Plaider coupable [Thelma-Nora]

2 Avril 2008

Nora était levée inhabituellement tôt, comme tous les jours depuis deux semaines, et faisait partie des rares élèves attablés dans la grande salle à sept heure un dimanche matin. Manger faisait partie de toutes ces choses qu'elle devait se forcer à faire pour maintenir l'illusion que tout était normal, que tout allait bien. Manger, dormir, aller en cours, parler, sourire. Mais tout ce qu'elle faisait, tout ce qu'elle disait, tout sonnait faux, et elle savait qu'elle ne trompait pas tout le monde.

Elle pouvait mettre ses cernes et son manque d'appétit sur le compte des ASPIC qui approchaient mais elle avait plus de mal à expliquer ses cauchemars, ou le fait qu'elle sursautait au moindre contact, comme si elle était constamment sur ses gardes. Ses amis se doutaient de quelque chose, elle le voyait bien. Combien de "tout va bien ?" inquiets arriverait-elle encore à éviter avant de craquer ? Ça elle n'en savait rien. Elle ne tenait que parce qu'aux yeux des autres, rien n'avait changé. Ceux qui la voyaient de loin, qui ne la connaissaient pas vraiment, pour eux elle était toujours la même. Et l'idée que la Nora innocente et insouciante qu'elle avait été existe encore quelque part l'aidait à tenir, d'une certaine façon.

Les paupières lourdes, la jeune fille s'endormait à moitié sur le bol de céréales qu'elle boudait depuis un quart d'heure quand elle se força à redresser la tête. Un hoquet de surprise lui échappa et sa cuillère lui glissa des mains alors que son sang se glaçait dans ses veines. Il le regardait droit dans les yeux. Jacob Dalhiatus, plus vivant que jamais.

Elle ne mit qu’un instant à réaliser qu’il s’agissait d’une photographie, en première page de Multiplettes, mais ne parvint pas à calmer le sentiment de terreur qui s’était emparé d’elle. C’était comme s’il la voyait vraiment, comme s’il voyait même au travers d’elle, comme s’il pouvait voir ce que les autres ne devinaient qu’à peine. Il savait. Il connaissait ses secrets parce que la dernière fois que leurs regards s’était croisé ainsi, il agonisait. Il était mort, tenta-t-elle de se rassurer. Mais cette pensée ne fit qu’accroitre son sentiment de détresse. Il était mort parce qu’ils l’avaient tué.

Incapable de supporter le regard du défunt directeur plus longtemps, Nora se leva précipitamment. Trop vite peut-être puisqu’elle fut aussitôt prise de vertiges. Elle s’appuya d’une main sur la table, sentant son pouls accélérer alors que ses yeux se posaient sur une autre photographie de Jacob Dalhiatus, entre les mains d’une petite Serpentard de l’autre côté de la salle. Il était partout. Elle étouffait. Elle sentit des gouttes de sueur perler à son front alors que la panique s’emparait d’elle.

« Eh, Weaver, ça va pas ? »

Elle n’eut même pas le temps de tourner la tête vers le garçon de sa maison qui l’avait interpellée. Elle sentit ses jambes se dérober sous elle, puis ce fut le noir.

Elle rouvrit les yeux seulement quelques minutes plus tard, allongée sur un lit de l’infirmerie, face à une Mrs Silverster inquiète qui avait beaucoup de questions à lui poser. Trop de questions. Nora les évita maladroitement, mentant sans convictions et s’emmêlant les pinceaux. L’infirmière la garda en observation plusieurs heures, convaincue à raison qu’elle ne lui avait pas tout dit.

Nora dut se faire violence pour ne pas craquer et tout avouer. Face à la bienveillance et à l’insistance de Mrs Silverster, l’envie de profiter de cette attitude maternelle pour se confier était grande. Aussi, quand elle fut finalement libre de s’en aller –après avoir promis de dormir plus et de manger assez de sucre- elle n’était certaine que d’une chose : elle ne pourrait pas mentir plus longtemps. Le secret lui pesait trop et plus elle s’enfermait dans le silence plus elle se sentait faiblir. Si elle restait ici elle finirait par craquer.

La jeune fille rejoignit directement son dortoir, qu’elle fut heureuse de trouver désert. Elle attrapa son sac de cours, dont elle vida le contenu sur son lit, et commença à rassembler précipitamment quelques affaires. Elle ne se donna pas le temps de réfléchir, consciente que l’audace lui ferait défaut et qu’elle changerait vite d’avis, et sortit de la salle commune d’une démarche décidée.

Elle était déjà sortie du château plusieurs fois, et si chacune de ses récentes escapades s’était soldée par un drame, elle restait persuadée que c’était la seule chose à faire. Elle ne tenait plus ici, il fallait qu’elle parte. Elle détestait l’idée de devoir réemprunter le passage sous le sol cogneur, mais elle n’avait pas vraiment d’autre option. Elle devait sortir. Elle était en plein travail d’auto-persuasion, au beau milieu du hall, son sac sur l’épaule, quand elle fut interrompue par une cinquième année de sa maison.

« Nora ? » l’interrogea cette dernière en posa une main sur son bras.

Elle sursauta avant de poser un regard surpris sur sa camarade, avec qui elle ne se souvenait pas avoir déjà vraiment discuté.

« Le Professeur Corrigan veut te voir. »

Nora resta silencieuse un temps, persuadée que cela ne pouvait pas être une bonne chose. Elle n’était jamais convoquée par ses professeurs. Et le jour où elle décidait de fuguer pour emporter avec elle un secret qu’elle ne pouvait plus cacher, sa nouvelle directrice de maison voulait lui parler. Merlin avait un drôle de sens de l’humour.

« D’accord, je…Merci ! Je vais la voir tout de suite. »

Elle se força à adresser un sourire aimable à l’adolescente, qui la salua avant de s’éloigner, la laissant seule au milieu du hall presque désert. La porte n’était qu’à quelques mètres. Elle rejoindrait le saule cogneur en cinq minutes. Il ne lui faudrait qu’une dizaine de minutes pour être dehors. Sauf qu’on était en plein après-midi et que le parc était rempli d’élèves, certains occupés à réviser, d’autres profitant simplement des premiers rayons de soleil du printemps. Elle était condamnée à attendre ce soir, quoiqu’il arrive.

Pourtant elle hésitait à aller trouver sa directrice de maison. Et si elle savait quelque chose ? Si elle était au courant ? Non, c’était impossible, se raisonna-t-elle. Si quelqu’un avait découvert la vérité, elle aurait probablement déjà eu des problèmes. Le Professeur Corrigan ne savait rien. Elle n’avait qu’à aller la voir et à faire une dernière fois bonne impression. Endormir les soupçons puis disparaitre. Elle pouvait le faire.

Quelques minutes plus tard, Nora se tenait face à la porte du bureau du Pr.Corrigan contre laquelle elle frappa timidement quelques coups. Elle pria intérieurement pour que son professeur soit absente, mais une voix l’invita à entrer et elle poussa doucement la porte.

« Bonjour, commença-t-elle d’une voix hésitante. Vous vouliez me voir Professeur ? »

Il y avait les enseignants qui retenaient le nom de chacun de leurs élèves, et puis il y avait les autres. Thelma faisait partie de la première catégorie. Prenant à coeur d'apprendre tous les prénoms dès les premiers cours, elle s'attardait aussi sur chaque visage, retenait chaque physionomie, notait les attitude et les mimiques. Certains de ses semblables traversaient la vie sans réellement voir les personnes qui les entouraient, pour Thelma, c'était le contraire. Au-delà même de ses classes, elle s'attachait à connaître les gens qu'elle rencontrait et leur prêtait une attention dévouée, par gentillesse, compassion ou tout simplement par curiosité. Elle s'intéressait au genre humain et à ses semblables, trouvant la vie bien plus enrichissante lorsqu'elle n'était pas menée de façon égocentrique, sans connecter avec les autres ni les voir d'une façon autre qu'accessoire, comme un élément du paysage. Alors elle prêtait la même attention à chacun de ses élèves, ceux qui apprenaient vite comme ceux qui connaissaient des difficultés, les agréables comme les antipathiques.

Nora Weaver faisait partie de la première catégorie. C'était une élève comme on les voudrait tous, polie, attentive, concentrée, discrète, un peu trop peut-être. Nora était à mille lieues d'une Kalamity Chambers qui semblait se nourrir de l'attention d'autrui et avait la discrétion et la retenue d'un niffleur dans une banque. On pouvait aisément l'oublier dans une foule d'élèves tant elle était cataloguée comme "élève sans problèmes". Oh, elle pouvait se laisser embarquer dans des bêtises occasionnelles comme tout un chacun, d'ailleurs elle faisait partie du convoi qui s'était éclipsé du chateau lors du Bloody Sunday, mais il semblait au corps enseignant que c'était plus parce qu'elle se laissait influencer que par réelle volonté de causer des ennuis. Et puis d'après Thelma, il était plus admirable de voir de jeunes adolescents participer à la ferveur politique de leurs concitoyens et prendre la rue pour défendre leur futur, plutôt que de s'enfermer dans un monde de Quidditch et de cours de potions...

Alors non, elle n'avait jamais réellement pensé à Nora comme une élève sur laquelle il faudrait garder un oeil particulièrement vigilant, et ses collègues avaient probablement la même démarche. Sans doute était-ce pour cela que le problème avait pu leur passer sous le nez si longtemps. Et pourtant, c'était bien de Nora que Rachelle l'avait entretenu un peu plus tôt, ses sourcils froncés trahissant une inquiétude sincère. Nora, disait-elle, est beaucoup trop affaiblie pour qu'il ne se cache pas quelque chose de louche derrière. Elle ne mange pas beaucoup, ne dort pas beaucoup non plus, tel est le diagnostic d'une infirmière qui a trop d'expérience pour ne pas reconnaître un adolescent tourmenté. Il faut faire quelque chose, sinon Nora ne tiendra pas le coup bien longtemps.

Alarmée, Thelma avait alors interrogé ses collègues - elle-même n'avait pas Nora dans ses classes. Mais, en tant que directrice de maison, elle avait pris à coeur de connaître chaque Poufsouffle, même les plus âgés. On lui avait rapporté une concentration amoindrie, des notes en légère baisse, rien d'inquiétant, mais avec l'évanouissement de ce matin, mieux valait être prudent.

Installée à son bureau, Thelma songeait à sa jeune élève lorsque celle-ci frappa à sa porte. Attrapant une feuille de parchemin et une plume au hasard, elle fit mine d'être très occupée puis répondit :

"Entrez !"

La silhouette fluette de Nora pénétra dans son joli bureau, qu'elle avait aménagé avec goût pour se sentir à l'aise. Elle pria pour que la jeune femme se sente en confiance elle aussi, espérant l'amener à se confier. Bientôt, Nora Weaver quitterait les murs protecteurs de Poudlard et s'il y avait quelqu'un pour lui causer des soucis, ils ne pourraient plus rien faire.

"Bonjour Nora, assied-toi, je t'en prie. Je te sert une tasse de thé ?", proposa Thelma d'un ton avenant. Elle s'affaira une minute, baguette en main, puis posa devant la jeune femme une délicate tasse turquoise de laquelle s'échappait un filet de fumée. L'enseignante prit le temps d'observer Nora. La jeune fille avait l'air nerveuse, son teint était pâle, ses traits tirés. Elle n'avait jamais été épaisse mais elle lui semblait amaigri, ou peut-être affabulait-elle. Il n'y avait qu'une façon de le savoir, inutile de tourner autour du pot...

"Je voulais te voir suite à l'incident de ce matin, miss Bloomwood m'a rapporté que tu t'étais évanouie au petit déjeuner. D'après elle, tu n'es pas en très grande forme, et tu manques de sommeil... Alors je voulais savoir comment tu te sentais. Est-ce qu'il y a quelque chose dont tu voudrais me parler ?"

Nora s'avança timidement dans le bureau de sa directrice de maison et s'installa sur la chaise en face d'elle lorsqu'elle l'invita à s'asseoir. Tout dans la pièce aurait du la mettre en confiance, du sourire avenant de l'enseignante à la décoration féminine et raffinée. Elle aurait dû se sentir bien ici, pourtant elle se sentait aussi à l'aise que si elle s'était trouvée dans uns des cachots sombres et humides de l'école. Son regard se promenait nerveusement autour d'elle, essayant de noter les moindres détails de ce qui l'entourait, comme si elle s'était trouvée en milieu hostile.

Elle n'avait rien à craindre, se répétait-elle pour se former à se calmer. Le Pr.Corrigan ne savait rien, sinon elles ne discuteraient pas calmement dans son bureau. Elle ne savait pas. Elle pouvait l'avoir convoquée pour tout un tas de raison. Peut-être était-ce un entretien d'orientation ? Cela pouvait très bien eêtre cela, ou quelque chose à propos de la coupe de Quidditch. Rien ne laissait présager que l'enseignante soit au courant de quoi que ce soit en rapport avec la nuit du 16 Mars. Pourtant Nora ne pouvait s'empêcher d'avoir peur. Peur de s'être trahie sans s'en rendre compte, et peur de se trahir maintenant qu'elle se retrouvait en tête-à-tête avec sa directrice.

"Merci" souffla-t-elle faiblement alors que la jeune femme lui servait du thé.

Elle posa ses mains sur la tasse brulante pour les empêcher de trembler et se perdit dans la contemplation des volutes de fumée, silencieuse. Il s'écoula plusieurs secondes durant lesquelles elle sentit le regard de son enseignante sur elle. De quoi pouvait-elle bien avoir l'air ? Elle n'avait pas eu droit à une vraie nuit de sommeil depuis deux semaines, vivait dans une angoisse permanente et ne se souvenait plus de la dernière fois où elle avait avalé un véritable repas. Elle essaya toutefois de se donner une contenance et se redressa un peu sur sa chaise lorsqu'elle s'aperçut qu'elle s'était recroquevillée sur elle-même.

Elle ne fut pas surprise d'entendre le Pr.Corrigan lui parler de son évanouissement de la matinée. Forcément. Visiblement le secret médical ne concernait pas les élèves de Poudlard. Tant pis. Nora releva les yeux et croisa le regard inquiet de son enseignante alors que celle-ci lui demandait si elle n'avait pas quelque chose dont elle aimerait parler ? Oh que si. C'était terriblement tentant. De l'attitude prévenante à la voix rassurante de son professeur, tout l'invitait à la confidence. Elle mourrait d'envie de tout lui raconter. De se délester un peu de la culpabilité qui pesait sur ses épaules, de lui confier son secret pour qu'elle l'aide à y voir plus clair. Elle avait besoin d'aide, elle n'arrivait pas à gérer ça toute seule, et partager ça avec un adulte responsable, avec quelqu'un qui saurait quoi lui dire et quoi faire, lui ferait du bien.

Mais elle ne pouvait rien dire. Si elle parlait elle se condamnait et surtout elle condamnait Irving. C'était un secret qu'ils portaient tous les deux et que personne d'autre ne devait jamais découvrir. Elle baissa les yeux, s'arrachant au regard scrutateur de son enseignante et résistant à l'envie de se laisser convaincre par son attitude presque maternelle. Elle ne pouvait rien lui dire. Il fallait qu'elle invente quelque chose, n'importe quoi.

"Non, je...ça va, affirma-t-elle le regard plongé dans sa tasse de thé. Réalisant que c'était une réponse un peu maigre, elle se força à étoffer un peu son mensonge. Quelqu'un lui avait dit un jour -peut-être Cassandre ?- que la meilleure façon de mentir était de rester le plus près possible de la vérité. Je dors mal, expliqua-t-elle. Ça doit être les examens, c'est juste un peu de stress..."

Elle mentait mal, même elle s'en rendait compte. Elle avait toujours détesté ça de toute façon. Elle était déjà incapable de mentir à ses camarades, alors à un enseignant ! C'était simple, elle ne mentait presque jamais et quand elle s'y essayait ses tentatives étaient rarement convaincantes. Mais elle allait devoir apprendre. On lui en poserait d'autres, des questions. Elle ne pourrait pas s’évanouir à chaque fois que quelqu'un évoquait plus ou moins directement le sujet. Il vaudrait mieux qu'elle prenne l'habitude de mentir, car elle allait devoir le faire toute sa vie. Cette simple pensée lui donna la nausée.

"C'est juste une période difficile, poursuivit-elle nerveusement. Ça va passer, je vous le promets !"

Sa voix s'était faite presque suppliante. Elle savait qu'elle mentait mal et qu'il était évidement qu'elle cachait quelque chose, mais il fallait que Mrs. Corrigan se contente de ça. Qu'elle lui laisse juste un peu de temps. Elle pouvait se reprendre. Elle apprendrait à donner le change, elle ferait des efforts. Elle ne lui causerait plus de soucis.

"C'était un accident, assura-t-elle, sans plus vraiment savoir à quel évènement elle faisait référence. Je ne vous inquiéterai plus, je suis désolée..." Sa voix s'étrangla.

Elle disait n'importe quoi, la fatigue et l'angoisse parlait pour elle. Mais elle avait tellement peur de faire une erreur qu'elle aurait pu supplier à genoux son enseignante de la laisser partir. Elle ne voulait plus qu'on lui pose de questions, elle n'arriverait pas à résister bien longtemps.

Thelma Corrigan avait fréquemment été dépeinte comme quelqu'un de clairvoyant. Elle était très observatrice, à l'écoute et savait se mettre à la place des autres, même des personnes qui étaient très différentes d'elle. Souvent, on pouvait l'entendre se faire l'avocat du diable, non pas par esprit de contradiction, mais parce qu'il fallait bien que quelqu'un le face. Tout le monde pouvait commettre une erreur un jour, pour un nombre infini de raison, et tout le monde avait le droit à un jugement équitable. Quelle que soit la chose terrible qui semblait hanter Nora, Thelma était prête à l'entendre sans chercher à la juger. En tant qu'enseignante, son rôle était celui d'une éducatrice et, puisqu'on avait affaire à de jeunes personnes, loin de leurs familles et bien souvent déboussolées, elle se devait de l'écouter et de l'épauler quelles que soient les difficultés qu'elle rencontrait.

Ce n'était sans doute rien d'aussi terrible que le laissait supposer l'attitude de Nora. Il ne fallait d'ailleurs pas être devin pour réaliser que son problème dépassait sans doute le stress des exams : elle était pâle, tendait à se recroqueviller sur elle-même, semblait nerveuse sous le regard pourtant rassurant de sa directrice de maison. Nora n'avait jamais été quelqu'un qui se mettait sous le devant de la scène, mais tout de même, elle ne se rappelait pas avoir déjà vu sa jeune élève dans un tel état de fatigue et de stress. Sans doute avait-elle fait une grosse bêtise qui pouvait lui attirer les foudres du corps enseignant, quelque chose propre à l'envoyer en retenue et à entâcher son dossier scolaire. Ou alors, Nora avait dû se disputer violemment avec l'une de ses amies ou vivre une peine de coeur... Les adolescents avaient tendance à tout exagérer car, tous jeunes qu'ils étaient, ils ne parvenaient pas à relativiser les malheurs qu'ils vivaient et à réaliser que ce n'était rien à l'échelle de leur vie. L'important, pour l'adulte auquel ils choisissaient de se confier, était de ne pas minimiser leur peine car il n'y avait rien de tel pour qu'ils se referment pour de bon dans leur coquille, avec leurs peines et leurs angoisses.

La mention d'un accident attira néanmoins l'attention de l'enseignante qui se mit à réfléchir à de potentiels accidents récents à l'école. Non, rien ne lui venait en tête, et si Nora avait commis quelque bêtise, elle ne devait même pas être parvenue aux oreilles du corps enseignant - ou alors avait été mise sur le compte de Peeves. Le ton de la voix de Nora acheva d'alarmer Thelma. La jeune fille n'avait sans doute rien fait ou vécu de bien grave, mais quelque chose la dérangeait visiblement beaucoup, quelque chose dont elle ne voulait pas parler, et Thelma refusait de la laisser partir dans un tel état. Ce n'était pas bon de ressasser ses angoisses sans oser s'en ouvrir, surtout à cet âge. Nora lui semblait bien trop vulnérable en cet instant, et Thelma savait à quel point les élèves qu'elle avait à Poudlard étaient parfois plus sensibles que ses anciens élèves de Durmstrang. Ils avaient ici vécu des choses terribles, ou avaient grandi dans des familles parfois traumatisées par les guerres successives qui avaient agité le pays. Nora avait vu l'un de ses camarades, Danny, perdre la vie au Bloody Sunday, évènement qu'elle avait vécu elle-même.

Voilà peut-être ce qui l'empêchait de dormir la nuit, un sentiment de culpabilité bien compréhensible : celui du survivant. Les élèves n'auraient même pas dû se trouver hors de Poudlard ce jour-là, et d'après ce qu'on lui avait rapporté, ils avaient été sacrément secoués par le corps enseignant par la suite. Une jeune Gryffondor avait même quitté l'école pour se faire oublier... Ce n'était pas la place de Thelma, jeune débarquée à l'école, de critiquer le choix de ses collègues mais à sa place, les jeunes auraient été entourés et accompagnés, éventuellement par la voie d'une thérapie, plutôt que houspillés. Vivre un tel évènement était une punition suffisante, et elle était persuadée qu'aucun d'eux n'oublierait jamais le Bloody Sunday... Il n'était venu à l'esprit de personne de reprocher quoi que ce soit à Samantha Miller après la Pleine Lune sanglante, estimant que sa transformation et la perte de son amie étaient des punitions suffisantes. Eh bien c'était la même chose pour le Bloody Sunday. Nora et ses amis n'avaient peut-être pas subi de transformation et ne gardaient pas de séquelles physiques, mais ils en étaient ressortis changés, eux aussi...

Se voulant rassurante, Thelma l'encouragea à se confier à elle : "Je ne suis pas là pour te sanctionner, Nora, je te le promets. De toute évidence, quelque chose ne va pas si tu vis une période difficile, et il faut que tu m'en parles, d'accord ? Même si c'est quelque chose qui te semble anodin ou stupide ou, à l'inverse, très grave, je te promets que je ne suis pas là pour te punir ou te faire la morale mais pour t'écouter, car c'est mon rôle de tout faire pour que tu ailles bien. Tu peux me faire confiance, Nora, mais il ne faut pas que tu gardes tout ça pour toi, ce n'est pas bon pour toi et tu vas finir par exploser si tu n'en parles pas. Tu comprends ?"

Fouillant le regard de sa jeune élève, elle l'interrogea : "Tu as mentionné un accident, à quoi faisais-tu allusion exactement ?"

Nora aurait voulu pouvoir se boucher les oreilles et hurler pour ne pas entendre les paroles rassurantes de son enseignante qui l'invitait à se confier à elle sans crainte. Elle en mourait d'envie, elle avait les mots au bord des lèvres et les larmes au bord des yeux, prête à tout avouer. Mais elle ne pouvait pas, parce que sa directrice se trompait. Non, elle ne pouvait pas lui faire confiance, et si elle pouvait garder ça pour elle. Elle n'avait pas le choix de toute façon.

Mais son professeur la renvoyait à ses propres craintes en lui affirmant qu'elle finirait par exploser si elle n'en parlait pas. Et sur ce point elle avait entièrement raison. C'était déjà arrivé, avec Artémis, et Nora avait cru que le fait d'avoir mis sa meilleure amie dans la confidence l'aiderait à supporter ce secret plus facilement, mais c'était à peine vrai. Parce qu'Artémis ne l'avait pas blâmé pour ce qui c'était passé, elle ne l'avait pas jugé, ne lui avait rien reproché. Et au fond c'était tout ce qu'elle cherchait : le châtiment auquel elle avait échappé. Elle avait besoin qu'au moins une personne arrête de la regarder comme la gentille adolescente innocente qu'ils pensaient qu'elle était. Elle était complice de meurtre, elle ne méritait plus cette image.

Nora garda les yeux résolument fixés sur ses mains jointes sur ses genoux, jouant nerveusement avec ses doigts en s'enfermant dans le silence. Elle sentait le regard de son enseignante sur elle qui la pressait de relever la tête et ne résista pas longtemps. Elle n'avait jamais été le genre d'élèves à tenir tête à ses professeurs. Elle était plutôt sage de manière générale et quand elle enfreignait le règlement elle acceptait les sanctions sans broncher. Elle n'avait pas la verve de Cassandre ou l'esprit rebelle de Jayden. La seule fois où elle s'était un peu opposée à un enseignant c'était pour soutenir ses camarades face à la partialité de Dérébusor et elle avait eu une trouille terrible.

L'adolescente releva donc la tête et son regard terrifié croisa celui, inquisiteur, de son enseignante. Celle-ci fit remarquer qu'elle avait mentionné un accident et lui demanda des explications. Nora elle-même ne savait pas exactement ce à quoi elle avait voulu faire référence. A sa perte de connaissance de ce matin ? A la mort de Dalhiatus ? Les images des deux évènements se superposèrent dans son esprit, la photo du directeur en première page du journal, au-dessus d'un avis de recherche, et celle, terrifiante, de son cadavre, accroché à un arbre, le regard vide, le teint macabre. Elle ferma les yeux pour lutter contre cette vision.

"Il n'a pas disparu..souffla-t-elle, sans savoir si elle pensait pour elle-même ou si elle parlait à voix haute. Ils ne le retrouveront pas, poursuivit-elle en rouvrant des yeux pleins de larmes. Il est mort."

Ça y est, elle l'avait dit. A un bref sentiment de soulagement succéda rapidement la peur de la réaction de son enseignante. Elle n'était même pas consciente du fait que son aveu n'avait aucun sens tant elle avait été lacunaire. Tout était si évident pour elle, les souvenirs de cette nuit étaient si présents dans son esprit qu'elle ne savait même plus vraiment ce qu'elle avait dit de ce qu'elle avait tu.

Une chose était certaine, elle avait craqué et elle ne pouvait plus reprendre ce qu'elle avait dit, l'angoisse la saisit tout à coup et elle se leva brusquement, comme pour prendre la fuite. Mais elle ne pouvait pas simplement déguerpir en courant, pas après ce qu'elle avait dit. Elle s'était fait avoir, elle était prise au piège.

"Oubliez, je dois rien vous dire, tenta-t-elle désespérément, le cœur battant la chamade sous le coup de la panique. Me forcez-pas, s'il-vous-plait..."

Les sourcils de Thelma se froncèrent peu à peu à mesure qu'elle réalisait son erreur. Non, ce n'était pas une simple bêtise adolescente qui mettait sa jeune élève dans cet état là, c'était bien plus que cela. Elle le soupçonna à la peur panique qu'elle lut dans le regard de Nora. Une lueur de terreur dansait dans ses yeux clairs, qui glaça Thelma bien plus encore que ses paroles. Celles-ci ne firent d'ailleurs pas grand sens - quelqu'un qui aurait disparu, un mort ?

L'incompréhension se lisait sur le visage de l'enseignante, qui agrippa sa tasse de thé pour lutter contre l'impression de froid, tout en tentant de mettre ses pensées en ordre. Des morts et des disparus, il y en avait dans le pays, ces temps-ci. Pas à Poudlard mais dehors, à l'extérieur, pas bien loin d'ailleurs... Ne disait-on pas que Jacob Dalhiatus lui-même avait dernièrement été vu à Pré-au-Lard, à quelques kilomètres d'ici ? Se pouvait-il que sa si jeune, si innocente élève soit liée à une histoire bien plus terrible que ce qu'elle avait d'abord soupçonné ?

Un peu sous le choc, Thelma sursauta quand Nora se leva brusquement, et fit un geste pour la rattraper. Mais son élève sembla se raviser et prononça des mots qui achevèrent de plonger Thelma dans la plus profonde des perplexités. L'inquiétude se lisait sur ses traits et elle se hâta de rejoindre Nora pour poser sa main sur son épaule, tant pour la retenir que pour lui donner un contact réconfortant. Les larmes aux yeux et la peur lisible sur son visage livide, Nora semblait partie dans une réalité qui était la sienne et qui semblait l'emprisonner, dans un carcan de peur. Elle semblait sur le point de craquer, et finirait probablement par le faire. Mieux valait que ce soit alors avec un adulte bienveillant susceptible de l'aider, plutôt qu'auprès de quelqu'un qui pourrait lui nuire...

"Nora, c'est trop tard, ne vois-tu donc pas ? Je ne sais pas exactement quel est cette chose terrible qui te ronge, mais tu ne peux pas la garder pour toi. C'est trop lourd à porter pour toi, je m'inquiète pour toi. Je ne veux te forcer à rien, mais je peux t'aider, laisse-moi t'aider, c'est la seule chose qui m'intéresse", murmura-t-elle en tentant d'attraper le regard de la jeune fille. Thelma ne comptait pas divulguer son secret, aussi terrible soit-il, sauf si sa conscience lui soufflait l'inverse. Mais elle ne pouvait pas en son âme et conscience laisser une jeune sous sa responsabilité dans cet état. Si Thelma ne parvenait pas à la faire parler, et s'il lui arrivait quelque chose... Elle ne se le pardonnerait pas.

"De qui parles-tu ? Qui est mort ?", interrogea-t-elle de nouveau avec douceur, pour inciter Nora à la confidence.

Nora sursauta quand le professeur Corrigan posa une main, pourtant bienveillante, sur son épaule. D'une nature plutôt tactile, l'adolescente n'avait jamais eu de problèmes avec les contacts physiques, elle était la première à prendre les gens dans ses bras quand cela n'allait pas ou à vouloir tenir la main d'Irving quand ils étaient ensembles, mais depuis cette nuit du mois de Mars, les choses étaient un peu différentes et elle sursautait au moindre contact. Elle fit un pas sur le coté pour se défaire de cette emprise mais ne parvint qu'à se heurter au bureau.

Les larmes qu'elle s'efforçait de contenir se mirent à couleur silencieusement sur ses joues alors que son enseignante la mettait face à une vérité qu'elle ne pouvait plus ignorer : elle n'arriverait pas à garder ce secret. Il l'étouffait déjà et la rongeait un peu plus chaque jours, elle le sentait, mais elle ne pouvait rien dire. Toujours enfermée dans un silence résignée, elle fit non de la tête quand son enseignante lui assura qu'elle pouvait l'aider. Elle ne demandait que ça, de l'aide. Elle aurait tout donner pour pouvoir confier toutes ses craintes à un adulte et s'entendre dire que tout irait bien. Elle aurait voulu pouvoir trouver du soutient auprès de ses parents, de sa sœur, ou d'un enseignant, mais c'était impossible. Personne ne pouvait la décharger de ce fardeau et gérer ses problèmes à sa place.

"Vous pourrez rien faire, parvint-elle à articuler d'une petite voix. Y a rien à faire, c'est trop tard...sanglota-t-elle. Laissez-moi partir s'il-vous-plait..."

Elle n'en pouvait plus des questions, elle n'arrivait plus à mentir et à se défendre, elle voulait juste qu'on la laisse tranquille. Relevant la tête pour adresser un regard suppliant à son enseignante, Nora croisa ses yeux plein de bienveillance et sentit le peu de volonté qu'il lui restait s'effondrer. Elle avait besoin que quelqu'un la regarde comme ça. C'était ce qui lui manquait depuis le début, un regard presque maternel, de la part de quelqu'un qui n'avait pas peur, de la part de quelqu'un qui lui promettait de pouvoir l'aider. Son professeur lui inspirait confiance, elle dégageait une impression de douceur, de calme, et d'assurance, malgré le trouble lisible sur son visage. Sa voix douce du professeur Corrigan résonna à ses oreilles et Nora s'entendit répondre avant même d'avoir pensé à ce qu'elle était en train de faire.

"Jacob Dalhiatus... souffla-t-elle dans un murmure à peine audible, les yeux fixés dans le vague. Il est mort, répéta-t-elle comme pour s'en convaincre elle-même. Je l'ai vu se faire tuer..."

Elle releva les yeux vers son enseignante et, réalisant ce qu'elle venait de dire, éclata en sanglots. Elle était terriblement déçue d'elle même, et morte de peur à la pensée des conséquences de sa bêtise. Irving lui avait fait confiance et maintenant à cause d'elle ils risquaient tous les deux une peine d'emprisonnement, ou pire. Elle ne se le pardonnerait jamais. Elle s'en voulait tellement ! Et elle se détestait d'être aussi faible, inapte à gérer la situation, et complètement dépassée par ce qui lui arrivait. Elle aurait voulu avoir le courage d'Irving ou la force d'Artémis mais elle n'était bonne qu'à pleurnicher, et incapable de garder un secret.

"C'était un accident ! assura-t-elle dans l'espoir fou de convaincre son enseignante de ne pas la dénoncer sur le champs. On s'est défendu, on...Il me...Il m'a...On voulait pas faire ça ! Je suis tellement désolée ! S'il-vous-plait ne dites rien ! Je vous en supplie..."

Le mouvement de recul de Nora, ses larmes incontrôlables sur son visage hagard, et sa révélation finale plongèrent Thelma dans la plus profonde des inquiétudes. Laisser partir la jeune femme, comme elle semblait le supplier n'était plus une option à ce stade. Ce n'était pas un hasard si Nora craquait ainsi devant elle après quelques questions. C'était un appel à l'aide, ou un avertissement : ce secret était si lourd, si écrasant pour elle qu'il allait finir par sortir, forcément, au moment où il ne le faudrait pas. Mieux valait donc que ce soit là et maintenant, auprès d'une enseignante qui n'avait à coeur que l'intérêt de son élève...

Quand Nora confirma ce que Thelma avait à peine osé soupçonner, l'enseignante encaissa la nouvelle sans laisser paraître son choc. La révélation était si grande qu'elle n'arrivait pas tout à fait à réaliser, et elle ne pensait qu'à une chose : il lui fallait aider Nora à se calmer, avant qu'elle ne fasse une bêtise autrement plus grande que de révéler son secret à quelqu'un comme elle...

Les propos de Nora étaient si confus qu'ils ne faisaient qu'augmenter l'inquiétude de Thelma. Qui était cette autre personne qui avait assisté à la scène avec elle ? Nora avait-elle tué de ses mains ou n'était-elle qu'une victime ? Avait-elle seulement raison de s'imposer une telle culpabilité ? La légitime défense était censée être reconnue dans leur pays, même si... Hé bien, le meurtre de Dalhiatus était certainement l'affaire de l'année, et la prudence semblait en effet dicter le silence... Mais Thelma manquait d'informations, et Nora ne semblait pas en état de lui en donner. La peur et la culpabilité l'écrasaient visiblement, et sa pauvre élève semblait dans un état second. Elle l'aurait emmené à l'infirmerie si elle n'avait craint la réaction de l'infirmière... Mieux valait attendre d'en savoir plus avant de faire quoi que ce soit.

Même si Nora répugnait visiblement à son contact, Thelma s'avança vers elle et encadra ses épaules de ses mains. Avec une force insoupçonnée pour un si petit brin de femme, elle la serra comme pour l'ancrer dans le temps présent et la ramener à la réalité.

"Je ne vais rien dire du tout", martela-t-elle en perçant la jeune fille de son regard. "Je te promets que je ne vais rien dire du tout, à personne, tu m'entends ? Tu n'as pas à avoir peur de moi, je suis ton alliée ici, Nora."

Thelma ne savait même pas pourquoi elle prononçait ces mots, au juste. Pourquoi ne pas révéler l'identité tant recherchée du tueur de Jacob Dalhiatus aux autorités ? Le directeur de département ne méritait-il pas que son assassin soit jugé ? Thelma n'était pas farouchement opposée au FREE, loin de là, elle continuait de penser que le régime apportait beaucoup de réformes indispensables au pays. Mais ses considérations politiques n'étaient pas en jeu ici. Son instinct lui soufflait que la justice ne serait peut-être pas au rendez-vous si elle livrait Nora et son ou ses mystérieux complices aux autorités. Pas face à de tels enjeux politiques, pas dans un tel contexte... Elle sentait que Nora avait besoin de sa protection, ou du moins de son silence, face à un régime qui avait à tout prix besoin d'un coupable. Elle ne laisserait pas son élève, qui lui semblait si fragile, vulnérable et ultimement, innocente, être le bouc émissaire que cherchait Marchebank.

Son instinct lui soufflait donc le silence, mais avant toute chose, elle avait besoin de connaître la vérité, et de voir la scène telle qu'elle s'était passée. Sans les balbutiements et la censure d'une Nora hautement perturbée, sans doute même incapable de la lui raconter.

A temps désespérés, mesures désespérées...

"Je vais garder ton secret, mais il faut que je sache ce que je garde, tu comprends ?", dit-elle en prononçant lentement, comme si elle parlait à un enfant obtus, pour tenter d'accéder au cerveau embrouillé de son élève. "Il faut que je sache à quoi je m'engage, il faut que je comprennes ce que tu as vécu. J'ai besoin que tu me dises très exactement ce qui s'est passé, mais je ne vais pas te forcer à me le raconter. Je vais voir la scène dans ton esprit, tu n'auras rien à me dire, d'accord ? Je sais que ça va être douloureux pour toi de revivre ça, mais j'ai besoin de savoir exactement ce qui s'est passé, et ensuite, je pourrais essayer de t'aider."

Elle saisit sa baguette qui traînait sur son bureau, et observa Nora en silence, pour s'assurer qu'elle avait bien compris ce qui allait se passer.

"Tu me fais confiance ?", s'enquit-elle avec douceur, en accrochant son regard. "Alors on y va."

Il y avait une certaine tristesse dans le regard de Thelma lorsqu'elle esquissa son mouvement de poignet pour lancer le sortilège. L'enseignante avait l'habitude de fouiller dans les mémoires, c'était sa spécialité et son domaine de recherches, mais elle soupçonnait que cette fois-ci serait particulièrement difficile. Elle s'apprêtait à voir le plus douloureux et le plus marquant des souvenirs d'une personne, celui qui avait probablement infléchi sa personnalité pour de bon...

Ce fut donc avec un mélange d'appréhension et de volonté qu'elle prononça le sortilège :

"Legilimens."

Elle plongea alors dans la mémoire de Nora, et identifia sans peine le souvenir qui était à l'origine de toute cette souffrance et de tous ces doutes. Tout afflua alors, et le visage sévère de Jacob Dalhiatus s'imposa bientôt à elle. Mais il n'était pas seul. Il y avait aussi celui d'un jeune homme aux cheveux bouclés, un jeune homme bouillant d'une colère incontrôlable face à la souffrance de sa bien aimée...

Toute la scène se déroula ainsi sous le regard ébahi de Thelma. Puis elle fut propulsée hors de la cervelle de son élève, et se retrouva de nouveau fermement implantée sur le sol de son bureau. Tremblante comme Nora. Pâle comme Nora. Terrifiée comme Nora.

Un silence épais s'instaura dans le bureau, tandis que les deux sorcières échangeaient un regard lourd de sens. Désormais, elles partageaient ce secret.

Nora ne chercha même pas à échapper à l'étreinte de son enseignante. C'était trop tard pour lutter. Elle rendait les armes. A quoi bon prétendre qu'elle n'avait pas besoin de son soutient, qu'elle pouvait supporter le poids de ce secret ? Elle venait de tout lui avouer et son destin était désormais entre les mains de Miss Corrigan, elle ne pouvait qu'attendre, et subir sa décision. Habitée par la peur et dégoutée par son manque de courage, elle se laissa aller dans les bras de sa directrice de maison, mouillant de ses larmes son chemisier coloré.

Le nœud au creux de son ventre se détendit légèrement alors que l'enseignante lui assurait qu'elle ne dirait rien. Elle ne la dénoncerait pas. Leur secret tenait toujours. Elle n'avait peut-être pas tout gâché. Nora s'autorisa une profonde inspiration pour apaiser ses pleurs et sécha ses joues d'un revers de main. Blême et encore tremblante, elle hocha la tête quand son professeur lui répéta qu'elle n'avait rien à craindre d'elle. Elle savait que ces paroles était sincère mais elle lisait le doute dans le regard de la jeune femme, et elle ne pouvait que comprendre son hésitation.

Pourquoi s'encombrerait-elle de ce secret qui n'était pas le sien ? Elle prenait énormément de risques en la couvrant ainsi, alors qu'il lui suffirait d'un hibou au Ministère pour se débarrasser de ce qui n'était pour elle qu'un problème. Mais Miss Corrigan n'était pas à Poufsouffle pour rien et elle lui réitéra sa promesse de ne rien dire, à une condition. Elle voulait la vérité. C'était légitime. Mais Nora n'était pas certaine de vouloir la lui donner. Elle n'était même pas certaine de pouvoir la lui donner. Cela impliquait de livrer Irving avec elle, et elle s'y refusait.

Elle était consciente que son raisonnement n'avait aucun sens, et qu'en se dénonçant elle dénonçait forcément Irving elle, mais elle se berçait dans cette illusion que leurs deux histoires pouvaient être séparées. Elle aurait voulu pouvoir répondre à son besoin de confession sans mettre son petit-ami en danger, mais c'était évidement impossible. Et il était trop tard pour faire demi-tour. Elle ne pouvait pas se contenter de dire la moitié de la vérité. C'était tout ou rien.

La jeune fille se laissa submerger par le doute alors que son enseignante lui proposait de lire directement dans ses souvenirs. Elle voulait fouiller sa mémoire pour assister directement à la scène. Le sang de Nora se glaça dans ses veines. Elle ne pouvait pas dire non. Si elle refusait, Miss Corrigan n'aurait plus aucune raison d'accepter de garder son secret. Mais elle ne voulait pas qu'elle voit ses souvenirs, pas ce souvenir. Elle-même n'avait aucune envie de le revivre encore. Mais avait-elle le choix ?

D'un regard où se mêlait crainte et résignation, elle observa son professeur s'emparer de sa baguette. Elle pouvait encore dire non. Elle voulait dire non. Elle n'en fit rien. Au fond elle savait que c'était sa chance, que c'était peut-être le seul moyen de se rattraper et de protéger leur secret.

"Tu me fais confiance ?", s'enquit l'enseignante d'une voix douce.

Les mains moites et la gorge nouée, Nora ne parvint pas à prononcer le moindre mot et se contenta de hocher la tête en s'efforçant de ne pas trop trembler. Elle déglutit difficilement en voyant sa directrice de maison lever sa baguette. Il n'y avait plus la moindre trace de doute dans son esprit. Elle était certaine qu'elle ne voulait pas que ça arrive. Elle refusait de revoir ce souvenir et elle ne voulait pas l'ouvrir à son enseignante. Mais elle ne pouvait pas dire non.

La formule résonna à ses oreilles et instinctivement, dans un dernier élan de crainte, elle fit un pas en arrière, commeune vaine tentative de fuite. Mais le sortilège la frappa de plein fouet et ce fut le brouillard. Un tourbillon de ses souvenirs qui lui offrit une vision brouillon et chaotique de sa propre vie. Des couleurs, des sons, des images, beaucoup de visages, ses parents, Amely, Artémis, Irving, Jane, Dany, et soudain : Dalhiatus.

Elle se trouvait de nouveau dans la forêt interdite, mais cette fois-ci elle ne faisait pas face au regard sévère du directeur de département. Elle observait la scène d'un point de vue extérieur, et les évènements se déroulaient sous ses yeux avec un réalisme troublant. Son regard passa du corps d'Irving, inconscient, à son propre visage, terrifié. Elle ne put soutenir son regard suppliant et suivit des yeux la baguette de Jacob Dalhiatus qui se levait pour prononcer sa terrible sentence.

"Non.." souffla-t-elle, faisant écho à la supplication de la Nora du souvenir.

Mais ce qui devait arriver, ce qui arrivait dans ses cauchemars depuis des mois, arriva, inévitablement. Ses propres hurlements la transpercèrent, et ce fut comme si elle ressentait la douleur à nouveau. C'était insoutenable. Elle voulut fermer les yeux mais une part d'elle tenait à assister à tout. Elle était à la fois fascinée et terrifiée par cet horrible spectacle. Ce n'était pas normal, personne ne devrait jamais avoir à assister à sa propre scène de torture. C'était trop dur à assimiler, trop dur à supporter.

Ses cris cessèrent mais le silence n'eut pas le temps de retomber sur la forêt interdite. Les évènements se déroulèrent exactement comme elle se les rappelait, exactement comme elle les revivait chaque fois qu'elle fermait les yeux, mais avec une précision effrayante. Le regard fou de rage d'Irving, ses mains maculées de sang, le visage défiguré de Dalhiatus, la tâche sombre sur sa chemise...et enfin le silence.

La forêt s'effaça alors pour laisser place au bureau du Pr. Corrigan, et Nora crut qu'elle allait s'effondrer à même le sol. Profondément perturbée par cette expérience, elle dut s'appuyer sur le bureau pour reprendre son souffle et ses esprits. Elle était exténuée, comme si ce voyage dans sa mémoire l'avait vidé du peu d'énergie qui lui restait. Pâle comme un fantôme et tremblante comme une feuille, elle leva finalement un regard apeuré vers celle qui partageait désormais son plus terrible secret.

Elle se sentait démunie et comme mise à nue maintenant que son enseignante avait assisté à la scène qui l'avait traumatisé. Plus les secondes passaient plus le silence qui régnait entre elles l'étouffait. Mais que dire ? Elle ne pouvait pas mettre de mots sur ce qui venait de se passer, et n'était même pas certaine des sentiments que cette expérience avait provoqué en elle. De la peur, évidement, de la tristesse, de l'angoisse, mais aussi de la colère, et une forme de soulagement. Ce souvenir cesserait-il de la hanter maintenant qu'elle avait pu l'affronter à nouveau ?

Ce n'était pas ce qui importait. Qu'elle en soit soulagée ou non, le professeur Corrigan avait tout vu. Elle l'avait vu elle, à la merci de Dalhiatus, et elle avait vu Irving la venger. Accepterait-elle de les couvrir ?

"Aidez-moi...souffla-t-elle finalement, brisant d'un murmure le silence opaque qui s'était installé. S'il-vous-plait."

La supplication de Nora ramena brutalement Thelma sur terre. Elle n'avait pas le loisir de s'appesantir sur l'horreur du souvenir qu'elle venait de revivre, à travers les yeux innocents de Nora. Elle ne pouvait pas se laisser envahir par le choc ni la peur de l'adolescente, qu'elle avait ressenti à travers le sortilège, ni être le juge des actions d'Irving Whitaker. Elle devait être le soutien dont Nora semblait avoir désespérément besoin, avant de craquer auprès de quelqu'un de nettement moins bien intentionné...

"Oui, je vais t'aider", répondit-elle d'une voix blanche. Elle passa une main tremblante sur son visage pâle et prit une profonde inspiration, en tentant de mettre un peu d'ordre dans ses pensées. Repoussant fermement le sentiment de panique qui pointait en elle, Thelma se donna des ordres simples. Ne pas se laisser submerger. Garder son calme, agir en adulte responsable.

Par sa faute, Nora venait de revivre l'évènement le plus traumatisant de toute son existence, et se sentait probablement encore plus mal que lorsqu'elle était entrée dans son bureau. Elle ne pouvait pas la laisser partir comme cela, dans cet état, pas sans l'avoir intimement convaincue qu'elle pouvait lui faire confiance. Oh, les sentiments de Thelma au sujet du régime Marchebank étaient ambivalents, mais elle comprenait parfaitement ce qui avait poussé les deux adolescents à fuir : le bon sens. Ni l'un ni l'autre n'aurait probablement échappé à la condamnation à mort, pour l'assassinat du bras droit de Marchebank. Et il était hors de question qu'elle laisse Nora payer pour la mort d'un homme qui avait tenté de lui faire du mal.

"Personne n'en saura jamais rien, pas de ma bouche. C'est une promesse, Nora, tu m'entends ? Je ne le dirai pas, je te le jure", martela-t-elle en accrochant le regard de Nora du sien. Ce n'était pas une conversation des plus banales entre une enseignante et son élève, mais la situation n'avait rien de normale, de toute façon...

"Si vous aviez laissé à la milice des moyens de vous retrouver, ce jeune homme et toi, ce serait fait depuis bien longtemps. Ils peuvent enquêter autant qu'ils le veulent, ils ne vous trouverons pas sans preuves, pistes ni témoins.  "

Saisissant fermement Nora par les épaules, qui n'avait pas l'air bien stable, elle la fit s'asseoir sur sa chaise, avant de contourner son bureau pour attraper du chocolat. Comme d'autres professeurs de défense contre les forces du mal avant elle, Thelma utilisait les vertus du chocolat pour remonter des élèves choqués. Ce n'était pas grand chose face au traumatisme qu'avait vécu Nora, mais c'était mieux que rien, songea-t-elle en lui mettant quelques carreaux dans la main. L'enseignante s'appuya ensuite au bureau et lui adressa un sourire. Dramatiser et paniquer n'aiderait pas la jeune fille à se remettre de cet évènement, loin de là.

"Ce qui est fait, est fait, Nora. C'est un accident, cet homme n'aurait jamais, jamais dû s'en prendre à vous de la sorte... D'autant plus un homme de sa position... Ce qu'il t'a fait était inacceptable, indigne", souffla-t-elle d'un ton doux mais sans appel. "Laisser la culpabilité te ronger ne le ramènera pas à la vie et ne changera pas le passé, d'autant plus que tu n'es en rien responsable de ce qui s'est passé. Quant à ton ami, si vous continuez à garder un profil discret comme vous le faites depuis, il n'y a pas de raison que qui que ce soit le retrouve. Personne n'a besoin de savoir. Et personne ne le saura. Ni de toi, ni de moi."

Car si Nora se mettait en tête qu'elle allait craquer, alors elle craquerait... Même si cela devait lui être fatal, pour se soulager de cet écrasant fardeau.

"C'est un souvenir avec lequel il te faudra vivre, et qui te hantera probablement toute ta vie, Nora, et j'en suis désolée pour toi. Mais tu ne dois pas le laisser dicter ce que sera ta vie. Tu dois continuer, continuer à vivre, à agir comme une adolescente comme les autres qui n'a d'autre souci dans la vie que de réussir ses ASPICs, de jouer au Quidditch et de trouver l'amour, même si ce n'est pas ce que tu ressens. Et si quelqu'un t'interroge ? Tu as une peine de coeur, rien d'autre. La résistance ? Tu n'en sais rien, tu n'es qu'une élève de Poudlard. Une Poufsouffle un peu naïve, qui ne sait pas grand chose de ces choses-là, c'est bien l'image que nous avons après tout."

Elle esquissa un petit sourire, songeant qu'il était fort probable que personne ne songe à venir chercher des noises à une crevette comme Nora. Qui penserait à déloger une petite blonde dans la salle commune de Poufsouffle, personne !

"Je ne peux pas faire de miracles, mais je peux tout de même garder ton secret, et te laisser la porte de mon bureau ouverte, à n'importe quel moment, si ça ne va pas, si tu te sens sur le point de craquer, ou si tu as simplement besoin de parler à quelqu'un qui sait. Je pense aussi que des potions pour le sommeil t'aideraient à retrouver un peu de calme et de lucidité, car le sommeil est réellement réparateur, lorsqu'il n'est pas hanté de cauchemars... Des herbes contre l'angoisse, également, ça n'efface pas les souvenirs mais ça aide à y voir clair."

Thelma hésita un moment, une autre solution lui venant à l'esprit, plus radicale, mais elle se retint. Il ne fallait pas laisser à Nora cette porte de sortie, pas tant qu'il y avait possibilité pour elle de s'en sortir autrement.

"S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour t'aider, vraiment, n'hésite pas à me le demander, y compris avec du travail scolaire. C'est à ça que sert une directrice de maison, après tout."

Les jambes tremblantes et prise d'une soudaine envie de vomir, Nora était obligée de s'accrocher fermement au bord du bureau de son enseignante pour ne pas vaciller. Trop concentrée à tenter de réguler sa respiration affolée, elle entendit à peine la réponse de son professeur et ne récupéra le fil de ses paroles que lorsque cette dernière accrocha son regard du sien. Ce fut instantanément comme si elle lui avait offert un bras sur lequel s'appuyer. Elle se sentait un peu plus stable, un peu moins fragile.

Il y avait pourtant de l'effroi dans les yeux de sa directrice de maison, de la confusion, et une certaine panique, mais il y avait aussi une détermination sans faille, et la promesse de sa fiabilité. Des larmes de soulagement dévalèrent les joues pâles de l'adolescente alors qu'elle sentait finalement ses épaules se détendre un peu. Le professeur Corrigan savait tout, et elle ne les dénoncerait pas. Elle ne dirait rien. Ils étaient saufs, pour le moment.

"Merci...souffla-t-elle en calmant ses pleurs. Merci ! Je suis tellement désolée..."

Désolée de ce qui c'était passé, évidement, mais aussi désolée de lui imposer ce terrible secret. L'enseignante n'avait rien demandé et voilà qu'elle se retrouvait à cacher le meurtre du bras droit du Ministre de la Magie. Si jamais il lui arrivait quelque chose de mal -quoi que ce soit- suite à ces révélations, Nora ne se le pardonnerait jamais.

Elle savait très bien qu'elle n'aurait jamais dû partager ce secret avec personne, qu'elle ne pouvait pas imposer un tel fardeau à des gens qui ne l'avaient pas choisi, mais elle n'arrivait tout simplement plus à le porter toute seule. Irving était loin et elle se sentait terriblement seule à Poudlard. Il avait fallu que ça sorte, et elle pouvait s'estimer chanceuse que ses confessions soient tombées dans une oreille si bienveillante. Elle aurait pu se trouver dans le bureau des Aurors ou face à la Milice à l'heure qu'il était. Mais le Professeur Corrigan ne dirait rien, et lui assura que si on ne les avait pas encore arrêté, alors l'enquête ne mènerait nul part.

Moyennement convaincue par le raisonnement de son professeur mais rassurée par son optimisme, Nora se laissa faire et se retrouva assise avec une poignée de carré de chocolat dans les mains. Elle croqua machinalement dedans, sans appétit, et se sentit légèrement mieux alors que la confiserie fondait sur le bout de sa langue. Les efforts de son enseignante pour alléger sa culpabilité n'eurent que peu d'effet.

Elle avait essayé un nombre incalculable de fois de se convaincre qu'ils n'avaient pas eu le choix, qu'ils n'avaient fait que se défendre, mais elle n'arrivait pas y croire. Tuer un homme ne pouvait pas être le seul moyen de protéger sa vie. Elle refusait de croire qu'elle vivait dans un monde où il fallait tuer ou être tuer. Elle croyait aux deuxième chances, elle croyait au pardon, et en la justice. Elle prenait conscience, lentement et difficilement, qu'elle était trop optimiste pour son temps, qu'elle se mettait des œillères et refusait de voir à quelle point la situation était grave. Il n'y avait plus de justice en laquelle croire, mais elle n'était pas encore prête à le reconnaitre, elle ne voulait pas déjà abandonner. Malgré tout ce qui s'était passé, elle gardait encore un peu d'espoir. Peut-être s'envolerait-il rapidement, mais pour l'instant elle s'y accrochait. Elle en avait besoin.

Elle avait également besoin de sommeil, d'après le professeur Corrigan. Elle n'allait certainement pas contredire la jeune femme sur ce point ! Elle tombait de fatigue, mais ses nuits troublées de cauchemars n'étaient que peu reposantes. Elle adressa un maigre sourire gratifiant à son enseignante quand cette dernière lui proposa des potions pour le sommeil.

"Merci..." répéta-t-elle à nouveau quand sa directrice de maison lui offrit une fois de plus son aide.

Elle lui avait offert son soutient, ouvert son bureau, et garanti son silence, c'était bien plus que ce que Nora aurait pu espérer et elle ne savait plus comment la remercier. Son professeur l'ignorait mais elle venait de l'empêcher de fuguer, ce qui aurait probablement était une terrible erreur. L'enseignante avait raison, elle devait continuer de faire comme si tout allait bien, ou du moins essayer de donner le change.

"C'est gentil, reprit-elle timidement. Vous n'êtes pas obligée, je...Je veux pas vous forcer à faire tout ça, expliqua-t-elle en baissant les yeux. Je vous en demande déjà beaucoup...Je ne veux pas que vous ayez des problèmes à cause de moi."

Si un jour par malheur ils se faisaient prendre, si la vérité éclatait au grand jour, il semblait inévitable qu'ils entraineraient dans leur chute touts ceux qu'ils avaient mis au courant et qui les avait protégé. Son ventre se noua alors qu'elle mesurait l'ampleur des conséquences que ses révélations pourraient avoir.

"Je n'aurais jamais dû vous dire tout ça... souffla-t-elle plus pour elle que pour le professeur Corrigan, le regard perdu dans le vague alors que les morceaux de chocolat fondaient entre ses doigts. Je ne dois pas en parler, à personne, poursuivit-elle plus fort en relevant les yeux vers son enseignante. C'était une erreur ! Je n'aurais pas dû ! Je suis tellement désolée ! Et si...S'il vous arrive quelque chose à cause de moi ?"

Elle avait la mort d'un homme sur la conscience, elle ne pourrait pas en supporter plus. Et si sa faiblesse causait le moindre problème au professeur Corrigan elle ne se le pardonnerait jamais.

Les paroles de Thelma étaient peut-être inefficaces pour aider Nora, mais elles aidèrent l'enseignante à retrouver progressivement son calme. Il lui fallait retrouver son sang-froid et la tête calme, car si elle-même n'y parvenait pas, comment diable Nora était-elle censée y arriver ? Ce n'était pas un hasard si la jeune femme avait fini par trahir son plus lourd secret, auprès d'une oreille inoffensive : il fallait bien que cela sorte, un jour ou l'autre, sans quoi cela aurait fini par la détruire de l'intérieur. Dans son malheur, Nora avait été sage de s'en ouvrir à sa directrice de maison qui, en bonne Poufsouffle, comptait bien lui être loyale. Un soutien et un appui indéfectibles, voilà ce dont Nora avait besoin, même si elle ne semblait pas en avoir pris conscience...

Les remerciements et les regrets de Nora tirèrent un sourire apaisé chez Thelma, qui secoua la tête comme pour les écarter. Oh, elle n'irait pas jusqu'à prétendre qu'elle n'était pas effrayée par les conséquences que pourrait avoir son silence, dans l'éventualité où Nora était démasquée. Mais elle savait qu'elle avait les épaules pour y faire face, et puis elle faisait son choix en toute connaissance de cause.

"Nora, s'il m'arrive quelque chose, cela ne sera pas à cause de toi. Tu n'es pas celle qui rend le concept de justice douteux dans ce pays, et tu ne m'imposes pas de garder le silence aujourd'hui..."


Elle hésita un instant avant d'ajouter : "Oui, un autre enseignant aurait pu faire le choix de ne pas se mouiller, et de te dénoncer. Moi, je décide de garder le silence, en mon âme et conscience, et c'est ma décision, pas la tienne. Ce sera à moi seule d'en assumer les conséquences le cas échéant."

Son regard se perdit sur la petite pièce qui avait accueilli des générations de professeurs de défense contre les forces du mal, dont beaucoup étaient entrés dans la légende, parfois en bien, parfois en mal. C'était avec le poids de cet héritage sur la conscience qu'elle affirma :

"Ce n'est jamais anodin d'accepter un poste d'enseignant à Poudlard, en particulier lors d'une époque troublée comme la notre. On sait à quoi s'attendre. C'est mon rôle d'aider et d'accompagner mes élèves, quoi qu'il arrive, et je ne compte pas laisser la peur d'un régime m'empêcher de tenir ce rôle. Allez, ne t'en fais pas pour moi, j'ai affronté des trolls et des vampires, ce ne sont pas quelques aurors qui vont me faire peur."

Son sourire s'accentua et, après s'être assurée que sa jeune élève était dans un état plus calme et serein qu'à son arrivée, elle la raccompagna jusqu'à la porte de son bureau. Il était temps que Nora reprenne le cours de sa vie d'étudiante, dans toute sa simplicité, cours, questions d'orientation et Quidditch, en tentant du mieux possible de faire abstraction du passé. Désormais, elle pourrait compter sur le regard bienveillant de Thelma, un maigre soutien mais toujours mieux que rien...

"N'oublie pas, Nora. Ma porte est toujours ouverte."

L'enseignante resta un moment appuyée contre l'encadrement de sa porte, à observer la chevelure blonde de Nora qui s'éloignait, puis poussa un long soupir et parti en direction du parc. Elle avait besoin de s'éclaircir les idées.

Mieux vaut tard que jamais