L'art du travail [Alastair & Théo]

Alastair mit un point final au rapport qu'il devait rédiger et posa sa plume sur son bureau avant de fermer la chemise dans laquelle il avait rangé le dossier sur l'affaire qu'il avait dû traiter la semaine passée. Il se laissa alors retomber contre le dossier de son siège et s'étira allègrement, profitant des quelques minutes qu'il avait avant que son rendez-vous arrive. Il avait volontairement placé cet entretient pendant la pause déjeuner, d'une parce qu'ainsi, il ne serait pas obligé de faire des heures supplémentaire pour boucler sa journée de travail et de deux parce qu'il voulait voir la motivation du jeune homme sur lequel il avait porté son dévolu. Il ne voulait que les meilleurs et les plus motivés, une convocation un midi, lui permettait de juger si son futur stagiaire était réticent quant à l'idée de se déplacer sur son heure de déjeuner et de cela, il s'en apercevrait dès qu'il l'aurait vu. Si l'étudiant affichait une moue ennuyée ou semblait peu satisfait, Alastair savait qu'il n'allait pas faire durer l'entretient et qu'il ne voulait pas de ce jeune là comme apprenti, il refourgerait donc le dossier à l'un de ses collègues et il y avait souvent des chances pour que l'étudiant n'intègre pas le service.

Il pouvait peut-être paraître dur et intraitable dans sa sélection mais le travail d'oubliator nécessitait certains atouts qu'il jugeait indispensable pour exceller dans sa profession. Il y avait une raison s'il ne formait que ceux qu'il jugeait les meilleurs de leurs promotions, il exigeait une certaine rigueur de ses stagiaires et attendait la plus parfaite des obéissances, tout comme il exigeait la ponctualité et la perfection dans les rapports qu'il attendait. Il poussa un léger soupir et attrapa un morceau de parchemin vierge qu'il posa bien en évidence sur son bureau à côté de sa plume qu'il replaça bien droite pour passer le temps. Il dut attendre encore quelques minutes avant qu'une note de service ne lui annonce l'arrivée de son visiteur, il jeta un rapide coup d’œil à sa montre et laissa un léger sourire appréciateur fleurir sur ses lèvres lorsqu'il remarqua que le jeune Nott était en avance.

Il se leva lentement de son fauteuil et prit tout son temps pour se rendre à l'accueil du QG, il voulait voir si son peut-être futur apprenti serait patient, il avança donc volontairement sans précipitation afin de pouvoir examiner comme il le désirait le jeune Théo Nott, il ne remarqua aucune mimique d'impatience, ni de colère et encore moins d'impétuosité. Il se permit un léger sourire, l'apparente décontraction de l'étudiant lui plaisait, il aimait la curiosité presque palpable qu'on pouvait lire dans son regard et la petite étincelle qu'il interprétait comme du désir lui plaisait encore plus. Il avait déjà eu un certain aperçu du jeune homme lors de l'attentat de juillet et ce qu'il y avait vu lui avait beaucoup plu, il accéléra donc un tout petit peu le pas et reprit son air habituel, dénué d'expression. Celui qu'il arborait alors qu'il s'apprêtait à effacer la mémoire à un moldu trop curieux ou malchanceux.

"Monsieur Nott, lança-t-il en lui tendant la main. C'est un plaisir de vous revoir dans de meilleurs conditions que la dernière fois. C'est moi qui vous ai convoqué aujourd'hui. Si vous voulez bien me suivre, c'est par ici."  

L'oubliator lui fit un léger signe de la tête pour l'inviter à le suivre et rejoignit son bureau sans vérifier que le gamin le suivait, il devait de toute manière être assez grand pour ne pas perdre quelqu'un de vu non ? Il s'installa donc dans son fauteuil derrière son bureau et invita Théo à en faire de même avant de se saisir de son dossier scolaire.

"Bien Monsieur Nott, j'ai parcouru votre dossier qui est, je dois l'avouer, très appréciable. De bonnes appréciations, des notes correctes. Vous avez, à mon humble avis toutes les chances d'entrer dans notre département en tant que stagiaire. Néanmoins, j'aimerais entendre vos motivations. Qu'est-ce qui vous a poussé à vouloir devenir oubliator ? Qu'attendez vous de ce stage ? Savez vous dans quoi vous vous embarquez ? Ici, il n'y a pas la place pour les geignards et les traînes culottes, il faut montrer ce que l'on vaut tous les jours, ne pas ménager ses efforts, ne pas avoir peur de ne pas dormir, de sauter des repas également. Vous sentez vous prêt à sacrifier votre vie personnel Monsieur Nott ? Et je ne parle même pas de psychologie Monsieur Nott ! Vous sentez vous prêt à être hanté toute votre vie par la question "pourquoi ?" et "qui êtes vous ?". Pour enfin terminer par voir un regard vitreux et sans expression. Vous sentez vous à la hauteur, croyez vous être assez fort Monsieur Nott ?"  

Alastait plongea son regard dans celui du jeune homme, dans l'attente d'une réponse, il avait été volontairement incisif, voulant voir de quel bois était fait ce grand gaillard à l'air tout timide. S'il se révélait trop "gentil", il allait se faire manger tout cru le petit Nott. D'ailleurs, il n'avait pas encore abordé le nom de famille du jeune homme de façon tout à fait délibéré, il tenait les mangemorts pour responsable de la mort de sa femme mais ne retenait aucun grief contre les enfants de ces dernies, cependant, ce n'était pas le cas de tout le monde dans le service et il allait falloir que le gamin apprenne à le gérer mais pour l'instant, il ne voulait pas encore s'attarder sur ce point, il y reviendrait un peu plus tard lorsqu'il aurait eu sa réponse.

Alastair examina son interlocuteur attentivement, essayant de déceler le moindre signe de faiblesse, l'observant volontairement de façon insistante. Il apprécia la confiance en lui que semblait dégager le jeune homme, il apprécia sa façon méthodique qu'il eut de lui présenter ses motivations, néanmoins il tiqua légèrement aux "je pense" successifs du jeune Nott, s'il pensait, il n'était pas certain d'être un atout pour son équipe, s'il pensait il n'était pas sûr de lui. Al se saisit alors de sa plume et griffonna quelques mots sur son parchemin, laissant Théo continuer sans l'interrompre. Gardant une oreille attentive sur ses propos. Il aborda alors l'aspect psychologique du métier et sa voix se fit plus hésitante, ce que repéra immédiatement l'Oubliator, il s'attendait à tout, peut-être s'était-il trompé et que le jeune homme n'avait pas les épaules assez solide pour supporter le poids des questions. Mais il fut surpris par sa réponse, il fut agréablement surpris par l'honnêteté dont faisait preuve le garçon.

Il resta néanmoins impassible, se contentant de noter sur sa feuille qu'il avait l'habitude des questions désagréables, sans doute à cause du passé de sa famille, point qu'il allait d'ailleurs aborder avec lui un peu plus tard. Il posa à nouveau son regard perçant sur l'ancien Poufsouffle, puisqu'il semblait avoir fait parti à cette maison durant sa scolarité comme l'indiquait son dossier. Il devait donc être travailleur et ne pas avoir peur de la masse de travail comme il l'avait indiqué un peu plus tôt mais le travail ne faisait pas tout, il y avait également les motivations et s'il semblait ne pas en manquer, Alastair se demandait quand même s'il était réellement prêt à supporter le poids de la culpabilité. Il parlait d'éthique et de compassion de bien beaux mots, pas toujours facile à appliquer en pratique. Jusqu'où pouvait-on aller pour préserver le secret magique ? Lui-même n'avait pas la réponse mais était curieux d'entendre la théorie du jeune Nott. Il y aurait des sacrifices à faire, il y aurait des cas difficiles à surmonter et il fallait se sentir prêt à les affronter.

Alastair apprécia toutefois qu'il aborde le côté recherche du métier et pas seulement l'aspect terrain qui n'était en réalité qu'une infime partie de leur travail. Il ajouta quelques petites choses sur son parchemin avant de redresser la tête et de porter toute son attention sur Théo.

"Merci Monsieur Nott. Il y a néanmoins certains points que j'aimerais éclaircir avec vous. Lorsque vous dites que vous pensez pouvoir vous investir dans les tâches qui vous seront confiées, c'est parce que vous n'êtes pas certain de pouvoir venir à bout du travail que l'on va vous donner ? Même question pour votre intégration, vous pensez ne pas être capable de vous adapter au bureau ?"

Il laissa un léger blanc pour permettre au jeune homme de répondre, posant un regard acéré sur l'étudiant, il allait falloir qu'il soit sûr de lui s'il voulait intégrer l'équipe, il ne pouvait pas se permettre de penser, il fallait qu'il donne tout ce qu'il avait dans le ventre s'il voulait devenir stagiaire, d'autant plus si Alastair était son maître de stage.

"Ensuite, il y a un point que j'aurais voulu aborder avec vous. Comme vous vous en doutez Nott, n'est pas un nom très apprécié au Ministère, je pars du principe que je ne juge pas une personne à cause de nom de famille ou de la maison qu'il a intégré à Poudlard, nous ne sommes pas nos parents ni nos camarades après tout. N'est-ce pas ? Cependant ma vision des choses n'est pas partagé par tout le monde au sein du Ministère et même à l'intérieur de ce bureau. Je me demandais donc si vous vous sentiez prêt à supporter les brimades et les remarques désagréables de certains de mes collègues ? Vous devez également savoir que je suis l'un des formateurs les plus exigeant pour ne pas dire le plus exigeant, je serais donc implacable quant à la qualité de votre travail. Vous sentez vous prêt à le supporter ?"

Il fit une nouvelle pause pour reprendre son souffle et également pour permettre au jeune Nott de répondre à ses questions. Il ne le lâchait pas des yeux, exerçant une pression supplémentaire, jaugeant la quantité de stress qui entourait le jeune homme.

"Pour terminer, vous parlez d'éthique et de compassion. Certes, il faut de la compassion mais si vous faites preuve de trop de compassion vous n'arriverez jamais à survivre dans ce métier, vous vous ferez manger par votre culpabilité. Il faut donc savoir se préserver. La question est donc la suivante, d'après vous jusqu'où peut-on aller pour préserver le secret magique ? A l'heure d'aujourd'hui, nous ne sommes pas capable de sélectionner qu'un seul souvenir et qu'un seul fil conducteur de la vie d'une personne. Seriez vous prêt à effacer la vie entière d'un homme pour la préservation du secret magique ? En sachant que vous devrez vivre avec la culpabilité et les conséquences découlant de cette action."

Sans doute la question qui lui tenait le plus à cœur de tout cet entretien et là l'objectif n'était pas de juger juste de voir jusqu'où était capable d'aller ce jeune homme. Dans ce genre de situation, un Oubliator devait pouvoir avoir la possibilité de refuser, du moins s'il n'était pas tout seul sur l'intervention, ce qui était tout de même rarement le cas et une intervention de cette ampleur ne se faisait pas sur un coup de tête, il devait être mûrement réfléchi.

Alastair esquissa un léger sourire alors que Théo revenait sur ses affirmations précédentes en affirmant qu'il savait qu'il pouvait le faire, voilà, c'était déjà mieux, un peu d'assurance, il pouvait voir de la détermination chez le jeune Nott et il aimait, il sentait qu'il pourrait aller loin avec lui. Il écouta attentivement sa réponse sur son nom et sur son intégration dans l'équipe et ne put que relever la flatterie dissimulée. Si il arrivait à satisfaire le plus exigeant des formateurs alors les autres n'auraient qu'à s'incliner. Certes mais parfois, les langues de vipère ne pouvait empêcher de cracher leur venin et il pouvait s'avérer très difficile à entendre. Mais le jeune homme semblait en avoir vu d'autre, il se défendait bien dans ses idées et ses arguments étaient pertinents.

Il nota consciencieusement toutes les informations qu'il lui donnait, malgré l'apparente carapace qu'il se donnait, il pouvait voir une certaine fragilité et une certaine innocnce chez le garçon, ce qui lui rappelait sans cesse que lui, il vieillissait et que leurs apprentis n'étaient encore que des enfants lorsqu'ils sortaient de Poudlard, des adolescent à peine majeur. Il nota qu'il avait le sens du devoir mais qu'il pourrait garder son libre arbitre en cas de besoin après les changements successifs de gouvernement, c'était primordial. Lui même avait dû faire des choses dont il n'était pas très fier afin de garder sa couverture sans tâche de parfait soldat du bureau des Oubliators, aujourd'hui encore, il agissait dans l'ombre amassant le plus d'information possible sur les Mardoliens, ces terroristes qui ne lui inspirait pas confiance et qui menaçait son emploi. Il avait déjà la certitude que Théo n'en était pas un, la remarque qu'il fit sur son nom et la préservation du secret était déjà un bon indice. Mais qui lui affirmait qu'il ne mentait pas uniquement pour avoir le poste et pour pouvoir s'infiltrer ici aussi, non, sa réelle surprise lors de l'attentat de juillet lui confirmait qu'il n'était pas de mèche avec Mardol.

"Très bien Monsieur Nott, je crois que j'ai tout ce qu'il me faut. Vous avez répondu à toutes mes questions, je vous en remercie."

Alastair se leva de son fauteuil et invita le jeune Nott à en faire de même, il esquissa un léger sourire et l'invita à le suivre vers la sortie. Lorsqu'ils arrivèrent au niveau du couloir, un sourire énigmatique au coin des lèvres.

"Et bien, je vous reverrais le premier septembre Théo, je vous attends à 8h devant mon bureau. Félicitations."

Son sourire s'agrandit alors qu'il lui tendait la main pour le saluer. Lorsque ce fut fait, il n'attendit pas que le garçon parte, il lui fit un léger signe de tête et repartit, satisfait, en direction de son bureau. Il venait d'engager un nouveau stagiaire plus que prometteur, il avait hâte de voir ce qu'il avait dans le ventre, il adressa un léger clin d’œil à Daniel qui lui souriait d'un air entendu alors qu'il passait près de son bureau. Son début de journée avait été très prolifique.