Take it to the grave [Artémis & Nora]

Vendredi 8 mai 2009

Got a secret
Can you keep it?
Swear this one you'll save
Better lock it in your pocket
Taking this one to the grave
If I show you then I know you won't tell what I said
'Cause two can keep a secret if one of them is dead

Les célébrations des onze ans de la chute de Voldemort constituaient un moment parfait pour interroger Nora, décida Artémis. Jane serait trop occupée avec les trublions anti Greengrass pour songer à s'immiscer dans leur conversation. L'ambiance dans le dortoir des trois filles de Poufsouffle s'était énormément refroidie cette année - dommage, c'était leur dernière. On ne pouvait pas tout mettre sur le compte des ASPICs. En vérité, c'était l'engouement de Jane pour les Jeunesses qui avait tout commencé. La jeune Mason n'était pas vraiment ravie que sa mère soit directrice et prenait sa revanche en suivant le sous-directeur avec zèle.

Artémis n'approuvait pas ce choix. Bien sûr, elle ne pouvait pas comprendre ce que c'était d'être la fille de la directrice, mais enfin, Daisy Mason surveillait probablement bien moins sa fille maintenant qu'elle gérait l'école qu'à l'époque où elle était "seulement" directrice de leur maison. Quant aux Jeunesses, elle les abhorrait, mais pas pour les mêmes raisons que beaucoup. Elle n'avait pas vu la venue d'Adonis Greengrass d'un bon oeil, car moins elle voyait de membres de la Haute, mieux elle se portait. Au début, elle s'était contentée de rire gentiment en voyant qu'il instaurait une aide aux devoirs et voulait promouvoir l'entraide entre maisons. Comme si ce jeunot pouvait révolutionner une école vieille d'un millénaire! Il ne manquait pas d'orgueil, celui-là, avait-elle songé. Et puis les Jeunesses avaient commencé à montrer leur vrai visage: celle d'une bande de fayots qui croyait pouvoir obtenir un réel pouvoir en léchant les bottes du sous-directeur et en tapant sur les plus faibles.

Artémis avait longtemps fait partie des faibles, à Poudlard ou dans la bonne société, aussi s'était-elle instinctivement sentie agressée par ces voyoux. Pourtant, elle les méprisait. Désormais, elle n'était plus faible - elle avait dépassé ses complexes et les épreuves infligées par Théo à la famille Nott ou par Ulrich Keller lui avaient appris à garder la tête haute. Elle disposait d'un véritable pouvoir, bien supérieur à celui de ces avortons qui suivait Greengrass. Parfois, elle s'amusait à leur jouer des tours, lorsqu'elle les surprenait à outrepasser leurs droits. Quelques maléfices pas tout à fait blancs, presqu'indétectables, et le tour était joué. Elle savait qu'elle devait faire attention. Comme beaucoup de Sang-Purs, Greengrass devait être familiarisé avec la magie noire et si l'un des idiots des Jeunesses allait se plaindre, cela lui mettrait la puce à l'oreille.

Jane ne faisait pas partie de ces abrutis, Artémis le savait. Elle était comme Barclay, aveuglée par les bons sentiments, et appelait les agissements d'Ashton Smith ou de Lindsay Mailing des "débordements". La jeune Nott lui avait dit le fond de sa pensée, instaurant un climat de méfiance entre elles. Depuis, elles évitaient le sujet et tâchaient de rester en terrain neutre, mais le malaise persistait. Nora s'était retrouvée coincée au milieu, sa gentillesse naturelle l'empêchant de prendre partie.

Mais ni les ASPICs, ni la brouille de ses amies ne suffisait à expliquer son comportement depuis un mois. Artémis le savait: Nora cachait quelque chose. Ayant elle-même eu un lourd secret à porter, elle reconnaissait les signes. La nervosité, le regard fuyant, les cernes... Ce n'était pas une amourette - de toute façon, il était de notoriété publique qu'elle convolait enfin avec Irving Whitaker. C'était quelque chose de grave, de négatif. Peut-être avait-elle été agressée par un membre des Jeunesses? Ou quelqu'un qui lui faisait du chantage? Peu importait. Artémis avait décidé de lui tirer les vers du nez. Elle pouvait protéger Nora contre ces imbéciles, et son amie avait besoin de le savoir. Elle ne la laisserait pas se débrouiller toute seule.

Aussi Artémis profita-t-elle du monde rassemblé dans le parc pour tirer Nora à l'écart. La cérémonie venait de se terminer et la foule se dispersait lentement. Beaucoup d'extérieurs et d'officiels discutaient, noyant les élèves dans une masse compacte.

"Bon, alors" dit-elle à son amie lorsqu'elles eurent disparu derrière la Cabane des garde-chasse. "Qu'est-ce qu'il se passe?"

Franchise et loyauté: après tout, elles étaient à Poufsouffle!

Nora se permit un soupir de soulagement lorsque la cérémonie toucha à sa fin. La plupart des élèves de l’école s’entendaient sur le fait que les discours étaient toujours trop longs, mais la jeune fille les avait trouvés particulièrement insupportables cette année. Elle ne supportait pas d’écouter parler de solidarité, de bravoure et de courage. S’entendre vanter la droiture et la noblesse des héros de guerre ne faisait que lui rappeler les mensonges et les secrets dans lesquels elle s’enlisait.

Alors que les derniers applaudissements faiblissaient, l’adolescente se leva pour rejoindre son dortoir au plus vite. D’ordinaire sociale, elle recherchait de plus en plus souvent la solitude et était certaine de trouver la salle commune déserte, pour une fois. Seule elle n’avait plus à prétendre que tout allait bien, à faire semblant de sourire, c’était reposant. Ses plans furent toutefois contrecarrer par Artémis, qui l’attrapa par le bras pour l’attirer un peu à l’écart. Une expression de surprise mêlée de crainte passa furtivement sur son visage à l’entente de la question de sa meilleur-amie, mais elle se ressaisit rapidement.

- Comment ça ? fit-elle mine de s’étonner. Il ne se passe rien du tout ! répondit-elle avec trop de conviction. Je…Je suis juste fatiguée…

C’était la vérité. Du moins en partie. Elle était morte de fatigue. Les quelques heures de sommeil qu’elle parvenait à s’accorder chaque nuit étaient perturbées par le souvenir du visage ensanglanté de Dalhiatus ou celui, déformé par la rage, d’Irving. Mais il était évidemment hors de question d’expliquer les véritables raisons de sa fatigue à Artémis. Nora s’en voulait de mentir à sa meilleure-amie, particulièrement au moment où ses relations avec Jane étaient déjà très tendue, mais elle n’avait pas le choix. Elle avait déjà craqué une fois, auprès du Pr.Corrigan, et avait pris un risque énorme. Elle redoutait chaque jour d’avoir commis une énorme erreur, qui signerait leurs arrêts de mort, à elle et à Irving. Elle ne pouvait pas refaire la même faute.

Elle mourrait pourtant d’envie de se confier à son amie, depuis le premier soir. Elle était rentrée dans le dortoir au milieu de la nuit, morte de peur et tremblante comme une feuille, et avait presque été déçue de trouver ses camarades profondément endormies. Elle s’était enfermée dans la salle de bain ou elle avait vainement tenté de noyer sa peur sous une douche brulante. Seule, ses vêtements tachés –véritables pièce à conviction- sur les bras et terrifiée par ce qui venait de se passer, elle avait dû lutter pour ne pas aller chercher un peu d’aide et de réconfort auprès de sa meilleure-amie.

A peine quelques années plus tôt, elle n’aurait peut-être même pas songé à se tourner vers Artémis tant son amie paraissait manquer de confiance en elle. Elle avait longtemps été excessivement discrète, voire renfermée, pourtant elle dégageait aujourd’hui une assurance et une force sereine dont Nora aurait bien eu besoin. Elle se demandait encore ce qui se cachait derrière ce changement de personnalité, mais ses interrogations avaient récemment été chassées par des préoccupations d’un autre ordre. Préoccupations qu’elle s’interdisait toutefois de partager avec son amie, peu importe à quel point elle en ressentait l’envie, et même le besoin.

- Ça va passer, conclut-elle finalement avec une pointe d’espoir.

Si seulement…

Pour que Nora ne se livre pas immédiatement, ce devait être vraiment grave, jugea Artémis.

"Oui, bien sûr, je comprends. Les ASPICs, le Capitanat, tout ça..."

Mais sa moue sceptique démentait la compréhension de ses paroles. Croisant les bras, elle jaugea Nora en fronçant les sourcils. Comment l'amener à parler? Peut-être en lui montrant qu'elle la connaissait bien... qu'elle pouvait lui faire confiance? Mais Nora n'avait aucune idée des capacités de son amie. Ses entraînements avec Ulrich étaient restés un secret bien gardé, découvert uniquement par Théo en fouillant dans le coffre familial. Son frère n'avait, malgré leurs différents sur ce sujet comme sur tant d'autres, jamais ébruité l'affaire, et Artémis s'en était arrangé. Aux yeux de tous, même de ses meilleures amies, son tempérament s'était simplement amélioré grâce au Quidditch ou à l'âge.

Elle tendait même à redevenir assez grognon par moment. Comme lorsqu'on parlait de Leopold Marchebank, qui saignait à mort des familles de Sang-Pur déjà laissées exangues par la guerre. Dès lors, comment Nora oserait-elle se confier à elle, si elle subissait une pression quelconque? Son amie avait tellement tendance à voir le bien partout qu'elle minimisait sans doute ce qu'elle vivait, et songeait que ses camarades de dortoir étaient bien trop tendres pour l'aider.

"Nora, tu ne manges pas, tu ne dors pas, ou alors tu fais des cauchemars. Tu n'écoutes pas en cours et à chaque entraînement tu manques de tomber de ton balai. Tu as le regard fuyant et tu sursautes au moindre claquement de porte, comme si des Détraqueurs allaient te tomber dessus."

Bon, elle forçait peut-être un peu le trait, mais l'idée générale était là.

"Tu sais ce que ça me rappelle? Moi, pendant la période où Keller me faisait chanter."

Car c'était là la version officielle. Lorsqu'Ulrich était mort, le sortilège du Gardien s'était brisé, et les Aurors avaient pu, dans une certaine mesure et aidés par d'autres témoins, remonter jusqu'à elle. Grâce à ses nouveaux talents, elle avait réussi à conserver assez de sang-froid pour sortir un mensonge convaincant. Elle l'avait surpris en train de menacer son frère Ahren, et il l'avait fait taire en menaçant d'éliminer sa famille. Rien qui ne soit complètement faux, d'ailleurs. Artémis n'avait pas eu trop de scrupules à raconter cette version à Nora et Jane, consciente qu'elles ne comprendraient pas la vérité. Le seul problème était de ne pas se trahir lorsqu'elle en parlait, mais c'était fort heureusement un sujet qu'elles n'abordaient pas beaucoup. Et aujourd'hui, ce mensonge pouvait aider Nora à se confier.

"Qui te menace, Nora? Je sais ce que c'est, je peux t'aider."

Nora baissa les yeux alors qu'Artémis lui renvoyait une vision d'elle-même plutôt inquiétante. Elle ne s'était pas préparée à ça. Elle se doutait bien que ses plus proches amis remarqueraient quelque chose mais n'aurait pas imaginé que son mal-être puisse être si évident. Pourquoi fallait-il qu'elle soit incapable de dissimuler son état ? Artémis avait été bien plus discrète quand elle avait elle-même eu de graves problèmes. Bien sur Nora avait, à l'époque, remarqué quelques changements de comportements, mais rien d'aussi flagrant que ce que lui exposait sa camarade. Elle n'aurait jamais soupçonné que son amie subissait un odieux chantage de la part d'Ulrich Keller, qui avait été identifié comme le vengeur masqué quelques mois plus tard. Et elle se détestait pour ça.

Elle s'en voulait de ne pas avoir su le voir quand son amie aurait eu besoin de son aide. Elle s'en voulait d'avoir si désespérément besoin de son aide aujourd'hui alors qu'elle ne pouvait pas se permettre de la mettre dans la confidence. Et elle s'en voulait de ne pas être assez forte pour garder ce secret. Au désarroi qui l'avait envahi un instant plus tôt suite à la question de son amie succéda une colère ravageuse. Elle n'en pouvait plus de cette culpabilité qui l'écrasait, de cette peur qui la suivait partout, elle n'en pouvait plus de mentir, de se cacher. Le secret la rongeait de l'intérieur, il lui gâchait la vie, et menaçait désormais de lui coûter sa meilleure-amie.

- Ça n'a rien à voir, affirma-t-elle, le regard fuyant, quand Artémis lui opposa sa propre expérience avec Keller en comparaison. Laisse tomber, ajouta-t-elle fermement en redressant la tête.

Incapable de garder plus longtemps l'expression résolue qu'elle s'était composée pour faire face à son amie, Nora lui jeta un regard implorant. Artémis ne devait pas insister, parce qu'elle ne pouvait rien lui révéler. Elle n'avait aucune envie de lui mentir et s'il avait été question de quoi que ce soit d'autre elle lui aurait probablement tout raconté. Mais pas ça. C'était trop dangereux, trop grave, trop...Juste trop. Elle ne pouvait pas lui révéler la vérité mais n'avait aucune envie de se disputer avec son amie. Les tensions entre Artémis et Jane lui pesaient déjà particulièrement, elle ne supporterait pas de perdre sa meilleure-amie, pas maintenant. Elle avait désespérément besoin d'elle, elle avait besoin qu'elle soit à ses cotés, mais elle ne pouvait pas lui dire pourquoi.

"Non tu ne sais pas ! explosa-t-elle finalement, au bord des larmes. Et tu ne peux pas m'aider ! Laisse-moi !"

Frappée par ses propres paroles, horrifiée et honteuse, elle ne se laissa pas le temps de revenir sur ses mots et s'éloigna à grande enjambées en direction du château. Elle avait bien réagi, elle le savait. Tenir Artémis éloignée de tout ça était la meilleure chose à faire. Elle avait conscience qu'elle avait fait pour le mieux, pourtant sa seule envie était de retourner en courant vers sa meilleure-amie pour s'excuser et tout lui avouer. N'y tenant plus, elle ne résista pas à la tentation de jeter un coup d’œil par dessus son épaule, comme pour s'assurer qu'elle n'avait pas trop blessé sa camarade. Elle se retrouva nez-à-nez avec cette dernière, qui l'avait suivie, et laissa échapper un sanglot en l'apercevant.

"Je suis désolée...s'excusa-t-elle. Je peux pas te le dire, c'est...C'est vraiment grave, je peux rien dire, crois moi s'il-te-plait, l'implora-t-elle, le regard plein de larmes. Je suis désolée !"

"Nora ! Attend !"

Artémis suivi Nora presqu'en courant, désarmée face au mal être de sa meilleure amie. Elle avait naïvement pensé que Nora craquerait immédiatement, sensible comme elle l'était. Et elle avait sans doute sous-estimé le secret que Nora gardait. Que pouvait-il bien y avoir de si terrible? Artémis était restée un instant immobile, interdite face à fermeté noyée de larmes avec laquelle Nora l'avait plantée là, mais s'était vite reprise. Sa résolution s'affermissait de minutes en minutes. Plus Nora refusait de lui parler, s'enfonçait, pleurait, plus elle craignait ce qu'il allait en sortir à la fin. La jeune fille avait besoin de parler, sans quoi elle s'autodétruirait. En la matière, Artémis était une connaisseuse.

Lorsque Nora s'arrêta finalement, Artémis la pris avec douceur dans ses bras, recueillant ses larmes. Lentement, elle l'entraîna à nouveau à l'abris des regards et la laissa pleurer un moment, lui murmurant des "là, chut, je suis là, ça va aller" à intervalles réguliers. Mais elle n'accéda pas à la requête de son amie. Elle saurait ce qu'elle cachait, coûte que coûte, mais, en bonne Poufsouffle, elle préférait l'obtenir franchement, directement à la source. Séparant enfin son amie de son épaule, mais sans rompre le contact physique, Artémis força Nora à relever la tête.

"Tu ne peux pas continuer à garder ça pour toi."

C'était plus une évidence qu'un ordre. Nora se rongeait de l'intérieur, et ses pleurs, arrivés après juste deux questions d'Artémis, en étaient la preuve. Elle n'était pas de taille à affronter cela toute seule. Nora était quelqu'un de sociable, qui ne gardait pas ou peu de secrets, son attitude actuelle était contraire à sa nature profonde. Mais qui pouvait bien la tenir à ce point? Artémis s'entêtait dans son idée que quelqu'un la faisait chanter. Pour obtenir quoi, c'était un mystère, car Nora ne possédait rien de précieux qui nécessite de la terroriser à ce point. Si c'avait été l'oeuvre d'une pécore jalouse de son statut de capitaine ou de son couple avec Irving, nul doute que Nora n'aurait pas été aussi défaite. A moins que l'objet du chantage soit particulièrement lourd... Là encore, Artémis restait perplexe. Quel secret pourrait bien faire courber l'échine à son amie? Pas grand-chose, après tout: Nora mettait l'intégrité si haut dans son échelle de valeur qu'elle avait sans doute plus honte de choses bégnines que la majorité des gens. Il suffisait de voir à comme elle se sentait mal, autrefois, lorsqu'elle flirtait maladroitement avec Irving alors qu'elle était dans la parfaite normalité. Suivant ces réflexions, Artémis songea que ce qui retenait Nora était sûrement autant la honte que la peur, et qu'il fallait donc la mettre en confiance.

"Je viens d'une famille de Mangemorts, tu sais, et je les aime quand même. Je peux tout entendre."

Car il était évident que Nora n'aurait pas pu faire le dixième de ce que son père avait fait pendant la guerre. Quel que soit son secret et le maître chanteur qui la terrifiait, ce n'était sans doute rien qui ne puisse être réglé avec quelques petits sortilèges de son cru.

Nora ne tenta même pas de se défaire de l'étreindre de son amie et pleura longtemps entre ses bras. Elle n'aurait pas dû abandonné si vite, sachant qu'il lui serait encore plus difficile de refuser des explications à Artémis après un tel débordement, mais elle ne tenait plus. Garder ce secret pour elle et essayer chaque jours de continuer à vivre normalement la vidait de toutes ses forces. Le mensonge et la comédie n'avaient rien de naturel pour elle et il lui en coûtait un peu plus chaque jours de vivre ainsi. Pleurer lui faisait du bien, après avoir retenu trop souvent ses larmes.

Lorsque son amie lui força à relever la tête, elle posa sur elle un regard reconnaissant et ne la contredit pas. Artémis avait raison, elle était incapable de garder ça pour elle. L'envie de se dénoncer aux autorités lui avait déjà traversé l'esprit de trop nombreuses fois et seule la peur qu'il n'arrive quelque chose de grave à Irving l'avait retenue. Elle avait besoin d'en parler, c'était évident. Elle avait besoin de pouvoir tout dire à quelqu'un, de parler de Dalhiatus, de ce qui s'était passé, d'Irving, de ce qu'il avait fait. Elle était consciente de cela, mais elle ne pouvait pas se résoudre à se confier. La peur lui scellait les lèvres.

Pas la peur d'être dénoncée, parce qu'elle ne doutait pas une seule seconde de la loyauté d'Artémis. Elle savait que son amie saurait garder ce secret pour elle et que la mettre dans la confidence ne leur ferait courir aucun risque, à elle et Irving. Artémis ne les vendrait jamais volontairement. Mais si l'enquête aboutissait ? Si on remontait jusqu'à eux ? Cette perspective était déjà suffisamment terrifiante sans y ajouter la possibilité que sa meilleure-amie puisse avoir des ennuis aussi, par sa faute. Maintenir Artémis hors du secret c'était la maintenir au dessus de tout soupçon et Nora aimait les choses ainsi. Elle n'avait aucune envie d'entrainer sa camarade dans ce cauchemar.

Et sous cette peur d'éventuelles représailles, moins évidente mais toute aussi présente, il y avait la peur d'être jugée. Nora connaissait Artémis depuis sept ans. Elle était sa plus proche amie à Poudlard et la personne qui la connaissait le mieux, après Irving. Pendant sept ans Nora avait été l'amie souriante, cette fille positive qui voyait le bien chez tout le monde et qui trouvait toujours le bon coté des choses. Pendant sept ans on s'était moqué gentiment d'elle et de sa naïveté parfois enfantine. Elle était celle dont on disait qu'elle se faisait trop facilement marcher sur les pieds, qu'elle ne ferait jamais de mal à une mouche, qu'elle manquait parfois un peu de caractère. Et elle aimait être cette fille-là. Elle aimait prétendre qu'elle l'était encore, en tout cas. Elle avait besoin de se dire que cette fille n'était pas morte avec Dalhiatus, et elle avait peur qu'en dévoilant la vérité à Artémis elle ne fasse un peu plus disparaitre celle qu'elle avait été, au profit de celle qu'elle était devenue.

Et puis, que penserait son amie d'elle ? Elle ne s'était arrêté qu'à la crainte de la mettre en danger en la forçant à garder le secret, mais si Artémis n'avait aucune envie de le garder, justement ? Ils avaient fait quelque chose d'horrible, d'illégal, d'immoral, peut-être son amie jugerait-elle, à raison, qu'ils méritaient d'être punis. Et même si leur longue amitié retenait Artémis de la dénoncer, Nora ne supporterait pas de voir le regard de son amie changer. Elle avait peur de la voir s'éloigner d'elle, peur de la perdre alors qu'elle se sentait déjà si seule.

Comme si elle avait lu ses craintes dans son esprit, Artémis l'encouragea à parler en lui assurant qu'elle pouvait tout entendre, mettant en avant le fait qu'elle venait d'une famille de Mangemorts, qu'elle aimait malgré tout. Cet argument à double tranchant calma un peu les craintes de Nora autant qu'il blessa le peu d'estime qu'elle avait encore d'elle. En était-elle arrivée là ? Au point de pouvoir être comparée aux anciens Mangemorts ? Elle était de plus en plus certaine que oui.

Elle avait tendance à oublier rapidement la situation familiale d'Artémis. Tout comme elle n'avait jamais vue Jane comme la fille de la directrice, elle n'avait jamais envisagé sa meilleure-amie comme une fille de Mangemort. Elle ne s'arrêtait pas à ça. Mais c'était la vérité, et il était certain que Mr.Nott avait dû commettre des crimes au moins aussi graves qu'elle, et si Artémis l'aimait toujours malgré ça...

"Tu te souviens de ce vendredi au mois de Mars ? J'étais partie rejoindre Irving à Pré-au-Lard..." commença-t-elle d'une petite voix, la gorge encore nouée.

Elle n'avait pas caché à Artémis son désir d'aller retrouver Irving ce soir-là, mais ne lui avait rien dit de leur plan. Pour sa meilleure-amie il n'avait été question que d'un rendez-vous amoureux clandestin.

"C'était pas vraiment un rendez-vous, en fait...reprit-elle en baissant les yeux, nerveuse. On voulait taguer les murs de Pré-au-Lard avec des messages anti-FREE, avant la sortie du lendemain, et..."

Elle poursuivit son histoire d'une voix, hésitante au début, qui s'affermit au fur et à mesure qu'elle avançait. Parler lui faisait plus de bien qu'elle ne l'aurait cru. Elle cherchait ses mots et les difficultés qu'elle avait à évoquer certaines choses étaient visibles, mais elle n’omit presque aucun détail. Elle ne garda secret que ce qui concernait la Salamandre, précaution bien maigre mais qui la rassurait un peu. Elle faillit flancher à nouveau en parlant de Dalhiatus, de la haine dans son regard et de la façon dont il l'avait torturé, mais tint bon et poursuivit son macabre récit. Elle ne craqua pour de bon que lorsqu'elle en arriva à la façon dont s'était soldé cette rencontre.

"Il ne l'a pas simplement tué...souffla-t-elle en essayant de retenir ses larmes. Il l'a massacré. Elle éclata de nouveaux en pleurs violents alors que les images qui hantaient ses nuits lui revenaient à l'esprit. Je...J'ai eu tellement peur...Tu n'imagines pas, il...Je l'avais jamais vu comme ça...Elle s'accorda une seconde de répit pour reprendre son souffle et ses esprits. Il le…Il l'a frappé au visage jusqu'à ce qu'il meurt, il avait une branche enfoncée dans l'abdomen...J'ai rien pu faire..."

Sa confession achevée, Nora releva lentement un regard plein de crainte vers son amie, attendant sa réaction avec anxiété. Tremblante comme une feuille et le visage inondé de larmes, elle se sentait comme une prévenue attendant sa sentence.

"Personne ne sait, reprit-elle rapidement, trop anxieuse pour se taire plus d'une demi-seconde. Irving a effacé nos traces, et...débarrassé du corps...je pense...Personne ne doit savoir, supplia-t-elle. Mais il y a cette enquête et...Qu'est-ce qui va passer s'ils découvrent la vérité Artémis ? J'ai tellement peur..."

Artémis écouta le récit de Nora avec un étonnement croissant. Un meurtre, voilà ce que son amie lui racontait. C’était à la fois pire que ce à quoi elle s’attendait et paradoxalement pas si grave, lui soufflait une petite voix intérieure. Pire, parce qu’elle n’imaginait pas que Nora, l’innocente Nora, ait pu voir, être complice, associée à une telle chose. Nora, si gentille, si lumineuse, touchée par ce genre d’horreur ? Oh, bien sûr, elle restait Nora : celle qui n’avait rien pu faire, qui était horrifiée et traumatisée par la scène. Mais elle était désormais marquée à vie.

Pas si grave, car désormais, Artémis savait. Elle n’allait plus imaginer des choses. Maintenant qu’elle connaissait le secret de Nora, elle allait pouvoir l’aider. Et en meurtres, d’une certaine manière, Artémis s’y connaissait. Elle n’en avait jamais vu un elle-même, mais les fantômes des victimes de sa famille avaient fait partie de sa vie depuis sa plus tendre enfance. Elle avait gardé le secret, volontairement ou non, sur les assassinats commis par Ulrich Keller, elle avait réussi à mentir aux Aurors sur ses connaissances. Alors que d’autres seraient restés les bras ballants, incrédules et incapables d’envisager que ce puisse être la réalité, elle était capable de cerner la situation, de lui donner un sens tout de suite. Car, à défaut d’être tangibles, les corps dont elle avait eu connaissance avaient eu des impacts bien réels sur sa vie.

"Il ne faut pas avoir peur" dit-elle doucement à Nora quelques secondes après que celle-ci eu achevé son récit. Oh, si, elle pouvait avoir peur. Des miliciens, de l'enquête, des conséquences. Mais s'il y avait une personne qu'elle ne devait pas craindre, c'était Irving. "Irving t'as protégé, de toute son âme."

Car Artémis comprenait son geste. Oh, bien sûr, ses actes avaient de quoi traumatiser n'importe qui, a fortiori Nora qui devait se sentir totalement responsable de la mort de Dalhiatus. Mais elle savait pourquoi Irving l'avait fait. Elle aussi avait, un jour, ressentit ces pulsions meurtrières lorsque l'on s'en prenait à quelqu'un qu'elle aimait. Si elle avait été à la place de Whitaker, elle aurait fait exactement la même chose. Pire, même, car si Irving avait l'excuse d'avoir réagi d'instinct, avec ses tripes et ce courage irraisonné propre aux Gryffondor et à son grand coeur, Artémis aurait abattu Dalhiatus froidement, sans même sourciller, sans même se sentir coupable. Irving, au contraire, devait se torturer autant que Nora de ce meurtre. C'était à se demander comment il avait réussi à ne pas aller se livrer aux Aurors. Et à cette question, Artémis croyait connaître la réponse, car elle allait faire pareil: protéger Nora. Après tout, n'était-ce pas que les Nott avaient toujours fait. Protéger les leurs?

"Ce n'est pas ta faute, Nora, d'accord? Dalhiatus n'avait aucun droit de te torturer, même si tu faisais quelque chose d'interdit... D'ailleurs, c'est bien pour ça que tu es allée taguer, n'est-ce pas? Parce qu'ils font des choses interdites?"

L'influence d'Irving sur Nora, à n'en pas douter. Mais, alors qu'elle aurait du en vouloir au jeune homme d'avoir mis son amie dans une pareille situation, elle n'arrivait à ressentir qu'un respect accru à son égard. Elle, avec tous ses cours de magie noire, avait été impuissante face à Ulrich menaçant sa famille, quand lui avait défendu Nora au péril de sa vie et de son intégrité... qui aurait cru que ce rigolo de Whitaker en était capable? Son geste, bien que macadre, détenait un symbole romantique qui dépassait les capacités d'un certain Feodor. Artémis espéra alors que le traumatisme ne briserait pas leur couple, n'empêcherait pas Nora d'aimer Irving et qu'Irving ne s'interdirait pas d'être avec elle.

"Personne ne découvrira la vérité, d'accord? Je suis avec vous deux." Elle fit une pause, réfléchissant. "Tu me dis que 'tu penses' qu'Irving a fait tout ça... Tu es rentrée tout de suite? Il a tout fait tout seul?"

Artémis avait besoin de connaître les détails, pour savoir quels étaient les risques pour Nora. Quand bien même, lui soufflait une ancienne voix pernicieuse, qu'elle croyait éteinte depuis longtemps, quand bien même elle ne pourrait pas y faire grand chose, du haut de ses 18 ans...

"Je sais, renifla Nora alors qu'Artémis lui assurait qu'elle n'avait pas à avoir peur d'Irving. Il m'a sauvé la vie..." ajouta-t-elle dans un souffle.

Il lui était arrivé de nombreuses fois de réécrire cette nuit-là, quand elle ne parvenait pas à trouver le sommeil. Elle ne pouvait s'empêcher de penser à ce qui ce serait passé si les positions avaient été inversées. Aurait-elle eu la force et le courage d'arrêter Dalhiatus si cela avait été Irving qu'il torturait ? Elle voulait croire que oui, mais comment ? Aurait-elle réussi à le stopper sans lui ôter la vie ? Et aurait-ce été une bonne chose ? Plus elle y pensait plus elle comprenait que la mort de Dalhiatus était la seule raison de leur liberté aujourd'hui. Ils n'auraient pas pu s'en sortir autrement. Si le Directeur avait survécu à leur rencontre, ils auraient été arrêtés, et elle ne savait pas où ils seraient à l'heure actuelle. Ce n'était peut-être pas plus mal que les choses se soient déroulées ainsi...Être capable de penser cela l'effrayait, sans parvenir à alléger son sentiment de culpabilité.

Le fait qu'ils aient agi pour défendre leur liberté, et peut-être leur vie, rendait-il vraiment leur crime moins terrible ? Elle avait envie de se dire que oui, qu'ils n'avaient pas eu le choix, qu'ils s'étaient défendu, qu'il les aurait tué. Pourtant elle refusait de chercher des justifications à leur geste, comme si elle craignait de trop s'écarter de sa ligne de morale et de ne plus parvenir à la retrouver ensuite. Elle se faisait peur, parfois. Elle pensait des choses qu'elle aurait trouvé abominables en temps normal. Elle sentait son jugement et sa vision des choses changer et n'était pas certaine que ce soit dans le bon sens...

Comme pour brouiller davantage les limites entre la nécessité et la morale, Artémis lui souffla que ce n'était pas de sa faute, que Dalhiatus l'avait torturé, qu'il n'avait pas le droit. Fallait-il vraiment penser comme ça ? Il avait commis un crime alors il méritait d'être assassiné ? Nora se contenta de hocher vaguement la tête lorsque son ami évoqua les débordements du régime qui les avaient motivé à aller taguer les murs de Pré-au-Lard ce soir-là. Elle était plus que jamais persuadée qu'il y avait des abus -Dalhiatus l'en avait convaincue- mais elle ne se sentait plus le cœur à revendiquer ses convictions à la peinture rouge. S'il fallait être prêt à tuer pour pouvoir défendre son opinion, elle n'était plus certaine de vouloir faire partie de cette résistance.

La jeune fille hocha de nouveau la tête alors qu'Artémis la questionnait sur la fin de la soirée. Ses souvenirs étaient un peu flous, seul le sentiment de terreur qui l'avait animé lui revenait sans mal. Le trajet entre Pré-au-Lard et Poudlard lui avait paru durer une éternité ce soir-là et pourtant elle ne s'en rappelait plus très bien.

"Oui, répondit-elle d'une petite voix. Irving voulait que je rentre, pour qu'on remarque pas que j'étais partie, expliqua-t-elle. Je suis rentrée tout de suite."

Elle aurait voulu rester, parfois elle se disait qu'elle aurait dû insister. Même si elle savait qu'Irving avait pris la décision la plus sûre pour eux deux en la persuadant de rentrer au château. Personne n'avait eu le temps de remarquer son absence au beau milieu de la nuit, donc personne n'avait pu faire le lien entre cette escapade nocturne et la disparition de Dalhiatus...pour l'instant.

"J'ai peur de pas y arriver, confessa-t-elle finalement en levant vers son amie un regard plein de larmes. J'arrive pas à faire semblant, je...J'ai peur de pas réussir à mentir, et si on m'interroge ? Si on me pose des questions ? Je peux pas nous dénoncer, je veux pas, mais...J'ai peur de craquer..."

Le simple fait qu'elle soit en train d'avoir cette discussion avec Artémis lui prouvait à quel point elle était faible. Sa meilleure-amie n'avait eu qu'à insister un peu pour qu'elle lui livre toute la vérité, et elle avait déjà craqué auprès du Pr. Corrigan. Elle avait le sentiment d'être une bombe à retardement, qui menacerait d'exploser à tout instant. Artémis prétendait pouvoir l'aider à se protéger, mais comment était-elle censée de protéger d'elle-même ? Plus que la milice ou le Ministère, c'était elle la menace.

Décidement, cet Irving... Plus Nora lui racontait cette terrible nuit, plus Artémis était impressionnée. Il avait agit avec un sang-froid - enfin, une fois la fureur passée - déroutant. Où avait-il appris cela? Pouvait-on réellement naître tel quel? Autant de questions qu'Artémis ne cesserait de se poser. Il fallait qu'elle lui parle, pour s'assurer que Nora ne serait pas inquiétée. Mais elle ne pouvait le faire sans l'accord de Nora, et celle-ci lui semblait pour l'instant trop fragile pour qu'elle lui soumette l'idée. Elle n'aurait, elle-même, guère été rassurée de savoir que son secret se propageait et que les gens échangeaient dessus.

"Il a bien fait."

Mais il n'avait sans doute pas prévu qu'il l'enfermait ainsi dans un secret trop lourd à dissimuler. Etait-il allé demander de l'aide? Probablement pas. Et pourtant, l'état de Nora prouvait qu'ils en avaient besoin. Où, tout du moins, elle. Et c'était bien la jeune fille qui préoccupait Artémis. D'ailleurs, Nora se rendait compte elle-même de sa faiblesse.

"Tu y arriveras" contra Artémis, ayant l'air plus confiant qu'elle ne l'était en réalité. Elle réfléchit un moment, se demandant comment aider son amie. "On peut déjà te faire prescrire des potions pour que tu dormes, ça te fera du bien. Je viendrais avec toi chez Miss Pomfresh, si tu veux." Elle hésita. "Et... si ça ne suffit pas, je demanderai à ma mère. Elle s'y connait."

Oh, le pieu mensonge. Sa mère n'y connaissait rien, mais la bibliothèque familiale, si. Il devait bien y avoir quelques ouvrages à propos de potions que l'on n'enseignait pas à Poudlard. Mais le véritable problème, c'était que Nora pourrait toujours paniquer, craquer sous la pression. Il fallait l'empêcher d'en parler, elle s'en sentirait rassurée... mais comment? Elle n'allait pas faire faire un serment inviolable à son amie, c'était beaucoup trop risqué!

Nora soupira quand Artémis lui assura qu'elle allait y arriver. Avait-elle le choix ? Si elle craquait elle risquait de signer leur arrêt de mort à tous les deux. Il fallait absolument qu'elle tienne le coup, c'était une question de vie ou de mort, littéralement. Et elle en avait bien conscience mais elle ne se faisait pas du tout confiance.

Elle aurait voulu être capable de gérer ça avec sang-froid, de prendre sur elle et d'être courageuse mais ce n'était pas le cas. Elle était terrifiée et se savait incapable de garder un tel secret pour elle, sinon elle ne serait pas en train d'avoir cette conversation avec Artémis. Elle avait peu de craquer et de gâcher tous les efforts d'Irving pour les protéger. Il ne méritait pas ça, il aurait dû pouvoir compter sur elle, mais elle ne se sentait absolument pas fiable.

"Il faut que j'y arrive, je sais mais...Mais si je fais une erreur ?"

Une seule erreur pouvait leur coûter très cher et c'était ce qui l'effrayait le plus. Elle n'avait pas droit au moindre dérapage, un mot à la mauvaise personne et c'était terminé.

"D'accord, souffla-t-elle quand Artémis proposa de l'emmener à l'infirmerie pour lui faire prescrire des potions pour le sommeil. Merci."

A dire vrai cette perspective l'inquiétait un peu. Elle doutait que Mrs Silverster accepte de lui prescrire des potions de sommeil sans poser des questions. Il suffirait qu'elle mette ses insomnies sur le compte des examens qui approchaient mais elle n'était même pas sûre de réussir à lui mentir en la regardant dans les yeux tant elle avait peur de se trahir. C'était un cercle sans fin, elle ne savait pas mentir, alors elle avait peur de mentir, donc elle mentait encore plus mal, et avait encore plus peur de mentir.

"Je préférerais demander à ta mère..."avoua-t-elle d'une petite voix quand Artémis lui proposa cette solution.

Elle ne connaissait pas du tout la mère de son amie mais elle préférait passer par l'intermédiaire de cette dernière. Mrs Nott fournirait sans doute à sa fille une potion de sommeil sans poser trop de questions, et de toute façon quelque chose disait à Nora qu'Artémis n'aurait aucun mal à lui mentir. Depuis quand son amie était-elle si sûre d'elle ?

"Merci, assura-t-elle. Je sais pas comment j'aurais pu faire sans t'en parler...confessa-t-elle. Et merci de...enfin de ne rien dire, et de ne pas me juger... Elle avait eu tellement peur que le regard de son amie sur elle ne change. Et désolée de t'avoir menti tout ce temps-là..."

Artémis fronça le nez lorsque Nora lui confessa préférer demander à sa mère. Il faudrait donc qu'elle se débrouille seule. Oh, elle le ferait, elle n'avait aucun problème pour fouiller dans le manoir familial, et elle pensait bien qu'elle trouverait quelque chose. Peut-être pourrait-elle même réellement demander à Aurora de lui concocter une petite potion calmante un peu plus forte que ce que donnait Miss Bloomwood. Mais Nora aurait eu besoin de quelque chose de beaucoup plus fort. Il faudrait donc fabriquer la potion elle-même... Artémis craignait d'empoisonner son amie. Elle aurait, bien sûr, pu demander l'aide de Théo, qui avait toujours été plus doué qu'elle en potion, mais elle n'avait pas envie de lui faire confiance. Oh, il serait probablement heureux de l'aider, lui qui n'avait jamais compris qu'il craignait comme grand-frère, mais il poserait sans doute des questions, et la jeune fille ne trahirait pas son amie, même envers son frère qui, elle le pensait malgré tout, savait garder des secrets. Non, elle devrait se débrouiller seule et prier Merlin pour qu'elle trouve une préparation pas trop compliquée, et pas trop noire non plus.

"Je verrai ça dès ce week-end" assura-t-elle pourtant sans rien laisser paraître de ses doutes.

Parler semblait déjà avoir soulagé Nora, et Artémis en était heureuse. Elle se sentait toujours mieux lorsqu'on lui témoignait des marques de confiance et Nora venait littéralement de remettre sa vie entre ses mains. Qu'aurait-elle pu faire d'autre sinon l'aider?

"C'est à ça que servent les amis" commença-t-elle, mais Nora continua et s'excusa d'avoir menti. Artémis haussa les épaules, dissimulant son embarras du mieux qu'elle pouvait. "Je ne t'en veux pas, c'est vraiment compréhensible... et..."

Elle hésita un instant, prête à confesser ses crimes personnels. Cela lui ferait du bien, de partager ce poids avec quelqu'un, et Nora se sentirait sûrement moins anormale si elle savait ce que son amie avait fait. Pourtant, elle était déjà si fragile qu'Artémis hésitait à lui confier son secret. Et si elle craquait, et révélait tout par la même occasion? Voir toute l'histoire révélée alors qu'elle avait réussi à tromper les Aurors était beaucoup trop risqué... Pourtant, cela les soulagerait toutes les deux, Artémis le sentait. Il faudrait juste s'assurer que Nora ne puisse pas le répéter. En temps normal, elle aurait eu confiance, mais dans ces conditions, ce n'était pas envisageable. Ah, si seulement il existait des sortilèges pour...

"Mais oui!" s'exclama-t-elle en se tournant à nouveau vers son amie. "Nora, est-ce que tu te sentirais mieux avec un sortilège de Fidelitas?"

Si Nora était sûre de ne pouvoir gaffer, de ne trahir ni elle, ni Irving, elle n'aurait plus à gérer la peur, seulement la culpabilité. C'était encore beaucoup, mais c'était mieux que rien. Cela lui permettrait de prendre un peu de recul et de mieux dormir, à n'en pas douter... Le sortilège n'était peut-être pas à leur portée, mais elles trouveraient bien quelqu'un prêt à les aider! Théo, peut-être, ou mieux, quelqu'un dans l'entourage d'Irving. Il était plus âgé et avait bien du se confier à quelqu'un lui aussi, non? Comme les gens qui tagguaient les murs avec lui?

Nora laissa un faible sourire de soulagement apparaître sur son visage quand Artémis lui assura qu'elle verrait avec sa mère dès ce week-end pour trouver une potion qui lui permettrait de retrouver le sommeil. Elle ne regrettait pas une seconde d'avoir craqué et d'avoir partagé son secret avec la jeune fille. Avoir le soutient d'Artémis l'aidait énormément et elle avait le sentiment que les choses ne seraient peut-être plus si insurmontables désormais. Il y avait toujours la crainte que les Aurors leur tombent dessus, ou qu'elle ne craque à nouveau, mais en plus d'Irving elle avait désormais une alliée avec elle à Poudlard, et c'était un progrès.

Elle était vraiment reconnaissante à Artémis pour sa compréhension et sa loyauté, elle faisait honneur à leur maison en étant une si bonne amie, et Nora ne s'en sentait que plus coupable de lui avoir menti pendant des semaines. Sa camarade balaya toutefois ses excuses rapidement, un peu trop rapidement peut-être, comme si elle était gênée.

"Les amis sont surtout ne pas censés avoir de secrets les uns pour les autres, répondit-elle prudemment, guettant la réaction de son amie. Je m'en veux vraiment de t'avoir menti, j'aurais dû savoir que je pouvais te faire confiance."

Elle avait eu quelques temps l'impression qu'Artémis lui cachait quelque chose. L'année dernière il y avait eu des moments où son amie s'était fait plus distante, un peu lunatique, mais cela avait paru se régler tout seul et Nora avait rapidement oublié ses interrogations, qui venaient de refaire surface suite à l'attitude de sa camarade. L'adolescente était occupée à se remémorer les épisodes de l'année passés qui lui avaient mis la puce à l'oreille, se demandant si elle avait eu raison de s'inquiéter à l'époque et si Artémis lui cachait effectivement quelque chose, lorsque cette dernière s'exclama soudainement qu'elle avait une solution.

Surprise par la question de son amie, Nora fouilla sa mémoire à la recherche d'informations sur le sortilège de Fidelitas qu'elle avait dû étudier un jours, en cinquième année, ou peut-être sixième. Elle se rappelait vaguement du principe et se souvenait surtout avoir entendu son professeur leur assurer que c'était un sortilège très compliqué. Et qui reposait tout entier sur les épaules du gardien du secret, puisqu'il était l'unique personne à pouvoir révéler les informations protégées.

"Mais...Tu saurais faire ça ? s'étonna-t-elle. Et puis...Qui serait le gardien du secret ?" ajouta-t-elle à voix basse.

Elle ? Elle n'était pas certaine de supporter le fait d'être la seule personne à pouvoir parler, elle préférerait plutôt faire partie de ceux réduits au silence. Mais alors qui ? Irving ? Elle ne pouvait pas lui imposer ça. Artémis ? Elle ne se voyait pas lier si étroitement son amie à un crime qu'elle n'avait pas commis.