U-Turn [Jacob et Aaron]

5 septembre 2008 - Département des Catastrophes Magiques

Aaron frappa à la porte de son nouveau supérieur en prenant bien soin d'afficher un visage neutre. Intérieurement, il était déjà de mauvaise humeur. Cela faisait trois semaines qu'une partie de son cher DOM avait été déménagée aux Catastrophes. Il s'était fait petit un temps, observant son nouvel environnement, et son charismatique et agréable chef lui avait fichu la paix. Il n'avait pourtant pas du être assez discret, car on venait de l'informer qu'il était convoqué dans le bureau de Mr Dalhiatus. Etant donné le personnage et leurs antécédents, c'était forcément une mauvaise nouvelle. De quelle tâche ingrate allait-il écoper? Quel affront allait-il devoir subir stoïquement?

Car si Aaron avait pris une décision, c'était celle de ne pas se laisser marcher sur les pieds. Il serait irréprochable et ferait son travail scrupuleusement. Jacob serait le premier à faire un faux pas, c'était certain. Aussi, lorsqu'on l'autorisa à entrer, il était, certes, réservé, mais rien ne pouvait trahir sa vigilance et sa répugnance.

"Vous avez demandé à me voir, Mr. le directeur ?"

Heureusement qu'Aaron n'était pas du genre à être inutilement optimiste, sans quoi il aurait été très déçu par les paroles assassines de Jacob. Mais Aaron n'était pas d'un naturel optimiste, et il était même pessimiste depuis plusieurs mois. Aussi, les paroles de son chef ne le choquèrent pas. Dalhiatus était fidèle à lui-même. Aaron s'y attendait depuis un mois, il savait que Dalhiatus ne résisterait pas à l'envie d'asseoir son autorité coûte que coûte. Cet homme avait un sérieux problème de complexe d'infériorité, au vu de son âge.

Il haussa les épaules avec flegme, gardant ses récriminations pour les oreilles de Jeremy.

"Je serai très heureux de déposer un dossier de transfert aux département des archives. Cela me permettrait de travailler sous les ordres d'une Directrice compétente qui saurait utiliser mes capacités au mieux" Aaron retint les qualificatifs peu flatteurs sur son directeur à base d'adolescent de quinze ans. "Mais, si vous tenez vraiment à ce que je quitte votre département, je demanderai plutôt mon transfert dans une section qui est restée au DOM."

Après tout, autant sauter sur l'occasion que lui proposait Dalhiatus. Il adorait la protection du secret magique, mais Dalhiatus ne le laisserait jamais s'en occuper pleinement. Autant faire quelque chose pour lequel il était légèrement moins qualifié mais où il avait une chance d'évoluer.

"Que voulez-vous, le grenier reste au rez-de-chaussée, cela m'épargnera les problèmes récurrents d'ascenceurs."

La réponse de Dalhiatus apporta à Aaron un sentiment de victoire: il n'avait pas fallu deux phrases pour que son supérieur revienne sur sa menace de l'envoyer aux archives. Il suffisait d'insinuer qu'il laissait sa rancoeur personnelle le priver d'un bon élément et le voilà qui faisait marche arrière. Et ce genre d'homme dirigeait un département? Le Département courrait droit à la catastrophe.

Aaron tiqua rapidement lorsqu'il lui proposa un poste de responsable aux Douanes. La proposition se voulait alléchante, mais il n'avait aucune envie d'être muté au fin fond du Pays de Galles. C'était un coup bas. Proposer un poste qui avait l'air intéressant juste pour ne plus l'avoir sous le nez et le laisser moisir dans un coin. Guère plus subtil que les archives. Les paroles de Jacob dévoilaient également le sentiment d'insécurité que l'homme ressentait face à Aaron. C'était ça, de fréquenter une petite jeune, mon pauvre vieux, songea mesquinement le jeune homme.

Pourtant, de son point de vue, les craintes de Dalhiatus étaient complètement infondées. Il ne fallait pas être fin psychologue pour réaliser que Swann et lui n'avaient plus rien à faire ensemble, même dans le sens le plus amical du terme. Mais enfin, que Jacob ne puisse s'empêcher de rappeler lourdement sa possessivité à l'égard de sa fiancée traduisait plus qu'une jalousie à l'égard d'un ex. C'était un sacré complexe d'inforiorité que le poste et l'âge ne compenseraient jamais. Aaron songea vaguement à lui laisser le numéro de son psychomage.

"Sauf votre respect, Monsieur, les douanes ne m'intéressent pas et je n'ai aucune compétence dans le domaine. Je suis très bien dans la section que j'occupe actuellement. Mais, si vous ne pouvez pas travailler avec moi à cause de mon passé avec votre fiancée, je vous serai très reconnaissant de me le dire franchement et de me laisser choisir mon prochain lieu de travail."

Le ton et la formulation étaient polis, mais il s'était peut-être un peu laissé aller sur le contenu. Il voulait bien tenir ses résolutions, mais il avait autre chose à faire que jouer au chat et à la souris toute la sainte journée.

Aaron ne put s'empêcher de lever un sourcil ouvertement dubitatif lorsque Dalhiatus affirma qu'il se fichait de sa vie privée. Sérieusement?

"Si cette convocation est d'ordre purement professionnel, Monsieur, j'aimerai savoir pourquoi vous avez introduit Swann dans la conversation, et pourquoi vous persistez à insulter notre relation - et à m'insulter par la même occasion."

Il n'appréciait pas vraiment d'être traité de brouillon.

"Je respecte ceux qui me respectent, et je n'ai pas à justifier de mes compétences: je suis déjà employé du Ministère et je ne vous ai demandé aucune promotion. Je ne comprends pas - professionnellement parlant, bien entendu - pourquoi vous ne demandez pas à mes collègues de se justifier de la sorte."

Après tout, si Jacob tenait à revérifier l'embauche de chacun des employés de l'ancien DOM, Aaron se soumettrait de bonne grâce. Mais, avec un rapide calcul, Aaron estima qu'il en aurait pour environ trois semaines en y passant ses journées et en négligeant totalement la gestion du département. Aaron ne poussa pas le vice jusqu'à demander à Jacob s'il était mécontent de son travail. Il avait toute confiance dans la réussite des dossiers sur lesquels il travaillait, sa hiérarchie lui aurait de toute façon signalé toute erreur majeure, et il maîtrisait parfaitement ses sujets. Mais l'homme était du genre vicieux.

"Si vraiment vous ne souhaitez pas de moi dans ce département, je demanderai à un responsable du FOSSE de venir m'assister pendant la procédure de licenciement, comme c'est mon droit."

Or, qui disait FOSSE disait connexion à Nimbus, et avec l'annonce des projets du ministère pour Cosmos la veille, le syndicat se ferait un plaisir d'étaler les débordements du numéro deux du gouvernement.

La crise de colère de Jacob fit sursauter Aaron, mais après un instant de surprise, il afficha un sourire narquois. Qui était l'enfant gâté qui faisait un caprice et récriminait, dans cette pièce? Avec une fausse expression de contrition, le jeune homme répondit:

"Je m'excuserai avec plaisir si je comprenais les raisons de votre colère…"

Il le regarda ensuite droit dans les yeux. Plus les minutes passaient, plus Jacob accumulait les erreurs: mise à l'écart, reconnaissance ouverte du fait qu'il ne voulait pas utiliser ses compétences, puis corruption, puis menace... Aaron se savait dans son bon droit et était également conscient qu'il n'avait rien à perdre: si Dalhiatus ne voulait pas de lui ici, il n'y resterait pas. Il n'aurait pas souvent l'occasion d'envoyer un puissant dans les cordes sans risques.

"Vous me convoquez dans votre bureau, cherchant à tout prix à me déplacer à un poste de débutant aux archives, puis à un statut de cadre aux Douanes, sans raison apparente ni aucune demande de ma part. Je refuse parce que j'apprécie mon travail actuel, ce qui me semble être mon droit, et en réponse vous me traitez de 'brouillon d'homme' et d'enfant gâté. Est-il si étrange que j'en conclue que vous ne souhaitez plus de ma présence dans votre département?"

Il hésita à proposer d'inviter Swann pour voir ce qu'elle pensait du comportement de Jacob. Il savait que peu importait qu'elle en ait après lui, elle détestait plus que tout qu'un homme tente de contrôler sa vie ou se mêle de ses affaires. Ce serait drôle de mettre le couple de cet odieux personnage en péril, matérialisant ainsi ses fantasmes. Mais Aaron ne tenait pas vraiment du Gryffondor et décida de ne pas pousser sa chance trop loin.

Aaron esquissa un geste involontaire pour se frapper la tête du plat de la main lorsque Jacob Dalhiatus opéra un virage à cent quatre vingt degré dans son discours, mais se retint à temps. Mais Dieu que l'homme était bête! Il espérait vraiment qu'il allait le croire?

"Donc, si je comprends bien, ce n'est qu'après m'avoir humilié et ouvertement menacé que vous me dites que cet entretien est une étape obligatoire au vu des réformes imposées par le Ministre."

On arrivait donc à la troisième étape: le chantage. Eh bien, il était beau, le FREE ! Le jeune homme hésita sur la suite à donner à la question de son supérieur. Ses valeurs et son orgueil lui dictaient d'expliquer à Dalhiatus qu'il n'avait aucune intention d'être associé à un gouvernement manifestement corrompu et intolérant. Mais l'idée de se retrouver sans emploi, sans la seule chose qui lui occupait l'esprit et l'empêchait de sombrer le révulsait. Il fallait aussi préciser qu'Aaron avait quelques ambitions et ne tenait pas à voir ses efforts réduits à néant, Fiennes ou non. D'ailleurs, ce dernier l'avait poussé à continuer malgré sa défaite. Serrant les dent, Aaron se résolu alors à faire quelques concessions.

"Je n'ai aucune envie de quitter le Ministère, Monsieur. Et si je comprends bien la nécessité d'un reclassement, je ne vois pas ce qui, dans mon dossier, vous pousserait à m'envoyer aux douanes. J'ai déjà prouvé que j'avais d'excellentes compétences en connaissance du monde moldu en gérant le site internet de Poudlard."

Aaron se demandait bien pourquoi il prenait la peine de se défendre. Peut-être parce qu'il se demandait pourquoi Dalhiatus ne l'avait pas déjà ajouté à la liste des licenciés, au vu de la haine qu'il lui vouait.

Retenir un claquement de langue agacé. Résister à l'envie de lui expliquer qu'un directeur de Département se renseigne sur les gens à qui il parle, notamment en lisant leur dossier. Sourire poliment et acquiescer. Arrêter de chercher à comprendre pourquoi il semble tant tenir à ne pas le mettre à la porte tout en insinuant le contraire.

"Je pensais que vous le saviez. J'avais deux collaborateurs avec moi" précisa-t-il. S'il pouvait au passage sauver le poste de Stuart, pourquoi pas.

Aaron retint une expression moqueuse en voyant que son supérieur direct ne savait pas se servir d'Internet. Il avait l'habitude de ce genre de réactions, mais voir le personnage en difficulté était réjouissant, surtout pour lui qui, jour après jour, faisait plus corps avec son monde d'adoption et se trouvait être à présent aussi à l'aise chez les moldus que chez les sorciers.

"Surveiller les sorciers? Très peu d'entre nous savent utiliser la technologie moldue." répondit-il prudemment après un instant de réflexion. "Mais surveiller les moldus doit être faisable… selon ce que vous cherchez."

Aaron dissimula au mieux sa surprise devant les propositions de Jacob Dalhiatus. Il avait réussi à éviter d'être licencié (même s'il restait persuadé qu'il n'avait jamais été vraiment en danger), mais signaler son ignorance à son Directeur de département n'améliorerait pas sa situation. Pourtant, tout sorcier qui avait été à Poudlard avait appris dès sa première année que "les objets moldus ne fonctionnent pas à Poudlard". Même les Sang-Purs savaient ça!

"A vrai dire, monsieur... je ne suis pas ingénieur. Les engins moldus sont particulièrement difficiles à adapter au monde magique. Je peux gérer une interface mais pas la constuire." Hum, peut-être devrait-il préciser. "Il y a une différence entre inventer un sortilège et le maîtriser."

Bien sûr que le but de l'opération était sécuritaire. Aaron, en bon né-moldu, ne craignait pas d'être surveillé par les sorciers. La moitié de sa vie leur échappait, et le temps qu'ils rattrapent ce retard, il avait dix fois le temps de mourir de vieillesse. Jamais les sortilèges n'atteindraient l'efficacité du stockage de donné par Apple ou Google.

"Peut-être faudrait-il demander au département des mystères de se pencher sur la question. Où au groupe d'expérience dont fait partie Eileen McNeil... je ne sais pas si vous la connaissez?"

Les limites de son entreprise n'apparaissaient pas au directeur de département. Même avec toutes les ressources du monde, Aaron doutait de pouvoir trouver une solution pour faire fonctionner des appareils aussi complexes que des caméras sur le chemin de traverse. Les chercheurs planchaient dessus depuis trente ans et n'avaient toujours pas trouvé de véritable solution pour faire fonctionner les technologies électroniques... Mais peut-être que l'investissement du ministère, qui disposait d'un meilleur budget, permettrait d'avancer plus rapidement.

Sans le savoir, Jacob venait de toucher une corde sensible chez Aaron. Lui qui avait toujours milité pour les "droits des moldus" dans le monde magique se voyait offrir une opportunité dont il n'aurait jamais rêvé. Le fait que son supérieur lui parle de surveiller les citoyens ne l'interpellait pas assez pour qu'il résiste à la tentation. Après tout, cet outil n'était pas près d'être mis en oeuvre et le pays serait sans doute plus calme d'ici à ce qu'ils développent quelque chose de général. D'ici là, les recherches seraient utilisées pour quelque chose de plus productif. Aaron se leurrait lui-même, il le savait, mais l'espoir d'avoir enfin quelque chose d'intéressant à faire après ces mois difficile était trop fort.

"Je vous remercie, Monsieur... Je vais m'y mettre de ce pas, alors. Je pense que je devrais commencer par étudier un peu plus en profondeur les technologies moldues. Puis-je demander à mon collègue, Stuart Little, de m'aider dans mes recherches?"