Do I wanna know ? [Marlene et James]

Deux semaines. Deux semaines entières. Cela faisait exactement quatorze jours et environ seize heures qu’il n’avait pas parlé à Marlene, ou du moins, que la jeune femme ne lui avait pas adressé un seul mot. Pas un seul mot – pas même un bonjour. Lorsqu’ils se croisaient, elle se contentait de baisser la tête et d’accélérer le pas. Au bout de quelques jours, cela avait été plus clair pour James : elle le fuyait comme la peste. Et la raison, malheureusement, était plus qu’évidente : elle le fuyait depuis cette nuit, dans la salle de classe. Elle le fuyait depuis qu’ils avaient couché ensemble, tout simplement. Et cela rendait James fou – il ne supportait plus cette distante qu’elle instaurait entre eux. Pourtant, il l’avait laissé faire dans un premier temps, pensant que ce n’était qu’une façon pour elle de réfléchir à ce qu’il s’était passé. Mais deux semaines s’étaient écoulées et James estimait qu’elle avait eu largement le temps de réfléchir : il n’en pouvait plus, d’être tenu éloigné.

Have you got colour in your cheeks?
Do you ever get the fear that you can't shift ?
The type that sticks around like something's in your teeth
Are there some aces up your sleeve?

Il avait passé des heures et des heures à se torturer les méninges, à imaginer des raisons les plus probables aux plus farfelues. Il avait cherché pendant des nuits entière ce qu’il avait bien faire – ou dire – de mal. Il s’était énervé contre elle – était-ce encore l’un de ses jeux ? Ne se rendait-elle pas compte qu’il avait pris ça au sérieux, lui ? Il s’était inquiétée pour elle – comment allait-elle ? Pourquoi ce silence, quelque chose était arrivé ? Il avait essayé de ne plus faire attention – après tout, n’était-il pas mieux sans elle ? Ne passaient-ils pas leur temps à se chamailler ? Il avait voulu la confronter, mais n’avait pas trouvé le courage, tant la situation le perturbait, et tant il ne parvenait pas à la comprendre.

Have you no idea that you're in deep?
I dreamt about you nearly every night this week
How many secrets can you keep?

Etait-ce trop pour elle ? Avaient-ils été trop loin, tous les deux ? Que s’était-il passé pour qu’elle ait une réaction comme celle-ci, refusant de lui parler, d’échanger le moindre mot avec lui ? Toutes ces questions – et bien plus encore – se bousculaient dans la tête du préfet-en-chef, sans cesse. Le pire, c’était qu’il ne parvenait pas – qu’il ne pouvait pas – trouver les réponses. La seule personne qui pouvait les lui donner l’ignorait copieusement depuis deux semaines, et James ne savait plus quoi faire. Toute cette situation le dépassait, et il n’en pouvait plus de tout garder pour lui, de faire comme si de rien n’était. Il avait besoin d’en parler avec quelqu’un, mais qui ? Avec Clara ? Certainement pas. Amely ? Elle ne comprendrait pas. Il avait bien essayé de faire parler Emma, mais elle était restée muette comme une tombe.

'Cause there's this tune I found that makes me think of you somehow and I play it on repeat
Until I fall asleep
Spilling drinks on my settee

Le problème, c’était que Marlene l’obsédait et que le fait de ne pas lui parler, de ne pas l’approcher, le rendait fou. Elle occupait continuellement ses pensées, nuits et jours. C’était insupportable : il fallait que cela cesse ! Il avait son image gravée en lui, il ne parvenait pas à s’ôter son sourire de la mémoire, et c’était particulièrement perturbant. Il ne savait pas pourquoi il ressentait ça. Parce qu’ils avaient partagé un moment fort, et qu’il n’avait plus aucune nouvelle d’elle depuis ? Sûrement. Parce qu’il commençait à apprécier véritablement la jeune fille ? Peut-être. Quoiqu’il en soit, c’était ainsi. Marlene le hantait, son silence le tuait, et l’ignorance dans lequel il était n’arrangeait rien. Il soupira en tournant à l’angle d’un couloir, les mains dans les poches. Cette situation était intenable. Et il savait bien qu’il n’y avait qu’une seule solution pour que tout rentre – à peu près – dans l’ordre : aller lui parler.

Do I wanna know
If this feeling flows both ways?
Sad to see you go
Was sort of hoping that you'd stay

Il y allait ce soir – un peu à contrecœur, il l’avouait. Faire le premier pas l’effrayait, mais ne pas le faire le terrifiait davantage. Parce que cela signifiait tirer un trait définitif sur la jeune femme, ne pas tenter de la comprendre. Et c’était dommage. C’était vraiment dommage, même, parce qu’il s’était attaché à Marlene, d’une certaine façon.  Il recherchait les moments où il pouvait être seul avec elle, il recherchait sa compagnie, sa présence, même s’il avait beau prétendre tout le contraire : jamais il ne lui aurait avoué cela ! Jamais. Parce qu’il ne ressentait rien pour Marlene – quelle idée ! Pourtant, cette distance ne le rendait pas indifférent. Il avait commencé à s’habituer à sa présence, et la voir aussi froide à son égard l’attristait presque. James secoua la tête, comme pour chasser ce genre de pensées.

Baby we both know
That the nights were mainly made for saying things that you can't say tomorrow day

Il n’était réellement pas autoriser à penser ça. C’était un accord tacite entre Marlene et lui : ils étaient physiquement attirés l’un par l’autre, mais se détestaient. C’était comme ça et ça ne devait pas changer. Oh, James n’était pas amoureux d’elle – d’ailleurs, il ne croyait pas réellement au coup de foudre, pour lui, l’amour venait souvent après – mais il s’était attaché à Marlene, en quelque sorte. Evidemment, il était hors de question de lui dire. Il ne pouvait tout simplement pas, ce serait trop… trop réel en quelque sorte. Ils ne se disaient jamais ce genre de choses : ils s’embrassaient, et c’était tout. En parler, poser des mots sur ce qu’il ressentait, c’était une mauvaise idée, assurément. Cela ne ferait qu’aggraver la situation, James en était persuadé. Marlene et lui ne se voyaient que le soir, tard dans la nuit, dans une sorte de monde parallèle, qui leur appartenait, où ils faisaient ce qu’ils voulaient, sans que cela n’ait de conséquences.

Crawling back to you
Ever thought of calling when you've had a few?
'Cause I always do

Pourtant, il devait bien faire face à la réalité : ce qu’il se passait, ce pincement au cœur qu’il ressentait depuis que Marlene le fuyait, cela arrivait dans la vraie vie. Ce n’était plus un simple baiser volé dans des salles de classe qui leur faisait perdre leur souffle… C’était plus important que ça. Et en même temps, cela lui paraissait tellement dérisoire ! James était confus. Confus parce que Marlene était dans ses pensées, confus parce qu’il avait envie de lui parler. Et surtout, confus parce qu’elle était censée ne rien représenter chez lui. Absolument rien. Peut-être était-ce seulement cet éloignement si brusque, qui avait fait que James se sente si obsédé par elle. Peut-être qu’il avait juste besoin de la confronter, de l’entendre dire qu’elle ne désirait plus rien de lui, pour qu’il puisse tirer un trait définitif sur cette histoire. Oui, sûrement, songea-t-il pour se convaincre lui-même. Il av ait besoin d’en parler, pour se sortir tout ça de la tête.

Maybe I'm too busy being yours to fall for somebody new
Now I've thought it through
Crawling back to you

Parce qu’il ne pouvait décemment pas passer à autre chose ! Il ne pouvait pas s’imaginer avec une autre fille ! C’était tout bonnement impossible. Elle occupait tant ses pensées, elle avait été tant omniprésente dans son quotidien ces derniers mois, qu’il ne parvenait pas à l’y écarter comme ça. Oh, il avait essayé pourtant – et il fallait dire qu’elle lui facilitait la tâche, en refusant de lui adresser la parole. Elle avait évité tous les moments avec lui, prétendant être malade, être trop occupée, avoir une chose de la plus haute importance à faire… Au début, James s’était inquiété, et avait discrètement interrogé Emma sur la santé de la préfète-en-chef, mais elle lui avait rassuré qu’elle allait bien. Ces mensonges rendaient James fou. Ne pouvait-elle pas assumer le fait qu’ils aient couché ensemble ? Ne pouvait-elle pas arrêter de le nier ?

So have you got the guts?
Been wondering if your heart's still open and if so I wanna know what time it shuts
Simmer down and pucker up

Ce soir, c’était le moment que James avait choisi pour aller confronter Marlene. Parce qu’il en avait tout simplement marre ! Il voulait qu’elle sorte de ses pensées, elle redevienne cette fille insupportable qu’il ne pouvait pas voir en couleur sans s’énerver ! Il voulait qu’elle redevienne égoïste, méchante, méprisable à ses yeux ! Il voulait… Il voulait la voir, par Merlin. Il soupira à cette pensée, et l’aperçue, appuyée contre le mur d’un couloir. Il se dirigea vers elle, et lui attrapa le bras.

« Viens avec moi. » souffla-t-il, puis, sentant que la jeune fille opposait une certaine résistance : « Barclay, vient avec moi, ou je te jure que j’en parle ici, devant tout le monde. »

Sans surprise, cette petite menace suffit à convaincre la jeune fille, que le suivit sans discuter. La conduisant dans une salle de vide – impression de déjà vu, tiens – James referma la porte derrière eux, et s’y adossa.

I'm sorry to interrupt. It's just I'm constantly on the cusp of trying to kiss you
I don't know if you feel the same as I do
But we could be together if you wanted to

Il l’observa longuement, cherchant quoi dire. Il avait passé des heures à y réfléchir, et, une fois devant elle, il ne savait pas quoi lui dire. Il avait envie que tout redevienne simple, comme avant, où il pouvait l’attirer dans un coin éloigné et l’embrasser jusqu’à ce qu’ils soient à bout de souffle. Et il en avait envie, à cet instant même. Mais il ne pouvait pas. Parce qu’il avait bien trop de non-dits entre eux, et que James avait surtout envie qu’elle s’explique, qu'elle lui dise ce qu'elle ressentait. Il en avait besoin, même. Quoiqu’il advienne après.

« Tu vas m’expliquer pourquoi tu m’évites depuis deux semaines, ou tu t’attends à ce que je devine ? » demanda-t-il en croisant les bras sur son torse.

Sad to see you go.

Quelques carnets, un ou deux parchemins griffonnés, un lit défait. Rien d'extraordinaire, rien qui n'attire l'oeil et pourtant il s'agissait du lit de Marlene et cela voulait dire, elle qui avait appris à ranger sa chambre au carré depuis sa plus tendre enfance, rigoureuse habitude qu'elle avait continué d'entretenir à Poudlard. C'était sûrement à l'image de son humeur ces deux dernières semaines, perturbé et chaotique, dérangé et désorganisé. Se laisser aller n'avait jamais fait partie de son caractère ; pas par courage, loin de là, mais parce que c'est ce qu'on lui avait toujours appris. Qu'aurait pensé son père à cet instant ? Sûrement rien de bien. Elle avait déjà tant honte d'elle-même... C'était un sentiment qui l'avait pris dès le lendemain, une sensation oppressante qui lui retournait l'estomac depuis deux semaines, un sentiment qu'elle ne comprenait même pas. Elle l'avait voulu, cette nuit, elle l'avait désirée et pourtant...

Où allait-elle en faisant cela ? Elle qui avait tant critiqué ces filles durant des années, ces filles dont elle faisait partie désormais. Marlene vivait dans les carcans qu'elle s'était elle-même imposés, souffrait du jugement qu'elle apposait sur elle-même, elle était son propre bourreau, responsable de son propre malaise. A force de juger les autres aussi sévèrement, elle se retrouvait à faire la même chose avec elle-même quand bien même il n'y avait pas de raison. Non, elle n'avait rien fait de mal théoriquement mais dans quelle voie se lançait-elle ? Ce n'était pas la vie dont elle avait rêvé, pas ce à quoi elle aspirait. Ce n'était pas ce qu'elle voulait, tout simplement. Un simple baiser était une chose, passer la nuit avec James en avait été une autre. Elle voulait quelque chose de différent, quelque chose de plus grand. Marlene rêvait d'amour, d'une vraie relation. Les choses avec James étaient devenues trop sérieuses soudainement, cela avait dépassé ce qu'ils avaient fixé au début et cela lui faisait peur.

Alors elle avait fui. C'était tellement plus facile que de faire face à ce qui s'était passé, tellement plus facile de faire comme si rien n'était arrivé. Marlene avait peur, Marlene était lâche alors Marlene était partie. Ne plus parler à James, faire semblant de ne pas le voir en le croisant dans les couloirs, de ne pas sentir son regard dans sa nuque en cours de botanique, faire semblant : c'était l'un de ses nombreux talents. De toute manière ils ne s'étaient rien promis, n'est-ce pas ? Poussant un soupir, Marlene se laissa retomber en arrière sur son lit abandonnant ses révisions, balançant ses livres par terre du revers de la jambe. Deux semaines qu'elle n'arrivait plus à se concentrer, deux semaines que ses pensées tournaient autour de la même chose et de la même personne, ressassant sans cesse ce qui était arrivé. James lui manquait, la relation qu'ils avaient lui manquait mais elle savait parfaitement que c'était idiot tout simplement parce qu'ils ne la retrouveraient pas après ce qui s'était passé. Les choses seraient forcément différentes et elle n'avait jamais aimé le changement. De toute manière, qu'est-ce qu'ils feraient ? Ils passaient leur temps à se disputer, la seule chose qui avait pu les rapprocher avait été ces baisers, ces moments volés et elle leur avait pris.

Ses yeux se posèrent sur le réveil de sa table de chevet et elle le fixa quelques instants avant de vraiment voir l'heure. Emma finissait bientôt ses cours et elle avait besoin de lui parler. Abandonnant son dortoir désordonné, Marlene se redressa et sortit sans même prendre son badge de préfète, elle qui ne sortait jamais sans. Elle n'était pas d'humeur à jouer ce rôle, à vrai dire, elle n'était d'humeur à rien tant cette histoire monopolisait son cœur et ses pensées. Les couloirs qu'elle traversa étaient quasiment vides - les gens étaient en cours ou à la bibliothèque - et elle finit par s'appuyer contre un mur, pas très loin de la salle où Emma avait cours. Ses yeux se posèrent sur le bout de ses chaussures tandis que ses pensées dérivaient bien plus loin encore, encore et toujours au même endroit. Des pas dans sa direction lui firent lever la tête et elle sentit la main de James se refermer autour de son bras. Elle aurait dû se douter qu'elle ne pourrait pas l'éviter éternellement, mentir éternellement : Poudlard était un petit endroit et elle ne pouvait pas jouer à ce petit jeu impunément pendant un an. Pourtant elle aurait aimé fuir encore, juste encore un peu, juste quelques instants de plus mais James ne lui en laissa pas le choix. Elle cultivait déjà assez sa propre culpabilité sans avoir à affronter le regard des autres, aussi suivit-elle James à contrecœur et le cœur battant.

S'appuyant contre une table, les bras croisés sur sa poitrine et le regard baissé, elle l'entendit fermer la porte mais ne releva pas les yeux vers lui même lorsque sa voix retentit dans la pièce. Que dire ? Qu'elle ne l'évitait pas ? Il aurait fallu qu'elle soit folle pour mentir à ce point. Alors que répondre ? Elle-même n'avait pas de véritable réponse à la question, elle-même aurait aimé savoir précisément. Tout était diffus, tout était confus et elle n'arrivait pas à démêler ce qu'elle ressentait. Les yeux rivés sur une tâche d'encre sur le parquet ancien de la salle de classe, elle laissait le silence s'éterniser, dissimulée par le rideau de ses boucles brunes à peine retenues par une barrette ouvragée sur le coté de sa tête. Le silence s'éternisait entre eux, lourd, pesant, insistant alors elle finit par hausser les épaules doucement.

- Je ne sais pas.

Elle rebaissa les yeux en sentant sa gorge se nouer et dénoua ses bras pour appuyer ses mains sur le rebord de la table contre laquelle elle était appuyée.

- C'est comme ça, c'est tout, finit-elle par murmurer.

C'était mille fois plus simple comme ça, c'est tout.

La réponse de Marlene fut loin de satisfaire James, qui continua de la dévisager, désirant une explication un peu plus approfondie. « Je ne sais pas » ne répondait pas à ses interrogations, et il avait désespérément besoin de réponses. Il savait bien que c’était la seule manière pour lui  de retrouver une vie normale. Il voulait que Marlene mette les choses au clair entre eux, qu’elle lui dise qu’ils ne pouvaient plus continuer, qu’elle ne voulait plus le voir. Il voulait qu’elle lui parle, qu’elle lui explique – à vrai dire, il ne désirait rien d’autre que de quitter cet état d’ignorance dans lequel il était depuis quatorze jours. Et pourtant, James n’avait jamais aimé les conflits, ou confronter les autres. Il préférait de loin rester loin des prises de tête quotidiennes. Mais évidemment, tout cela avait changé depuis le début de l’année, depuis Marlene.

Parce que la jeune fille avait ce don – rare – de l’énerver. Elle possédait aussi – étonnement – celui de l’attendrir. C’était parfaitement étrange, et en même temps, ce mélange était aussi explosif que délicieux. Cela changeait de toutes les autres filles qu’il appréciait : il appréciait Marlene, tout en s’énervant régulièrement contre elle. Et James savait bien que, de plus en plus, cet attachement prenait le pas sur son aversion pour elle. Les choses avaient changé – trop doucement, trop subtilement pour qu’il puisse s’en rendre compte, mais elles avaient changé. Et en soit, ce n’était pas désagréable, ce changement, aussi surprenait soit-il. Marlene et lui avaient certains points communs insoupçonnés, et apprenaient à se découvrir en même temps qu’ils se chamaillaient pour des bêtises.

Toutefois, sa deuxième réponse lui fit froncer les sourcils. Elle ne plaisait pas, voire encore moins que la première. « Comme ça », c’était d’ordinaire leur réponse à toutes leurs questions. C’était comme ça, parce qu’ils ne savaient pas comment l’expliquer, c’était comme ça, parce qu’ils ne voulaient pas l’expliquer, ni le comprendre. Mais pas ce soir. Ce soir, James refusait que ce soit simplement « comme ça ». Il refusait de se contenter de ces deux mots prononcés dans un murmure à peine audible. Franchissant la distance qui les séparait en quelques pas, le jeune homme vint attraper Marlene par les épaules, la forçant à le regarder.

« Non, Marlene. » lâcha-t-il sans la quitter du regard. « Ce n’est plus juste « comme ça ». Ça ne peut plus l’être dans la mesure où tu me fuis, et où tu refuses de m’adresser la parole, depuis la nuit où on a couché ensemble. » lui asséna-t-il « Tu ne m’as pas décroché un seul mot pendant quatorze jours, Marlene ! Comment est-ce que tu pensais que j’allais le prendre ? » l’interrogea James, avant de secouer la tête.

Il respira un grand coup, et prit le temps de se calmer légèrement avant de reprendre d'un ton plus doux, son regard toujours vrillé dans celui de Marlene :

« Tu as passé deux semaines sans m’adresser la parole, alors oui, je pense que quelque chose ne va pas. Et ne le nie pas, tout le dit chez toi. Je commence à te connaître un peu, tu sais… » lança James avec un petit sourire.

Tout se bousculait dans l'esprit de Marlene et lorsque James s'approcha d'elle pour la forcer à la regarder, elle eut envie de fuir, encore une fois. Elle n'avait pas envie d'avoir cette conversation, elle voulait faire comme si rien ne s'était passé pour ne pas affronter la difficulté. Ce n'était même pas contre James, c'était pour elle. Évidemment qu'il y avait des raisons pour qu'elle évite son camarade, évidemment qu'elle ne s'était pas réveillée avec cette idée juste par plaisir ou pour lui nuire mais elle peinait déjà à trouver ces raisons, elle se sentait incapable de les révéler à James. Et pourquoi le devrait-elle après tout ? Ils n'étaient pas amis, ils ne l'avaient jamais été, elle ne lui devait rien, ils ne se devaient rien. C'est ce qu'elle se répétait tandis qu'il lui assénait que comme ça n'était désormais plus une raison suffisante. Incapable de soutenir plus longtemps le regard de James, Marlene baissa les yeux, croisant ses bras sur sa poitrine, ses doigts crispés sur la laine de son pull.

Sa tentative d'humour ne la fit pas rire et elle se mordilla la lèvre, fermant les yeux l'espace d'un instant. Elle détestait être ainsi mise au pied du mur, elle détestait l'angoisse et la culpabilité qui l'agitaient depuis deux semaines et elle ne voulait pas avoir à y faire face. Alors quand James affirma qu'il la connaissait, ce fut comme si tout ce qu'elle avait retenu depuis deux semaines s'échappait soudain. Elle en avait parlé avec Emma mais cela n'avait pas suffit à calmer tout ce qu'elle avait enfouit au fond d'elle depuis quatorze jours. Marlene avait toujours était quelqu'un de secret, un peu trop pour que cela soit sain, un peu trop prudente, un peu trop méfiante. Mais elle ne pouvait pas éternellement ravaler ses émotions en essayant de faire comme si elles n'avaient jamais existé. Brusquement en colère, elel décroisa ses bras et se dégagea des mains de James sur ses épaules, s'éloignant pour remettre de la distance entre eux.

- Non, Carter, on ne se connaît pas ! Et non, tu ne me connais pas, même pas un peu ! Et c'est...

Sa voix se brisa sur les derniers mots et elle s'interrompit, le cœur battant et le souffle court.

- Tout ça, reprit-t-elle plus faiblement, tout ça n'aurait jamais dû arriver. C'était une erreur, on a tous les deux fait une erreur et ce depuis le début. Tu le sais aussi bien que moi.

Détournant le regard vers la porte close, elle finit par s'appuyer de nouveau contre un bureau, faisant tourner machinalement entre ses doigts le pendentif qui ornait son cou. C'était ce qu'elle se disait depuis deux semaines, ce qu'elle se répétait depuis le début, ce qu'elle essayait désespérément de faire sans jamais en trouver le courage. Est-ce que c'était le moment ? Est-ce que pour une fois elle ferait ce qu'il fallait même si elle ne le souhaitait pas, au fond ? C'était le mieux. C'était nécessaire. Tout ce qui était arrivé... Cela n'aurait jamais dû se produire. Est-ce que cela lui manquerait ? Sûrement, un peu. Mais elle l'enfouirait tout au fond de son esprit comme elle l'avait toujours fait, tairait son cœur et ses envies pour ne laisser parler que la voix raisonnable dans son esprit, pour faire ce qu'on lui avait toujours appris. Ce n'était pas ce quoi à elle aspirait, cette situation lui faisait du mal. Alors elle devait y mettre fin, il n'était si tard que cela.

- James...

Elle releva les yeux vers lui, réprimant l'envie de pleurer qui l'avait reprise maintenant que sa colère s'était éclipsée.

- Tout ça, c'est pas... Ce n'est pas ce que je veux. Je m'étais toujours dit que... Je ne sais pas, les choses seraient différentes.

Marlene avait toujours été une petite fille puis une jeune femme avec beaucoup de rêves, beaucoup d'espoirs, beaucoup d'idées préconçues sur la vie. Était-ce un mal ? Peut-être bien. Mais elle aspirait à plus, elle aspirait à ce qu'elle avait toujours désiré. Elle enviait Emma, elle enviait toutes ces filles-là.

- Où est-ce qu'on peut aller comme ça, honnêtement ? C'est... Tout ça c'est du vide, tout ce qui s'est passé c'était du vide, du vent. Et ce n'est pas ce que je veux. Et... Nous ne sommes même pas amis, on ne l'a jamais été. On ne se connaît pas, on... On va dans le mur, tout simplement. Autant arrêter avant qu'il n'y ait trop de dégâts, tu ne penses pas ?

Elle sentit les larmes embuer ses yeux et prit une inspiration, baissant de nouveau les yeux.

- C'est déjà allé trop loin.

Du vide, du vent. Les mots de Marlene frappèrent James de plein fouet, le laissant étonné de sa propre réaction. Evidemment qu’il le savait, que ce qu’il y avait entre eux n’était pas important ! Que ce n’était rien, et qu’il n’y aurait jamais rien ! Il se l’était répété assez de fois pour que cette certitude s’ancre en lui. Alors pourquoi cela lui faisait si mal, de l’entendre dire ça ? Pourquoi avait-il l’impression d’être autant touché ? Une grimace passa brièvement sur son visage lorsque la jeune fille prononça le mot « dégâts » et il garda le silence, à la fois attristé, et honteux. Honteux, parce que ces dégâts, c’était lui qu’il les avait causé. Honteux, parce qu’il n’aimait pas voir Marlene dans cet état. Honteux, parce qu’elle lui donnait l’impression qu’il lui avait volé tous ses « premiers moments » qu’elle aurait tant désiré passer avec un homme qu’elle aimait vraiment.

Parce qu’ils ne s’aimaient pas, eux ! Ils se détestaient – et ils se le disaient assez souvent pour pouvoir l’assimiler. Mais était-ce pour autant toujours la vérité ? se demanda-t-il en observant la jeune fille qui avait l’air bouleversée. Lui non plus n’était pas en reste, se rendit-il compte en passant machinalement une main lasse sur son visage. Non, James ne pouvait pas dire qu’il aimait Marlene. Mais… Mais elle lui plaisait, et il s’était attaché à elle, à son petit air suffisant lorsqu’elle pensait avoir raison, à son sens de l’organisation aussi admirable qu’horripilant, à ses petites moues lorsqu’elle était énervée. Tout ce qu’il ne pouvait pas supporter quelques mois plus tôt trouvait – presque – grâce à ses yeux. Et il n’avait pas envie de la laisser partir.

Pourtant, la réaction première du Poufsouffle aurait été de s’en aller, d’accepter ce qu’elle lui imposait : la fin immédiate de leur relation. Et il fut tenté de partir – c’était tellement plus simple de quitter la pièce, plutôt que de rester face à elle. James n’avait jamais été un Gryffondor pur, comme pouvait l’être Ashley. Pourtant, ce soir, l’envie de se confronter à la situation était plus forte – peut-être parce que l’espoir était présent. Et puis, c’était la seule manière pour lui de se sortir Marlene Barclay de l’esprit. Il ne pouvait plus continuer à vivre ainsi ; elle ne pouvait plus continuer à hanter ses pensées.

Levant les yeux vers la jeune fille, il fut touché par ses yeux humides, et par sa petite voix hésitante, emprunte d’une certaine tristesse. Il eut un mouvement d’hésitation, et esquissa un geste vers elle qu'il laissa en suspend pendant quelques secondes. Finalement, il finit par combler la distance qui les séparait pour la prendre dans ses bras. Et contrairement à toutes les autres étreintes qu’ils avaient pu partager, celle-ci était différente. Ce n’était pas comme lorsqu’ils s’embrassaient, et que ses mains glissaient doucement dans le dos de Marlene. C’était une vraie étreinte – un câlin, à vrai dire – qui n’avait comme but que de réconforter, de rassurer. Il resta longuement dans cette position, sans un mot, trop occupé à mettre de l’ordre dans ses propres pensées, tout en se balançant doucement d’avant en arrière.

Ce moment avait quelque chose d’exceptionnel, d’irréaliste, mais n’était en rien désagréable. Toutefois, James finit par se séparer de la jeune fille pour se retrouver face à elle. Il saisit délicatement son visage avec ses deux mains.

« Tu sais, ces moments, ça ne peut être que du vent… Sauf si on décide de leur donner de l’importance. » souffla-t-il en vrillant son regard dans le sien.

« Je suis réellement nul pour analyser ce que je ressens. Mais j’ai l’impression que certains moments qu’on a passé ensemble, eh bien, ce n’était pas que du vide, pour moi. » avoua-t-il, une drôle de boule se formant dans son ventre – serait-ce de l’appréhension ? « Mais ne le répète, je connais une fille qui se moquerait de moi… » lança-t-il avec un petit sourire en coin, en posant sur elle un regard un peu timide.

Marlene vit clairement le geste que James fit dans sa direction et aurait pu reculer, ce qui aurait été d'ailleurs cohérent au vu du discours qu'elle venait de lui tenir, mais elle n'en fit rien. Elle ne l'avait pas dit mais la distance qu'elle avait imposé entre eux lui avait également pesé et elle avait songé mille fois à la rompre, à briser ce silence pesant qu'elle lui faisait subir, cesser cette indifférence qu'elle avait péniblement affichée. Aussi, lorsqu'il la prit dans ses bras, elle n'opposa aucune résistance et glissa même ses bras autour de son torse, fermant les yeux pour essayer d'assécher ses yeux humides. Elle était bien trop émotive ces derniers temps - elle l'était toujours d'ailleurs, mais cela avait atteint un summum - et était à fleur de peau. L'étreinte avec James l'apaisa étrangement et elle s'efforça de se vider la tête l'espace de cet instant qui s'étira dans le temps.

C'était sûrement l'un des premiers moments de tendresse sincère qu'ils partageaient et pour tout dire, elle sentait ses résolutions vaciller quelque peu. Marlene était honnêtement perdue, partagée entre ses envies et ses aspirations, la réalité et ses objectifs. Ne disait-on pas qu'il fallait se donner les moyens de ses ambitions ? Elle était une Serpentard et des ambitions, elle en avait à revendre et ce dans tous les domaines. James et elle s'étaient lancés dans une entreprise périlleuse et bancale qui n'aboutirait à rien aux yeux de Marlene. Ils se voyaient et ensuite ? Rien d'autre n'arriverait et elle avait repoussé cette esprit au plus loin dans son esprit tout simplement parce qu'ils s'étaient assez répété qu'il n'y avait absolument rien. Elle refusait de s'abaisser à cela, à être celle qui en demandait plus parce qu'elle n'avait finalement pas eu la force ou la confiance pour supporter les termes de la relation qu'ils s'étaient fixés. Elle avait sa fierté et préférait tout arrêter plutôt que de la perdre, d'être celle qui avait peut-être un peu faibli dans le fond.

Elle se sentait déjà en permanence si insignifiante par rapport à certains... Marlene n'avait rien d'une de ces héroïnes des romans qu'elle dévorait. Elle vivait dans une constante impression d'insécurité qu'elle-même ne reconnaitrait jamais et ce depuis des années. Elle qui était si douée lorsqu'il s'agissait d'observer et de juger les autres n'avait jamais essayé d'approfondir cette sensation de malaise, ce coton qui semblait s'installer dans ses muscles à certains moments, tout simplement parce que c'était bien plus facile de fermer les yeux. Elle choisissait toujours la solution de facilité, la plus confortable et la plus certaine et dissimulait tout le reste sous une couche de mauvaise foi et d'aveuglement, si ce n'est de mensonges à elle-même. Cette fois-ci elle avait pris la fuite plutôt que de devoir avoir cette conversation mais James ne lui en avait pas laissé le choix. Et maintenant quoi ? La distance entre eux deux avait simplifié les choses et tout venait d'éclater en éclats en une seule étreinte. Elle se détacha de lui lorsqu'il recula pour encadrer son visage de ses mains et releva les yeux vers lui, l'un de ses mains se posant sur l'un des poignets de James, son regard accrochant ses lèvres l'espace d'un battement de cœur.

Lorsqu'il affirma que les choses avaient l'importance qu'on leur donnait, elle le fixa sans trop comprendre. C'était ce qu'ils se répétaient depuis le début, que cela n'avait justement aucune importance et ils s'étaient scrupuleusement entendu sur ce point-là, une chose sur laquelle ils étaient enfin d'accord, une chose à laquelle elle s'était raccrochée, une pierre dans ce raisonnement étanche qu'elle s'était efforcé de construire. Incapable de savoir quoi répondre à ce que lui disait James - trop de pensées se bousculaient dans son esprit à cet instant précis - elle laissa échapper un léger rire nerveux quand il argua qu'elle allait se moquer de lui et elle baissa les yeux un instant, laissant ses cheveux dissimuler son visage et ses traits troublés. Lorsqu'elle releva la tête, elle glissa sa main dans celle de James, entremêlant leurs doigts.

- Je ne moque que quand c'est mérité, Carter, répondit-elle simplement.

Un silence s'établit alors entre eux tandis qu'elle fixait leurs mains entrelacées, ses pensées se bousculant à toute vitesse dans son esprit. Les mots de James lui restaient en tête mais elle ne pouvait s'empêcher de conserver une certaine prudence, une certaine mesure. Elle avait l'impression qu'ils marchaient sur des œufs et que toute cette histoire, toute leur histoire, avait pris soudain une toute autre dimension, bien plus sérieuse, bien plus vertigineuse et surtout bien plus terrifiante. Lorsqu'elle reprit la parole, ce fut d'une voix plus basse, glissant une boucle brune derrière son oreille, pleine d'incompréhensions sur lesquelles elle ne pouvait mettre un nom.

- On ne va pas quand même pas sortir ensemble, hein ? Ça serait ridicule, non ?  

Lorsque Marlene entremêla leurs mains, James la dévisagea, étonné de sa réaction. Ce qu'il venait de faire, il ne l'avait jamais fait auparavant. S'ouvrir à quelqu'un de cette manière, lui dévoiler - même un peu - ce qu'il ressentait, il ne l'avait jamais fait. Ce n'était pas une question de virilité, seulement dans sa famille, on parlait peu, on exprimait peu ce qu'on ressentait, au niveau des sentiments intimes. C'était une question d'habitude, tout simplement. Révéler à Marlene que les moments qu'ils avaient passé ensemble avaient eu de l'importance pour lui n'était pas simple. Et, la voir réagir de cette manière lui procurait une étrange sensation. Il garda sa main dans la sienne, vrillant son regard dans le sien.

"Je n'en doute pas..." souffla-t-il avec un petit sourire amusé.

Un silence s'installa entre eux, durant lequel James se contenta de caresser distraitement le dos de la main de la jeune fille avec son pouce. Plongé dans ses pensées, il n'osait pas prendre la parole. Par crainte d'être repoussé, certes, mais aussi parce qu'il ne savait pas ce qu'il voulait exactement. Marlene... Il n'aimait pas Marlene, n'est-ce-pas ? Ne lui était-elle pas insupportable ? Si, sûrement... Mais n'était-elle que cela ? Sa vision d'elle n'avait-elle pas changé, depuis le début de l'année ? Le jeune homme fut tiré de ses esprits par la question de la Serpentard, qui résumait tous ses doutes.

Oui, ce serait ridicule, qu'ils sortent ensemble, puisqu'ils ne s'aimaient pas. Mais... Mais plus James regardait Marlene, plus l'idée lui paraissait raisonnable, voire même idéale. Il s'était attachée à elle, et, il devait bien l'avouer, elle lui plaisait. Ce qui, selon lui, n'aurait jamais pu arriver venait de se passer : il ressentait quelque chose pour Marlene Barclay. Et cette pensée, cet aveu était déroutant, comme s'il découvrait quelque chose qu'il avait enfouit au plus profond de lui-même pour ne jamais y penser. Marlene lui plaisait et il avait envie de plus avec elle. Plus que des baisers volés au détour d'un couloir, plus que des nuits passées ensemble dans une salle de classe vide.

"Je ne sais pas..." lâcha-t-il d'une voix basse. "Ce ne serait pas si ridicule que ça, en soit. Ça fait quelques temps qu'on se fréquente et oui, je commence à te connaître, Marlene Barclay." affirma James. "Je sais que tu es la fille la plus organisée que je connaisse, déjà. Je sais que tu peux passer des heures à lire des romans dix-huitième siècle, comme des romans d'aujourd'hui. Je sais que tu dessines beaucoup, et que tu collectionnes la papeterie dans une petite boîte. Je sais que tu as tellement de bandeaux et de serre-têtes que j'ai arrêté d'essayer de les compter - j'avais essayé, pourtant ! Je sais que tu adores les hiboux, et que tu as plein d'affaires avec des hiboux dessus. Je sais que ton père est militaire, comme le mien. Je sais que tu détestes la pulpe dans le jus d'orange, et que tu dois retirer la peau des pommes avant de pouvoir les manger." débita James sans réfléchir, en lançant toutes les choses qui lui passaient par la tête. "Ce n'est pas grand chose, mais..."

Il hésita un peu, observant Marlene. Puis, il finit par se pencher vers elle et glissa une main derrière sa nuque avant de capturer doucement ses lèvres. Il conserva cette étreinte quelques instants avant de se détacher de la jeune fille.

"Mais c'est un début."

Sortir avec James Carter. L'année dernière encore, cette idée l'aurait fait rire, cet été encore, elle aurait levé les yeux au ciel. Et pourtant, cette idée n'avait jamais semblé être aussi réalisable qu'à cet instant. James et elle avaient passé des années à se lancer des piques et des regards noirs, sans qu'elle ne puisse se rappeler l'origine de cette animosité. C'était ainsi, voilà tout, cela avait toujours fait partie du paysage et des constantes de sa vie : elle n'aimait pas James Carter, ce n'était qu'un parfait abruti et le plus loin possible elle se tenait de lui, le mieux elle s'en portait. Pourtant, c'est ce qu'elle avait fait durant deux semaines et le seul effet que cela avait eu avait été de la rendre malheureuse. James lui avait manqué, leur relation lui avait manqué et ce qu'elle avait considéré être comme une bonne solution à long terme n'était visiblement pas celle qui la rendait la plus heureuse.

Malgré cela, l'idée de sortir avec James lui faisait tellement étrange ! Elle n'était d'abord jamais sorti avec personne et même si elle en avait souvent rêvé, c'était différent que d'en avoir la possibilité concrète. Puis elle ne s'était jamais projetée dans ce genre de relation avec lui, si ça se trouve ça ne marcherait pas, peut-être qu'ils aimaient passer du temps ensemble justement parce que c'était juste entre eux deux, peut-être qu'ils se rendraient compte que c'était une bêtise et qu'ils n'avaient décidément aucun attrait pour l'autre ou peut-être que... Il y avait plein de peut-être, songea Marlene en arrêtant sa litanie, mais à vrai dire, le plus gros risque avait sûrement été pris plus tôt, lorsqu'ils avaient convenu de cette relation particulière un soir de septembre. Alors sortir ensemble semblait être une sorte de... continuité ? Ce serait passer du temps ensemble mais en public et puis aussi admettre que peut-être, ils s'appréciaient un peu plus qu'ils ne voulaient l'admettre. S'il lui avait manqué, c'était que c'était le cas, non ? Et si l'idée de sortir avec lui semblait aussi étrangement plaisante qu'incongrue, c'est bien parce qu'elle l'aimait bien, un peu ? James semblait être aussi perturbé qu'elle par sa question et elle releva les yeux vers lui tandis qu'il affirmait que ce ne serait pas si ridicule que ça.

Ce qui suivit la laissa sans mot, tant elle ne put s'empêcher de trouver ça mignon. Ils passaient beaucoup plus de temps ensemble depuis qu'ils avaient reçu leurs badges - en dehors même de leurs instants volés dans les couloirs - mais elle ne pensait pas que James aurait retenu tout ça sur elle, tous ces détails un peu idiots mais qui faisaient son quotidien. Elle aurait même pu pousser le vice jusqu'à dire que c'était presque romantique. Qui aurait cru qu'elle finirait par penser ça de James Carter ? Et surtout, que ce serait envers elle ? C'était pourtant ce genre de relation que Marlene voulait, elle voulait sortir avec quelqu'un, avoir un petit-ami qui faisait attention à elle, quelqu'un qui tenait à elle et réciproquement d'ailleurs. C'était ce qui lui manquait dans sa relation avec James, justement. Et s'ils l'avaient désormais et bien... Qu'est-ce qui la retenait ? Lorsqu'il se pencha pour l'embrasser, elle posa l'une de ses mains sur son épaule, fermant les yeux l'espace d'un instant. 

- C'est un début, répéta-t-elle en murmurant, toujours perturbée par la situation même si elle sentait un sourire poindre sur son visage.

Alors ils allaient vraiment le faire ? Sortir ensemble ? Eux qui avaient clamé pendant sept ans à qui voulait bien l'entendre qu'ils ne pouvaient pas se supporter ? Après s'être juré qu'ils ne pouvaient pas se voir en peinture ? Peut-être était-ce cela le plus ridicule dans le fond. Marlene saisit de nouveau la main de James entre la sienne tandis que la sonnerie annonçant la fin de la dernière heure retentissait, lui rappelant ce qu'elle était venue faire ici à la base.

- On va vraiment le faire alors ? interrogea-t-elle timidement. C'est Emma qui va être contente, ajouta-t-elle sans savoir pourquoi son amie venait à son esprit à ce moment-là.

Se rappelant qu'ils s'étaient dit qu'ils n'en parlerait pas, elle rougit un peu et haussa les épaules.

- J'avais besoin d'en discuter, après le onze, expliqua-t-elle.

James répondit au sourire de Marlene et replaça doucement une mèche de ses cheveux bruns derrière son oreille. Ce qui arrivait lui paraissait tout bonnement irréel, et pourtant... Et pourtant c'était en train d'arriver pour de bon. Après deux semaines entières sans s'adresser le moindre mot, ils avaient pris leur décision. Et, étrangement, elle était toute autre que celle que James avait pu s'imaginer. Non, ils ne mettaient pas un terme à cette relation. Non, ils ne cessaient pas de se voir. Non, ils ne faisaient rien de tout cela. A vrai dire, ils faisaient même tout le contraire. Ils s'apprêtaient à sortir ensemble. A devenir un couple. Un couple. Cela signifiait qu'ils n'auraient plus à se cacher dans des couloirs sombres, qu'ils pourraient être ensemble en public.

Cette idée perturba James autant qu'elle lui donna envie de sourire. C'était si déroutant, pourtant ! Lui qui avait prétendu détester Marlene pendant des années, se trouvait quelque peu perturbé par ce retournement de situation. Pourtant, il avait le sentiment de faire le bon choix. Il y avait quelque chose entre eux - il ne saurait définir quoi - et il aurait été plus que dommage de passer à côté. Pour autant, James n'était pas habitué à agir comme un petit-ami envers Marlene. Cela leur viendrait sûrement petit à petit, songea-t-il en lui adressant un léger sourire lorsqu'elle lui demanda timidement s'ils allaient "vraiment le faire".

"Ça en a tout l'air..." répondit-il en hochant la tête.

Oui, ils allaient le faire, même s'ils s'étaient jurés, quelques mois plus tôt, que rien de tout ça n'arriverait jamais. Voilà une nouvelle qui allait faire jaser... Eh bien tant pis ! Il faisait bien ce qu'il voulait de sa vie, et n'avait de comptes à rendre à personne. Il était certain que ses amis s'y accommoderaient - et particulièrement Emma, visiblement...

"Ah, je comprends mieux ces petits regards en coin qu'elle me lançait, elle savait !" lança James en riant. "C'est pas grave, mais je me disais bien qu'elle n'agissait pas normalement avec moi. Si tu l'aurais vu quand je suis venu la voir pour prendre des nouvelles de toi, il y a une semaine !" plaisanta-t-il en songeant à nouveau à cette scène. "Elle sera contente, donc ?" interrogea-t-il, heureux de trouver d'office une alliée en la personne d'Emma.

Le jeune homme reporta son attention sur la Serpentard, et l'observa longuement. Il posa sa main sur sa joue, et garda le silence quelques instants. Puis, se penchant une nouvelle fois pour capturer les lèvres de Marlene, il finit par poser son front contre le sien, et laissa glisser ses mains dans son dos.

"Tu es sûre que c'est ce dont tu as envie ?" lui demanda James d'un ton sérieux. "Tu te rends compte que tu vas devoir m'appeler davantage "James" que "Carter" ?" lança-t-il avec un petit sourire amusé. "Mais je veux dire, tu ne fais pas juste ça parce qu'on a couché ensemble et que tu penses que c'est la "bonne chose" à faire, hein ?" finit-il, les sourcils froncés.

Ainsi donc, c'était établi, c'était décidé : James Carter et Marlene Barclay allaient sortir ensemble. Sortaient ensemble. Il n'y avait pas à dire, cet état de faits lui faisait étrange, tout simplement parce qu'elle n'était pas vraiment familière avec cette idée... Et puis cela allait faire parler, Marlene pouvait en être certaine. D'abord parce qu'en temps normal, elle participait aussi allégrement aux rumeurs sur les couples qui se formaient mais aussi parce que si ça leur faisait bizarre à eux, ça ferait sûrement étrange aux autres également. Elle pouvait déjà imaginer clairement les rumeurs, alors qu'ils étaient tous les deux préfets-en-chef en plus, et les commérages. Mais après tout, elle n'avait de comptes à rendre à personne, non ? L'année dernière, les trois quart des gens de Poudlard ne connaissaient pas son prénom et même certaines filles de sa classe - Kessy Brooks pour ne pas la citer - l'appelaient "Marley" et devaient même ignorer son nom de famille. Ils ne faisaient rien de mal et cette histoire était uniquement entre eux deux, cela ne concernait pas les autres, même s'ils ne se priveraient sûrement pas de commenter (comme elle l'aurait fait mais Marlene refusait d'y voir aussi un retour de bâton qui aurait pu la pousser à réfléchir sur quelques petits points de sa vie.) Il y en avait bien une à qui cela ferait plaisir, ne serait-ce que parce qu'elle avait eu raison, et Marlene eut un sourire lorsque James mentionna "les regards en coin" d'Emma.

- On en a parlé un peu l'autre soir. Et je crois qu'elle sera contente, oui. Enfin, elle l'avait dit, que ça arriverait. Ou sous-entendu, du moins, même si j'ai refusé de l'entendre.

Pourtant, elle avait repoussé les propos de son amie avec toute la ferveur dont elle était capable mais à sa décharge, Marlene pensait encore être dans le vrai à ce moment-là, tout simplement parce qu'elle n'avait aucune raison de penser le contraire. Encore maintenant, tout cela semblait quelque peu irréel, c'était un tel retournement de situation, elle qui s'était quasiment fait à l'idée de ne plus le voir. Laborieusement, mais elle y était presque arrivée en imposant une ferme distance entre eux. Mais les Poufsouffle étaient de tels obstinés... En bonne Serpentard, Marlene avait tendance à louvoyer plutôt qu'à affronter les problèmes, le silence et la fuite étant parfois plus efficace qu'un discours. Pas la solution la plus noble ou la plus courageuse, elle pouvait le concéder, mais d'une efficacité certaine.

Elle soutint le regard de James lorsqu'il la fixa en silence l'espace de quelques instants avant de se pencher vers elle pour l'embrasser de nouveau tandis qu'elle remontait l'une de ses mains sur sa nuque. Lorsqu'il se séparent, restant néanmoins proches l'un de l'autre, elle lui adressa un léger sourire en coin, posant ses mains à plat sur la table contre laquelle était appuyée depuis le début de leur conversation. Est-ce qu'elle certaine de son choix ? Il est vrai que la situation était plutôt perturbante mais la solution qu'ils y apportaient lui semblait plutôt plaisante... Bien plus plaisante que de tout arrêter, au final. Et puis c'est ce qu'elle souhaitait, non ? Certes, le risque était effrayant mais sans risque, ils n'arriveraient jamais à rien et de toute manière, ils étaient tous les deux déjà bien engagés dans cette histoire.

- Je t'appelle James ! Parfois. De temps à autres.

Il faut dire que sept ans à utiliser le nom de famille étaient plutôt marquants et étaient même devenus un réflexe. La question qu'il lui posa après lui arracha un rire un peu gêné - toujours pas très à l'aise avec cet état de faits - et elle détourna les yeux l'espace d'un instant, un peu de rouge aux joues et soudainement très intéressée par les ombres des élèves qu'on voyait à travers la vitre de la porte, ces derniers envahissant les couloirs suite à la fin des cours.

- Je ne t'épouse pas non plus, lança-t-elle pour faire un peu d'humour, quelque peu atténué par le fait qu'elle n'ait toujours pas croisé le regard de James.

Elle ne savait pourquoi tout cela la rendait si mal à l'aise, lui avait été plutôt honnête avec elle, à demi-mot mais elle avait compris, et elle avait plus de mal. Tout ça était nouveau et perturbant et elle avait à moitié l'impression que quelqu'un allait surgir dans un coin et se moquer d'elle et qu'elle serait ridiculisée. Les choses semblaient bien plus faciles dans les romans qu'elle lisait à longueur de journée, bien plus facile que lorsqu'elle même devait faire face à ce genre de situation. Mais si James avait été honnête avec elle, elle n'avait pas le droit de se défiler, non ? Même si c'était tentant, par esprit de conservation, par excès de prudence. Machinalement, elle saisit entre ses doigts le médaillon qui ornait son cou et le fit tourner entre son index et son pouce, avant de prendre une brève respiration.

- Je ne le fais pas que pour ça. Je ne le fais pas pour ça, corrigea-t-elle d'une voix basse. Parce que ma première idée, après ce qui s'est passé, c'était de mettre fin à tout ça, pas de... sortir avec toi.

Lâchant son médaillon qui retomba au creux de son cou, elle finit par relever les yeux vers James - elle était très forte pour ne pas regarder les gens en face - glissant ses bras autour de son cou et lui adressant un léger sourire contenu mais sincère.

- Ce choix-là, c'est pour autre chose. Je ne pourrais pas te dire vraiment quoi, expliqua-t-elle honnêtement, mais... Je sais que j'en ai envie, conclut-elle un peu laborieusement, les joues un peu roses.

Se hissant sur la pointe des pieds pour illustrer ses propos, elle attira quelque peu James à elle avant de l'embrasser une nouvelle fois, retombant dans un domaine qu'ils maîtrisaient décidément bien mieux, faisant fi des bruits de couloir qui parvenaient jusqu'à eux. Pour tout avouer, cela lui avait fortement manqué durant ces deux semaines et elle ne se lassait pas du fait de pouvoir recommencer librement.

"Très rarement, alors." fit remarquer James lorsque Marlene affirma qu'elle l'appelait par son prénom de temps en temps. Il était "Carter" pour elle, dès qu'il l'énervait, dès qu'il faisait de l'humour, dès qu'elle lui faisait une remarque narquoise, et même parfois lorsqu'ils avaient des moments un peu plus tendres. Donc, en résumé, il était toujours "Carter." Mais en soit, il ne s'en plaignait pas - il aimait juste taquiner la jeune fille.

A vrai dire, faire de l'humour dans cette situation lui semblait être une excellente idée tant il ne savait pas quoi penser. Il avait dit ce qu'il ressentait à Marlene, mais les motivations de la jeune fille lui paraissaient encore tellement floues, qu'il avait peur d'être... Eh bien, d'être déçu. C'était sûrement stupide, mais la situation était tant déstabilisante. Marlene, après avoir l'évité pendant deux semaines, sortait avec lui. Il y avait de quoi se poser des questions, non ? Et, il connaissait le côté romantique et traditionnel de la jeune fille : c'était à se demander si elle ne restait pas avec lui juste parce que cela lui semblait approprié avec la nuit qu'ils avaient passé ensemble... Fronçant les sourcils, James préféra chasser ces pensées d'un mouvement de tête, et se concentrer sur Marlene.

"Certes." approuva James avec un petit sourire en coin lorsque la jeune fille affirma qu'il ne lui demandait pas de l'épouser. Heureusement, en même temps, songea-t-il. Leur relation était déjà suffisamment peu "conventionnelle" comme ça !

Décidant de garder le silence, James croisa les bras et observa Marlene avec attention. C'était étrange, tout de même, il était bien forcé de le reconnaître. Quelques mois plus tôt, il jurait à tout le monde que la Serpentard était une individue de la pire espèce et que faire ses rondes avec elle relevait de la torture pure et simple. Puis, il y avait eu leur accord, leurs baisers. Puis, il y avait eu ce moment, dans la salle de classe vide. Et maintenant ça. Et lui en avait fallu du temps, et des longues réflexions, pour que James se rende compte qu'elle lui plaisait ! Il s'était torturé les méninges des jours et des jours, et puis, il avait dû se rendre à l'évidence. Marlene lui plaisait, et c'était pour ça qu'il retenait autant de choses sur elle. C'était pour ça qu'il avait cette envie de la voir, constamment. C'était pour ça que leurs baisers de lui suffisaient pas - plus.

Et les paroles de Marlene le soulagèrent d'un poids énorme. Il lui adressa un sourire lorsqu'il croisa son regard et hocha la tête. Elle le faisait parce qu'elle en avait envie, et non parce qu'elle s'y sentait obligée. C'était sûrement la plus grande crainte de James, et il était heureux qu'elle disparaisse. Glissant ses mains sur la taille de la jeune fille, il répondit à son baiser, sans se préoccuper de ce qu'il pouvait bien se passer à l'extérieur de la salle. C'était agréable, tiens, de pouvoir embrasser Marlene sans avoir la crainte d'être surpris. James finit par se détacher d'elle, et replaça une mèche de ses cheveux derrière son oreille.

"Je suis heureux qu'on ait réussi à... se dire tout ça." avoua-t-il d'une voix peu assurée, mais sincère. "Vraiment." Il laissa passer un petit moment de silence, avant de reprendre, un sourire malicieux aux lèvres : "Même s'il est hors de question que j'agisse comme Feodor dans les Hauts de Hurle-Lune..."

Il lui faudrait du temps pour apprivoiser la situation, Marlene le savait. Les choses était étranges, empruntes d'une certaine distance et encore un peu inconfortables. Il faudrait qu'elle se fasse à l'idée que James et elle sortaient désormais ensemble et même en pensée, c'était vraiment perturbant. Il fallait bien avouer aussi qu'ils n'avaient pas vraiment fait les choses dans l'ordre, ni comme il le fallait. Mais dans le fond, était-ce vraiment important ? Certes les choses ne s'étaient pas déroulées comme elle en avait rêvé mais après tout, elle n'aurait jamais pu parier sur James Carter si on lui avait demandé. Et malgré tout cela, malgré tous ces éléments là, elle avait juste très envie de sourire. L'idée de sortir avec James, d'avoir clarifié leur relation et de continuer de se voir la rendait étonnamment heureuse. Les choses avaient été si compliquées ces deux dernières semaines, toute cette histoire lui avait pesé sur le cœur pendant des jours et des jours et voilà que tout se réglait d'une manière qu'elle s'était interdit d'espérer.

- Moi aussi, souffla-t-elle en réponse quand James lui affirma qu'ils étaient heureux qu'ils aient réussi à parler, même si cela avait été un peu laborieux. La communication n'était pas vraiment leur fort, cela ne l'avait jamais été et ne le serait sûrement jamais.

Elle ne put retenir un rire lorsqu'il affirma qu'il n'agirait jamais comme Feodor dans les Hauts de Hurlelune et haussa un sourcil circonspect tandis qu'un sourire narquois naissait sur ses lèvres.

- Même si tu le voulais, tu n'y arriverais pas, répliqua-t-elle en posant ses mains en arrière sur la table. Mais c'est bien de se berçer d'illusions, parfois...

Après tout, ce n'était pas parce qu'ils sortaient ensemble qu'ils allaient changer les bonnes vieilles habitudes, n'est-ce pas ? Et puis après tout... C'était leur jeu préféré.