Le conte de la Perle et de la Palourde [Nora]

1 Février 2008

Cela faisait trois fois que Grady apparaissait et disparaissait dans la Salle Commune, toujours de manière très subtile comme à son habitude. Il avait croisé le regard de Jane à deux reprises et cette dernière avait froncé les sourcils, visiblement sceptique. Le souci était que Grady n'arrivait pas à se décider à sortir du couloir qui desservait les dortoirs des garçons pour se diriger vers le canapé où étaient assises les filles de son année pour parler à Nora. Il avait préparé ses phrases pourtant, ce qu'il devait dire et tout et tout mais il resté planté là, parfois animé de quelques élans de courage qui le faisaient faire quelques pas dans la Salle Commune avant de se raviser et de se retirer dans l'ombre protectrice du couloir. Il avait beau se rêver preux chevalier Gryffondor déclamant des vers à sa bien-aimée tel un Shakespeare des temps modernes, sa coupe de cheveux de surfer Australien au vent, avec son balai sous le bras et son badge de Capitaine de Quidditch sur le torse, il n'était à la fin que Grady le Capitaine de l'Equipe de Bavboules des Poufsouffle. Tout de suite moins glorieux quand même. N'est pas Jeremy Baker qui veut !

Pourtant, ce n'était pas la première fois qu'il allait parler à Nora. En dehors du fait qu'ils étaient dans la même classe depuis six ans, Grady avait réussi - par on ne sait quel miracle -  à aller avec Nora à Pré-au-Lard une fois et ils s'étaient revus pendant les vacances de Noël et avait donc réussi à lui parler correctement. Ils avaient même passer de plutôt bons moments, même des moments très cools parce qu'ils s'entendaient bien. Ils avaient toujours été de bons camarades, de toute manière toute leur promotion s'entendait bien mais c'était la première fois qu'ils s'étaient retrouvés volontairement seuls tous les deux. Il avait invité sa camarade sur un coup de tête, après une longue discussion où ils s'étaient beaucoup amusés et avait eut peur de rien avoir à dire mais la sortie s'était bien déroulée et ils avaient passé un bon moment. Il avait invité Nora de nouveau aux vacances de Noël en prétextant un devoir de Soin aux Créatures Magiques et ils avaient fini par se promener sur le Chemin de Traverse où ils avaient encore une fois passé un bon après-midi. Donc en théorie, il ne devrait pas avoir de problèmes pour parler à Nora.

Sauf que si.

Il ne savait pas pourquoi mais il était passé du camarade à l'aise avec Nora à celui qui ne savait plus où se mettre, encore moins que d'habitude, et au garçon qui ne savait pas sur quel pied danser. Elle lui plaisait bien Nora, c'était un fait, c'était une fille super chouette, gentille, vive et puis tellement jolie avec ses cheveux blonds qui étaient illuminés par le soleil en cours de Botanique après le déjeuner quand un rayon tombait pile sur son dos, rayonnement que Grady avait passé presque une heure entière à observer. Il allait bien sinon. Il venait de passer deux ans à observer les filles et à rêver de sortir avec l'une d'entre elles mais étonnamment, il n'avait jamais vraiment regardé autour de lui, ses camarades de classe par exemple. Il s'amourachait de Kessy Brooks, Diana Swan, Juliet Wilson, Olivia Fowler, toutes ces filles inaccessibles qui ne lui auraient jamais concédé le moindre regard ou attention alors qu'il y avait des filles comme Nora, juste à coté de lui, et qui étaient cent fois plus intéressantes parce que cent fois plus gentilles et présentes. Il faut dire que la grande différence entre Diana Swan et Nora, c'est qu'il parlait à la dernière. Et il adorait ça, que l'on ne se figure pas qu'elle lui plaisait par dépit ou autre chose, non ! Il appréciait vraiment Nora et même si Kessy venait le supplier en personne de sortir avec lui, il resterait plus intéressé par Nora. Et étant donné qu'il avait rêvé de Kessy pendant une bonne année, ce n'était pas rien quand même. Le jour où Kessy viendrait le supplier de quelque manière que ce soit n'était pas arrivé - elle sortait avec James en plus - mais le principe était là et l'engagement était fort.

Il était tellement plongé dans ses pensées qu'il ne vit pas Jane se diriger vers lui et ne revint à la réalité que lorsqu'il sentit sa main se glisser dans la sienne et qu'il se sentit attiré violemment - elle avait de la poigne, dis donc - vers le canapé où étaient assises les filles.

- Naaaaaaon ! protesta-il. Laisse moi être faible, Jane ! tenta-t-il dans un vain espoir que Jane le laisse partir.

Malheureusement la jeune fille ne semblait pas du même avis puisqu'elle le traina impitoyablement vers Nora. Depuis quelques mois, Jane semblait s'est donné comme mission de coacher Grady puisque c'était elle qui l'avait poussé à l'inviter pendant les vacances, assurant mille fois que cela ne dérangerait pas Nora. Il ne savait pas vraiment pourquoi elle faisait ça - sûrement un truc de filles - mais sans elle, il aurait sûrement passé l'après-midi à hésiter.

- Nora ? lança Jane en poussant Grady dans sa direction - il avait beau la dépasser de deux têtes, elle semblait s'en contrefaire - avant de reprendre sa place sur le canapé. Je crois que McNeil veut te parler.

Planté ainsi devant toutes ses camarades féminines, Grady fourra ses mains dans ses poches avant de marmonner un truc qui devait ressembler à "disjmedemandaissituvoulaisvenirtepromeneravecmoiparcequecestbiendesebaladebonpourlasantétoussa." Quelque chose de tout à fait intelligible, donc. Il croisa le regard menaçant - sa manière de l'encourager, sûrement - de Jane et Grady inspira avant de reprendre la parole, de manière audible cette fois-ci.

- Tu veux venir faire un tour dans le parc, Nora ? Avec moi ? Pour euh... Pour regarder le... Euh... L'herbe.

L'herbe. Sérieusement, l'herbe ? Herbe qui était en plus recouverte de neige. Brillant. Tout simplement brillant.

- Ou autre chose que de l'herbe, si tu préfères ! s'empressa-t-il de rajouter. Je sais pas, le... Le dehors, ouais.

Grady toussota pour se donner une contenance. Il avait autant de charisme qu'une huître. Quoique, une huître, ça pouvait être un minimum charismatique puisque ça pouvait faire des perles. Lui, c'était encore pire. Il avait le charisme d'une palourde. Et encore ! Une palourde même pas mangeable ! Les palourdes tellement pas charismatiques qu'on les remettait dans l'eau pour qu'elles vivent une pathétique petite vie de palourde. Il était une palourde. Fantastique.

On était vendredi soir et Nora avait pris l'excellente décisions de profiter de sa soirée, elle aurait tout le week-end pour s'occuper de son travail. Elle avait prévu un entrainement de Qudditch demain après-midi, et avait au moins deux devoir à terminer, et une dissertation d'Histoire qu'elle n'avait même pas commencé. Elle savait qu'il aurait été plus sérieux de s'y mettre dès ce soir, pour ne pas avoir à courir après le temps pendant le week-end, mais pour une fois elle avait décidé de ne pas choisir l'option raisonnable. Elle pouvait bien être un peu flemmarde de temps en temps tout de même, bien que ce soit contraire aux valeurs de sa maison. De toute façon, maintenant qu'elle était confortablement installée dans le canapé près de la cheminée, entourée de ses camarades de dortoir, il était hors de question qu'elle bouge. Elle était beaucoup trop bien ici, à profiter de la chaleur réconfortante du feu.

"J'ai cru que j'allais mourir de froid pendant le cours de soins aux créatures magiques, ne comptez pas sur moi pour remettre le nez dehors avant lundi !"

Artémis se chargea toutefois de lui rappeler qu'elle avait entrainement demain et Nora en frissonna d'avance. Elle allait embrayer sur un autre sujet mais fronça les sourcils en voyant Jane se lever brusquement. Elle interrogea Artémis et Ellie du regard mais n'obtint aucune réponse sur l'étrange comportement de leur camarade. La préfète finit par revenir en trainant Grady par le bras et Nora haussa les sourcils, surprise.

Elle s'était un peu rapprochée de Grady ces derniers temps, et apprenait à l'apprécier. Oh ils s'étaient toujours bien entendus, mais ne se connaissaient pas vraiment. Ils étaient allée à Pré-au-Lard ensembles, la dernière fois, et s'étaient vus pendant les vacances de noël, et Nora avait à chaque fois passé un excellent moment. Elle se sentait vraiment bien en compagnie du jeune homme, ou du moins elle se sentait bien en sa compagnie avant que Jane ne vienne insinuer que Grady craquait pour elle. Nora avait nié en bloc, mais était depuis un peu plus mal à l'aise en la présence du jeune homme, se demandant toujours si Jane pourrait avoir vu juste. Grady ne pouvait pas avoir le béguin pour elle alors que son meilleur ami sortait avec Kessy Brooks ! Il devait certainement chercher une fille aussi jolie que Kessy, donc certainement pas elle.

Jane poussa le jeune homme vers elle en affirmant qu'il avait à lui parler et Nora jeta un regard désapprobateur à son amie. Pourquoi par Merlin maltraitait-elle Grady de la sorte ? Forcément, le pauvre ne savait plus où se mettre maintenant ! Nora lui adressa un sourire encourageant mais grimaça en entendant son camarade débiter un flot de paroles inintelligibles.

"Pardon ?" demanda-t-elle doucement, avec un sourire désolé.

Elle eut du mal à ne pas rire, mais parvint à se limiter à un sourire amusé, quand Grady lui proposa d'aller se promener dans le parc pour regarder l'herbe. Voilà, il était traumatisé par Jane. Il se corrigea aussitôt, assurant qu'il pouvait admirer autre chose que l'herbe, et Nora hocha la tête.

"Avec plaisir !
-Je croyais qu'il était hors de question que tu remettes le nez dehors...? lança Jane sur un ton faussement innocent.
-Je monte chercher mon écharpe !"

Nora adressa son plus beau sourire à Grady et se leva pour se diriger vers son dortoir, non sans avoir jeté un regard noir à Jane au passage. Elle était celle qui se prétendait sérieuse et voilà qu'elle s'improvisait entremetteuse, c'était ridicule ! Surtout que Grady et elle, c'était voué à l'échec. L'idée qu'elle puisse intéresser le jeune homme ne lui déplaisait pas, pourtant, mais elle refusait de l'admettre parce que ça ne servirait à rien. A quoi bon admettre qu'elle l'aimait bien puisque ça ne mènerait à rien ? Ils étaient déjà sortis ensembles deux fois et jamais Grady n'avait manifesté un intérêt autre qu'amical à son égard, il était évident qu'il la voyait comme une amie. Elle n'était bonne qu'à ça de toute façon, être une bonne copine. Pendant plus d'un an elle avait craqué sur Irving et si elle n'avait pas décidée de l'embrasser sur le quai de la gare, il serait partie pour la France sans même le savoir. Elle ne lui avait jamais demandé si ses sentiments étaient réciproques, elle préférait ne pas savoir. Il ne l'avait pas repoussé quand elle l'avait embrassé, mais il ne s'était rien passé d'autre ensuite, peut-être qu'il n'avait simplement pas voulu la froisser.

Dépitée à l'idée d'être éternellement la copine sympa avec qui on fait ses devoirs, mais qu'on ne regarde pas vraiment comme une fille, Nora soupira. Elle se força toutefois à se concentrer sur des pensées plus positives, à savoir sa future balade dans le parc avec Grady, et colla un sourire sur ses lèvres et un bonnet sur ses cheveux blonds. Une fois emmitouflée dans son écharpe en laine rose pâle, elle rejoignit la salle commune où Grady l'attendait.

"A plus tard !" lança-t-elle à l'intention de ses amies restées sur le canapé, ignorant le regard lourd de sous-entendu de Jane.

Nora suivit Grady dans les couloirs et ils débouchèrent rapidement sur le parc, recouvert d'une épaisse couche de neige. Elle avait beau être frileuse elle adorait les jours où tous le paysage était habillé d'un lourd manteau blanc. Elle frotta ses mains l'une contre l'autre pour les réchauffer -elle avait oublié ses gants- et adressa un sourire à son camarade.

"Désolée pour Jane, c'est juste qu'elle croit que...commença-t-elle avant de s'interrompre brusquement. Euh...rien. Elle est juste un peu bizarre, il ne faut pas lui en vouloir."

Grady vit clairement les lèvres de Nora se retrousser en un léger sourire : elle se fichait de lui. En même temps, il devait être parfaitement ridicule ainsi, il était le premier à le reconnaître ! Un grand dadais comme lui, il atteignait facilement le mètre quatre-vingt-douze, ainsi planté au milieu de la Salle Commune des Poufsouffle à ne pas trop savoir quoi faire pour ne pas avoir l'air trop idiot ou bêta. C'était un peu raté visiblement, songea Grady en croisant le regard hilare de son co-capitaine de l'équipe de Bavboules. Il se rengorgea pour se donner une contenance et trouva soudainement un intérêt tout particulier pour l'extrémité un peu abimée de ses chaussures. Le noir avait un peu disparu pour faire place à un peu de gris, voire même différentes teintes de gris. C'était une véritable oeuvre d'art, un tableau splendide, un chef d'oeuvre ! Un miracle de l'art contemporain, le genre de toiles tellement contextuelles que personne ne comprenait mais qui étaient tellement admirées. Ce bout de chaussure un peu éraflé était assurément la représentation de leur société capitaliste post-moderne et de sa déchéance, de l'absence de véritables contacts sociaux dans un monde dominé par la consommation égoïste et égocentrée, c'était une vraie illustration des désillusions des...

Nora avait dit oui. Oui. Elle acceptait. Abandonnant brusquement sa représentation fidèle du capitalisme post-moderne, Grady releva la tête brusquement tandis qu'un grand sourire illuminait son visage. Elle avait dit oui ! Ce n'était pas quelque chose d'énorme dans un sens, elle ne venait pas d'accepter une demande en mariage mais juste le fait d'aller regarder des brins d'herbes avec lui - quoique, engagement véritablement symbolique quand on y pensait bien, écologie et tous ces trucs - mais c'était déjà une grande victoire pour Grady qui affichait désormais un air un peu benêt, comblé par tant de ravissement. Non, il n'était pas très difficile à rendre heureux. Il hocha la tête lorsque Nora annonça qu'elle allait chercher son écharpe et répondit à son grand sourire en rougissant sûrement étant donné qu'il avait l'impression que ses oreilles pourraient faire cuire quelque chose. Un chamallow par exemple.

- Tu ressembles à une cocotte minute, lança Jane d'un ton moqueur.

Mais malgré cela, Grady savait que c'était affectueux. Il connaissait sa camarade depuis six ans eyt même si elle l'avait perturbé au début, il savait comment elle fonctionnait désormais et il pouvait affirmer avec force et conviction qu'elle ne pensait jamais à mal même si elle manquait parfois de délicatesse pour dire ce qu'elle pensait. Mais après tout, Grady était plus que mal placé pour donner des leçons de délicatesse. Voire même pour donner des leçons tout court ! Il se contenta d'hausser les épaules avec un sourire un peu gêné et de chercher le regard de James dans un coin de la Salle Commune. Si ses potes l'encourageait, alors ça allait le faire ! Grady était proche de James et Ashley depuis leur première année et même s'il partageait la Salle Commune des Poufsouffle avec James uniquement, il savait que Ash approuverait forcément : il appréciait Nora, non ? Puis bon, Grady était quand même le dernier célibataire de la bande, merci les copains ! Ashley avait Sean et James avait Kessy. Grady, lui... avait les râteaux qu'il collectionnait à la pelle dans l'optique d'ouvrir un jour un magasin de bricolage. Voilà voilà.

Enfin, ce n'est pas comme s'il allait sortir avec Nora. Pas que ça le dérangerait, hein. Parce que cela ne le dérangerait pas du tout. Mais vraiment pas du tout. Il aimerait bien même, cela lui plairait beaucoup. Elle lui plaisait Nora, elle était jolie comme tout, lumineuse, gentille et talentueuse et pleins d'autres garçons voulaient sûrement sortir avec elle, il n'avait aucune chance. Il n'avait rien de bien marquant, pas forcément très futé ou brillant, talentueux ou populaire. Il était juste... Grady, quoi. Pas très marquant comme garçon, pas le genre sur lequel on s'arrêtait, pas celui que toutes les filles s'arrachaient. Il n'y avait pas plus normal que lui et encore, il savait qu'il était quand même un peu maladroit sur les bords. Des bords larges. Genre larges comme le Lac de Poudlard. Ce qui n'était pas rien. Nora avait le choix, pourquoi est-ce qu'elle le choisirait ? Puis bon, sortir avec une fille, c'était un peu... abstrait. Il connaissait la théorie, évidemment, il avait quand même seize ans. Si, si, juré, pas sept mais bien seize ans, la maturité et tous ces trucs-là. Mais même si Grady avait tenté - tout était dans le "tenter" et il rajouterait même "laborieusement" dans son explication - de sortir avec des filles depuis deux ans, Grady n'avait jamais eu cette occasion. Il n'avait jamais embrassé une fille, par exemple. Bon, ce n'était pas quelque chose qu'il allait crier sur les toits, c'était quand même un peu la honte. Il avait pourtant essayé quelques fois. Souvent. Bon, d'accord, de nombreuses fois. Il avait failli embrasser Beth Mason l'année dernière à la soirée de fin d'année mais Anton Smith avait menacé de lui faire sa fête parce qu'il avait visiblement des vues sur Beth. Bon, Grady n'était quand même pas censé le savoir, il n'était pas un ami proche d'Anton. Enfin tout àa pour dire que si Grady connaissait la théorie, la mise en pratique lui semblait aussi laborieuse qu'un BUSE de Métamorphose. Et il avait eu T en métamorphose, pour information.

Il adressa un sourire à Nora quand elle revint de son dortoir et attrapa sa propre veste qui trainait dans un coin de la Salle Commune. Avec les récents vols, ce n'était peut-être pas raisonnable de laisser trainer des affaires comme cela mais Grady avait trop foi en ses camarades et sa maison pour penser qu'un Poufsouffle puisse être à l'origine de tout cela, aussi misait-il plutôt sur un Elfe. Ou sur le Professeur Harris dégoûté de devoir être leur directeur de maison, au choix. La deuxième hypothèse était quand même plus marrante. Rien que d'imaginer Harris en mode Ninja Furtif sur la pointe des pieds dans le dortoir des filles de deuxième année le faisait marrer. Surtout s'il faisait des bruits de Ninja. Mais là n'était pas la question, songea Grady en revenant à la réalité et en jetant à Nora un regard en biais tandis qu'elle marchait à ses cotés. Est-ce qu'il devrait être plus proche d'elle genre "soyons à l'aise, nous sommes amis ?" ou au contraire très loin en mode "je suis la version adolescente de Mydrhin Schaffer ?". Si, c'était des préoccupations importantes ! Il ne voulait pas mettre Nora mal à l'aise en étant trop collant ou au contraire avoir l'air de la fuir. En attendant de trouver la position parfaite, Grady avait juste réussi à emmêler ses jambes et avait manqué de s'écrouler sur le sol du hall, ce qui n'était pas très glamour. Pourquoi l'esprit de Killian Gray ne pouvait-il pas le guider de temps à autres ?

Grady réussit à rétablir un équilibre à peu près potable pile au moment reprenait la parole et il prit un air décontracté. Enfin, un air qui se voulait décontracté. Toute la nuance était là.

- Qu'est-ce que Jane croit ? demanda-t-il, curieux. J'lui en veux pas, ajouta Grady en haussant les épaules, un sourire aux lèvres. C'est Jane quoi, on finit par la connaître avec le temps !

Tout le monde jurait peut-être un peu le contraire chez les Poufsouffle, mais ils l'aimaient bien leur préfète. Elle s'acquittait de son rôle avec sérieux et essayait toujours d'aider les gens. Les résultats n'étaient peut-être pas au rendez-vous parfois mais aux yeux de Grady, c'était l'intention qui comptait. Et puis sans Jane, il serait encore à tergiverser pour inviter Nora à se promener. Ils sortirent dans le parc rendu blanc par la neige et Grady sentit son âme d'enfant se réveiller, ou plutôt se manifester. Ce n'était pas comme si elle s'était un jour endormie, hein, il ne fallait pas se voiler la face. Il adorait la neige. Certains, c'était pour la beauté du paysage. Lui, c'était pour les bonhommes de neige et les glissades. Il observa Nora qui se frottait les mains et son cerveau ne percuta pas tout de suite sous l'information, laissant quelques secondes au séducteur en lui à ses neurones pour faire la connexion. Elle avait froid.

Une fille qui avait froid, c'était un truc de séduction, non ? Un truc un peu cliché mais un truc quand même. Est-ce qu'il devait lui prendre la main ? Il n'oserait jamais. Il risquait de tenter puis de se raviser au dernier moment dans une excuse un peu pitoyable comme "Ma main ressentait le besoin de prendre l'air. Oui, près de la tienne, tout à fait." Est-ce qu'il devait lui passer sa paire de gants ? Ne rien faire ? Ne rien dire ? Paniquer, partir en courant et se rouler dans la neige ? ... ... Bon, peut-être pas la dernière solution en fait. Il allait lui prendre la main. Mais si elle ne voulait pas ? Et si elle voulait bien ? Whouah, la deuxième hypothèse était carrément plus effrayante que la première. Parce que si Nora acceptait, cela voulait forcément dire quelque chose, non ? Et sinon, il pouvait toujours prétendre à un spasme musculaire. Voilà, bonne idée le spasme. Son bras avait glissé. Oui. Avec le froid. Si, si, c'était possible. Et puis il était un homme, non ? Les hommes étaient virils et affirmés, toutes ces choses-là. Ils savaient ce qu'ils faisaient. Allez Grady, un peu de nerfs. Quelques centimètres vers Nora, voilà comme ça. Approche initiale réussie. Déploiement du bras en dehors de la poche, d'un air nonchalant. Genre "hop, hop, hop, je passais par là." Étirement des  doigts tel un cow-boy des temps modernes. Pivotage stratégique vers la main de Nora, tout en douceur. La main de Grady effleura la main de Nora quelques secondes, presque franchement et Grady était déterminé à continuer son mouvement d'une grande subtilité quand il eut l'impression que Nora se tournait vers lui. Pour lui demander par exemple ce qu'il était en train de faire. Il battit en retraite précipitamment, paniqué à l'idée qu'il l'ait contrariée. Il devait avoir l'air fin. Vite, une réplique. Un truc intelligent ou spirituel à dire. Un truc drôle. Ou juste un truc quoi, ne mettons pas la barre trop haut.

- Euh... Tu veux mes gants ?

Grady avait à présent le leadership des troupes de Napoléon à Waterloo.

- Il fait froid.

Et une spiritualité comme celle de Dumbledore en personne. Bien joué mon gars. Il retira ses gants noirs et les tendit à Nora, encore un peu mal à l'aise. Il avait failli lui prendre la main quoi, c'était presque aussi audacieux qu'un Gryffondor dans la Salle Commune des Serpentard. Et oui, rien que ça !

"Rien ! répondit-elle un peu précipitamment quand Grady lui demanda ce que croyais Jane. Des bêtises..." reprit-elle un peu plus posément.

Des bêtises peut-être pas...Nora aurait bien aimé que Jane ait raison. La préfète avait souvent raison, d'ailleurs. Et même quand elle avait tort, elle se débrouillait pour gagner le débat d'une façon ou d'une autre, c'était incroyable. Nora ne pouvait qu'admirer les talents de son amie, qui avait bien plus de répartie qu'elle. Parfois elle aurait aimé avoir un peu de la verve de Cassandre Harper, et toujours avoir quelque chose à dire. Malheureusement, la jeune fille était bien souvent à court de mot, où trouvait la réplique idéale des heures après la discussion concernée. Grady devait la trouver ennuyante, et si ce n'était pas encore le cas cela finirait bien par arriver.

Nora se demandait où Jane était allée chercher qu'elle plaisait à Grady ? Avait-elle manqué des signes ? Elle ne se souvenait de rien que Grady ait dit ou fait qui aurait pu trahir des intentions à son égard. Ils passaient un peu plus de temps ensembles ces derniers temps mais c'était simplement un concours de circonstances. Ils avaient eu l'occasion de se connaitre un peu plus, l'avaient saisi, et étaient devenus amis. Rien de plus. A moins qu'elle ait manqué quelque chose ?

La jeune femme posa sur le visage de son camarade un air songeur, essayant de voir ce qu'elle n'avait pas vu, cherchant à trouver des preuves qu'elles savaient pourtant inexistantes. Jane était peut-être très intelligente, mais elle s'était trompée sur ce coup-là. Nora sentit sa gorge la piquer un peu et fut forcée de reconnaitre qu'elle était déçue. C'était la déception qui lui tombait sur le cœur quand elle réalisait que Grady ne voulait certainement pas sortir avec elle. Cette fois inutile de nier ses propres sentiments. Dans quoi s'était-elle embarquée encore ? Était-elle incapable d'être juste amie avec un garçon ? Pourquoi est-ce qu'elle craquait sur des amis qui ne la voyaient que comme une bonne copine ? Elle ferait tout aussi bien de s'amouracher de séducteur à la Kilian Gray, au moins elle saurait à quoi s'en tenir. Parce qu'avec Grady elle ne pouvait s'empêcher d'espérer. Il était tellement gentil, il la faisait rire, il recherchait sa compagnie, et tout ça faisait naitre en elle de faux espoirs. Et il n'y avait rien de pire.

Nora était toute à ses pensées quand elle sentit la main du jeune homme effleurer la sienne. Elle baissa brusquement les yeux, dans un mélange de surprise et de joie. Son cœur s'emballait déjà et elle commença à sourire à l'idée que ces espoirs n'étaient peut-être pas si faux que ça. Mais Grady retira sa main. Évidement. Nouvelle déception. Elle en avait marre, marre de se faire des idées et d’être toujours déçue. Peut-être qu’elle devrait tenter sa chance une bonne fois pour toute, pour être fixée ? Au fond elle savait très bien que c’était la chose à faire, mais c’était un peu effrayant. Très effrayant même. Elle n’avait jamais dragué un garçon –sauf si inviter un garçon dans la salle de bain des préfets comptait comme de la séduction, mais c’était un autre débat- elle ne savait pas comment si prendre. Et, puisqu’elle n’avait jamais fait d’avances à personne, elle ne s’était jamais faite rejetée par personne, et c’était ce qui l’effrayait. Que se passerait-il si elle lui prenait la main et qu'il la regardait comme si elle était folle en lui demandant ce qui la prenait ? Elle n'y survivrait pas L'adolescente se morigéna intérieurement. * Aller, un peu de courage !*

Décidée, elle plia un peu le bras en essayant de ne pas trop réfléchir à ce qu'elle allait faire mais sa soudaine audace ne dura pas bien longtemps puisqu'elle fut interrompue dans son geste courageux par Grady qui reprit la parole.

"Euh... Tu veux mes gants ?"

Grady n'avait absolument pas cherché à lui prendre la main, il avait juste compris qu'elle avait froid. Tant pis...Elle ne devrait même plus être déçue, à force. Pourtant elle l'était. Nora essaya de cacher sa contrariété derrière un sourire un peu forcé.

"Non ça va merci, garde-les, c'est toi qui vas avoir froid après."

Mécaniquement, elle avait posé sa main sur celle de Grady pour le forcer à refermer ses doigts sur sa paire de gants noirs. Lorsqu'elle s'en aperçu elle voulut aussitôt la retirer, mais n'en fit rien. Elle tentait le coup. Prise d'un courage tout Gryffondoresque -ou plutôt d'une sorte d'énergie du désespoir- la jeune fille n'ôta pas sa main de celle de son camarade. Tant pis si elle était encore déçue, tant pis si toutes ces illusions tombaient en miettes, au moins elle arrêterait de se poser sans cesse des questions.

C'était dans ces moments-là, exactement, qu'elle aurait voulu avoir un plus de repartie. Que dirait une Juliet Wilson, une Georgiana Wrigt ou une Kelsey Lorgan dans un moment pareil ? Nora aurait voulu dire quelque chose de percutant, de sexy, d'un peu drôle mais plein d'assurance, ou même de juste mignon. Pour une fois elle aurait aimé trouver la phrase parfaite, celle qu'on aurait vue dans un film romantique et qui l'aurait rendue plus intéressante, plus sûre d'elle, plus attirante. Mais elle ne dit rien et se contenta d'un sourire un peu timide. Ridicule.

"On marche ?" suggéra-t-elle pour cacher sa gêne, sa main toujours dans celle de Grady.

Si Grady avait eut un minimum de perspicacité - et tout se trouve ici dans l'emploi du conditionnel - il aurait pu noter l'empressement de Nora à répondre à sa question et donc en déduire des choses. Malheureusement, l'observation n'avait jamais été son fort et il ne nota rien dans la voix de Nora, passant donc à coté d'informations qui auraient pu lui servir. Il avait toujours été comme ça, un gamin un peu naïf à qui on pouvait tout faire croire. Quand il était petit et venait rendre visite à ses grands-parents à la Cité Nimbus, les autres enfants du quartier s'amusaient à lui faire croire n'importe quoi, comme le fait que Nimbus utilise des peaux de licornes vivantes pour lustrer les balais - chose qui l'avait absolument horrifié à l'époque au point qu'il s'était mis à sangloter sur le sort des bébés licornes et était revenu pleurnicher auprès de sa mère pour qu'elle l'aide à sauver les "nicornes" - et autres bêtises du genre. Il n'avait pas vraiment changé avec les années et restait un grand naïf, quelqu'un de facilement impressionnable.

Ce manque de discernement lui avait joué plusieurs fois des tours et continuait de le faire, comme à l'instant lorsqu'il ne remarqua pas le regard que posait sur lui Nora. Qu'aurait-il fait s'il l'avait intercepté ? Peut-être pas grand chose, certes. Il fallait quand même garder à l'esprit qu'on parlait de Grady et ce n'était pas rien, d'être Grady. Mais peut-être qu'il aurait eut un peu plus de courage, un peu plus de confiance en lui s'il avait pu, peut-être, se douter qu'il plaisait un tant soit peu à Nora. Ce n'était pas très compliqué à deviner pour les gens perspicaces - cette espèce étrange de gens qui restait un mystère pour Grady - mais le jeune homme n'avait pas confiance en lui. Oh, certes, il le cachait derrière pas mal d'auto-dérision et de pitreries afin de faire rire les autres avec lui, car c'était toujours mieux que s'ils riaient de lui, mais il se considérait pataud, pas futé, pas populaire et pas à la hauteur, tout simplement. Il n'était pas comme certains garçons de Poudlard, sociables et décontractés naturellement ou brillant avec des notes excellentes et un avenir prometteur, il n'était pas ces types appréciés et réputés. Grady n'était rien de tout ça et il était persuadé que tant qu'il n'aurait pas atteint cet idéal un peu fantasmé du mec populaire, Grady ne serait rien de plus qu'un gros lourd parmi d'autres.

Évidemment, il était incapable de prendre tant de recul sur lui-même et se rendre compte qu'il n'y avait pas qu'un seul modèle social de réussite. Après tout, il n'était qu'un adolescent de seize ans et encore ! Un garçon de seize ans. Du coup, en attendant de mûrir un peu - si, ce mot était présent dans son vocabulaire, quelque part entre "responsabilités" et "avenir" - Grady était persuadé qu'il ne plairait jamais à Nora et qu'elle méritait quelqu'un de bien mieux.  Aussi passa-t-il complètement à coté de son sourire réjoui lorsque leurs mains s'effleurèrent et recula brusquement de peur de l'avoir vexée / effrayée / traumatisée (rayez la mention inutile.) Et il eut vite l'impression que sa crainte se vérifiait lorsqu'elle refusa ses gants. Évidemment ! A quoi pensait-il ? C'était complètement débile de proposer ses gants à une fille ! De un, elle devait avoir découvert qu'il l'appréciait peu un peu trop et elle allait se sentir mal et ne plus vouloir lui parler parce que qui voulait parler avec le loser de sixième année qui vous collait un peu partout en espérant pouvoir sortir avec vous, hein ? Et en plus, qu'est-ce qu'il lui était passé par la tête ? Est-ce que Killian Gray proposerait ses gants à une fille ? Non. De un, parce que Killian Gray ne portait pas de gants, Killian Gray était trop cool pour ça. Et de deux parce que c'était ringard au possible. Des gants quoi. Pourquoi pas un cache-oreille fluorescent pendant qu'il y était ?

Grady se serait bien tapé la tête sur tous les objets durs qui passaient à sa proximité - un mur, une table, la surface glacée du lac, le cœur d'Edmund Harris - mais il sentit la main de Nora se refermer autour de ses doigts ce qui le fit clairement bugger. Nora. Qui lui tenait la main. Qui avait sa main dans sa main. Ses doigts sur ses doigts. Un contact. Il regarda leurs mains, puis Nora, puis leurs mains, puis Nora, puis leurs mains puis... Elle lui tenait la main. ELLE LUI TENAIT LA MAIN. Oui, il ressentait le besoin de le hurler. Et non, il ne se sentait pas bien. PARCE QUE NORA WEAVER LUI TENAIT LA MAIN, UNE FILLE LUI TENAIT LA MAIN AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH. C'était à peu près la seule pensée - à peu près - cohérente de Grady à cet instant précis. Qu'est-ce qu'il était censé dire ? Qu'est-ce qu'il était censé faire ? Son cerveau carburait le plus vite possible - et oui, encore une fois, c'était possible - et il finit par se décider par une solution qui à défaut d'être du niveau de Killian Gray le ferait passer pour une personne socialement adaptée, ce qui était déjà pas mal quand on y pensait bien. Il referma ses doigts autour de ceux de Nora et inspira profondément-mais-pas-trop-pour-ne-pas-avoir-l'air-trop-ridicule. Il tenait la main de Nora. Pas de panique, il n'y avait pas de raison de paniquer, tout était bien, situation maitrisée, pas de manique, on respire, on inspire, on expire, pas de panique, tout est cool, zen, béatitude, yoga, soja et tous ces trucs là.

- D'a... D'accord.

C'était bien, marcher. Il maitrisait. Un pied devant l'autre, tous ces concepts... Ca devrait le faire. Et surtout, avoir l'air détendu. Genre le type qui fait ça tout le temps. Pas marcher tout le temps ! Enfin, quoi que. Mais tenir la main d'une fille. Il fallait avoir l'air nonchalant. Comme s'il n'était pas en train de paniquer intérieurement. C'était compliqué quand même, de tenir la main d'une fille. Il essayait de ne pas trop bouger son bras pour ne pas secouer Nora mais sans resté tout raide pour ne pas avoir l'air trop idiot. Il fallait qu'il fasse diversion. Peut-être qu'il pouvait parler ? Parler c'était peut-être bien aussi. Ça lui donnerait l'air détendu. Parler était aussi un concept qu'il était censé maitrisé. Il pouvait le faire. Go. Ouvrir la bouche, articuler une syllabe, puis un mot et même une phrase s'il avait la foi. Conjuguée même, parce qu'il était un fou quoi, un rebelle.

- C'est sympa de marcher dans le parc. Tranquillement, paisiblement, volontairement...

Oui il connaissait plein de mots en -ent. Et oui, il était ridicule. Un peu de nerfs, Helga ! Nora allait le prendre pour un abruti et il allait tout fiche en l'air. Il ne pouvait pas juste agir normalement ? Sans se prendre la tête ? Grady soupira et stoppa sa marche. Nora était son amie avant tout, il l'appréciait et il n'avait pas envie de gâcher sa soirée en faisant l'idiot parce qu'il était incapable de se comporter naturellement sans stresser. Il avait fréquenté Nora pendant six ans sans problèmes et il n'avait pas envie de gâcher ça.

- Je dis n'importe quoi, excuse-moi.

Et c'était le cas de le dire, il était ridicule et Nora devait sincèrement regretter de l'avoir accompagné. Il n'avait pas envie de l'embêter, ou qu'elle se sente obligée de rester là pour être polie.

- Je me comporte comme un idiot, je suis désolé. Si tu veux rentrer, je t'en voudrais pas, te sens pas obligée de rester si tu t'ennuies !

Il n'avait pas lâché sa main et était sincère. Il ne lui en voudrait pas du tout, il se rendait lui-même compte de son attitude pathétique.

- C'est juste que... poursuivit-t-il, emporté par son élan d'honnêteté. Fichues valeurs Poufsouffle. Tu me rends un peu nerveux, marmonna-t-il en faisant un petit trou dans la neige avec sa chaussure. Je t'aime bien Nora et euh...

Il posa son regard sur Nora et sentit quelque chose. Quoi ? Il n'en n'avait pas la moindre idée. Peut-être qu'il sentit tout simplement que c'était le bon moment. Que s'il n'essayait pas maintenant, il n'essayerait jamais. Nora était là, face à lui et il l'appréciait, il espérait que c'était réciproque et elle était jolie comme tout avec son bonnet, ses cheveux blonds et ses joues un peu roses avec le froid. Et il l'aimait vraiment beaucoup et il voulait le lui dire, tout simplement. Il savait que s'il essayait de s'expliquer tout simplement, il finirait par bafouiller et s'emmêler les pinceaux et ferait diversion avec une tentative d'humour un peu vaseuse et il regretterait de ne pas avoir saisit sa chance à ce moment précis.

Il n'avait jamais embrassé de filles de sa vie mais il ne le ferait jamais s'il évitait à chaque fois de le faire par peur du rejet. Peut-être que Nora le repousserait, c'était une possibilité. Une forte possibilité même. Mais il composerait avec, il se forcerait à composer avec. Il fallait bien prendre des risques de temps à autres, non ? Et puis après tout... Ce ne serait pas son premier râteau. Sûrement un des plus durs, parce qu'il appréciait vraiment vraiment Nora et qu'être avec elle était cent fois plus tangible que de rêver de Kessy Brooks, mais il s'en remettrait. Enfin, il espérait. Lentement, Grady se pencha vers sa camarade pour rapprocher son visage du sien. Il aurait pu prévoir un bon nombre de scénarios catastrophes. Une gifle, une attaque Mardolienne, une révolte d'Elfes de Maisons, le Calamar Géant dansant la Samba ou encore Dérébusor en sous-vêtement dans le parc de l'école.

Oui, Grady pouvait admettre que beaucoup de choses se passent à cet instant précis. Mais sûrement pas le fait de s'étaler sur une plaque de verglas juste au moment où il s'apprêtait à embrasser Nora. Il s'étala de tout son long en moins de temps qu'il n'en faut pour dire Quidditch et se retrouva aux pieds de sa camarade, un peu endolori et l'égo brisé, piétiné, mâché, jeté dans le lac et offert en cadeau de Saint-Valentin à un Strangulot. Il avait eut le malheur d'avancer un tout petit peu son pied, juste un tout petit peu, en direction de Nora juste avant d'effleurer ses lèvres et avait réussi à bousiller ses chances avec la jeune fille et le peu d'estime de lui qu'il avait de lui-même.

- Je crois que l'univers m'en veut, en fait, finit-il par lancer en s'efforçant de pas plonger sa tête sous la neige et d'y mourir congelé pour étouffer sa honte.

Elle n'aurait pas dû faire ça. Qu'est-ce qui lui avait pris par Merlin ? Elle n'était pas si entreprenante d'habitude, et elle aurait du s'en tenir à ça. Elle-même était surprise de son audace mais Grady semblait carrément...au bord de l'arrêt cardiaque. Littéralement. Nora baissa la tête pour cacher sa déception. Visiblement son camarade ne s'attendait pas du tout à ce qu'elle agisse ainsi, sans doute parce qu'il n’espérait pas qu'elle le ferait. Il n'avait jamais eu envie qu'elle se comporte ainsi parce qu'elle ne lui plaisait pas. C'était plutôt clair. Message reçu. Pourquoi est-ce qu'elle avait écouté Jane ? Pourquoi fallait-elle toujours qu'elle écoute les autres plutôt que de se faire sa propre opinion ? Si elle avait été un peu plus observatrice elle aurait bien vu qu'elle ne plaisait pas du tout à Grady. Il lui avait proposé ses gants. Ses gants ! S'il s'intéressait à elle il lui aurait lui-même pris les mains plutôt que de lui proposer ses gants.

Nora s’apprêtait à retirer sa main de celle de Grady mais il referma ses doigts autours des siens. Loin d'y voir un signe encourageant, elle ne vit là que la preuve de la gentillesse de son ami. C'était gentil de sa part de ne pas vouloir la blesser, mais c'était aussi inutile, le message était passé. Elle eut du mal à sourire quand il accepta sa proposition de marcher un peu, mais se força. Elle avait la gorge nouée et prit sur elle pour ne pas montrer sa détresse. Malheureusement elle n'était ni bonne comédienne ni bonne menteuse et était trahie par ses yeux brillants de larmes et sa mine peinée.

La jeune fille fronça les sourcils quand Grady affirma que c'était agréable de marcher. Le pauvre devait se sentir obligé de faire la conversation. Elle n'aurait pas dû rester silencieuse ainsi, mais elle ne savait pas quoi dire. Elle aurait pu mettre les choses à plat, ôter sa main de la sienne et s'excuser de l'avoir mis mal à l'aise mais ce serait reconnaitre qu'elle s'était fait des idées et elle n'était pas prête à ça. Son cœur était déjà en morceaux, inutile de briser le peu de dignité qui lui restait. Grady s'excusa alors de raconter n'importe quoi et Nora leva vers lui un regard interrogateur.

"C'est ma faute, je suis désolée, j'aurais pas dû..." commença-t-elle incertaine.

Elle ne termina jamais sa phrase, par manque de courage sans doute. Grady poursuivit en assurant qu'il se comportait comme un idiot et elle fit non de la tête. Il n'avait pas à se reprocher quoi que soit, il avait bien le droit de ne pas la voir comme elle l'aurait voulu. Elle n'allait pas lui en vouloir parce qu'elle ne lui plaisait pas, elle comprenait. Elle n'était pas très attirante comme fille. Elle n'était ni aussi jolie que Kessy Brooks, ni aussi sûre d'elle que Georgiana, elle n'était pas très intéressante et n'avait rien d'extraordinaire. Finalement c’était plutôt normal qu’il ne veille pas d’elle. Il termina en lui disant qu'elle n'était pas obligée de rester et un air triste passa sur le visage de Nora. Est-ce qu'il voulait qu'elle parte ?

"Si ce...comme tu veux..." répondit-elle, penaude.

Elle baissa à nouveau la tête, retenant les larmes qui lui montaient aux yeux. Grady avait raison, elle ferait mieux de partir, rentrer au château en courant, s'enfermer dans son dortoir et pleurer sur son oreiller jusqu'à s'endormir. Elle s’apprêtait à s'enfuir en courant quand le jeune homme reprit la parole pour marmonner qu'elle le rendait nerveux.

"Désolée, je voulais pas..." s'empressa-t-elle de murmurer.

Évidement qu'elle le rendait nerveux, à agir comme une idiote. Qu'est ce qui lui avait pris de lui prendre la main franchement ? Nora était occupée à se maudire intérieurement mais fut tirée de ses pensées par une remarque de Grady, des plus inattendues. Il l'aimait bien ? Qu'est-ce que ça voulait dire ? Est-ce que c'était un "Je t'aime bien, je veux pas qu'on se fâche mais je préférerais qu'on reste amis" ou un "Je t'aime bien, bien." Nora sentit malgré elle un espoir renaitre. C'était mal, elle allait encore être déçue, mais c'était plus fort qu'elle. Et si elle lui plaisait un peu finalement ? Peut-être qu'il avait juste été surpris, peut-être que...?

Le cours de ses pensées s'arrêta brutalement quand elle vit le visage de Grady s'approcher du sien. Son cœur se mit à marteler ses côtes à une vitesse affolante alors que son cerveau au contraire paraissait fonctionner au ralenti. Ce fut la seconde la plus longue de son existence. Elle n'avait jamais connu ça. La première fois qu'un garçon l'avait embrassé elle avait trop bu pour réaliser ce qui se passait avant que cela n'arrive, et la première fois où elle avait embrassé un garçon c'était sur le quai d'une gare après une course folle. Il n'y avait jamais eu cet instant un peu hors du temps, ce petit moment d'hésitation, d'excitation. Elle aimait bien.

Elle aurait aimé davantage cet instant magique s’il avait été effectivement suivi d'un baiser, ce qui ne fut pas le cas. Nora avait à peine fermé les yeux, s'abandonnant déjà à ce baiser qu'elle avait tant espéré, quand quelque chose la tira brutalement vers le sol. Et ce quelque chose n'était autre que Grady, qui venait vraisemblablement de glisser sur une plaque de verglas, s'étalant de tout son long et entrainant Nora dans sa chute.

Voyant qu’aucun d’eux n’était blessé, la jeune fille rit à la remarque de Grady, attendrie. L'univers n'était pas de leur côté, en effet. Mais ils n'avaient pas besoin de l'univers, plus maintenant en tout cas. Elle commençait à comprendre, du moins elle croyait deviner ce qu'elle n'avait pas réussi à voir avant. Elle avait tout compris de travers, en tout cas c'était ce qu'elle espérait. Plus que jamais, elle avait envie de s'être trompée, d'avoir mal interprété les signes, de ne pas avoir vu.

"On peut toujours bafouer les lois de l'univers..." suggéra-t-elle avec un sourire timide.

Prenant son courage à deux mains, elle en posa une sur la neige glacée et se pencha doucement vers Grady. Elle retrouva avec délice la fébrilité qui l'avait envahi tout à l'heure, ce mélange d'appréhension, d'excitation, d'envie, et elle finit par poser ses lèvres sur les siennes.

Peut-être qu'il devrait écrire un manuel de drague. Certes, avec ce qui venait de se passer, les gens pouvaient légitimement être sceptiques quant à sa capacité à draguer une fille. Mais peut-être que le succès de son livre résiderait dans le fait qu'il listerait toutes les choses qu'il ne fallait pas faire pour séduire une demoiselle et là, à tous les coups, ce serait un best-seller. En effet, Grady avait quand même le talent - inné, il fallait le dire ! - d'être le plus grand boulet que l'univers ait jamais connu. Il est était l'anti-Killian Gray, le frère jumeau maléfique ou plutôt bouléfique de Jeremy Baker, le pire dragueur qui ait jamais foulé le sol de l'école Poudlard. Il venait tout de même de faire tomber dans la neige - et pas une petite chute mignonne de films romantiques, non ! La bonne grosse gamelle bien ridicule - la fille qu'il avait tenté d'embrasser. Merlin voulait lui faire passer un message voilà tout. Un message du genre "tu finirais ta vie seul et malheureux et même tes chats ne t'aimeront pas parce que tu es nul Grady McNeil parce que tu es programmé pour échouer et que tu échoueras toute ta vie parce que tu es un perdant". A un ou deux mots près, quoi. Il était ridicule et il se maudissait mille fois, il maudissait ses parents qui avait eut la mauvaise idée de le mettre au monde, Jane pour l'avoir poussé à sortir, ses copains pour arriver à se mettre avec quelqu'un, eux, et encore lui parce qu'il ne lassait jamais de se détester.

- Je suis désolé, marmonna-t-il à l'adresse de Nora, rouge comme un Souaffle et dépité comme le Professeur Dérébusor devant un élève qui n'avait pas peur de lui. Je ne t'ai pas fait mal, au moins ?

Il ne manquait plus que ça, s'il l'avait blessée, il s'en voudrait toute sa vie et deviendrait moine pour expier ses pêchés. Il passerait sa vie à cultiver de la salade et à marier des couples pour bien enfoncer le clou au fond de son cœur. Pourquoi ne pouvait-il pas être un garçon normal, qui se comportait normalement et à qui il arrivait des trucs normaux ? Nora rit - ce qui soulagea un peu Grady, au moins il ne lui avait pas fait mal - et il haussa les épaules, penaud. Il ne savait pas si elle se moquait de lui - Nora était adorable mais il y avait de quoi - ou si elle était juste amusée par la situation, et dans ce cas là cela voulait dire qu'il n'avait peut-être pas tout gâché. Il s'interdit d'espérer trop fort quand même, de peur d'être déçu - un peu comme les Canons de Chudley qui espéraient à chaque fois gagner leur match - mais il ne pouvait s'empêcher d'avoir cette pointe d'espoir, cette envie de pouvoir continuer à parler avec Nora sans qu'elle ne lui en veuille ou le trouve ridicule. Parce qu'il l'appréciait, il l'appréciait vraiment et s'il avait essayé de l'embrasser quelques minutes auparavant - ce qui resterait sûrement l'un des moments les plus embarrassants de sa vie au vue de ce qui c'était passé - ce n'était pas pour rien, c'était parce qu'elle lui plaisait et qu'il voulait lui dire. Il n'avait pas eut le temps de voir si elle avait envie de le repousser - il s'était chargé tout seul comme un grand de faire rater ce baiser - mais ne savait pas s'il oserait recommencer, de peur de s'écrouler encore une fois sur le sol ou surtout de se prendre (encore une fois) un râteau.

- Il est contre moi depuis que je suis venu au monde, donc je ne sais pas si...

Non, Grady n'avait pas compris le sous-entendu dans la phrase de Nora. Mais Grady n'était pas forcément un garçon très fin ou observateur et à ce moment précis, il l'était encore moins que d'habitude : on aurait dit le Professeur Mason qui tentait de surveiller un contrôle pour éviter la triche, ce qui n'était pas rien niveau manque d'observation quand même. Mais pour une fois dans sa vie, pour la première fois depuis qu'il avait appris à parler, l'univers fit don de quelque chose à Grady, quelque chose de vraiment utile : l'art d'apprendre à se taire. Il vit Nora se pencher doucement vers lui et se tut, sentant son cœur s'emballer comme Katy Scott devant un nouveau vernis. Elle allait l'embrasser. On allait l'embrasser. Il allait embrasser quelqu'un. Il plaisait suffisamment à quelqu'un pour qu'on l'embrasse. Il plaisait à Nora. Ou bien elle avait complètement pitié de lui mais il préférait quand même largement la première solution.

Incapable de savoir comment réagir, Grady resta un peu figé jusqu'au moment où Nora posait ses lèvres sur les siennes, moment où il ferma les yeux pour savourer l'instant. C'était décidément plus qu'agréable et il ne critiquerait plus jamais les couples qui passaient leur temps à ça dans les couloirs, même lorsqu'ils bouchaient l'accès à la Salle Commune. Les lèvres de Nora étaient douces, il sentait son parfum qui envahissait ses narines et il n'avait qu'une envie, c'était de la prendre dans ses bras. Il n'en fit néanmoins rien, n'osant pas la brusquer ou paraître trop entreprenant - alors qu'il avait actuellement la timidité d'une petite fille de douze ans - et se contenta d'essayer de répondre à son baiser, chose qui était quand même plus compliqué qu'il n'y paraissait au premier abord. Ils finirent par se séparer, bien trop vite au goût de Grady qui aurait aimé poursuivre l'expérience et il posa les yeux sur Nora, un sourire niais aux lèvres. Il ne savait pas vraiment quoi dire ou quoi faire - qu'était-on censé faire quand on embrassait une fille pour la première fois et qu'on avait juste envie de recommencer encore et encore ? - et résista à l'envie de l'embrasser de nouveau en déposant un baiser sur sa joue, tout près de ses lèvres.

- Jane va encore dire qu'elle avait raison, fit-il, faussement contrarié.

Mon son grand sourire trahissait ce qu'il pensait, ainsi que ses yeux rieurs et il se pencha de nouveau vers Nora pour l'embrasser encore, histoire d'en profiter tant qu'il le pouvait. A vrai dire, s'il avait été raisonnable, il n'aurait jamais arrêté. Mais Grady était un garçon tout à fait raisonnable, si si, et il finit par se détacher de Nora avant de se relever de manière un peu pataude et de lui tendre les mains pour qu'elle ne reste pas par terre. La neige c'était beau, mais c'était froid - une phrase profonde qu'il songeait à faire créditer - et il n'avait pas envie que Nora ait froid. Il conserva ses mains dans les siennes tandis qu'une question traversait son esprit. Dans les faits, ils s'étaient embrassés, mais on ne savait jamais, c'était compliqué les filles. Et tant pis s'il avait l'air ridicule, il était bien trop heureux pour se soucier de ça. Alors quitte à être ridicule, autant y aller à fond ! Grady se pencha pour ramasser un brin d'herbe sèche, la neige ayant un peu déserté l'endroit où ils étaient tombés et il le tendit à Nora, rieur.

- Il faut bien qu'on tienne parole et qu'on regarde l'herbe, quand même. Voilà un superbe spécimen de poaceae - être bon en botanique pouvait vous faire paraître intelligent, de temps en temps - et c'est follement romantique de l'admirer avec sa... petite-amie ?

Voilà, la question était posée. Avec la subtilité d'un troll des montagnes, certes, mais c'était ce que Grady pouvait faire de mieux. Et c'était déjà très bien pour lui, quand on y pensait bien.

Elle l'avait fait. Elle avait embrassé Grady, abandonnant ses doutes et sa crainte d'être rejetée. Chose qu'elle commençait un peu à regretter. Parce qu'il ne se passait rien. Elle venait de poser ses lèvres sur les siennes, et rien. Elle le sentait juste immobile, presque pétrifié, et n'osait même pas ouvrir les yeux pour vérifier. Le temps semblait s'étirer à l'infini, rendant insupportable ce tout petit moment de flottement. Son cœur tomba comme une pierre au creux de son estomac et elle esquissa un mouvement de recul pour se séparer du jeune homme, honteuse et dépitée, mais il lui rendit enfin son baiser et elle sourit contre ses lèvres. Toutes les sensations qu'elle avait désespérément attendues un instant plus tôt la submergèrent tout à coup et elle passa une main derrière la nuque de Grady, savourant la douceur de ses lèvres.

Ils finirent par se séparer et elle posa un regard curieux sur son camarade, s'inquiétant un peu de sa réaction tout en affichant un grand sourire sans doute un peu niais. Elle avait l'impression de le voir pour la première fois, peut-être parce qu'elle ne l'avait jamais bien regardé. Il lui apparaissait soudainement plus beau que d'habitude, elle ne se lassait pas d'admirer son regard, trouvait son sourire adorable, et se demandait pourquoi elle n'avait jamais remarqué ça avant. On ne pouvait pas vraiment parler de coup de foudre, ils se connaissaient depuis des années et leur première rencontre n'avait rien eu de romantique. C'était le jour de la rentrée, en première année. Nora avait passé le trajet avec sa grande sœur et deux de ses amies. Mais Amely, alors en cinquième année, avait été appelée par son devoir de préfète et avait quitté le compartiment avant la fin du trajet. A l'arrivée ses deux amies étaient parties retrouvées des camarades de classe et Nora s'était retrouvée toute seule, à essayer d’extirper sa valise du filet à bagages, debout sur la banquette, désespérément trop petite. C'était Grady qui était venu l'aider, alors qu'elle commençait à désespérer. Il était déjà bien plus grand qu'elle à l'époque et avait proposé de l'aider à descendre sa valise, ce qui l'avait fait avec grâce et délicatesse -soit en assommant violemment Nora avec ladite valise. Il s'était excusé environ un million de fois et elle lui avait répondu tout autant de fois qu'elle allait bien, même si elle était un peu sonnée. Ils s'étaient perdus de vue sur le quai mais s'était souri en se retrouvant à la table des Poufsouffles, une heure plus tard. Cette histoire de valise avait vite été oubliée  -elle était certaine qu'il ne s'en souvenait même plus-  remplacée par des soirées de jeux dans la salle commune avec toute leur maison, des exposés en binômes, des devoirs de potions et tous ces autres moments qu'ils avaient pu partager en six ans de cohabitation et de camaraderie.

Non, ce n'était pas un coup de foudre, mais c'était encore mieux. Parce qu'elle connaissait déjà Grady, elle n'avait aucune appréhension à avoir parce qu'elle n'aurait pas de mauvaise surprise. Et pourtant elle sentait qu'elle avait encore plein de choses à découvrir à son sujet...Elle en savait assez pour lui faire confiance, pour être bien avec lui, mais pas trop, et ça lui plaisait. Nora rosit un peu quand Grady déposa un baiser au coin de ses lèvres et lui adressa un sourire timide, les yeux pleins de question. Elle rit doucement quand il affirma que Jane allait encore se vanter d'avoir raison, puis haussa les épaules.

"Elle a toujours raison de toute façon..."

Au point que ça en devenait frustrant par moment, mais cette fois-ci Nora était bien contente que Jane ait vu juste. Grady se pencha vers elle pour l'embrasser et elle ferma les yeux, savourant l'instant. Elle aurait pu recommencer, encore et encore, elle avait l'impression qu'elle ne s'en lasserait jamais. Mais ils n'allaient pas éternellement assis dans la neige, sous peine de se changer en glaçon. Grady fut le premier à se relever et elle attrappa avec un sourire reconnaissant la main qu'il lui tendait pour l'aider à en faire autant. Elle avait été bien trop occupée à se réjouir intérieurement de ce qui venait de se passer pour y prêter attention, mais maintenant qu'elle y pensait elle avait sacrément froid.

La jeune fille fronça les sourcils en observant Grady se pencher pour ramasser un brin d'herbe et éclata de rire quand il rappela qu'ils étaient tout de même venus dans le but d'admirer l'herbe -ou plus exactement les nombreux spécimens de cette espèce de poaceae. Heureusement qu'elle était douée en biologie, elle n'aurait jamais compris sans cela. Elle sourit quand il lui demanda de façon particulièrement subtile s'ils sortaient vraiment ensembles. La réponse était évidente à ses yeux, peut-être parce qu'elle était trop naïve. A la seconde où elle l'avait embrassé, ou plutôt la seconde d'après, elle avait décidé qu'elle voulait pouvoir recommencer, autant de fois qu'elle le voudrait.Et elle avait déduit du comportement de Grady qu'il partageait ce projet. Elle était trop romantique pour penser au fait qu'on puisse vouloir embrasser quelqu'un sans avoir envie d'être avec lui. Elle commença par hocher la tête avec un grand sourire avant de décider de se montrer un peu plus explicite en se hissant sur la pointe des pieds dans le but de l'embrasser.

"Tu es beaucoup trop grand pour être mon petit-ami, commenta-t-elle en riant après avoir constaté que même en se grandissant autant qu'elle le pouvait elle restait bien trop petite pour pouvoir déposer un baiser sur les lèvres de Grady. Mais je vais faire avec, ajouta-t-elle avec un sourire. Si tu veux bien d'une petite-amie minuscule."

Oui parce que quoiqu'elle en dise ce n'était pas tant que Grady soit immense mais plutôt qu'elle soit toute petite. Tant pis, ça n'avait pas grande importance de toute façon. Ça n'en avait même aucune, elle se fichait bien qu'ils soient mal assortis, elle avait envie d'être avec lui. Elle n'avait jamais eu de petit-ami avant et commençait tout juste à réaliser que c'était le cas, qu'elle avait un copain, quelqu'un qu'elle pourrait embrasser tous les jours, contre qui elle pourrait se blottir, avec qui elle pourrait passer du temps, et à qui elle pourrait parler de tout. Cette perspective venait d'illuminer complètement les jours, les semaines, les mois à venir. Elle s'emballait trop vite, beaucoup trop vite, mais elle n'y pouvait rien. C'était dans sa nature d'être optimiste. Quelques heures plus tôt elle s'attendait à passer le week-end à travailler dans la salle commune et à planifier les stratégies de l'équipe pour les matchs à venir, maintenant elle espérait pouvoir passer un peu de temps avec Grady, ou beaucoup de temps même.

"Il y a une sortie à Pré-au-Lard demain, on pourrait y aller ensembles ? suggéra-t-elle avec un sourire réjoui. Elle était trop envahissante. Ils sortaient ensemble depuis très exactement quatre minutes et elle prévoyait déjà leur prochain rendez-vous, il allait la trouver ennuyante c'était certain. Si tu veux, ajouta-t-elle précipitamment. Enfin, si tu n'as rien d'autre de prévu, si t'as envie, comme tu le sens."

Bon, à défaut de s'être bien rattrapé, elle avait un peu rectifié le tir. Elle espérait qu'il ne lui en voudrait pas de s'emballer un peu trop vite, et qu'il dirait oui quand même parce qu'elle avait vraiment envie de passer l'après-midi avec lui demain. Elle n'avait rien contre le parc de l'école, et elle n'aurait changé ce qui venait de se passer pour rien au monde, mais Pré-au-lard était un cadre un peu plus séduisant pour un rendez-vous. Rendez-vous, elle venait de donner un rendez-vous à Grady, à son petit-ami même. Cette simple constatation la fit sourire et elle se fit la remarque qu'elle devait avoir l'air stupide, à sourire pour rien depuis tout à l'heure. Mais tant pis, elle était heureuse et n'avait pas envie de le cacher.

Grady ne savait pas vraiment si Jane avait toujours raison mais en tout cas, elle le revendiquait. Ce n'était pas pour être méchant qu'il disait ça, il appréciait tous ses camarades notamment Jane mais c'est vrai qu'elle voulait toujours avoir le dernier mot et avait souvent raison. Ou du moins s'arrangeait pour avoir souvent raison. Pas que ça le dérange : il n'était pas quelqu'un de querelleur. Et puis il était content que Jane ait eut raison sur ce coup. Même plus que content. Carrément heureux. Il devrait la remercier d'ailleurs parce qu'elle donnait de bons conseils quand même. Sans elle, il serait toujours à faire le pied de grue dans un couloir à essayer de trouver la meilleure phrase d'accroche pour aborder Nora. C'était dur de trouver une bonne phrase d'accroche, n'empêche ! Il avait tout essayé de manière plus ou moins - plutôt moins d'ailleurs - fructueuse. A croire que les filles n'aimaient pas qu'on compare leurs yeux à des lampadaires ! Pourtant, ça partait d'un bon sentiment : un lampadaire, ça brille fort dans la nuit. Mais bon, chacun sa poésie et son sens de la métaphore !

Mais heureusement, Nora n'avait pas fuit devant ses tentatives un peu ratées et pour cela, il la trouvait encore plus formidable. Elle était gentille - sûrement la personne la plus gentille qu'il ait jamais connu et pour quelqu'un qui fréquentait des Poufsouffle depuis six ans, c'était beaucoup - patiente, tolérante, intelligente et jolie et c'était vraiment une chouette fille. Et elle ne se moquait pas de lui, aussi. C'était déjà beaucoup, en fait, quand on y pensait. Pas qu'il soit le souffre-douleur de l'école, il n'était pas harcelé ni rien mais les gens trouvaient toujours un moyen de rire un peu à ses dépens, alors il avait pris l'habitude de les faire rire avec lui plutôt que de lui. Bon, c'est vrai que ses tentatives avec les files pouvaient être un peu ridicules, il avait quelques problèmes d'équilibres parfois à cause de ses trop grandes jambes et défendait les Bavboules avec autant de passion qu'une maman raton-laveur avec ses petits mais sinon, il ne voyait pas ce qu'il y avait de drôle. Vraiment pas !

Mais six ans de moqueries avaient payé ! Des années à regarder les filles de loin puis à se prendre assez de râteaux pour ouvrir une jardinerie, des années à envier ses amis qui plaisaient aux filles - oui, je parle de toi James Carter - des années d'efforts et d'espérance qui menaient enfin à quelque chose ! Le grand jour était enfin arrivé ! Grady outragé, Grady brisé, Grady martyrisé mais Grady libéré !

Hum.

Quelque chose du même genre quoi. A peu près.

Mais Grady de Gaulle fut interrompu dans ses pensées quelques peu délirantes - il fallait le comprendre, il avait embrassé une fille, cela nuisait sérieusement à ses connexions neuronales - par la tentative de Nora de se hisser vers lui, tentative qu'il ne réalisa qu'au dernier moment, empêchant bien malgré lui la jeune fille de lui donner un baiser. Il n'avait pas toujours été grand comme cela, lorsqu'il était enfant, il était même plutôt petit pour son âge. Puis il était arrivé à Poudlard et c'est comme si le passage sous le Choixpeau Magique avait activé ses hormones de croissance : il avait grandit énormément, au point de se retrouver avec des robes au mollet entre deux vacances scolaires alors que sa mère passait son temps à lui en acheter de nouvelles. Il était plus grand que son père - et il taquinait son petit papounet chéri avec ça et avec le surnom absolument débile "papounet chéri" - et que ses frères, ainsi que sa mère et bien évidemment... Que Nora.

- Je peux plier les genoux ! assura-t-il avec toute la bonne volonté du monde et en s'exécutant pour prouver ses dires. Je veux bien d'une petite amie minuscule si tu veux bien d'un petit copain trop grand !

Sans se départir de son sourire, il croisa le regard de Nora, ravi comme un Niffleur dans une mine d'or. Enfin, la métaphore était un peu étrange. Mais il avait toujours eu des problèmes avec les métaphores, c'était récurent chez lui. Il devrait prendre des cours de métaphore. Sauf que ça n'existait pas. Enfin, il le pensait. Qui était professeur de Métaphore, sérieusement ? Mais là n'était pas le sujet. Parce que maintenant, il devrait penser à des trucs sérieux. Parce qu'il avait une petite amie et c'était très sérieux de sortir avec quelqu'un, vraiment ! Il voulait vraiment faire les choses bien avec Nora, prendre au sérieux leur relation, faire des trucs de couple du genre... Acheter des fleurs ? Oui, c'était bien les fleurs, bonne idée. Et faire des sorties romantiques. Comme aller voir la finale de Bavboules ! C'était super romantique ça, il devrait le noter ! Il allait faire une liste d'ailleurs des choses romantiques qu'on devait faire quand on sortait avec quelqu'un. Il n'avait pas la moindre idées de ce qu'il pourrait faire, mais peut-être que James pourrait lui donner des conseils, comme il sortait avec Kessy. Ou Jane, peut-être ! Ou Sorcière Hebdo. Mais s'il était surpris à lire ça, sa réputation était grillée. Même s'il y avait de chouettes recettes de cuisine.

Et il ne venait pas de dire ça parce qu'il n'avait jamais lu Sorcière Hebdo, évidemment. Parce que c'est un magasine de filles et il n'est pas une fille, il est un homme, il est viril et tout. Il fait des trucs virils genre... Genre des Bavboules. Voilà voilà.

- Bien sûr que je veux bien y aller avec toi ! assure-t-il précipitamment.

Sortir avec sa copine - il adore ce mot et il n'arrive pas à réaliser qu'il est autorisé à le penser et même à le dire parce qu'il sort vraiment une fille - à Pré-au-Lard, il en rêve depuis des années ! Aucune fille n'avait accepté d'y aller avec lui et la dernière fois qu'il y est allé, James était avec Kessy et Ashley avec Sean alors il était tout seul. C'était un peu triste, mais bon, il a fait avec ! Mais maintenant, il peut y aller avec sa petite amie Nora. C'est trop classe. Il pourrait le répéter plein de fois sans se lasser.

- Enfin, si toi tu veux, reprend-t-il en voyant que Nora essaye de minimiser la chose. Si ça te va. Moi ça me va, hein ! promet-il. Vraiment !

Et c'est un euphémisme.

- On pourrait aller aux Trois Balais et boire une Bierraubeure ! Et se promener. Et aller chez W&W. Et même regarder des fleurs, cette fois-ci ! annonce-t-il avec un large sourire malicieux.

Il est vraiment trop heureux de sortir avec Nora et doit avoir l'ai complètement stupide tant il est ravi, mais cela ne change pas trop de d'habitude alors ça va. Et embrasser Nora lui a donné un peu de courage alors il se permet de poser une main sur sa joue et de se pencher vers elle, sans se départir de son sourire. Et il l'embrasse encore.

Parce que c'est vraiment plus que cool, de sortir avec elle.

Nora éclata de rire, attendrie, en voyant Grady plier les genoux avec toute la bonne volonté du monde. Il faudrait qu'elle investisse dans des chaussures à talons, à très haut talons. Elle avait bien une ou deux paires de sandales compensées, mais rien qui ne lui permettrait de rattraper Grady, ou ne serait-ce que son épaule. Il lui faudrait des chaussures de K-Girl, ou des échasses, mais malheureusement elle n'était pas certaines d'arriver à marcher avec l'un ou l'autre.

La distance la séparant de son petit-ami étant désormais réduite, Nora se hissa sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur ses lèvres, savourant le doux sentiment de sérénité si différent de l'angoisse qu'elle avait ressenti en l'embrassant un instant plus tôt. Cette fois elle ne craignait plus d'être repoussée, ou de le prendre au dépourvu. Elle pouvait embrasser Grady sans crainte, et autant qu'elle le voulait, parce que c'était son petit-ami, et elle adorait ça. Elle n'était jamais sortie avec personne, et elle ne savait pas comment se comporter comme la petite-amie idéale, elle se posait des tas de questions plus ou moins ridicules mais elle se sentait prête à les affronter les unes après les autres. Elle se découvrait plus sûre d'elle et décidée à profiter de cette nouvelle expérience.

La jeune fille se rendit compte qu'elle était d'ailleurs peut-être un peu trop enthousiaste puisqu'elle proposait une sortie à Grady dès le lendemain. Elle tenta de se rattraper comme elle le pouvait en adoptant un ton plus désinvolte et se promit de ne plus se montrer aussi envahissante à l'avenir. Le manque d'espace vital était une cause de rupture récurrente, particulièrement entre Jack et Katy, quand ils ne se trompaient pas mutuellement, et Nora n'avait aucune envie de tomber dans ce piège-là. Heureusement, Grady avait l'air d'apprécier l'idée et ne la jugeait visiblement pas trop embêtante.

-Oui oui ça me va ! s'empressa-t-elle de répondre en lui rendant son sourire.

Nora ne se départit pas de son sourire et hocha la tête avec intérêt quand Grady énonça tout ce qu'il pourrait faire, riant doucement quand il ajouta qu'ils pourraient vraiment regarder les fleurs cette fois-ci. Tout ça lui convenait très bien, elle était heureuse rien qu'à l'idée de passer la journée avec lui, peu importe ce qu'ils feraient. Elle ne savait pas vraiment ce qu'étaient censés faire les couples à Pré-au-lard, mais de toute façon c'était encore à eux de décider, ils n'allaient pas se plier à des clichés pseudo-romantiques simplement pour bien faire tout de même....quoique....

-Pour notre premier rendez-vous tu pourrais m'emmener chez Madame Pieddodu pour boire le thé...commença-t-elle en réprimant difficilement un sourire amusé. C'est très romantique ! ajouta-t-elle en éclatant finalement de rire. Je plaisante, je n'y tiens vraiment pas ! C'était le genre d'endroit où elle ne se sentirait pas à l'aise du tout. Regarder les fleurs m'ira très bien, ajouta-t-elle avec un sourire plus doux. Je trouve qu'on est plutôt bons dans ce domaine !

Ils formaient un très beau couple d'observateurs de fleurs, songea-t-elle sans se départir de son sourire. Ils devaient avoir l'air un peu ridicule, couverts de neige en plein milieu du parc, à se tordre le cou pour pouvoir se regarder dans les yeux, mais ce n'était pas important, pas important du tout même. Si elle devait le revivre elle ne changerait rien à cet instant, parce qu'elle était très heureuse comme ça, et elle avait l'impression qu'elle le resterait toujours. Après tout il n'y avait pas de raison que ça change. Elle connaissait Grady depuis des années, elle savait qu'elle ne risquait pas d'avoir de mauvaises surprises avec lui. Et elle était tellement bien avec lui, à cet instant, qu'elle n'imaginait pas que ce sentiment puisse disparaitre.

-On cherche un endroit plus sec ? suggéra-t-elle en regardant leurs vêtements mouillés par leur chute dans la neige.

Nora glissa sa main dans celle de Grady et l'entraina doucement en direction du château. Elle n'avait pas envie de retourner à la salle commune tout de suite mais elle n'était pas contre se réfugier près d'un feu de cheminée dans une salle pas trop fréquentée. Elle avait envie de profiter encore d'un moment juste tout les deux, sans leurs camarades pour les dévisager. Ils affronteraient Jane et son "Je le savais !" en temps voulu.  

RP Terminé