30 millions d'amis [Norving]

Assis sur le canapé rose du local de répétition des Dark Boursouf, Irving se rongeait les ongles. Il avait pris cette mauvaise habitude depuis quelques mois, il faut dire que les situations stressantes engendrant cette manie ne manquaient pas. La dernière en date remontait à quelques jours plus tôt puisque la réunion pour la veille politique de la Cité Nimbus s’était transformée en véritable rafle. Irving y avait échappé in extremis et il se demandait encore ce qu’il serait devenu s’il avait été attrapé par les forces de l’ordre… Plus personne n’avait de nouvelles de Rufus par exemple, il n’était pas revenu travailler depuis le premier et il ne répondait pas aux patronus…

Pour Irving, ce qui n’était, à la base, qu’une inquiétude globale quant au climat politique instable était en passe de se transformer en intime conviction que les choses dégénéraient et que Marchebank n’était pas animé de bonnes intentions à l’égard de son peuple. Le bouclage, les pressions au tremplin et la descente dans le locale de la FOSSE six jours plus tôt corroboraient cette théorie.

Ce n’était manifestement pas le moment de se faire remarquer et Irving s’était donc acheté une conduite en société. Lui qui était si prompt, quelques mois plus tôt, à critiquer ouvertement la politique Marchebank –et notamment son projet Cosmos-   était dorénavant nettement plus frileux lorsqu’il s’agissait de dévoiler son point de vue à des inconnus. L’ancien Gryffondor avait conscience qu’il devait apprendre à se taire, notamment au Ministère où les murs avaient des oreilles…

Fort heureusement, il avait dans ses relations des personnes dignes de confiance avec lesquels il pouvait évoquer ses inquiétudes. S’il essayait de ne pas trop embêter Jeremy et Juliet avec cela - ils étaient amis avec la femme du Ministre après tout- il en parlait sans détour avec  Juliana et Klemens qui partageaient globalement son avis sur la question. Le malaise se faisait même ressentir jusqu’à Poudlard où Gillian, Donald et Nora s’inquiétaient de la création des Jeunesses Ministérielles, sorte de Milice étudiante.

C’est d’ailleurs en prenant bien garde de ne pas se faire repérer par ces cafteurs que Nora rejoignit le petit local sous le salon de thé de Mrs Pieddoddu. Lorsqu’elle frappa, Irving se leva pour aller lui ouvrir et refermer la porte prestement derrière elle.

« Alors, t’as réussi à échapper aux mouchards d’Greengrass ? » demanda-t-il en l’enserrant dans ses bras, un large sourire emprunt de bonne humeur imprimé sur ses lèvres. Le contexte actuel avait beau être très lourd, il était hors de question que Marchebank gâche ses rares moments avec Nora. Il comptait les jours toute la semaine jusqu’au samedi, tant la jeune femme lui manquait alors il était bien décidé à profiter pleinement de chaque minute avec elle, reléguant pour le moment ses inquiétudes dans un coin de son esprit. Il rit de bon cœur lorsqu’elle affirma qu’ils feraient de très bons espions- ils savaient l’un comme l’autre que c’était parfaitement faux- avant de répondre à son étreinte.
Merlin, se rendait-elle seulement compte à quel point elle était irrésistible ? songea Irving lorsqu’elle se détacha de lui.
A ses yeux, ce baiser était le genre d’argument à faire voler en éclat les projets qu’ils avaient pour l’après-midi. Pourquoi ne pas rester là tranquillement près du feu de cheminée? Ou même mieux, ils pourraient aller chez lui plutôt que de passer des heures entières à piétiner sous un chapiteau… Mais il suffisait de voir l’état d’excitation de Nora à cette simple perspective pour qu’Irving n’émette même pas l’idée d’annuler leur visite. Les dragons, l’article de la gazette, les crabes de feu…. Elle était presqu’aussi hystérique que lui avant un concert des Bizarr Sisters ! Irving laissa échapper un petit rire devant tant d’enthousiasme et enfila son manteau près à partir.

« Ça m’fait vraiment plaisir d’y aller, faut pas croire ! » répondit-il lorsqu’elle affirma qu’il était gentil de venir avec elle comme s’il s’agissait d’un effort de sa part.

Certes, il avait été tenté de rester en tête à tête avec Nora mais il savait aussi très bien que l’occasion de voir une telle exposition, unanimement saluée par la critique, ne se présenterait pas deux fois.

« Moi c’était les Soins aux Créatures Magiques qui m’saoulaient, expliqua-t-il en faisant passer la capuche de son sweat par-dessus sa veste, tu vois, s’occuper des bestioles, les nourrir, diagnostiquer leurs problèmes… J’ai pas un super feeling avec les animaux, ajouta-t-il en grimaçant. Il enfila ses gants et noua son écharpe autour du coup avant de conclure, mais les regarder, de loin, ça va. C’est cool. J’ai jamais vu d’dragons, ni d’accromentule et il parait même qu’il y a un énorme bassin avec un kraken dedans… » souffla-t-il  en sortant sa baguette, «  Par contre avant… Il faut qu’on peaufine un peu ton déguisement d’espionne. Imagine qu’on tombe sur Greengrass ! J’uis sûr qu’il serait du genre à t’priver d’sortie jusqu’en juin et à t’donner des heures de colle tous les samedis. Il t’obligerait à t’occuper de touuuutes les créatures magiques du parc de Poudlard… Brrr !» frissonna-t-il.

Un sourire mutin éclaira alors son visage puis il vola un bref baiser à sa petite-amie.

« Bon. Ok. C’est pas vraiment une punition pour toi mais quand même. »

Il pointa sa baguette sur la chevelure de la jeune femme et poursuivit :

« J’pourrai pas tenir si on s’voit plus qu’pendant les vacances et après j’serai beaucoup trop tenté d’pirater l’réseau d’Cheminette pour t’rendre une petite visite dans ta salle commune … révéla-t-il avec un haussement de sourcils suggestifs, ...donc,  avec ta permission… ? »

Il questionna la jeune femme du regard avant d’ensorceler sa chevelure pour la faire boucler puis il lui cola un immonde béret rose sur la tête et un foulard digne de la garde robe de Mme Pieddoddu autour du cou.  Bon, s’ils tombaient nez à nez avec le sous-directeur de Poudlard ce déguisement ne tromperait personne mais dans la foule, Nora serait nettement moins repérable sans ses longs cheveux blond et raides et ses vêtements habituels.

« Voilà. T’es parfaite. Drôlement sexy.» ajouta-t-il en riant.

Irving faisait mine de prendre tout cela à la rigolade mais il souhaitait vraiment mettre tout en œuvre pour que sa petite-amie ne se fasse pas épingler, ne voulant pas réitérer un Bloody Sunday Bis…

« Maintenant on peut y aller ! »

Il devança la jeune femme dans la cheminée et déboucha dans la salle du Café du Vivet bondé. Les deux amoureux se faufilèrent bien vite à l’extérieur  sur la Grand’Place où un énorme chapiteau avait été monté pour l’occasion. Alors qu’Irving était occupé à chercher les billets au fond de sa poche, Nora l’entraina en direction de l’entrée tout en tentant d’identifier les cris d’animaux qui filtraient à travers la toile.

« Un hippogriffe t’es sûre ? On dirait plutôt le hurlement d’ma mère quand j’rangeais pas ma chambre, plaisanta-t-il en tendant les deux places à l’agent d’accueil qui leur donna un plan de l’exposition en échange.

Une fois à l’intérieur, Irving resta ébahi devant les dimensions gigantesques du lieu et la scénographie de l’exposition qui reprenait manifestement  les différents cadres de vie de chaque créature, passant des déserts arides d’Afrique aux étendues d’un blanc immaculé des pôles.
Nora se dirigeait déjà vers la partie du chapiteau réservé aux Animaux Fantastiques d’Amérique du Sud aussi, Irving prit sa suite, son plan déplié entre les mains.

« Ça à l’air d’être des licornes du Matchu Pitchu, dit-il en comparant les créatures que venaient de désigner sa petite-amie avec l’illustration du fascicule, son regard passant de l’un à l’autre plusieurs fois,… haute de 1m20 au garrot elles sont les plus petites licornes connues actuellement. Leur robe grise leur permet de se fondre parfaitement dans leur milieu naturel…» lut-il à voix haute.

Mouai. Bon. C’était intéressant mais Irving ne se voyait pas rester coller pendant quatre heures à son plan. Il replia donc la carte et la tendit à Nora- elle en ferait certainement un meilleur usage que lui- puis il passe un bras autour des épaules de la jeune femme.

« J’uis d’avis qu’ce soit toi qui m’fasse la visite guidée, chuchota-t-il au creux de son oreille, j’uis sûr qu’tu s’ras nettement plus intéressante que les commentaires du plan… » ajouta-t-il en déposant quelques baisers au creux de son cou, flirtant effrontément avec sa belle au milieu de la foule.

Irving laissa finalement échapper un léger rire puis il se mit lentement en marche sans lâcher sa petite-amie. Il était bien ici, finalement, même entouré de centaines d’animaux magiques dont il ne connaissait pas le nom pour la plupart.

« Ah ! Ça j’connais ! S’exclama-t-il toutefois en désignant d’un geste du menton un petit animal blotti près de son terrier, C’est un Fenneldeg !  Une fois Danny m’a montré une potion soit disant interdite avec ce drôle de renard dessiné dessus. J’sais pas trop à quoi ça servait mais il y tenait presqu’autant qu’à Duke ! Affirma-t-il avec un sourire, ça a une bonne tête hein ? »

Irving s’accouda sur la barrière derrière lui et observa  Nora interpeller un membre du staff afin d’en savoir plus sur le Fenneldeg. Ce petit renard avait l’air d’éveiller sa curiosité, se dit-il en esquissant un léger sourire devant la mine ahuri du pauvre membre de la sécurité qui croulait sous les questions de sa petite-amie. L’ancien Gryffondor pouffa de rire lorsque l’employé de l’exposition lui répondit dans un anglais approximatif qui trahissait ses origines scandinaves. De toute évidence, le Fenneldeg ne faisait pas partie de son secteur, songea Irving en le regardant s’éloigner en direction de l’espace « Grand Nord ».

« Tu sais si ça t’intéresse tant, j’crois qu’il y a un bouquin à la bibliothèque de l’école qui en parle» expliqua-t-il lorsque Nora revint vers lui, « Danny m’avait montré les illustrations. » ajouta-t-il en guise d’explications. En effet, il y avait peu de chance pour qu’Irving ait fait la démarche par lui-même de se rendre à la bibliothèque, et ça, Nora était particulièrement bien placée pour le savoir.

« Faudrait voir avec la nouvelle bibliothécaire… j’imagine qu’elle est plus sympa qu’Mme Pince ! Souffla-t-il en s’engouffrant dans la partie enneigée de l’exposition, En même temps, c’est difficile d’faire pire. »

Il entremêla ses doigts à ceux de sa petite-amie et lui accorda un sourire avant de reporter son attention sur les créatures polaires dont le pelage se confondait parfaitement avec les grandes étendues enneigées.

« Hé regarde là-bas ! S’exclama-t-il alors en montrant du doigt une silhouette mouvante sur la neige, on dirait un Yeti non ? »

Il laissa passer Nora devant lui afin qu’elle puisse mieux voir car la sortie de la créature magique venait de susciter un petit attroupement de visiteurs autour d’eux. Plusieurs flashs crépitèrent pour immortaliser ce moment –Il était bien rare que le Yéti sorte de sa tanière- mais les éclairs de lumière arrachèrent un rugissement à l’animal qui retourna bien vite se tapir dans sa cachette.

« Wow. Il aime pas les photos, remarqua Irving en haussant les sourcils.

L’ancien Gryffondor entoura de ses bras sa petite amie avant de se pencher en avant pour lui chuchoter à l’oreille : mais si t’as pas eu l’temps d’le voir c’est pas très grave, y en a un juste à côté de toi. »

Il désigna du regard une femme, Bizarrement accoutrée, qui faisait justement partie des personnes qui venaient d’éblouir la bestiole. Irving peina à retenir un éclat de rire, parfaitement conscient que Nora allait surement le trouver fort médisant, même si lui, il était plutôt content de sa blague.

Enfin quoi, un manteau de fourrure sur une mini-jupe ! Fallait pas pousser non plus !

Toutefois l’ancien Gryffondor perdit bien vite sa bonne humeur lorsqu’il sentit quelqu’un lui enserrer l’épaule. Il crut d’abord que le petit-ami de la jeune femme l’avait entendu mais il découvrit deux toutes autres personnes quand il se retourna.  Deux agents de la Police Magique lui faisait face.

« M. Whitaker ? »

Irving se figea et sentit le sang quitter son visage. Pendant une fraction de seconde, il eut envie de transplaner, de fuir aussi loin de possible d’ici en emmenant Nora avec lui. Il faut dire qu’il avait plusieurs choses à se reprocher : Quinze jours plus tôt, Il avait assisté à une veille politique qui avait été qualifié de réunion terroriste par le gouvernement et en début de semaine il avait vraiment participé à ce qui s’apparentait à la mise en place d’un réseau de résistance clandestin. Bien sûr, comme si cela ne suffisait pas, il se baladait main dans la main avec sa petite-amie qui n’avait, normalement,  pas le droit de quitter Pré-Au-Lard.

« M. Irving Whitaker ? » répéta le deuxième agent.

-Oui.  répondit-il, son regard passant de l’un à l’autre.

Merlin, ils allaient l’arrêter, lui réciter ses droits, puis l’amener au Ministère pour le faire passer en procès expéditif comme tous les mafieux de Bristol. Il allait être condamné pour actes de  trahison envers son pays et il serait envoyé à Azkaban en attendant qu’ils fixent la date de son exécution et…

« Vous avez fait tomber ça devant le stand des Fenneldeg.
-Faut faire attention monsieur, vous savez que le Ministère le fait payer si on le perd ou si on l’abime. Le policier se tourna vers son collègue et précisa : « Martha a passé le mien au récurvite une fois ! J’ai été obligé d’en prendre un nouveau à cinq galions ! »
- Et ben ! Vous voyez monsieur, faut vraiment être prudent, expliqua le policier en tendant le badge du Ministère à Irving.
- On vous a reconnu aux cheveux, précisa l’autre avec un sourire, vous êtes facile à repérer dans la foule !

Irving esquissa un sourire mais son visage livide trahissait son trouble pour qui le connaissait. Il attrapa sa carte et la fourra dans sa poche, en tentant d’ignorer ses jambes flageolantes, puis il s’efforça d’avoir l’air serein en passant un bras autour des épaules de Nora.

-…Ben …Merci. ».

Merlin, il avait failli avoir une attaque cardiaque.

-Mais de rien ! répondit l’agent.
- Bonne fin de visite alors, ajouta le second avant de saluer Nora d’un hochement de tête, Mademoiselle.

Irving les regarda s’éloigner durant plusieurs secondes puis il passa une main fébrile dans ses cheveux. Bordel de Troll. Il devait absolument se calmer. Dire qu’il avait failli transplaner et prendre le risque d’attirer l’attention sur lui, et par extension sur Nora ou encore sur la Salamandre. Il poussa un profond soupir, afin de calmer les battements de son cœur qui s’était emballé puis il reporta son attention sur sa petite-amie :

« … Euh… On va voir le bassin géant ? »  proposa-t-il sans grande conviction.

« Oui, si tu veux… » Répondit Irving sans même regarder la direction que lui indiquait Nora. A vrai dire, il voulait mettre le plus de distance possible entre lui et les deux agents de la PM. Pourtant, ce n’était pas la présence des deux policiers qui l’inquiétait le plus mais plutôt la réaction qu’il avait eut à leur égard. Il s’était littéralement liquéfié sur place. Il n’avait rien trouvé à leur dire, trop paralysé par la peur alors que les deux représentants des forces de l’ordre s’étaient montrés tout à fait bienveillants et il avait fallut que ce soit Nora qui vole à son secours avec cette histoire de boulettes ! Oh Merlin, dire qu’il avait failli fuir en transplantant, comme un vulgaire évadé d’Azkaban cherchant à sauver sa peau ! Il était pathétique ! L’ancien gryffondor poussa un profond soupir et passa une main sur son front avant de relever la tête pour voir où sa petite-amie l’avait entrainé.

« Hé. Mais y a rien ici… » souffla-t-il en découvrant enfin le panneau qui indiquait que les loups des neiges venait d’être déplacés.

Il fronça les sourcils et reporta son attention sur la petite allée déserte qu’il venait d’emprunter.

« Qu’est ce qu… » commença-t-il avant de découvrir la mine soucieuse de Nora.

Il fallait bien que cela arrive. Elle était surement la personne sur terre qui le connaissait le mieux et il était prêt à mettre sa baguette au feu qu’elle avait remarqué son trouble face aux deux agents. Comme pour confirmer ses déductions, elle lui demanda s’il avait un problème avec la Police.

« Non, non, bien sûr que non. » Répondit-il un peu trop vite en secouant vigoureusement la tête.

Il était encore perturbé par ce qui venait de se dérouler si bien que sa capacité à mentir était nettement diminuée. Il fallait ajouter à cela qu’il ne s’adressait pas à n’importe qui, mais à Nora. Celle pour qui il n’avait quasiment aucun secret.  Celle en qui il avait le plus confiance, et en ces temps trouble, ce n’était pas peu dire.

Très sincèrement, il avait eut envie de lui parler de sa prise de position à maintes reprises mais à chaque fois, il avait trouvé de bonnes raisons pour ne pas le faire. A commencer par la plus futile : Pourquoi gâcher leurs quelques heures en tête à tête avec ce genre de révélation ? Car il ne se faisait pas d’illusion, dès que Nora saurait, elle ne serait plus la même. Elle se ferait du souci pour lui et cela aurait peut-être une influence néfaste sur sa scolarité. Il ne voulait pas être tenu pour responsable d’une éventuelle baisse de ses résultats ou de son investissement dans l’équipe de quidditch. Il était si fier de ce qu’elle accomplissait chaque jour qu’il ne voulait pas être le grain de sable dans le rouage. Et puis, il n’avait pas envie de deviner l’inquiétude dans son regard à chaque fois qu’il se retrouverait même si c’était déjà le cas à cet instant précis.

L’ancien Gryffondor poussa un soupir et leva les yeux en direction de la toile du chapiteau au dessus de lui.

Depuis la mort de Danny, il s’était juré de ne plus embringuer ses camarades dans ses combats personnels, pourtant, il ne se voyait pas lui mentir. Ils avaient toujours formé une équipe tous les deux « Nora L’intrépide et Irving l’Audacieux » et il n’avait pas envie que cela change. Il était aisé de penser qu’en la maintenant dans l’ignorance il la protégeait mais à quoi rimait leur relation s’il lui cachait un pan entier de sa vie ? S’il s’enfermait, jour après jour, dans un mensonge et une distance qui finirait par les séparer ?
Il avait assez trimé pendant deux ans pour ne pas répéter les mêmes erreurs avec des non-dits. Nora était en droit de savoir, même si il devait lui révéler la vérité avec un peu de tact :

« Tu t’souviens de l’intervention de la Milice à la Cité Nimbus il y a quelques semaines… Il y a eu un article dans la Gazette, commença-t-il en reportant son attention sur sa petite-amie, une soi-disant réunion terroriste avec des partisans anti-Marchebank voulant renverser le gouvernement et mettre le pays à feu et à sang. » lui rappela-t-il en citant les extraits du journal qu’il avait en mémoire.

« Ce n’était rien de tout cela à vrai dire,  tu sais, j’uis bien placé pour le savoir parce que… »

Il ne termina pas sa phrase, préférant hausser imperceptiblement les sourcils.

De toute manière, il était persuadé que Nora avait déjà deviné.

Irving hocha la tête pour confirmer sa présence lors de la pseudo Réunion Terroriste à Nimbus. Dans un premier temps,  Nora sembla plutôt surprise mais son étonnement céda la place à une inquiétude qu’elle ne tarda pas à manifester.

« Y a pas d’problème. J’ai réussi à partir, personne m’a vu. J’uis sûr. T’inquiète. »  Insista-t-il en se rapprochant d’elle pour attraper ses épaules.

Il voulait clairement lui faire comprendre qu’elle n’avait aucune raison d’angoisser … du moins… pas pour ça, même si  instinctivement, il regarda autour d’eux afin de s’assurer qu’ils étaient toujours seuls dans l’impasse.  Les visiteurs poursuivaient leur déambulation entre les différents secteurs sans se soucier de ce couple d’amoureux qui semblait s’être isolé pour batifoler tranquillement. Toutefois, Irving n’avait pas l’esprit tranquille. Il ne se voyait pas lui expliquer son implication dans la Salamandre en plein milieu de cette exposition bondée. En effet, l’endroit était plutôt mal choisi pour avoir une conversation au sujet de tout cela et sa petite-amie semblait être arrivée à la même conclusion que lui.

« J’ui pas sûr qu’ce soit une bonne idée, finit-il par dire lorsqu’elle lui demanda s’il était judicieux d’en parler ici, mais… j’voudrais pas non plus t’priver d’l’expo, ajouta-t-il en embrassant le chapiteau du regard, ni qu’tu penses que j’ai manigancé une sombre combine pour t’ram’ner chez moi…souffla-t-il avec un sourire en reportant son attention sur Nora. Il tira sur l’une de ses bouclettes blondes pour la faire rebondir –c’est vrai que c’était plutôt drôle ce truc- et ajouta : même si j’avoue qu’ça m’a effleuré l’esprit. »

L’ancien gryffondor laissa échapper un léger rire. S’il se permettait de faire de l’humeur douteux, c’est bien que la situation n’était pas si catastrophique ! Certes il prenait des précautions mais il ne voulait pas que Nora pense qu’il était recherché par la PM pour avoir fait quelque chose de vraiment répréhensible.

« On peut monter à l’appart’ discuter de tout ça tranquillement et redescendre après pour finir la visite, j’uis sûr qu’on aura l’temps. » proposa-t-il en entremêlant ses doigts à ceux de sa petite amie.

Il se sentait déjà un peu plus serein rien qu’à l’idée d’aborder le sujet avec Nora. Il faisait confiance en son jugement et il avait à cœur de connaitre son avis sur sa prise de position un peu radicale. Après tout, elle serait surement la seule personne qu’il consulterait à ce sujet. Il était hors de question qu’il évoque son appartenance à un réseau de résistance avec sa mère –elle en ferait une attaque- ni avec ses sœurs qui désapprouveraient très certainement.

Il entraina donc la jeune fille en direction d’une issue, non s’en s’être assuré que les sorties n’étaient pas définitives -2 galions par personnes, c’est un budget quand même- puis les amoureux rejoignirent rapidement  les Pentes de la Cité où Irving avait élu domicile depuis cet été.

« Home sweet home… » Souffla-t-il en déverrouillant la porte de son appartement. Un rapide coup d’œil à l’intérieur lui confirma ses souvenirs : Hormis un tas de linge à repasser posé sur son lit, son studio était dans un état, dirons-nous, convenable. Il ramassa toutefois un tas de Rock’N Sorc qui trainait à même le sol à côté de son lit puis il tapota ses coussins afin d’équilibrer le rembourrage avant d’en proposer un à Nora pour qu’elle puisse s’asseoir dessus.

« Bien, commença-t-il en se laissant choir à côté d’elle, ça sert à rien qu’j’tourne autour du pot mais faut qu’j’t’explique tout d’puis l’début pour qu’tu puisses bien comprendre comment j’en suis arrivé là. »

Il avait conscience que cette phrase ne laissait rien présager de bon mais il se lança :

« Tout a commencé bien avant cette réunion politique à vrai dire mais j’pense que j’me voilais la face, que j’voulais pas voir c’qui s’tramait.  Bien sûr, j’faisais qu’râler contre le gouvernement -par rapport au plan Cosmos, entre autre- mais à c’moment là, j’étais encore persuadé qu’Marchebank essayait d’faire du mieux qu’il pouvait. J’étais pas d’accord avec sa manière d’résoudre les problèmes, ok, mais quelque part j’lui f’sais encore confiance. Même quand il s’est proclamé les pleins pouvoirs après les règlements de compte à Bristol. Événements exceptionnels, mesures exceptionnelles. D’accord, pourquoi pas…
Et puis y a eut l’tremplin, sur l’coup, j’ai cru qu’Magpie voulait juste fayotter auprès du Ministre en interdisant notre chanson,… ça m’a fait chié mais j’ai pas vraiment réfléchi à c’que ça sous-entendait… tu vois, la censure, la liberté d’expression, les trucs comme ça…Et là, Bim ! Trois jours plus tard, j’me prends l’bouclage de Bristol en pleine face.  On m’demande d’aller enfermer des gens, sous un dôme magique, d’fermer leur accès au réseau d’cheminettes, sans les prévenir. Au nom de quoi ? De la sécurité. »

Irving poussa un soupir.

«  Bien sûr il fallait faire quelque chose à Bristol, j’dis pas l’contraire, mais… pas ça, souffla-t-il en secouant vigoureusement la tête, Pas enfermer toute la population, la surveiller, la fliquer, observer à la loupe le moindre de ses faits et gestes. C’est là qu’j’ai commencé à m’dire qu’Marchebank f’sait n’importe quoi. Qu’il était mal conseillé, p’t’être même manipulé… J’m’inquiétais et j’étais pas l’seul. Des gens commençaient à parler d’atteintes aux libertés individuelles, que cette histoire de pleins pouvoirs avait assez durée,…enfin, tu vois, écourta-t-il, Du coup, des citoyens –comme toi et moi- ont décidé d’organiser cette Veille politique, pour parler de ces dérives. C’était juste une réunion d’information, avec des gens inquiets et soucieux d’bien faire, j’t’assure,  rien d’plus. Et d’un coup… Irving leva ses paumes vers le ciel en signe d’impuissance, … la Milice a débarqué pour  coffrer tout l’monde. Sans exception. »

Encore incrédule, il passa une main dans ses boucles brunes et poursuivit sans même chercher à cacher son amertume :

« Mais l’pire dans tout ça, c’est qu’le lendemain, la RITM, la Gazette et Multiplettes faisaient leurs gros titres avec cette arrestation massive lors d’une réunion de terroristes voulant renverser le gouvernement… Des terroristes: Mme Skinner, la vieille cordonnière de la Cité.Rufus, mon collègue de boulot. Shea Gruffydd, ta prof de vol. Klemens. Moi. Des terroristes.» insista-t-il.

Il planta son regard bleu dans celui de sa petite-amie avant de lui souffler :

« Je sais qu’ça peut paraitre complètement  invraisemblable mais,… dis-moi qu’t’en arrives aux mêmes conclusions qu’moi… »


Il l’interrogea du regard avant d’ajouter :

« Y a un truc qui tourne pas rond en c’moment et j’pense que c’est plus dangereux que ce qu’on croit…»

Il avait exposé la première partie de son récit mais il attendait de voir la réaction de Nora avant d’entrer dans le vif du sujet…

Poudlard protégeait ses résidents, bien évidemment, mais les grilles du château les isolaient aussi du monde extérieur. D’une certaine manière, les élèves étaient un peu déconnectés de ce qui se jouait actuellement dans le monde magique. Irving pouvait donc comprendre l’étonnement et la colère de sa petite amie même si le fait qu’elle n’ait rien remarqué avant ne l’étonnait pas.

« Tu sais, si j’avais pas été présent à la veille politique j’aurais p’t-être cru les journaux et leurs histoires de terroristes… J’veux dire, avec tout ce qui s’est passé à Bristol on peut imaginer qu’de tels regroupements existent,  sauf que là j’ étais à cette réunion donc je sais que c’que racontent les journaux est complètement faux! »

Se serait-il engagé dans la résistance s’il n’avait pas vu de ses propres yeux cette injustice ? Rien n’était moins sûr.

L’ancien Gryffondor secoua la tête tandis que Nora s’emportait de plus belle, s’indignant même que personne ne réagisse. Elle avait un petit côté gryffondor parfois qui laissait croire à Irving qu’elle comprendrait ses choix.

« Il faut..."commença-t-elle sur un ton résolu,… Faire quelque chose ? » Termina-t-il avant de l’interroger du regard. Il était quasiment sûr que c’est ce qu’elle avait voulu dire avant de laisser mourir sa phrase. Il l’observa quelques secondes et décida que le moment était venu de lui parler de la première réunion de la Salamandre.  Toutefois, il ne devait pas trop lui en dire, autant pour assurer la sécurité des membres que la sienne.

« Peu d’temps après la rafle j’ai été contacté par des gens, comme nous, qui pensent qu’il faut faire quelque chose. Il y a eut une première réunion, afin d’voir concrètement comment on pouvait agir et lutter contre  le régime sans risquer d’se faire embarquer par les Forces de l’ordre. Parce que franchement, il est clair qu’on peut plus compter sur la P.M, … quant aux Aurors… »
Il haussa les épaules d’un air dubitatif. Il savait très bien qu’Amely appartenait à ce corps de métier mais il n’avait pas à cacher ses réserves à Nora.

« Du coup, on a essayé d’se répartir les tâches entre missions de protection et d’communication … Chacun fait un p’tit truc à la hauteur de ses capacités, sans prendre trop d’risque et en s’préservant au maximum. C’était très bizarre en fait, on était dans une sorte de forêt close et on n’avait pas notre apparence normale afin d’rester anonyme. J’étais un grand noir à moitié chauve… »

Plus il avançait dans son récit plus il se rendait compte à quel point son explication devait sembler invraisemblable aux yeux de Nora, aussi attrapa-t-il sa main pour maintenir le lien entre eux :

« Je sais qu’si j’entendais cette histoire d’ la bouche de quelqu’un d’autre j’me dirais qu’le gars a abusé d’la mandragore mais faut qu’tu m’crois. Tout ce que j’te dis est vrai. J’peux pas t’révéler d’nom ou t’en dire beaucoup plus parce que je sais pas trop où ça va m’amener tout ça. J’sais pas encore si j’ai fait l’bon choix et surement qu’ j’le saurais jamais mais… J’pouvais pas fermer les yeux et rester sans rien faire.  Tu comprends ? » S’enquit-il, réellement soucieux d’entendre son point de vue sur la question.

Nora savait poser les choses. Elle était calme et réfléchie, tout le contraire de lui en somme, c’est pourquoi  son avis lui importait tant. Toutefois, il avait un dernier point à ajouter :


« Et crois pas qu’j’ai pas réfléchi aux conséquences. A toi. A nous. J’y pense tous les jours. C’est juste que j’ai l’impression qu’il n’y a pas d’bonnes solutions. » finit-il par dire en pressant doucement la main de Nora dans la sienne.

Irving était partagé. D’un coté il se sentait plutôt soulagé d’avoir révélé la vérité à Nora- quoiqu’il en soit, il n’aurait pas pu lui cacher son implication dans la Salamandre durant des mois- et d’un autre, il appréhendait sa réaction. Il suffisait de voir son regard perdu pour deviner qu’elle devait se poser des centaines de questions. Même s’ il se doutait qu’elle n’allait pas lui hurler dessus en affirmant qu’il était inconscient (comme l’aurait surement fait une bonne partie des membres de sa famille s’ils  avaient été au courant) il présentait qu’elle allait avoir quelques réserves. Après tout, lui aussi  il s’inquiétait chaque jour de savoir s’il avait pris la bonne décision, s’il ne se faisait pas manipuler par des personnes souhaitant renverser le pouvoir pour le récupérer et plonger le pays un peu plus dans la décadence. Il avait envisagé ce scénario dans son esprit, bien sûr, et il se sentait prêt à quitter la résistance s’il ne se retrouvait plus dans ses idéaux.
Mais pour le moment, il avait l’impression d’être en parfaite adéquation avec les revendications du groupe. Lors de la dernière réunion, ils avaient réussi à formuler tout haut ce qu’il ressentait et qu’il ne parvenait pas à dire. Ce sentiment de malaise, d’indignation, cette volonté d’agir sans trop savoir comment…

La résistance lui offrait l’opportunité de se rendre utile. A son niveau, en évitant de trop grandes prises de risque. C’est d’ailleurs ce qu’il s’empressa de confirmer à Nora qui semblait plutôt contrariée à cette idée.

« T’inquiètes, j’leur ai dit qu’j’étais nul en magie si c’est c’que tu veux savoir, lâcha-t-il avec un léger sourire pour détendre quelque peu l’atmosphère. Il avait bien conscience que le sujet était grave mais il n’aimait pas lire le trouble au fond du regard de Nora, j’me prends pas pour Harry Potter, rassures toi, expliqua-t-il, ils m’ont assigné à des tâches très simples, parfaitement dans mes cordes, j’parade pas au milieu de Bristol une baguette à la main ! Je fais des petites choses, ponctuellement, pour pas trop attirer l’attention sur moi. »

Nora lui demanda alors s’il pouvait faire confiance aux membres de la Salamandre qu’il ne  connaissait même pas.  Elle visait juste avec cette question aussi préféra-t-il répondre en toute sincérité :

« J’vais pas t’mentir, j’en ai aucune idée. J’me rassure en m’disant que s’il y avait eu un piège… et bien… j’serai pas là aujourd’hui pour t’en parler. »
Il haussa les épaules, un brin fataliste.

Si la première réunion avait été orchestrée de toute pièce par les autorités, elles auraient eu la possibilité de faire un sacré coup de filet à Brocéliande. Toutefois, rien ne s’était passé. A moins, bien sûr qu’elles n’attendent le bon moment pour agir… Irving chassa cette idée en passant une main dans ses cheveux. Il devait garder cette éventualité dans un coin de son esprit mais ne pas la ressasser sans cesse.

« J’me trompe peut-être mais j’pense sincèrement qu’ces gens veulent faire bouger les choses, reprit-il, résolu , En tout cas, pour le moment  ils cherchent surtout à mettre à l’abri les personnes menacées, celles qui se sont publiquement élevées contre les dérives de Marchebank et qui en payent le prix fort… »

D’ailleurs, ils avaient une connaissance commune qui correspondait parfaitement à ce profil. Un ami qui n’était pas du genre à se taire, ni à faire profil bas, même pour son propre bien.

« Qu’est-ce ce que ça donne à Poudlard avec Greengrass et les Jeunesses ? s’enquit alors Irving pour savoir à quel point le Ministère était infiltré dans l’école ou si Daisy Mason parvenait encore à faire régner  sa loi, Des élèves ont-ils été inquiété ou puni injustement ? Comment ça s’passe pour Donald ? Il a pas été collé récemment…enfin pas plus que d’habitude ? » Rectifia-t-il. On parlait de Donald McWilde tout de même. La salle de retenue était comme une seconde maison pour lui.