[JR] Our solemn hour [Jacob et Aaron]

Vendredi 28 novembre 2008 - Bureau de Jacob, niveau 4 du ministère

Il était très tard lorsqu'Aaron posa sa plume et s'étira enfin. L'open space des Catastrophes Magiques était quasiment désert en ce vendredi soir. Par les temps qui courraient, entre l'approche des fêtes et les drames qui secouaient le pays, les gens rentraient chez eux voir leurs proches. Aaron, lui, n'en avait plus vraiment. Et, de la lumière qui provenait du bureau du Directeur du département, il savait qu'il n'était pas le seul à se noyer dans le travail pour oublier sa solitude.

Lui allait mieux. Le temps des deuils commençait à être derrière lui, il retrouvait un peu de foi dans l'avenir et commençait à ouvrir les yeux sur ce qu'il se passait dans le pays. Pas beaucoup, mais c'était un début. Mais, lorsqu'il voyait Jacob Dalhiatus, il réalisait quels ravages pouvait faire un homme blessé lorsqu'il avait tant de pouvoir.

Le jeune homme se leva, dossier en main. Il frappa doucement à la porte de son directeur, avec l'impression de déranger. Il entrouvrit à peine la porte, et sa voix était inhabituellement basse lorsqu'il demanda:

"Monsieur? Vous m'aviez demandé de vous rendre le rapport sur les progrès de l'intégration des caméras en milieu magique avant lundi..."

Aaron entra sobrement, surpris d'être bien reçu. Certes, les rapports entre le directeur et l'employé s'étaient nettement améliorés suite à leur entretien de septembre (chose qui n'avait fait que renforcer Aaron dans sa conviction qu'être une tête de mûle (presque) bornée était une qualité inestimable quand il s'agissait de sa propre personne), mais la mort de Swann avait rendu Dalhiatus plus taciturne que jamais. Le jeune homme déposa le dossier sur la table, tira la chaise et commença à parler prudemment.

"Les premières recherches avec le groupe d'Eileen McNeil nous ont permi de dresser un état des lieux assez complet. Comme nous nous en doutions, il est impossible d'installer un réseau de surveillance moldu dans l'état actuel des choses. Le réseau..." web nécessaire à la transmission des images...

Non, il fallait reformuler, aucun sorcier n'y comprendrait rien. Aaron fronça les sourcils, puis reformula.

"Les moldus utilisent des caméras qui enregistrent ce qu'elles... voient en temps réel et le retrans... le montrent instantanément à un poste de surveillance, situé au ministère, par exemple, et qui regroupe toutes les images enregistrées par toutes les caméras. Mais les ondes magiques sont incompatibles avec les ondes utilisées par les moldus" résuma-t-il sommairement. "La transmission en temps réel est impossible, donc inutilisable pour empêcher les attaques. Mais la bonne nouvelle, c'est que les caméras, avec quelques enchantements, poruraient être utilisées comme une sorte de... de pensine. A défaut de pouvoir éviter un carnage, on pourrait retrouver plus facilement les coupables."

Cherchant un détail pour terminer son explication, Aaron ouvrit le dossier et feuilleta quelques pages à la recherche d'un paragraphe, oublieux de l'identité première de son interlocuteur.

"Pas dans un évènement aussi dense que le Bloody Sunday, mais pour quelque chose comme le 21 septembre, ce serait poss...ible."

Jacob Dalhiatus venait de lui faire un compliment! Aaron dissimula son expression de surprise et d'orgueil, mais n'en pensa pas moins. Ah, c'était bien pratique de venir du grenier du ministère!

"Il faudrait les acheter chez les moldus, monsieur, puis les enchanter pour les faire fonctionner a minima dans les lieux visés. Je ne pense pas que nous puissions envisager un délai inférieur à 15 jours, mais je ne suis pas l'expert."

Lui s'était arrêté aux Ipod, et c'était suffisamment compliqué comme ça. Réaliser son exploit lui avait pris plusieurs années. Les notes compilées durant sa scolarité n'étaient pas toujours claires. Lui-même les recopiait au propre en essayant de renouveler l'expérience sur un autre appareil, sans succès. Le groupe de travail d'Eileen, qui disposait de copies, progressait à peine mieux.

"Je ne vois pas de raison de ne pas lui faire confiance" répondit-il spontanément, dérouté par la question de Jacob. "Mrs McNeil a toujours été partisane des politiques d'ouverture comme celle du FREE, d'autant plus qu'elle a perdu son beau-père lors du Bloody Sunday. Et son mari est Auror. Dans ces circonstances, je ne vois pas pourquoi elle n'approuverait pas ce projet."

A vrai dire, Aaron en voyait une bonne douzaine, de raisons. A commencer par la qualification de "terroristes" pour le FMI qui semblait bien plus modéré que Jacob sur de nombreux plans. Le FM, vieux jeu, proposait l'immobilisme, et l'immobilisme ne déclenchait pas les guerres civiles contrairement à la privation de libertés et autres joyeusetés. Dire qu'un an auparavant, Aaron aurait sans doute été le premier à crier au scandale...

Dalhiatus avait décroché, Aaron s'en rendit compte lorsqu'il termina de parler. Cependant, il fut pris de court lorsque le directeur évoqua Swann avait un désarroi visible. Jacob était un homme froid et réservé, qui ne montrait pour seul sentiment qu'un mépris froid pour ses subordonnés. Le voir si perdu déstabilisa le jeune homme. Lui qui d'ordinaire n'était pas très compatissant ne savait absolument pas quoi dire pour réconforter - si c'était seulement ce qu'il fallait faire! - son supérieur.

"Oui" répondit-il avec réserve quand Dalhiatus lui demanda s'il avait aimé Swann.

C'était la vérité. Aaron ne souhaitait pas se dévoiler, mais une réponse contraire n'aurait pas été appropriée. La sortie de Jacob ne lui plaisait guère, tant elle lui rappelait la fin désastreuse de leur relation. Il avait fini par surmonter ses sentiments pour Swann. La mort de Kelsey avait tout balayé, et vider son sac l'avait libéré du poids qu'il traînait. Elle avait été si froide que l'évidence l'avait frappé: même s'ils s'étaient réconciliés, ils étaient bien trop butés pour rester ensemble. Néanmoins, sa mort avait été douloureuse, tant il la rattachait désormais à cette période de sa vie où il s'était enfin senti en phase avec lui-même et avec son monde d'adoption. Période morte, elle aussi...

"Vous savez... la douleur reste. Mais avec le temps... on s'y fait, et les souvenirs sont... réconfortants, parfois. Quand ça va mieux."

Spontanément, Jacob passa au tutoiement. Aaron le nota, mais ne releva pas. Son supérieur hiérarchique était visiblement en proie à une crise de désespoir. Il ne se sentait pas l'âme d'un psychologue, mais abandonner le directeur des Catastrophes à sa douleur le gênait. Lui-même avait bien eu besoin d'une main secourable les mois précédents. Dalhiatus, avait son air austère, ne devait pas avoir beaucoup d'amis. Aussi, le jeune Finnigan resta, non pas par compassion, mais par empathie, parce qu'il se reconnaissait dans le deuil de son aîné. Parler à quelqu'un qui traversait la même chose, peut-être cela le soulagerait-il lui aussi.

"Oui, je comprends." Mais après, que dire? Aaron hésita, avant de continuer. Son envie de parlait se heurtait à la peur de faire ressurgir le fantôme de Kelsey, et se ternir son souvenir en le partageant avec quelqu'un d'autre. "Je... j'ai moi-même perdu ma petite-amie l'année dernière. Assassinée, comme Swann."

Il conclu sa phrase avec un soupir douloureux. Cela lui avait semblé la chose à dire. Pour avoir traversé la même chose au cours de l'été, Aaron savait que ni la compassion, ni la rudesse n'aideraient Dalhiatus. Mais savoir que la personne en face le comprenait vraiment... peut-être...

Au moins son aveu permettait-il à Dalhiatus de se détourner de sa douleur et de retrouver l'usage de ses moyens. Aaron n'était pas sûr de vouloir parler des détails de la mort de Kelsey avec lui. Surtout qu'il avait été voir Swann - les derniers mots qu'ils avaient échangés, c'en était presque comique - en apprenant la nouvelle. D'un autre côté, personne n'avait jamais enquêté, cherché à lui rendre justice. Un homme si puissant, mû par un deuil similaire, pourrait-il trouver la motivation de le faire?

"Elle s'appelait Kelsey Lorgan" avoua-t-il donc.

Peut-être le nom dirait-il quelque chose à Dalhiatus. Après tout, Kelsey était la meurtrière du Vengeur Masqué, et lui-même s'était trouvé sur la scène de crime ce jour-là. S'il avait été superstitieux, il aurait dit que cela marquait le début de sa descente aux enfers... mais ni lui, ni Kelsey n'avaient fait quelque chose de mal ce jour-là.

"Et on n'a jamais rien su. Ils ont mis des jours à savoir qu'elle était morte parce qu'elle a été tuée côté moldu... avec une arme moldue. Les Aurors n'ont pas cherché plus loin. Même si c'était une sorcière."

Seamus un peu, si, pour le soutenir. Mais il ne pouvait pas faire grand chose sans temps ni moyens. Aaron aurait aimé que quelqu'un se préoccupe de Kelsey. La magie ne pouvait-elle donc pas faciliter le travail des enquêteurs moldus?

Les paroles de Jacob firent réaliser à Aaron qu'il n'avait jamais pensé à solliciter l'aide des Oubliators lors de la mort de Kelsey. C'était logique, tant il était habitué à ce que les Aurors et la Brigade Magique soient en charge des enquêtes, mais cela restait étrange pour lui: après tout, il avait si souvent revendiqué ses origines mordues et la jonction des deux mondes qu'il aurait dû insister immédiatement auprès des catastrophes, leur département de liaison avec les moldus...

Il s'était toujours convaincu qu'il voulait connaître le meurtrier, qu'il soit fait justice à sa petite amie. Mais un tel acte manqué ne prouvait-il pas qu'il n'en avait, finalement, pas tant envie que Ca? Son besoin de vengeance semblait dérisoire face au risque que la vérité soit triste et sordide. Il ne voulait pas écorner le souvenir de Kelsey en découvrant qu'elle avait été tuée pour une sombre histoire d'extasy ou de

"Je ne sais pas" répondit-il, ébranlé par ses propres manquements, et tout ce que cela entraînait. C'était vrai, après tout, pourquoi l'histoire n'était-elle pas remontée auprès de Jacob? En un instant, l'espoir que Kelsey soit morte pour une veritable raison avait fait son chemin dans son esprit. Une explication à tout cela, quelque chose de moins misérable qu'être just morte pour s'être trouvée la par hasard...

"Savez vous qui a tué Swann?"

La question n'était pas innocente. Swann etait morte sans raison, cela ne faisait pas de doute, mais au moins connaissait on les circonstances. A l'aune des réflexions de Jacob, Aaron voulait savoir si cela changeait quelque chose.

De l'avis de tout le monde, Aaron était une tête de mûle. Et, face au choix que lui présentait Jacob, cela devenait soudain une qualité. Non, mieux, une chance de survie. La mort de Kelsey avait été le premier tsunami de sa vie, et c'avait été une chance. A l'époque, il était encore suffisamment fort pour encaisser la nouvelle sans sauter d'une falaise. Le Bloody Sunday n'était pas encore arrivé, ruinant sa vie professionnelle, et Swann n'était pas morte non plus. Si les morts des deux jeunes femmes avaient été inversées, il n'aurait peut-être pas survécu... Le destin, pour cruel qu'il soit, faisait parfois bien les choses, songea-t-il amèrement.

"Je survivrai" souffla-t-il doucement avec conviction.

Il n'en avait pas vraiment envie, mais il ne voyait pas d'autre solution. La mort l'effrayait, et il ne voulait pas faire partie de ces âmes brisées qui erraient sans but. Il se réfugiait dans son travail, cherchant à affronter les deuils, remerciant le ciel de n'avoir plus eu de contacts avec Swann depuis longtemps. Sa mort lui paraissait ainsi plus lointaine, moins réelle. Moins douloureuse que celle de Kelsey. Il avait vécu tellement de drames en six mois... rien ne pouvait arriver de pire, n'est-ce pas?

"Si vous avez des nouvelles, au sujet de Kelsey, monsieur... pourrai-je le savoir?" Il voulait tout de même tenter sa chance. "Et peut-être que ces caméras éviteront de nouveaux drames..." Mais, la conversation devenant trop douloureuse, Aaron se retrancha derrière la raison initiale de sa venue. C'était un sursaut de bon sens. Il ne supporterait pas d'en parler plus longtemps: Jacob semblait un peu rasséréné, mais si la conversation continuait, c'était lui qui craquerait.