Love Fool [Adonis]

Rosaleen n'était pas venue au Ministère depuis des années et elle associait cet endroit à de mauvais souvenirs. Mais cette fois-ci, elle n'avait pas vraiment eu le choix : elle avait voulu trouver Adonis au plus vite avant que les ragots ne le fasse avant elle et elle était sûre de le trouver au Ministère à cette heure-ci. Alors elle avait pris son courage à deux mains sans pour autant réussir à chasser le sentiment de culpabilité qu'elle ressentait et avait fait route vers le Ministère. Elle savait à quel étage trouver Adonis mais cette information ne lui avait pas permis d'esquiver le contrôle de sécurité que subissaient tous les visiteurs. Elle avait jeté son regard le plus glacial au vigile qui avait visiblement tiqué sur son nom de famille avant de pouvoir récupérer sa baguette et rejoindre l'étage du Département de Contrôle et de Régulation des Créatures Magiques.

Personne ne la connaissait vraiment ici, elle n'était qu'une sorcière de plus parmi d'autres noyée dans la masse des employés du Ministère mais elle ne se sentait pas à l'aise, sur ses gardes. Tapie dans un coin de l’ascenseur bondé, ses mains et sa baguette étaient dissimulées sous les pans de sa cape gris perle. Peut-être qu'elle se sentait juste mal vis à vis d'Adonis, même si elle ne devait pas. Elle se répétait tout cela depuis hier mais cela n'avait pas suffit à distiller la culpabilité qui l'habitait. Elle n'avait rien promis à Adonis, après tout, n'est-ce pas ? Tout cela était sans engagement. Ils avaient été clairs dès le début sur cela. Mais rien n'y faisait et Rose était nerveuse. Pour se donner une contenance, elle fit mine de lire les consignes de sécurité épinglées sur les parois de l’ascenseur mais elle n'arrivait pas à se concentrer, tout son esprit étant tourné vers la réaction d'Adonis. Est-ce qu'il serait en colère ? Est-ce qu'il lui en voudrait ? Est-ce qu'ils pourraient rester amis ?

L'ouverture des portes de l’ascenseur signa le point de non-retour qu'elle venait de franchir et elle sortit à la suite des employés, un peu perdue. Elle n'était jamais montée au niveau quatre, elle n'avait fréquenté que la Justice Magique et le Mangenmagot, en tant que fille de Mangemort qui avait pu assister aux procès de sa famille. Ses grands-parents pensaient peut-être que ça lui donnerait l'envie de se venger de ce Ministère et de son gouvernement mais Rose n'en n'avait tiré qu'une rancœur immense et une angoisse toute enfantine à l'idée de fouler encore une fois le sol de cet endroit. Ce fut un secrétaire qui l'orienta vers le bureau d'Adonis et la secrétaire personnelle de ce dernier qui la fit patienter le temps qu'on aille s'enquérir de sa disponibilité. Nerveuse, elle avait l'impression de sentir tout le poids de sa bague de fiançailles sur son annulaire gauche, surtout lorsqu'elle aperçu le nom de Leopold sur la plaque d'une grande porte. Elle avait l'impression d'être venue ici comme une voleuse.

- Monsieur Greengrass va vous recevoir, lui indiqua la secrétaire en l'invitant à avancer.

Elle n'avait rien à se reprocher, se répéta une nouvelle fois Rose avant de passer la porte d'Adonis, lui adressant un sourire nerveux lorsqu'elle l'aperçut. Elle attendit que la secrétaire referme la porte derrière elle pour prendre la parole, les mains croisées et l'angoisse au creux de l'estomac.

- Je ne te dérange pas, j'espère ? Je m'excuse de m'imposer de manière aussi cavalière, je peux repasser si tu le souhaites... lança-t-elle en espérant quelque peu reporter cette conversation.

Le baiser qu'Adonis déposa sur sa joue ne fit que mettre Rose encore plus mal à l'aise. Il était temps d'arrêter de nier le fait que toute cette gêne venait du fait qu'elle se sentait infiniment coupable. Alors non, elle ne lui avait rien promis comme elle aimait à se le répéter pour se donner bonne conscience. Mais elle savait très bien qu'Adonis avait des attentes vis-à-vis d'elle et qu'elle allait décevoir ces dernières après l'avoir laissé entrevoir un peu d'espoir. C'était cruel, elle était cruelle et elle s'en voulait. Que pouvait-elle faire ? Elle avait accepté d'épouser Leopold Marchebank et elle ne reviendrait pas sur sa promesse. Et puis après tout, c'était Adonis qui avait dit dès le début qu'ils ne s'engageaient à rien, qu'ils verraient où cela mènerait. Pour Rosaleen, c'était une jolie amitié, elle n'avait pas envie de faire du mal à Adonis et c'était pour cela qu'elle était venue en personne. Elle craignait néanmoins que ses espoirs soient vains.

Souriant nerveusement et machinalement, elle dénoua l'attache qui retenait sa cape légère et fit glisser cette dernière sur son bras avant de s'assoir face à Adonis. Il avait l'air si heureux de la voir que Rose caressa l'espace d'un instant l'idée de faire machine arrière et de renoncer à lui annoncer ses fiançailles. De quel droit venait-elle le perturber sur son lieu de travail, avec Leopold si près d'ici ? Mais elle n'avait pas le droit de reculer, se morigéna-t-elle. Il finirait bien par l'apprendre d'une manière ou d'une autre et elle ne voulait pas que ce soit par la presse, les commérages ou quelqu'un d'autre. C'était sa tâche à elle, aussi déplaisante fut-elle. Il était inutile de faire mille détours et de noyer la sirène, autant y aller directement. Elle avait peur de renoncer et de changer de sujet si elle se donnait la possibilité de se rétracter. Alors elle prit une inspiration, plongea ses yeux dans ceux d'Adonis et prit la parole.

- Je vais me marier.

Elle baissa les yeux sur ses mains repliées sur ses genoux, laissant par là Adonis assimiler l'information.

- Leopold Marchebank m'a fait sa demande et... j'ai dis oui.

Elle releva la tête, soucieuse et étreinte par sa culpabilité vis-à-vis d'Adonis, que la joie du mariage n'arrivait pas à étouffer.

- Je suis désolée.

Pour lui. Pas pour elle.

Le silence d'Adonis parla pour lui et Rosaleen ressentit immédiatement la folle envie de transplaner très loin du Ministère. Elle savait qu'elle ne pouvait attendre de lui qu'une réaction négative mais elle n'avait pas pu s'empêcher de caresser l'idée qu'il ait au moins la décence de faire croire le contraire. Beaucoup critiquaient la manière de vivre de la bonne société mais ce culte des apparences leur permettait à tous de garder la tête haute. Malheureusement, il suffit à Rosaleen de croiser le regard d'Adonis pour comprendre qu'il n'y aurait pas de faux-semblants dans cette conversation. Incapable de supporter l'expression de ce dernier, elle baissa la tête sur ses mains nouées tandis que ses yeux se posaient machinalement sur la bague de fiançailles qui étincelait à son doigt. Elle ne redressa pas la tête lorsqu'il vint se planter devant elle, pas vraiment prête à affronter la conversation qui allait suivre. Que pouvait-elle dire de toute manière ? Elle était en tort et elle le savait très bien. Adonis était blessé et sûrement en colère et elle ne pouvait rien faire pour l'apaiser : elle avait sûrement mérité sa réaction. Néanmoins, elle fit l'erreur de croiser de nouveau son regard et l'air dégoûté qu'il arborait lui fit un coup au cœur.  

- Ce n'est pas qu'une question d'argent, protesta-t-elle.

Et elle le pensait. Évidemment, cela entrait en compte et elle n'aurait jamais la bêtise ou la mauvaise foi de le nier mais ce n'était pas cela qui avait convaincu Rosaleen, ce n'était pas cela qui lui avait fait dire oui face à Leopold quelques jours auparavant. C'était la vie qu'il lui avait fait miroiter, c'était la possibilité de continuer ses études, de faire ses propres choix, d'être libre. Elle n'aurait jamais pensé épouser Monsieur Marchebank, jamais. Mais il l'avait convaincue à cet instant très précis de la soirée lorsqu'il lui avait fait comprendre qu'en l'épousant, elle obtiendrait la liberté dont elle avait toujours rêvé sans pour autant oser imaginer qu'elle l'obtiendrait un jour. Est-ce qu'Adonis aurait pu lui donner la même chose ? Peut-être, elle ne le saurait jamais. Mais l'occasion s'était présentée avant et Rose l'avait saisit. Les choses auraient sûrement été différentes quelques années auparavant mais elle n'avait plus le droit à l'erreur et elle le savait très bien. C'était peut-être très cruel pour Adonis mais elle ne regrettait pas, tant son avenir lui paraissait plein d'espoir à cet instant précis.

Elle comprenait sa colère et elle savait très bien qu'elle était justifiée et elle aurait pu laisser passer beaucoup de choses tant elle se sentait coupable. Elle aurait pensé que les mots d'Adonis dépassaient sa parole et n'étaient que les fruits de sa colère et n'auraient rien dit, se murant dans un silence penaud. Mais elle ne pouvait laisser sa dernière réplique tant cette dernière était insultante et dégradante. Rose eut l'impression qu'Adonis venait de la gifler au moment où elle prononça ces mots cruels et insultants et sans réfléchir, elle se leva joignit le geste à la parole.

Sa main vint s'écraser sur la joue d'Adonis dans un claquement retentissant tandis que toute culpabilité la fuyait. C'était cela qu'il pensait d'elle ? Lui qui avait dit l'aimer et la respecter ? Lui qui avait lui-même promis qu'il ne demanderait rien d'elle, qu'il n'attendait rien. Tant de mensonges ! Et elle ne le réalisait qu'à présent. Rose pouvait comprendre la colère d'Adonis mais pas son mépris, pas son regard à cet instant présent. Il lui avait menti, il attendait quelque chose d'elle et il s'était montré prévenant uniquement pour arriver à ses fins, comme tous les garçons qu'elle avait pu fréquenter dans sa vie : sa grand-mère l'avait prévenue de ce genre de choses mais Rosaleen avait été naïve, persuadée qu'elle se trompait. Adonis ne l'avait jamais aimée, elle n'avait été qu'un jeu ou un trophée et il était juste contrarié de la voir s'échapper voilà tout. C'était ce que sa colère et son indignation lui soufflaient à l'oreille à cet instant très précis tandis qu'elle dardait un regard sombre et glacial sur lui. Et c'était tellement plus simple de penser qu'il se fichait d'elle depuis le début afin d'éteindre les braises de sa culpabilité, tellement plus facile que d'imaginer sa douleur à cet instant très précis.

-  Je t'interdis de me parler ainsi, articula-t-elle brusquement, la menace étant presque perceptible dans sa voix.

On avait toujours appris à Rosaleen à exiger un grand respect des autres à son égard et si elle n'était pas très à cheval sur ce genre de choses contrairement à ses grands-parents qui voyaient des humiliations partout, il y avait des limites qu'il ne fallait pas franchir.

- Tu peux être en colère, tu peux m'en vouloir mais je t'interdis de me manquer de respect, Adonis !

Croisant ses bras sur sa poitrine, Rose releva le menton, fière et glaciale, sans même chercher à dissimuler sa colère.

- Je ne t'ai jamais rien promis et tu le sais très bien, c'est toi qui avait proposé que nous nous fréquentions sans arrière-pensées. Je sais que j'ai des torts et j'en suis désolée mais tu ne sais rien de cette histoire, rien du tout.

"Votre fiancée est dans le bureau de Greengrass, au fait."

Leopold leva les yeux du parchemin froissé qu'il tenait entre les mains et observa Alan, les sourcils froncés. Il était parfois surpris par la masse d'informations que son acolyte de toujours était capable d'amasser. Leopold ne savait pas trop s'il était particulièrement observateur et toujours en train de fouiner, ou bien s'il avait simplement la capacité de se trouver toujours au bon endroit au bon moment, mais il ne se passait pas une rencontre avec Alan sans que son homme de main ne lui apporte quelques informations précieuses. Aujourd'hui, il avait simplement du croiser et reconnaître la fiancée de son patron dans les couloirs du département, rien de bien impressionnant, mais il avait bien compris que c'était quelque chose que Leopold tiendrait à savoir...

"Vraiment ? Intéressant", commenta Leopold avant d'apposer sa signature en bas du parchemin, qui disparut bien vite dans une poche de la veste d'Alan.

Que faisait donc Rosaleen dans le bureau de son sous-directeur ? Adonis et elle avaient entretenu une relation un peu ambigue, il en mettrait sa main à couper, il avait bien compris que son collègue appréciait un peu trop la jeune femme... Mais Leopold avait gagné la main de la jeune femme au nez et à la barbe de son rival, et il entendait bien garder Rosaleen éloignée de cet homme plus jeune et plus séduisant que lui. Il fut donc reconnaissant à Alan de s'éclipser rapidement pour vaquer à ses occupations illicites, ce qui lui permis de sortir de son bureau, attrapant le premier dossier qui lui passait par la main en guise d'excuse.

Leopold se dirigea d'un pas faussement tranquille jusqu'au bureau du directeur adjoint, salua sa secrétaire d'un signe de tête sans attendre son autorisation, puis frappa quelques coups puissants à la porte avant de l'ouvrir presque aussitôt. Son regard se posa d'abord sur Adonis, avant de s'arrondir sous l'effet d'une surprise feinte en se posant sur Rosaleen.

"Rosaleen ! Ca alors, quel plaisir de te voir ici !", s'exclama-t-il en s'avançant vers la jeune femme, promenant un regard inquisiteur sur elle. Pourquoi ne l'avait-elle pas prévenu de sa visite ? Pourquoi aller voir Adonis et non son fiancé ? Une certaine tension était clairement perceptible dans les lieux et Leopold sentit sa curiosité augmenter d'un cran. Arrivé à sa hauteur, il déposa un baiser sur sa joue avant de glisser un bras légèrement possessif autour de sa taille, tout en arborant le bonheur réjoui d'un futur marié.

"Adonis, j'imagine que Rosaleen vous a appris l'heureuse nouvelle ?", claironna-t-il en reportant son attention sur son collègue.

Rosaleen ne baissa pas les yeux devant le regard furibond d'Adonis même si elle sentait encore les fourmillements de la gifle dans ses doigts. Peu importait les raisons derrière sa colère, il n'avait pas le droit de lui manquer de respect, elle ne le permettrait pas. Elle avait longtemps courbé l'échine devant la colère populaire, acceptant inconsciemment de recevoir le blâme pour les actes de sa famille mais elle ne souffrirait pas de l'affront personnel qu'Adonis lui faisait. Elle avait plus de fierté que cela et elle était déçue qu'il s'abaisse à de telles insinuations pour panser son honneur blessé. Car il ne pouvait s'agir que de cela s'il avait la faculté de retourner sa veste si facilement, ce n'était qu'une question d'honneur, d'égo, une simple compétition qu'il avait perdu, un moyen de s'affirmer peut-être, de se démarquer de Leopold. Et cela la décevait. Car elle avait estimé Adonis bien plus haut que tous ces garçons idiots qui n'avaient que pour objectif de conquérir le plus de filles possibles. Elle avait véritablement songé qu'il était différent et voir qu'elle s'est trompée, qu'elle a été trop naïve est sûrement ce qui est cause le goût amer dans sa bouche.

Elle aurait aimé que les choses se passent autrement, réellement. Elle a conscience qu'elle a lui a peut-être laissé espérer des choses avant de reculer et elle en est désolée, malgré tout. Il est facile de se cacher derrière le fait qu'elle n'avait rien promis, c'est un peu lâche et elle le sait mais elle préfère cela plutôt que d'admettre qu'elle a vraiment blessé, que ce n'est pas qu'une blessure d'égo. Est-ce qu'elle aurait pu épouser Adonis ? Sûrement, c'est quelqu'un de gentil, de généreux. Enfin, elle l'a pensé, puisque l'homme qui lui fait face est tout à fait différent. Elle aurait pu lui parler mariage, le presser, le faire promettre, elle aurait pu essayer. Mais leur relation - pour la toute première fois de sa vie - était basée sur le fait qu'il n'y ait pas de contraintes entre eux et c'était également pour cela qu'elle s'était efforcée de la garder secrète un minimum. Et alors qu'elle était avec lui, libre de toute pression extérieure, libre de choisir, elle n'en n'avait pas eu envie, de le choisir. Elle ne savait pas pourquoi et ne voulait même pas s'appesantir sur la question au vu du regard furibond qu'il dardait sur elle mais c'était ainsi. Rose n'était pas tombée amoureuse d'Adonis. Elle ne l'était pas de Leo non plus, mais elle était amoureuse de ses études et c'était lui qui avait mis cette carte sur la table en premier. C'était triste et injuste, dans un sens. Mais elle avait compris depuis bien longtemps que la justice était une notion inexistante dans la vie de la plupart des gens.

Malgré tout, malgré sa déception, malgré sa tristesse, malgré sa colère, elle ne pouvait se résoudre à abandonner comme cela. Elle ne voulait pas quitter Adonis comme cela, elle ne voulait pas qu'ils soient ainsi fâchés parce qu'il était en colère. Ils s'entendaient bien et elle était persuadée que cela peut continuer et elle le souhaitait sincèrement. Aussi, lorsqu'elle le vit se rassoir, un peu calmé, elle espéra qu'ils puissent continuer à discuter tranquillement, elle voulait qu'il la pardonne, qu'il ne soit plus en colère. Peut-être que malgré tout, ils pouvaient être amis. Peut-être que les mots d'Adonis avaient dépassé sa pensée, tout comme les siens étaient le fruit de son amertume. Peut-être qu'ils pouvaient surpasser ça et elle le souhaitait réellement. Même lorsqu'il tenta de la mettre dehors, toujours avec ces sous-entendus abjects, elle ne voulait pas abandonner.

- Adonis... souffla-t-elle. Regarde moi.

Son visage avait abandonné toute expression de colère ou de fierté, cherchant à apaiser la situation.

- Je...

Elle fut coupée dans son explication par trois coups frappés à la porte tandis que la porte s'ouvrait presque aussitôt. Alors qu'elle ne faisait rien de mal, elle ressentit une pointe de culpabilité à l'idée de voir Leopold et le sourire qu'elle lui retourna était imperceptiblement crispé. Néanmoins, elle soutint son regard inquisiteur avec toute l'innocence dont elle pouvait faire preuve et le laissa faire lorsqu'il glissa un bras autour de sa taille, même si elle ne pouvait plus se résoudre à croiser de nouveau les yeux d'Adonis.

- J'étais en train de le faire, souffla-t-elle.  Adonis est un ami très cher. J'espère que tu seras présent ajouta-t-elle à son attention, ses yeux verts plongeants dans les siens avec sincérité, et surtout espoir.

Elle ne voulait pas perdre un ami, l'un des rares.  

L’air était chargé de tensions lorsque Rosaleen indiqua sa volonté de voir Adonis à leur mariage. Leopold retint à grand peine un haussement de sourcils surpris, s’attendant à être celui qui devrait insister pour qu’Adonis soit présent, persuadé que sa jeune fiancée ne voudrait pas infliger cette épreuve à son ancien prétendant. C’était bien là une requête un peu égoïste, et à en juger par le regard lourd de sens que posa Adonis sur Rosaleen, Leopold n’était pas le seul à le trouver. Néanmoins, il n’allait pas s’en plaindre, ravi au contraire que Rosaleen joue la carte des sentiments pour attirer le sous-directeur à ce qui serait probablement un grand mariage pompeux et médiatisé. Leopold comptait bien garder Adonis auprès de lui et afficher l’unité avec celui qui était passé de second officieux à bras-droit officiel, en dépit de leurs rivalités sentimentales.
 
Oh, Adonis n’avait pas réellement obtempéré lorsque Leopold avait cherché à le tenir éloigné de Rosaleen, et ce n’était pas quelque chose que le directeur comptait oublier, loin de là. Sa confiance et sa complicité avec Adonis avaient clairement été atteints par son comportement, et il ne savait plus s’il pouvait compter sur sa loyauté indéfectible. Voilà sans doute pourquoi Leopold se reposait plus sur Alan que sur Adonis depuis quelques temps, ce qui n’était pas un mal : Adonis jouait un rôle politique maintenant et cela supposait qu’il prenne quelques distances avec son mentor, afin de pouvoir suivre sa propre voie et proposer des idées nouvelles à Leopold… Quoi qu’il en soit, une certaine défiance était née entre les deux hommes et Leopold comptait trouver le juste équilibre avec Adonis pour préserver sa relation avec lui, conscient qu’il en savait beaucoup sur lui et sur ses activités. Leurs destins étaient désormais liés pour le meilleur et pour le pire, aussi sûrement qu’avec un simple mariage…
 
« Je vous remercie, Adonis », répondit Leopold en conservant son horripilant sourire de coq se pavoisant. Après tout, il fallait bien qu’il profite encore un peu de sa victoire sur son associé… Point trop n’en fallait, néanmoins, car il n’était jamais bon de tester les limites d’un dangereux pyromane. Leopold s’abstint donc de succomber à ses pulsions sadiques qui le poussaient à demander à Adonis d’être son témoin, gardant ce rôle pour quelque autre relation de travail dont il voudrait s’assurer la loyauté.
 
« J’espère moi aussi vous voir à notre mariage, bien sûr. Ce jour de joie et de célébrations ne serait pas complet sans mon cher directeur adjoint à mes côtés ! »
 
Lâchant la taille de Rosaleen, Leopold fit quelques pas dans la pièce en promenant son regard sur le bureau d’Adonis. C’était lui qui lui avait donné cette place, c’était lui qui pouvait la lui reprendre. C’était un sentiment tellement puissant que d’avoir ainsi le pouvoir d’influer sur la vie de ceux qui l’entouraient, que Leopold avait bien souvent l’impression qu’il vivait pour cela… Un mot de sa part et la carrière d’Adonis pouvait décoller…ou exploser en vol. Voilà pourquoi Adonis serait présent à leur mariage…
 
« Et puis, qui sait, peut-être serait-ce là l’occasion pour vous de rencontrer quelqu’un, vous aussi », lâcha-t-il joyeusement.
 

Rose ne put soutenir le regard blessé d'Adonis plus longtemps et baissa les yeux, les joues empourprées et se mordant l'intérieur de la joue pour ne pas laisser transparaître à quel point elle était bouleversée de voir la profondeur de la colère qu'il ressentait envers elle. Elle n'avait pas voulu que les choses se passent ainsi, sincèrement. Elle n'avait même rien prémédité mais c'était arrivé, voilà tout. Et malgré ce qui s'était brisé entre Adonis et elle, elle ne serait pas revenue sur sa décision tant elle avait l'espoir que tout se passe bien. Leopold lui avait offert une occasion qu'elle n'aurait pas pu refuser : celle de se marier tout en pouvant continuer à étudier et il avait été le premier à la faire, voilà tout. Quelle était le vrai attachement d'Adonis à elle s'il se détachait si facilement d'elle ?

Elle ne redressa la tête que lorsque Leopold lâcha sa tête et elle le regarda à défaut de pouvoir croiser le regard d'Adonis sans en rougir devant ses accusations muettes. Qu'attendait-elle, au juste ? Elle ne le savait pas elle-même. Que les choses se passent mieux, sûrement. Qu'Adonis ait éprouvé pour elle plus d'amitié que d'attachement sentimental. Qu'elle ne le blesserait pas. Qu'elle ne s'en voudrait pas. Elle s'était trompée et elle le réalisait maintenant, surtout que la présence de Leopold n'arrangerait pas les choses. Peut-être aurait-elle dû venir le trouver à son appartement mais elle avait voulu le lui dire vite avant qu'il ne l'apprenne par les ragots, qui allaient si vite dans le microcosme de la bonne société. Elle ne releva même pas la remarque de Leopold, se demandant comment il interprétait la tension plus que tangible dans le bureau. Oh, il n'était pas idiot et Daria n'avait pas manqué de faire des sous-entendus en sa présence quant au fait qu'elle avait un temps fréquenté Adonis et qu'on avait vu plusieurs fois ce dernier se présenter au manoir : il devait avoir vite compris la teneur de ces échanges. Peut-être essayait-il sincèrement d'arranger la situation, par affection pour son sous-directeur. Rose ne se sentait plus en droit de faire cela, Adonis le lui avait bien fait comprendre. Désemparée, elle comprit qu'elle n'avait plus rien à faire ici. Elle tendit la main vers la chaise sur laquelle elle s'était assise en arrivant pour récupérer sa cape.

-Il faut que je retourne à Bristol, mon service commence bientôt.

Elle noua sa cape autour de ses épaules, les mains un peu tremblantes.

- Pardonne moi de t'avoir interrompu dans ton travail, Adonis. Elle adressa un sourire à l'adresse de Leopold et se contenta de serrer sa main dans la sienne. Je suis heureuse de t'avoir vu.

Elle ne voulait pas encore plus aggraver les choses devant Adonis. Sans se retourner, elle passa la porte, enfila ses gants, rejeta ses cheveux en arrière et se composa un visage neutre, loin de ses pensées agitées. Elle allait oublier ce qui venait de se passer et faire comme si de rien n'était. Comme on l'avait élevée.

Leopold ressentit un agacement certain quand Rosaleen s'abstint de l'embrasser avant de s'en aller. Il ne savait pas vraiment si cette froideur était liée à la présence de son ancien soupirant, qu'elle souhaitait épargner, ou bien à sa retenue naturelle, mais il n'aimait pas cela. Enfin, se raisonna-t-il, il n'allait tout de même pas faire le difficile. C'était lui ici qui gagnait, après tout ! Il avait gagné la fille et le droit de se pavaner, tandis qu'Adonis se complaisait dans son amertume et Rosaleen dans sa culpabilité. Tous ces sentiments négatifs liés à la sympathie que l'on pouvait éprouver pour autrui, très peu pour lui ! Leopold avait obtenu ce qu'il voulait et cela suffisait à son bonheur. Peu importait que son protégé ait souffert au passage, ce n'était pas comme si Leopold ne l'avait pas mis en garde... D'ailleurs, il n'appréciait guère qu'Adonis soit resté proche de Rosaleen malgré tout. Adonis n'était-il donc pas comme lui, un homme dont la cervelle et l'ambition comptaient plus que tout ? Bien sûr, Leopold le savait passionné, mais il avait espéré que sa passion se cantonnerait à la destruction et non à des bêtises telles que l'amour... C'était une déception, assurément, et Leopold sentait qu'il devait prendre ses distances avec Adonis dès qu'il en aurait l'occasion. Il n'avait plus la même confiance en lui et puis cela lui ferait les pieds ! Il devrait être prudent, néanmoins, et ne pas trop écarter un allié comme Adonis qui pouvait tout aussi facilement devenir un ennemi redoutable. Pour cela, il lui faudrait trouver une proposition que le jeune sous-directeur ne pourrait pas refuser. Leopold ne s'inquiétait pas, les idées viendraient en temps voulu...

Le départ de Rosaleen laissa une certaine fraicheur dans la pièce et Leopold prit un malin plaisir à faire quelques pas dans la pièce comme s'il en était le propriétaire. De toute évidence, Adonis ne souhaitait pas le voir s'éterniser mais il ne comptait pas se priver du plaisir de lui imposer sa présence. Leopold attrapa donc joyeusement le dossier qu'il avait attrapé au hasard dans son bureau, jeta un coup d'oeil à son contenu avant de s'exclamer qu'ils avaient du pain sur la planche et que cette Brigade de dégnomisation n'allait pas se créer toute seule. Leopold s'installa donc tranquillement face au bureau d'Adonis et commença à parler de gnomicides d'un ton complaisant, le tout pendant une bonne demi-heure avant qu'il ne consente enfin à délivrer son pauvre sous-directeur de sa présence.

"C'est toujours un plaisir de travailler ensemble, Adonis", lança-t-il au jeune homme avant de quitter le bureau d'une démarche de conquérant.