Les serpents [Adonis]

Marlene n'avait jamais été convoquée dans le bureau d'un enseignant et l'angoisse lui tordait le ventre tandis qu'elle montait les escaliers pour rejoindre les salles de classe. Elle n'avait rien fait de mal, pourtant, et elle s'appliquait dans son poste de préfête-en-chef même si elle peinait encore un peu à prendre ses marques. Après tout, cela faisait uniquement trois jours qu'ils étaient entrés à l'école mais le Professeur Greengrass semblait pressé de commencer l'année, étant donné le discours qu'il leur avait fait dans la Salle Commune le soir de la rentrée. Leur nouveau Directeur de Maison l'impressionnait beaucoup et ce qu'on entendait de lui le confortait dans sa sensation. On disait qu'il était un proche du Ministre de la Magie lui-même et que son ascension au sein du Ministère avait été fulgurante. Emma lui en avait un peu parlé également, étant donné qu'elle le voyait au sein des réunions mondaines, et le fait qu'il fasse partie de ce monde si élégant qu'elle enviait n'arrangeait rien. Et puis il fallait bien avouer que le Professeur Greengrass changeait largement de leurs enseignants habituels avec ses si jolis yeux bleus...

Se reprenant, Marlene inspira profondément avant de frapper à la porte, arrangeant un peu ses cheveux et la manière dont tombait sa robe de préfète. Elle avait soigneusement épinglé son insigne de préfète en chef sur sa poitrine et frappa deux petits coups, l'oreille aux aguets pour bien entendre lorsque son enseignant lui dirait d'entrer. Elle n'avait pas envie de faire de faux-pas ou de passer pour une idiote devant le nouveau sous-directeur du collège. Lorsqu'elle reçut l'ordre d'entrer, elle poussa doucement la lourde porte, le cœur battant à tout rompre. Toujours nerveuse, elle glissa une mèche de ses cheveux derrière son oreiller en s'efforçant de sourire de l'air assuré d'une vraie préfète en chef.

- Vous avez demandé à me voir, Professeur ?

Et s'il voulait la destituer de son poste ? Certes, elle avait encore des choses à apprendre et n'avait pas encore eu l'occasion de faire face aux autres préfets mais elle avait fait des listes de toutes les choses à faire et elle avait profité d'une heure de libre le lendemain de la rentrée pour accompagner les premières années de Serpentard à leur premier cours ! Les paroles de Beth le soir du banquet lui revirent en mémoire et elle fut soudain prise d'un énorme doute. Et si Jane Mason avait profité de son statut de fille de la directrice pour parler au Professeur Greengrass ? Et si les enseignants ne la pensaient finalement plus à la hauteur ? Angoissée, elle posa un regard incertain sur le sous-directeur, se triturant légèrement les doigts.

- J'ai fais quelque chose de mal ? 

Nerveuse, Marlene prit place face au Professeur Greengrass. Et s'il voulait lui retirer son badge ? Alors que l'école venait tout juste de reprendre ? Cela serait la chose la plus humiliante au monde ! Tout le monde se moquerait d'elle et plus personne ne voudrait d'elle après Poudlard : une préfète-en-chef déchue, cela faisait extrêmement mauvais genre et... Son enseignait la coupa de ses pensées apocalyptiques en lui assurant qu'elle n'avait rien fait de mal, ce qui arracha un soupir de soulagement à Marlene lui permettant de se détendre un peu et d'adresser un sourire reconnaissant au sous-directeur. Les compliments qu'il lui servit ensuite la firent rougirent et elle baissa les yeux. Elle n'était pas une mauvaise élève mais n'était pas assez bonne pour recevoir les louanges de ses professeurs, qui l'appelaient plutôt à progresser. Entendre un enseignant dire que les autres élèves devraient prendre exemple sur elle... Elle avait toujours voulu qu'on lui dise cela mais désespérait de l'entendre un jour.

- J'essaye de faire de mon mieux, Professeur, balbutia-t-elle sincèrement. C'est un grand honneur d'avoir pu être nommée préfète-en-chef et je veux prouver que je mérite la confiance qui m'a été accordée.

Elle avait entièrement conscience de la chance qu'elle avait d'être à cette place et comptait bien y faire ses preuves. Ses professeurs lui avaient fait une fleur en lui donnant ce badge et depuis qu'elle l'avait reçu, elle pensait que c'était parce qu'ils avaient fini par se rendre compte de tous ses efforts pour être la meilleure élève possible mais elle s'était visiblement trompée au vu des dires de son enseignant. Ainsi, ce serait lui qui l'avait nommée ? Alors qu'il ne la connaissait même pas et que son dossier scolaire n'avait rien de spécial, à part le fait qu'il soit sans la moindre tâches ? Certes, elle ne comptabilisait aucune heure de retenue à son actif mais pas mal d'autres filles avaient des résultats bien meilleurs que les siens. Alors pourquoi elle ? Est-ce qu'il avait choisi au hasard ? Elle ne crachait pas sur le poste, loin de là, mais c'était un peu vexant de se rendre compte qu'elle avait été choisie au hasard alors qu'elle avait toujours pensé que c'était pour ses qualités d'élève. Un peu refroidie, Marlene n'en n'écouta pas moins attentivement le sous-directeur, consciente que malgré tout, elle restait préfète-en-chef et donc au service des enseignants.

Oui, elle avait bien remarqué que la période était troublée, elle n'était pas assez bête pour l'ignorer. Mais elle savait également que le Professeur Greengrass était l'envoyé du gouvernement à Poudlard, gouvernement qui tentait d'éradiquer les troubles qui s'amplifiaient au sein du pays. Et les troubles pouvaient également venir de Poudlard. Marlene mesurait parfaitement la portée de la demande de son enseignant, même si elle n'en pipa mot. Cela dépassait le cadre des simple infractions au règlement, elle en avait bien conscience. Mais après tout, comme pouvait-elle dire non au sous-directeur ? Et surtout, comme pouvait-elle dire non au pouvoir en place ? On avait appris à Marlene à toujours respecter la hiérarchie en place et à obéir aux ordres. Il était hors de question qu'elle se mette à dos des supérieurs et elle était trop amoureuse de l'ordre pour qu'elle tolère qu'on transgresse les règles, surtout en tant que nouvelle préfète-en-chef.

- Vous pouvez me faire confiance, Professeur. Je vous ferai remonter tous les comportements étranges ou susceptibles de mettre en péril l'équilibre de l'école, promit-elle.

A commencer par ceux de Miller et McGowan, songea-t-elle. Sa marge de manœuvre était très faible : les enseignants semblaient idolâtrer Samantha depuis qu'elle avait été mordue, il suffisait de voir son badge de capitaine donné par pur favoritisme ! Mais si elle arrivait à entrer dans les bonnes grâces du sous-directeur en personne, il y avait fort à parier que ses plaintes - peut-être un peu enjolivées - pourrait tomber dans l'oreille de quelqu'un un peu plus attentif. Néanmoins, malgré cette idée plutôt tentante, quelque chose continuait de tracasser Marlene.

- Professeur, je me demandais... Pourquoi m'avez-vous sélectionnée pour le poste ?

Marlene aimait les listes. Elle avait toujours adoré cela, elle en faisait des dizaines pour un oui ou pour un non, pour tout et pour rien. Alors lorsque le Professeur Greengrass lui demanda pourquoi cela la surprenait autant d'avoir été nommée préfète-en-chef, Marlene aurait pu lui faire une liste de raisons longue comme le bras. Elle n'avait jamais été une élève brillante, de ceux qui restent dans les mémoires des professeurs. Elle était une élève moyenne, parfois en difficultés mais toujours volontaire. Néanmoins elle restait souvent silencieuse en classe sans oser participer, concentrée sur le coup et effrayée à l'idée d'échouer devant les autres. Elle n'était ni populaire ni investie dans un club, elle n'avait pas de talent particulier ou de cause à défendre... Marlene était tout simplement anonyme, élève de Serpentard parmi d'autres, sorcière parmi d'autres, loin de ce qu'on attendait du modèle que représentait les préfets-en-chef.

Même si elle préférait se noyer dans le lac plutôt que de l'admettre, James avait bien plus la carrure d'un préfet qu'elle. Il était apprécié de tous, connu et reconnu et était sociable ce qui lui permettait de parler aux autres élèves sans problèmes. Elle-même devait sans cesse prendre sur elle pour y arriver et elle enviait un peu la facilité avec laquelle son homologue agissait. Elle n'était pas très à l'aise en public et peinait encore à affirmer son autorité alors qu'elle savait qu'elle devait prouver sa légitimité. Un peu mal à l'aise, elle baissa les yeux sur son bracelet cliquetant lorsque le Professeur Greengrass se mit à justifier sa décision. Oui, elle était une élève irréprochable, elle n'avait jamais été en retenue de sa vie, n'avait jamais fait perdre de points et n'était même jamais sortie après le couvre-feu. Mais son enseignant avait raison : elle était plus travailleuse que la plupart de ses camarades et peut-être qye oui six années de labeur lui faisaient mériter ce badge. Abandonnant la contemplation de son bracelet, elle redressa la tête, adressant un sourire timide à son professeur, sourire qui s'accentua lorsqu'il la complimenta et sourire qui disparu immédiatement lorsqu'il proposa de donner le poste à quelqu'un d'autre.

- Non, non, surtout pas. Je suis vraiment ravie d'être préfète, Professeur, et je ferais tout ce que vous me demanderez afin que ne regrettiez pas votre choix ! s'empressa-t-elle d'assurer.

Se redressant sur sa chaise, Marlene posa le bout de ses doigts sur le bureau.

- Vous pensiez à quelque chose en particulier ?

Abandonner son poste et sa place... Marlene ne l'avait pas envisagé une seule seconde : c'était une opportunité unique dans sa vie, l'occasion de se faire une place dans l'école et au sein des élèves et l'occasion d'enrichir son maigre dossier scolaire pour espérer arriver au rêve de sa vie. Elle aurait préféré mourir - ou disons assassiner quelqu'un - plutôt que de devoir renoncer à cette place inespérée. Elle avait toujours voulu devenir préfète - qui ne le voulait pas - et avait espéré l'insigne l'été qui avait suivi sa quatrième année. Malheureusement rien n'était arrivé et elle avait donc en toute logique dit adieu à ses rêves préfectoraux. Adonis Greengrass lui servait tout cela sur un plateau d'argent, alors qu'elle n'avait jamais rien gagné dans sa vie, et pour cela elle lui en était infiniment reconnaissante.

Il était différent des autres enseignants, ceux qui ne juraient que par les excellents élèves. Et encore, si ce n'était que ça ! Même si elle était infiniment jalouse de ces derniers, Marlene pouvait leur reconnaître une certaine légitimité alors que dans des cas comme celui de Samantha... C'était la chose la plus infecte au monde ! La promotion était entièrement injustifiée, qu'est-ce qu'elle avait fait pour mériter le poste, hein ? Rien du tout ! Elle avait enfreint le réglement, était sortie de l'école en douce - et avait en plus emmené Roxanne Prewett avec elle parce qu'assurément, une préfète aussi sérieuse n'aurait jamais fait ça seule - avait été attaquée par un loup-garou et pour la féliciter, on lui donnait le poste de Capitaine ! C'était à ce moment précis que Marlene avait perdu toute l'estime qu'elle aurait pu avoir pour la nouvelle directrice alors qu'elle admirait souvent l'autorité. Le professeur Greengrass, lui, était quelqu'un de juste qui voyait le mérite des élèves.

- Je vous remercie Professeur, lança-t-elle sincèrement, j'espère que je ne vous décevrai pas.

En tout cas, elle ferait tout pour que cela ne soit pas le cas et que Adonis Greengrass ne regrette pas d'avoir placé sa confiance en elle. C'était quelqu'un de haut placé et proche du nouveau gouvernement et dans son ambition, Marlene gardait bien cet élément en tête. Puis c'était le sous-directeur qu'il fallait pour reprendre les rênes de Poudlard et mettre fin au favoritisme ambiant qui régnait dans l'école. Et puis il était gentil et il avait un si joli sourire et de si jolis yeux...

- Non ça ira, merci, répondit-elle lorsqu'il lui demanda s'il avait des questions. Mais je prendrais un thé avec plaisir.

Prendre le thé en tant que préfète-en-chef avec le sous-directeur de l'école... N'était-ce pas ce dont elle avait toujours rêvé ?