[JR] Comme chien et chat [Kathrina & Ahren]

Il y avait des choses qui ne changeaient pas. Kathrina avait un moment naïvement cru que les bouleversements dans leur famille la rapprocherait de son jumeau, mais force était de constater que, quelques mois plus tard, l’entraide qui avait commencé à naître entre eux s’était rapidement volatilisée. Si encore ils commençaient par se dire les choses… Kathrina avait un peu honte, quelque part, de cacher sciemment à son frère les derniers changements dans sa vie. Mais que pouvait-elle faire d’autre ? Elle était fatiguée que leurs seuls échanges soient des querelles, qu’Ahren n’intervienne dans sa vie que lorsqu’elle faisait quelque chose qui lui déplaisait. Kathrina aspirait à plus d’indépendance, ces derniers temps, chose nouvelle pour elle qui avait toujours vécu dans l’ombre de ses frères. Elle se sentait changer, devenir plus forte… Paradoxalement à Ahren qui semblait dépérir, ces derniers temps.

Kathrina le sentait se renfermer comme une coquille, encore plus qu’avant, si c’était possible. Dans ces circonstances, elle hésitait encore plus à lui avouer qu’elle sortait avec celui qu’il considérait comme son rival. Malheureusement, à force de repousser l’échéance, elle finissait par arriver sans prévenir. Kathrina ne fut pas surprise, plutôt un peu agacée du ton que prit Ahren pour lui adresser la parole. Mise au pied du mur, mais malgré tout certaine de son bon droit, elle tâcha de ne rien laisser paraître. Tout juste elle eut l’air un peu suspicieuse dans le regard qu’elle posa sur lui.  Elle préférait attendre de voir sa réaction avant de donner des détails.

« C’est… la vérité » commença t-elle prudemment.

Kathrina s’attendait à ce qu’Ahren soit en colère, c’était d’ailleurs pour ça qu’elle avait préféré éviter de lui en parler. Elle s’attendait à ce qu’il accueille mal la nouvelle. Pas à ce qu’il déverse une telle haine sur elle, et des mots si blessants.

Quelques secondes, elle resta clouée sur place. Comment ? Comment Ahren pouvait-il lui dire cela ? Comment pouvait-il la regarder si méchamment ? Elle en aurait pleuré, si elle n’en brûlait pas de rage. Il était complètement injuste avec elle. Certes, elle n’aurait pas dû lui cacher sa relation avec Andrew, mais de là à l’accuser de vouloir lui faire du mal… Profondément offusquée et blessée, Kathrina protesta :

« Mais tu… Tu es complètement taré ! Ca ne t’a pas traversé l’esprit que c’était justement parce que je savais que tu réagirais mal que je ne t’en ai pas parlé ? Et qu’accessoirement, j’en ai assez que tu cherches à contrôler ma vie ? Tu m’as déjà fait le coup l’an dernier avec Ythel, au cas où tu as la mémoire courte. »

En d’autres termes, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. S’il avait une autre attitude envers elle, elle se serait sans doute comportée différemment aussi. Le même sourire ironique que celui de son jumeau tordit ses lèvres, mais c’était nerveux. Elle tremblait tellement que ce ne pouvait être que nerveux.

« Tu… Tu as vraiment un sacré culot de me dire ça, Ahren. C’est dingue, c’est toujours les autres qui sont responsables, avec toi. Pas une seconde, tu remets en question ton attitude. »

C’était trop. A l’instant où Ahren évoqua Ulrich, Kathrina eut envie de le gifler. La seule chose qui la retint fut la surprise, l’incrédulité face à la réaction complètement irrationnelle de son frère.

« Bon sang, mais tout ne tourne pas autour de toi ! Qu’est-ce que tu crois ? Que me rapprocher d’Andrew faisait partie d’un plan machiavélique pour te faire du mal ? Je… »

Sa voix s’étrangla, dans un début de sanglot, qu’elle s’empêcha de laisser couler. Non, elle ne pleurerait pas, pas cette fois. Elle s’était promis d’être plus forte, elle commençait à l’être. Ses amis l’aidaient, Andrew l’aidait. Pas Ahren. Où était-il, cet hiver, quand elle se laissait dépérir dans le château à pleurer toutes les larmes de son corps après la mort d’Ulrich ? A batifoler avec Aby, dans son souvenir. A rester silencieux face à sa détresse, sans doute incapable de compatir, étant donné la haine qui l’avait lié à Ulrich. Il n’empêchait qu’il n’avait pas fait cet effort, pour elle. Et maintenant, il osait lui renvoyer cela à la figure ? Cela ne se passerait pas comme ça. Elle était capable de le blesser, elle aussi. Volontairement, s’entendait. Elle ravala ses larmes, sa voix devint froide :

« Andrew est quelqu’un de gentil, de bien plus posé et compréhensif que toi. Il a toujours été là quand j’avais besoin de lui. Et sa compagnie est mille fois plus agréable que la tienne. Alors, oui, c’est mon genre et n’importe qui avec un peu de bon sens le trouverait plus sympathique que toi. »

Ses paroles auraient pu très bien être le produit de la colère. Mais à voir la méchanceté pure sur les traits de son jumeau, il pensait réellement ce qu’il disait, et c’était le plus offensant.

Que croyait-il ? Qu’elle était idiote, aveugle ? Qu’elle ne s’était jamais doutée qu’Andrew avait éprouvé quelque chose pour Abigaïl ? Elle n’en avait jamais parlé avec lui, mais son comportement avec la Serdaigle pendant le début de l’année avait éveillé les soupçons de plus d’un. Et alors ? Ahren croyait-il que tout le monde était comme lui ? Incapable de passer à autre chose ?

Les sous-entendus extrêmement insultants envers Andrew à la fin de sa prise de paroles furent la goutte de trop. Elle allait faire ce qu’elle avait toujours refusé de faire entre Ahren et Andrew : prendre parti. La situation était devenue différente. Elle avait appris à connaître Andrew et à l’apprécier, tandis qu’Ahren… Chaque jour, elle avait l’impression de le méconnaître un peu plus. C’était un gouffre d’incompréhension qui la séparait de son jumeau, cela lui faisait mal d’en être consciente, mais elle n’avait plus la patience comme avant de faire des efforts. Son regard brillait des larmes qu’elle contenait, mais c’était de la pure rage, pas de la faiblesse.

« Tu es horrible de me dire ça. Je ne comprends même pas comment tu peux… Tu ne peux pas agir comme un frère le ferait pour sa soeur et être simplement heureux pour moi, au lieu de te regarder le nombril ? Andrew m’apprécie sincèrement. Il n’y a que toi qui est aussi… méchant et calculateur pour t’imaginer de tels scénarios... Bon sang, Ahren, mais c’est incroyable d’être aussi aigri ! »

Kathrina sentit que ses mots venaient de marquer Ahren, plus profondément qu’elle ne l’aurait pensé. Elle sentit à vrai dire qu’elle venait de prononcer des paroles qui allaient changer quelque chose entre eux, parce que pour une fois, elle avait livré toute l’amertume qu’elle ressentait à son égard, au lieu de ne la laisser entrevoir que par quelques piques occasionnelles. Aussi ne fut-elle pas surprise de la réaction de rejet qu’il finit par avoir, même si cela ne lui fit pas moins mal.

Elle ne chercha pas à le retenir. A cet instant, elle ressentait une espèce de mépris mêlé de colère qu’elle n’avait jamais éprouvé pour son frère. Elle était lassée du non-sens de leur relation. Peut-être que, quelque part, le décès d’Ulrich avait changé quelque chose dans sa personnalité, et qu’elle n’acceptait plus de se faire blesser sans réagir. Peut-être qu’elle devenait plus égoïste, aussi. Au début de l’année, elle avait ressenti le besoin de s’accrocher à son jumeau comme à sa dernière bouée de sauvetage, mais ce n’était pas lui qui l’avait empêchée de couler. Elle était convaincue qu’elle pouvait se passer du « soutien » d’Ahren, maintenant qu’elle avait d’autres personnes pour le faire à sa place. Que voulait-il qu’elle lui dise ? Très bien, tant pis, bon vent.

Elle ne se rendait en vérité pas tout à fait compte d’à quel point Ahren était sérieux.

FIN DU RP