L’appartement de son meilleur ami fut le premier lieu auquel pensa Roy, au moment où il se trouva dans la situation de devoir fuir Bristol. Le seul lieu, même. De toutes ses connaissances hors de la ville, il n’y avait que Klemens à qu’il faisait réellement confiance. Les autres candidats potentiels faisaient partie de sa famille, mais ils étaient d’emblée exclus. Roy ne se voyait décidément pas débarquer chez l’un de ses frères, à moitié en sang. Il faudrait s’expliquer, se justifier, inquiéter beaucoup de personnes inutilement. Klemens était le meilleur choix, le plus à même de comprendre et de réagir comme il le fallait, puisqu’il était celui qui le connaissait le mieux, en quelque sorte. Roy avait volontairement tenu sa famille à l’écart de ses activités. Ils croyaient connaître ce qu’il trafiquait, mais il n’en était rien, en vérité. Roy avait toujours refusé d’en parler, éludé les questions, répondu par oui quand on lui demandait si tout allait bien. C’était un manque, peut-être, se dit-il, au moment où il se posa la question de vers qui il pourrait aller. Pour la première fois, Roy ressentit un douloureux pincement au coeur, en s’apercevant qu’il ne pouvait pas compter sur sa famille dans un moment si catastrophique… et qu’il en était le seul responsable.

Il assumait, cependant, il avait toujours assumé ses décisions. Il avançait, comme il le disait toujours. Klemens serait le plus à même de comprendre, Roy en était certain. Après tout, il avait travaillé avec lui, il savait ce que c’était. Il n’hésita donc pas longtemps, au moment de quitter Alexandra Fitz et de jeter la poudre de Cheminette dans le feu.

Roy sortit donc couvert de suie de la cheminée de son meilleur ami, à la suite de Jayce. Il épousseta machinalement son épaule, mais cela ne changea pas grand-chose à l’état déplorable dans lequel il était déjà. Quand tout sourire ou rictus quittait le visage du trafiquant réputé joueur, c’était soit qu’il se trouvait en face d’une personne qu’il haïssait cordialement, soit que la situation était assez grave pour que la partie la plus dure de sa personnalité ressorte. Face à la difficulté, Roy avait tendance à se barricader derrière un mur de froideur, et surtout… de rester silencieux. Deux réactions que la plupart diraient qu’elles ne « lui ressemblaient pas », les autres, les avertis qui le connaissaient réellement, tireraient une interprétation toute simple : quelque chose de grave était arrivé.

Aussi, quand Klemens voulut savoir ce qu’il s’était passé, le visage et les lèvres de Roy restèrent obstinément fermées. Mais la façon dont il regardait le loup, et même, la simple observation de son état portaient des messages suffisamment clairs. Un mot, un seul parvint à franchir ses lèvres, lorsque son ami leur proposa un remontant :

« Ouais. »

Puis il s’assit, ou plutôt s’affala sur le canapé, en rejetant sa tête en arrière, yeux fermés. Il savait qu’il avait l’air pathétique avec ses vêtements déchirés, mais prendre une douche était tellement le dernier de ses soucis. Il avait besoin d’un verre, d’abord. En apparence, il avait l’air complètement impavide, intérieurement, c’était l’effroi total. Roy n’arrivait pas à réaliser. Il était littéralement incapable de mettre de l’ordre dans ses idées. Des flashs lui revenaient, des angoisses soudaines, des détails qu’il revoyait sous un autre angle, des questions qui restaient sans réponse… Griggs pouvait bien crever, mais les autres ? Et s’il n’y avait pas eu qu’Eden dans les lieux, et s’il y avait eu une autre personne à laquelle il tenait ? Qu’était-il arrivé à Avner, à ses autres amis ? A Juliana, au Triton Ardent ? Et si on le balançait, et si dès demain, les Aurors venaient le chercher ? La voix hésitante de Jayce le tira momentanément de ses pensées désordonnées :

« Désolé de débarquer comme ça, mec. C’était… compliqué de te prévenir. On sort d’un truc de fou, c’est la pagaille à Bristol… Enfin… » Il posa un bref regard sur Roy, mais celui-ci gardait le sien fixé sur un coin de la pièce, autrement dit, partout sauf sur ses deux amis. Jayce soupira, passa une main nerveuse dans sa touffe de cheveux. Lui-même, torturé par ses propres inquiétudes, se mit à penser à voix haute. « Heureusement que j’avais dit à Tara de dormir avec les filles chez son amie à Londres, ce soir, par précaution… J’vais quand même lui envoyer un Patronus au cas où. »

Il ne toucha même pas à son verre, se leva pour trouver une pièce plus au calme. Quand Roy de nature bavarde se murait dans un mutisme inquiétant, Jayce, connu pour son flegme, devenait impatient et nerveux. Il laissa derrière lui le silence le plus total entre les deux hommes. Mais nul doute qu’il n’allait pas durer longtemps, Klemens n’avait jamais été patient, ni délicat.

De la même façon que Klemens, quelques mois plus tôt, c’était dans la compagnie de son verre de whisky que Roy se complaisait, plus que dans le regard inquiet de son meilleur ami. Il aurait préféré qu’on le laisse réfléchir seul, il n’aimait pas que l'on vienne forcer le contact quand il mettait volontairement une distance. Surtout, il détestait l’idée qu’on le croit vulnérable. Aussi, quand Klemens s’approcha de lui et lui sortit son discours qui se voulait compatissant, Roy se retourna brusquement, en se levant du canapé, comme s’il ne supportait la proximité du loup.

« N’importe quoi, putain, t’es sérieux ? J’ai une gueule à pleurer ? C’est bon, je suis pas une fillette non plus ! »

Pourquoi sentait-il tous ses membres crispés par la peur, alors ? Pourquoi son coeur ne voulait pas cesser de battre avec désordre, alors qu’il n’était plus en danger ? Klemens avait vu juste, il était en train de prendre conscience de toute l’horreur qu’il venait de vivre, à retardement. Sur le coup, l’adrénaline ne l’avait rendu attentif qu’à ce qui lui était nécessaire pour survivre… et l’avait fait prendre quelques mauvaises décisions. Roy n’en était pas encore à regretter ses gestes. Il n’avait pas encore le recul nécessaire, et c’était ce qui l’agaçait le plus finalement. Ne pas réussir à prendre du recul. Se laisser complètement submerger par des émotions violentes, trop violentes pour qu’il ne soit pas en train de bouillir comme une cocotte minute qui risquait à tout moment d’exploser.  

Et elle explosa. D’un revers de la main qui signa la perte de toute forme de contrôle, Roy envoya son verre se briser sur le parquet.

« Parler ? Mais parler de quoi ? Je l’ouvre pas déjà assez ma gueule ? Comme si ça allait changer quelque chose ! C’est toi qui devrais me dire ce qu’il faut que je fasse pour que vous arrêtiez d’être cons ! C’était pas assez clair, là ? « Foutez-moi la paix », faut que je l’écrive sur mon front ? Vous avez tous décidé de me faire chier aujourd’hui, c’est ça ? Mais allez vous faire foutre ! »

Après l’orgueil, après les femmes, le plus gros problème de Roy était sa colère. Dans son enfance, il avait piqué des crises mémorables, faisant un caprice de tout ce qui le contrariait. En grandissant, il avait appris à se maîtriser, à utiliser les mots pour se faire entendre, la négociation. Il avait appris la patience, en somme. Mais sa profonde nature n’avait pas disparu pour autant. Si Klemens croyait avoir déjà vu Roy en colère, il s’était trompé. Il ne l’avait encore jamais vu en proie à ses fureurs les plus noires, les plus contenues. Cette soirée était décidément en train de faire ressortir ce qu’il y avait de plus sombre en lui.

Le problème était qu’il n’était plus cohérent. Il était en train de reporter sur son meilleur ami toute sa haine qu’il avait trop nourri dans son coin envers des hommes comme Griggs, les vrais responsables, ceux qui s’étaient vraiment joué de ses nerfs. Klemens n’avait rien à voir là-dedans, il ne cherchait qu’à le soutenir. Il avait la réaction que lui-même aurait eue si les rôles avaient été inversés, Roy le savait mais… Toute raison semblait avoir quitté sa cervelle. Il devait lui en rester quelques grains, toutefois. Le poing qu’il allait envoyer s’encastrer dans un mur, il le retint au dernier moment, comme un dernier sursaut de lucidité. Que faisait-il ? Il n’était pas venu ici pour s’engueuler avec son meilleur ami, non, bien au contraire. Il était venu chercher son aide. Et il était en train de piétiner allègrement celle qu’il lui proposait.

Roy laissa retomber son poing, d’un geste lent, pas très conscient. Il referma les lèvres, pour retenir tous les mots qui lui brûlaient encore la langue et que Klemens ne méritait pas. Son visage déformé par la fureur retrouva ses traits plus lisses, crispés cette fois-ci par un désarroi qui le fit détourner le regard.

« Laisse tomber. Désolé. C’est bon, ça va. Juste… Laisse-moi récupérer. Ou je vais dire des choses que je vais regretter. »

Il avait déjà commencé à le faire. Jayce revint à ce moment-là, ou peut-être était-il déjà revenu avant, il n’en savait rien, Roy n’avait pas vu. A voir son expression figée, il avait l’air d’avoir tout entendu, en tout cas. Vu comme il avait crié, le contraire aurait été étonnant. Le regard toujours noir, Roy déclara :

« Je vais prendre une douche. »

Il ne laissa pas vraiment le temps à ses deux amis de répondre, Roy traversa le salon d’un pas vif, pour s’enfermer dans la salle de bain, après un claquement de porte. Il était hors de question qu’il se livre à nouveau à ce genre de spectacle pitoyable. Il avait besoin d’une coupure. L’eau froide lui remettrait peut-être les idées en place, en tout cas, il l’espérait.

Jayce Bowers, 29 ans, trafiquant, associé de Roy

Lorsque son écureuil argenté s’envola porter un message à sa famille, Jayce abaissa sa baguette, non sans un petit soupir. De nature prudente, il avait préféré écarter sa femme et ses filles de la ville dès qu’il avait su qu’une rencontre entre chefs de gangs auraient lieu dans l’Avenue des Douze Chênes. Elle était sensée se dérouler pacifiquement, mais on ne savait jamais. Jayce s’attendait à des débordements éventuels. Il s’y était attendu mais… pas de cette ampleur. Il ne réalisait pas encore tout à fait. Cependant, Jayce était un homme avisé, qui savait toujours où placer ses priorités. Pour le moment, s’assurer que sa famille allait bien. A présent que c’était fait, s’assurer que ses amis allaient bien, et Roy le premier. Il lui faudrait récupérer physiquement, bien sûr, mais ce n’était plus tellement sa blessure à l’épaule qui l’inquiétait. Il connaissait son associé, son mutisme était de mauvais augure, tout comme le regard qu’il gardait obstinément dur et froid, depuis qu’il avait quitté Bristol.

Avec un soupir, Jayce revenait vers le salon, lorsque la voix de Roy explosa, avec une violence rare. Il échangea un bref regard avec Klemens, comprit à son désarroi que cette crise de rage n’avait aucun fondement sensé, si ce n’était les nerfs de leur ami qui lâchaient. Jayce savait que tenter de raisonner Roy maintenant ne donnerait aucun résultat probant. Il fallait le laisser s’isoler, mettre de l’ordre dans ses idées, au moins, apaiser sa colère. Aussi, il s’écarta d’un pas pour le laisser filer vers la salle de bain, sans ajouter le moindre commentaire. Le silence retomba, étrange, après une telle violence sonore.

Il revint vers Klemens pour l’aider à débarrasser les bouts de verre brisés. Il ne répondit pas tout de suite à la question qu’il lui posa, légitime. Bien évidemment. C’était sur ses épaules que reposait la charge de tout raconter. Roy n’était pas vraiment en état de le faire. C’était toujours sur Jayce Bowers que l’on comptait pour expliquer les choses, apaiser les situations, sa placidité visible dans sa façon de parler, de se tenir, en faisait un homme en qui on avait naturellement envie de placer sa confiance. Parfois, cela lui pesait. Parfois, il aurait aimé ne pas être celui sur qui on déchargeait toutes les responsabilités.

Klemens avait le droit de savoir, néanmoins. Il fallait qu’il sache, même. Alors il prit la parole, après avoir pris place sur le canapé, de sa voix bien plus posée que celle de son associé :

« C’était… complètement insensé. Tu sais, c’est chaud en ce moment sur la Voie, enfin, t’en as sûrement entendu parler, ou Roy a du te raconter… Bref. On est tombés dans une embuscade, en plein Bristol, juste à côté de l’Avenue des Douze Chênes. J’étais pas avec Roy, à ce moment là, je protégeais notre boss. Et… »

Jayce se mit à raconter les enjeux de la rencontre entre les deux chefs de gangs, une rencontre qui avait tourné au massacre. Il fournit de nombreux détails à Klemens, sur le début des hostilités, la panique au restaurant, qui s’était déportée dans la rue, la pagaille que les sharacks avaient volontairement déclenché, afin de faire diversion, les Aurors qui étaient arrivés entre temps, et la débâcle, générale, totale. Il avait besoin d’en parler. Il avait besoin de mettre des mots sur tout ce qu’il avait vu, cela l’aidait à prendre un peu de recul. Lorsqu’il arriva enfin au moment où il avait retrouvé Roy, près de la place pavée, le flot ininterrompu de paroles du trafiquant fut ralenti, par une certaine hésitation. Non pas qu’il ne faisait pas confiance à Klemens, il savait la profonde amitié qui le liait à Roy, mais c’était justement ce qui le faisait hésiter. Pouvait-il tout dire, au risque de choquer Klemens ? Au risque de changer peut-être à jamais l’image qu’il avait d’eux ? Il amorça son discours malgré tout, prudemment :

« Donc… Au moment où je suis arrivé sur la place, Roy s’est pris un sortilège en pleine tête. J’ai rien pu faire, le mec est arrivé trop vite, il hurlait des trucs incompréhensibles, il parlait d’une femme, je crois, morte, il avait l’air d’accuser Roy. Il… Il s’est pris un Doloris. J’ai vraiment rien pu faire, Klem. C’était… Il ferma les yeux quelques secondes, décida de ne pas poursuivre sa phrase. Klemens avait sans doute compris qu’il n’y avait pas vraiment de mot pour décrire ce qu’un homme pouvait ressentir, quand son ami se tordait de douleur au sol, juste sous ses yeux, sans qu’il ne puisse rien y faire. Un Auror a assommé ce salaud. J’allais relever Roy, mais je me suis fait attaquer entre temps, moi aussi. Et quand je suis revenu vers lui, il était… »

La suite de la phrase ne parvint pas à sortir, Jayce se demandait encore quels mots il allait utiliser. Il pouvait arrêter son récit, là. Dire que Roy s’était relevé, blessé à l’épaule, qu’ils avaient cherché un abri puis étaient parvenus à fuir, par Cheminette. Ces faits suffiraient à Klemens pour comprendre la situation. Le problème était que Jayce avait un mauvais pressentiment concernant leur ami commun. Il avait la sensation trouble, mais bien présente, que Roy était en train de perdre le contrôle, que pour une fois, il ne pourrait pas tout gérer seul comme il avait trop pris l’habitude de le faire. Qu’il allait avoir besoin d’aide, en somme. Jayce ne pouvait pas tout prendre sur ses épaules, surtout, il n’entretenait pas avec Roy la même amitié si particulière qui liait le loup et le trafiquant. Klemens pouvait l’aider, autrement que lui-même pourrait le faire, il en était certain. Encore fallait-il le mettre au courant de certaines choses…

Jayce baissa les yeux vers son verre, conservant le silence quelques secondes encore pour se laisser le temps de réfléchir. Il savait que Klemens était sincère quand il affirmait qu’il ne souhaitait qu’aider Roy. Leurs six longues années d’amitié, parsemées d’épreuves, avaient abouti à quelque chose de très solide, en tout cas, c’était l’impression que Jayce en avait. Même lui, qui connaissait Roy depuis Poudlard, n’avait pas atteint ce niveau de complicité avec le trafiquant, tout simplement parce qu’il n’avait pas traversé la même chose avec lui. Il savait que Klemens avait connu énormément de galères dans sa vie, que Roy lui avait toujours apporté de l’aide. Pour une fois, les rôles étaient inversés, et même si Jayce était certain que Roy n’apprécierait pas que l’on s’inquiète pour lui, il était aussi convaincu qu’il le méritait.

Poussant un soupir, il but une longue rasade de son verre de whisky, avant de se décider à reprendre. Il s’assura toutefois que leur ami n’était pas encore revenu de sa salle de bains, d’un coup d’oeil derrière Klemens, puis poursuivit, le ton grave :

« A ce moment-là, il avait pointé sa baguette sur ce gars. Et il l’a tué. »

Poser les mots sur ce qu’il avait vu rendait la chose tellement plus réelle, plus grave qu’au moment où cela s’était passé. Dans la folie et l’empressement pour se sortir de là, Jayce ne s’y était pas attardé. Il avait eu d’autres priorités sur le coup. A présent, il revoyait son ami, debout dans les décombres, décidé à assassiner un homme à terre. Et il prenait pleinement conscience de tout ce que cet acte impliquait. Sa main serra un peu plus son verre, si fort qu’elle en tremblait.

« Il était dans un état second. Je l’ai jamais vu comme ça. Enfin, tu connais Roy, il fait plein de conneries mais… Pas ça. »

Roy mentait, trichait, mais mettre froidement fin à la vie d’un homme ? Il n’avait jamais été jusque là, et Jayce non plus. Dans leurs affaires, ils avaient toujours fait en sorte d’éviter d'en arriver à de telles extrémités, parce qu’ils savaient qu’une fois qu’ils se laissaient attraper par la violence, c’était dans une spirale de vengeance qu’ils plongeaient. Piteux, Jayce finit par déclarer :

« C’était pas lui, je te jure, c’était flippant, je l’ai pas reconnu. »

Il était difficile de mettre des mots sur ce qu’il avait vu, mais s’il devait résumer, c’était de cette façon. Roy était devenu quelqu’un d’autre, l’espace d’un instant.

« Je te le dis parce que lui ne te le dira pas, c’est sûr. Le connaissant, il va complètement éviter le sujet dans les prochains jours. T’as bien vu, là, dit-il avec un petit geste de la main, comme pour évoquer la crise de colère dont ils avaient été témoins tous les deux. Mais on peut pas le laisser comme ça, hein ? »

Jayce n’était pas toujours sûr de ses décisions, contrairement à ce qu’il tentait de faire croire, pour une fois, sa carapace laissait voir ses failles. S’il en parlait avec Klemens, c’était aussi parce qu’il avait besoin de son aide.

Jayce ne quittait pas le loup des yeux. Il avait toujours été un homme très observateur, mais il n’avait pas besoin de l’être pour voir que ses aveux l’avaient choqué. Il fallait s’y attendre. Cependant, il fut reconnaissant de voir qu’il ne se laissait pas submerger par son trouble. Ses intuitions étaient justes, Klemens était le genre d’homme qui était parfaitement capable d’assumer la situation et de ne pas laisser tomber son meilleur ami. Sa réponse fit hocher la tête d’approbation à Jayce. Il était d’accord. Laisser Roy s’enfermer n’était pas une solution. Il fallait s’imposer s’il le fallait, mais ne surtout pas le laisser gérer tout seul.

« C’est exactement ce que je crains, confirma Jayce en enfouissant brièvement la tête entre ses mains, quand Klem conclut. Tu sais comment il est fier. Il n’est pas du genre à accepter de revenir sur ses actions. J’ai peur qu’il préfère se fermer complètement par… une espèce de mécanisme d’auto-défense. »

Cela ressemblerait bien à Roy de croire qu’il devait s’endurcir, encore et toujours, pour mieux faire face à ses problèmes. Ils ne pouvaient faire que des suppositions pour le moment, bien sûr. Jayce espérait toujours qu’il se trompait. Il soupira avant de poursuivre :

« Je le précise au cas où, mais je compte sur ta discrétion, bien sûr. Tu sais comment il est avec les gens qui connaissent ses problèmes, il a tendance à les repousser. Donc c’est mieux que tu fasses… comme si tu ne savais pas, conclut-il. Il acceptera plus facilement ton soutien. »

Il allait ajouter quelque chose, mais la voix du trafiquant les interrompit à ce moment-là, appelant Klemens pour lui demander des affaires propres. Jayce échangea un regard entendu avec le loup. Ils n’en parlaient plus, en tout cas, pas tant que Roy était avec eux. Mais ils avaient passé une sorte de pacte silencieux entre eux, désormais. Roy ne serait pas seul, en tout cas, ils feraient tout pour.

Lorsqu’il sortit de la salle de bains avec des vêtements propres sur le dos, Roy arborait une mine beaucoup moins agressive. L’eau chaude lui avait permis de se détendre relativement, même si elle n’avait pas fait disparaître ses soucis pour autant. Cela se lisait d’ailleurs sur son visage, volontairement fermé, et surtout… fatigué.

Il fut réceptif à l’ambiance légèrement tendue qui l’accueillit dans le salon. Jayce et Klem avaient sûrement discuté pendant son absence, mais il n’avait pas la moindre envie de savoir ce qu’ils s’étaient dit. A cet instant, Roy n’aspirait à rien d’autre que s’allonger et oublier un peu. Laisser les prises de têtes pour le lendemain.

« Ca va. » se contenta t-il de répondre, brièvement.

Il reposa la serviette qu’il avait utilisé pour frotter ses cheveux au moment où il s’affala sur le canapé, rejettant sa tête en arrière. Il fallait peut-être qu’il s’excuse pour son accès de colère de tout à l’heure, tiens. Il n’en avait pas envie. Egoïstement, il se disait que ses amis savaient comment il fonctionnait, et qu’ils étaient par conséquent conscients que sa fureur n’était pas réellement dirigée contre eux, sans qu’il n’ait besoin de l’expliciter. Il resta quelques minutes ainsi, plongé dans le silence, et d’ailleurs, aucun des hommes présents dans la pièce ne reprit la parole, avant que Roy ne finisse par le faire :

« Je peux squatter pour ce soir, Klem ? J’ai juste envie de piquer un somme, là. »

D’essayer, plutôt. Il savait que les images qui tournaient encore dans sa tête l’empêcheraient de trouver le sommeil facilement. Pour autant, il n’avait pas envie d’en parler. Il n’était pas encore prêt à mettre des mots sur la situation, demain, il pourrait la considérer avec plus de recul. Pour le moment, il préférait fermer les yeux et oublier, juste un peu. Il attendit donc que Klemens lui désigne l’endroit où il pourrait dormir. Jayce déclara au même moment qu’il allait retrouver sa famille. L’appartement fut bientôt plongé dans le silence et la pénombre, et si Roy resta parfaitement immobile dans son lit de fortune, ses sentiments confus et ses pensées restèrent en ébullition un bon moment avant qu’il ne finisse par fermer les yeux.

FIN DU RP