Quelques petites explications [James]

Seule dans la bibliothèque, Amely était penchée sur un manuel de Runes et essayait de comprendre. Elle n'avait pas choisi cette option en troisième année et le regrettait amèrement. Il avait fallu qu'elle prenne Divination à la place, une matière dans laquelle elle persistait à s'investir – elle allait jusqu'au bout de ses choix – mais qui ne lui était pas d'un grand intérêt. Si elle avait su ! Au contraire, l'Étude des Runes lui aurait été d'un grand secours dans un domaine qui la passionnait depuis peu. Elle avait emprunté depuis le début de l'année le livre Indispositions et affections magiques les plus connues. Elle faisait des recherches sur diverses maladies, comme la Dragoncelle, lorsqu'elle était tombée sur un chapitre consacré aux origines magiques de ces pathologies et aux façons dont elles véhiculaient parmi les sorciers qui les contractaient. Le sujet avait tout de suite éveillé sa curiosité. Enthousiaste, elle avait relu certains passages une bonne dizaine de fois puis avait été tentée d'élargir ses recherches. Elle avait feuilleté des montagnes d'ouvrages, parfois très éloignés de ce dont elle était à l’affût, afin de grappiller le plus possible d'informations complémentaires. Étude des récents progrès de la sorcellerie, Les Grandes Découvertes magiques, Magie théorique, tout y était passé ! Ce ratissage l'avait menée à la magie runique qui était à la base du raisonnement.

Amely cligna ses yeux fatigués de lire des caractères aussi petits. Après un soupir, elle se rendit compte qu'elle était perturbée. Par quoi, elle n'en savait rien, mais il y avait bien quelque chose d'anormal. Tout était si silencieux : pas un raclement de chaise, par un grattement de plume sur le parchemin, pas un chuchotement. Amely leva la tête et regarda autour d'elle. Apparemment, l'heure n'était pas aux révisions. Les longs rayonnages paraissaient n'avoir jamais accueilli personne. Chaises délaissées, tables de travail abandonnées, la bibliothèque était déserte et ne semblait pas en souffrir. En revanche, cela dérangeait un peu Amely. Elle qui assénait force réprimandes à ses camarades trop bruyants l'empêchant de se concentrer, voilà qu'elle se surprenait à les regretter ! Au final, il fallait bien admettre que, malgré sa volonté de s'éloigner des rires, des cris et des papotages de ses congénères, ce fond sonore lui était si familier qu'il lui manquait un peu. Amely aimait le calme, pas l'absence.

« Je croyais que Claude c'était un prénom féminin moi, pas mixte, tu comprends, le français c'est pas mon truc !
- C'est clair !
- Comment je pouvais deviner que ma correspondante était un mec, moi ? »

Amely sursauta. Deux filles qu'elle ne connaissait pas venaient d'entrer dans la bibliothèque en discutant. Elles s'installèrent à deux mètres de la Préfète et commencèrent à sortir leurs affaires. *C'est pas vrai, râla Amely, elles ont une vingtaine de places à disposition et il faut qu'elles viennent s'asseoir à côté de moi !* Les gens avaient vraiment l'instinct grégaire. Sans leur prêter plus d'attention, elle se replongea dans sa lecture... jusqu'à ce qu'un nom lui fasse relever la tête.

« ...celui qui sort avec Kessy Brooks !
- Lequel déjà ?
- Tu sais, le Poufsouffle super beau, là, James ! »

Amely referma son livre d'un coup sec. Se retourna vers les deux filles. Sa voix claqua dans le silence immense de la bibliothèque.

« Qu'est-ce que tu viens de dire ? »

Elles la dévisagèrent, surprises.

« Euh, que James Carter était super beau ? suggéra la première.
- Hein ? bredouilla Amely, brièvement abasourdie, avant de s'empresser d'indiquer : Non, avant !
- Il est sorti avec Kessy Brooks, mais ça, tout le monde le sait ! »

Pas quand on vivait en ermite depuis la rentrée. En effet, c'était cette année qu'elle devrait passer les examens les plus importants de sa scolarité et elle rayait du parchemin la possibilité d'échouer. Pour Amely, rater ses BUSEs, c'était l'équivalent de rater sa vie. Aussi avait-elle décidé qu'elle passerait tout son temps libre à se préparer. Ainsi, elle serait au point le moment venu, car l'échec n'était pas envisageable. Le point négatif, c'est qu'elle avait donc très peu vu ses amis récemment, excepté Emma lorsqu'elles exerçaient toutes deux leurs fonctions de Préfètes. Le point positif, c'est que ça lui avait aussi permis d'oublier un peu... pour se souvenir à nouveau. Amely garda son sang-froid. Elle rangea ses affaires dans son sac, se leva et quitta la bibliothèque d'un pas vif. Peu de temps lui fallut pour traverser tout le château en direction de la Grande Salle. La matinée était déjà assez avancée mais quelques rares élèves étaient encore en train de finir leur petit-déjeuner. James était un lève-tard. L'apercevant aux côtés d'Ashley, la Préfète s'approcha de lui et lui jeta :

« Carter ! En général, elle l'appelait par son nom de famille quand ils se taquinaient. Mais là, l'apostrophe était loin d'être amicale. J'exige des explications ! »

Amely trouvait le couple de ses deux meilleurs amis très étrange, certes. Un sentiment un peu désagréable la prenait quand elle les imaginait ensemble. Pourtant, son point de vue dans l'affaire n'était plus entré en ligne de compte dès qu'elle avait réalisé qu'on faisait du mal à Clara. Toute sa personne avait beau s'être opposée à ce qui se profilait à la fin de la soirée de fin d'année, elle ne pouvait pas supporter de voir son amie dans cet état – et surtout, dans cet état à cause de lui ! Elle était pourtant persuadée que James ne ferait pas de mal à une mouche ! Qu'est-ce qu'il lui avait pris ? Embrasser Clara, c'était une chose. Et fréquenter une autre fille juste après, c'était inacceptable ! Désormais, Amely se fichait bien de son ressenti personnel, James n'avait juste pas à faire ça à Clara ! Sans prendre en compte le fait qu'elle aurait peut-être dû aller en discuter avec son amie avant d'incendier son autre ami, ni le fait que cette histoire ne la regardait pas, elle se prépara à l'affront.

Décidément, seuls ses amis avaient les moyens de la faire sortir de son sanctuaire.

James réprima le sourire qui était apparu sur ses lèvres. Si Ashley avait été là, il l’aurait sans doute qualifié de « niais. » Ce qui était faux, évidemment. James Carter n’était pas niais. Pas tout le temps. De toute façon, son meilleur ami ne pouvait absolument rien dire question niaiserie, puisqu’il atteignait des sommets avec Sean. Chose que le Poufsouffle lui rappelait à chaque fois qu’il se moquait du couple qu’il formait avec Kessy, ou qu’il l’appelait Kames, ce qu’il détestait. Par deux fois, il avait montré à Ashley à quel point ce surnom ne lui plaisait pas, et qu’il était aussi dégradant pour la jeune fille. Certes, Kessy faisait attention à son apparence, mais elle n’était pas stupide pour autant ! Elle le faisait rire, les moments qu’il passait avec elle étaient toujours très agréables, et elle avait des charmes qui ne le laissaient pas indifférent. Quant à savoir s’il était amoureux ou pas, question qu’on lui posait depuis qu’il sortait avec Kessy… N’ayant jamais été amoureux, il ne savait pas ce qu’on ressentait exactement. Il était certain d’avoir de l’affection pour la jeune fille, et il l’appréciait énormément. Mais dire qu’il était amoureux… Il ne savait pas, et préférait ne pas se poser de questions. C’était bien plus simple de vivre leur relation au jour le jour ! Et justement, James venait de quitter Kessy, qu’il avait retrouvé avant de descendre dans la Grande Salle pour prendre son petit déjeuné. Il aimait particulièrement les petits moments d’intimité comme ça. A présent, il cherchait Ashley au milieu des autres élèves, tandis que Kessy partait manger avec ses amies.

Repérant le garçon attablé devant un bol, James se dirigea vers lui et le salua, avant de s’asseoir en face de son meilleur ami et commença à se nourrir tout en conversant avec Ashley. Le problème, dans leurs conversations, c’était que personne n’arrivait à s’immiscer dedans, à cause des sous-entendus et des blagues personnelles qu’ils glissaient entre deux phrases. Sauf Grady évidemment, parce que Grady était leur pote et qu’il comprenait. Cette année allait être vraiment formidable, songea-t-il pour la énième fois depuis le début de l’année. Une année sans examens importants, avec ses meilleurs amis, sa petite-amie… Il ne pouvait rêver mieux, n’est-ce pas ? Il en était toujours à cette réflexion lors qu’une voix familière l’interpella par son nom de famille.

Surprit, il se retourna, pour faire face à une Amely qui ne semblait pas spécialement réjouit. Il haussa les sourcils face à sa question. Des explications ? Mais concernant quoi ? James avait beau chercher ce qu’il avait pu faire de mal, mais rien ne lui venait à l’esprit. Il n’avait pas fait de blagues aux première année – avec deux amies préfètes, il préférait éviter –  et sa première note était tout à fait respectable. Rien qui ne puisse mettre sa meilleure amie sans cet état là.

« Salut Amy ! Je suis content de te voir. » lança-t-il avec un sourire sincère. Amely travaillait de plus en plus ces temps-ci, si bien qu’il la voyait beaucoup moins, étant lui-même un peu occupé de son côté. « Je veux bien te donner des explications mais… Sur quoi ? »

Qu’avait-il fait ? Il questionna Ashley du regard, mais celui-ci ne semblait pas plus inspiré que lui. Finalement, il reporta son attention sur Amely, et vrilla son regard dans le sien, cherchant une réponse à sa question. Il devait bien y avoir quelque chose, pour que la jeune fille lui demande des explications sur un ton aussi brusque.

« Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? » insista James, soudainement inquiet.

Le franc sourire de James agaça Amely autant qu'il la désarçonna. Elle était absolument sûre qu'il n'était pas quelqu'un de mauvais et s'il lui souriait ainsi, il ne feignait pas l'innocence. Ce n'était pas son genre. James était un Poufsouffle, donc droit et honnête par définition, et jamais il ne se jouerait d'elle au point d'affirmer être « content de la voir » s'il ne le pensait pas vraiment. Dans ce cas, cela signifiait qu'il estimait n'avoir rien à se reprocher... Amely ne pouvait pas le croire. James avait toujours été un ami attentionné et précautionneux des sentiments des autres. Ne ressentait-il pas une once de culpabilité ? Pensait-il n'avoir rien fait de mal ? Était-il seulement conscient de la portée de ses actes ? La naïveté du Poufsouffle ne pouvait pas être prononcée à ce point-là... Amely connaissait son ami. Il n'aimait pas se prendre la tête, il préférait tout prendre à la légère, rire plutôt que pleurer. S'il lui souriait aujourd'hui, alors il avait souri en invitant Brooks à sortir, sans se rendre compte qu'il piétinait les sentiments de Clara. Il n'aurait pas pu en avoir conscience et tout de même se considérer comme innocent, il était trop bon pour cela. C'était ce qu'Amely pensait jusqu'à ce qu'il lui demandât sur quoi portaient les explications exigées.

« Tu te moques de moi ? » s'exclama-t-elle en ouvrant des yeux ronds comme des Gallions.

Il se comportait comme s'il ne s'était rien passé, comme s'il n'avait jamais embrassé Clara, comme s'il n'était jamais sorti avec Kessy Brooks ! D'accord, elle aurait pu préciser le motif de sa requête, mais il n'y avait pas trente-six possibilités non plus ! Aucune blague qu'il n'aurait faite aux première année n'était remontée aux oreilles d'Amely – encore heureux, sinon elle lui aurait enlevé des points. Pas de traitement de faveur parce qu'ils étaient amis, non, la Préfète avait décidé de se montrer juste et impartiale en toutes circonstances. À part cela, il n'avait pas eu de mauvaise note à sa connaissance – dans ce cas, elle l'aurait obligé à revoir les parties de son devoir qu'il n'avait pas comprises. Elle ne tenait pas à ce qu'il redouble, il ne devait pas prendre le fait de n'avoir aucun examen important cette année comme un prétexte pour ne pas travailler. Bref, les aventures amoureuses de James constituaient les seuls événements marquants la concernant – ou pas – depuis les vacances d'été, il pouvait donc aisément deviner ce dont elle désirait parler. Cependant, un air inquiet se peignit sur le visage de James tandis qu'il demandait s'il avait fait quelque chose de mal.

« Attends, viens par-là » lui dit Amely en le tirant par la manche un peu à l'écart des élèves attablés.

Parce qu'elle avait beau n'attacher aucune importance au regard des autres, une Préfète ne se donnait pas en spectacle. Et puis ça lui donnait un temps de réflexion supplémentaire, ce qui était sans doute la véritable raison de ce déplacement. En effet, le doute venait de s'insinuer dans son esprit. Bien qu'elle détestait admettre cette éventualité, et si elle s'était trompée ? Et si James et Kessy n'étaient pas ensemble ? Cela résoudrait bien des problèmes. Amely accordait bien peu de crédit aux ragots de bas-étage et pourtant, elle avait cru sur parole ce que lui avaient raconté les deux commères de la bibliothèque. Elle aurait dû se fier à ce qui était fiable, ce qu'elle voyait de ses propres yeux ou qu'elle entendait de source sûre ; les rumeurs n'en faisaient pas partie. En revanche, elle ne voyait pas trop quel était l'intérêt de ces deux filles de lui raconter des sornettes, hormis le simple plaisir de colporter. « Tout le monde le sait » avait déclaré l'une... Au vu du peu d'informations dont la Serdaigle disposait sur la vie de l'école, elle n'était pas en position de contester l'affirmation. Après tout, les filles de leur genre étaient toujours au courant de tout. Donc non, elle n'avait pas tort.

« Kessy Brooks, ce nom te dit quelque chose ? C'est bien ta petite-amie ? » s'assura-t-elle.

Elle avait eu du mal à le dire, à se dire que James était en couple. C'était James, quoi, leur James, celui avec qui elles étaient amies depuis plus de quatre ans, elle et Clara ! Penser à cette dernière la ramena à l'origine de son ressentiment. L'image de son amie, grise et défaite, lui revint en mémoire et fit se réveiller en elle des émotions oubliées. C'était ainsi depuis qu'elle avait découvert qu'Emma se faisait manipuler par Sorden : Amely refusait de revivre encore cette saleté d'impuissance qu'elle avait ressentie alors et surtout cette grosse culpabilité de n'avoir rien vu venir. Depuis, malgré sa demi-autarcie passionnée du moment, elle se forçait à faire un peu plus attention à son entourage. Ce n'était pas dans sa nature de s'inquiéter pour les autres mais grâce à cela, elle discernait maintenant la peur chez Emma, redoutant sûrement le massacre de certaines familles de Sang-Pur – Amely essayait d'ignorer la mort de Cécilya mais elle était encore trop choquée pour y parvenir. Grâce à cela, elle entrevoyait aussi une Clara détruite derrière la Clara enjouée de tous les jours, alors qu'elle ne cherchait jamais à voir plus loin, avant. Amely était tout sauf romantique, aussi avait-elle du mal à concevoir que Clara allait mal à cause d'un simple baiser. Seulement, Clara allait mal et se le rappeler fit remonter une vague de colère en elle.

« Je croyais vraiment que tu avais un peu plus de morale que ça, James ! » s'insurgea-t-elle sans remarquer que ses paroles pouvaient prêter à confusion sans les pensées qui allaient derrière.

James était un Poufsouffle. Un vrai Poufsouffle. Droit, honnête, loyal en toutes circonstances ; il mettait un point d’honneur à respecter ces qualités. De plus, le jeune homme était quelqu’un de gentil, réellement. Evidemment, il se disputait occasionnellement avec sa famille, ses amis parfois, mais il veillait surtout à ne pas blesser les autres. Il avait toujours trouvé la méchanceté gratuite sans intérêt. Quel plaisir pouvait-on trouver à lancer des piques blessantes continuellement ? C’était juste stupide, à son avis. Aussi, lorsqu’il faisait quelque chose de mal, il le faisait en connaissance de cause – et culpabilisait souvent pour ça. Ce n’était donc définitivement pas dans ses habitudes de ne pas savoir pourquoi on était en colère contre lui. Or là, devant l’état d’Amely, il ne comprenait pas. La Serdaigle avait toujours été sa meilleure amie, et savait donc sur lui plusieurs choses, mais il ne voyait vraiment rien qui puisse la mettre en rogne. Il suivit donc la jeune fille un peu à l’écart de la Grande Salle, vrillant sur elle un regard interrogateur. A moins qu’une rumeur le concernant se soit rependue à Poudlard, il n’y avait aucune raison pour qu’il subisse un tel traitement de la part de sa meilleure amie – qu’il n’avait pas vu depuis longtemps, en plus de ça, il s’était attendu à des retrouvailles un peu plus chaleureuses !

« Eh bien, oui, Kessy est ma petite-amie mais… Pourquoi cette question ? » demanda-t-il, perplexe.

Ses sourcils s’étaient froncés à la mention du nom de la jeune fille, cherchant ce qu’il aurait bien pu faire de mal. Depuis qu’ils étaient ensemble, il veillait à être un petit-ami attentionné, sans pour autant se montrer étouffant vis-à-vis de Kessy, mais il n’avait jamais eu l’impression de mal se comporter avec elle. Qu’est-ce qu’Amely avait bien pu entendre pour avoir une telle réaction ? Qu’est-ce qu’on avait pu lui dire ? Peut-être était-ce simplement une rumeur sans importance, qu’il pourrait démentir en quelques secondes. Oui, voilà, ça devait forcément être ça. Sans aucun doute, même. Chose qui se révéla fausse lorsqu’il entendit les paroles d’Amely.

« Un peu plus de morale ? » répéta-t-il en croisant les bras, sur la défensive.

Comment ça, un peu plus de morale ? Il sortait avec qui il voulait, enfin ! Ce n’était pas comme s’il avait imposé Kessy à son cercle d’amis, il ne les avait pas forcé à l’apprécier. Mais il attendait un peu plus de respect vis-à-vis de la jeune fille, qui n’avait absolument rien fait. Un peu plus de morale… Comme si le fait de sortir avec Kessy était immoral ! Quelle idée, songea-t-il en vrillant son regard dans celui d’Amely.

« C'est-à-dire, un peu plus de morale ? » demanda le jeune homme, avant d’enchaîner : « Kessy est une fille adorable, très gentille, je pense qu’elle mérite tout de même ton respect ! » déclara James, sans se douter une seule seconde qu’ils ne parlaient de la même chose.

Il avait entendu des choses pas forcément très sympathiques sur Kessy, dans les couloirs, mais avait décidé de ne pas y prêter attention. Entre ce qu’on disait et ce qui était vrai… Et puis, il préférait se faire sa propre opinion, de toute façon !

« Que me reproches-tu, au juste ? » questionna-t-il, imperturbable.

La perplexité de James sous-entendait que cette affaire était plus compliquée que prévu. Amely avait mieux à faire que de s'y pencher mais elle était prête à sacrifier ses recherches pour lui faire comprendre la portée de ses actes – sans se douter une seule seconde que c'était elle qui n'avait rien compris. Elle était énervée. Elle ne voyait pas beaucoup son meilleur ami et il venait de gâcher un des rares instants où ils étaient ensemble. Elle préférait de loin rire avec lui plutôt que lui faire la leçon, mais elle y était obligée. C'était son devoir de l'aider, quand bien même ça la faisait passer pour une moralisatrice. James ne semblait pas apprécier son ton impérieux. Bien entendu, il défendit tout de suite sa petite amie en soutenant qu'elle était adorable, gentille et méritante. Là n'était pas la question ! Clara aussi était une fille adorable, très gentille et méritant le respect. Or, James ne l'avait absolument pas respectée. Il n'avait pas à la laisser tomber pour la première venue, sans aucune explication de surcroît.

« Pardon ? De quoi tu parles ? Mais je m'en fiche de Kessy, et je me fiche d'avec qui tu sors ! Tu pourrais bien être en couple avec Kelsey Lorgan que ça ne changerait rien ! »

Enfin si, un peu, mais bon. Kessy Brooks était déjà mieux que Kelsey Lorgan, bien que trop frivole et superficielle pour que la Serdaigle l'appréciât beaucoup. En plus, elle et James ne s'accordaient pas trop, de son avis. Clara et James allaient bien mieux ensemble, même si elle trouvait leur couple extrêmement... bizarre. James lui demanda ce qu'elle lui reprochait ; pour Amely qui détestait les embrouilles, c'était enfin l'occasion de discuter clairement.

« Ce que je te reproche, c'est l'état dans lequel est Clara depuis le début de l'année. Tu l'as regardée un peu ? Elle fait semblant d'aller bien mais c'est faux. Et je pense que c'est de ta faute. »

Amely fusilla James du regard. Parler de leur amie la contrariait.

« Ce n'est pas très gentil de ta part de flirter avec quelqu'un d'autre si rapidement. »

Elle soupira avant d'évoquer un événement qu'elle n'avait pas trop envie de se rappeler.

« Vous avez reparlé de... ce qu'il s'est passé à la fête de fin d'année ? »

Elle revit Clara, toute rose et joyeuse dans la chemise de James, tandis qu'il se rapprochait d'elle et posait ses mains sur sa taille. À force, elle s'était faite à cette image. Certes, au départ, elle avait été assez secouée de les voir ainsi. Il fallait bien se l'avouer un jour : elle était jalouse, mais peut-être pas dans le sens où on l'entendait. Peut-être parce qu'ils étaient ses meilleurs amis et qu'elle ressentait une forme de possessivité à leur égard. Depuis des années, ils étaient un trio, le trio d'or. Des liens d'amitié forts s'étaient tissés entre eux trois et elle était persuadée que jamais il n'en serait autrement. Puis lors de cette soirée, elle les avait senti se rapprocher, devenir plus complices. Devenir plus que des meilleurs amis, plus que ce qu'ils étaient tous les trois – dès lors, ils avaient eu droit à un lien différent entre eux deux. Elle n'avait pas aimé être mise sur le côté. Son triangle parfait s'écroulait. Elle était jalouse. Mais depuis un bon bout de temps, ils n'étaient plus trois, mais quatre. Beaucoup de choses changeaient et elle finissait par les accepter.

Si James et Clara étaient bien ensemble, elle n'avait pas son mot à dire. En revanche, si James faisait souffrir Clara, il allait l'entendre.

James avait la terrible impression qu’Amely et lui ne parlaient absolument pas de la même chose. Impression qui se confirma à la seconde où la jeune fille reprit la parole. Si elle ne parlait pas de Kessy, qui pouvait-elle donc évoquer ? A part sa petite-amie, son cercle d’ami restait relativement le même que l’année dernière. Ashley, Grady, Emma, Amely, Clara. Bien qu’il avait l’étrange sensation que les rapports qu’il avait avec cette dernière étaient devenus plus froids et moins agréables qu’à l’accoutumé – allez savoir pourquoi, il faisait pourtant tout pour que les choses restent comme avant. Et c’était très frustrant, de se faire faire la morale par sa meilleure amie, sans savoir pourquoi. D’autant plus que ce n’était pas comme s’il avait vraiment fait quelque chose de réprimandable depuis la rentrée – bien au contraire, il avait plutôt l’impression de s’être bien tenu.

« Alors explique-moi, parce que je crois définitivement que je ne te suis plus. »

L’explication qui vint par la suite le laissa perplexe, et il haussa les sourcils en s’appuyant contre le mur derrière lui, cherchant une raison à ce que la jeune fille venait de dire. Il voyait bien que la Serpentard n’était pas dans son état normal – il la connaissait tout de même relativement bien, merci pour lui. Mais… Mais qu’avait-il à voir avec ça ? Il n’avait rien fait qui puisse avoir un incident sur le moral de Clara – au contraire, il essayait toujours de passer le plus de temps avec elle, et de remplir son rôle de meilleur ami ! Il savait bien que la jeune fille n’était pas dans une période facile – après ce qu’il s’était passé entre sa mère et elle, puis entre ses parents – mais il ne voyait pas comment il aurait pu interagir dans sa vie familiale.  Il n’était tout de même à l’origine de tous ses maux – il n’aurait jamais pu empêcher Mrs Guipure de mettre sa fille à la porte – même s’il trouvait ça particulièrement injuste.

« Clara n’est pas bien à cause de ce qu’il s’est passé avec sa mère, non ? Je ne vois pas comment cela pourrait être de ma faute, Amy. » lança-t-il, sceptique.

La jeune fille précisa alors sa pensée, ajoutant que ce n’était pas très gentil de sa part de flirter avec quelqu’un d’autre si rapidement. Décidément, James ne comprenait rien à la conversation. Kessy était sa première petite-amie, ce n’était pas comme s’il y avait eu quelqu’un d’autre avant elle. Encore une fois, il y avait bien Clara, dont les sentiments qu’il éprouvait à son égard étaient peut-être un peu plus forts que de la simple amitié, mais ce n’était pas comme s’il était possible que ce soit réciproque, puisque, depuis quelques jours, Clara sortait avec Victor Lloyd, et semblait merveilleusement heureuse. Et puis, il avait Kessy, lui, et était très content de cette relation également.

Il s’apprêtait donc à rétorquer cela, lorsqu’Amely le prit de court en lui posant une question des plus étranges, c'est-à-dire s’il avait reparlé avec Clara de ce qu’il s’était passé à la fête de fin d’année. A vrai dire, il aurait bien aimé pouvoir parler de cette fameuse soirée avec ses amis, le seul problème étant qu’il n’en avait aucun souvenir. Il se souvenait vaguement du début de soirée, lorsqu’il avait accueilli ses camarades avec Ashley. La suite restait très floue, mais vu ce qu’il restait de sa mémoire, il avait dû boire plus que raison, et ne tenait visiblement pas très bien l’alcool. Pas très bien du tout, même. Aussi, il avait laissé ses amis le charrier, sans savoir ce qu’il avait bien pu pouvoir faire au cours de cette nuit là. Rien de bien grave, de toute évidence, sinon un de ses amis proches serait venu lui en parler. N’est-ce pas ?

« Je n’ai aucun souvenir de cette soirée, Amy. Presque qu’aucun, du moins, je me souviens du début, vaguement. Le reste… » il grimaça. « Qu’est-ce que j’ai fais, Amy ? » demanda-t-il alors, d’un ton pressant, légèrement tendu.

Et qu’est-ce qu’il avait fait pour que cela ait de telles répercussions sur le moral de Clara…

On disait que les yeux étaient le miroir de l'âme ; Amely n'était pas d'accord. On disait aussi que certaines personnes avaient des yeux plus expressifs que d'autres. Elle n'était pas d'accord non plus. Selon elle, les yeux ne trahissaient aucun sentiment. C'était scientifiquement impossible. La pupille et l'iris étaient toujours semblables à eux-même : aucune lueur imaginaire ne venait les éclairer, aucun éclat de détresse ou de tendresse ou de quoi que ce soit n'y était visible. La peur, on ne la voyait pas dans les yeux mais au moment où ils s'écarquillaient. La joie, on ne la voyait pas dans les yeux mais dans les petits plis qui les entouraient. Seule l'expression du visage faisait deviner les émotions qu'on croyait voir les traverser, et le reste n'était qu'impression. Amely n'avait jamais connu personne capable d'exprimer un sentiment profond sans bouger une parcelle de son visage, juste avec les yeux. Elle était prête à défier quiconque de la fixer et de prétendre déceler ce qu'elle pensait dans ses prunelles. Et alors qu'elle vrillait les siennes dans celles de James, elle ne voyait rien, absolument rien qui lui permît de savoir s'il mentait ou non.

Sa manière de demander plusieurs fois des explications, puis de croire que le mal de Clara découlait de problèmes familiaux sous-entendait qu'ils parlaient tous deux d'une chose différente. Mais Amely ne voyait pas comment elle aurait pu être plus claire qu'elle ne l'avait été : elle avait exprimé son mécontentement, exposé les faits et expliqué son point de vue. Que lui fallait-il de plus ? La raison ne tarda pas à venir et la laissa abasourdie : James ne se souvenait de rien. De rien ! L'alcool lui avait lessivé la mémoire ! Amely ne lui connaissait pas de telles vertus ; dommage, parce qu'elle en avait eu, elle, des choses à oublier. Comme l'image ses meilleurs amis en train de s'embrasser. Elle regrettait soudain de ne pouvoir échanger de place avec James ; ainsi, lui aurait su et elle ne saurait pas. La situation aurait été bien meilleure qu'elle ne l'était alors, et Amely n'aurait pas eu à se mêler de tout ça. Hélas, contrairement à ce qu'elle aimait bien se dire, tout n'était pas prévisible.

Difficile à entendre. Elle s'était repassé la scène plusieurs centaines de fois, elle avait ressassé et ressassé sans cesse pendant des jours, elle s'était forcée à oublier... et il lui demandait ce qu'il avait fait ? Il n'en savait rien pendant tout ce temps ? La pilule était dure à avaler mais elle aida Amely à jurer que la prochaine fois, elle se concentrerait sur plus important qu'une vulgaire histoire de couple. Colportages, ragots, bouche à oreille, ce genre de choses n'était pas pour elle. Désormais, elle ne s'en mêlerait plus. De toute façon, quelle perte de temps ! Quel intérêt pouvait-on trouver à surveiller des gens se tenir la main, se murmurer des mots doux et se faire des bisous ? Aucun. Elle préférait passer ses journées à lire, c'était bien plus utile et instructif. Elle allait régler cette affaire et puis basta !

« James... tu ne sais pas ? À la soirée, tu as... Le ton d'Amely, cassant depuis le début de leur échange, s'adoucit brusquement. Elle était incapable de rester fâchée très longtemps contre lui, et le Amy n'y était pas pour rien. James, tu as embrassé Clara. »

Même si elle le connaissait bien, elle ignorait de quelle manière il allait réagir. Elle tentait d'anticiper beaucoup de choses mais le comportement versatile des êtres humains n'entrait pas dans la liste de ses réussites ; il était même l'un des rares éléments qu'elle n'avait pas la prétention de contrôler. Bien sûr, cette nouvelle allait forcément toucher James. Elle-même détesterait apprendre qu'elle avait fait des choses sans en avoir conscience par la suite. Ou pire, qu'elle n'avait aucune incidence sur certains de ses actes. Elle était toujours maîtresse de son corps et de son esprit et décidait de chacun de ses agissements – heureusement pour elle. Si elle n'était même pas capable de se contrôler elle-même, elle deviendrait folle ! (se disait-elle en époussetant sa jupe...)

Mais comment James allait le prendre, elle n'en avait aucune idée.

James était complètement perdu. Il n’avait aucune idée de ce qu’Amely allait lui dire, et cela l’angoissait réellement. Qu’avait-il pu faire pour que cela ait de telles répercussions sur le moral de Clara ? Qu’avait-il pu faire pour se faire réprimander ainsi par Amy ? Il ne boirait plus jamais autant, se promit-il instantanément. Jamais. Il détestait savoir qu’il avait vraiment perdu la mémoire. Il détestait savoir qu’il avait commis des actes et qu’il ne s’en souvenait même pas. Des théories plus folles les unes que les autres apparurent alors dans son cerveau, alors qu’il posait sur Amely un regard interrogateur et pressant. Merlin, qu’allait-il découvrir ?

Les mots qui furent alors prononcés par sa meilleure amie tournèrent longtemps dans son esprit avant qu’il ne les saisisse réellement. Il avait embrassé Clara. Il avait embrassé Clara, sa meilleure amie. Il l’avait embrassé et… Oh, Merlin. Sur le coup de la surprise, il ferma les yeux et déglutit difficilement. Merlin, Merlin. James était dans une véritable impasse, et n’avait aucune idée de comment en sortir. Il avait embrassé Clara, d’accord. Cette pensée, en soit, n’était pas désagréable, à vrai dire, il regrettait réellement de ne pas s’en souvenir. Mais il sortait avec Kessy. Voilà comment expliquer le changement de comportement de Clara vis-à-vis de lui, ces derniers temps. Par Helga, il avait été un tel imbécile. Il avait envie de se frapper la tête contre le mur, là, tout de suite.

« Je… D’accord. » fut tout ce que James parvint à répondre.

Et maintenant qu’il était en possession de cette information, qu’allait-il faire ? S’il s’était souvenu de cette soirée, tout aurait sûrement été différent… Il avait déjà songé à Clara en des termes plus qu’amicaux, avant de se faire une raison : elle était sa meilleure amie, rien de plus, voilà tout. Lorsqu’il avait appris sa relation avec Victor, il avait bien ressenti un petit pincement au cœur, mais il avait mis ça sur l’étonnement lorsqu’il avait appris la nouvelle. Mais que pouvait-il faire, à présent ? Aller voir Clara, et la supplier de bien vouloir l’excuser ? Lui avouer qu’il avait tout oublié de cette soirée ? Mais à quoi cela pouvait-il servir ? Ils étaient tous les deux en couple, c’était stupide penser qu’une conversation de ce genre pouvait y changer quelque chose. Puis… Il était heureux, avec Kessy, n’est-ce pas ? Et cette nouvelle n’y changeait rien, tenta-t-il se convaincre.

« Amy… » commença-t-il, encore perdu dans ses pensées.

Merlin, pourquoi cela lui arrivait-il, à lui ? Il soupira profondément, et se passa une main lasse sur le visage. Quel abruti il faisait, vraiment.

« Qu’est-ce que je dois faire ? » demanda-t-il finalement, en posant sur elle un regard perdu.

Aller voir Clara ? Faire comme si cette conversation n’avait jamais eu lieu ? Partir s’enterrer dans la forêt interdite, peut-être, tant il avait honte.

La réaction de James (ou plutôt son absence de réaction) inquiéta un peu Amely. Elle pouvait presque voir la vague de culpabilité qui déferlait sur lui en cet instant même ; il allait s'infliger la responsabilité de tous les torts du monde. Elle le connaissait pourtant, elle aurait dû se douter qu'il se sentirait coupable. Comment avait-elle pu croire une seule seconde que tout était de sa faute ? À l'avenir, elle devait retenir une chose : James était l'être le plus inoffensif de l'univers. Il était foncièrement bon et elle parfois trop dure avec lui. Désormais, elle regrettait de s'être emportée à son encontre alors qu'il n'avait rien fait de mal. L'aborder calmement, écouter ce qu'il avait à dire et mettre les choses au clair avec lui aurait été bien plus sage de sa part, et leur aurait été évité ce quiproquo bizarre. Pourtant, elle n'avait rien fait de tout cela. D'une part, elle avait perdu son sang froid et son sens commun pour une raison qui lui échappait complètement et de l'autre, cette affaire lui apprenait quelque chose de sa personnalité qu'elle n'avait pas forcément envie de savoir.

Si elle n'avait pas écouté James, c'est qu'elle n'était pas intéressée par ce qu'il avait à dire. Amely se trouvait horrible d'avoir de telles pensées ; elle s'était toujours vue comme une personne très attentionnée envers ses amis, sa famille et le reste de son entourage. Le fait est qu'en réalité, elle se fichait éperdument de ce que les autres ressentaient. Jamais elle ne s'était demandé si Violet ne se sentait pas seule, pas plus qu'elle n'avait cherché à connaître le bien fondé de la colère qu'entretenait Robin à son égard. Parce qu'elle n'avait rien à faire de la solitude de sa camarade de dortoir, ni du ressentiment de son petit frère. Elle avait mille autres questions, mille autres énigmes bien plus importantes à se poser plutôt que de perdre son temps avec celles, plus futiles, de ses petits camarades. Pire, elle ramenait tout à elle. Pour une future Médicomage censée se soucier de son prochain, c'était difficile à admettre. Dans ces moments-là, Amely n'était plus si convaincue d'être une bonne amie. Elle se rendait compte qu'elle ne possédait pas les qualités premières de l'amitié ; être à l'écoute de l'autre, ce n'était pas naturel chez elle.

Elle devait se forcer à écouter les gens parler de leurs problèmes, mais si elle n'en avait pas envie, elle pouvait au moins les aider à les résoudre. Maintenant, elle allait devoir endosser le rôle de la meilleure amie qui réconforte et qui rabiboche pour la bonne santé de leur amitié. D'un autre côté, l'air complètement désemparé de James en rendait l'effort un peu moins ardu.

« James... » lâcha-t-elle en retour, avant qu'il ne lui posât la question fatidique. Que devait-il faire ? À elle de trouver des réponses, de lui venir en aide. « Déjà, assied-toi », le somma-t-elle en le traînant par la manche au bout de table le plus proche, puis s'asseyant elle-même en face de lui. Elle plaqua ses deux mains sur le bois, un contact solide et rassurant, comme pour mettre les choses à plat.

« D'abord, avant de faire quoi que ce soit, rentre-toi bien une chose dans la tête. Tout n'est pas de ta faute », martela-t-elle en accentuant bien chaque syllabe.

Assez paradoxal, comme méthode d'approche, étant donné qu'elle s'adressait à lui depuis plusieurs minutes comme au pire être humain que la terre n'eût jamais porté...

« Je ne veux pas que tu te rendes malade pour une bêtise que tu as faite involontairement, c'est compris ? Crois-moi, je veux vraiment que tout redevienne normal. »

Mais normal comment ? Normal comme avant ? Quand ils étaient encore trois ados à l'amitié soit-disant indestructible, riant près des serres ? Avant la Laponie, avant Ana Sorden, avant la soirée de fin d'année ? Elle avait revécu ces évènements à de multiples reprises. Lorsque, dans ses cauchemars, le plafond de Valtivaara s'effondrait sur elle à nouveau. Lorsque, voyant qu'Emma semblait ailleurs, la culpabilité d'avoir laissé son amie se faire manipuler sous leur nez l'envahissait une fois de plus. Lorsque, à la vue d'une Clara morose, la scène du baiser de ses deux meilleurs amis tournait en boucle dans sa tête. Oui, ces souvenirs, elle aurait donné beaucoup pour les effacer de sa mémoire. Pourtant, si un retourneur de temps apparaissait dans ses mains à cet instant-même, Amely savait qu'elle ne l'utiliserait pas. Parce que, parmi tous les bouleversements de son existence, il y en avait aussi des bons : des petits, tels que sa promotion de Préfète, comme des grands – Emma.

« Déjà, il faut bien que vous parliez de tout ça à un moment ou à un autre. C'est inévitable, cette situation ne peut pas durer éternellement. Tu n'es pas obligé de le faire tout de suite, d'accord ? Va la voir dès que tu te sentiras prêt. »

Amely poussa un soupir, puis chercha à croiser le regard de son ami.

« James, écoute-moi. Clara est ton amie. Elle te pardonnera un jour ou l'autre, si ce n'est pas déjà fait. »

James n’en revenait pas. Il avait embrassé Clara. Clara et lui s’étaient embrassés. Et il ne s’en souvenait pas. C’était affligeant – il s’affligeait, d’ailleurs. Comment avait-il pu oublier ça ? Pourquoi personne n’était venu lui rappeler cet évènement avant aujourd’hui ? Parce que cela aurait changé quelque chose ? se demanda-t-il en fronçant les sourcils. Oui. Non. Peut-être, il n’en savait rien. Il aurait au moins pris le temps de réfléchir, et de considérer les options qui s’offraient à lui. Là, il n’y en avait aucune. Il sortait avec Kessy – il était heureux avec Kessy ! Et Clara lui manquait, réellement, mais que pouvait-il bien faire ? Aller la voir, un jour ? « Salut Clara, dis, j’ai appris qu’on s’était embrassés à la soirée de fin d’année ! Tu vas trouver ça drôle hein, mais je l’avais oublié. Oui, oui, vraiment. Je suis un crétin qui ne tient pas l’alcool. Tu me pardonnes ? » C’était pitoyable, il était vraiment pitoyable ! Comment Clara pouvait lui pardonner ?

James se laissa tirer par Amely vers l’escalier, et s’assit sur la première marche, les yeux dans le vague. Il écouta sa meilleure amie l’assommer de conseils, et de recommandations en tout genre. Il haussa un sourcil sceptique lorsqu’elle affirma que tout n’était pas de sa faute. Pourtant, la façon dont elle s’adressait à lui depuis le début de leur conversation laissait tout à fait imaginer ce qu’elle avait bien pu penser de lui. Le fait qu’il ne souvienne de rien rendait les choses moins graves ? Sûrement pas ! Aux yeux de James, elles étaient encore plus terribles. Il aurait dû moins boire, il aurait dû monter se coucher. Pourquoi avait-il tenu à essayer tous les alcools qu’ils avaient réussi à introduire dans le château ? Pitoyable. Il ne boirait plus jamais, se promit-il en grommelant tout bas contre lui-même.

Il adressa un sourire un peu pâle à Amely, qu’il remercia d’un regard. Heureusement qu’elle était là. Heureusement qu’il pouvait compter sur elle pour être présente quand ça n’allait pas – la réciproque était vraie aussi. Il se passa une main lasse sur le visage, et redressa les épaules, hochant doucement la tête, à la suite des paroles d’Amely. Oui, bien sûr, il faudrait qu’il le dise à Clara. Un jour. Pouvait-il vraiment aller la voir maintenant, alors qu’elle sortait avec Victor Lloyd, et lui avec Kessy ? Non, ça ne serait pas correct ! Et puis, peut-être que Clara se fichait bien de lui, que ce baiser ne représentait rien pour elle. Peut-être qu’elle était seulement triste à cause de sa situation familiale, pas à cause de lui. Une petite voix intérieure lui souffla un « non » qu’il repoussa.

« J’irais la voir. » promit-il à Amely. « Mais pas maintenant. Elle est avec Victor Lloyd tu sais ? J’aurais l’air de quoi si je me pointais maintenant ? »

Il haussa les épaules en soupirant. Voilà une situation qui ferait bien rire Ashley, à coup sûr.

« Pour l’instant je vais… Je vais retourner manger, tiens. » Parce qu’il est connu que manger aide les Poufsouffle à réfléchir ! « Merci Amy. Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans toi. » souffla-t-il en plaquant un baiser sur la joue de la jeune fille. « Tu viens avec moi ? »