit en décembre.

Elle n'avait pas fait que mentir ce soir-là, mentir sans honte en le regardant dans les yeux pour le dégoûter, pour l'éloigner. Quelques brides d'honnêteté s'étaient glissées dans ses paroles pleines de fiel, presque malgré elle.

- « Parce que tu m'aurais fait rester. ».

Elle avait répété ces quelques mots en français, comme la première fois qu'elle lui avait dit. C'était tellement pathétique, réalisa-t-elle en secouant légèrement la tête. De reconnaître cela, c'en était même presque humiliant d'admettre l'influence qu'il avait pu avoir sur elle, influence qui l'avait finalement poussée à couper si brusquement. Isobel n'avait rien dit à Abel tout simplement parce qu'elle savait qu'elle n'aurait pas le courage de l'affronter et d'assumer ses choix jusqu'au bout en étant face à lui, elle qui pourtant ne se laissait jamais détourner du chemin qu'elle s'était choisi. Abel était toujours l'exception qui détournait ses principes. Lui avouer cela alors qu'elle était si en colère contre lui et qu'il la mettait déjà dans un état insoutenable était pire que tout pour sa fierté et elle serra les dents même si elle savait qu'elle ne pourrait pas tellement échapper à cela si elle voulait que cela fonctionne.

- Si j'étais venue te voir un jour pour te dire que j'allais partir, tu n'aurais jamais accepté que je le fasse. Tu n'aurais même pas voulu comprendre, ne dis pas le contraire parce que tu aurais pensé que j'avais tort. Que je prenais une mauvaise décision. Que je vous trahissais.

Elle le fixa quelques instants, le défiant presque du regard de la contredire.

- Mais j'en avais besoin. Tu ne peux pas l'entendre ça, Abel ? J'en avais besoin ! s'emporta-t-elle, laissant la colère reprendre un peu le pas sur elle, car si elle calmait cette dernière, la rage qui l'animait n'était pas éteinte. Ce n'était pas un caprice ou une bêtise, ou je ne sais ce qu'on a pu dire encore, c'était nécessaire. Je devenais dingue, enfermée là-bas, j'aurai fini par me balancer dans le Mississippi à force de tourner en rond. Je ne voulais pas de cette vie-là, t'entends ? Je n'en voulais pas. Et c'est pas parce que toi, t'en as crevé d'envie toute notre enfance que c'était le cas de tout le monde.

Elle avait toujours aspiré à autre chose, à tellement plus. Isobel était une éternelle insatisfaite, elle voulait toujours plus, son ambition pour elle-même avait toujours été ce qui avait guidé sa vie, aussi égoïste que ce fonctionnement puisse être. Elle s'était donné les moyens de sa réussite, en quittant la Nouvelle-Orléans en premier lieu et en ne se retournant jamais en second lieu. Est-ce qu'elle avait songé à le faire malgré tout ? Bien sûr que oui. Durant des mois, durant des années après sa fugue, elle avait songé dans chaque moment difficile à revenir à la maison. Une fois, même, l'année de ses dix-neuf ans, elle avait voyagé de Los Angeles à Salisbury, là où Abel faisait ses études. Elle avait eu des problèmes à Los Angeles, elle était perdue, effrayée, sans idée d'avenir. Elle avait posé le pied dans le quartier magique, était passée devant l'école d'architecture, s'était assisse dans un café juste en face pendant deux longues heures, à réfléchir. Abel était là, à quelques mètres, il lui aurait sûrement suffit d'attendre la fin de la journée pour le voir sortir, pour avancer vers lui, pour mettre fin à tout cela. Mais elle ne l'avait pas fait. Elle avait terminé son café, avait déposé quelques pièces sur la table et avait disparu de nouveau, pour Salem cette fois-ci. Elle était trop fière pour admettre qu'elle n'y arrivait pas tant que cela, que sa vie loin de la Nouvelle-Orléans ne ressemblait pas à ce qu'elle avait imaginé. Elle était trop fière pour revenir se cacher auprès d'Abel, pour demander son pardon, pour admettre qu'elle avait peut-être fait une erreur dans le fond. Alors elle ne l'avait pas fait : elle avait repris seule sa vie en main et avait commencé à poser les pierres de ce qui faisait désormais sa fierté.

- J'avais besoin de partir. Et pour cela, je ne pouvais pas regarder en arrière, c'est aussi simple que cela. Je tenais à toi Abel, vraiment. C'est pour cela que je ne t'ai rien dit : je devais tourner la page. Et je l'ai fais, aussi cruel que cela puisse te paraître.


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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeMer 30 Sep 2015 - 1:23
Ces fameuses paroles qu’elles avaient prononcées en décembre, et qui l’avaient fait vaciller l’espace de quelques secondes, avant qu’elle ne gâche tout en invalidant ses propres dires. Entre la mauvaise foi d’Isobel, et sa propre colère, Abel avait eu un certain mal à distinguer le vrai du faux, à comprendre ce que son ancienne amie pensait réellement, au fond. Elle s’était montrée tellement fermée à l’idée de dialoguer, et lui ne l’avait pas vraiment aidée dans sa façon agressive de mener la discussion, qu’il était ressorti de cet échange en étant complètement dans le flou, et blessé des mots qu’elle avait pu prononcer pour le tenir à distance.

Maintenant, elle lui livrait enfin ses véritables pensées, d’un ton crispé et plein de ressentiment, Abel voyait bien que cela ne lui faisait pas plaisir de devoir se livrer, mais il ne comptait pas s’en excuser. Elle ne savait pas ce par quoi il était passé quand elle était partie sans un mot, l’incompréhension, l’inquiétude, l’angoisse, la culpabilité, le déni, la colère, l’abandon, la rancoeur, alors il estimait que lui arracher ces aveux -et sûrement piétiner l’orgueil de la fière Isobel au passage- n’était qu’une contrepartie minimale. Elle ne comprenait pas précisément parce qu’elle ne savait pas. Elle était partie, s’était posé des oeillères bien confortables pour s’empêcher de voir ce qu’elle laissait derrière elle, et avait avancé vers son objectif sans se retourner. Elle n’était pas celle qui s’était sentie profondément trahie, et qui n’avait pas de moyen de comprendre pourquoi. Elle l’avait laissé seul à ses hypothèses, alors oui, Abel n’était pas idiot, il en avait fait, des hypothèses, et au fond de lui, il avait touché les bonnes depuis bien longtemps. Mais comment pouvait t-il être certain ? Le départ de son amie avait été tellement brusque, tellement absolu que c’était comme si elle avait secoué tout ce qu’il avait pu connaître d’elle. Il s’était mis à douter, et plus les années passaient, plus il se battait contre un spectre, un souvenir de ce qu’elle avait été, avec toutes les modifications que le temps pouvait apporter à des souvenirs, en les caricaturant, jusqu’à ce qu’il finisse même par douter de l’avoir vraiment connue un jour.

N’était-ce pas normal de chercher à obtenir des explications, face à ce qu’il estimait être une injustice ? La preuve que si, Isobel n’avait pas attendu une seconde pour venir le sortir en pleine nuit de son lit, pour lui faire cracher ce qui l’avait poussé à appeler Sophie. Lui, il réclamait des explications seize ans plus tard, mais aux dernières nouvelles, il n’avait pas choisi d’attendre tout ce temps-là. Isobel était celle qui l’avait tenu éloigné si longtemps, et si elle croyait que le temps suffisait à effacer les fautes, elle se trompait : cela ne partait jamais complètement. Abel pouvait passer pour l’homme le plus rancunier du monde, il s’en fichait bien. Il avait fait confiance à Isobel. Il l’avait considérée comme la plus grande amie qu’il avait jamais eue, et Merlin savait qu’il n’en avait pas des centaines. Il avait absolument tout partagé avec elle. Il était même tombé amoureux d’elle. Alors oui, quand l’occasion lui avait été donnée de la retrouver, peu importait que dix, vingt, cinquante années soient passées. Tout ce qu’il avait fini par enterrer dans un sombre coin de sa mémoire à son sujet avait rejailli, et il s’était senti investi du besoin de lui reparler, pour avoir cette conversation précisément. Parce que ce qu’Isobel ne semblait pas comprendre, c’est que si effectivement, le mal était déjà causé, et les excuses, bien inutiles à ce stade, la moindre des choses qu’elle pouvait faire était au moins de clore cette histoire proprement. De ne pas laisser des non-dits et des incompréhensions derrière elle, qui alimenteraient éternellement et lentement, comme une machine s’essoufflant avec le temps, la rancune de ceux qu’elle avaient laissés tomber dans son sillage.

Il la laissa donc aller jusqu’au bout sans l’interrompre, de peur de manquer quelque chose de ces aveux qu’il avait été si difficile d’obtenir. Et lorsqu’il eut l’impression qu’elle avait livré sa conclusion, lorsqu’il eut bien assimilé et retourné tout ce qu’elle avait dit pour être certain d’en avoir saisi tout le sens, seulement là, Abel décroisa ses bras, et les traits tendus de son visage s’affaissèrent dans une expression difficilement lisible, que lui-même ne savait pas interpréter. Il lui semblait qu’il ressentait tout et n’importe quoi, à cet instant, un profond trouble mêlé de désagrément, un chagrin certain, et peut-être au fond, une pointe de soulagement.

« Ok, alors c’est ce que je pensais, déclara t-il, avant de se passer une main pensive sur son visage. Enfin… C’est l’hypothèse la moins pire de celles que je pouvais imaginer, disons. »

Et Merlin savait qu’il s’en était échafaudé, des hypothèses, pendant qu’il la cherchait encore. Vrillant son regard dans celui de la sorcière, Abel poursuivit sur un ton peu amène :

« Parce qu’après tout, tu aurais pu partir parce que tu n’en avais rien à faire de nous, que tu avais trouvé mieux ailleurs, et qu’il te suffisait d’attendre bien tranquillement de tirer un maximum d’avantages de la situation avant de partir pour toujours. Honnêtement, c’était tout ce que ta fuite laissait voir. »

Il n’allait pas lui mentir, c’était même ce que la moitié de la Nouvelle-Orléans avait pensé quand le bruit a commencé à courir que la jeune Isobel Lavespère, toute fraîchement sortie de sa cérémonie des seize ans, avait disparu de la Louisiane, en emportant de précieux ouvrages de magie avec elle. Si lui avait refusé de croire à cette hypothèse qui faisait passer sa meilleure amie pour une gourgandine -pour rester poli- il mentirait en affirmant qu’il n’avait jamais douté, face au silence persistant d’Isobel. Plus le temps passait, et plus le fait de ne pas avoir de nouvelles le poussait à croire qu’ils ne comptaient plus pour elle.

Ravalant toutes ces pensées qu’il connaissait déjà par coeur, Abel s’efforça de revenir sur les nouvelles pièces de puzzle qu’Isobel avait apportées. Il se rendait compte qu’il avait déjà pensé à tout ça, qu’il avait déjà supposé qu’elle était partie tout simplement parce qu’elle se sentait étouffer au coven. Quelque chose en lui l’avait empêché de creuser l’idée, pour la simple et bonne raison qu’elle induisait qu’il était en faute, quelque part, qu’il faisait involontairement partie de toute cette pression qu’Isobel avait cherché à fuir, or il était plus facile de se réfugier derrière des thèses où elle était la seule fautive. Mais au fond, s’il devait vraiment être honnête avec lui-même… Il avait déjà senti qu’elle avait changé, avant même ce fameux premier janvier où elle était partie. Il avait senti dès qu’elle était rentrée de Bâton-Rouge qu’elle n’était plus cette petite fille fière de perpétuer les traditions de ses ancêtres. Il avait senti qu’elle rêvait d’autre chose sans oser l’exprimer, qu’elle l’enviait lui, encore et toujours d’être libre d’obligations envers sa famille. S’il ne s’était pas mis des oeillères lui aussi à ce moment-là, il aurait pu tout prévoir de ce qui était arrivé.

Cet aveu à lui-même le brouilla l’espace de quelques secondes, si bien qu’Abel se sentit en proie à un petit vertige et s’appuya contre le dossier du canapé derrière lui. Il se passa encore une fois la main sur la joue, toute animosité disparue de son visage pour ne laisser que désarroi et amertume.

« Je… Tu as raison sur un point, j’aurais essayé de te retenir si tu m’avais dit que tu voulais quitter la Nouvelle-Orléans, avoua t-il, presque dans un soupir. J’aurais tout fait pour que tu restes au coven, parce que… Parce que tu étais la sorcière la plus douée de ta génération, et je ne sais pas, c’était important pour moi que tu prennes la place qui t’était due au temple. »

Il était difficile d’avouer que son soutien était en partie une façon de vivre par procuration ce que lui avait toujours envié chez elle : la possibilité de tenir une grande place dans leur famille. Petit, Abel ne rêvait que d’une chose, c’était de devenir un grand prêtre vaudou, et de perpétuer la réussite des Laveau. Mais les prêtres n’existaient pas, il n’y avait que des prêtresses, dans leur culture. En grandissant, Abel s’était trouvé d’autres objectifs, il avait découvert et pris goût au principal avantage d’être un homme, dans un coven : la liberté, un cadeau ô combien précieux. Sitôt qu’il avait pu partir loin pour étudier, voyager, découvrir autre chose il s’était senti revivre et investi de nouveaux buts. Isobel avait tout simplement voulu faire la même chose, il ne pouvait objectivement la blâmer d’avoir ressenti ce besoin de s’oxygéner, il savait lui-même à quel point c’était salvateur. Mais en effet, Isobel était une femme, et de ce fait, elle avait des devoirs envers les Lavespère auxquels elle ne pouvait déroger. Abel avait ces deux mesures en lui, l’envie de s’accomplir par lui-même, et le respect des traditions familiales. Il avait eu la chance de ne pas avoir à choisir entre l’une ou l’autre, mais à la place d’Isobel, forcée de laisser tomber l’un pour réaliser l’autre, qu’aurait t-il fait ?

Le choix aurait été difficile, mais il n’aurait pas agi comme Isobel, maintenait t-il en son for intérieur.

« Mais tu as quand même tort sur une chose. J’aurais pu comprendre, si tu m’avais vraiment expliqué ce qui te motivait à partir. Je ne dis pas que je n’aurais pas essayé de te faire changer d’avis, mais… Je savais ce que c’était, d’avoir besoin de sortir la tête de tout ça. J’ai eu une période où je me suis senti étouffer à la Nouvelle-Orléans, et oui, partir temporairement m’a fait du bien. Alors… J’aurais compris, si tu m’avais dit que tu en avais besoin toi aussi. Et j’aurais pu t’aider, si tu avais daigné me garder dans cette nouvelle vie que tu te préparais. »

Mais Isobel n’avait pas voulu tenter le coup, c’était ce qu’Abel comprenait, derrière les lignes. Elle n’avait pas voulu lui faire part de ses plans, de peur qu’il tente de les bousculer. Elle avait préféré tout préparer seule et le laisser définitivement derrière elle, comme elle laissait derrière elle ce destin de future prêtresse dont elle ne voulait pas.

« C’est juste… décevant pour moi de voir que tu n’étais pas prête à prendre des risques pour préserver notre amitié, à l’époque. »

Et le reconnaître n’était pas une mince affaire pour Abel non plus qui s’était promis de ne pas verser dans le sentimentalisme face à elle, c’est ce qui le fit d’ailleurs croiser les bras à nouveau, comme un geste auto-défensif, et reprendre la parole d’un air plus renfrogné :

« Enfin, ça sert à rien de refaire l’histoire, les choses ne se sont pas passées comme ça. Maintenant, je regrette juste que même des années plus tard, en étant bien loin de nous, tu n’aies jamais essayé de nous donner des nouvelles. Mais si tu es plus heureuse aujourd’hui, ici, alors tant mieux pour toi. »

Il ne le disait pas de bonté d’âme, même si au fond, il y avait une part de sincérité. Parce qu’il avait vraiment aimé Isobel, son bonheur comptait pour lui, même si ce sentiment était noyé sous la masse de ressentiment de voir qu’il n’en faisait pas partie. Tant pis, tentait t-il de se résigner. Cela faisait un certain temps qu’Isobel ne faisait plus non plus partie de la sienne. Que leur restait t-il comme options, maintenant ? Eh bien, reprendre le cours de leurs vies respectives, avec pour Isobel, la conscience de ce qu’elle avait provoqué avec son départ et qu’elle avait lâchement occulté -et par là, une forme de justice-, et pour Abel, une réponse à ses incertitudes qui l’aiderait à terme à retrouver un bon souvenir de cette amitié qui avait été la leur : c’était toujours mieux que d’en garder une noire et amère image jusqu’à la fin de sa vie. Reportant son regard sur la jeune femme, il termina, de son ton maîtrisé qui lui était plus coutumier :

« Sache juste que ni moi ni ta mère ne cherchons à te nuire. Je ne suis même pas sûr que Sophie cherchera à te rencontrer. La connaissant, peut-être que le simple fait de se rendre compte par elle-même que tu existes toujours lui suffira, dit t-il, sur ce ton qui glissait vers l’humour noir. Moi j’avais besoin de te parler, ce qui est maintenant chose faite. »



Abel Laveau
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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeVen 9 Oct 2015 - 0:01
Si c'est Isobel qui avait faibli la première, les mots qu'elle prononça semblèrent avoir un effet similaire sur Abel qui finit par décroiser les bras et abandonner l'expression hostile qu'il arborait jusqu'alors. Isy, elle, n'avait pas vraiment changé d'attitude, elle avait reculé lorsqu'il l'avait lâchée et croisé ses bras en une position défensive, ses épaules se soulevant au rythme rapide de sa respiration perturbée par les pulsations versatiles de son cœur. Elle s'était attendue à ce qu'il s'emporte de la même façon qu'elle, qu'il ait la même attitude qu'en Décembre aux Folies, agressive et accusatrice, pas à... ça. Ce presque abandon, à défaut de meilleur mot. Qu'il affirme tout simplement que c'était ce ce dont à quoi il pensait, la moins pire des hypothèses la surprit tout simplement parce qu'elle ne pouvait pas imaginer d'autres explications à sa fugue. Évidemment, elle avait bien conscience de toutes les rumeurs qui avaient pu circuler sur elle après son départ, sûrement de moins en moins glorieuses au fil des années mais dans l'esprit d'Isobel, il était évident que ceux qui la connaissaient vraiment savaient le vrai du faux. Que ce soit sa cousine Michelle ou même sa mère, mais surtout Abel, à ses yeux, ils savaient et avaient compris. Comprenaient, même.

Qu'il ait pu penser le contraire, qu'il ait pu seulement envisager quelque chose d'autre que ce besoin viscéral pour elle d'avoir de l'air, elle ne s'y attendait pas, mais cela la blessa. Parce que malgré tout, Abel avait été son meilleur ami, son plus proche ami, il avait été à un moment de sa vie la personne la plus importante de son monde, si ce n'est son monde tout court. Alors oui, elle était partie brusquement, elle avait coupé tous les liens qui pouvaient les unir sans se retourner et non, elle n'en n'était pas fière même si elle s'interdisait de le verbaliser. Mais elle était partie avec la certitude qu'il comprendrait, parce que cela lui semblait une telle évidence. Ils s'étaient toujours compris, ils s'étaient connus par cœur autrefois et pour elle, tout cela aurait dû être évident pour Abel. Qu'est-ce qu'elle avait vraiment pensé en partant ? Elle aurait menti en disant qu'elle s'en souvenait parfaitement. Tout ce qui lui restait de cette époque, c'était ce pressant sentiment d'urgence, cette impression d'étouffer et ce besoin d'agir. Elle avait fui en se disant qu'il comprendrait, qu'il saurait qu'elle en avait besoin. Au début, elle ne savait même pas qu'elle ne lui reparlerait jamais. Isobel n'avait pas anticipé ces seize années de silence, elles s'étaient imposées à elle en même temps que la honte, le regret et ce sentiment impérieux de devoir tourner la page sous peine de revenir en arrière. Elle avait eu tort, visiblement, sur beaucoup de choses. Mais malgré cela, elle ne put résister à l'envie de répondre alors qu'elle aurait dû taire le fait qu'elle puisse être encore touchée par cela : c'était stupide, si longtemps après.

- C'est ce qu'elle laissait voir aux autres.

Pas à toi, aurait-elle dû ajouter. Mais elle se tut, une nouvelle fois, se contentant de détourner le regard l'espace d'un bref instant. C'était le passé, tout cela. Ils n'auraient même pas dû le remuer, ils n'auraient pas dû être là tous les deux. Isobel ne comprenait toujours pas pourquoi il était revenu, pourquoi il avait eu ce besoin de la confronter ainsi, si longtemps après. Ce n'était que remuer le couteau dans des vieilles plaies et des vieilles histoires qu'elle avait mis derrière elle. Le passé était le passé, ils ne pourraient rien y changer. Si elle pouvait revenir en arrière, oui, elle ferait sûrement certaines choses différemment mais même la magie ne pouvait pas leur obtenir cela alors... A quoi bon ?

Elle l'observa s'appuyer sur le canapé sans pour autant avancer, le fixant tandis qu'il reprenait la parole, presque perturbée par l'expression qu'il affichait désormais. Elle ne voulait pas avoir cette conversation. Isobel ne voulait pas lui faire face, elle ne voulait pas faire face à tout ce qu'elle avait laissé derrière elle, elle ne voulait pas ressentir ce pincement au cœur, cette colère et tous ces sentiments aussi bouillonnants que violents qui l'agitaient depuis des mois. Elle aurait voulu tout effacer, que rien ne soit arrivé, elle aurait voulu pouvoir reprendre le cours normal de sa vie. Elle voulait qu'Abel reste ce souvenir qu'elle aimait, qu'elle chérissait, pas l'homme qui lui faisait face et dans lequel elle ne reconnaissait plus son meilleur ami, tout comme il ne devait pas la reconnaître. Elle voulait garder la mémoire de leur amitié, pas de cette relation-là qui saccageait ses souvenirs. Mais elle ne pouvait pas. Ils étaient là, face à face, dans cette situation, dans ces souvenirs brisés et cette relation piétinée. Et pour la première fois depuis des années, cela la rendait malheureuse. Derrière sa colère, derrière son emportement, derrière tout cela, c'était du chagrin. Un sentiment qu'elle détestait et elle se maudissait de se laisser atteindre par cela mais plus elle se calmait, plus cela prenait le dessus. Elle baissa les yeux devant ses mots, lorsqu'il lui avoua qu'il l'aurait fait rester parce que c'était important pour lui qu'elle prenne sa place dans la famille.

- Je sais, souffla-t-elle en réponse, presque avec douceur.

C'était pour cela qu'elle n'avait rien dit après tout, elle n'avait pas eu le courage de l'affronter. Toute la clé du mystère était là : elle n'avait pas été assez forte pour lui face alors elle était partie en secret. Pourquoi elle n'avait pas écrit ? La honte, oui. Et parce qu'elle savait parfaitement qu'il aurait été tentant de revenir se cacher auprès d'Abel parce que c'était difficile dehors. Elle n'avait pas voulu faiblir à elle-même, à sa décision, et avait employé tous les moyens pour cela, les seuls moyens qu'elle connaissait et qui fonctionnaient selon elle : la violence et la brusquerie.

Être mise en face des conséquences de ses actions, conséquences qu'elle avait choisi d'ignorer pendant tant d'années n'avait rien de plaisant mais c'était visiblement ce que cherchait Abel. C'était facile de fermer les yeux lorsqu'on ne savait rien, de se bercer d'illusions. Qu'il lui rappelle qu'elle n'avait pas daigné, pour reprendre ses termes, le garder dans sa vie lui fit un pincement au cœur malgré tout, touchée par le ton qu'il employa.

- C'est plus compliqué que ça, répondit-elle. Je n'avais pas besoin de partir temporairement, Abel. Je... Elle soupira, frustrée de ne pas savoir comment exprimer ce qui était évident pour elle, elle qui était si douée avec les mots lorsqu'il s'agissait des idées des autres. Tous ces sentiments étaient tellement violents, tellement intrinsèques à sa personne et son enfance qu'elle se retrouvait bien en peine de les exprimer calmement ou clairement. Je n'aurais pas fait ma vie là-bas, en aucun cas. Je suis partie à seize ans mais j'aurais fini par le faire, ce n'était qu'une question de temps, je ne t'ai pas menti sur cela. Et je... Tu connais la Nouvelle-Orléans, ça s'infiltre partout, dans tous les domaines, tu ne peux pas y être à moitié. J'avais besoin de tourner la page, complètement, ça m'aurait poursuivi toute ma vie sinon. Et... Elle s'interrompit quelques secondes, se mordillant légèrement la lèvre. Ce n'était pas contre toi, cela n'a jamais été contre toi. C'était pour moi, tu comprends ?

Elle le fixa quelques secondes après cette déclaration, avant de détourner les yeux. Bien sûr qu'il ne comprendrait pas, pourquoi le ferait-il ? Il en avait rêvé de cette vie, lui. Sa présence ici montrait bien qu'ils ne s'étaient pas connus si bien que cela, finalement, pour qu'un tel fossé se creuse entre eux. Mais c'était le passé, comme il le reconnaissait enfin, sa remarque lui tirant un rire un peu jaune. Ce n'était pas elle qui avait remué les choses ! Elle ne répondit rien pour les nouvelles qu'elle aurait pu donner, consciente qu'aucune de ses explications ne pourrait trouver grâce aux yeux d'Abel. Et puis pourquoi se justifiait-elle sur tout, soudainement ? Piquée par sa propre réflexion, elle se mura un peu plus dans le silence.

- Tu ne la connais pas, répliqua-t-elle brusquement, d'un ton tranchant qui contrastait avec ses mots précédents. La mention de sa mère avait ravivé la colère qu'elle éprouvait envers lui pour l'avoir contactée. Elle ne savait pas encore comment elle allait gérer cette histoire mais elle en tenait largement rigueur à Abel et il n'était pas le seul à être rancunier.

Le silence s'établit entre eux quelques secondes tandis qu'elle se mordait la langue pour ne pas reprendre une diatribe assassine sur Sophie et à quel point ce coup-là était bas. A quoi bon ? C'était malheureusement fait et elle était certaine qu'il se pensait dans son bon droit. C'est elle qui finit par reprendre la parole, rebondissant sur sa conclusion avec un regard flamboyant.

- Tout ça pour ça, alors ?

Elle haussa les épaules, regardant pour la première fois autour d'elle.

- J'ai une porte, tu sais. Tu aurais pu venir y frapper plutôt que de débarquer devant mes collègues pour me mettre au pied du mur.

Un sourire aussi mauvais que désabusé naquît sur ses lèvres.

- Mais tu me détestes trop pour te donner cette peine, je suppose.


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Abel Laveau
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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeDim 22 Nov 2015 - 0:24
Le regard d’Abel restait vrillé sur Isobel, à guetter ses réactions, celles qu’elle laissait voir, tout comme celles qu’elle enfouissait. Fut un temps où il avait été doué à ce jeu-là, tant il connaissait la jeune femme par coeur. Est-ce que cela avait changé ? Oui, et non… Il y avait certains tics, certaines postures chez elle qui semblaient avoir résisté au temps et à l’éloignement. Et pourtant, Abel n’arrivait pas à se dire que c’était la Isobel qu’il avait toujours connue qui se tenait là, devant lui. Ce n’était pas vrai, tout simplement. Elle avait grandi, mûri, évolué, d’autres choses dont Abel ignorait tout s’étaient intégrées dans son quotidien. Elle avait indéniablement changé. Mais il restait quelque chose de l’ancienne Isobel, il le voyait, maintenant…

Il le voyait maintenant qu’ils n’en étaient plus à se lancer des phrases assassines, à vouloir se faire mal plus qu’à s’écouter. Pour la première fois depuis qu’il était en Angleterre, il semblait à Abel que son ancienne amie laissait ses défenses se fissurer, un tout petit peu, comme s’il avait réussi à toucher Isobel, celle qu’il connaissait, et qui n’avait pas disparu derrière ces couches de mauvaise foi et d’auto-défense. Il le vit, dans son regard, dans son ton, qu’elle était touchée par ses paroles. Il comprit qu’il avait réussi à l’atteindre, et comme elle, Abel s’adoucit légèrement. Cela se sentit dans les traits de son visage qui se détendirent, et dans le fait qu’il l’écouta s’exprimer jusqu’au bout, sans l’interrompre. Le point de vue d’Isobel sur son départ, c’était ce sur quoi il tentait de la faire parler, sans langue de bois, depuis le début. Il n’allait pas cracher dans la soupe maintenant qu’elle faisait enfin preuve de franchise avec lui, cela lui procurait même un certain soulagement qu’elle parle enfin. Abel n’attendait pas d’excuses, ni de regrets, il était résigné au fond : les choses étaient faites, c’était bien trop tard pour avoir ce genre de réclamations, ce n’était pas comme s’il la confrontait quelques mois après sa fuite. Mais il avait ce besoin difficile à cerner qu’elle lève le voile sur ce silence de seize ans, qu’elle s’explique : qu’elle répare, en quelque sorte. Car Abel vivait son départ et son silence comme une injustice à son égard et à celui de toutes les personnes qui avaient aimé Isobel, c’était aussi simple que cela.

« J’avais bien compris que c’était pour toi. »

C’était ce qu’il disait depuis le début. Et c’était égoïste, quoiqu’en dise Isobel. Ce fut la seule phrase qui franchit ses lèvres après son discours, mais cette fois, Abel ne la prononça pas avec cette verve qui avait qualifié ses reproches précédents. Il la prononça comme une déclaration, comme s’il se contentait d’exposer un fait. C’en était un. Isobel avait vécu sa démarche comme nécessaire et salvatrice, Abel ne remettait pas en cause cela, mais il n’empêchait qu’elle avait lésé tous ses proches au passage, qu’elle avait piétiné ses relations, et qu’elle avait causé du tort derrière elle, ce qu’elle refusait de voir avant qu’il ne la mette face à cette réalité qu’elle avait fui. Son tort à lui ? De ne pas avoir anticipé ce départ. De ne pas avoir vu à l’époque à quel point Isobel s’était sentie mal, au sein de son coven, d’avoir refusé de le voir.

Mais cette carapace que s’était forgée la jeune femme, toutes ces années, était en réalité fragile, se rendit compte Abel. Sa réaction face à la venue de Sophie Lavespère en était une preuve évidente. Isobel était loin d’avoir oublié les siens. Elle était loin de n’en avoir « rien à carrer » comme elle l’avait brillamment déclaré à leurs retrouvailles, au moment du nouvel An. Autrement elle ne se serait même pas émue de l’arrivée de sa mère, elle ne se tiendrait pas ici, à laisser voir qu’elle était touchée, ou en colère. Isobel Lavespère était une femme parfaitement capable de feindre l’indifférence, même lorsque ce n’était pas ce qu’elle ressentait en son for intérieur. Qu’en conclure alors, quand elle ne parvenait même plus à feindre ?

Il ne répondit donc pas à la démonstration de colère de son ancienne amie, peu désireux qu’elle devienne encore plus tranchante, mais surtout parce qu’il n’avait pas besoin de la faire parler plus à ce sujet. Il avait cherché à la toucher personnellement en prévenant sa mère de sa présence. Il avait réussi. Maintenant, il ne restait plus qu’à mère et fille de se revoir…

Lorsqu’Abel daigna sortir de son silence, ce fut pour reprendre le même ton que tout à l’heure, presque désarmant de neutralité, bien que cette fois, un sourcil levé trahit une certaine perplexité :

« Je ne te déteste pas. »

Enfin… Pas au sens propre du terme, nuançait t-il en son for intérieur. Il avait ressenti beaucoup de choses envers Isobel, et il avait fini par nourrir énormément de colère et de déception à son encontre. Mais la détester ?

« Je t’en ai voulu, Isobel, énormément. Maintenant, ce que je ressens… Il s’arrêta quelques secondes, comme s’il cherchait lui-même le bon mot à poser sur son état. Elle avait éveillé tant de sentiments conflictuels en lui, toutes ces années, et ce soir, leur discussion avait peut-être apporté quelques nuances à sa réflexion, mais il n’avait pas pour autant l’impression que les choses s’étaient apaisées. Elles le seraient peut-être, à terme… Mais pas maintenant. Il baissa une seconde le regard, presque hésitant à continuer. Il n’était pas si facile de démêler son ressenti, même s’il y avait certaines choses dont il était certain. Il ne reste que l’amertume et le sentiment de gâchis. Mais je ne t’ai jamais détestée. Je ne serai pas venu jusqu’ici, si c’était le cas. »

A quoi bon en effet perdre son temps avec quelqu’un qu’il détestait ? Isobel avait de l’importance pour lui. Elle continuait d’en avoir, malgré tout ce qui s’était passé, malgré tout ce qu’Abel pouvait se dire. Il n’arrivait pas à lâcher le morceau, c’était plus fort que lui. Il s’était dit il y a bien longtemps que c’était fini, mais ça ne l’était pas. Il n’aurait pas appelé Sophie, sinon. En vérité, c’était exactement le même raisonnement que celui qu’il appliquait à Isobel : il réagissait trop au quart de tour, il s’investissait bien trop émotionnellement pour faire croire encore que tout cela était derrière lui. Cela ne coulait pas de source, pourtant, Abel avait tempêté contre lui-même ces derniers mois, à savoir s’il devait réagir, ou s’il valait mieux laisser tomber, avant d’agir presque sur un coup de tête, là où il savait que cela ferait mal. De toute évidence, il n’était pas le seul des deux à repousser l’introspection…

Chassant ses propres pensées pour le moment, il se força à revenir au moment présent et aux reproches de la sorcière, dardant de nouveau son regard sur elle.

« Ca t’étonne que je te mette au pied du mur, alors que c'est exactement ce que tu as fait avec nous ? La question était plus rhétorique qu’autre chose et d’ailleurs, Abel ne tarda pas à enchaîner. Tu avais tes raisons, très bien. Je n’ai rien à redire là-dessus. Mais tu ne fais que voir l’histoire de ton point de vue, et tu as attendu de nous tous qu’on voie les choses comme toi tu les voyais. Pas une seconde, tu ne t’es dit que peut-être, on ne comprendrait pas, ou que même si on le faisait, on ne te pardonnerait pas. Ce n’est pas mettre les gens au pied du mur, ça, de ne leur donner droit à aucun retour ? "Je disparais, et débrouillez-vous avec ça, de toute façon, je ne suis plus là" ? Pas un moment, tu t’es dit que tu étais injuste envers nous. Alors, ce n’est pas" tout ça pour ça", Isobel. Cette discussion est plus qu’importante. Parce qu’elle aura essayé de te faire entrer dans le crâne que tu n’avais pas le droit de nous ignorer à ce point. »

Est-ce que le but était atteint ? Peut-être, mais quelque chose disait à Abel que même si c’était le cas, Isobel ne le verbaliserait pas.


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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeLun 23 Nov 2015 - 0:04
« Je ne te déteste pas. » Ces quelques mots firent relever les yeux à Isobel tandis que ses certitudes vacillaient. Tous ces derniers mois, depuis le moment où ils s'était revus en décembre, elle avait été intimement persuadée qu'il la détestait. Que ce soit dans ses reproches, son regard sombre ou son ton dur, elle l'avait cru. C'était d'ailleurs la seule raison qu'elle pouvait imaginer pour tout ce qui se passait. Pourquoi serait-il ici sinon ? Pourquoi chercherait-il à la confronter ? Elle, à des moments durant ces derniers mois, elle l'avait détesté. Elle avait eu envie de lui faire du mal, autant qu'il lui en faisait, elle avait eu envie de le secouer, d'ébranler cet air impavide qu'il arborait sans cesse depuis qu'ils s'étaient quittés en décembre, comme si tout cela ne lui faisait rien alors qu'elle avait l'impression d'être ébranlée au plus profond de ses fondations. Abel se tenait face à elle comme si cela le touchait à peine, comme si c'était juste réglementaire pour lui d'être venu exiger réparation à son tort. Elle, elle criait, s'emportait, tempérait, l'insultait, le frappait même et lui... Presque rien. Même lorsqu'il déclarait qu'il ne la détestait pas, il n'y avait rien derrière, il semblait juste surpris qu'elle demande comme si cela n'était pas évident. Comment pouvait-il cacher autant ce qu'il pouvait - éventuellement, elle ne savait même plus - ressentir alors que elle peinait à garder son calme ?

Mais elle ne dit rien, se contentant de croiser un peu plus ses bras sur sa poitrine, dans un geste défensif et mécanique. Qu'il lui en ait voulu, elle le savait, elle le comprenait. Qu'avait-elle espéré dans le fond ? Qu'il lui pardonnerait ? Qu'il lui souhaiterait bon vent ? Peut-être bien. Leur amitié avait été tellement forte, tellement spéciale que oui, peut-être, elle avait cru. L'aurait-elle fait à sa place ? S'il était parti sans un mot, sans se retourner ? Non, sûrement pas. Elle l'aurait détesté. Elle aurait changé chaque sentiment positif en colère histoire de tourner la page de la plus brutale des manières : en l'arrachant. Mais si Abel ne la détestait pas mais ne la pardonnait pas, alors que faisait-il ? Elle baissa les yeux lorsqu'il mentionna le sentiment de gâchis parce que celui-là, elle l'avait aussi.Et c'était sûrement ce qui la rendait le plus malheureuse, tout en étant très ironique puisqu'elle était celle qui l'avait déclenché. Mais c'était bien là, devant les ruines de leur amitié, ils se tenaient face à face d'une manière qu'elle n'aurait jamais pu envisager. Cela avait été facile de fermer les yeux en étant loin mais face à lui, elle avait l'impression de voir tout ce qu'ils avaient raté. Et c'était étonnamment douloureux. Elle n'aurait pas pensé, elle qui s'était bercée de l'illusion qu'elle était intouchable mais Abel lui rappelait que non, qu'elle avait une énorme faiblesse et c'était lui. Secouant doucement la tête pour sortir de ses pensées, elle releva ses yeux sombres vers lui, le cœur ayant accéléré imperceptiblement lorsqu'il reprit la parole.

Isobel aurait pu jour les candides - ou la mauvaise foi - et prétendre qu'elle ne voyait pas ce qu'Abel voulait dire mais c'était le cas et pour la première fois depuis le début, elle pouvait entendre qu'il avait raison. Tout simplement parce qu'il mettait le doigt sur ce qu'elle avait toujours admis au fond d'elle : elle était sûre de ses raisons mais la méthode n'avait pas été bonne. Elle était fière de son parcours, oui, mais pas de cette fuite. Elle n'était pas fière d'avoir agi ainsi et c'était aussi l'une des raisons qui avait fait qu'elle n'était pas revenue en arrière. Abel venait, sans le savoir, de révéler au jour les faiblesses de son raisonnement. Elle aurait pu, pourtant, s'emporter de nouveau, prétendre que ce n'était pas vrai, protester mais elle n'en n'avait plus le courage ce soir et à quoi bon ? Elle avait déjà essayé de lui mentir en le regardant dans les yeux et cette méthode n'avait pas été efficace. Alors autant procéder à la vérité, elle était de toute manière lasse de se battre.

- Je ne voulais pas que certains me pardonnent, répondit-elle simplement, d'une voix basse, étonnamment hésitante. J'ai voulu leur faire payer. Je voulais qu'ils soient en colère autant que moi. Tu avais raison : je n'ai pas choisi la date au hasard ou ce que j'ai fais. Je voulais les contrarier. Ma mère... Pour ma mère, je ne sais pas. Je voulais lui faire payer aussi mais à la fois... Je crois que j'aurais bien aimé qu'elle me retrouve, elle. Seulement elle, à l'époque. Parce que cela aurait été la preuve qu'elle s'en souciait.

Cet aveu était difficile à faire mais c'était vrai et Abel connaissait suffisamment ses relations compliquées avec sa mère pour le comprendre.

- Quant à toi...

Son ton se fit murmure l'espace d'un instant avant qu'elle ne se reprenne, relevant les yeux vers lui, son regard sombre dans son regard clair.

- Je ne voulais pas te faire de la peine, Abel. Je ne voulais pas que tu sois fâché contre moi, je voulais... Partir. Et je me disais que cela ne serait pas si important que cela, au fond, pour toi. Que tu t'en remettrais parce que ce n'était pas si important que cela. Je n'étais pas si importante que cela.

Elle haussa les épaules, mal à l'aise.

- Tu avais ta vie, toi. Des études, une carrière à venir. Et regarde toi, fit-elle avec un infime sourire. J'avais raison. Archimage reconnu, une carrière à l'international... Tu aurais fini par passer à autre chose. Tu le faisais déjà un peu. Tu rentrais moins, tu n'étais plus là les week-end. Je me disais que tu avais tes nouveaux amis, que tu rencontrais des gens bien plus intéressants. Que tu finirais par partir définitivement, que tu rencontrerais quelqu'un, que tu te marierais et que nous deux...

Elle s'interrompit, pas prête à cet aveu-là, beaucoup trop intime, beaucoup trop humiliant.

- Et moi, je serai restée en arrière. Cette pauvre gamine de la Nouvelle-Orléans, l'amie d'enfance qu'on finit par oublier. Je suis partie la première. C'était moins difficile comme ça, aussi.

Elle baissa les yeux.

- Je me suis toujours dis que... Je ne sais pas. Que ça ne serait pas grave. Que tout le monde s'en fichait dans le fond. Que j'étais plus attachée à toi que tu ne l'étais à moi.

Elle haussa les épaules, doucement.

- Que c'était inévitable.


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Abel Laveau
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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeMar 22 Déc 2015 - 22:16
Les aveux suivants laissèrent Abel silencieux, sourcils froncés dans une attitude de réflexion face à Isobel qui s’ouvrait à lui, presque comme s’ils étaient déportés des années en arrière, et qu’elle lui faisait part de ses problèmes avec sa mère. Voilà des choses qui seize ans plus tard ne changeaient pas… Aujourd’hui encore, tout ce qui concernait Sophie Lavespère était entouré de complexité. Abel, en tant que témoin extérieur et proche ami d’Isobel, avait toujours vu relativement facilement le besoin qu’elle avait de se faire remarquer par sa mère. Il n’y avait pas besoin d’être un docteur en psychologie pour tirer des conclusions de sa propension à faire toutes les bêtises, à provoquer son monde et surtout sa mère. Quand on connaissait son histoire, fille née sans père, récupérée par une femme qui ne savait s’occuper d’elle, il n’était guère étonnant qu’elle en soit arrivée là. Isobel était évidemment pudique sur le sujet, préférant feindre l’indifférence. Abel n’était jamais tombé dans le panneau, tout comme il n’avait jamais cru non plus que Sophie Lavespère se moquait du sort de sa fille. Mais ce n’était pas à lui de le prouver à Isobel, aujourd’hui encore moins que lorsqu’ils étaient meilleurs amis.

Si la partie sur Sophie ne l’étonna donc pas vraiment, ce qui s’ensuivit en revanche modifia les traits de l’archimage, jusqu’à faire place à une véritable surprise. Il écouta sans rien dire Isobel lui exprimer des reproches qu’elle avait nourri seize années plus tôt, sans se douter une seconde que cela avait été une source du problème. Silencieux, intérieurement en train de faire sa propre introspection, il s’efforçait de rassembler tous ses souvenirs de cette époque, et se repasser toutes les scènes qui pouvaient confirmer les propos d’Isobel. Il ne se souvenait plus vraiment des détails, il se rappelait de cette année comme l’une des plus remplies au niveau de ses études, il lui semblait qu’il avait effectivement soupçonné un moment qu’Isobel lui en voulait pour cela. Mais ils n’en avaient jamais parlé. Et lui, il avait laissé couler, se disant que c’était peu ou prou la même rengaine : elle, lui enviant ses études, comme elle l’avait toujours fait, depuis qu’ils se connaissaient. Abel n’avait jamais soupçonné qu’il y avait plus que cela.

Le « Mais » qu’il souffla passa inaperçu dans la suite de paroles qu’Isobel lâcha sans le regarder. Non, il n’avait jamais soupçonné qu’il y avait plus que cela. C’était le cas de le dire. Est-ce que c’était lui qui interprétait de travers ou était t-elle en train d’avouer quelque chose de hautement embarrassant ? Son regard qui restait jusqu’alors fixé sur Isobel partit se perdre quelque part sur le sol, alors qu’il se repassait mentalement le discours. C’était… bizarre, il n’y avait pas d’autre mot. Il avait fait mille raisonnements pour expliquer le silence d’Isobel à son égard : elle préférait fuir que d’affronter sa réaction, elle n’avait pas eu envie d’être retrouvée, elle était mieux là où elle était et préférait laisser son passé derrière elle, leur amitié ne comptait pas assez pour elle… Il avait pensé à tout, il avait même pensé qu’il n’était pas assez important pour elle. Mais pas qu’elle n’était pas assez importante pour lui.

Alors c’était ça ? Dans tout ce qui avait pu la motiver à partir sans un mot, il y avait elle s’imaginant que personne ne ferait cas de son départ. Elle, convaincue qu’elle ne représentait rien d’important pour personne. Elle qui aurait voulu être plus pour quelqu’un, pour sa mère… Pour lui ? Abel releva la tête, trouvant finalement le courage de retrouver le regard d’Isobel après le silence le plus pesant de son existence. Sa voix se fit basse, éraillée, moins assurée que ce qu’il aurait voulu en sortant de sa gorge :

« Eh bien tu te trompais. »

Il guetta les réactions de la jeune femme, sans bouger, sans s’avancer d’un pas, comme s’il y avait toujours cette barrière intangible entre eux. Son regard trahissait la déception plus que la rancoeur, désormais.

« Je t’ai cherchée longtemps. Trois ans pour être exact. Après, j’ai laissé tomber. Parce que je commençais à passer pour un désespéré à me raccrocher à un fantôme, et parce que j’avais compris que tu ne voulais pas qu’on te retrouve. Et je suis tellement pas passé à autre chose que je suis encore là maintenant, malgré la carrière d’archimage international, alors tu vois. Tu t’es gourée du début à la fin. »

Il se tut là-dessus, mal à l’aise pour une raison qu’il ne parvenait pas à s’expliquer. Sûrement parce qu’il venait à son tour d’avouer des choses qu’il s’imaginait en jamais énoncer à qui que ce soit, et encore moins à Isobel. Pourtant cela n’avait même pas été difficile de le dire, mais désormais… C’était juste gênant.


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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeMer 23 Déc 2015 - 3:34
Isobel parlait deux langues couramment et pourtant, elle ne trouvait à cet instant aucun mot assez fort pour exprimer le malaise qui s'était installé entre Abel et elle. Il avait baissé les yeux, elle avait tourné la tête et un lourd silence régnait sur la pièce, sans qu'elle ne puisse le rompre, sans d'ailleurs même qu'elle ne sache comment le rompre. Elle ne savait même pas pourquoi elle avait parlé, pourquoi elle avait dit tout cela. Elle n'était pas volubile sur ce genre de sujets, bien au contraire. Elle était renfermée voire secrète et obtenir d'elle qu'elle parle des véritables sentiments qui pouvaient l'agiter était un tour de force. Face à Abel, elle avait cédé. Elle avait cédé parce qu'elle était fatiguée de se battre, parce qu'elle voulait que tout cela s'arrête, parce qu'elle voulait fermer les yeux très fort et faire comme si rien n'était arrivé, retourner à sa vie d'avant où tout n'était pas si compliqué. Sauf qu'en cédant, c'était comme si elle avait dû tout dire, lancée dans ces phrases qu'elle avait retenu si longtemps, qui étaient restées cachées si longtemps. Fichue pour fichue, Isy n'avait pas vraiment su s'arrêter, avait été honnête jusqu'au bout et... ils se retrouvaient dans cette situation.

A cet instant précis, elle aurait pu au choix se maudire elle-même sur sept générations ou transplaner très loin d'ici pour ne plus jamais recroiser Abel ou bien les deux à la fois. Rentrer chez elle, oublier ce qui venait de se passer et surtout ne plus jamais y repenser. Il avait voulu ses réponses, il les avait eu, c'était fini désormais. Qu'elle s'en aille, qu'il s'en aille, cela n'avait plus d'importance : la page était enfin tournée des deux côtés, la boucle était bouclée et n'appelait à plus rien. Après tout, c'est ce qu'il lui avait dit : il avait voulu lui parler et c'était désormais chose faite. Ils n'avaient plus rien à se dire et dans tous les cas, plus rien à faire ensemble. Ils ne se connaissaient plus, n'étaient plus que deux étrangers l'un pour l'autre, deux étrangers qui avaient enfin réglé leurs comptes. Ils n'étaient plus ces enfants qui s'étaient adorés, ces amis inséparables, ils n'étaient plus rien : ils avaient grandi. Elle s'apprêtait à se détourner pour rentrer chez elle lorsqu'il releva la tête, la stoppant sans le savoir dans son mouvement.

Les mots et le ton d'Abel firent manquer un battement à son cœur et elle détesta cela. Tu te trompais. Sur quoi ? Sur tout ? Elle avait dit tellement de choses, sous-entendu une chose qu'elle n'aurait jamais pensé dire après toutes ces années et elle n'aurait même pas dû se poser la question de savoir ce qu'il voulait dire par là. Même si elle s'était trompée, à quoi bon ? C'était le passé et ils ne pouvaient revenir en arrière. Elle ne pouvait revenir sur son appréciation, sur tout ce qu'elle avait ressenti à cette époque, sur ce sentiment qui l'avait habitée pendant des années et qui avait explosé quand elle avait eut seize ans. Ce sentiment de ne pas compter assez pour les gens auprès de qui elle aurait dû compter, de n'être qu'un poids dans les jambes de sa mère, de ses tantes, de n'être qu'une boule de pouvoirs magiques pour sa famille, de n'être qu'une amie pour Abel, du genre qu'on aime un temps et qu'on oublie, parce qu'on grandit et qu'on fait sa vie ailleurs. Peut-être qu'elle s'était trompée, oui, dans le fond. Peut-être que cela n'avait été qu'une crise d'adolescence mais à l'époque, c'était douloureux, obsédant, entêtant. Les mots de sa mère l'atteignaient à chaque dispute alors elle répliquait avec encore plus de force, elle poussait ses tantes à la rupture en se montrant odieuse, elle creusait son propre fossé. Et Abel, elle l'attendait et certains mois, elle avait eut l'impression de passer des heures à l'attendre, des jours même, pour apprendre que finalement, non, encore une fois, il ne rentrerait pas ce week-end. Et de rage, de chagrin, de jurer que c'était la dernière fois qu'elle prenait ça aussi à cœur. Avant de recommencer la semaine suivante.

La gorge un peu serrée, les mains crispées sur le tissu de sa veste, elle l'écoutait déclarer qu'il l'avait cherchée trois ans avant d'arrêter. Trois années entières, c'était long, trois ans après sa fuite, Isobel était déjà bien loin de la Nouvelle-Orléans. Elle avait dix-neuf ans, était en difficulté à Los Angeles, songeait presque tous les jours à rentrer chez elle avant de se reprendre et d'essayer de s'en sortir par elle-même. Abel avait raison, elle n'avait pas voulu qu'on la retrouve parce que si cela avait été le cas, elle serait rentrée. Elle le savait, elle l'avait toujours su. Elle s'était tenue loin de la Louisiane parce qu'elle savait qu'elle n'y était pas indifférente et ne voulait pas prendre le risque de rentrer à la maison. Mais si la prise de parole d'Abel lui avait fait baisser les yeux, avait serré sa gorge en l'empêchant de dire quoi que ce soit, la suite fut pire.

« Et je suis tellement pas passé à autre chose que je suis encore là maintenant, malgré la carrière d’archimage international, alors tu vois. » A quel point s'était-elle trompée, au final ? Dans le fait qu'ils s'oublieraient ? Qu'il l'oublierait ? Au final, si elle s'était trompée en pensant qu'il comptait plus pour elle qu'elle ne comptait pour lui, qu'est-ce que cela signifiait ? Elle le fixa un long instant sans rien dire, sans savoir quoi dire, avec au fond du cœur cette immense sensation de gâchis qui explosait, la laissant emplie de tristesse et de lassitude sans qu'elle ne puisse rien y faire. Et pourquoi se fatiguer ? Pourquoi se faire plus de mal à essayer de comprendre, à se torturer la tête sur ce qu'il avait voulu dire, sur à quel point elle avait pu se tromper ? Pourquoi faire des hypothèses sur des cendres ? Elle s'était trompée du début à la fin. Et c'était la fin. Peu importait ce qui avait été, peu importe ce qui aurait pu être, ce qu'elle avait raté, ce qu'il avait raté, ce qu'ils avaient raté. Elle ferma les yeux brusquement et sentit l'air lui manquer sans savoir pourquoi, serrant ses mains sur sa veste. Elle voulait s'en aller. Elle ne voulait pas rester là, dans ce silence étouffant, dans ces souvenirs pesants, dans ce gâchis qui les embourbait. Elle recula d'un pas sans vraiment faire attention où elle allait, ne rouvrant les yeux que quand son dos rencontra un meuble.

- Peu importe, souffla-t-elle d'une voix blanche.

Sa respiration s'était accélérée de manière évidente et elle porta sa main à son médaillon pour le saisir entre ses doigts fins.

- Je me suis trompée, répéta-t-elle un peu trop rapidement. Mais c'est trop tard, ça ne sert à rien de refaire l'histoire.

Elle avait le vertige, sans savoir pourquoi, les mains un peu tremblantes et surtout, le cœur battant à cent à l'heure et cet impérieux besoin d'air frais. Elle s'éloigna de quelques pas, vers la porte, l'esprit allant à toute vitesse avant de se détourner brusquement, sa main se posant sur la poignet. Sortir, laisser tout cela derrière elle et ne plus jamais revenir. Elle ne sut pas pourquoi les mots sortirent à ce moment-là, sans même se retourner, sans même un éclat de voix. Ce fut presque un murmure qui n'aurait pas été audible s'il n'avait pas été prononcé dans ce silence assourdissant.

- Je suis désolée de t'avoir fait du mal.

Du français, d'une voix un peu trop tremblante, comme si seule sa langue maternelle pouvait exprimer ces quelques mots. Du français, comme à la Nouvelle-Orléans, du français, comme lorsqu'elle était enfant. Du français, l'espace d'un instant.

Et puis elle appuya sur la poignée et sortit, sans même laisser à Abel le temps de de répondre. Elle appuya sur la poignée et fit la même chose qu'il y a seize ans, fit la même chose qu'à chaque fois : elle s'enfuit.

FIN POUR ISOBEL


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Abel Laveau
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Fire meet gazoline [Abel] Icon_minitimeSam 9 Jan 2016 - 19:13
L’attitude clairement fuyante d’Isobel n’agaça pas Abel cette fois, parce qu’au fond de lui, il avait la même envie de se terrer quelque part. Il ne savait comment exactement, mais cette conversation leur avait échappé, à lui comme à elle. Il n’était plus comme tout à l’heure, la tête haute et maître de ce qu’il pouvait dire. Des aveux venaient d’échapper à Isobel, et lui de même, et désormais, ils se trouvaient bras ballants l’un face à l’autre, dans le malaise le plus indescriptible qu’Abel ait affronté. L’homme n’était pourtant pas le genre facile à démonter, mais s’il y avait une personne avec qui il avait été suffisamment proche pour y arriver, c’était bien Isobel.

Il n’ajouta rien lorsqu’elle opposa qu’il était trop tard, de toute manière. Cette fois-ci, il était bien d’accord avec elle. Il était trop tard pour revenir en arrière et modifier ce qui avait été fait… Mais peut-être était t-il encore possible de panser les plaies et rebondir ? Cette pensée, prononcée par une toute petite voix dans la tête d’Abel, s’évapora comme si elle n’était venue de rien, et retournée à son néant aussitôt. Il était encore bien trop tôt et bien trop délicat pour spéculer de quelque façon que ce soit sur la suite des évènements. A l’heure actuelle, Abel était incapable de dire ce qu’il adviendrait des cendres consumées, retournées, re-brûlées, de leur ancienne amitié. Il lui avait fait beaucoup de mal, devinait t-il, juste en posant le coin de l’oeil sur le visage défait d’Isobel. Angoisse, incompréhension, colère… Il n’était plus le seul à avoir connu cet état. Il avait été brutal avec elle, impitoyable, intraitable, oui, mais il savait une chose, au fond de lui : il n’avait pas voulu lui faire du mal. C’était arrivé, parce qu’il ne s’était pas retenu un instant de lui jeter à la figure tout ce qu’il ressentait, mais ce qu’il avait voulu, c’était la faire réagir, lui faire comprendre, la faire parler. Il ne prenait pas cela comme une excuse ou une justification. Abel, même maintenant, même dans cette situation terriblement inconfortable, assumait ce qu’il avait dit ou fait depuis qu’il l’avait retrouvée. Même maintenant, il estimait que cela avait été nécessaire.

Il ne retint pas Isobel alors qu’elle s’avançait pour quitter son appartement. Il n’avait plus rien à lui dire. Il ne savait pas s’ils auraient autre chose à se dire un jour, le malaise semblait plutôt parti pour durer un moment entre eux, et après… Eh bien, s’installerait l’indifférence probablement. Parce que malgré tout, malgré ce qu’ils s’étaient dit, Abel n’avaient pas réussi qu’ils avaient réussi à se comprendre. Ils s’étaient jeté leur ressenti à la figure, leur interprétation des choses, mais est-ce-qu’une fois l’un avait cédé du terrain ? Est-ce qu’une fois l’un avait revu ses positions et exprimé cela ? A cet instant, Abel sentait que sa perception du départ d’Isobel vacillait à l’aune de ce qu’elle lui avait avoué, mais c’était encore trop fragile pour qu’il y pose des moments. Du recul, ils en avaient besoin tous les deux, c’était évident.

Alors il ne fit aucun geste pour retenir Isobel. Il était dans cette attitude de résignation et de dépit, il y serait resté… S’il n’avait pas entendu un français murmuré du coin de l’oreille. Quand Abel se retourna, c’était trop tard : Isobel avait refermé la porte derrière elle pour se fondre dans l’obscurité de la nuit, le laissant seul. Il resta un long moment debout, le regard fixé sur cette porte, comme si elle devait se rouvrir à un instant ou à un autre. Elle ne le fit pas.

Et les mots finirent par sortir, soufflés sur le même ton.

« Moi aussi. »

Des excuses qui avaient l’air anodines, jetées comme ça, alors qu’elles changeraient probablement la donne, parce que c’était le premier abandon qu’il faisaient, chacun. Le premier pas vers l’autre.


FIN DU RP


Abel Laveau
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