Coupable [Charlotte & Klemens]

Charlotte n'avait pas beaucoup dormi la nuit dernière et cela jouait forcément sur son humeur : elle se réveillait fatiguée et n'avait qu'une envie et c'était de retourner somnoler dans les bras d'Eliott toute la sainte journée. Ses voisins du dessus avait passé la nuit à se disputer avant de se réconcilier vers quatre heures du matin mais le mal était fait : personne n'avait pu dormir dans l'immeuble. Malheureusement, elle avait une longue journée de boulot qui l'attendait et avait eut la charmante surprise d'apprendre que trois mois d'enquête avaient été mis à mal par Andrew Warlock qui venait de faire libérer un cadre d'entreprise soupçonné de trafic d'amulettes ensorcelées. Si elle le recroisait, celui-là, avec son petit air arrogant, elle lui ferait avaler sa robe. Elle ne l'avait jamais aimé - euphémisme - mais depuis le Nouvel An et le petit discours qu'il avait tenu à Eliott, elle avait des envies de violence dès qu'elle le croisait au Département. Et Monsieur avait beau se targuer d'être un avocat plein de talent ou un Sang-Pur bien rétrograde, elle était certaine qu'elle pourrait lui balancer un ou deux maléfices bien piquants.

Mais sinon, elle était assez pacifiste comme fille.

Enfin, Andrew Warlock n'était que le cadet de ses préoccupations : ils étaient encore débordés de travail par l'affaire du la nuit sanglante du mois dernier et ils avaient provisoirement mis leurs enquêtes sur les Mardoliens pour se concentrer sur les potions corrompues et sur tout le trafic qui en résultait. On retrouvait des potions frelatées partout, même chez les apothicaires officiels, c'était une véritable catastrophe. Dès qu'ils pensaient couper un point, ils en retrouvaient ailleurs. C'était comme courir après un farfadet. Et puis l'opinion publique avait fustigé en partie la manière dont les citoyens avaient été protégés durant la pleine lune même s'ils avaient été présents sur le terrain, ce n'était pas assez aux yeux des familles des victimes et c'était assez compréhensible. Et puis Dalnox leur mettait une pression d'enfer, fustigeait la moindre de leurs erreurs et était sans cesse sur leur dos, comme pour compenser son erreur politique avec l'affaire Ana Sorden. L'ambiance au BDA n'était pas franchement agréable ces temps-ci alors que Dalnox passe ses humeurs sur son service...

Mais bon, ils n'avaient pas vraiment le choix comme le soulignait justement Seamus. Alors tous les Aurors avaient mis le pied à l'étriller pour répondre aux attentes de la hiérarchie et le bureau était en pleine ébullition. Elle-même n'avait pas arrêté de courir pour récupérer des dossiers éparpillés à droite et à gauche - elle ne déléguera plus jamais à des Aspirants de première année - et elle devait en plus gérer le soutien logistique d'un des binômes sous sa responsabilité et qui était actuellement en Italie pour collaborer avec les autorités locales. Elle se dirigeait un pas vif vers son box quand elle sentit quelqu'un l'attraper par le bras, la stoppant ainsi brusquement dans sa progression.

- Hé ! protesta-t-elle en se retournant, contrariée.

Son exclamation avait attiré l'attention mais au lieu de se retrouver face à un collègue comme elle l'aurait cru, elle se retrouva face à un homme aux traits tirés, un peu plus âgé qu'elle qui se présenta comme le loup-garou de Pré-au-Lard qui s'en était pris aux deux filles de Poudlard lors de la nuit sanglante et en avait tué une. Elle était là-bas ce soir-là, elle était intervenue avec Seamus, ils avaient mis en fuite le loup et elle avait vu le cadavre de la petite Prewett et la plus jeune qui perdait tout son sang. L'image était encore gravée dans sa rétine. Ils avaient recueilli des preuves et des témoignages, évidemment, mais n'avaient jamais pensé retrouver l'auteur de l'attaque, surtout pas alors qu'il y en avait eu des dizaines la même nuit. Et voilà qu'il était là, livré sur un plateau.

Tandis que le type lâchait son bras - elle n'avait pas aimé cette façon de faire - elle croisa le regard de Seamus qui s'était levé un peu plus loin et qui s'approchait d'eux à pas vifs, mâchoire serrée. Ils avaient beaucoup parlé de cette soirée après coup, ce genre de choses marquaient forcément. Charlie avait déjà vu des corps dans sa courte carrière mais une gamine de dix-sept ans massacrée comme ça c'était... Seamus saisit le bras du loup-garou et l'entraina vers une salle d'interrogatoire qu'il ouvrit à la volée.

- Finnigan !

Elle sentait les regards de leurs collègues posés sur eux et savait très bien que la nouvelle était déjà arrivée aux oreilles du Commandant mais elle connaissait Seamus par cœur et savait qu'il était furieux et donc pas forcément très pacifiste. Voir le corps de Roxanne et les blessures de la petite Samantha avait dû lui rappeler de très mauvais souvenirs. Seamus parlait peu mais Charlotte savait très bien ce qui était arrivé à Lavande durant la Bataille de Poudlard, avec Fenrir Greyback, elle avait de toute manière vu les marques sur ses bras et son coup en été, lorsqu'elle les rejoignait au Circée. Son partenaire ne pensait pas à mal mais il ne pouvait pas être objectif, songea Charlotte tandis qu'elle le rejoignait dans la salle d'interrogatoire en fermant la porte derrière elle. Seamus avait fait assoir le loup-garou sur la chaise avant de se poser en face de lui, debout.

- Nom, prénom, lieu et date de naissance, exigea-t-il sur un ton glacial.

Charlotte restait appuyée contre la porte, les bras croisés sur sa poitrine, son regard alternant de son partenaire au suspect.

- Pourquoi vous ne venez que maintenant ? aboya-t-il.

Ils étaient peu nombreux à être venus, c'était déjà beaucoup qu'il soit là, songea Charlotte en se rapprochant de Seamus pour s'assoir sur la chaise en face de leur suspect, comme une barrière entre la colère, compréhensible mais pas légitime, de son partenaire et l'homme en face d'eux.

- C'est courageux de votre part, nota-t-elle sans prêter attention au regard que Seamus dardait sur elle. Vous étiez sous potion ?

Seamus et Charlotte avaient mis un peu de temps pour s'apprivoiser. Il faut dire qu'ils avaient été associés dans des circonstances un peu particulières. Elle-même venait à l'époque de terminer sa formation de trois ans tandis que Seamus venait juste de perdre son binôme en service. Ils avaient été piégés dans un entrepôt et attaqués par un Feudeymon. Seamus s'en était sorti, grâce à son binôme d'ailleurs, tandis que ce dernier n'avait pas survécu. C'était toujours très difficile de perdre son partenaire, surtout lorsque ce dernier avait été également votre formateur. Il fallait non seulement faire son deuil et évacuer la culpabilité de ne pas avoir pu le sauver mais également apprendre à travailler avec une nouvelle personne. Charlie et Seamus se connaissaient déjà un peu, ils avaient peu d'écart d'âge, elle l'avait connu à Poudlard et ils avaient déjà parlé au Circée et pour des enquêtes mais bosser à plein temps avec quelqu'un, c'était autre chose. Seamus faisait le deuil de son partenaire, Charlotte était une titulaire débutante qui avait encore des choses à apprendre... Il y avait eu des tensions, des problèmes et des disputes mais ils avaient appris à fonctionner ensemble et elle était désormais fière de dire qu'ils étaient très bien accordés. Ils bossaient efficacement et ils étaient autant amis que partenaires.

Malgré cela, malgré leur amitié et leurs années de travail tous les deux, Charlotte avait parfois du mal à canaliser Seamus. Il y avait des sujets qui étaient trop sensibles et qu'ils n'abordaient pas, comme la guerre et ce qui avait pu se passer durant cette année-là. Ils avaient été à Gryffondor ensemble et elle savait très bien qu'il avait été résistant. Mais elle ne savait de cette année et de son ressenti que des brides glanées au fil des années. Elle ne voulait pas le forcer à parler, elle comprenait son silence et le respectait mais si ce qui avait pu se passer durant la guerre influençait leur travail, cela devenait son problème également. Tous les Aurors avaient été marqués par la guerre, sauf les plus jeunes, peut-être, les Aspirants qui étaient encore des enfants à l'époque, mais la génération de Seamus plus particulièrement. Elle connaissait son passif avec les loups-garous, elle avait lu le dossier Fenrir Greyback en arrivant au BDA et avait suivi son procès très médiatisé lors de sa cinquième année à Poudlard. La première fois qu'elle avait rencontré Lavande, cette dernière avait surpris son regard sur une de ses cicatrices et lui avait expliqué ce qui lui était arrivé, assumant visiblement désormais les traces que l'attaque avait laissée sur son corps. Mais Seamus ne serait pas objectif vis à vis de cela, surtout pas alors qu'une fille était morte et l'autre transformée.

- Peu sont venus, répondit simplement Charlie en élevant la voix pour couvrir la réponse de Seamus.

Ce dernier était resté debout, appuyé contre le mur du fond. Il la laisserait mener l'interrogatoire, elle le savait, même s'il interviendrait à certains moments. Ils étaient bien rodés. Elle dégaina sa baguette magique, fit apparaître de l'encre et du parchemin et trempa sa plume pour rédiger le procès-verbal. Ainsi, c'était un nouveau cas de défaillance de la potion avec l'ingrédient de Chaudrillon, cela ne s'arrêterait donc jamais ? Charlotte nota la dissociation que faisait Dabroski entre le loup-garou et lui, ce n'était pas la première fois qu'elle le remarquait chez les lycanthropes. Seamus ne répondit pas à l'apostrophe de Dabroski tandis qu'elle finissait de prendre des notes, observant du coin de l'oeil la réaction de l'homme. Il était crispé, ne la regardait pas dans les yeux, était fuyant.

- Vous êtes en situation régulière sur le territoire ?

Ils devaient avoir un dossier sur lui quelque part, mais elle ne voulait pas le laisser avec Seamus et il n'accepterait pas de sortir de la salle.

- Vous travaillez ? Où est-ce que vous vous fournissez en potion ? interrogea-t-elle.
- Vous êtes un loup-garou depuis longtemps ? coupa Seamus derrière elle.

- Compliqué ?

La plume de Charlotte se suspendit en l'air tandis qu'elle haussait un sourcil. Soit il était en situation régulière sur le sol magique anglais soit il ne l'était pas, c'était aussi simple que cela. Et cela changeait radicalement la procédure selon les cas. Il était de toute manière inutile de leur mentir : le BDA et le service de l'immigration collaboraient très souvent et il n'était pas rare qu'ils échangent des dossiers. A moins que Dabroski ne soit arrivé sur le territoire de manière illégale, par la voie de Portolon non-officiels, son nom était quelque part dans les services du Ministère de la Magie.

- Nous irons vérifier, se contenta-t-elle de répondre. Êtes-vous enregistré comme Loup-Garou auprès de la commission adéquate ?

C'était toujours une manœuvre un peu délicate tout simplement parce que se déclarer comme loup-garou pouvait nuire à la délivrance d'un titre permanent de séjour, voire même temporaire dans certains cas. Il y avait déjà un vivier de loup-garous sur le territoire - même s'il était en baisse depuis quelques années grâce au développement de la Potion Tue-Loup - et le Ministère était parfois frileux à l'idée d'en faire venir d'autre : l'opposition adorait jouer sur cela et les peurs des familles en arguant que plus de loup-garou sur le territoire, c'était plus de risques qu'ils attaquent leurs enfants. Charlotte n'était pas d'accord avec cela mais elle n'avait pas son mot à dire et était de toute manière soumise à toutes les directives du Ministère comme tous les membres de la Commission et les services d'immigration qui dépendaient de la Coopération Magique Internationale. Elle nota les informations dont elle avait besoin sur son parchemin tout en surveillant Seamus du coin de l'oeil. Il n'était pas objectif et donc bien plus agressif que d'habitude. Il faut dire que l'attitude du type - faussement nonchalante - n'aidait pas vraiment non plus.

- Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas, répliqua Seamus d'une voix glaciale lorsque leur prévenu mentionna la guerre.

Seamus s'était appuyé sur la table à coté d'elle, le visage fermé. Charlotte déplaça légèrement son coude pour venir toucher son poignet, lui rappelant par là de se calmer un peu. Elle ne pouvait pas le contredire devant quelqu'un qu'ils interrogeaient - enfin si, elle pouvait mais elle estimait que la loyauté à son partenaire était plus qu'importante - mais il ne devait pas oublier que Klemens Dabroski s'était présenté ici de lui-même, pour confesser ses actes. C'était quelque chose à prendre en compte. Elle vit bien que l'évocation de l'attaque troublait l'homme en face d'elle mais c'était une question qu'ils devaient poser, afin de situer un peu les faits. Ils allaient devoir poser des questions difficiles et Dabroski aurait dû s'en douter en venant ici. Mais Charlotte avait l'intime conviction que ce n'était pas en le braquant qu'ils obtiendraient des réponses. Elle n'était pas du genre à interroger les suspects brutalement, elle laissait ça aux gros bras du Bureau. Elle, elle préférait la mise en confiance et les discussions, même si c'était naïf aux yeux de ses collègues.

- Bien, commença-t-elle en déposant sa plume sur son parchemin. Vous voulez peut-être un verre d'eau ?

Le ton léger de sa dernière question contrastait volontairement avec le début de l'interrogatoire. Elle voulait apaiser les choses, quoi qu'en dise Seamus. De toute manière, il la connaissait par cœur et savait comment elle fonctionnait. Les gens parlaient beaucoup plus facilement avec quelqu'un qui ne les agressait pas et les écouter, c'était à ses yeux cent fois plus efficace que tout le reste, du moins, lorsqu'elle avait affaire à des gens civilisés ou avec une morale. Ce n'était pas toujours le cas, au BDA. Faisant apparaitre un verre d'eau d'un coup de baguette, Charlotte échangea un bref coup d’œil avec Seamus, qui venait de s'assoir à coté d'elle, avant de reprendre.

- Vous ne vous souvenez pas de nous, n'est-ce pas ?

Ce n'était pas une accusation, juste une véritable question. C'est eux qui étaient intervenus sur les lieux du crime et qui avaient trouvé les deux filles et mis en fuite le loup-garou, Monsieur Dabroski, donc. Mais depuis le début de l'entretien, il n'avait pas semblé remettre leurs visages alors qu'ils s'étaient affrontés tous les trois.

- Nous sommes les Aurors qui sont intervenus cette nuit-là.

Charlotte avait eu du mal à se faire son nid au Bureau des Aurors. Tout d'abord, elle était une femme dans un monde d'hommes et les femmes étaient une petite minorité au sein du BDA, même si de plus en plus d'Aspirantes rejoignaient leur rang au fil des années et de l'ouverture des esprits. Mais surtout, lorsqu'elle était sortie de Poudlard, fraichement diplômée, pleine d'espoir et de naïveté, elle était loin, très loin, d'avoir la carrure d'une Auror. Elle avait certes fait de très bonnes études au sein du collège mais elle était également une jeune fille qui sortait tout juste de l'adolescence avec une bonne dose de complexe, pas mal de timidité et peu de répondant. Elle se demandait encore par quel miracle elle avait été engagée : son formateur lui avait confié, quelques années après, qu'il s'attendait à ce qu'elle abandonne. Mais devenir Auror était son rêve, sa passion, son ambition et elle s'était accrochée, elle s'était endurcie, avait énormément mûri et elle était devenue Auror.

Néanmoins, ce qui n'avait pas changé, c'était ses méthodes d'interrogatoire. Elle laissait l’agressivité et les menaces à ses collègues, qui maniaient ce ton bien mieux qu'elle de toute manière. Elle n'était pas franchement crédible dans ce registre, elle n'avait rien de très impressionnant. Mais ce n'était pas un mal, cela lui permettait de garder son calme face à l'insolence de certains prévenus tandis qu'elle sentait Seamus bouillir à coté d'elle. Il n'était pas comme cela d'habitude, pas si facilement en colère. Il avait le sang chaud, certes, mais Charlie savait également qu'il se sentait particulièrement touché par le sujet des loups-garous et que c'était délicat pour lui d'en affronter un, même après toutes ces années. Elle pouvait le comprendre, il avait beau être Auror, ils avaient tous leurs faiblesses et son coéquipier restait très marqué par ce qui s'était passé durant la guerre et l'Année des Ténèbres. Elle avait eu la chance d'être protégée de tout cela mais elle savait qu'elle n'était pas en reste niveau névroses à ce sujet.

- Baissez donc d'un ton je vous prie, ordonna-t-elle sans agressivité mais avec fermeté. Nous sommes ici pour discuter.

Seamus eut la sagesse de ne pas relancer le débat stérile sur la guerre - chacun camperait sur ses positions et ce n'était de toute manière pas le sujet du jour - et l'interrogatoire put revenir à des choses plus concrètes, en l’occurrence le déroulement de la nuit de l'attaque.

- Non, juste bousculée. Mais nous vous avons blessé en retour, précise-t-elle.

Une entaille relativement profonde, elle s'en souvient très bien, mais l'homme n'a pas l'air d'avoir de séquelles. Tant mieux pour lui dans un sens. Elle-même s'est très bien remise physiquement de cette nuit, même si quelques cauchemars ont hanté ses rêves quelques jours après l'accident, le temps qu'elle digère les images des corps des deux jeunes filles allongés sur les pavés. Avec les années, elle commençait à prendre l'habitude de voir des cadavres mais cela la taraudait toujours quelques temps. Les anciens disaient qu'on s'y faisait, elle voulait bien les croire même si c'était assez horrible, dans un sens.

- Vous ne vous souvenez donc de rien ? Comment avez-vous réalisé que l'attaque était de votre fait ?

Charlotte avait tout noté, mot pour mot, mais elle savait que c'est assez vain. De toute manière, Seamus et elle en avaient bien conscience, Klemens Dabroski ne serait ni accusé de la mort de Roxanne Prewett, ni jugé. Il suffisait qu'il prouve avec des bons de commande qu'il prenait de manière régulière la potion Tue-Loup et tout retomberait encore sur les épaules déjà bien chargées de Chaudrillon et du procès qui se préparait. Dabroski était une victime de cette histoire selon la justice - et surtout le gouvernement qui voulait assurer ses arrières - et Charlie pouvait le comprendre. La plupart des loups-garous étaient des gens comme tout le monde, qui essayaient juste de composer avec une nature qu'ils avaient rarement choisi. La potion Tue-Loup était une amélioration de leur qualité de vie mais ils restaient la plupart du temps très ostracisés par une société qui les craignait.

Combien d'hommes et de femmes avaient attaqué quelqu'un ce soir-là et l'avaient regretté plus que tout au monde le lendemain ? Ils avaient le nombre de victimes coté sorcier mais leurs collègues moldus leur avait rapporté des cas suspects et ils ne connaitraient jamais vraiment la vérité sur ce qui s'était passé chez les moldus. Beaucoup de sorciers loups-garous devaient désormais culpabiliser au sujet de ce qui s'était passé mais peu étaient venus se confesser, sûrement de peur d'avoir d'être sanctionnés. Et pourtant, les consignes des Aurors étaient claires : ils ne devaient rien faire. Il y avait eu une vague de sympathie dans la population suite à la pleine lune sanglante et le gouvernement ferait une erreur politique en incriminant les loups-garous plutôt que les responsables du scandales sanitaire. Et le MIM était déjà bien assez fragilisé par l'affaire de la Consummeuse pour se lancer dans cette croisade.

- Vous voulez qu'on vous arrête ? interrogea Seamus. Moi, je pense plutôt qu'on peut devenir de bons amis, vous ne pensez-pas ? On peut vous aider. Vous pouvez nous aider.

Charlotte se tut, observant du coin de l'oeil son partenaire. Elle saitt ce qu'il va dire, elle sait ce qu'il veut faire. Les loups-garous étaient un peu trop agités en ce moment, des protestations remontaient et c'était un milieu trop fermé pour qu'ils puissent s'y glisser. Le Département des Créatures n'était pas d'une grande d'aide et leurs indics habituels ne savaient pas grand-chose. Ils avaient besoin de prises au sein des loups-garous et Klemens Dabroski était parfait pour ça, tout simplement parce qu'ils avaient les moyens de faire pression sur lui, elle l'avait compris dès qu'il avait énoncé sa situation sur le territoire.

- Les loups-garous s'agitent, en ce moment, poursuivit Seamus. Ça grogne. Personne n'est content. Certains types commencent à s'agiter un peu trop, vous ne pensez pas ? Vous devez bien en connaître un ou deux, non ? En avoir entendu parler ?

Charlotte n'avait pas été formée à recruter des indics, tout simplement parce que son formateur n'aimait pas le principe. C'était pourtant très usuel au sein du BDA et chacun avait son réseau qui délivrait souvent de précieuses informations qu'ils ne pouvaient pas obtenir de leur coté de la barrière. Mais Elbert Stormborn, qui l'avait formée, estimait qu'ils ne devaient rien devoir aux petites frappes de l'Allée des Embrumes et de la Voie des Miracles, cela ne pouvait que les mettre en position de faiblesse et leur donner une mauvaise réputation. Charlie avait longtemps été d'accord avec cette vision de leur boulot et puis elle avait été réellement confrontée à la réalité lorsqu'elle était devenue titulaire, aux cotés de Seamus, et elle avait vite compris que des appuis au sein de la rue parmi les petits délinquants pouvaient leur permettre d'attraper quelques plus gros poissons. Est-ce qu'elle appréciait de devoir passer l'éponge sur des petits délits en échange d'information ? Pas vraiment. Mais elle appréciait encore moins de connaître la culpabilité de quelqu'un sans pouvoir l'inculper parce que personne ne pouvait leur donner le tuyau manquant.

Elle pouvait comprendre que Klemens Dabroski répugne à être au service de la justice - en fait non, elle ne comprenait pas mais elle pouvait l'envisager - puisqu'il fallait dénoncer et trahir des gens, ce qui n'était pas dans les valeurs de tout le monde. Mais le fait de pouvoir aider à rétablir et à maintenir l'ordre aurait valait parfois quelques sacrifices difficiles. Il ne s'agissait pas de dénoncer d'innocents citoyens, ils s'agissait de sorciers potentiellement dangereux qui pourraient causer beaucoup de dégâts en agitant ainsi une communauté instable. Elle avait quinze ans lorsqu'elle avait découvert les propos que tenait le loup-garou Fenrir Greyback, alors en attente de son procès pour les actes de la guerre. Il parlait de transformer volontairement des innocents pour accroître le vivier de loups-garou au Royaume-Uni et ainsi dominer les sorciers. Ce type était taré, songea-t-elle. Il n'était pas certes représentatif de toute la communauté lycanthrope de tout le pays mais des extrémistes, il y en avait partout et à toutes les époques. L'affaire de la pleine lune sanglante avait été l'étincelle qui mettrait le feu aux poudres et les Aurors comptait bien tenter de maitriser l'incendie. Quant à elle, elle avait vu le corps mutilé des deux gamines et si elle pouvait empêcher que ça arrive de nouveau, elle le ferait, peu importe le petit sourire arrogant de Dabroski.

- Moi je pense que oui, vous allez nous le dire, répliqua-t-elle avec un sourire qui ne suffisait pas à adoucir son ton sans appel.
- Et non, vous restez. Nous n'en n'avons pas fini.

Appuyé contre le dossier de sa chaise, Seamus attrapa les notes de Charlotte et fit mine de les parcourir.

- Vous voulez donc devenir citoyen de la société magique britannique, c'est ça ? C'est un projet sympa. Se poser, construire des racines solides... J'imagine que vous avez déjà dû commencer, si vous voulez rester sur le territoire définitivement. Des amis, des habitudes, une relation de couple, peut-être... La nationalité vous permettrait de continuer et puis vous aiderait peut-être aussi à trouver un travail stable.

Seamus reposa les notes négligemment, plongeant son regard dans celui de Klemens.

- Ça serait tellement dommage que le service d'immigration du Ministère vienne à apprendre que vous êtes dans la ligne de mire du BDA... Il y a tellement de candidature, la vôtre pourrait passer à la trappe si facilement... Ou pire ! On a déjà bien assez de loups-garous à gérer, pourquoi s'encombrer de ceux des autres pays ? Une petite reconduite à la frontière serait vraiment dommage, vous ne pensez pas ? Tout ça parce qu'on a juste envoyé une note de service. C'est dingue comme l'administration ne tient qu'à un fil, dans ce pays.

Croisant ses bras sur son torse, Seamus haussa un sourcil, un sourire un peu narquois aux lèvres, volontairement provocateur.

- A l'inverse, reprit Charlotte, un petit coup de pouce de notre part pour faire passer votre dossier en tête de pile serait très efficace. Les délais d'attente sont plutôt longs, on pourrait les diviser par deux voire trois. Il suffit d'avoir des relations.

Et le BDA en avait partout.

- Tout cela ne tient qu'à vous Klemens. On ne demande pas grand-chose, dans le fond. Des rapports réguliers et précis contre un papier qui changerait votre vie. C'est équitable, non ?

Charlotte ne tiqua pas même pas lorsque Dabroski leur cracha son mépris à la figure. Est-ce que c'était sa vision de la justice, son idéal de fonctionnement ? Non, certainement pas. Il y a encore quelques années, lorsqu'elle était entrée au BDA comme Aspirante, elle n'aurait jamais pensé faire ça tant elle était éprise d'une vision idéaliste de son travail. Mais elle avait grandi, l'adolescente de dix-huit ans avait laissé place à une adulte qui avait vite compris que son travail exigerait des concessions. On n'avait rien sans rien et parfois, pour attraper des plus gros poissons, il fallait faire pression sur le bas de la chaine alimentaire. Ce n'était pas foncièrement juste, ce n'était parfois même pas moral de s'adonner à de telles pratiques mais c'était nécessaire. Parce que si Charlie avait adopté des méthodes de travail qu'elle aurai fustigé avant de devenir Auror, elle n'avait jamais perdu de vue sa foi en une société sécurisée et équilibrée. Et malgré ce qu'elle devait parfois faire, lorsqu'elle voyait qu'un criminel au palmarès odieux était mis sous les verrous par le Magenmagot, elle avait la conscience tranquille et la foi en son métier. Alors non, elle n'avait pas honte de ce chantage sur Dabroski si cela leur permettait de repérer des individus dangereux pour éviter un autre accident. C'était aussi cela la réalité du terrain et elle avait dû l'apprendre très vite.

- Deux mois. On ne fait pas de miracles non plus, répondit Seamus sur un ton sans appel.

En réalité, elle savait que le Commandant pourrait obtenir un mois s'il envoyait une note aux bonnes personnes mais un mois de surveillance n'était pas suffisant pour espérer avoir assez d'éléments. Ils préféraient couvrir large.

- Mais vous passez sous notre protection, vous êtes tranquille pour les mois à venir. Si vous avez un souci avec la PM ou le Ministère, dites leur de passer nous voir, on arrangera ça.

Charlotte savait très bien que beaucoup de loups-garous n'avaient pas accès à des emplois stables tant leur condition faisait encore peur à la société. Pas mal se retrouvaient à tremper dans des trucs pas très nets pour assurer leur subsistance et elle aurait pu parier que c'était le cas de Dabroski, surtout qu'en plus, il n'avait pas la nationalité ce qui pouvait encore plus compliqué les choses. L'assurance de ne pas avoir d'ennuis s'il se retrouvait en difficulté pouvait aussi aider à faire passer la pilule.

- On a fini, confirma Charlotte.
- On vous contactera pour avoir vos rapports, ajouta Seamus. On saura où vous trouvez.

Le message était clair : lorsque les Aurors passaient un marché, ils tenaient leurs promesses. Mais ils attendaient que la personne en face fasse de même. Lorsque la porte claqua derrière Dabroski, Charlotte se tourna vers Seamus.

- Tu penses qu'on en tirera quelque chose ?
- Je ne sais pas, répondit simplement son partenaire en fixant la porte par où était parti Dabroski. Quelques noms sûrement mais pas plus... Il n'était pas vraiment collaboratif.
- J'ai toujours pensé que hurler sur les gens n'était pas le meilleur moyen de nouer le dialogue, répliqua-t-elle malicieusement.

Seamus haussa les épaules avant de de passer une main dans sa nuque.

- Ouais, je sais, marmonna-t-il en réponse. Ça me rappelle de mauvais souvenirs. Je pense à cette gamine, celle qui va devoir vivre avec ça... Et puis forcément, à Lavande et...

Elle posa une main sur son avant-bas, haussant à son tour les épaules.

- Je sais, ne te justifie pas.

Après tout, ils avaient tous leurs parts d'ombres.