Le loup dans la bergerie [Jordan & Samantha]

Une petite chanson joyeuse accompagna Samantha jusqu'au manoir des Nimbus de Pompadour, où l'adolescente se rendit en sifflotant, gambadant presque. Qui aurait cru qu'elle se rendrait un jour dans la caverne du diable de gaieté de coeur ? Certainement pas elle, et pourtant, il fallait bien avouer qu'elle avait été ravie par l'invitation de Jordan. Leurs relations s'étaient nettement réchauffées depuis le début de l'année, et elle se surprenait à apprécier de plus en plus le jeune homme qu'elle avait longtemps considéré comme proprement insupportable. C'était encore le cas, parfois, lorsque Jordan se montrait irritable ou se perdait dans de longues considérations existentielles, ce qui avait le don de l'étonner. Elle ne l'aurait pas pris pour quelqu'un de lunatique mais il fallait reconnaître que son comportement récent indiquait le contraire. Enfin, songea-t-elle en s'avançant vers la porte d'entrée, il serait probablement de bonne humeur aujourd'hui. C'était lui qui l'avait invité, après tout.

La jeune fille jeta un coup d'oeil à l'imposante demeure, lissa le devant de sa jolie robe émeraude, accrocha un sourire à ses lèvres et frappa résolument au battant de la porte. Méfiez-vous, Nimbus de Pompadour, la redoutable Samantha Miller, petite fille du peuple, entre dans votre demeure...

Jordan posa sa plume et jeta un coup d'œil rapide dans le miroir, avant de passer une main rapide dans ses cheveux pour recoiffer un épi. Ce geste en apparence désinvolte n'était en rie anodin lorsque l'on parlait de l'héritier des Nimbus de pompadour. En effet, Jordan n'avait pas pour habitude de se mirer dans une glace à la seule fin de vérifier son apparence, pour la simple et bonne raison qu'il était toujours à son avantage. Mais aujourd'hui était un jour particulier : il avait invité Samantha à lui rendre visite au manoir.

Depuis leur conversation peu après la rentrée, la jeune fille semblait moins sur la défensive et plus naturelle, au grand plaisir du jeune homme. Il avait découvert une nouvelle Samantha, encore plus agréable que ce qu'il avait imaginé. Et même si sa présence lui rappelait constamment le rapport qui sommeillait au fond de son bureau, et qu'il n'avait pas touché depuis l'été, elle lui apportait aussi une distraction de son âge, chose plutôt rare quand on faisait partie de la Haute.

Il entendit la sonnette et bondit sur ses pieds. Inviter Samantha au manoir n'était sans doute pas l'idée du siècle: si son père était au dehors en journée, sa mère officiait dans la maison et ne verrait pas d'un très bon œil qu'une fille d'ouvrier, qui militait activement contre la famille qui plus est, mette les pieds dans sa demeure. La tolérance de Clarissa avait ses limites. Elle ne ferait sans doute pas de réflexion, mais Jordan n'avait pas non plus envie que sa mère connaisse le détail de ses relations avec la gente féminine. Il serait bien descendu lui-même à la cité mais il n'était pas bien vu d'être un Nimbus la bas ces derniers temps, et il ne voulait pas s'imposer chez elle.

Il transplana donc comme un malpoli au bas des escaliers, traversa le grand hall d'un pas pressé et interrompit l'elfe qui venait d'ouvrir à Samantha.

"Merci Luky, je vais l'accueillir."

Puisqu'elle était maintenant dans son champ de vision, Jordan mît un point d'honneur à paraître moins pressé.

"Bonjour Sam! Donne ton manteau à Luky, il va le ranger. Tu as passé un bon Noël?" Il ajouta avec emphase et malice: "Bienvenue dans l'humble demeure des Nimbus. Tu veux visiter? Ça sera vite fait, on n'en a que pour une heure ou deux."
Lui laisser la possibilité de refuser était la moindre des choses: Jordan avait bien compris que lui exposer sa richesse par le pneu n'était pas délicat, et puis il y avait mieux à faire.

Samantha eut la surprise de voir la porte s'ouvrir presque aussitôt sur Jordan, s'étant presque attendue à voir un domestique tout endimanché comme dans les films. Elle n'était pas si loin du compte, cela dit, puisqu'il lui suggéra de donner son manteau à un elfe de maison. Samantha ôta son manteau et le tendit à l'elfe en s'efforçant de ne pas le dévisager. Elle n'en avait vu que très rarement depuis qu'elle connaissait l'existence de la magie et était toujours intriguée par ces étranges créatures aux yeux si ronds.

"Bonjour !", répondit-elle avant d'ajouter à l'intention de l'elfe : "Merci beaucoup Luky."

Elle rit à la réplique de Jordan et jeta un coup d'oeil curieux autour d'elle, retenant tout commentaire sous la magnificence des lieux.

"Si j'avais su, j'aurais pris des chaussures plus confortables", répliqua-t-elle en soulevant ses bottines à léger talons. Curieusement, Samantha avait passé plus de temps à se soucier de paraître jolie et présentable que d'être confortable, avant de venir ici, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Peut-être que les Nimbus de Pompadour et leur demeure l'impressionnaient un peu, même si elle ne l'avouerait pas sous la torture...

"J'ai passé un très bon Noël, et toi ? Je te suis avec plaisir, je me suis toujours demandé ce que vous pouviez bien cacher dans une telle forteresse."

Au grand regret de Jordan, Samantha accepta de visiter, curieuse. Bah, relativisa-t-il vite, ce serait l'occasion de discuter tranquillement. Les préparatifs pour le nouvel an qui aurait lieu dans quelques jours n'étaient pas encore visibles. Les elfes, habitués, ne débarassaient que la veille. Sa mère, en revanche, devait être dans son bureau, à vérifier qu'elle n'avait rien oublié. Comme si elle oubliait quelque chose.

"J'ai passé un très bon Noël aussi." répondit-il s'en s'aventurer plus avant. Contrairement au Nouvel An, Noël était une fête familiale, et même si elle donnait toujours lieu à un somptueux dîner, c'était toujours en petit comité. Petit comité à l'échelle de la famille, bien sûr. Les membres de la Haute étaient toujours tellement liés entre eux que décider qui irait où sans froisser personne relevait du sport. Cette année, l'ambiance avait été un peu moins joyeuse: malgré l'inquiétude toute relative de Lawrence, Jordan ne pouvait s'empêcher de se demander dans quelles conditions ils réveillonneraient l'année suivante.

"Voici les salles de réception" dit-il en entraînant Sam dans le Grand Hall. "On passera par le parc tout à l'heure, le ciel devrait se dégager. On pourra faire un petit duel de Quidditch, si tu veux."

Il la laisserait gagner, évidemment. Ou pas, après tout, il n'avait pas souvent l'occasion de jouer pour de vrai, pas d'entrainement. Le sport aérien n'était pas son point fort. Il était donc probable qu'il perde même en se donnant à fond, mais ce n'était pas très grave. Il lui montra également quelques salons du bas, tous dans les mêmes tons chaleureux que la salle principale qui servait pour les dîners.

Sam jeta un regard impressionné autour d'elle, tandis qu'une remarque acerbe se formait dans son esprit. Comment des personnes qui vivaient dans une telle opulence pouvaient-elles laisser les ouvriers mourir d'une épidémie sans réagir ? Tout ça pour quoi, quelques bénéfices en plus ? C'était indécent... Mais elle ne dit rien, ne souhaitant pas aborder une fois de plus cet épineux sujet entre Jordan et elle. Aujourd'hui, Samantha venait en paix...

"C'est ici qu'aura lieu le réveillon du nouvel an ?", demanda-t-elle en observant les grandes salles de réception d'un oeil critique. "Tu es obligé d'y aller, d'ailleurs, j'imagine ? Je serai à la fête de la Grand Place, moi, ce serait chouette si tu pouvais passer ! On s'y amuse toujours beaucoup ! Je pourrai t'apprendre les pas de danse les plus...hum...distingués d'Angleterre."

Elle lui adressa un grand sourire en priant pour qu'il réponde oui, bien qu'elle ait peu d'espoirs. Jordan avait probablement des responsabilités, ce qui était assez triste quand on considérait son âge, d'ailleurs. Il serait bien mieux à s'amuser avec la bande de Samantha qu'au milieu des vieilles mamies fortunées et de leurs plans machiavéliques maritaux.

"En tout cas je serais ravie de voler un peu avec toi ! Tu n'aurais pas le dernier Nimbus sous la main, par hasard ? Je me ferais un plaisir de l'essayer", lâcha-t-elle d'un ton innocent. "Pour pouvoir le critiquer, bien sûr."

Bien sûr. Même si c'était surtout parce qu'elle n'aurait jamais les moyens de s'offrir un tel balai, à moins de parvenir à ouvrir un jour sa propre entreprise, et qu'il fallait saisir les opportunités de toucher l'excellence du doigt lorsqu'elles se présentaient...

Jordan acquiesça lorsque Sam lui demanda si le nouvel an avait lieu dans ces pièces. Comme toujours, ce serait le cas, tradition aussi immuable que les esprits de ceux qui participeraient à la... fête. Elle lui proposa ensuite de descendre à la fête qui aurait lieu dans la Cité, et il afficha un sourire contrit.

"J'aurai aimé venir, d'ailleurs j'y suis allé en catimini l'année dernière" dit-il, se rappelant comment Will, lui et quelques autres avaient réussis à s'éclipser. Il pensait que ses parents avaient noté leur absence et s'était attendu à des remontrances, mais ils avaient fait comme si de rien n'était. C'était à ce genre d'attention - ou plutôt d'inattention, en l'occurrence - que Jordan mesurait les liens familieux qui les unissait, car ni Clarissa, ni Lawrence n'étaient très démonstratifs. "Mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée de venir cette année, avec tout ce qu'il se passe en ce moment."

La jeune fille accepta sa proposition de voler avec plaisir, ce qui ne le surprit pas, et poussa même l'audace de lui demander s'il avait un Nimbus Furtif deuxième génération sous la main. Le balai était sorti trois jours plus tôt, et comme d'habitude Nimbus en avait offert quelques uns à certains employés, mais Samantha ne faisait pas partie des privilégiés. Jordan hésita un bref instant sur la conduite à tenir. Il avait bien un Furtif dans sa chambre, mais pas pour lui. Il préférait le Galaxie, plus stable, et de toute manière, il ne volait pas souvent. Le balai qu'il conservait était destiné à Joy, et il ne serait pas correct de laisser Sam l'utiliser. Il avait un autre cadeau pour elle, ayant bien compris que tout ce qui était cher serait considéré comme un affront.

"Je n'ai pas de Furtif" dit-il honnêtement, "mais je peux te prêter mon Galaxie. J'en prendrais un autre dans la réserve à balais. Il est dans ma chambre, tu me suis?"

Il conduisit Sam jusqu'au grand escalier qu'ils gravirent, puis longèrent un couloir lambrissé. Jordan ouvrit la porte et laissa galamment sa camarade entrer la première. C'était plus une suite qu'une chambre, étant donné qu'il possédait son propre dressing et une salle de bain personnelle spacieuse. La pièce principale comportait, outre le lit surélevé et un peu à l'écart, une armoire et une commode, un bureau en bois sombre assorti à une table basse, elle-même entourée d'un canapé et de plusieurs fauteuils.

Spoiler:

Samantha haussa les épaules d'un air fataliste, peu enthousiasmée par le nouvel an qui approchait. Ce ne serait pas pareil sans Irving, ni aucune des personnes qu'elle avait envie de voir, en réalité. Tant pis, toutes les années ne pouvaient pas commencer par une nuit de folie ! Son humeur fut néanmoins remontée par la perspective de la partie de vol qui les attendait.

"Je n'ai jamais volé sur un Galaxie non plus", répondit-elle avec malice, enthousiasmée par le simple fait d'essayer un balai de haut rang, même si ce n'était pas le tant attendu Nimbus Furtif II, qui faisait rêver les attrapeuses comme elle. Cela dit, le simple fait qu'il soit produit par Nimbus suffisait à en diminuer l'attrait...

Elle le suivit avec une certaine curiosité jusqu'à sa chambre, se demandant à quoi s'attendre, et ne fut pas déçue. Le luxe de la pièce était à la hauteur du reste de la demeure. Cela avait l'air confortable, et peut-être un peu trop impersonnel au goût de la jeune fille. Très différent de sa propre chambre, en tout cas, mais cela n'avait rien d'étonnant...

"Wahou, tu es bien installé", s'exclama-t-elle en tournant sur elle-même pour tout observer. L'envie d'oublier la partie de vol pour s'affaler sur un des confortables fauteuils la saisit l'espace d'un instant. "Me voilà dans l'antre de Jordan Nimbus de Pompadour... Je m'attendais à des posters de toi sur les murs, je suis déçue !"

Elle lui adressa un large sourire pour qu'il ne se vexe pas, se demandant néanmoins ce qui lui prenait de lui lancer des piques ainsi. C'était plus fort qu'elle, elle se sentait un peu intimidée par l'endroit dans lequel vivait son ami...

Jordan savait pertinemment que Samantha serait impressionnée par sa chambre, et, s'il tentait de ne pas se rengorger, il était tout de même fier de son petit effet. Voir une militante anti-riches s'émerveiller n'avait pas de prix. Il ne le fit cependant pas remarquer à haute voix, ne voulant pas briser la complicité qui s'installait de plus en plus naturellement entre eux. Il tiqua à peine lorsqu'elle n'eu pas la même retenue et lui lança une pique. C'était gentil, comparé à ce qu'elle pouvait lui dire d'habitude, et une relation sans taquinerie serait de toute façon bien morne.

"Tu n'es pas obligée d'être aussi pince sans rire" répondit-il immédiatement. "Si tu veux un poster de moi, il suffit de demander, je t'en trouverai un." Jordan lui désigna le canapé."Assied-toi. Tu veux voir quelque chose? Luky peut nous monter du thé."

Il passa devant elle, sorti sa baguette et déverouilla un tiroir de son bureau d'un geste rapide. Là, il souleva la petite enveloppe qui contenait la carte de voeux de Joy et attrapa un petit cadeau, enveloppé dans un du papier noir et du fil vert. Jordan reposa le reste dans le bureau, referma le tiroir et se tourna vers Samantha. Il s'assit à ses côtés et lui tendit le paquet, un brin hésitant.

"J'ai trouvé ça l'autre jour, sur le chemin de traverse, ça m'a fait penser à toi. Joyeux Noël!"

C'était un petit bracelet en argent, qui venait de l'un des bijoutiers de l'allée sorcière. Bien que le prix reste élevé - Jordan était incapable d'acheter quelque chose à moins de 20 gallions, fallait-il croire - il avait fait attention à ce que cela reste raisonnable selon ses critères. Mais l'attention principale était la discrétion du bijou, qui, s'il était délicat, n'attirait pas l'oeil par sa magnificence. Seuls deux petits éclats d'émeraudes égayaient l'argent.

Samantha rit de bon coeur à la réplique de Jordan, et accepta une tasse de thé, puis elle l'observa farfouiller dans un tiroir de son bureau. La Serpentard put lisiblement lire le nom de Joy sur une enveloppe et elle fronça les sourcils un bref instant, tandis que quelque chose qui ressemblait fort à de la jalousie se répandait en elle. Quels liens Jordan et Joy entretenaient-ils ? Pourquoi cette correspondance ?

La jeune fille se reprit en voyant Jordan revenir chez elle et lui tendre un cadeau. Touchée par l'attention, Samantha saisit le paquet avec une certaine nervosité et entreprit de le déballer. Elle n'était pas sûre de devoir lui offrir quelque chose, et avait eut beaucoup de mal à trouver elle-même. Que pouvait-on bien offrir à la plus grande fortune d'Europe ? Elle n'en avait aucune idée, Jordan avait déjà ce qui se faisait de mieux en tout. Même son hibou grand duc avait fière allure ! Alors, faute d'idées et d'argent de poche, elle avait finit par se résoudre à utiliser ses talents artistiques, qui n'étaient d'ailleurs pas mauvais. Elle n'était peut-être pas bonne élève, mais elle avait d'autres dons pour compenser, fort heureusement ! Samantha ne pratiquait plus la musique depuis sa rupture avec Irving, n'y trouvant plus goût, et s'était rabattue sur la peinture. Elle avait donc finit par peindre un navire affrontant la tempête, toutes voiles dehors, et avait estimé son oeuvre suffisamment bonne pour être offerte. De toute façon, s'il ne lui plaisait pas, ce ne serait jamais qu'une vague de plus sur les eaux tumultueuses de sa relation avec Jordan...

La jeune fille tomba en arrêt devant le bracelet délicat que Jordan lui avait offert. Il était très beau, tout à fait à son goût et probablement excessivement cher...

"Jordan ! Il est...Il est magnifique !", s'exclama-t-elle en tendant le poignet pour qu'il l'aide à mettre le bijou. "Très Serpentard... Tu n'aurais pas du, merci !"

Elle déposa un léger baiser sur la joue de Jordan avant de s'écarter, gênée.

"Je me sens bête avec mon cadeau, mais je n'avais pas trop de sous pour t'offrir quelque chose de décent et... Hé, il n'est pas si mal, après tout. Garde à l'esprit que je débute", lâcha-t-elle avec un petit sourire, avant de sortir son oeuvre emballée de sa poche et de la déminiaturiser.  

Le cadeau plaisait à Samantha, ce qui ne surpris pas Jordan. Il était doué pour cerner les gens et savoir ce qui leur ferait plaisir, aussi se contenta-t-il de sourire sincèrement lorsque la jeune fille s'émerveilla devant le présent. Elle poussa l'audace jusqu'à l'embrasser sur la joue. Cela, en revanche, étonna le Poufsouffle. Il ne refusa pourtant pas l'embrassade et son sourire s'agrandit davantage.

"Heureux qu'il te plaise" dit-il en lui passant le présent autour du poignet. Il effleurait sa peau en faisant cela et du se retenir pour ne pas garder sa main entre les siennes.

Trop occupé, oublia d'appeler Luky pour le thé et pris le cadeau qu'elle lui tendait. Jordan chassa d'un geste la remarque sur les moyens financiers. Lorsqu'on était le plus riche, on était habitué à ce que les autres ne jouent pas dans la même cour. Il appréciait d'ailleurs que la jeune fille lui offre quelque chose de personnel plutôt que de cher. Il déballa le cadeau et contempla l'image qui s'offrait à lui. Son sourire se fana un peu devant la scène peu joyeuse, mais il se repris vite.

"Le moins qu'on puisse dire c'est que tu es perspicace... On dirait moi depuis quelques temps." C'était lancé sur le ton de l'humour, mais il y avait un côté un peu sec. "En tout cas, pas mal pour une débutante, surtout si tu apprends toute seule. Tu vas vite devenir la coqueluche des galeries de Bristol, à ce rythme!"

Il se pencha vers elle pour lui déposer une bise sur la joue à son tour, mais un craquement la fit sursauter, et ce fut sa bouche qu'il rencontra. Il se recula aussitôt, perdant de sa superbe.

"Merlin, Sam, je suis désolé, je ne voulais pas..." T'embrasser? Mensonge. "Te surprendre comme ça."

Samantha jeta un regard intrigué à Jordan, se demandant sur quelles eaux tumultueuses son camarade d'ordinaire si assuré devait voguer. Peut-être n'était-il simplement pas du genre à laisser transparaître ses soucis, habitué à devoir incarner un certain leadership.

"Pas tout à fait toute seule, j'ai été faire un tour au club des arts deux ou trois fois", répondit Samantha distraitement avant de le remercier du compliment. Elle essayait de réfléchir à la meilleure façon de l'interroger sans le brusquer, trop habituée à ce que leurs discussions tournent au vinaigre, lorsque Jordan se pencha vers elle pour lui déposer une bise sur la joue. Un petit bruit sec la surprit alors et leurs lèvres se frôlèrent par accident, ce qui eut le don de la faire sursauter une seconde fois - et d'éloigner Jordan comme s'il avait le diable à ses trousses.

"Hé, ce n'est pas grave, ça arrive", répondit-elle en esquissant un petit sourire pour dissimuler son trouble. Pourquoi son coeur battait-il si fort ? Pourquoi était-elle presque déçue de l'empressement de Jordan à s'éloigner ? Ce n'était pas comme si elle voulait qu'il l'embrasse, n'est-ce pas ? Elle croisa les mains sur sa robe et baissa le regard un instant, songeuse. Elle se demandait ce que cela ferait, d'échanger un vrai baiser avec Jordan. Depuis le temps qu'ils se tournaient autour, à se disputer comme chiens et chats, à s'apprécier et à se titiller... Peut-être bien qu'elle voulait essayer. Peut-être bien qu'elle voulait le surprendre comme ça, et voir ce qui arrivait...

Impulsivement, Samantha se rapprocha du jeune homme et posa une main sur sa joue. Elle croisa brièvement son regard, hésita le temps d'un battement de coeur, puis franchit la distance qui les séparait et pressa ses lèvres contre les siennes.

Samantha l'embrassait. Jordan n'avait pas mis longtemps à réaliser ce fait, à vrai dire, il avait compris dès que l'instant de gêne était passé et qu'elle avait avancé la main vers son visage. Le temps avait alors à la fois accéléré et ralentit. Tout s'était passé très vite mais chaque seconde s'imprimait au fer rouge dans son esprit. Le temps que les lèvres de la jeune fille rejoignent les siennes, les battements de son coeur avaient déjà accéléré et un sentiment indescriptible de joie envahissait son cerveau. Après un moment, ils se séparèrent et Jordan contempla Sam avec un sourire surpris et ravis. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais tous les mots du monde semblaient gâcher l'instant. Aussi attira-t-il Sam à lui et captura à nouveau ses lèvres.


Un coup d'oeil par la fenêtre suffit à Jordan pour voir que l'après-midi était désormais bien avancé. Ils n'avaient pas fait de Quidditch mais leur activité avait été tout aussi plaisante - sinon plus. C'était nouveau pour lui, et il espérait que Sam avait apprécié l'interlude. Des doutes surgirent dans son esprit, chose inhabituelle pour lui: avait-il été à la hauteur? Et s'il l'avait déçue? Il pris cependant grand soin de rien n'en montrer et passa un bras autour de la taille de la jeune fille, avant de déposer des baisers au creux de son cou.

"C'était... agréablement surprenant."

Samantha laissa échapper un soupir de contentement en sentant Jordan venir enlacer sa taille et embrasser son cou. La jeune fille constatait avec une infinie surprise qu'elle n'avait eu aucun mal à se laisser aller dans les bras de Jordan, en dépit de toutes leurs oppositions passées et de toutes les fois où elle s'était fermée à lui. Jamais elle n'aurait imaginé que sa première fois aurait été avec Jordan. D'ailleurs, si on lui avait dit cela un ou deux ans plus tôt, elle se serait probablement arrangée pour voyager dans le temps et venir se mettre des claques. Mais elle ne regrettait pas un instant d'avoir embrassé Jordan, en réalité. Cela avait paru si naturel entre eux...

"Surprenant correspond plutôt bien, oui", répondit-elle en tournant vers lui un sourire malicieux. "Agréable aussi."

Elle ponctua sa remarque d'un petit baiser sur les lèvres de Jordan, savourant l'instant. Elle ne savait pas où tout cela les mènerait, mais elle appréciait énormément le tour que prenait leur relation. Aussi, elle poussa un nouveau soupir, de déception, cette fois, en constatant que la nuit était sur le point de tomber. Henri savait où elle était cette après-midi et attendait son retour pour le dîner, près à déclencher une émeute si les diaboliques Nimbus de Pompadour faisaient mine de capturer sa fille chérie.

"Malheureusement, il va bientôt falloir que je rentre", annonça-t-elle à regret, peu désireuse de s'extirper de l'étreinte de Jordan. "J'ai passé une très bonne après-midi... Meilleure encore que je ne l'espérais."

Les paroles de Samantha rassurèrent Jordan autant que le fait qu'elle ne se dégage pas de son étreinte, et il se détendit imperceptiblement. Samantha avait passé un bon moment, ne regrettait rien et serait prête à recommencer. Que demander de plus? Il resserra malicieusement ses bras autour de la jeune fille.

"Il est plus tôt qu'il n'en a l'air, les jours sont courts. Je suis sûr que nous n'avons pas dépassé l'heure du thé de beaucoup."

D'ailleurs, puisqu'ils en parlaient, il avait une sacrée fringale. Personne ne parlait jamais de l'énergie que ce genre d'activités demandait! Mais il n'avait aucune envie d'appeler Luky maintenant, aucune envie d'être dérangé. Et s'il aurait bien aimé profiter encore de la compagnie de sa nouvelle petite-amie (c'est bien ce qu'elle devait être, non?), lui aussi avait des obligations. Sa mère ne tarderait pas à le chercher, et son père ne rentrait jamais bien tard du bureau, finissant sa journée chez lui.

"Enfin, puisqu'il faut être raisonnable..." soupira Jordan en se détachant à regret de Samantha. "Je te laisse te réveiller, va, et je vais me doucher. Tu pourras y aller après, si tu veux."

Il se leva après un dernier baiser et se dirigea vers la salle de bain, laissant Sam paresser dans son grand lit. Il ferma la porte et se glissa sous la douche. Tout en savourant la sensation de l'eau chaude qui ruisselait sur son corps, il se remémora les dernières heures avec délice, et se pris à s'imaginer avec Sam dans les couloirs de l'école.

La porte de la salle de bain venait à peine de se reformer sur Jordan que la jeune fille était déjà hors du lit, enfilant fébrilement ses vêtements. Elle n'arrivait pas tout à fait à réaliser ce qui venait de se passer, mais tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle ne le regrettait pas une seule seconde. Jordan était si mignon, songea-t-elle avec un sourire attendri, qui l'eut cru ? Plutôt que de paresser au lit, avait envie de courir partout et de crier sa joie au monde entier ! Merlin, si Lauren la voyait devenir aussi niaise, elle lui mettrait des claques...

Son esprit vagabonda sur ses camarades de Serpentard, et vint se fixer sur Joy, entachant l'espace d'un instant le bonheur dans lequel elle se trouvait. Son regard curieux se fixa sur le dernier tiroir du bureau de Jordan, avant de revenir brièvement sur la porte fermée. Elle était seule, seule avec cette enveloppe au nom de Joy... Devait-elle être jalouse de sa capitaine ? Malgré le moment qu'ils venaient de partager, la Serpentard ne pouvait nier qu'elle n'avait pas une confiance totale en son nouveau petit-ami. Elle avait été trop naïve et déçue ces derniers mois pour se laisser avoir une fois de plus. Après avoir passé deux bonnes minutes à tergiverser, elle se jeta au pied du bureau et ouvrit le tiroir, avant de saisir la petite carte de Joy, en se promettant de se pincer les oreilles dans la porte du four. Son attention fut alors attirée par une grosse enveloppe au contenu volumineux, qui se trouvait au fond du tiroir. Et si c'était un cadeau ? Soudain, l'envie d'ouvrir cette enveloppe pour en découvrir le contenu se fit forte et pressante. Samantha avait l'estomac nouée, à moitié persuadée que quelque chose allait venir entacher son bonheur si parfait, bien que sa raison lui crie qu'elle était injustement jalouse.

Bien, quitte à être une horrible curieuse et fouineuse, autant le faire jusqu'au bout, songea Samantha en se saisissant de l'enveloppe. Elle refusait de se faire avoir une fois de plus par un garçon qui pensait avoir affaire à une cruche sans cervelle. Si Jordan cachait quelque chose, elle voulait le savoir... Hélas, rien n'aurait pu préparer Samantha à la découverte qu'elle s'apprêtait à faire. A l'intérieur de l'enveloppe se trouvait un bloc d'une centaine de pages, à l'aspect sérieux et frappé de confidentialité. Le regard avide de la jeune fille lut le titre sans attendre, et elle sentit quelque chose de lourd tomber dans sa poitrine.

"Rapport de recherche rendu le 19 janvier 1995. Etude sur les liens entre la Consumeuse et la chaîne des balais, Commandé par l'Entreprise Nimbus."

*Est-ce que c'est bien ce que je pense ?*

Fébrilement, Samantha feuilleta l'introduction puis la conclusion du rapport, attrapant quelques phrases au vol. Une impression d'urgence et de vertige l'avait envahie, alors que son esprit fonctionnait à plein régime, tentant d'additionner deux et deux. Ce rapport comprenait des informations gardées confidentielles depuis treize ans sur le lien entre la Consumeuse et les cycles de fabrication des balais, lien que Nimbus refusait obstinément de reconnaître. Lien qui semblait être pourtant établi par l'entreprise... Samantha, Irving et Cassandre avait eu raison ! Nimbus dissimulait bel et bien des informations vitales pour leurs employés et les habitants de la cité. Si elle ne se trompait pas, Sam avait entre les mains de quoi faire exploser le plus gros scandale sanitaire du siècle... Et de quoi faire progresser les recherches contre la maladie. Elle ne pouvait pas garder cela sous silence.

Mais qu'est-ce que ce rapport faisait dans les affaires de Jordan ? De toute évidence, il devait l'avoir lu, et il devait avoir décidé sciemment de se cacher. Un sentiment de dégoût et de révolte s'infiltra en elle, violemment, balayant sur son passage les souvenirs de la complicité qui l'avait unie avec Jordan. Non !, se sermonna-t-elle, tout en replaçant la carte pour Joy au fond du tiroir et en le fermant précautionneusement. Non, Jordan ne pouvait pas avoir fait ça, il devait y avoir une autre explication. Sans doute avait-elle mal compris le contenu du rapport, il fallait qu'elle prenne le temps de le lire, de l'étudier, de réfléchir. Elle refusait d'accepter que Jordan soit un pourri comme son père, pourri au point d'observer les gens mourir du haut de sa tour d'ivoire. Pas après toutes leurs discussions ! Ne s'était-il pas vanté d'être différent de son père ? Il devait y avoir une explication. Elle devait simplement emprunter le rapport discrètement, le temps de le lire, de comprendre où était son erreur. Puis elle le remettrait tout aussi discrètement en place, et Jordan et elle pourraient poursuivre leur romance. Voilà tout !

Il allait revenir d'une minute à l'autre, aussi elle sortit sa baguette magique et miniaturisa le rapport, avant de le glisser au fond de sa poche. Nerveuse et confuse, elle lissa distraitement le devant de sa robe, arrangea ses cheveux, dansa d'un pied sur l'autre jusqu'à ce qu'il revienne.

"Te revoilà !", lâcha-t-elle en forçant un sourire, d'un ton qui lui sembla horriblement peu naturel.

Il fallait qu'elle parte d'ici. Et vite.