Les blairelles [Daisy & Thelma]

D'un petit tournoiement sur elle-même, Thelma dansa au rythme de la musique qui emplissait doucement sa pièce à vivre, avant de jeter un dernier coup d'oeil à l'endroit. Sur la table basse recouverte d'une nappe printanière reposaient sa théière fumante et ses tasses, ainsi qu'une assiette de petits gâteaux au citron, et une pile de magasine qu'elle s'empressa d'aller ranger plus loin. Son invitée n'avait pas besoin de voir les exemplaires de Multiplettes et de Sexy Wizard qui traînaient au milieu de ses autres magasines. Sorcière Hebdo, le Chicaneur, et - incontournable dans son domaine - The Dark Mag s'ajoutaient à la pile. Thelma avait des goûts éclectiques et ses appartements le reflétaient souvent. Heureusement, elle avait eu le temps de ranger son bazar avant l'arrivée de la directrice de l'école, et la pièce était rangée, propre et agréablement disposé. Dans ce château poussiéreux et empli d'élèves, Thelma appréciait d'avoir un endroit à elle où elle pouvait réellement être elle-même - Merlin, ce qu'il était dur de ne pas transformer ses élèves en limaces parfois ! - décorer selon ses goûts.

Un petit coup d'oeil à la montre dorée qui ornait son poignet lui apprit qu'elle avait encore quelques minutes avant l'heure convenue et elle se dirigea vers sa salle de bain. Son regard se perdit dans son propre reflet. Elle avait bon teint, ces temps-ci, c'était comme si son épanouissement personnel se reflétait sur son visage qui apparaissait détendu et lumineux. Son choix d'accepter l'offre de Daisy la satisfaisait amplement et, même s'il lui arrivait de se plaindre, elle retrouvait l'enseignement avec une joie non équivoque. C'était sa vocation, assurément, et le contexte agité dans lequel cette année s'inscrivait contribuait à rendre son métier passionnant. Elle pouvait voir au fil de ses cours à quel point l'époque était cruciale, à quel point les jeunes de 2008 se sentaient investis par l'avenir du pays et à quel point ils étaient différents, divisés, illustrant la tendance générale de la société dans son ensemble. L'équipe enseignante ne faisait pas exception, songea-t-elle avec une pensée pour Adonis. Par association d'idée, son esprit s'égara du côté de Roy et elle réalisa qu'un sourire un peu coupable était apparu sur ses lèvres. Ce fut à cet instant que Daisy frappa à sa porte et elle secoua la tête pour en faire sortir ses pensées saugrenues.

L'enseignante ouvrit la porte d'entrée et adressa un large sourire à sa collègue et amie.

"Coucou Daisy, comment vas-tu ? Entre !"

Thelma s'effaça pour laisser entrer la directrice. Elle l'avait invité à passer boire le thé et discuter de tout et de rien, car elles vivaient désormais au même endroit mais, étant toutes deux occupées, avaient eu peu de temps à se consacrer. De plus, elle s'était dit qu'en tant que nouvelle directrice, Daisy devait passer suffisamment de temps à recevoir des gens dans son bureau et qu'il lui serait agréable d'être reçue quelque part, pour changer un peu.

"Installe-toi donc", proposa Thelma en désignant le canapé, où elle s'enfonça elle-même avec délectation. "Est-ce que tu veux une tasse de thé ?"

- Je suis Directrice de Poudlard, Wendell ! s'écria Daisy en reposant brusquement son livre sur la table. Je ne peux pas tout quitter comme ça sous prétexte que...
- Sous prétexte que quoi ? Sous prétexte que tu as aussi une vie à coté ? Que tu es censée avoir une vie à coté ? Daisy, je...
- Ça fait cent fois qu'on la même conversation ! On en revient tout le temps aux mêmes choses !
- Et bien c'est peut-être le signe que tu ne fais aucun effort !
- Je ne fais aucun effort ? Je ne fais aucun effort ? Mais on est deux dans cette histoire, on est deux dans ce mariage et je ne vois pas pourquoi ce serait à moi de...
- De trouver une solution à ce qui empoisonne notre couple depuis des années et des années ?
- Empoisonne ? Tu parles de mon métier, de ce que j'aime faire ! Tu sais très bien que c'est ma passion et tu sais très bien que...
- On doit vous entendre dans tout Poudlard.

Le couple Mason s'interrompit brusquement pour se tourner d'un même geste vers leur fille Beth qui se tenait dans l'encadrement de la porte d'entrée des appartements de Daisy, arborant un air nonchalant qui ne trompait personne. Les choses étaient tendues depuis des années entre Wendell et Daisy et si son poste au Ministère avait apaisé les choses puisqu'elle avait retrouvé un rythme de vie plutôt normal en tant qu'employée du Ministère, le fait qu'elle soit devenue directrice de Poudlard cette année avait ranimé leurs vieux démons. Il trouvait qu'elle n'était jamais là, elle déplorait son manque de soutien, il affirmait qu'elle se fichait d'eux, elle l'accusait d'égoïsme, il rétorquait la même chose... Les disputes étaient constituées des mêmes litanies et étaient quasiment rentrées dans leur quotidien mais c'était toujours aussi douloureux, pour eux, ou pour les filles. Avec leur mère à Poudlard, et leur père qui passait régulièrement, elles n'étaient jamais vraiment coupées de l'ambiance familiale, plutôt déplorable ces derniers temps.

- Je suis juste venue t'emprunter un bouquin, maman, lança Beth en se dirigeant vers la bibliothèque.

Wendell adressa un sourire vaillant à sa fille mais il ne dupait personne et un silence inconfortable tomba sur la pièce. Passant une main dans ses cheveux, Daisy tourna machinalement son regard vers la pendule et constata avec un certain soulagement teinté de culpabilité l'heure qu'il était.

- J'ai rendez-vous avec Thelma, lança-t-elle. On en reparlera plus tard, Wendell.
- Tu dis toujours ça, répliqua-t-il âprement.

Touchée, Daisy se détourna et se dirigea vers sa fille pour lui glisser une main dans le dos, et aussi pour s'éloigner de son mari.

- Prends tous les livres que tu veux ma chérie.

Sans un regard supplémentaire pour Wendell, Daisy se dirigea vers la porte et la referma derrière elle, laissant le père et la fille seuls. Elle s'appuya contre le mur le temps de se refaire une mine correcte et glissa une main sur son visage avant de se forcer à sourire. Les choses allaient s'arranger, se répéta-t-elle. Wendell était tendu avec son travail et... Les choses allaient s'arranger. Ils étaient mariés depuis vingt ans, il y avait forcément des tensions. C'était toujours compliqué, les histoires de couple... Inspirant un grand coup, Daisy se mit en chemin vers les appartements de Thelma. Voilà qui allait lui changer les idées, loin des problèmes avec Wendell, loin de l'administration de Poudlard : un bon thé entre amies ! Elle frappa quelques coups à la porte et le sourire qu'elle adressa à sa collègue était sincère, elle avait toujours apprécié cette dernière et savait qu'elles passeraient un bon moment qui lui remonterait le moral.

- Coucou ! C'est tout mignon chez toi, dis donc, commenta-t-elle avec un regard appréciateur en promenant ses yeux sur la pièce que Thelma avait aménagé à son goût.

Qu'on se le dise, elle était amoureuse de cette nappe. S'installant dans le canapé, Daisy accepta le thé avec plaisir tout en lorgnant à peu près discrètement sur les gâteaux qui étaient sur la table. La gourmandise, petit pêché auquel elle cédait un peu trop facilement.

- Je vais bien, lança-t-elle sans vraiment mentir, puisqu'elle se concentrait sur les cotés les plus positifs de sa vie au maximum. Un peu fatiguée. La direction prend beaucoup de temps et d'énergie mais... C'est un plaisir aussi. Et toi, comment vas-tu ? Tu as l'air rayonnante !

C'était vrai, Thelma semblait parfaitement s'épanouir au sein de Poudlard et ce dans tous les sens du terme !

"Merci beaucoup !", répondit Thelma d'une voix gaie, "J'adore la décoration, j'aurais pu faire décoratrice d'intérieur si je n'aimais pas tant la magie noire !"

Le regard perspicace de Thelma se posa sur Daisy lorsqu'elle affirma être fatiguée. Fatigué, voilà qui était sans doute le meilleur moyen de répondre à un "comment ça va" sans mentir mais sans vraiment dire la vérité non plus. Un "fatigué" n'incitait pas forcément à la confidence mais laissait comprendre à son interlocuteur que les choses n'étaient pas non plus idylliques... Et Thelma voulait bien le croire, vu le contexte. Elle-même, en revanche, était apparemment rayonnante. Flattée par le compliment, la sorcière adressa un sourire de remerciement à Daisy avant de prendre l'assiette de gâteaux pour en proposer un à son amie.

"N'hésite pas à te servir, ils viennent d'une petite patisserie du Vieux Dublin que je connais depuis toujours, ils sont vraiment délicieux. J'en ramène à chaque voyage !"

Thelma prit le temps de tremper l'un des biscuits dans son thé et d'en savourer une bouchée avant de répondre.

"Je vais très bien, merci. Je me plais beaucoup ici, je ne regrette vraiment pas d'avoir accepté ta proposition de poste", affirma-t-elle en glissant sur sa patronne un regard reconnaissant. "J'imagine que les choses ne sont pas forcément simples pour toi, oui. Diriger une école telle que Poudlard... C'est un sacré défi, mais en ce qui me concerne, je trouve que tu t'en sors très bien."

Aucun élève n'avait encore été assassiné depuis le début de l'année, c'était positif. Même si l'histoire de Poudlard indiquait un pic critique de mortalité aux alentours de la fin du printemps et du début de l'été, donc tout n'était pas perdu.

"Ce n'est pas évident, surtout avec le contexte du moment."

Et les tensions dans l'équipe enseignante et dans l'école provoquées par Adonis, mais Thelma préférait laisser Daisy aborder elle-même ce sujet glissant si elle le souhaitait.

"Est-ce que tu arrives à voir un peu tes filles quand même ?", la questionna-t-elle, avant d'ajouter : "Tu sais que si tu as besoin d'aide, je suis là, n'hésite pas à demander."

En tant que femme célibataire, Thelma avait du temps libre, même si elle s'occupait de l'une des matières les plus exigeantes et suivies du cursus, ce qui l'amenait souvent à tuer ses soirées hors du chateau. Aussi, donner un coup de main à Daisy ne la dérangerait pas, ne serait-ce qu'en lui fournissant un peu de soutien moral.

- Je suis certaine que Tu-Sais-Qui avait un goût esthétique très sûr, badina Daisy avec un sourire quand les deux femmes évoquèrent la passion de Thelma pour la décoration d'intérieure.

Elle-même avait décoré sa maison d'Oxford avait beaucoup de soins - quand ses appartements personnels à Poudlard restaient plutôt neutres - mais elle était surtout portée sur les objets moldus. Elle pouvait passer des heures dans les vides-greniers à s'extasier sur le moindre objet (du tourne-disque à la vieille horloge en passant par une game-boy) et avait disséminé ces derniers un peu partout dans la maison, que ce soit dans le salon, le corridor ou bien l'abri au fond du jardin qui était plein à ras-bord, des Nimbus 2005 côtoyant des climatiseurs électriques. Il était d'ailleurs bien dommage que Poudlard ne permette pas de faire fonctionner l'électricité, cela aurait été assurément été un facteur très intéressant pour ses cours ! Les élèves aimaient souvent cette invention moldue et elle était persuadée qu'une démonstration de la télévision pouvait convaincre les étudiants les plus réfractaires (pourquoi le nom d'Ahren Keller lui venait-il en tête à cet instant précis ?) surtout si le programme diffusé était intéressant.

- C'est plutôt toi qui me rend un grand service ! répliqua Daisy aux remerciements de Thelma quant à son poste. C'est fou comme il devient difficile de trouver des enseignants, de nos jours, rien de bien étonnant à ce qu'Ana Sorden ait pu être engagée ! C'est comme si Poudlard faisait fuir - alors que comparé au reste de la population, nous avons peu de morts ! - ajouta-t-elle d'un ton grinçant en repensant à l'année dernière. J'ai tellement de projets pour l'école mais... C'est une vieille machine, tu vois ? C'est dur de faire tout bouger : il faut l'aval du conseil d'administration, les fonds du Ministère... Puis une équipe pédagogique soudée.

Elle mordit dans un petit gâteau en retenant un soupir. Ce n'était pas très aisé de parler des tensions au sein de l'équipe de direction, surtout qu'elle essayait de les limiter et casser du sucre sur le dos de son sous-directeur n'aiderait sûrement pas à la cohésion de l'école. Il n'était pas ouvertement problématique pourtant, il n'avait rien fait de mal - pour le moment - mais c'était cette ambiance diffuse et tenace que quelque chose couvait dans l'ombre. Puis de nombreux enseignants étaient partis et il faudrait du temps pour que la nouvelle équipe trouve sa dynamique et son rythme de croisière. Daisy avait perdu des collègues chers à son cœur - Edmund, Chloé, Margot - et même si elle était heureuse de la présence de Thelma, de Peter et de Neville, par exemple, qu'elle était ravie d'Abigail, leur jeune et dynamique bibliothécaire, c'était différent d'avant et elle avait un petit pincement au cœur. Puis même si Thelma était son amie, Daisy avait entendu dire - Radio Poudlard fonctionnait à tous les niveaux hiérarchiques de l'école - qu'elle s'entendait assez bien avec Adonis et elle n'avait pas envie de la mettre dans une position délicate.

- Je crois que moins mes filles me voient, mieux elles se portent ! répondit-elle en riant. Elles m'ont eu sept ans sur le dos et je crois qu'elles ont très très envie de quitter l'école pour enfin s'éloigner un peu de leurs parents. Je peux comprendre - j'ai débarqué toute seule dans le monde moldu à dix-huit ans - mais ça va faire un vide soudain... Et puis...

Elle se mordilla un peu la lèvre et haussa les épaules.

- J'ai l'impression que lorsque les enfants ne seront plus là, Wendell et moi, on n'aura plus rien à se dire. Du tout.

C'était bien simple : soit ils parlaient de l'avenir de leurs filles, et étaient d'accord, soit ils se disputaient. Rien de bien réjouissant donc à l'idée que Wendy, Beth et Jane s'éloignent pour voler de leurs propres ailes l'année prochaine.

- Mais bon, c'est sûrement la peur du changement qui me fait dire ça, ajouta Daisy avec un rire plus emprunté que d'habitude.

Thelma hocha la tête avec compréhension quand Daisy évoqua les difficultés qu'elle rencontrait lorsqu'il s'agissait de faire évoluer les choses à Poudlard. Le dernier point en particulier lui soutira un petit soupir désolé. Consciente des tensions qui existaient au sein de l'équipe pédagogique, du fait notamment de la présence d'Adonis, Thelma faisait de son mieux pour parler à tout le monde et maintenir une bonne ambiance, avec sa bonne humeur habituelle. Néanmoins les divergences politiques qui divisaient le pays se répercutaient au sein de l'école, et paraissaient trop profondes pour qu'un peu de bonne volonté ne suffise à rassembler.

Le sous-directeur ne semblait pas être un sujet à aborder entre les deux femmes, car cela risquait de mettre Thelma dans une position inconfortable - elle appréciait réellement le jeune homme, et certaines de ses initiatives, même si elle lui reconnaissait bien volontiers un manque de tact et d'expérience. Aussi la conversation évolua-t-elle naturellement vers la famille de Daisy, l'autre point qui semblait lui causer des soucis...

Thelma joignit son rire à celui de Daisy quand elle affirma que ses filles se passeraient volontiers de sa présence dans leur école. Cela pouvait se comprendre, surtout à cette période compliquée qu'était l'adolescence, au cours de laquelle l'envie d'émancipation se faisait ressentir. Et une fois prise, cette indépendance ne disparaissait jamais vraiment. Thelma avait vu mille exemples de cela autour d'elle, et elle-même maintenait une distance de sécurité avec sa mère sous peine d'avoir envie de la secouer comme un prunier. Oui, Daisy avait des moments difficiles devant elle car il lui faudrait s'habituer à vivre sans ses filles, après toutes ces années. Et, contrairement aux autres mamans sorcières, elle n'avait pas eu le passage de l'entrée à Poudlard pour s'habituer doucement à moins voir ses enfants... Elle s'apprêtait à lui répondre par une remarque compatissante quand Daisy laissa échapper une confidence qui la tint au silence. Des problèmes maritaux en vue, ou bien simplement la peur du vide, normale, qu'engendrerait le départ de ses filles ? Quelque chose dans le rire gêné de Daisy la faisait plutôt pencher pour la première solution, mais il était difficile de se prononcer. Sans doute son amie elle-même ne savait pas quoi penser...

"La peur du changement doit jouer, c'est certain", approuva Thelma en émiettant un petit gateau pour s'occuper les mains. "J'imagine que tous les parents qui voient partir leurs enfants doivent réapprendre à vivre en tant que couple avant tout, et non plus à se voir principalement comme des parents. C'est une nouvelle dynamique à trouver, à retrouver même..."

Sans doute Daisy et Wendall y arriveraient éventuellement, comme tant d'autres couples avant eux. A moins que les problèmes soient plus profonds que cela, comme le laissait sous-entendre la confidence de la directrice.

"Les choses sont-elles difficiles entre vous en ce moment ?", demanda-t-elle doucement, avant de prendre une gorgée de thé.

Daisy saisit un nouveau petit gâteau pour aller avec son thé - Thelma avait raison, ils étaient délicieux - tandis qu'elle hochait la tête aux paroles de son amie. Elle avait raison, ils n'étaient pas le seul couple à passer par là. Ses propres parents, par exemple, avaient dû faire face à la même chose lorsque toute leur marmaille était partie dans le monde adulte. C'était le syndrome du nid vide et cela se surmontait sûrement, il fallait trouver une nouvelle dynamique comme le disait Thelma, de nouveaux centre d'intérêts en dehors de leurs filles. C'était leur passion pour les moldus qui avait rapproché Wendell et Daisy, il y a vingt ans. Il travaillait pour le Comité d'Excuses à l'Usage des Moldus lorsqu'ils s'étaient rencontrés, elle était une toute jeune employée du service, sortie de Poudlard depuis quelques années et ayant passé du temps en immersion totale chez les moldus. Il était plus âgé qu'elle et c'était peut-être pour cela qu'ils s'étaient mariés vite mais à l'époque, c'était plutôt commum. Ils avaient eu les filles puis il y avait eu la guerre... La paix avait fait du bien à leur famille et ils avaient vraiment commencé à vivre à ce moment-là, quand elle venait à peine de rentrer à Poudlard pour remplacer Charity Burbage. Tout cela lui paraissait bien loin maintenant. Lorsque Thelma lui demanda si les choses étaient difficiles entre eux en ce moment, Daisy haussa les épaules, baissant les yeux sur son thé.

- Pas plus que d'habitude depuis quelques années... révéla-t-elle. Elle prit une bouchée de gâteau avant de continuer. C'est allé mieux l'année dernière, lorsque j'étais au DOM parce que je rentrais tous les soirs à la maison mais lorsque je suis revenue à Poudlard, cela a recommencé, c'est les mêmes reproches depuis des années. Je ne suis jamais là, c'est toujours l'école avant tout, il y a toujours quelque chose à faire à Poudlard...

La voix emplie de rancœur de Wendell lui revenait au fur et à mesure qu'elle prononçait ces mots.

- Il se sent seul, à la maison, les filles et moi sommes ici et mon poste de Directrice n'arrange rien, je suis beaucoup ici. Je dois bien avouer aussi que l'ambiance entre nous ne me donne pas envie de rentrer non plus et je suis parfois bien contente d'avoir une excuse pour rester à mon bureau. Quand je rentre, on finit toujours par se disputer et dîner en silence. Dîner seule, je peux le faire ici donc...

Elle soupira, prenant sa tasse entres ses mains froides pour les réchauffer.

- Je comprends bien qu'il se sente seul quand il rentre mais c'est mon boulot ici, l'école ne pas va pas arrêter de tourner parce que les employés du Ministère finissent à dix-sept heures et qu'il veut une femme à la maison pour l'accueillir...

Elle caricaturait, son mari ne lui avait jamais demandé cela : ce qu'il lui reprochait, c'est de n'être jamais là, que ce soit quand il parte le matin, le soir ou même la nuit comme s'il vivait seul.

- Cela fait des années que je travaille à Poudlard et il a toujours su à quel point j'étais passionnée par cela... On dirait qu'il se réveille tout juste maintenant.

Encore une fois, le regard qu'elle posait sur la situation n'était pas complètement objectif : au début, elle n'était que Professeur et n'avait donc pas toutes les responsabilités de directrice de maison, elle avait moins de présence à l'école. Puis elle avait pris la tête de Poufsouffle, la charge de sous-directrice quelques années plus tard et maintenant celle de directrices : ses horaires étaient loin d'être les mêmes qu'au début. Ajoutez à cela la lassitude des années d'absence, le départ à venir des filles qui viderait encore plus à la maison et on obtenait la situation dans laquelle ils étaient actuellement.

Thelma écouta silencieusement les confidences de Daisy, une lueur de compassion au fond du regard. Elles n'avaient pas choisi la profession la plus simple pour entretenir une vie de couple, et encore moins une vie de famille, c'était certain. Thelma savait que les choses étaient parfois différentes chez les moldus, où les enseignants ne passaient pas tant de temps sur leur lieu de travail, mais les écoles magiques européennes fonctionnaient pour la plupart avec un internat - c'était en tout cas le cas de Durmstrang également - et le personnel enseignant était seul en charge de la gestion des élèves. Ils étaient leurs professeurs, mais aussi leurs surveillants et parfois même leurs parents de substitution, surtout lorsqu'on endossait le poste de directeur de maison. Thelma, plutôt maternelle et rassurante pour les jeunes, avait déjà eu à consoler plusieurs premières années de sa maison confrontés pour la première fois avec une longue séparation avec leur famille, plongés pour les né-moldus dans un monde qu'ils ne connaissaient pas, ou encore collés en retenue par un abominable professeur. Entre leurs cours, leurs nuits de garde et le travail de correction ou, pour Daisy, administratif qu'ils avaient à faire, il y avait peu de temps à consacrer à son entourage...

"Peut-être qu'il a toujours pensé qu'il pouvait composer avec cela, que vous arriviez à trouver un équilibre auparavant qui est plus difficile à trouver maintenant que tu es devenue directrice", répondit-elle de sa voix douce.

"Ce n'est pas la même charge, mine de rien. J'arrive à m'éclipser plusieurs soirs par semaine, mais on attend une présence plus grande de la part du directeur de l'école, c'est normal. C'est toi qui a la charge de tout ces bouts de chou, et ce n'est pas rien par les temps qui courent..."

Daisy avait eu du courage d'accepter le poste quand on savait tous les évènements tragiques qui avaient marqué les années récentes. D'après ce que Thelma avait compris, Margot Adamson avait fui le poste autant qu'elle n'en avait été poussé, et il n'était pas évident de prendre sa suite après une année si catastrophique. D'autant plus que les gens continuaient d'assimiler la direction de l'école avec des personnalités charismatiques telles que Dumbledore et McGonagall qui, loin d'être de simples professeurs ordinaires, étaient aussi des héros de guerre. Lourde tâche que celle de Daisy, donc, et il n'était pas étonnant qu'elle doive y consacrer le plus clair de son temps.

"Personne ne peut être étonné du fait que le poste de directeur de Poudlard est prenant. Le problème, vu ce que tu me dis, c'est que ton mari a l'air de penser que tu en rajoutes... Si c'est un ressenti qu'il a depuis plusieurs années, cette situation nouvelle n'a pu que l'accentuer."

Adressant un sourire compatissant à son amie qui semblait réellement touchée par la situation, elle ajouta :

"Malgré tout, vous avez fondé une famille ensemble, vous êtes mariés depuis de nombreuses années, les choses doivent pouvoir être réparables. S'il arrive à accepter le fait que tu ne seras jamais l'épouse très disponible qu'il imagine, mais après tout, il a de quoi être fier aussi... Directrice de Poudlard à ton âge, c'est exceptionnel ! Et de ton côté, j'imagine qu'il faudrait que tu arrives à le rassurer, à ménager des moments dédiés uniquement à ta famille... Mais c'est sûr que c'est une situation compliquée pour tous les deux, votre couple n'est plus le même que lorsque vous vous êtes mariés, c'est sûr, il est confronté à des évolutions et obligé de s'adapter. "