5 Avril 2008

Sans dire que les petits trafiquants de l'Allée des Embrumes étaient des saints, généralement, ils ne se posaient pas tellement de problèmes entre eux. Ou du moins, ils réglaient ça de manière plus discrètes, assassinat dans une petite ruelle, ce genre de choses. Et puis c'était une société bien organisée, mine de rien, les choses tournaient plutôt bien. Enfin, c'était l'image - forcément extérieure, bien qu'un peu renseignée - qu'en avaient les Aurors. Ils laissaient les voyous régler leurs conflits entre eux, rares étaient ceux qui venaient porter plainte d'ailleurs.

Mais une fois n'était pas coutume, le BDA avait dû intervenir pour séparer deux petits trafiquants qui s'étaient violemment affronté lors d'un duel public dans l'Allée des Embrumes, à quelques pas du Chemin de Traverse - bonjour la discrétion - et le BDA avait dû intervenir pour les séparer. Puisque les deux hommes s'étaient retrouvés à l'hôpital dans un sale état, les Aurors devaient faire appel aux témoins pour savoir ce qui s'était passé et éventuellement glaner des informations sur ce que s'étaient dit les deux duellistes avant de se balancer des sorts à la tête.

Évidemment, les quelques personnes qu'ils avaient ramassé n'étaient pas vraiment ravies d'être là surtout qu'elles n'étaient pas vraiment des enfants de cœur : sinon pourquoi traineraient-elles dans le coin ? Leurs témoins étaient presque tous connus de leurs services mais c'était l'occasion de prendre des nouvelles, essayer de voir ce qu'elles faisaient en ce moment et prendre un peu le pouls du marché parallèle. Mais aujourd'hui, malgré leur casier judiciaire pour la plupart, les personnes présentes ici l'étaient en tant que témoins et donc évidemment de leur plein gré. Enfin, à peu près de leur plein gré. Les Aurors ne rateraient pas une occasion de parler à quelques trafiquants avérés, c'était trop précieux de les croiser. Mais Charlotte n'avait pas envie de brusquer la personne qu'elle devait interro... questionner - après tout, elle pouvait partir si elle le désirait - aussi avait-elle misé sur toute sa bonne volonté.

Elle poussa la porte de la salle d'interrogatoire avec sa hanche, tenant deux tasses de café brûlant à la main et armée de son plus joli sourire. Charlotte déposa une tasse devant son témoin et s'assit en face de lui, faisant apparaître un bloc note d'un coup de baguette magique.

- Monsieur Calder, c'est ça ? s'enquit-elle alors qu'elle connaissait parfaitement son nom et tout ce que le BDA savait sur lui. Auror Charlotte Meyer. Nous sommes désolés d'occuper votre matinée comme cela, je suis sûre avec vous devez avoir beaucoup de travail.

Refourguer des plantes arrivées illégalement dans le pays par exemple, mais Charlie ne laissa rien paraître de ses pensées et adressa un sourire à son interlocuteur, saisissant une plume.  

- Vous avez assisté à toute la scène, c'est ça ? Que faisiez-vous dans le coin à cette heure-ci ?

Et voilà les vieux réflexes d'interrogatoire qui revenaient au galop. Pour faire passer la pillule, Charlotte désigna le café du menton.

-  N'hésitez pas, il n'y a pas de Véritasérum dedans. Je me suis dis que cela vous ferez plaisir, pour nous faire pardonner du dérangement !

Nouveau sourire distrait tandis qu'elle trempait sa plume dans l'encre.

Il semblait bien s'amuser, constata Charlotte avec un sourire en coin tout en remplissant le haut de son parchemin. Après tout, il n'avait - pour une fois - rien à perdre à être ici, peut-être qu'elle en aurait aussi profité dans sa situation. Normalement, les Aurors étaient en position de force : ils représentaient l'autorité et pouvaient mettre des bâtons dans les roues de leurs suspects tandis que là, ils étaient à égalité puisque malgré sa position de trafiquant notoire, Roy Calder n'était ici qu'en simple et honnête - très relativement honnête - citoyen témoin d'un trouble à l'ordre public. Elle n'avait jamais été agressive dans sa manière d'interroger - même si ce n'était pas un interrogatoire, se surina-t-elle pour la cinquième fois - et n'était pas de mauvaise humeur aussi ne fit-elle pas taire Roy. Et puis elle voulait son témoignage et peut-être quelques autres infos alors autant le mettre de bonne humeur.

- Oh, vous savez, nous sommes de nature très généreuse ici, au BDA.

Le ton était resté neutre mais Charlotte n'avait pas abandonné son léger sourire. Elle ne faisait rien de mal : les tentatives peu subtiles de Roy Calder l'amusaient plus qu'autre chose et si cela le mettait d'assez bonne humeur pour cracher quelques informations alors elle n'aurait pas perdu son temps. Certains préféraient la méthode forte, Charlie, elle, choisissait de s'adapter à l'attitude de son interlocuteur. Néanmoins, si elle pouvait se montrer aimable, elle aimerait bien quelques réponses à ses questions quand même, questions que Roy venait d'éviter sans sourciller.

- Les bars miteux de l'Allée des Embrumes ? J'espère que ce n'est pas comme ça que vous espérez décrocher un rendez-vous avec qui que ce soit, on aura vu plus glamour.

Elle se pencha par dessus la table.

- Je suis certaine que vous valez beaucoup mieux que cela, Monsieur Calder. Et que c'était un pur hasard si vous vous trouviez ce matin dans ce coin de l'Allée. Je me trompe ?

Un nouveau sourire plus franc. Oh, elle voulait bien jouer. Mais elle voulait aussi des réponses. Donnant-donnant.

Et Roy eut tout le loisir de jauger de la générosité du Bureau des Aurors lorsque l’une de ses occupantes se pencha vers lui, lui laissant ainsi la pleine latitude d’apprécier la vue. Il avait vu plus généreux, mais c’était tout à fait honorable. Meyer pourrait le prendre sur le fait qu’il ne sourcillerait même pas. Il la draguait ouvertement alors être surpris à mater sa poitrine, il n’en était pas à ça près. C’était limite s’il ne le faisait pas exprès, simplement pour voir sa réaction, et son tranquille sourire le disait pour lui. Il ne savait pas encore bien dans quelle catégorie ranger cette femme, mais elle n’était ni froide, ni prude. Un brin joueuse, ce n’était pas pour lui déplaire. Mais en même temps foncièrement professionnelle, à n’en pas douter. Roy comprit à sa dernière question le tacite marché qu’elle lui proposait derrière ses sourires. Soyez coopératif, et je le serai aussi. Comme elle, Roy  se pencha vers son interlocutrice, doucereux.

« Un pur hasard, comme vous dites. J’étais là au mauvais moment, au mauvais endroit, à peu près comme pour toutes les fois qui m’ont valu un dossier ici. C’est terrible, le hasard, n’est-ce-pas ? »

Roy n’était pas idiot. Il savait pertinemment que les Aurors ne se laissaient pas une seconde berner par ses pirouettes, et qu’ils l’avaient classé comme trafiquant présumé sur le papier, avéré dans leur tête. Le manque de preuves était son principal rempart contre les procédures judiciaires. Ca, et le fait que son travail devenait de moins en moins visible, avec l’expérience. Se faire pincer, c’était principalement pour ceux qui prenaient les risques, les jeunes qui débutaient et cherchaient à se faire une place dans leur réseau, et à qui on donnait les boulots les plus voyants, transporter la marchandise, notamment. Il avait eu de la chance, lui, à son départ, il n’avait pas eu à accomplir longtemps ce genre de tâches risquées. La situation avait changé, il avait eu le temps de prendre du galon, ce qui lui permettait notamment de se charger de la partie négociation du trafic, avec le client, avec les fournisseurs. La pègre n’était pas l’amas désorganisé de petits voyous sans envergure qu’on pouvait imaginer au premier abord. A l’instar d’une entreprise classique, c’était une véritable structure hiérarchique et soumise à ses propres règles. Comme un employé consciencieux et ambitieux, Roy gravissait les échelles, et plus il grandissait, moins il avait à se salir les mains, et… plus il avait de personnes pour le protéger, aussi.

Roy avait pu échapper aux interpellations, mais le peu de fois où cela lui arrivait, il prenait un malin plaisir à servir la même rengaine à ses interrogateurs. Un jeu de « Je sais que vous savez, et je sais que vous savez que je sais que vous savez » qui ne durait pas longtemps avant qu’on le relâche. On les laissait trafiquer en paix, en général, ils étaient loin d’être les premiers dossiers sur la pile. Les Aurors intervenaient surtout lorsqu’ils provoquaient des dégâts visibles. Des bagarres dans des lieux publics, notamment.

De toute manière, Roy n’était pas là en territoire ennemi, pour une fois. On voulait simplement recueillir son témoignage, il n’était nullement au banc des accusés, il pouvait se permettre de s’amuser un peu. Surtout quand les derniers évènements de sa vie le menaient plutôt à ruminer dans un coin, il ne crachait pas sur un peu de divertissement, quitte à mettre un peu à mal ses belles résolutions de faire moins d'infidélités à Juliana. Il serait sage, promis, c'était bon enfant. Et puis elle ne saurait rien ? Non, elle ne saurait rien. Roy se rappuya contre le dossier de sa chaise, croisant les bras, sans se départir de son sourire, plus discret que plus tôt, toutefois. Plus sérieux, en quelque sorte.

« Vous avez l’air d’avoir des idées toutes faites à mon propos, Miss Meyer. Je suis quelqu’un de très coopératif quand on sait bien s’y prendre. Et je ne connais pas que des bars miteux de l’Allée des Embrumes. »

Il renouvelait implicitement la proposition, savait-on jamais. Elle souhaitait des réponses ? Il pouvait faire un effort, lui aussi avait quelques questions. Donnant-donnant, n'est-ce-pas ?

« Oui, j’ai assisté à toute la scène. Une bagarre comme on n’en trouve pas de plus banale, une dette non réglée, sans doute. Parfois, juste un mot de travers, ça suffit. Puis renchérit sur un tout autre sujet, comme si c’était là la suite logique et naturelle de son discours. Hum, vous avez un copain, je me trompe ? Trop jolie pour être célibataire. Être Auror, ça aide aussi, j’imagine, ça en jette. Vous êtes courageuse, d’ailleurs, pour vous lancer dans une carrière à grande majorité masculine… Vous étiez à Gryffondor ? Oh laissez-moi la satisfaction de penser qu’on a au moins un point en commun ! »

Se trouver face à une Auror plutôt qu’un, c’était intéressant, la partie de bras de fer prenait d’autres tournures. Roy serait un peu déçu si elle lui rétorquait un rude « C’est moi qui pose les questions ici, Calder », à la Hayden McNeil. Il se pencha de nouveau vers Charlotte, comme s’il souhaitait lui faire une confidence… ou une proposition tendancieuse, allez savoir.

« Vous vous plaisez chez les Aurors ? Ce n’est pas un peu ennuyeux, parfois ? »

Charlotte ne pouvait que concéder à Roy Calder une sacrée dose de culot, ce qui la fit sourire. Gryffondor, sans hésiter. Avec peut-être un soupçon de Serpentard mais Calder n'avait pas froid aux yeux et il le prouvait : de son attitude nonchalante à sa drague éhontée, il fallait venir de Gryffondor pour ce livrer à ce petit jeu au BDA sans sourciller. C'était une bonne chose. Pas qu'elle compte faire ami-ami avec quelqu'un dont le nom était dans leurs dossiers mais elle avait toujours apprécié les gens culottés, la vie serait bien moins marrante sans eux. Son entourage très Gryffondor devait jouer dans cela - Eliott, Lilly, Jensen, Harriet et compagie - mais c'était également parce qu'elle se retrouvait un peu dans cela. Roy Calder avait une bonne tête, décréta-t-elle. Dans le sens où il égayait un peu sa matinée. Elle était censée travailler sur un dossier de démembrement avec l'aide de sorts de magie noire inconnus et c'était loin d'être très joyeux. Il retardait le moment où elle devrait se pencher de nouveau sur son boulot et pouvait éventuellement lui fournir des informations sur un trafic d'amulettes signalé par leurs indics de la Voie des Miracles : que demander de plus ?

- Terrible, oui, répondit-elle d'un ton narquois lorsque Calder évoqua le hasard qui le ramenait toujours au BDA.

Charlie était loin d'être dupe : il trempait dans des trucs pas nets. Des trafics en tout genre mais rien de bien méchant, les petits voyous comme lui n'étaient pas leur priorité et d'habitude, ils laissaient ça à la Police Magique. Le souci des trafiquants, c'est qu'ils se cantonnaient rarement à un seul domaine et trempaient régulièrement dans des affaires qui touchaient leur juridiction. Et puis ils possédaient souvent des informations qui pouvaient les intéresser donc c'était toujours intéressant de voir ce qu'ils pouvaient en tirer. Théoriquement, Calder n'avait rien à tirer du fait de les aider mais Charlie comptait - non pas sur sa bonne foi, il ne fallait pas rêver - sur son envie de jouer avec le feu. Le deal était clair : elle le laissait palabrer mais c'était uniquement pour essayer d'en retirer quelque chose. La bagarre sur la voie publique, elle s'en fichait, c'était du domaine de la PM. Ils étaient intervenus uniquement parce qu'ils passaient par là et qu'ils savaient que ça pourrait peut-être servir leurs intérêts. Et comme les Aurors avaient pour spécialité de damner le pion à la PM...

- Les bars miteux de la Voie des Miracles ne comptent pas plus, répondit Charlotte avec un sourire en coin.

Elle ne réprima pas son sourire amusé lorsque Calder colla des questions personnelles à la site des réponses à ses interrogations, comme si de rien n'était. Le compliment était intéressé mais il fallait savoir prendre les choses du bon coté, après tout. Elle n'était pas de méchante humeur, elle pouvait bien être accommodante.

- Gryffondor, promotion 2001, confirma-t-elle en évitant sciemment la question sur son petit-ami. Et vous.... Petit coup d’œil au dossier.  Promo 1997 ? Joli timing.

Échapper de peu aux Carrow, c'était avoir de la chance. Elle-même n'avait pas passé l'année à l'école mais les récits de ses amis et de ses collègues étaient suffisants. Lilly en avait souffert, au point de finir par rejoindre l'A.D et elle avait même participé à la Bataille. Quant à Eliott... Elle n'avait jamais parlé de la guerre avec lui, réalisa-t-elle soudainement. Il l'avait passée à l'école mais s'il ne l'avait pas abordé, c'est sûrement parce que c'était un très mauvais souvenir. Laissant de coté son copain pour le moment, Charlotte reporta son attention sur Calder, qui semblait bien volubile dès qu'il ne s'agissait pas de son business. Elle l'observa se pencher vers elle avec un sourire plein de défi, sans pour autant bouger d'un pouce.

- Pas quand vous êtes là pour égayer mes mornes journées.

Ce n'était même pas si ironique que cela, dans le fond.

- C'est un boulot très varié, ça bouge bien, concéda-t-elle finalement. Et vous ? Passer votre temps planqué dans un coin, entre deux cartons de marchandises illégales, pour éviter qu'on vous tombe dessus, ce n'est pas un peu lassant ? interrogea-t-elle avec un sourire narquois.

Roy avait toujours eu un faible pour les blondes. C’était navrant, quelque part, tant c’était attendu, vu et revu. Mais c’était comme ça, il n’y pouvait rien, l’expérience avait prouvé que c’était souvent vers les femmes du type caucasien le plus classique que ses préférences se tournaient, peut-être parce que lui-même en était très différent, avec son teint mat et ses cheveux sombres. Pour poursuivre dans le cliché des contraires qui s’attirent, il ne pouvait pas, lui, le mauvais garçon, le trafiquant louche, ne pas pencher pour les femmes sages et ennuyeuses d’honnêté et de droiture, dont le meilleur exemple était l’Auror. C’était une blague classique, entre malfrats, de faire des commentaires salaces sur la première policière qui passait. La représentante des forces de l’ordre, c’était la figure intouchable par excellence, encore plus quand on appartenait au monde de la pègre. La situation était la même avec les femmes de sang pur ou de la haute société. C’était parce que Roy ne pouvait pas les avoir qu’il fantasmait sur elles, bien que pour cette dernière catégorie, il ne le reconnaîtrait jamais, ou alors, très difficilement…

Meyer réalisait sans le savoir un joli combo en étant à la fois Auror et blonde. Roy fut ravi de voir que son interrogatrice coopérait pour une fois bien gentiment. Avoir une discussion sympathique avec une Auror autour d’un bon café fumant, dans son bureau même ? Fait. Ils étaient même partis pour se remémorer de bons souvenirs de Poudlard, tiens.

« Oh, on a dû se croiser alors, dommage que vous étiez si jeune. Il la vit regarder son dossier pour vérifier son année de promotion. Oui, à l’époque, j’avais un certain talent pour éviter les situations difficiles. »

Roy parlait avec toute l’arrogance qui le caractérisait. Il aimait savoir qu’il avait une bonne étoile, même si elle semblait l’avoir un peu abandonné ces derniers temps, il y croyait toujours. Il y avait forcément des mauvaises périodes dans une vie, il se devait de passer par là. Il ne se faisait pas trop de souci, après tout, il s’était toujours sorti des situations les plus délicates, il n’y avait pas de raison que cela change. Le vent tournerait bientôt dans sa direction, Roy voulait y croire dur comme fer. Il lui suffisait simplement de faire comme il l’avait toujours fait : saisir les bonnes opportunités, dès qu’elles se présentaient.

Meyer en était une, d’une certaine manière. Roy aurait pu passer sa journée comme toutes les autres, à se chamailler avec ses fournisseurs, à prendre un verre entre deux affaires, à discuter comptes avec Jayce, puis à retourner livrer de véritables bras de fer avec d’autres trafiquants pour obtenir ce qu’il voulait. Un détour par le BDA était une occasion aussi imprévue que rare. Il devait y avoir un moyen de tirer parti de cette situation pour des affaires plus pragmatiques. Roy ne pouvait se satisfaire de simplement draguer une Auror, même si c’était un jeu amusant. Au commentaire flatteur de Meyer, il s’accouda au bureau avec un sourire qui ne faisait que s’agrandir et gagner en insolence.

« Je pourrais égayer plus que vos journées, si vous le vouliez. »

Oh, il pouvait sourire, mettre Meyer dans son lit, il n’y arriverait pas, c’était quasi-certain. Il ne faisait que la provoquer. Parce que c’était divertissant, parce que c’était sa manière à lui d’appréhender la personnalité de ses interlocuteurs. Parce qu’il pourrait peut-être tirer quelque chose de cette femme, si elle avait du répondant. Puisqu’il était là, autant prendre au passage le pouls du monde policier, n’est-ce-pas ?

« Pas du tout, répondit-il à sa question, tranquillement. C’est plus drôle de vivre dangereusement, vous devriez essayer, je suis sûr que ça vous irait bien. Quoique, j’imagine que vous devez avoir votre dose d’adrénaline, avec tous les méchants que vous poursuivez… Ou vous passez vos journées à faire des rondes inutiles comme les gars de la Police Magique ? Vous avez des dossiers plus palpitants que des chamailleries dans un coin de l’allée des Embrumes, rassurez-moi ? »

Si Calder parlait de son talent pour se sortir des situations difficiles au passé, Charlotte savait qu'il n'en n'était rien. Les Aurors n'étaient pas idiots, ils connaissaient plutôt bien l'organigramme de la petite pègre de Bristol et savaient très bien que Roy Calder était depuis longtemps plus qu'un simple dealer de mandragore. Il avait de l'influence, des contacts et avait su se faire une place confortable au sein de ce monde difficile. Et pourtant, tout ce qu'ils avaient sur lui, c'était des petites infractions mineures, rien de bien méchant. Ils n'étaient pas dupes mais officiellement, ils ne pouvaient rien contre Roy Calder et ce dernier le savait très bien. C'était aussi tout simplement parce qu'ils ne prenaient pas la peine de le faire tomber : ils préféraient se concentrer sur les plus gros poissons, les plus dangereux surtout, et se servaient des intermédiaires comme Calder pour récolter des informations en échange de petits arrangements. Même si, honnêtement, c'était la première fois qu'elle avait affaire à lui : il ne faisait pas partie des informateurs officiels du BDA, même s'il n'était jamais exclu que certains Aurors magouillent dans le dos de la hiérarchie.

Quoi qu'il en soit, elle savait parfaitement que s'il restait là, c'était parce qu'il avait quelque chose à y gagner. Ils n'avaient rien contre lui et il le savait parfaitement, il était libre de partir à n'importe quel moment, le BDA ne gâcherait pas d'énergie pour le retenir pour une simple histoire de voie de faits où il n'était que témoin. Si Finnigan et elle l'avaient emmené ici, c'était dans l'espoir de grappiller quelques informations de première main sur ce qui se passait actuellement dans la voie. Ils avaient bien des informateurs mais ils étaient frileux à parler en ce moment, comme si quelque chose les effrayait. A coup sûr, Calder serait bien moins peureux que les petits criminels du bas de l'échelle et pourrait leur livrer quelques ragots intéressants. Évidemment, elle se doutait bien que cela ne serait pas gratuit mais elle n'était pas fermée au marchandage : c'était dans les coutumes du Bureau. 

- Je parie que vous l'avez sortie à la moitié des filles du monde magique, celle là, répliqua-t-elle en haussant un sourcil sceptique.

Elle connaissait le genre de dragueur qu'était Calder : le genre à se reposer sur son charme, un ou deux sourires en coin, quelques phrases bateaux et l'affaire était dans le sac. Le genre à enchainer les conquêtes sans vraiment y prêter attention et à fuir dès qu'une fille avat le malheur de s'accrocher un peu trop. Et étant donné qu'il approchait de la trentaine, c'était plutôt drôle.

- Ne me faites pas l'offense de confondre le BDA avec la PM, répliqua-t-elle avec un sourire sarcastique. Je n'ai pas reçu trois ans d'entrainement pour coller des amendes pour tapage diurne.

La rivalité entre les deux corps était quasi-légendaire. Les Aurors méprisaient la PM et leurs tâches du quotidien alors qu'eux se concentraient sur les enquêtes les plus palpitantes tandis que la PM était lassée de la condescendance des Aurors et de la manière qu'ils avaient d'empiéter sur leur juridiction. Dans les faits, leurs boulots étaient complémentaires mais ça, personne ne l'avouerait.

- On travaille sur des choses bien plus intéressantes, en effet... Comme le braquage de Barjow et Beurk du mois dernier. Des dizaines d'artefacts magiques de magie noir, dont certains interdits sur le territoire, ça doit se revendre à prix d'or, non ?

Meyer avait très vite cerné le type d’entourloupeur beau parleur qu’était Roy. Pas dupe, elle le rembarra bien poliment -pour dire les choses correctement- le trafiquant sentit même un fond de moquerie dans son ton et son air sceptique. A son commentaire, Roy haussa les épaules avec nonchalance, se permettant même un petit sourire insolent.

« Elle est plus efficace que vous n’avez l’air de le croire. »

Il lui fallait avouer que la plupart des femmes qu’il côtoyait n’avaient pas grand chose à voir avec Charlotte Meyer à la vie probablement bien rangée. Ce qui marchait sur une danseuse de bar n’allait sûrement pas fonctionner sur une policière, face à qui il était en situation d’interrogatoire, qui plus est. Non, Roy ne se renouvelait pas tellement en matière de séduction, sauf quand le jeu en valait la chandelle, évidemment.

Le sarcasme suivant faillit arracher un rire à Roy. La façon dont la PM et les Aurors se marchaient dessus amusait assez le trafiquant et ses congénères, qui avaient tendance à y voir une corde sensible avec laquelle ils pouvaient jouer. C’était amusant de voir comme eux, les « méchants », étaient finalement les plus soudés. Oh, entre eux, ils se faisaient les pires coups bas, mais face aux forces de l’ordre, le maître mot était la solidarité et la règle d’or : pas de balances. L’Auror fit d’ailleurs dériver la conversation vers ce qui devait être le véritable objectif de cet interrogatoire : Roy se doutait qu’elle essayerait de le faire parler sur ce qui se passait dans la Voie, ces temps-ci. Le BDA était donc toujours sur l’affaire du braquage de Barjow & Beurk... La Voie des Miracles et l’Allée des Embrumes collaboraient assez étroitement, tout en étant rivales. Ce qui se passait dans l’une avait toujours des répercussions sur l’autre. Roy n’était donc pas ignorant de cette affaire, il avait même entendu quelques rumeurs sur les coupables. De là à ce qu’il mette l’Auror sur la voie, il y avait un grand pas à franchir. Roy n’avait aucune envie de se mouiller sans n’avoir rien en retour, la compagnie gentillette de Meyer ne comptant pas vraiment.

« Comme des petits pains, commenta t-il avec un vague sourire, la main sous le menton. Avant même qu’on ait le temps de remonter jusqu’aux vendeurs, à vrai dire. »

C’était ainsi que vivaient les braqueurs assez malins pour ne pas se faire attraper, ils montaient un ou deux gros coups dans l’année, puis revendaient leurs prises dans les heures qui suivaient, avant de se volatiliser avec leurs gains, s’arrangeant pour qu’on n’entende plus parler d’eux jusque leur coup suivant.

« C’est trop tard pour les attraper, c’est tout ce que je peux vous dire. Je ne sais rien d’autre. »

Sur cette déclaration peu sincère, Roy estima qu’il n’avait rien à ajouter. Il se leva, sans vraiment demander la permission. Après tout, il était libre de le faire, pour une fois.

« Ce fut un plaisir, miss Meyer, dit-il en posant la main sur la poignée, avant d’hésiter une demi-seconde pour ajouter, le sourire mutin : J’espère que la prochaine fois, c’est moi qui vous offrirai le café. »

Sur ces derniers mots, il lui glissa un petit clin d’oeil, avant de refermer la porte derrière lui. Tiens, ce devait être la première fois de sa vie qu’il quittait le BDA avec une meilleure humeur pour la suite de sa journée...

FIN DU RP