The Sound of Silence [Irvana]

Arroser, Retirer les fleurs fanées, désherber les pots…Une tombe nécessitait de l’entretien et les enfants Whitaker s’étaient tout naturellement organisés pour s’occuper de celle de Bradley. Si Sue et Judy montaient au cimetière plusieurs fois par semaine, Irving s’y rendait assez rarement.  Il faut dire que ses sœurs étaient de bien meilleures jardinières, certes, mais elles ressentaient aussi le besoin de se recueillir sur la tombe de leur père, chose qu’Irving ne faisait pas particulièrement. A vrai dire, il n’aimait pas le cadre et les règles qui régissaient les lieux de mémoire ou les commémorations : Ne pas crier, ne pas rire, arborer une mine grave… Merlin, c’était déjà assez difficile de perdre un proche, alors pourquoi  s’encombrer de tout cela !
Et puis il n’avait pas besoin d’être ici pour penser à Bradley. Il retrouvait son père dans une multitude de petites choses au quotidien : L’odeur de la cire des balais, la vue des jardins potagers du Plat parfaitement entretenu derrière leur mur de brique, ou encore lorsqu’il entendait les vieux tubes des Magic Floyd que Bradley affectionnait.

Si cela n’avait été que de lui, il n’aurait jamais mis son père dans une boite sous terre ! Il l’aurait fait incinérer puis il aurait rependu ses cendres dans les endroits qu’il aimait bien : La forêt derrière le Mont, son jardin et même dans les pots de fleurs du « Café du Vivet » sur la Grand’Place ! Pas sûr que le cafetier aurait vu ça d’un bon œil mais Irving trouvait cette idée plaisante… Bradley encore au cœur de la Cité Nimbus !

D’ailleurs, c’est ce qu’il voulait pour lui-même. Pas de sépulture.  Juste un peu de poussière d’Irving balancée un peu partout, après que les médicomages aient récupéré ses organes encore exploitables, bien sûr… Autant en faire profiter les autres !

Oui, il y avait sérieusement réfléchi. Il faut dire que la mort de Danny l’avait particulièrement ébranlé. La jeunesse n’était pas un gage de vie éternelle, la fin pouvait arriver sans prévenir, aussi soudainement qu’un claquement de doigt. Sans que l’on ait le temps de formuler des dernières volontés.
L’enterrement de Danny avait été horrible. Horrible parce qu’Irving avait perdu un ami. Horrible parce qu’il avait eu l’impression que les propres parents du Poufsouffle ne le connaissaient même pas. La musique qu’ils avaient choisi pour la cérémonie s’apparentait davantage à du Celestina Moldubec qu’à du Bizarr’ Sisters. Cela pouvait paraitre anecdotique mais Irving trouvait cela plutôt révélateur. C’était tellement grotesque ! Aussi grotesque que de devoir rester silencieux sur la tombe de Bradley, lui qui aimait tant rire.

Irving poussa un soupir et se redressa. D’un mouvement de baguette il fit disparaitre le petit tas de feuilles mortes et de fleurs fanées puis il se recula pour admirer la tombe. C’est à ce moment là qu’il remarqua une silhouette non loin de lui. Juliana McNeil, tel un spectre immobile,  l’observait entre les sépultures.

Franchement surpris –il ne l’avait pas entendu arriver- Irving la scruta quelques secondes avant de lui faire un petit signe de la main pour la saluer. Il comprenait très bien qu’elle n’ait peut-être pas envie de lui parler. Toute la Cité Nimbus savait que Juliana vivait dorénavant à Bristol et si elle se trouvait ici aujourd’hui, c’était forcément qu’elle était venue se recueillir sur la tombe de son père. Si lui n’en éprouvait pas le besoin, ce n’était pas le cas de tout le monde. Il s’apprêtait donc à prendre congé lorsque la jeune femme s’approcha de lui, visiblement encline à la conversation.

« Ça va bien merci, répondit-il en souriant.  J’ui v’nu faire un peu d’ménage sur la tombe d’mon père, expliqua-t-il en indiquant d’un mouvement du menton la sépulture.

Il ne connaissait pas très bien Juliana mais il avait l’impression qu’elle était un peu troublée. Du moins, elle semblait plus gênée que la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Il faut dire qu’ici, il n’y avait pas de Mandragore et de Whisky Pur-feu pour les désinhiber…
Soucieux de mettre à l’aise la jeune femme et d’alimenter la conversation qui avait un peu de mal à démarrer, il décida de la prendre à témoin :

« Mes sœurs aiment bien quand les pots sont symétriques mais moi j’aime pas trop ça, expliqua-t-il en se tournant vers la tombe, c’est trop…carré. Ordonné. Ça m’plait pas, poursuivit-il en grimaçant, du coup j’ai fait des p’tits groupes, tu vois.  J’ai un peu tout mélangé... Qu’est-ce t’en penses ? demanda-t-il en grattant sa barbe naissante.

Il laissa planer un léger silence, observant son travail d’un air perplexe et ajouta :

« D’habitude la déco c’est pas trop mon truc… mais j’trouve qu’j’m’en sors pas trop mal en déco d’tombe… Mieux qu’en déco d’appart  en tout cas ! » Lança-t-il en riant.

Juliana était bien placée pour savoir que l’appartement d’Irving n’avait rien d’esthétique !

Manifestement très concernée par ses questionnements sur l’agencement de tombe, Juliana s’empara du problème et bougea quelques pots afin d’accorder davantage les couleurs. Irving la laissa faire et approuva finalement la nouvelle disposition d’un hochement de tête. C’était vrai que l’organisation était plus harmonieuse comme cela, jugea-t-il en croisant les bras sur son torse avant de laisser échapper un éclat de rire lorsque la jeune femme révéla qu’elle n’avait jamais été une as de la décoration ou du rangement  et que sa chambre s’apparentait  au Bloody Sunday. Quand on connaissait son histoire personnelle et les conditions du décès de son père, Irving jugeait plutôt admirable que Juliana puisse aborder les incidents du Chemin de Traverse avec autant de détachement.

« Vraiment ? T’es encore plus bordélique que moi alors, railla-t-il, si j’devais m’comparer à quelque chose, j’serai plutôt l’Attentat du London Eyes ou les commémorations du 2 mai qui partent en vrille à Poudlard… »

Il accorda un sourire à la jeune femme, heureux de la voir de si bonne humeur et si encline à plaisanter.  Irving savait que la tombe de John était située quelques allées plus loin et il se demandait si Juliana s’apprêtait à s’y rendre ou si elle en revenait. Quoiqu’il en soit, ils pouvaient bien prendre le temps de discuter quelques minutes.  En dépit de ses goûts musicaux déplorables,  il avait beaucoup apprécié la compagnie de la jeune femme leur de la soirée avec Klemens et il avait envie de faire plus ample connaissance avec elle.

« Merci pour tes conseils, finit-il par dire en attrapant sa veste qu’il avait posé par terre, tu sais dans quoi t’reconvertir si l’service ça paye plus ! » ajouta-t-il en enfilant son traditionnel sweat gris.
Il arrangea la capuche sur ses épaules et plongea les mains au fond de ses poches. C’était une belle journée mais le cimetière était plutôt ombragé et le soleil de la fin d’après-midi ne parvenait plus à réchauffer les environs.

« Experte en déco d’tombe. » lança-t-il avec un sourire amusé.

Juliana lui suggéra alors d’écrire une chanson sur ce concept et la réaction d’Irving ne se fit pas attendre :

« Oh bordel non ! J’ai jamais été un très bon parolier, expliqua-t-il, dans l’groupe qu’on avait à Poudlard avec les copains, on écrivait tous un peu mais le gros des paroles étaient trouvées par not’ bassiste. »

Pourtant, Irving avait essayé d’écrire quelques textes : Sur Nora, sans jamais la citer, sur son père, sur Danny  ou encore sur la Cité Nimbus. Tout ce qui lui causait une certaine forme de souffrance était irrémédiablement couché sur un parchemin. A chaud, il avait toujours l’impression que ses paroles étaient géniales puis il se relisait quelques heures plus tard, et là… Merlin, ce qu’il trouvait cela niais et ridicule ! Il n’avait jamais montré ses textes à qui que ce soit mais il avait l’impression que cela l’aidait à avancer. Poser des mots sur ce qu’il vivait lui permettait de faire le point sur son existence afin de mieux rebondir…

« Par contre j’me défends pas trop mal pour trouver des airs sympas, expliqua-t-il en triturant les graviers de l’allée du bout de sa basket, J’aime bien composer.»

Il haussa les épaules, soucieux de ne pas se vanter davantage, puis il reporta son attention sur la jeune fille avant d’enchainer : Et toi alors… T’as réfléchi à ma proposition ? »

Durant la soirée, Irving avait cru déceler un énorme potentiel rock chez Juliana. Il le lui avait dit d’ailleurs mais la jeune femme avait prit cela comme des paroles en l’air. Pourtant elle avait le sens du rythme et une voix éraillée tout à fait charmante. Le parfait équilibre entre musicalité et spontanéité ! En plus, Juliana dégageait quelque chose d’authentique et de frais qui n’était pas sans lui rappeler Juliet…

«  Ça t’dirais pas d’faire un peu d’musique ?... Juste des reprises guitare/voix… Tu t’débrouillais bien l’aut’soir. Vraiment ! » lança-t-il afin de lui remettre en mémoire ce qu’il lui avait proposé quelques jours plutôt.

Comme pour éluder la conversation, Juliana le complimenta justement sur l’ambiance de la soirée mais Irving n’avait pas dit son dernier mot…

« Non mais j’uis vraiment sérieux ! T’y a jamais pensé ? »

Il réajusta le col de sa veste tout en l’interrogeant du regard. S’il essuyait un non catégorique, il n’insisterait pas mais s’il la voyait hésiter, il ferait tout pour faire pencher la balance de son côté.

Un léger coup de vent balaya alors la tignasse du Gryffondor qui zippa sa fermeture éclair afin de ne pas attraper froid.

« On peut aussi discuter d’tout ça autour d’un café tu sais... Ou d’une bière. Ajouta-t-il en essayant de deviner à la course du soleil s’il était plutôt l’heure du gouter ou celle de l’apéro, à moins qu’t’es aut’ chose à faire bien sûr… » Ajouta-t-il précipitamment en jetant un coup d’œil dans la direction de la tombe de John McNeil.

A en juger par la réaction de Juliana l’idée de faire de la musique ne lui avait jamais traversé l’esprit.  Elle semblait d’ailleurs vraiment étonnée qu’il lui propose d’essayer. Son étonnement se mua même en méfiance si bien qu’Irving dû lui affirmer une nouvelle fois qu’il était parfaitement sérieux. Aussi, quand elle lui demanda s’il estimait qu’elle était douée pour le chant, il s’efforça d’être le plus sincère possible :

« Bon ok. J’ai pas entendu grand-chose, consentit-il, et on était aussi un peu bourrés, ajouta-t-il en riant, mais j’trouvais qu’t’avais un joli grain d’voix. Il haussa les épaules et poursuivit, j’dis pas ça pour t’flatter ou quoi que ce soit, Il ne voulait pas qu’elle croit qu’il lui servait un vieux plan de drague pourri à base de « Viens chez moi je vais te montrer ma guitare ! », J’cherche juste du monde pour reprendre la musique. J’veux pas monter l’groupe de l’année, juste me faire plaisir en reprenant quelques morceaux rock avec des personnes qui aiment autant la musique que moi… »

Il gratta sa barbe naissante et précisa :

« Après j’veux pas t’obliger mais ça coute rien d’essayer, une fois. Pour voir… Enfin, si ça t’tente ! »

Juliana affirma alors que si elle devait supporter Roy comme choriste, ce n’était même pas la peine. Cette remarque arracha un franc éclat de rire à Irving qui poursuivit sur la même lancée :

« A vrai dire j’le voyais plus danser en justaucorps derrière nous, railla-t-il, t’imagine ? »

Il se mit à rire doucement avant d’ajouter, on embauchera Klem aussi. Pas d’jaloux. »

En ce début  d’année scolaire, c’était plutôt agréable d’avoir des projets avec de nouvelles personnes. La grande majorité de ses amis avaient repris Poudlard, Cassandre était partie à Salem, Jerem’ rempilait à Lycaon. S’il voyait Juliet au moins une fois par semaine, il était heureux d’avoir noué de nouveaux contacts avec la petite bande de Klemens et il espérait bien élargir le champ des possibles avec ses nouveaux collègues de travail, même s’il doutait que sa binôme Scarlett vienne boire une bière avec lui après le boulot…

D’ailleurs en parlant de bière, Juliana semblait plutôt partante pour poursuivre leur conversation autour d’un verre, du moins, si Irving avait fini sa décoration de tombe. Ce dernier observa son œuvre d’un air appréciateur et hocha lentement la tête.

« J’pense qu’j’uis au sommet d’mon art. Sûr qu’mon paternel est comblé. S’il était pas déjà mort, il défaillirait devant tant de beauté. » plaisanta-t-il en observant le prénom de Bradley gravé sur la pierre tombale. Irving esquissa un léger sourire, persuadé que son père aurait rit en entendant cette blague de mauvais goût, puis il reporta son attention sur sa voisine. Ils étaient passés par la même épreuve tous les deux, celle de perdre leurs pères, et ils semblaient sur la même longueur d’onde quant à la gestion de leur deuil. Pas de tabous. Ils restaient fidèles à eux mêmes et tant pis si ça en choquait certains… Irving accorda un sourire un peu plus franc à la jeune femme. Il était sûr qu’elle pensait à son propre père à ce moment même  aussi il se pencha vers elle pour lui donner un léger coup d’épaule en soufflant un : « On bouge ? »

Sans attendre de réponse il s’engagea dans l’allée, faisant crisser les graviers sous ses pieds. Il ne s’arrêta pas quand ils passèrent devant la sépulture du père de Juliana et Irving retint même un commentaire sur la déco de tombe de John. Même si la jeune femme semblait vivre son deuil sereinement, il était bien conscient qu’il y avait un temps pour tout…

Les deux jeunes gens rejoignirent la sortie et débouchèrent devant le manoir des Nimbus De Pompadour. Les volets de la maison étaient tous fermés et les premières feuilles jaunies de l’automne recouvraient déjà le gazon du parc abandonné. L’ex-Gryffondor ne s’attarda pas sur cette vision et préféra focaliser son attention sur la Cité en contre bas.

« J’ai commencé la musique peu de temps après avoir appris qu’mon père était malade, lança-t-il alors , j’étais super en colère à cette période. Contre tout et n’importe quoi. Vachement à fleur de peau…  Et le groupe m’a fait énormément d’bien. »

Il repensa avec nostalgie à cette heure de colle où ils avaient crée les Dark Boursouf  et à toutes les répétitions qui avaient suivies. Quand il revenait déprimé après une visite à St-Mangouste et qu’il filait dans la salle des arts pour rejoindre son trio de copains. Les DB avaient participé à son équilibre pendant cette période et il lui avait offert l’opportunité d’extérioriser sa peine.

«  J’dis pas qu’la musique guérit tous les maux, lança-t-il en empruntant les escaliers étroits devant la petite chapelle qui rejoignaient directement les pentes sans avoir à serpenter par la grande route, mais des fois ça peut aider. » ajouta-t-il en se tournant à moitié vers Juliana.

Irving trottina jusqu’au palier suivant et s’appuya finalement sur le mur de brique pour faire face à la serveuse. Il n’était plus seulement question de musique, Juliana avait surement dû comprendre où Irving voulait en venir aussi, il ajouta :

« Et puis…Tu sais qu’j’uis passé par là… j’sais qu’des fois on a envie d’en parler et parfois on veut juste oublier et qu’les gens nous traitent comme avant. Alors qu’ça soit pour l’un ou pour l’autre, tu sais où m’trouver.»

Il était conscient que sa déclaration faisait très solennelle mais il avait apprécié d’être entouré au moment de la mort de son père. Ce n’était qu’un juste retour des choses. Toutefois, il était soucieux de ne pas mettre Juliana trop mal à l’aise, elle n’avait peut-être pas très envie de parler de tout ça avec lui alors il s’autorisa une petite boutade avant de reprendre la route.

« J’dis pas qu’j’uis aussi expert en gestion du deuil qu’en déco d’tombe mais si j’peux aider… »

Il lui fit un clin d’œil et reprit sa descente jusqu’à la petite ruelle qui desservait les hauteurs du quartier des pentes : A gauche, ils pouvaient descendre jusqu’à la Grand’Place pour boire une gobière au Café du Vivet, à droite, ils remontaient en direction de chez Irving où la guitare les attendaient sagement sur son trépied. Irving observa tour et tour les deux directions puis il reporta son attention sur Juliana pour l’interroger du regard.

Quand Juliana se mit à parler de son père, Irving ne l’interrompit pas. Il était prêt à écouter ce qu’elle avait à dire si cela l’aidait à avancer. Une oreille attentive était parfois nettement plus efficace que des tonnes de conseils sur comment aborder son deuil même s’il était passé par les mêmes étapes qu’elle : La colère, l’abattement ou la sensation d’être incompris…. Au fond, il en était arrivé aux mêmes conclusions que la jeune femme :

« C’est vrai qu’l’équilibre familiale est super précaire, c’est que quand un membre est plus là qu’on s’rend compte à quel point c’est fragile tout ça… Il laissa planer quelques secondes de silence et poursuivit,  j’sais pas quelle place avait John dans vot’famille mais chez moi mon père était celui qui faisait le lien entre nous tous. Déjà qu’on était une famille recomposée alors on avait doublement besoin de lui. On l’entendait pas vraiment pendant les grandes réunions familiales, Il était du genre discret, plutôt effacé par rapport à ma mère ou mes sœurs. C’est clair qu’c’était pas une figure de patriarche comme ton père j’pense, mais il faisait un vrai travail de fond avec chacun de nous. C’était le liant si tu préfères, expliqua-t-il, Il a fallut concevoir complètement un nouveau schéma familiale quand il est mort. On pouvait pas continuer comme avant de toute manière.Ça c’est construit lentement, fallait attendre que tout le monde soit prêt et voila… »

Il écarta les bras et ajouta en riant à moitié « …ma mère a déménagé à plus d’1000 km d’ici ! »

Cette remarque pouvait sembler ironique mais elle ne l’était pas le moins du monde :

« Elle avait besoin d’passer à aut’chose et la seule erreur qu’elle a fait c’est d’avoir voulu m’emmener avec elle. Ça c’était clairement le schéma qui m’convenait pas. » expliqua-t-il en secouant vivement la tête de gauche à droite, mais maintenant qu’j’uis revenu, ça va. Ma mère vient d’temps en temps chez moi, j’invite mes sœurs…ça fonctionne comme ça dorénavant. Faut juste savoir l’accepter. » conclut-il avec un sourire.

L’acceptation était la clef. Que ce soit pour la mort de Bradley ou celle de Danny, c’était la même chose. Il savait bien qu’il mettrait du temps à digérer la disparition du Poufsouffle mais il y arriverait. Comme sa mère, Irving avait besoin de nouveau challenge dans sa vie pour avancer et Juliana lui en offrait un sur un plateau. Il était sûr que cette idée de duo avait de beaux jours devant elle, aussi lorsque la jeune femme accepta sa proposition, il laissa échapper un grand « Yes ! » qui trahissait toute l’étendue de sa joie.

« Promis j’me moquerai pas ! lança-t-il en remontant la ruelle, pis j’ai pas pris d’cours d’guitare non plus et j’m’en porte pas plus mal tu sais … »

Il cala ses mains dans ses poches et écouta Juliana le reste du trajet, heureux de voir qu’elle se projetait dans ce nouveau projet. Il est vrai que la musique était un bon moyen d’extérioriser ses peines, tout en s’investissant dans une activité qui demandait de la rigueur et de la concentration. Le truc parfait pour s’occuper l’esprit. Il hocha la tête lorsque la jeune femme avoua passer des journées entières à ressasser des idées noires –il connaissait ça- et il décida de prendre les choses en main :

«  On va remédier à tout ça. Fini les séances de larvage intensif ! s’exclama-t-il au bas de son immeuble. Il sortit sa baguette pour déverrouiller l’entrée et donna un petit coup d’épaule afin d’ouvrir la porte qui coinçait toujours un peu :

«  Tu vas appliquer la méthode 3G : Guitare et Gobières entre Gryffondors ! » lança-t-il en lui tenant la porte ouverte afin qu’elle s’engouffre dans la cage d’escalier. Irving monta deux à deux les marches jusqu’au premier et s’arrêta devant le palier de Klemens. D’un geste du menton, il indiqua l’appartement de leur ami commun avant de plaisanter à voix basse :

« On demande à Klem de suite pour la danse en justaucorps ? »

Le jeune homme se mit à ricaner tout en rejoignant l’étage supérieur où était situé son appartement.

« Bon, c’est loin d’être nickel, expliqua-t-il en poussant la porte, mais, vas-y, entre ! Tu connais l’chemin .» ajouta-t-il en indiquant les coussins posés à même le sol au milieu de la pièce.

Il la suivit dans le petit studio et ramassa quelques vêtements qui trainaient près de son lit défait. D’un coup de baguette il arrangea les couvertures, enleva son assiette de midi et quelques miettes sur la table basse puis il se dirigea vers le coin cuisine afin de récupérer des gobières fraiches qu’il tendit à Juliana avec un décapsuleur afin qu’elle se charge de les ouvrir.

Il s’approcha ensuite de l’unique étagère de son appartement et sortit deux grands classeurs de l’étage du bas.

« Paroles, tablatures et partitions de tous les meilleurs morceaux rock -Cherche pas y a pas les Wands-précisa-t-il en attrapant sa guitare sur son trépieds avant de s’installer à côté de la jeune femme, Bon y a p’t’être des vieux cours d’Poudlard au milieu, ajouta-t-il en voyant un test de potions portant sur l’Armortentia qui trainait entre deux paroles de chansons, mais tu d’vrais quand même trouver ton bonheur là-d’dans… » Conclut-il en commençant à accorder sa guitare.

Fébrile, Irving termina d’accorder sa guitare avant de boire sa première gorgée de gobière. Il n’avait pas vraiment soif à vrai dire, il était plutôt pressé de commencer leur répétition. Il reposa donc sa bouteille quasiment pleine dans un coin de la table basse et commença à éplucher les partitions, mettant de côté les morceaux qu’il ne maitrisait pas encore à la guitare. C’était assez hallucinant de se dire que moins d’une heure plus tôt il jouait les jardiniers sur la tombe de son père et qu’il était là maintenant, des projets musicaux plein la tête.  Repérant le vieux test de potions au milieu des tablatures, il voulu s’en saisir mais Juliana le devança. Irving se pencha vers elle pour observer la note qu’il avait reçue à l’époque, un A. Il avait surement dû pomper la moitié des réponses sur Joy pour obtenir une si « bonne » note, songea-t-il en grattant sa barbe naissante. Mais c’était un tout autre point qui retint l’attention de sa nouvelle amie. En effet, elle s’empressa de lui lire la réponse qu’il avait apportée à la question portant sur l’Amortentia.

« Oh Merlin, t’es obligé d’me ridiculiser  en lisant ça ! lança-t-il en attrapant la copie des mains de la jeune femme. Son sourire montrait qu’il n’était nullement fâché mais il préférait éluder le sujet. Il roula le parchemin en boule et visa la poubelle sans trop y croire. Mais contre toute attente, il marqua un panier, ce qui l’étonna lui-même, Oh. J’aurais p’t’être du m’inscrire dans l’équipe de quidditch de Gryffondor en fait… » lança-t-il en souriant d’un air candide.

Il n’avait pas spécialement envie de parler de cette fameuse fille  aux cheveux blonds qui sentaient si bons. Surtout quand on savait qu’elle était l’actuelle petite amie du neveu préféré de Juliana. Il avait beau avoir beaucoup bu et fumé lors de leur précédente soirée ensemble, Irving avait parfaitement retenu cette information.

« Alors,  t’as trouvé quelque chose ? » s’enquit-il finalement quand Juliana sembla s’arrêter un peu plus longuement sur une partition, Oh, elle déchire celle-là ! » lâcha-t-il en découvrant le titre de la chanson. Par contre, je gère pas le pont ici avec le solo de guitare, Il est dur à placer, expliqua-t-il en montrant du doigt un passage instrumental sur la partition, mais on peut essayer toute la première partie jusqu’au refrain, reprit-il en faisant léviter une plume jusqu’à eux, tiens si tu veux faire des repères, vas-y. »

Il savait que Juliet faisait souvent des petites marques sous le texte afin de se repérer plus facilement dans la partition. Quant à lui, il attrapa son médiateur et posa sa guitare sur sa cuisse en quête de la position adéquate.

« Donc là, y a à peu près 20 secondes d’intro à la guitare et c’est à toi de démarrer. » expliqua-t-il en débutant le morceau avec le premier riff.

Jouer devant quelqu’un n’était pas chose aisée et Irving ressentait toujours une petite pointe de gêne au moment de se lancer. Il accrocha quelque peu sur le troisième accord et retint une grimace:

« Après ça j’pourrai pas m’moquer d’toi si tu fais un couac! »  Souffla-t-il en continuant à jouer.

Il savait aussi que d’admettre ses propres erreurs était un bon moyen pour mettre en confiance Juliana qui était peut-être un peu nerveuse à l’idée de se lancer. Aussi, lorsqu’il arriva au terme de l’intro, il lui accorda un large sourire et hocha la tête exagérément pour lui signifier le démarrage…

Hors jeu:

Irving n’avait pas vu le temps passer. A vrai dire, si ses mains ne s’étaient pas rappelées à lui aussi douloureusement, il aurait surement pu continuer pendant des heures tant il s’amusait bien.

« Pause ! J’en peux plus ! » claironna-t-il en gigotant ses doigts pour éviter les crampes, véritables plaies de tous les guitaristes.

Il posa sa Red-Phoenix sur son trépied et se leva afin de se dégourdir les jambes et s’étirer le dos. Merlin que cela faisait du bien ! songea-t-il en s’approchant de la fenêtre où un peu d’air frais filtrait. Dehors, la Cité était plongée dans l’obscurité et il devait facilement être plus de 21h. Quoiqu’il en soit,  Irving n’était pas d’astreinte ce soir alors il avait toute la soirée devant lui, et manifestement, il en était de même pour Juliana.  Il reporta justement son attention sur son invitée qui avait l’air franchement ravie. Si au début elle avait semblé un peu hésitante, elle avait fini par être assez en confiance  pour dévoiler son joli grain de voix un peu écorché.

En musique, Irving avait toujours apprécié les voix éraillées –Juliet avait d’ailleurs un timbre légèrement cassé- et cette particularité renforçait le côté brut et rock de certain morceau. Juliana avait le chant dans le sang, c’était clair pour lui, et il était content qu’elle ce soit révélé à elle-même aujourd’hui. Il esquissa d’ailleurs un sourire lorsqu’elle affirma que la musique lui faisait beaucoup de bien avant de répondre à sa question :

« Je pense, très sincèrement,  qu’en ce mercredi 3 septembre 2008, une rock star est née, s’exclama-t-il d’un air pompeux avant de ricaner quelques secondes, … Non ? Bon. Ok. Sérieusement, reprit-il plus posément, Quand est-ce qu’on remet-ça ? »

Il lui accorda un large sourire, signe que l’expérience avait été plus que positive pour lui. Il avait presque l’impression d’avoir trouvé son double musical féminin d’ailleurs, tant leur  manière d’appréhender la musique était semblable (du moins, si l’on omettait les Wands de l’équation. ).

« C’est l’mercredi ton jour d’congé dans ton restau ? » reprit-il en se dirigeant vers son coin cuisine, Si ça t’dis, on peut continuer à s’voir ce jour là ?, Poursuivit-il en ouvrant un placard, puis un autre. Il grimaça quelques secondes et ajouta pour lui-même, Putain faut qu’j’aille faire des courses. »

Il attrapa alors un prospectus sur la cheminée et retourna s’installer à côté de Juliana avec le tract publicitaire de la Pizzéria de la Cité entre les mains.

« La Strangulot est pas mal mais faut aimer les fruits d’mer, "suggéra-t-il en lui tendant le papier.

Vu l’heure qu’il était, il n’allait pas la laisser rentrer chez elle sans qu’elle ait grignoté quelque chose. Et puis, s’ils étaient amenés à se voir plus fréquemment, passant du statut de connaissances à celui d’amis, Irving avait envie d’en savoir un peu plus sur son ainée. Finalement, il ne connaissait que peu de choses  d’elle. Elle avait longtemps été l’une des « Grandes » qui trainaient sur la Place de la Cité Nimbus -du genre à qui on n’allait pas chercher des noises d’ailleurs- mais rien de plus.
Il avait toujours entendu parler des McNeil chez lui, surtout de John à vrai dire, mais plus rarement de ses enfants. Il y avait les jumeaux bien sûr, l’un des deux était  le père de Grady, et la benjamine, Juliana.
Une ancienne Gryffondor, qui vivait à Bristol et qui travaillait comme serveuse dans un restaurant. Elle était sortie un temps avec Roy et elle habitait maintenant dans une colloc’... Ah Oui, et sa chambre ressemblait au Chemin de Traverse après le Bloody Sunday. Voilà à peu près les seules informations qu’avait Irving à son sujet !
D’ailleurs, il n’avait pas envisagé une seule seconde que Juliana puisse être attendue par quelqu’un –son colloc’ ou autre - , aussi, lorsque cette éventualité le frappa, il s’empressa d’ajouter :

« Enfin, Tu peux rester mais j’veux pas t’retarder si quelqu’un t’attend… » souffla-t-il en levant un regard interrogateur vers la jeune femme.

Irving esquissa un sourire lorsque que Juliana affirma qu’elle était systématiquement celle que l’on appelait pour faire des heures supplémentaires. Il avait connu ça quand il bossait chez les moldus dans son hôtel de Bristol : Il suffisait d’être jeune et sans enfant et on devenait systématiquement celui que le chef appelait en urgence pour remplacer un collègue malade. Une fois, il lui était même arrivé d’enchainer le poste de jour avec le poste de nuit. Merlin, plus jamais ça !

« Ça peut être le mercredi ou un autre jour ! Après on voit suivant nos emplois du temps respectifs… Perso, j’aurais surement des astreintes certains soirs donc j’s’rais pas forcément tout l’temps dispo' les mêmes journées, mais, pour faire c’que j’aime, j’trouve toujours un moment ! » Ajouta-t-il en s’asseyant sur un coussin.

Irving n’était pas du genre en sombrer dans une vie routinière rythmée par un quotidien utilitaire. Il aimait sortir. Voir du monde. Il chérissait cette nouvelle liberté que lui offrait la vie d’adulte et il comptait bien en profiter en multipliant les activités. Et puis c’était aussi l’occasion de nouer des nouvelles amitiés avec des personnes qui ne l’avaient pas connu à Poudlard. Là-bas, il avait eut du mal à se détacher de cette image de looser binoclard et il vivait ce passage à la vie active comme un nouveau départ salutaire. D’ailleurs, il était bien décidé à en savoir plus concernant sa nouvelle partenaire de jeu, qui vivait donc avec l’un de ses collègues de boulot et qui avait une copine Médicomage…
Irving marqua un petit temps d’arrêt le temps d’assimiler convenablement l’information. Pourtant, il n’en était pas à son premier coming-out –il se souvenait encore de celui de Samaël lors du réveillon chez lui- mais à chaque fois, il réagissait de la même manière. Il y avait toujours une fraction de seconde où il pensait avoir mal compris avant de se résoudre à envisager ce que ces paroles sous entendaient. Juliana était en couple avec …une femme.

C’était le genre de révélation qui faisait naitre tout un tas d’images dans la tête d’un homme mais Irving les chassa d’un clignement de paupières. Ce n’était pas tout à fait le moment de penser à ça.


« Aaaah d’accooord... Lança-t-il en hochant lentement la tête, tiens, d’ailleurs, j’suis allé au mariage de copains gays en juillet… »

Mais pourquoi disait-il ça, Bordel de Troll ? A vrai dire, il n’avait rien trouvé de mieux pour montrer à la jeune femme qu’il ne faisait pas partie des intolérants sur le sujet mais c’était tout de même un peu maladroit…
Il avait presque l’impression de revivre le grand moment de solitude de sa rencontre avec Rosaleen Marchebank ! Il passa une main dans ses cheveux et accorda un vague sourire à Juliana avant d’ajouter :

« …fin bon, tu t’en fous surement. »

Il ricana quelques secondes et secoua la tête de gauche à droite :

« J’m’étais arrêté à ta relation avec Roy à vrai dire alors j’uis un peu surpris, expliqua-t-il avant de demander avec un regain d’intérêt, et sinon ça fait longtemps qu’t’es avec ta copine ? »

Il écouta la réponse de la jeune femme tout en envoyant son patronus commander deux Strangulots à la Pizzeria de la Cité. En son for intérieur, il trouvait ça dommage pour la gente masculine qu’une si belle plante préfère les femmes, mais il garda ses pensées pour lui et se contenta d’écouter Juliana qui lui retourna indirectement sa question.

« Oh non, j’avais rien d’spécial de prévu ce soir. Pas d’potes à voir, pas d’colloc, pas d’copine,… ni d’copain, ajouta-t-il en souriant, donc le hasard a bien fait les choses ! J’devrais aller m’promener plus souvent dans les cimetières en fait… »

Il attrapa sa gobière et termina sa dernière gorgée en songeant à l’amitié naissante qui se mettait doucement en place entre lui et la jeune fille. C’était assez fou de se dire qu’ils s’étaient croisés pendant dix-huit ans sans jamais se parler et qu’ils auraient pu définitivement  passer à côté de cette complicité.

« Tu t’rends compte que si t’avais pas été chez Shea l’aut’fois, on se s’rait croisé aujourd’hui et on se s’rait rien dit… Ça tient à peu d’chose, en fait... »