[JR]Glubbdubdrib [Abigail, Chloé & Irving]

Abigail était parfaitement neutre, ou alors très prudente. Rien dans ce qu'elle disait ne permettait de savoir si elle était pro ou anti Marchebank. Chloé savait qu'elle-même, et les gens de la Salamandre en général, avaient un côté radical que le sorcier moyen ne saisissait pas. Et pour cause: aux yeux du monde, le régime Marchebank n'était pas si terrible. Bon, il y avait des bavures, un peu d'abus d'autorité et ce problème des pleins pouvoirs mais globalement, le Ministre restait populaire tant il avait verrouillé les communications et jouait de son image de sauveur.

Mais cette image presque bon enfant avait l'avantage d'endormir la méfiance, et, si les gens parlaient moins parce qu'ils sentaient bien que quelque chose ne clochait, ils n'en étaient pas non plus à ne pas oser ouvrir la bouche. Le silence de la bibliothécaire pouvait donc avoir plusieurs significations. Soit elle n'avait réellement aucun avis sur le régime, soit elle savait à quel point il était dangereux. Avec une telle langue de bois, c'était à se demander ce qui avait poussé Irving à vouloir la recruter. A moins que ses bouclettes ne délient les langues...

Abigail ramenait la conversation à Poudlard, prétendant ne rien savoir du monde extérieur. Chloé décida donc d'une approche innocente un peu plus directe.

"Vous devez être particulièrement bien immergée dans l'école, alors! Comment ça se passe, avec la nouvelle direction? J'ai entendu dire qu'il y avait pas mal de nouveautés. L'atelier théâtre, et un groupe qui s'appelle les Jeunesses Ministérielles - un groupe d'entraide, je crois?"

Ben voyons!

Ah, enfin! Chloé eu un sourire amusé devant l'embarras de la bibliothécaire. Elle n'avait pas tout compris, mais le ton trahissait l'essentiel. Il avait juste fallu trouver le point sensible pour qu'elle parte au quart de tour... Irving avait eu du nez, finalement. Abigail semblait être un mélange d'indignation et de prudence qui pourrait faire d'elle un bon élément pour la Salamandre. Une bonne protection pour les élèves si les choses venaient à dégénérer.

"Ne soyez pas embarassée" dit-elle gentiment à Abigail. "Il est impossible qu'un travail d'équipe fasse l'unanimité. Mildred Magpie n'étant pas personne à faire des consensus, on l'aime ou on la déteste..."

C'était à peu près ça, tant la pie de Multiplettes tenait à être au centre de l'attention et ne supportait pas l'indifférence. Tout en elle était tapageur, jusqu'à son roman Cinquante nuances de Green. Quoique celui-ci avait bien fait rire Chloé tant l'auteur ne cachait pas vraiment la personne qui l'avait inspirée pour monsieur Green... Les adolescentes de Poudlard ne devaient pas sans remettre, et Adonis risquait de se retrouver avec quelques contestations parentales sur les bras.

"Mais que voulez-vous dire par jeunesses hitlériennes?"

Chloé savait à peu près ce que c'était, pour en avoir déjà discuté avec Daisy au détour de conversation sur les cours. Il était cependant intéressant de voir comment Abigail se positionnait par rapport à elles.

Je penchai la tête sur le côté avant de la secouer légèrement.

- Pas exactement. A la base, c’était présenté sous la forme d’une sorte de club pour réunir les enfants et les adolescents. Un club mis en place par le gouvernement et sous la férule du parti national. Et puis petit à petit, l’adhésion au club est devenue obligatoire, et tous ceux qui refusaient d’y entrer étaient traités comme des opposants au régime et maltraités, voir exterminés, dans la période la plus radicale. On s’est mis à distiller des idées politiques aux jeunes. Le parti nazi était profondément raciste et violent, et c’est ce qu’on a appris aux enfants. Ils étaient en uniformes, portaient une arme, comme une sorte d’armée en quelque sorte. Une armée à la botte du régime d’Hitler et qui mettait en œuvre ses ordres de la façon la plus violente qui soit. En somme, on a appris aux enfants à haïr et tuer ceux qui ne pensaient pas comme Hitler.

Je me laissai aller contre le dossier de ma chaise, et resserrai mes mains autour de mon thé. Mon regard se perdit dans le vague tandis que je me remémorais ce que j’avais appris là-dessus. Le fait que le régime Marchebank mette en place ses jeunesses ministérielles, c’était assez angoissant, au regard de l’histoire.

Le rire de Lou, qui gazouillait de joie sur les genoux d'Irving, allégea un peu le sombre discours que leur tenu la bibliothécaire. Plus la conversation avançait, plus Chloé se demandait ce qu'il se passait dans la tête de son ancienne collègue. Elle-même n'aurait pas été si alarmiste face aux Jeunesses Ministérielles, et pourtant Abigail semblait renâcler à se dévoiler... De la prudence, simplement, si elle voyait le régime Marchebank comme un équivalent au régime nazi.

"Je vous trouve un peu alarmiste. Mr. Greengrass me semble plus être un jeune ambitieux qui cherche à briller en réformant une école plutôt qu'un sbire zélé chargé de lutter contre... contre qui, d'ailleurs? Marchebank n'a rien contre les moldus, bien au contraire. Il tendrait plus à se méfier de sa propre caste de Sang-Pur. Or, le sous-directeur en est l'image même, et Daisy Mason n'est pas du genre à laisser passer ce genre de choses sous son nez."

Elle songea qu'Irving devait se demander à quel jeu elle jouait, et la réponse était simple: au même que Miss O'Brien. Après tout, Chloé avait aussi une image à sauvegarder: celle d'une directrice de département fidèle au ministère.

Je haussai les épaules. Alarmiste probablement mais mon intuition me disait que ça ne sentait pas bon.

- Espérons que l'histoire me donne tort. Mais j'ai pas mal lu sur cette époque et... J'étais à Poudlard l'année où Voldemort a retrouvé sa puissance. Je me souviens comment c'était dans les couloirs. Le directeur Rogue avait instauré une sorte de "jeunesse" lui aussi.

Je remis une mèche de cheveux derrière mon oreille.

- Je n'ai rien entendu de particulier. Je me contente de remarquer que les encadrants de ces jeunesses ministérielles sont tous des personnes gagnées à la cause de Mr Marchebank. Et dans les deux exemples que je viens de vous donner, ça avait commencé comme ça au départ, comme un simple groupe d'entraide totalement anodin...

Je retrouvai le silence, j'en avais peut-être trop dit. Si Irving et Mme Hellsoft était des pros Marchebank, alors je risquais d'avoir de sérieux ennuis. Et en même temps, j'avais l'impression qu'ils avaient cherché à ce que je m'exprime de la sorte. Mais cette idée me semblait tellement saugrenue. Pourquoi auraient-ils fait ça ?

Chloé resta un instant silencieuse après les dernières paroles d'Agibail, songeuse. Peut-être que oui, cette jeune femme ferait une bonne recrue pour la Salamandre. Tout dépendait de ce qu'elle serait prête à faire. Mais son poste à l'intérieur de Poudlard en ferait une alliée précieuse, notamment pour Daisy à qui Chloé avait prévu de faire part de  ses inquiétudes au sujet d'Adonis. Cependant, il restait une dernière chose à vérifier - beaucoup, en vérité, mais une au moins avant de se jeter à l'eau. Irving avait du nez, Chloé ne pouvait le nier. Mais entre accepter le fait qu'Abigail avait sa place à la Salamandre et lui révéler qu'elle en était membre, il y avait un pas qu'elle n'était pas encore sûre de franchir.

Après avoir échangé un regard avec Irving, Chloé appela tout haut: "Winky?"

L'elfe se matérialisa dans un craquement sonore.

"Oui, Mrs Hellsoft?"

"Peux-tu emmener Lou dans sa chambre, s'il te plait? C'est bientôt l'heure de sa sieste."

"Tout de suite Mrs Hellsoft" couina l'elfe en s'approchant de l'enfant qui, lâchant Irving, se jeta vers elle pour lui tirer les oreilles.

"Ces elfes ont une patience à toute épreuve" commenta Chloé tandis qu'elles s'éloignaient. Lou n'était pas la seule qui ait besoin de calme. La suite de la conversation n'était pas pour les oreilles d'une petite fille qui commençait à savoir parler.

"Pour reprendre le fil de notre conversation", continua Chloé sans hâte, "je m'étonne, au vu de votre avis sur la situation, que vous m'en parliez, étant donné ma position au ministère. Ne craignez vous pas des représailles?"

Le ton était chaleureux, presque philosophique. Enfoncée dans son fauteuil, Chloé ne se voulait pas du tout menaçante. Elle avait simplement besoin de mesurer la capacité de Miss O'Brien à garder un secret.

Ce fut alors que l'elfe de Mme Hellsoft se matérialisa soudainement dans la pièce dans un craquement sonore qui me fit sursauter. Juste après ce que je venais de lâcher, je m'attendais presque à ce que le plafond me tombe sur le coin de la figure. Mais il ne m'arriva rien, fort heureusement.

L'elfe repartit en emmenant la petite fille et nous restâmes, tous les trois, à nous regarder dans une atmosphère que j'aurais presque pu qualifier de tendue. Les paroles de mme Hellsoft ne firent rien pour la détendre. Au contraire, je sentis ma mâchoire se contracter légèrement et mon regard glissa vers Irving qui, lui, semblait rester serein.

Et si les paroles de Mme Hellsoft me firent douter de la confiance que je pouvais placer en mes interlocuteurs, celles du jeune homme, en revanche, m'incitèrent à répondre honnêtement.

- Je crois que si vous aviez voulu me chercher des ennuis, ils me seraient tombés dessus depuis un moment déjà...

D'autant que je me rappelais avoir émis le même genre d'idée lors de ma première rencontre avec Irving. Et si lui et Mme Hellsoft étaient en si bons termes...

- Et je crois qu'il arrive parfois un moment où il faut laisser tomber la prudence et faire ce qu'il faut.

Je n'étais pas certaine que ce moment soit arrivé. Mais à dire vrai, mes pensées, mes idéaux, tout ceci avait évolué depuis un  certain temps. J'étais restée longtemps indécise, attendant de voir comment les choses allaient se passer, et maintenant, je les voyais se dessiner, petit à petit. Il était temps que je prenne parti.

Pourquoi pas, oui, songea Chloé après la réponse d'Abigail. Après cet entretien, elle se rangeait à l'avis d'Irving et lui faisait confiance. Avoir une alliée de plus à Poudlard serait intéressant. Cependant, trop de personnes connaissaient déjà son implication dans la Salamandre: Irving, Clarissa et Scarlett, et elle ne comptait pas multiplier les personnes dans le secret. Ce serait multiplier les risques. Abigail soupçonnerait probablement quelque chose, mais un soupçon s'écartait, pas une information vérifiée. Chloé eu donc un sourire amusé lorsque la bibliothécaire se dévoilà enfin.

"Je vois que vous avez pensé à tout. Je peux comprendre votre raisonnement - nous ne sommes jamais trop prudents lorsqu'il s'agit de nos libertés individuelles - mais je ne partage néanmoins pas votre point de vue. Je pense comme vous qu'il est nécessaire d'être vigilant, mais, après avoir vécu deux guerres, je ne ferais certainement pas partie d'un gouvernement qui présente un réel risque pour notre société."

D'ailleurs, c'était précisément pour cela qu'Abigail n'avait pas de problèmes malgré les propos qu'elle venait de tenir - bien sûr. Elle bu une gorgée et adressa un regard de connivence à Irving.

"Même si Irving a maintes fois tenté de me convaincre du contraire, cela fait partie de nos opinions divergentes. Mais la politique ne fait jamais l'unanimité, n'est-ce pas?"

Chloé décida de réorienter la conversation vers un terrain plus neutre pour quelques minutes, histoire de détendre l'atmosphère. Alors que la conversation portait sur la dernière édition de l'Histoire de Poudlard, elle leva les yeux vers la pendule qui ornait le salon.

"Je suis désolée de mon impolitesse, mais je dois rejoindre Peter - le professeur Virtanen - à Pré-au-Lard pour faire quelques emplettes."

Raccompagnant ses visiteurs, elle profita qu'Abigail précédait Irving dans le couloir pour adresser à ce dernier un signe d'assentiment, et lui souffler discrètement "bonne intuition".

Je reposai ma tasse et me levai de mon siège pour me diriger moi aussi vers la sortie. Je devais avouer que cet entretien me laissait un goût étrange au fond de la gorge. L'impression de ne pas trop savoir sur quel pied danser. Mme Hellsoft s'était montrée, finalement, assez difficile à décrypter et je ne voyais pas trop comment prendre ses dernières paroles. Le changement de sujet avait été plus que bienvenu. Je remerciai Mme Hellsoft, saluai Irving et fis quelques pas en direction de l'aile des professeurs.

C'est alors que la voix du jeune homme s'éleva dans mon dos.

- Euh, oui... Si vous voulez.

J'avoue, j'étais surprise par sa proposition, mais après tout, pourquoi pas ? Lorsqu'il engagea à nouveau la conversation, cependant, je retins légèrement mon souffle, appréhendant ce qu'il allait dire. Il m'avait semblé être plutôt de mon avis, mais allez savoir.

Le Baron Sanglant, je ne le vis pas se dresser au devant de nous, trop absorbée que j'étais par les paroles d'Irving et ce qu'elle signifiait. Je laissai donc échapper une expression de surprise en passant au travers et m'arrêtai de marcher quelques secondes. C'était désagréable, comme impression, mais je n'eus pas le temps de m'appesantir sur le sujet, Irving continuait à parler.

La première réaction que j'eus en entendant ses aveux fut la surprise.

- Vous... ?

Dans un sursaut de prudence, je regardai tout autour de moi, moi aussi, pour vérifier que le couloir était bien désert. C'était tellement dangereux de dire des choses comme ça ici, avec le sous-directeur qui s'affichait clairement comme un soutien au ministre.

- Irving, c'est... Attendez...

Je l'attrapai par le bras et parcourus les derniers mètres qui nous séparait de mon appartement. Là, au moins, nous pourrions parler sans le moindre risque. Je l'invitai à rentrer et refermai la porte derrière moi.

- Qu'est-ce que vous voulez dire, "des personnes qui se battent pour nos droits" ? Des gens qui s'opposent au gouvernement ? C'est risqué...

J'acquiesçai tout en gardant le silence. J'avais entendu parler de cette histoire, oui. Les journaux en avaient pas mal parlé. Et ils avaient, effectivement, donné la version dont Irving me parlait. Sur le moment, je n'avais pas trop su quoi en penser. Je savais qu'on ne pouvait pas réellement se fier à ce qu'on lisait dans les journaux, ils étaient sous la coupe du ministère, mais c'était peut-être vrai ?

La version que me racontait Irving en revanche, la vraie, était relativement inquiétante. Et pourtant, on savait déjà qu'il valait mieux ne pas trop s'élever contre le gouvernement, pas de façon ostentatoire. On savait aussi que cette façon de museler les gens, ça n'était pas digne d'un gouvernement qui se voulait juste. C'était en partie pour ça que j'avais des doutes sur le gouvernement Marchbank et ses réelles intentions.

- C'est vous qui m'avez fait parvenir ce journal ?

Question inutile. S'il savait que je l'avais reçu, c'est qu'il devait en être à l'origine, ou quelqu'un de son entourage.

- Disons qu'il apporte un point de vue différent sur les événements.

J'indiquai à Irving l'un des fauteuils devant la cheminée pour l'inviter à s'asseoir et débarrassait le second de la pile de livres qui l'encombrait pour m'installer à mon tour.

- Ca fait des mois que je me dis que le gouvernement ne tourne pas rond. Il se passe des choses autour de nous qui n'ont pas de réelles explications, et quand elles en ont, ces explications ne tiennent pas la route. Ce journal, j'agitai ma baguette et le numéro du Cognard sortit du livre dans lequel je l'avais caché pour venir se placer entre mes mains, apporte de vraies réponses aux questions qu'on se pose. Des explications qui, elles, sont cohérentes. Et qui répondent à mon inquiétude vis à vis du gouvernement.

Je me penchai vers Irving, conservant un air sérieux.

- J'ai étudié l'histoire Moldue, j'ai vu ce que des gouvernements qui commençaient comme celui-ci pouvaient apporter à la population. J'étais à Poudlard quand Voldemort est revenu au pouvoir, je me suis battue contre ses partisans. Et si ce nouveau gouvernement est aussi mauvais que ce que j'entrevoie, je me battrai à nouveau.

RP terminé

En refermant la porte derrière Irving, je ne pus m'empêcher de ressentir une espèce d'appréhension. Mais ce n'était pas tellement que tout ça me faisait peur. Enfin, si, un peu, c'est certain. On ne s'élève pas impunément contre le gouvernement. Si les mots que nous avions échangés ici parvenaient aux oreilles de la mauvaise personne, nous allions avoir de sérieux problèmes. Mais il n'y avait pas que ça. La dernière fois que je m'étais battue, j'avais perdu mon frère aîné. C'était pour une cause juste, je le savais, néanmoins ça n'empêchait que ça faisait mal. Alors je me demandais ce que j'allais perdre cette fois. Avec un peu de chance, nous n'irions pas jusqu'à une nouvelle guerre ? Si les gens se réveillaient assez tôt, cela pourrait peut-être être évité ?

J'avais une certaine appréhension oui, mais de la détermination également. Je sais ce que vous vous dites, je passais mon temps dans des livres, ma vie, je la vivais à travers des livres alors qu'est-ce que je pouvais savoir du monde réel ?  J'en savais assez pour savoir ce que je voulais y faire et ce à quoi je voulais qu'il ressemble. C'était suffisant, non ?

Je m'adossai à la porte et soupirai. Quelque part, c'était frustrant de ne pas en savoir plus tout de suite. Mais je comprenais qu'Irving prenne ses précautions. Une chose était sûre, il allait me falloir attendre qu'il revienne vers moi ou que quelqu'un d'autre me contacte, comme il me l'avait dit. J'espérais que ça ne serait pas trop long.



[C'est bon pour moi aussi]